B. LA POLITIQUE SPATIALE FRANÇAISE DEVRAIT ÉCHAPPER AU DÉCLASSEMENT GRÂCE À UNE CONTRIBUTION EN LÉGÈRE HAUSSE AU BUDGET DE L'AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE (ESA)
Alors que le Président de la République a présenté le 12 novembre 2025 une stratégie spatiale 2025-2040 ambitieuse pour notre pays, la réalité de cette ambition a été mise à rude épreuve lors de la récente conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA).
Cette « CMIN », qui se tient tous les trois ans, est en effet le moment où les États membres décident collectivement des programmes qui seront mis en oeuvre dans le cadre de l'ESA pour les années suivantes, et, individuellement, de leurs souscriptions à ces différents programmes. Or, la conférence ministérielle (CMIN) de l'ESA qui s'est tenue les 26 et 27 novembre 2025 à Brême a fixé à hauteur de 22 Md€ le budget de l'ESA pour la période 2026-2028 contre 16,9 M€ pour la période 2022-2025, soit une forte augmentation de 30 %.
Sous la pression des industriels mais également, entre autres, du Sénat, le Gouvernement, après avoir un temps envisagé de se limiter à une enveloppe historiquement basse qui aurait marqué une véritable régression, a finalement accepté de porter la contribution française à 3,6 Md€ contre 3,2 Md€ pour la période 2022-2025, soit une hausse de 12,4 %.
Ce montant restera cependant très en retrait de celui consenti par l'Allemagne, lequel atteindra 5 Md€, en hausse de 45,8 %, dans un contexte où nos voisins d'outre-Rhin ont par ailleurs annoncé vouloir investir 35 Md€ d'ici 2030 dans le spatial militaire.
Alors que beaucoup s'attendaient à ce que l'Italie contribue à hauteur de 4 Md€, le montant de sa souscription est finalement légèrement inférieur à celui de la France, ce qui permettra à notre pays de demeurer le deuxième contributeur de l'Agence, limitant ainsi le risque de déclassement qui le menaçait.
De fait, compte tenu de la logique des retours géographiques qui structure le fonctionnement de l'ESA, l'industrie spatiale française aurait été susceptible de souffrir durablement d'une contribution française trop faible, car la part qui aurait été, dans cette hypothèse, réservée à l'activité satellitaire, priorité nationale sur laquelle travaillent en particulier Thalès Alenia Space et Airbus Defence & Space, aurait été susceptible de substantiellement diminuer. Alors que ces acteurs ont dû supprimer des emplois en 2024 et en 2025, un tel résultat aurait été pour le moins dommageable.
L'effort financier consenti par le Gouvernement dans la dernière ligne droite, même s'il demeure inférieur aux besoins, devrait permettre d'éviter un tel scénario défavorable.
Au-delà de cet enjeu, la France, et plus particulièrement son bras armé dans le domaine spatial, le Cnes, devra continuer à faire progresser ses priorités en matière de politique spatiale européenne et nationale, notamment :
- la montée en puissance des lancements d'Ariane 6, qui a déjà réussi 4 lancements depuis son vol inaugural en juillet 2024 et compte réaliser 9 lancements en 2026 et 9 ou 10 en 2027. À cette date, un soutien annuel à l'exploitation compris entre 290 et 340 M€ sera nécessaire pour équilibrer le plan d'affaires d'Ariane 6, malgré une réduction du coût de lancement d'environ 40 % par rapport à Ariane 5. Conforter l'autonomie d'accès à l'espace de la France et de l'Europe sera d'autant plus crucial que la concurrence américaine, qu'il s'agisse de Space X mais également désormais de Blue Origin5(*), maîtrise la récupération des propulseurs de ses fusées, ce qui lui confère un avantage concurrentiel déterminant ;
- l'engagement du Cnes et des entreprises françaises dans le déploiement de la constellation européenne de connectivité sécurisée Iris2 qui devrait débuter pour 2026, indispensable pour soutenir la filière satellitaire française dont les difficultés ont été mentionnées supra. Le rapporteur relève à cet égard que la France avait investi 300 M€ en faveur d'Iris2 dans le cadre du précédent budget triennal de l'ESA (CMIN22) et qu'elle envisage une contribution complémentaire de 80 M€ lors de la CMIN25 pour des missions et démonstrations à développer par des entreprises émergentes du « new space » ;
- le développement des jeunes entreprises innovantes et des acteurs émergents de ce secteur du « new space » dont la montée en puissance a été accélérée grâce aux crédits du plan France 2030, en particulier dans le domaine des lanceurs et des micro-lanceurs ;
- la prise en compte de la politique isolationniste de l'administration Trump, qui a publié en mai une requête budgétaire pour l'année fiscale 2026 qui propose une réduction de 25 % du budget de la Nasa, priorisant les missions vers la Lune et Mars (avec un fort appui du secteur privé), ce qui impliquerait, si cette demande était validée telle qu'elle par le Congrès américain, l'annulation de plusieurs programmes dans lesquels la France est impliquée.
* 5 Blue Origin, l'entreprise spatiale du fondateur d'Amazon Jeff Bezos, a réussi à récupérer pour la première fois le 13 novembre 2025 le propulseur de sa grande fusée New Glenn en la faisant atterrir de manière contrôlée sur une barge en mer.