EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 19 novembre 2025, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Patrick Chaize sur la mission « Recherche » du projet de loi de finances pour 2026.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons ce matin le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2026.
M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » s'élèvent pour 2026 à 31,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 31,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit des hausses respectives de 1,87 % et 1,83 % par rapport à l'an dernier. Celles-ci bénéficient principalement aux programmes de la mission dédiés à l'enseignement supérieur.
Le périmètre suivi par la commission des affaires économiques ne porte pas sur l'ensemble de cette mission, mais uniquement sur les programmes consacrés à la recherche, et en particulier sur le programme 172 qui porte les subventions pour charges de service public des organismes de recherche. Le budget alloué à ce programme diminue de 0,53 % en AE et augmente de 0,54 % en CP ; il s'établit ainsi à une hauteur stabilisée de 8,2 milliards d'euros.
Pour la deuxième année consécutive, la trajectoire définie par la loi de programmation de la recherche (LPR) de 2020 - supposée porter un réinvestissement de 25 milliards d'euros pour la période 2021-2030 - n'est pas respectée, alors que les trajectoires budgétaires et les plafonds d'emplois l'avaient été au cours des quatre premières années d'exécution.
En 2025, l'écart représentait déjà 136 millions d'euros. En 2026, l'enveloppe allouée à ce programme 172 sera par conséquent inférieure de 453 millions par rapport aux prévisions de la LPR. La prévision indicative pour 2027 fournie par le Gouvernement étant de 8,2 milliards d'euros, en légère baisse par rapport à 2026, cet écart devrait continuer à se creuser. Si l'on prend en compte également les 250 millions d'euros d'annulation de crédits en cours de gestion, on peut s'interroger sur la pertinence de la LPR. Cinq années seulement après son adoption, celle-ci est-elle devenue caduque ?
L'effort de recherche français - à savoir, la dépense intérieure de recherche et développement rapportée au PIB - s'élève à 2,2 %. Ce taux s'avère en deçà de l'objectif de 3 % fixé par l'Union européenne (UE) dans le cadre du plan stratégique « Horizon Europe », et très inférieur à l'effort consenti par des pays tels que la Corée du Sud, Israël ou les États-Unis.
Or, les dépenses de recherche et d'innovation sont fondamentales pour assurer la croissance future de notre pays, comme l'ont montré les travaux de notre récent prix Nobel d'économie, M. Philippe Aghion. S'il existe une « bonne » dépense publique, c'est bien celle favorable à la recherche et l'innovation.
Si une stabilisation temporaire de la dynamique impulsée par la LPR peut se concevoir, eu égard à la dégradation des finances publiques, il conviendra de relancer celle-ci dans les années à venir afin de ne pas perdre le bénéfice des premières années d'exécution de la LPR, même si cela devait impliquer d'adopter un mode de financement de la recherche publique plus sélectif et plus en adéquation avec les grandes priorités économiques de notre pays.
Concernant les organismes de recherche généralistes, les moyens de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ont été renforcés, avec une hausse significative de plus de 76 % de son budget entre 2020 et 2024. Celle-ci était nécessaire pour améliorer le taux de sélection des projets soumis par les chercheurs. Après une année de stabilité en 2025, les crédits d'intervention de l'ANR en faveur des appels à projets connaissent une légère hausse de 20 millions d'euros en 2026. Un quart des projets de recherche déposés à l'ANR devraient ainsi bénéficier d'un financement ; un tel ratio permet, en principe, d'éviter de sacrifier d'excellents projets et de décourager les chercheurs comme cela s'avérait le cas dans les années 2010.
Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) doit poursuivre la mise en oeuvre de sa stratégie de renforcement de son attractivité dans un contexte de forte compétition internationale, pour attirer et fidéliser les talents scientifiques. Si cette attractivité demeure importante, comme en témoignent les 700 candidatures de chercheurs étrangers reçues dans le cadre du programme « Choose CNRS » mis en place à la suite de la remise en cause des libertés académiques aux États-Unis, il s'agit de veiller à ce que le CNRS puisse mener une politique de rémunération et de carrière dynamique.
Or, cette politique apparaît aujourd'hui menacée par l'accumulation des charges non compensées transférées à l'établissement, qui assèchent la trésorerie libre d'emploi. Il importera de limiter le recours à ce type d'expédients budgétaires dans les prochaines années, sous peine de fragiliser le premier organisme de recherche de notre pays. Il s'agit d'armer celui-ci dans tous ses domaines d'expertise, afin qu'il demeure au meilleur niveau mondial.
Au-delà de ces grands organismes transversaux, je souhaite insister sur trois politiques sectorielles de recherche qui me paraissent nécessiter un soutien ciblé, continu et appuyé : le nucléaire, le spatial et le numérique.
