CHAPITRE III

Diagnostic prénatal et assistance médicale à la procréation

Article 17
(art. L. 2131-1, L. 2131-3 à L. 2131-5 du code de la santé publique)
Diagnostics prénatal et préimplantatoire

Objet : Cet article actualise le régime applicable aux diagnostic prénatal et préimplantatoire pour tenir compte, notamment, de la création de la nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine.

I - Le dispositif proposé


Le dispositif proposé par le présent article vise à préciser le régime juridique du diagnostic prénatal (DPN) (1°, 2° et 4°) et du diagnostic préimplantatoire (DPI°) (3°).

Le modifie l'article L. 2131-1 du code de la santé publique relatif au diagnostic prénatal.

La « consultation médicale de conseil génétique » prévue à cet article est remplacée par la notion plus large de « consultation médicale adaptée à l'affection recherchée » [ a) du 1°]. En outre, les établissements pratiquant les analyses de cytogénétique ou de biologie en vue de DPN devront désormais faire figurer, sur l'autorisation d'exercice qui leur est délivrée pour cinq ans, le nom des praticiens habilités à mettre en oeuvre ces analyses [ b) du 1°].

Ainsi, cet article prévoit un système de double autorisation pour l'établissement et le praticien. S'il arrive qu'un praticien quitte un établissement pour un autre, il ne pourra y pratiquer ces analyses sauf si l'établissement obtient une nouvelle autorisation mentionnant son nom. De même, si l'établissement ne dispose pas de la collaboration de praticiens « mentionnés » par son autorisation, il ne pourra plus réaliser ce type d'analyse.

Cette avancée ne devrait toutefois pas poser de difficultés d'organisation auxdits établissements et praticiens puisque cette règle de « double autorisation » est déjà prévue par les dispositions du décret du 6 mai 1995, auxquelles le présent article donne force de loi.

Le c) du 1° supprime l'avis de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP) ainsi que celui du Comité national d'organisation sanitaire et sociale (CNOSS) accompagnant la délivrance des autorisations susmentionnées.

Le ajoute une nouvelle condition de retrait des autorisations délivrées. Le texte en vigueur prévoyant déjà pour motif la violation des réglementations, sont introduites les notions de volume d'activité et de résultats. Ce principe, déjà appliqué pour certains services de maternité 73( * ) , est appliqué en fonction des résultats analysés au travers du bilan annuel d'activité.

Le prévoit, par coordination avec la création de l'APEGH, le remplacement de la référence à la CNMBRDP, pour les autorisations relatives au diagnostic préimplantatoire. Ainsi que le relève le rapporteur de l'Assemblée nationale 74( * ) , « En premier lieu, on ne peut que relever le manque de cohérence interne du présent article qui prévoit, dans son 3°, de modifier l'article L. 2131-4 du code de la santé publique afin de substituer à l'avis de la CNMBRDP sur les demandes d'autorisation concernant la DPI, l'avis de la future APEGH sans retenir cette solution pour le DPN. On comprend difficilement pourquoi cette différence de traitement serait introduite entre les demandes d'autorisation relatives aux activités de DPN et celles relatives au DPI. Pourquoi considérer, en effet, que la future agence doit intervenir pour donner son avis sur les demandes d'agrément de DPI mais non pour celles relatives au DPN alors même que le présent projet de loi lui donne pour mission de « contribuer à l'élaboration des règles, au suivi et à l'évaluation des activités de diagnostic, de soin et de recherche » dans les domaines de l'AMP, du DPN et du DPI ? »

Le renvoie à un décret en Conseil d'Etat en modifiant le 2° de l'article L. 2131-5 du code de la santé publique, le soin de définir la nature des analyses de cytogénétique et de biologie prénatale soumise à autorisation.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a modifié cet article à quatre reprises.

