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N° 145 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
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Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025 |
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AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) |
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TOME VII JUSTICE JUDICIAIRE ET ACCÈS AU DROIT |
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Par Mmes Lauriane JOSENDE et Dominique VÉRIEN, Sénatrices |
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(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. Jean-Baptiste Blanc, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Anne-Sophie Patru, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel. |
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Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180 Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 prévoit une augmentation des crédits de la mission « Justice » directement liés à l'activité de la justice judiciaire, qui est cohérente avec la trajectoire définie par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) pour 2023-2027.
Le budget de la justice judiciaire apparaît donc préservé dans un contexte budgétaire contraint, ce qui permet à la Chancellerie de poursuivre une politique de recrutement ambitieuse, de revaloriser les professions judiciaires et d'améliorer l'environnement numérique de travail des agents.
Les rapporteures demeurent particulièrement attentives à la politique numérique du ministère, dans la mesure où les dysfonctionnements nombreux et la désuétude manifeste des applicatifs judiciaires altèrent grandement les conditions de travail des agents. Le déploiement actuel de plusieurs applicatifs conséquents appelle donc à une vigilance accrue. Les rapporteures saluent les améliorations réalisées par le ministère dans la conduite de sa politique numérique, spécialement en ce qui concerne la procédure pénale numérique (PPN) et Cassiopée, et l'invitent à poursuivre cette démarche vertueuse.
Les rapporteures regrettent en revanche que l'immobilier judiciaire demeure une variable d'ajustement. La suspension de l'essentiel des projets dont les travaux n'avaient pas encore commencé compromet la bonne intégration à l'autorité judiciaire des nombreux effectifs qui la rejoignent. Plus, les avocats et les agents du ministère continuent de critiquer la conception même de ces projets, ce qui exige de repenser le pilotage de la politique immobilière de la Chancellerie.
Les rapporteures soulignent enfin que l'article 78 du projet de loi de finances concerne essentiellement la procédure pénale, en dépit des effets budgétaires que son adoption entraînerait, et aurait donc dû être examiné dans le cadre d'une procédure législative ordinaire.
Sous ces réserves et après avoir entendu le garde des sceaux, Gérald Darmanin, la commission a, sur la proposition de ses rapporteures, Lauriane Josende et Dominique Vérien, émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2026.
I. LA JUSTICE JUDICIAIRE BÉNÉFICIE TANT D'UNE HAUSSE DE SES CRÉDITS QUE DE RECETTES NOUVELLES
A. LA CHANCELLERIE CONNAÎT UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS QUI LUI SONT ALLOUÉS ET PROFITE DE LA MEILLEURE MAÎTRISE DE SES DÉPENSES
1. Le maintien de l'engagement budgétaire en faveur du ministère de la justice lui permettra a priori d'honorer les ambitieux objectifs de recrutement fixés par la LOPJ
La mission « Justice » apparaît de nouveau préservée dans le projet de loi de finances pour 2026, en dépit du contexte budgétaire délicat que connaît la France. La trajectoire budgétaire établie en LOPJ sera en conséquence respectée. Les crédits alloués aux différents programmes que couvre cet avis budgétaire connaissent ainsi une hausse réelle.
La poursuite des efforts budgétaires permettra donc d'assurer le schéma de recrutement du ministère, tel qu'il a été défini en LOPJ. Les rapporteures observent toutefois que l'atteinte de l'objectif de recrutement des greffiers repose largement sur le plan de requalification des adjoints administratifs faisant fonction de greffier.
Les 576 recrutements annoncés par la direction des services judiciaires (DSJ) comptent donc 342 recrutements nets et 234 requalifications. Aussi les rapporteures seront-elles attentives à ce que ces mouvements de personnel ne compromettent pas le fonctionnement des services.
2. Le ministère de la justice parvient progressivement à maîtriser les dépenses attachées aux frais de justice et à l'aide juridictionnelle, qui furent longtemps dynamiques
Le budget de la Chancellerie a longtemps été grevé par la hausse significative des dépenses liées aux frais de justice et à l'aide juridictionnelle, qui augmentèrent par exemple respectivement de 9,6 % et de 15 % en 2022. Les rapporteures saluent donc les actions entreprises par le ministère de la justice pour contenir la hausse de ces dépenses qui comprimaient la marge de manoeuvre budgétaire de ses services :
· le succès du plan de maîtrise des frais de justice repose notamment sur l'association, au sein d'un comité stratégique des frais de justice, de l'ensemble des directions concernées par cette dépense1(*) et sur plusieurs politiques de sensibilisation des acteurs impliqués, telles que l'institution d'un tableau de bord prévisionnel mensuel ou le déploiement d'un réseau de référents « frais de justice ». Le ministère a en outre poursuivi le développement de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (Pnij), qui assure actuellement près de 99 % des écoutes téléphoniques et investit désormais le champ de la géolocalisation. Les représentants de la direction des services judiciaires ont estimé devant les rapporteures que le recours à la Pnij permettra de réaliser, dès 2026, une économie en tendance de près de 100 millions d'euros par an, car les prestations fournies par la Pnij sont deux fois moins onéreuses que celles proposées par les prestataires privés. Les services de la Chancellerie sont par ailleurs parvenus à engager une baisse de 9 % du nombre de véhicules gardiennés en 2024 et doivent désormais travailler sur la réduction du coût des mémoires y afférents, grâce aux ventes avant jugement, à l'affectation de ces biens ou à leur destruction ;
· les dépenses d'aide juridictionnelle devraient en outre être partiellement contenues par l'entrée en vigueur de deux dispositifs. Le premier consiste en la réforme de la rétribution des avocats dans le cadre des « grands procès ». Le décret n° 2025-257 du 20 mars 2025 accentue la dégressivité des rétributions versées aux avocats au titre de l'aide juridictionnelle à compter du 20ème client et la porte à 90 % à partir du 51ème. Les représentants de la DSJ entendus par les rapporteures ont estimé que ce dispositif permettrait de réaliser une économie lissée d'un million d'euros par an. Le second favorise le recouvrement par l'État de l'aide juridictionnelle garantie - laquelle est versée sans examen a priori de l'éligibilité - auprès des justiciables qui ne s'y avèrent pas éligibles. Cette procédure, introduite par le décret n° 2024-193 du 6 mars 2024, entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Si la Chancellerie ne dispose pas des données nécessaires à l'évaluation précise de son rendement, elle l'évalue à près de dix millions d'euros par an.
* 1 Le comité stratégique des frais de justice rassemble depuis 2024 tant les directions du ministère de la justice concernées (DACG, ANTENJ, par exemple) que celles du ministère de l'intérieur dont les agents engagent cette dépense (DGPN, DGGN). Ce dernier a entraîné notamment l'institution de tableaux de bord mensuels prévisionnels, le déploiement d'un réseau de référents frais de justice, l'expérimentation des services centralisateurs régionalisés des frais de justice et le développement des actions de formation et de sensibilisation.

