II. LES CRÉDITS DU PROGRAMME 174 « ÉNERGIE, CLIMAT ET APRÈS-MINES » FONDENT EN RAISON D'ÉVOLUTIONS TRÈS SUBSTANTIELLES DE SON PÉRIMÈTRE
Depuis 2025, le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » connaît des bouleversements extrêmement substantiels de son périmètre. En effet, alors qu'en 2024, une partie très significative des crédits qu'il portait relevait du dispositif « MaPrimerenov' » et des aides à l'acquisition de véhicules propres (bonus, prime à la conversion et leasing social), en 2026, le financement de l'ensemble de ces outils ne passera plus par ce programme.
Tandis que dès juillet 2025, les derniers crédits relatifs au dispositif « MaPrimeRenov' » ont été basculés vers le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat »70(*) rattaché à la mission « Cohésion des territoires », les principales aides à l'acquisition de véhicules propres destinées aux particuliers (bonus écologique et leasing social) sont désormais financées par le mécanisme extra-budgétaire des certificats d'économies d'énergie (CEE).
Ainsi, en 2026, les crédits budgétaires prévus sur le programme 174 s'élèvent-ils à 1 245 millions d'euros en AE et 1 232,1 millions d'euros en CP. Par comparaison, le projet de loi de finances pour 2024 prévoyait d'allouer à ce même programme 5 817 millions d'euros en AE et 5 435 millions d'euros en CP.
À périmètre constant71(*), en 2026, les CP inscrits sur le programme 174 augmentent de 151 millions d'euros (+ 15,3 %). Cette augmentation s'explique par la hausse des CP alloués au dispositif du chèque énergie. Cette progression ne s'explique pas par une évolution du dispositif ou du nombre de ses bénéficiaires. Elle est simplement liée au décalage dans le temps de la campagne 2025 de cette aide en raison de la réforme du dispositif ainsi que de l'adoption tardive de la loi de finances pour 2025 (voir infra).
Crédits de paiement sur le
programme 174 « Énergie, climat et
après-mines »
(2024-2026)
(en millions d'euros)
|
2024 (Exécution) |
2025 (LFI) |
2026 (PLF) |
Variation 2025-2026 |
|
|
01- Politique de l'énergie |
93,9 |
181,1 |
134,0 |
- 26,0 % |
|
02- Accompagnement transition énergétique |
1 468,2 |
465,0 |
654,6 |
+ 40,8 % |
|
03- Aides à l'acquisition de véhicules propres |
1 909,1 |
496,1 |
93,8 |
- 81,1 % |
|
04- Gestion économique et sociale de l'après-mines |
253,0 |
256,7 |
265,8 |
+ 3,5 % |
|
05- Lutte contre le changement climatique et pour la qualité de l'air |
50,4 |
78,6 |
78,1 |
- 0,6 % |
|
06- Soutien |
22,9 |
6,2 |
5,9 |
- 4,8 % |
|
Total programme |
3 797,5 |
1 483,7 |
1 232,1 |
- 17,0 % |
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
A. LE CHÈQUE ÉNERGIE FAIT FACE À UN PARADOXE : ALORS QUE SES BÉNÉFICIAIRES EFFECTIFS ONT DIMINUÉ DE 25 % EN RAISON DE LA RÉFORME RÉCENTE DE SES MODALITÉS D'ATTRIBUTION, LES FRAIS DE GESTION DU DISPOSITIF NE CESSENT QUANT À EUX D'AUGMENTER
1. Très chaotique, la campagne 2024 du chèque énergie laissait déjà entrevoir l'ampleur de la baisse du nombre de bénéficiaires effectifs résultant de la fin de l'automaticité complète de l'attribution de cette aide
Le chèque énergie est un titre spécial de paiement conçu pour aider les ménages les plus modestes à payer leurs factures d'énergie72(*). Il permet aux ménages bénéficiaires de régler leur facture d'énergie, quel que soit leur moyen de chauffage. L'aide moyenne est d'environ 150 euros, avec un montant par chèque qui varie entre 48 et 277 euros. Ce montant est calculé en fonction du revenu fiscal de référence et de la situation familiale du bénéficiaire.