Dans le domaine du nucléaire, les crédits de recherche et développement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sont en forte baisse de 15 millions d'euros, alors que 18,5 millions d'euros avaient déjà été supprimés en 2025. Cela avait conduit le CEA, pour ne pas pénaliser ces dépenses indispensables, à réduire celles - pourtant nécessaires - portant sur l'assainissement et le démantèlement.
Cette diminution des crédits entre en contradiction avec l'objectif de relance de la filière nucléaire, portée de longue date par notre commission des affaires économiques. Depuis 2022, le Gouvernement a également adopté cette position, qu'il n'a cessé ensuite de rappeler dans le cadre des réunions du Conseil de politique nucléaire (CPN). C'est la raison pour laquelle je soutiens l'amendement de notre collègue Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la recherche et de l'enseignement, visant à rétablir ces 15 millions d'euros destinés à financer la recherche et le développement nucléaire.
Le financement de la politique spatiale se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Alors que le Président de la République a présenté le 12 novembre dernier une ambitieuse stratégie spatiale pour notre pays jusqu'en 2040, la réalité de cette ambition sera mise à l'épreuve dans les prochains jours à l'occasion de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA).
Plusieurs industriels du spatial ont alerté sur le fait que le Gouvernement envisagerait une contribution d'un montant à peine supérieur aux 3,2 milliards d'euros versés pour la période 2022-2025. Dans le même temps, l'Allemagne et l'Italie - les deux autres grands pays européens du spatial - devraient augmenter leur contribution, ce qui leur permettrait de peser davantage sur les orientations de l'ESA. Berlin serait ainsi prêt à investir au moins 5 milliards d'euros, tandis que Rome investirait 4 milliards d'euros. La France verrait le pourcentage de sa participation nettement diluée et rétrograderait au rang de troisième contributeur de l'ESA, avec des conséquences sur les retours géographiques auxquels elle pourrait prétendre.
Si la France investit moins de 4,5 milliards d'euros, l'industrie spatiale française pourrait durablement souffrir. Dans cette hypothèse, la part réservée à l'activité satellitaire, priorité nationale sur laquelle travaillent en particulier Thalès Alenia Space et Airbus Defence and Space, risquerait de diminuer. Alors que ces acteurs ont dû supprimer des emplois en 2024 et en 2025, un tel résultat serait très dommageable.
Dans les prochains jours, il importe que le Gouvernement consente l'effort nécessaire pour mettre en adéquation l'ambition affichée dans le domaine spatial et les moyens permettant à la France de demeurer une grande puissance spatiale européenne.
En conclusion de mon rapport, je tiens à saluer les actions mises en oeuvre par les grands opérateurs de recherche, notamment l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), le CEA, le CNRS et l'ANR, pour orienter et adapter leurs projets de recherche en fonction des grandes priorités nationales définies en matière de numérique, en particulier pour poursuivre les objectifs fixés par la stratégie nationale d'intelligence artificielle.
Malgré une ambition moindre et un avenir compromis pour la LPR, je vous propose d'adopter les crédits de la mission, car la dynamique de réinvestissement dans la recherche publique à l'oeuvre ces dernières années, à défaut de progresser comme cela était prévu, du moins ne régresse pas. Si en revanche une diminution des crédits devait se produire, cela constituerait une difficulté majeure.
M. Franck Montaugé. - Je suis surpris par la proposition de vote, compte tenu du constat alarmant qui vient d'être dressé. La logique voudrait que la proposition budgétaire ne soit pas approuvée. De notre côté, notre groupe ne sera pas favorable à l'adoption des crédits de la mission.
M. Yannick Jadot. - Le rapporteur évoque le déficit budgétaire pour justifier son avis, en indiquant que tout ira mieux l'année prochaine. Notre débat concerne les dépenses d'investissement indispensables. Or, nous savons que les dépenses en matière de recherche produisent de la richesse et des recettes budgétaires. Il convient de réduire le déficit budgétaire sans pour autant sacrifier la croissance de demain.
M. Daniel Gremillet. - En cohérence avec les travaux du Sénat, je me réjouis des propos de notre rapporteur concernant la question nucléaire. Notre capacité à être compétitif dans ce domaine est nécessaire.
M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis. - Nous sommes sur une ligne de crête. Cette année, cela passe encore, le budget demeure à peu près à l'équilibre, avec une masse financière toujours importante. Les responsables des organismes comprennent que, dans la situation budgétaire actuelle, ils doivent participer à l'effort.
Nous verrons ce qu'il en sera à l'avenir, à chaque jour suffit sa peine. Je partage le constat de M. Jadot sur la nécessité d'investir dans la recherche. Toutefois, je propose un avis favorable à l'adoption des crédits pour 2026, avec les réserves évoquées dans mon propos.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».