|
N° 140 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
|
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025 |
|
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2026, |
|
TOME V RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR |
|
Par M. Patrick CHAIZE, Sénateur |
|
(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Vincent Louault, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; Mmes Martine Berthet, Marie-Pierre Bessin-Guérin, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Mmes Amel Gacquerre, Marie-Lise Housseau, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Gérard Lahellec, Mmes Marianne Margaté, Pauline Martin, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Marc Séné, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot. |
L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 19 novembre 2025, la commission des affaires économiques a donné un avis favorable aux crédits de la mission « Recherche ».
Les crédits ouverts par le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 demeurent en légère hausse même si, pour la deuxième fois consécutive depuis son adoption, la loi de programmation pour la recherche (LPR) ne sera pas respectée, ce qui soulève la question de sa pérennité. En outre, des efforts significatifs ont été demandés aux opérateurs de recherche en gestion au cours de l'année 2025, et nul doute qu'il en sera de même en 2026.
Si cette contribution à l'effort de redressement de nos finances publiques peut se concevoir, le rapporteur estime que la dynamique de réinvestissement dans la recherche publique qui avait été initiée depuis 2021 devra rapidement être relancée dans les années à venir, les dépenses de recherche étant des dépenses indispensables à l'amélioration du potentiel de croissance de notre économie.
Ces moyens alloués à la recherche publique gagneraient en outre à être davantage concentrés sur les grandes priorités nationales. Il s'agit en particulier de consolider nos capacités de recherche dans les domaines nucléaire, spatial et numérique afin d'assurer notre avenir dans trois domaines au coeur des grands enjeux de souveraineté.
I. LE PLF 2026 PRÉSERVE LE RÉINVESTISSEMENT DANS LA RECHERCHE PUBLIQUE OPÉRÉ DEPUIS LE DÉBUT DE LA DÉCENNIE
A. DANS LA CONTINUITÉ DE LA LOI DE FINANCES INITIALE (LFI) POUR 2025, LE PLF 2026 PRÉVOIT UNE STABILISATION DES CRÉDITS DÉDIÉS À LA RECHERCHE PUBLIQUE
1. Les crédits dédiés à la recherche publique qui financent les principaux opérateurs seront en légère hausse en 2026
Pour 2026, les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) atteindront 31,9 Md€ en autorisations d'engagement (AE) et 31,5 Md€ en crédits de paiement (CP), soit une hausse respective de 1,87 % et de 1,83 % par rapport à la LFI 2025 qui bénéficiera principalement aux programmes de la mission dédiés à l'enseignement supérieur.
S'agissant de la politique de recherche publique, sa mise en oeuvre est largement déléguée à des opérateurs publics qui concentrent 90 % des crédits « Recherche » de la mission. Le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » (P172) constitue ainsi le principal vecteur de financement de la recherche publique en France car il finance l'Agence nationale de la Recherche (ANR), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Centre national d'études spatiales (Cnes), l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) ou bien encore l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
Pour 2026, le budget alloué à ce programme diminue légèrement de - 0,53 % en AE et augmente de 0,54 % en CP à 8,2 Md€, ce qui correspond à une stabilisation de ses crédits.
2. Pour la deuxième fois consécutive depuis 2021, une sous-exécution de la loi de programmation de la recherche due aux difficultés budgétaires
Pour sa sixième année de mise en oeuvre, c'est la deuxième fois consécutive que la trajectoire définie par la loi de programmation de la recherche1(*) (LPR) de 2020, qui était supposée porter un réinvestissement de 25 Md€ pour la période 2021-2030, n'est pas respectée, alors que tant les trajectoires budgétaires que les plafonds d'emplois l'avaient été au cours des quatre premières années d'exécution de la LPR.
Selon l'article 2 de cette loi de programmation, les crédits alloués au programme 172 auraient dû en effet augmenter de 361 M€ en CP par rapport au montant prévu en LFI 2025. Or cette hausse se limitera à 44 M€ en 2026, soit 317 M€ de moins que ce que prévoyait la LPR.