Jusqu'en 2023, le critère de la composition familiale du ménage était apprécié à partir de la base de données afférente à la taxe d'habitation (« base TH ») tenue et mise à jour par la direction générale des finances publiques (DGFiP). Or, compte tenu de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales au 1er janvier 2023, la liste des bénéficiaires du chèque énergie pour 2024 n'avait pas pu être établie selon les critères habituels. Aussi, le Gouvernement de l'époque avait-il décidé de reconduire à l'identique la liste des bénéficiaires du chèque énergie au titre de l'année 2023. Cette situation avait engendré de nombreuses réclamations et la dénonciation de situations d'injustice. Aussi, un guichet avait-il été mis en place afin de permettre aux ménages éligibles au chèque énergie 2024 mais qui ne l'étaient pas au titre de la campagne 2023, de réclamer l'aide à laquelle ils pouvaient prétendre. Ce guichet avait ainsi fonctionné de juillet à décembre 2024.
Les demandes réalisées via ce guichet ont cependant été beaucoup moins nombreuses qu'anticipé pour un coût de 24,6 millions d'euros contre une prévision de 60 millions d'euros qui reposait déjà sur la base d'un taux de non recours de 40 %. En effet, alors que les foyers concernés étaient estimés à environ un million, seuls 176 000 chèques ont été distribués via le dispositif de guichet.
Cette expérience tend à démontrer que la fin de l'automaticité complète de la délivrance du chèque énergie, une conséquence indirecte de la fin de la taxe d'habitation sur les résidences principales, engendre, au moins dans un premier temps, un phénomène de non recours significatif.
2. Rendue nécessaire par la fin de la taxe d'habitation sur les résidences principales, la réforme technique des modalités d'attribution du chèque énergie intervenue en 2025 conduit en pratique à une réduction d'environ 25 % de ses bénéficiaires effectifs
Comme indiqué supra, depuis la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principale, la DGFiP ne tient plus à jour la « base TH » qui servait à identifier les ménages bénéficiaires du dispositif et à leur envoyer leur chèque énergie de manière automatisée. Aussi, les modalités d'attribution de l'aide telles qu'elles ont pu exister jusqu'en 2023 ne sont plus techniquement envisageables73(*). Afin de tenir compte de cette nouvelle réalité et après les déboires de la campagne 2024, l'article 173 de la loi de finances pour 2025 a procédé à une révision des modalités d'attribution de l'aide à ses bénéficiaires74(*).
Dorénavant, les critères d'éligibilité du chèque énergie sont appréciés à partir du revenu fiscal de référence et de la composition du foyer fiscal au sens de l'impôt sur le revenu. Une liste de bénéficiaires du chèque énergie est établie par l'agence des services de paiement (ASP) à travers le croisement de plusieurs sources d'informations :
- les données des ménages éligibles au cours des précédentes campagnes dont l'agence a déjà connaissance ;
- une liste de données fiscales transmise par la DGFiP ;
- des données provenant des fournisseurs d'électricité et des gestionnaires de réseaux publics de distribution d'électricité.
Cependant, cette méthodologie ne permet pas d'identifier l'ensemble des foyers éligibles au chèque énergie. L'automaticité complète de l'attribution de cette aide n'est donc plus possible depuis 2024. En raison de cette régression, pour les bénéficiaires qui n'ont pas pu être identifiés par l'ASP, une plateforme en ligne a été créée sur laquelle ils peuvent réclamer l'aide à laquelle ils ont droit.
Si l'administration considère que les dispositions prévues par l'article 173 précité ont permis de préserver « au maximum » l'automaticité de l'envoi des chèques énergie, force est de constater qu'en comparaison avec la situation qui prévalait avant 2024, de nombreux foyers éligibles sont désormais tenus de réclamer l'aide à laquelle ils peuvent prétendre, une situation qui se traduit par un taux de non recours très important parmi ces ménages.