Sur proposition de sa commission spéciale, elle a adopté un amendement, sous-amendé par le Gouvernement, qui prévoit que l'APEGH sera compétent pour se prononcer sur les décisions de retrait d'autorisation d'exercice des activités de DPN, ainsi qu'un amendement confiant à l'APEGH le rôle de formuler l'avis préalable à l'autorisation délivrée aux centres de DPN.

Sur proposition de M. Jean-François Mattei, elle a adopté un amendement prévoyant une extension de l'indication de DPI aux couples dont l'un des ascendants est victime de la maladie de Huntington.

Sur proposition de sa commission spéciale, elle a en outre adopté un amendement rédactionnel.

III - La position de votre commission

Votre rapporteur procèdera ici à un bref rappel des deux notions de DPI et DPN avant d'aborder deux enjeux de ces diagnostics évoqués par des personnalités lors de leur audition par votre commission.

Le DPN s'entend des examens médicaux mis en oeuvre pour détecter intra utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité.

Ainsi que le souligne le Conseil d'Etat 75( * ) , « la pratique actuelle du DPN fait l'objet d'un débat dans la mesure où les connaissances en matière de diagnostic ont rapidement progressé alors que les traitements des maladies que le DPN permet de diagnostiquer sont limités ou n'existent pas encore. Ce décalage place les couples face à un arbitrage cruel entre une interruption thérapeutique de grossesse et la naissance d'un enfant dont ils savent, par avance, qu'il sera atteint d'une maladie ou d'un handicap d'une particulière gravité. De manière très importante, ils font le choix d'une interruption thérapeutique de grossesse » .

Le DPI vise pour sa part à identifier avec précision des caractéristiques génétiques d'un embryon, afin que les couples porteurs de maladies génétiques graves puissent procéder au choix d'un embryon qui en soit indemne.

DPN, DPI et eugénisme

Ces deux pratiques soulèvent nécessairement des interrogations quant au risque potentiel d'une dérive eugéniste de notre société.

En effet, le DPN devenant de plus en plus précis, les parents pourraient connaître ex ante , avant même le délai limite posé pour une interruption volontaire de grossesse, une affection mineure de l'embryon et décider de recourir à une IVG pour ne pas conserver un foetus qui ne serait pas « parfait ».

Pour le Conseil d'Etat 76( * ) , il appartient aux pouvoirs publics de « veiller à ce que la loi qui limite le DPN à la recherche d'une affection d'une particulière gravité soit pleinement respectée et notamment que sa pratique ne puisse pas évoluer vers la recherche de pathologies ou de handicaps limités, voire de simples caractéristiques de l'enfant à naître. À ce titre, la responsabilité des équipes soignantes sera de plus en plus importante, car c'est elles qui sont en première ligne face à la demande de certains couples d'utiliser le DPN comme outil de convenance ».

De son côté, le DPI offre la possibilité d'effectuer un véritable « tri génétique » entre les embryons. Le risque est souvent évoqué d'une ouverture totale de cette pratique qui pourrait s'imposer, dans les fantasmes les plus fous comme un moyen de sélection de l'espèce.


Eugénisme acceptable et eugénisme inacceptable :
la position du Professeur Israël Nisand

« En ce qui concerne l'eugénisme, un des sénateurs de la commission faisait remarquer que le diagnostic prénatal ne constitue pas de l'eugénisme puisqu'il est librement consenti par tout le monde. Il y a là un réel problème de définition du mot eugénisme. En effet, l'eugénisme est, pour une partie du concept, la sélection des enfants à naître. L'autre partie du concept traite des moyens divers d'améliorer l'espèce humaine. Lorsqu'une femme par exemple choisit comme compagnon un bel homme dans le but de faire avec lui de beaux enfants, son choix entre parfaitement dans la définition de l'eugénisme.

