TITRE IV
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PROCRÉATION ET EMBRYOLOGIE
CHAPITRE PREMIER

Interdiction de clonage reproductif

Article 15
Interdiction du clonage reproductif

Objet : Cet article interdit explicitement tout procédé susceptible de conduire à un clonage reproductif de l'être humain.

I - Le dispositif proposé


Le présent article prévoit l'inscription, au deuxième alinéa de l'article 16-4 du code civil, l'interdiction expresse du clonage reproductif.

Cette opération est décrite comme « le fait de faire naître, ou de développer un embryon, qui ne serait pas directement issu des gamètes d'un homme et d'une femme ».

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

II - La position de votre commission

Votre rapporteur tentera de simplifier cette question difficile en répondant à cinq questions.

Qu'est ce que le clonage reproductif ?

MM. Claude Huriet et Alain Claeys, dans le rapport de l'OPESCT consacré au clonage, à la thérapie cellulaire et à l'utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires, ont défini le clonage avec une grande rigueur scientifique. Le clonage 66( * ) « est la production asexuée, à partir d'une cellule ou d'un organisme, d'entités biologiques génétiquement identiques à cette cellule ou à cet organisme. Il s'agit donc ici d'une reproduction et non d'une procréation qui « se ramène, au niveau cellulaire, à l'alliance au sein de l'élément féminin de deux moitiés aléatoires de l'ADN, chacune spécifique d'un des membres du couple ».

Deux procédés sont utilisables pour parvenir à ce résultat. Le clonage par scission d'embryon et le clonage par transfert cellulaire. Si le second est le plus connu parce qu'il nourrit les fantasmes collectifs les plus courants, le premier est en réalité le plus facile à réaliser.


Les deux méthodes du clonage

Le clonage par scission d'embryon est le plus facile à mettre en oeuvre et, sans doute, le plus efficace . Il consiste à déclencher artificiellement in vitro ce qui se produit à l'état naturel chez les mammifères en cas de gémellité vraie (jumeaux monozygotes). Lorsque l'embryon fécondé se divise en deux cellules, on sépare celles-ci de façon que chacune d'elles produise à son tour un embryon. La scission de l'embryon de mouton ou de vache permet des taux de gestations gémellaires élevés (plus de 60 %). « Mais l'opération ne peut être renouvelée sur les demis (ou quarts) d'embryons obtenus, car les cellules qui ont été séparées se trouvent déjà engagées dans le programme de développement ». La faisabilité de cette méthode a été récemment démontrée chez le primate. L'objectif était de créer une fratrie composée d'animaux parfaitement identiques pouvant servir de modèles de maladies ou de cobayes pour l'expérimentation thérapeutique.

Le clonage par transfert nucléaire consiste à introduire, dans le cytoplasme d'un ovule non fécondé dont on a retiré le matériel nucléaire, le noyau d'une cellule provenant d'un embryon, d'un foetus ou d'un organisme adulte. On cherche à leurrer le cytoplasme de l'ovocyte qui tente alors d'organiser le nouveau noyau pour lui redonner ses caractéristiques embryonnaires. Cela étant, on peut utiliser des cellules embryonnaires à un stade où elles sont encore peu différenciées (embryon de 32 à 64 cellules). Il est alors théoriquement possible de reproduire un embryon en autant d'exemplaires qu'il compte de cellules pourvoyeuses de noyaux. L'utilisation de cellules déjà différenciées prélevées sur un individu adulte permet de disposer d'une source illimitée de noyaux. Une simple biopsie de quelques millimètres carrés suffit pour fournir plusieurs milliers de cellules. Mais l'opération est alors plus aléatoire car l'activité de ces noyaux doit nécessairement être reprogrammée pour leur faire acquérir les caractéristiques de noyaux d'embryon.

Source : rapport de l'OPECST précité p. 14.

Le clonage reproductif viserait à utiliser l'une ou l'autre de cette technique pour laisser se développer un embryon et donner naissance à un être qui serait reproduit de manière non sexuée.

Le clonage reproductif est-il une pratique condamnable ?

La création d'un être humain de manière asexuée remet fondamentalement en cause le principe même d'humanité, puisque l'identité et l'unicité de l'être sont mises en cause. Aussi se trouve-t-il un consensus pour que cette pratique soit condamnée.

Le Comité national consultatif d'éthique dans son avis n° 54 du 22 avril 1997 avait en effet rappelé que « si le fait d'avoir même génome n'entraîne nullement que deux individus aient aussi même psychisme, le clonage reproductif n'en inaugurerait pas moins un bouleversement fondamental de la relation entre identité génétique et identité personnelle dans ses dimensions biologiques et culturelles. Le caractère unique de chaque être humain, dans quoi l'autonomie et la dignité de la personne trouvent support, est exprimé de façon immédiate par l'unicité d'apparence d'un corps et d'un visage, laquelle résulte de l'unicité du génome de chacun. On peut se représenter au contraire vers quelle réalité sociale nous orienterait une production de clones qui ne serait plus de hasard ni d'exception, et n'exclurait d'ailleurs plus les décalages dans le temps. Etres humains psychiquement individualisés comme des personnes singulières malgré leur similitude génétique, ils seraient cependant vus -au sens propre et figuré- comme des répliques à l'identique les uns des autres et de l'individu cloné dont ils seraient effectivement la copie. Ainsi serait minée la valeur symbolique du corps et du visage humains comme supports de la personne dans son unicité. A la différence de Dolly, des clones humains sauraient qu'ils sont des clones ; ils se sauraient aussi reconnus tels par autrui. Comment ne pas voir l'intolérable chosification de la personne que recèlerait une telle situation ? »

Au niveau international, plusieurs pays européens ont déjà adopté dans leur législation interne une disposition interdisant formellement le clonage reproductif.