En 2025, cet écart représentait déjà 136 M€, si bien que le programme 172 se verra affecter en 2026 quelque 453 M€ de moins que ce que prévoyait à l'origine la LPR. La prévision indicative pour 2027 fournie par le Gouvernement étant de 8,2 Md€, en très légère baisse par rapport à 2026, cet écart devrait continuer à se creuser, si bien qu'il convient de se demander si la LPR demeure une référence pertinente, ou si elle s'avère désormais caduque, cinq années seulement après son adoption et à mi-parcours de la période de programmation.
Selon les organismes de recherche entendus par le rapporteur, la revoyure de la LPR à la baisse signifie de facto l'abandon de l'essentiel des mesures catégorielles visant à revaloriser le régime indemnitaire des enseignants et chercheurs mais également un renoncement non assumé aux mesures de renforcement du soutien aux laboratoires, en contradiction avec l'ambition affichée en 2020 d'augmenter durablement la dépense intérieure de R&D des administrations.
Autre point de préoccupation, le PLF 2026 confirme et amplifie le montant des charges non compensées, déjà significatif en 2025. Alors que la hausse de la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) pensions n'avait pas du tout été compensée pour les organismes de recherche en 2025, elle ne le serait pratiquement pas non plus en 2026, avec seulement 16 M€ budgétés. L'exemple du CNRS, détaillé infra, est à cet égard éclairant.
Enfin, le rapporteur regrette que les crédits en faveur de la recherche demeurent, comme en 2024, significativement touchés par les annulations en cours de gestion, puisque le décret n° 2025-374 du 25 avril 2025 portant annulation de crédits avait procédé à de premières annulations de 199,4 M€ sur le programme 172 et de 94,5 M€ sur le programme 193 « Recherches spatiales », auxquelles le projet de loi de fin de gestion 2025 est venu ajouter l'annulation de 50 M€ sur le programme 172 et de 99 M€ sur le programme 193, ces annulations de fin de gestion portant dans les deux cas sur les réserves de précaution de ces programmes.
Ces suppressions supplémentaires de crédits viennent par conséquent éloigner encore un peu plus ces programmes des objectifs de la LPR, laquelle paraît désormais largement vidée de sa substance.
3. L'absorption ponctuelle d'un effort budgétaire ne devrait pas avoir pour effet d'enrayer durablement la dynamique de réinvestissements dans la recherche publique
À l'issue de ses travaux, le rapporteur constate que les grands opérateurs de recherche ont accepté la nécessité de contribuer à l'effort national de redressement budgétaire, à la fois par des mesures prises en gestion et par l'acceptation de hausses de budget et d'emplois qui sont bien moins ambitieuses que prévu.
Il tient toutefois à rappeler que l'effort de recherche français, c'est-à-dire la dépense intérieure de R&D rapportée au PIB s'élève à 2,2 %, un chiffre qui reste nettement en deçà de l'objectif de 3 % fixé par l'Union européenne dans le cadre de la stratégie « Horizon Europe », et très inférieur à l'effort consenti par des pays tels que la Corée du Sud, Israël ou les États-Unis.
Or les dépenses de recherche et d'innovation sont fondamentales pour assurer la croissance future de notre pays, comme l'ont montré les travaux de notre récent prix Nobel d'économie Philippe Aghion. S'il existe une « bonne » dépense publique, c'est bien la dépense en faveur de la recherche et de l'innovation.
Ainsi, si une stabilisation temporaire de la dynamique impulsée par la loi de programmation pour la recherche (LPR) peut se concevoir eu égard à la dégradation des finances publiques, il conviendra de la relancer dans les années à venir afin de ne pas perdre le bénéfice des premières années d'exécution de la LPR, même si cela devait impliquer le cas échéant d'adopter un mode de financement de la recherche publique plus sélectif et plus en adéquation avec les grandes priorités énergétiques, numériques, économiques, technologiques et industrielles de notre pays.
* 1 Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur