B. SOUS-BUDGÉTISATION ET INSTABILITÉ POLITIQUE : VERS UN POINT DE NON RETOUR POUR LES ORGANISMES GESTIONNAIRES

Le programme 177 souffre d'une sous-budgétisation chronique, documentée par la Cour des comptes mais aussi un rapport conjoint des Inspections générales des finances, des affaires sociales et de l'administration. Leurs conclusions sont sans appel : le programme 177 n'est pas sujet à un dérapage budgétaire mais à une sous-estimation systématique des crédits nécessaires au maintien d'un parc d'hébergement à 203 000 places.

Dans le projet de loi de finances pour 2026, cette sous-budgétisation est estimée à 119 millions d'euros. Cumulée à la mise en réserve de 4 % des crédits au titre de la précaution, la sous-budgétisation a des effets néfastes pour le pilotage de la politique d'hébergement. Elle engendre notamment trois risques : un risque financier pour les organismes gestionnaires, un risque juridique pour les administrations et un risque social.

La sous-budgétisation du programme 177 entre 2019 et 2025

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales, d'après les LFI, LFFG, LFGAC

La sous-budgétisation chronique et la mise en réserve des crédits contribuent à dégrader la trésorerie des organismes gestionnaires, en raison d'un versement erratique des subventions. Celles-ci ne sont en effet pas décaissées de manière régulière sur l'année. Si l'exercice 2024 a bénéficié d'une répartition des crédits plus équilibrée, cette amélioration semble surtout traduire la volonté de l'État de « vider les rues » à l'approche des Jeux olympiques de Paris. En 2023, 47 % des subventions ont été versées au cours du dernier trimestre, ce qui est incompatible avec la gestion d'un parc d'hébergement dont les places sont garanties sur une base annuelle. Ces versements tardifs s'expliquent par la réticence des services déconcentrés à procéder aux paiements sans disposer d'une visibilité suffisante sur les crédits ouverts en loi de fin de gestion.

Répartition mensuelle des versements de subventions
aux organismes gestionnaires en 2023

Source : Commission des affaires sociales, d'après IGF, IGAS, IGA (2025)

D'un point de vue de l'efficacité de la dépense publique, l'irrégularité des versements conduit les organismes gestionnaires à mobiliser, dans l'urgence et en fin d'exercice, des places qui auraient pu être programmées en amont. Cette gestion contrainte les oblige à recourir à des nuitées réservées tardivement, souvent à un coût plus élevé, générant ainsi un surcroît de dépenses qui aurait pu être évité avec un lissage des crédits sur l'année.

Cette gestion crée un risque juridique pour la chaîne financière et comptable de l'État. Le maintien d'un objectif de parc à 203 000 places sans prévoir les crédits nécessaires dès la loi de finances initiale conduit les services de l'État à s'inscrire dans une forme de gestion de fait, couverte a posteriori par une loi de fin de gestion. En cas d'absence d'abondement, les services de l'État seraient possiblement tenus pour responsables devant les juridictions. Par ailleurs, ce fonctionnement participe à une fragilisation du contrôle de la dépense et à une sur-mobilisation des administrations en fin d'année.

Le contexte politique, quant à lui, crée un risque social via la fermeture de places d'hébergement faute de prévisibilité du contenu et de l'adoption d'un projet de loi de fin de gestion. Jusqu'à récemment, l'adoption quasi certaine du projet de loi de fin de gestion assurait une forme de sécurité ; chaque acteur savait qu'un abondement aurait lieu en fin d'année. Ce n'est plus le cas. L'instabilité gouvernementale impose de reprendre intégralement les négociations à chaque remaniement, tandis que l'absence de majorité met fin à la garantie d'adoption d'un projet de loi de finances de fin de gestion.

Dans ce contexte, aucun acteur ne peut raisonnablement maintenir les 203 000 places d'hébergement sans disposer des crédits correspondants en loi de finances initiale. Pour les organismes gestionnaires, le risque financier de ne pas être remboursés est trop important ; pour l'administration, persister dans cette pratique reviendrait à multiplier des situations de gestion de fait non couvertes. À défaut de correction budgétaire, l'État devra donc assumer politiquement la fermeture de places d'hébergement en pleine crise sociale et du logement.

Il apparaît donc nécessaire de rétablir les conditions d'une gestion saine du programme 177 en allouant, dès la loi de finances initiale, le montant adéquat au maintien d'un parc d'hébergement de 203 000 places. Afin d'atteindre cet objectif, le rapporteur propose à la commission d'adopter l'amendement  II-231 qui prévoit un abondement de 85 millions d'euros pour corriger la sous-budgétisation. Ce montant reste toutefois inférieur au besoin estimé à 119 millions d'euros, dans la mesure où le secteur est appelé à contribuer à l'effort de redressement des finances publiques. Cette approche vise, en pratique, à contenir la dépense du programme en réhaussant les crédits à un niveau minimal indispensable au maintien du parc.

Réunie le mercredi 26 novembre 2025 sous la présidence d'Alain Milon, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Cohésion des territoires », programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».

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