Plusieurs organisations internationales ont, dans leur déclaration, banni le clonage reproductif : l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dans sa déclaration du 11 mars 1997, le Conseil de l'Europe en janvier 1998 par la signature du protocole additionnel à la Convention d'Oviedo consacré à cette question. On peut également déduire du contenu de sa déclaration des droits fondamentaux que l'Union européenne prohibe une telle pratique.

L'interdiction mondiale du clonage, par l'ONU, est en cours d'examen.

Le clonage est-il déjà interdit par le droit français ?

Aujourd'hui, aucune disposition du droit français ne prohibe explicitement une telle pratique. Toutefois, il est couramment admis que les dispositions protégeant, au sein du code civil, l'intégrité de l'être humain ne permettent pas le recours à une telle dérive.

Le Conseil d'Etat rappelle, dans son rapport, la portée de l'article 16-4 du code civil ( cf. exposé général du présent rapport )

Quelle rédaction pour l'interdiction du clonage ?

S'il y a accord, sur la nécessité de prévoir explicitement cette interdiction dans le droit français, demeure l'interrogation de trouver sa meilleure rédaction.

Sur cet aspect, deux versions s'affrontent.

Les premiers s'accordent à insister sur la nécessité de définir cette interdiction comme une « intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou de faire se développer un embryon humain dont le génome serait identique à celui d'un autre être humain vivant ou décédé » . C'est la rédaction proposée par le Conseil d'Etat. Cette rédaction est aussi celle du protocole additionnel à la Convention d'Oviedo, signé à Paris le 12 janvier 2001.


L'article premier du protocole additionnel à la Convention d'Oviedo,
signé à Paris le 12 janvier 2001

Est interdite toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort.

Au sens du présent article, l'expression être humain « génétiquement identique » à un autre être humain signifie un être humain ayant en commun avec un autre l'ensemble des gènes nucléaires.


Cette définition est sans doute la plus significative en ce qu'elle définit le crime moral que décrivait le Comité d'éthique. Elle a en outre le mérite d'être une rédaction qui fait référence au niveau international.

C'est toutefois la plus fragile sur le plan scientifique et ce faisant sur le plan juridique. En effet, ainsi qu'insiste le rapporteur de l'Assemblée nationale, « cette définition paraît insuffisante dans la mesure où de récents travaux scientifiques démontrent le rôle du milieu de culture dans lequel se développe l'embryon, et surtout l'importance du cytoplasme dans le développement de ce dernier, ainsi que l'indiquait, devant la mission d'information, M. Jean-Paul Renard, lors de son audition du 12 juillet 2000 ».

« De fait, il est désormais scientifiquement prouvé que le cytoplasme ovocytaire intervient dans la formation de l'embryon, d'une part, en activant la division cellulaire de celui-ci et la reprogrammation du génome nucléaire par le biais des systèmes biochimiques contenus dans le cytoplasme et, d'autre part, en produisant l'énergie nécessaire à la cellule grâce à ses mitochondries qui sont dotées de leur propre génome. En conséquence, il ne peut y avoir d'individus ni de cellules issus d'un transfert de noyau dans un ovule énucléé, qui soient la copie génétique parfaite de la cellule transférée. M. Jean-Paul Renard indiquait ainsi, devant la mission d'information qu'« en biologie, la « photocopie » n'existe pas. Même les jumeaux monozygotes dits « jumeaux vrais » sont différents. Ainsi, l'être humain qui serait créé au moyen de la technique du clonage reproductif ne serait pas totalement identique génétiquement à l'être dont il serait le clone. La définition proposée par le Conseil d'Etat ne serait donc pas opérante ». 67( * )


La rédaction proposée par le présent article est sans doute plus proche de la réalité scientifique du clonage reproductif, définissant celui-ci comme un mode de reproduction asexué.

Aussi, en l'état actuel du débat, votre commission ne saurait trancher d'autorité entre la rédaction du protocole de Paris et la rédaction proposée par le projet initial.

Comment punir le clonage ?

Reste la question d'une sanction adaptée au crime que constitue la transgression de cette interdiction. Le présent projet de loi, à l'article 21 (cf. commentaire ci-après) , la réprime d'une peine de réclusion de vingt ans et l'extraterritorialité. Cette peine est-elle suffisante ?

Votre commission ne dispose pas d'une capacité d'appréciation du droit pénal identique à votre commission des Lois. Aussi a-t-elle choisi pour l'instant de ne pas modifier le dispositif en vigueur.

Pour autant, lors de son audition par votre commission, M. Jean-François Mattei avait préconisé la création d'un crime d'une catégorie nouvelle, celle de crime contre la dignité de l'homme (cf. commentaire de l'article 21 ci-après) .

Votre commission partage pleinement la préoccupation ainsi exprimée et votre rapporteur lui proposera, le moment venu, d'approuver l'initiative solennelle annoncée par le Gouvernement.

Sous le bénéfice de ces observations et dans cette attente, votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

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