« On peut donc se poser la question de savoir s'il y aurait un bon et un mauvais eugénisme ou plutôt un eugénisme acceptable et un eugénisme non acceptable et quelle serait dans cette hypothèse la ligne de démarcation ? C'est un philosophe américain, Philip Kitcher, qui, par l'analyse du concept, peut nous aider dans la compréhension de ce mot complexe. Selon lui, un programme eugénique peut être envisagé et analysé selon quatre angles différents et dans chacune de ces catégories le programme peut être plus ou moins acceptable. Ces catégories sont :

« - l'aspect coercitif ou non du programme ;

« - l'aspect discriminatoire ou non du programme ;

« - la qualité des fondements génétiques du programme ;

« - le but et l'enjeu du programme.


« En effet, lorsque l'on parle d'eugénisme, le grand public effectue souvent un rapprochement avec la médecine qu'exerçaient les médecins nazis (qui ont fait l'objet du procès de Nuremberg bis, un des fondements modernes de la bioéthique). On ne peut bien sûr pas comparer cette médecine là au diagnostic prénatal en les rangeant toutes deux sous la même bannière de l'eugénisme. Si l'on compare ces deux programmes (la médecine nazie et le diagnostic prénatal) sous chacun des angles d'analyse de Philip Kitcher, on peut dire que la médecine nazie était coercitive alors que le diagnostic prénatal ne l'est pas, qu'elle était discriminatoire, ce qui n'est pas le cas pour le diagnostic prénatal, qu'elle reposait sur un fondement génétique erroné alors que le diagnostic prénatal a des fondements génétiques scientifiquement élaborés et corrects et, enfin, que le but de la médecine nazie était d'obtenir une amélioration de la race aryenne alors que le propos du diagnostic prénatal est d'avoir des enfants en bonne santé. Les deux programmes sont eugéniques mais l'un est inacceptable, alors que l'autre (qui répond bel et bien à la définition philosophique de l'eugénisme) est parfaitement accepté par une large majorité de la société française.

« On peut donc dire à mon sens qu'il y a un eugénisme acceptable et un eugénisme non acceptable et la difficulté est précisément de définir les limites que notre société accepte et de poser les valeurs qu'elle ne souhaite pas franchir ou profaner. »

Audition par la commission des Affaires sociales le 4 décembre 2002

En réalité, les dilemmes qu'affronte le scientifique, mais également le législateur, notamment pour les indications du diagnostic préimplantatoire, relèvent de situations la plupart du temps très douloureuses.

La question du « bébé médicament »

Une application du diagnostic préimplantatoire pourrait permettre aux parents d'un enfant très malade d'isoler un embryon qui serait potentiellement compatible et du même coup sauver leur enfant.

Le professeur Arnold Munnich a fait part à votre commission des difficultés du praticien confronté à ces demandes concrètes et à une réglementation qui les légitime dans certains cas et non dans d'autres 77( * ) .

« Je vais vous livrer ma perception sur les demandes relatives à ce que l'on appelle, en de très mauvais termes, « l' enfant médicament », ce qui me heurte énormément. Beaucoup d'émotion a été soulevée autour du DPI et je voudrais témoigner après deux années d'activité de ces pratiques.

« Dans un certain nombre de cas, nous avons été confrontés à des demandes concernant effectivement le DPI d'une maladie génétique, l'anémie de Fanconie, assortie d'une demande d'HLA compatibilité dans la perspective d'un don de moelle ou de cordon dans l'éventualité où le premier enfant malade développerait une rechute de sa leucémie. En face de moi, les parents ont fait preuve d'une très grande maturité, d'un très grand sens des responsabilités et ne m'ont à aucun moment donné l'impression d'être des fous furieux.

« Je souhaite que les dispositions réglementaires nous autorisent à faire, non seulement le diagnostic génétique préimplantatoire de l'anémie de Fanconie, mais également à identifier parmi les embryons ceux susceptibles de devenir des enfants potentiellement donneurs de sang, de cordon ou de moelle pour aider un aîné leucémique. Cette disposition va dans le bon sens. Que l'on ne me dise pas que l'enfant va être asservi à un quelconque projet d'instrumentalisation. Pensez une seconde à ce qui attend l'enfant à naître s'il n'est pas un donneur compatible et s'il survit à son germain décédé alors qu'il aurait pu être son sauveur ! Nous sommes plus ou moins les thérapeutes de nos frères et soeurs, comme disent les psychanalystes. Au fond, je suis persuadé que l'on ne peut pas être mieux accueilli dans une famille que lorsque l'on a sauvé, en arrivant à la vie, son frère ou sa soeur. Je crois que cet enfant, loin d'être mal reçu, ne sera pas instrumentalisé. Il serait réductionniste de le considérer comme un enfant médicament, c'est plutôt un enfant sauveur, un petit « Messie ». Nous devons surtout garder les pieds sur terre puisque ces demandes sont rares. Ne nous agitons pas pour des problèmes devant s'arbitrer dans l'intimité du dialogue singulier.

« Mon problème, et je finirai par là, est bien plus délicat et douloureux lorsque des couples, dont un premier enfant présente une hémopathie maligne avec une deuxième ou troisième rechute, viennent réclamer l'assistance de la PMA pour identifier l'embryon potentiellement sauveur de son frère ou de sa soeur.

« Dans ce contexte particulier, nous sommes hors la loi.
Or, il n'y a pas de risques pour l'embryon à naître lorsqu'il s'agit d'utiliser la PMA ou la HLA compatibilité. Pourtant, c'est un premier accrochage à l'esprit de la loi. C'est très difficile de dire non, croyez moi. Nous ne pouvons pas dire oui, c'est très douloureux de dire non . Dans le dialogue singulier, je vous le confesse, j'ai eu la faiblesse, monsieur le sénateur, collègue et praticien, de donner des adresses à l'étranger aux couples me demandant de recourir à la PMA. Nous ne pouvons pas rester indifférents à la souffrance de couples en larmes. Alors, je ne me suis pas cru autorisé à me substituer au Créateur et à leur dire non. Je n'ai dit ni oui, ni non, j'ai donné une adresse ».


L'Assemblée nationale a introduit une extension des indications de DPI aux couples dont l'un des membres a des ascendants victimes de la maladie de Huntington. Cette maladie terrible se transmet à 50 % des enfants d'un sujet malade. Elle commence entre 40 et 50 ans et se termine dans une déchéance psychiatrique intolérable.

Le professeur Israël Nisand s'est exprimé devant votre commission sur l'initiative prise par l'Assemblée nationale 78( * ) .

« Le DPI permet de repérer chez les embryons les chromosomes issus des grands-parents porteurs de la maladie et permet d'éviter de réaliser l'analyse au niveau parental.

« Cette situation se retrouve dans beaucoup de maladies à révélation tardive. La loi votée par l'Assemblée nationale, dans son article L. 2131-4, comporte dans son troisième alinéa les mots « chez l'un des parents » à la suite desquels est insérée la mention « ou l'un de ses ascendants immédiats dans le cas de la maladie de Huntington ». Je vous propose de supprimer la restriction à la maladie de Huntington car d'autres maladies à révélation tardive nous placeront dans le besoin d'analyser les chromosomes des grands-parents pour savoir ceux dont l'embryon a hérité . La situation de la maladie de Huntington devrait se produire pour d'autres maladies à révélation tardive et ne pas alors nécessiter une modification du texte de loi.

« Je rappelle à ce propos que toutes les demandes de DPI sont analysées préalablement par les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal qui doivent donner leur accord après analyse du dossier. Si la maladie de Huntington est pour l'instant la seule maladie à révélation tardive, elle ne restera pas la seule et il n'y a pas de risque à laisser simplement la mention de « l'un des ascendants immédiats » sans préciser le type de maladie que l'on recherche. »


Dans cet esprit, votre rapporteur estime qu'il n'est pas opportun de viser une pathologie précise dans la loi. Aussi votre commission vous propose de substituer à celle-ci la notion de « maladie gravement invalidante, à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital » .

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

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