Du fait de la baisse du nombre de bénéficiaires effectifs qui résulte de cette réforme ainsi qu'en raison de l'adoption tardive de la loi de finances pour 2025, à l'initiative du Gouvernement qui avait déposé un amendement en ce sens au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, les CP prévus en 2025 pour financer le chèque énergie avaient été réduits à 465 millions d'euros, contre 615 millions d'euros inscrits initialement dans le projet de loi de finances. Une partie de cette baisse s'expliquait par le décalage dans le temps de la campagne 2025. En effet, au lieu d'être envoyés au printemps comme d'habitude, les chèques énergie relatifs à l'année 2025 ne seront envoyés à leurs bénéficiaires qu'au cours du mois de novembre.
Aussi une partie significative des coûts résultant de cette campagne seront-ils effectivement constatés en 2026, ce qui explique l'augmentation des crédits de paiement inscrits sur l'action 02 du programme 174. En effet, le projet annuel de performances du programme 174 prévoit d'allouer 654,6 millions d'euros de CP au dispositif de chèque énergie en 2026, soit une augmentation de 189,6 millions d'euros par rapport aux crédits inscrits en loi de finance pour 2025.
En revanche, la baisse très sensible du nombre de bénéficiaires effectifs de l'aide en raison de la réforme du dispositif et de la fin de son automaticité, se traduit en 2026 par une réduction très significative, à hauteur de 226 millions d'euros, des crédits d'autorisations d'engagement dédiées au chèque énergie. Celles-ci s'établissent en effet à seulement 634,7 millions d'euros pour l'année à venir. Cette évolution traduit une érosion de plus de 25 % des bénéficiaires effectifs du dispositif.
En effet, alors qu'environ 5,5 millions de ménages recevaient automatiquement leur chèque énergie avant la réforme, ils ne sont plus que 3,8 millions au titre de la campagne 2025, soit un montant de chèques émis de 571 millions d'euros. Les autres ménages éligibles doivent se manifester spontanément pour recevoir l'aide à laquelle ils ont droit. L'administration espère que 600 000 ménages éligibles réclameront leur chèque. Cet objectif semble ambitieux au regard des 176 000 ménages qui s'étaient spontanément manifestés en 2024. Cependant, quand bien même il serait atteint, le nombre des ménages effectivement bénéficiaires du chèque énergie au titre de la campagne 2025 ne s'élèverait qu'à 4,4 millions, soit plus d'un million de moins qu'avant la réforme.
3. Alors que le nombre de bénéficiaires et les aides versées se réduisent substantiellement du fait de la réforme, les frais de gestion du dispositif de chèque énergie sont quant à eux sur une trajectoire d'augmentation dynamique
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, le rapporteur s'était étonné du montant élevé et de la tendance à la hausse des frais de gestion liés au dispositif de chèque énergie. Elle est au regret de constater que cette situation devrait s'aggraver en 2026.
Les différentes composantes des frais de gestion du chèque énergie
De manière générale, les frais de gestion du chèque énergie couvrent la gestion opérationnelle du dispositif par l'ASP, les développements informatiques, l'éditique (papier sécurisé, impression, affranchissement, réservation de camions de la Poste, etc.) pour la campagne d'envoi des chèques énergie et les relances pour les chèques non utilisés, les relations avec les acceptants (enrôlement, paiement, etc.), l'instruction des demandes de guichet et des réclamations (bénéficiaires et opérateurs), les communications auprès des bénéficiaires et bénéficiaires potentiels, la participation au bouquet France services et l'assistance utilisateurs.
Source : réponses de la DGEC au questionnaire du rapporteur
Alors que le nombre de bénéficiaires se réduit sensiblement du fait de la réforme et que les aides versées baissent de façon significative, le rapporteur constate que les frais de gestion poursuivent quant à eux leur hausse dynamique. En effet, d'après la DGEC, ils pourraient atteindre 40 millions d'euros en 2026, soit près de 7 % des dépenses d'intervention prévues au cours de cet exercice. Alors qu'ils ne représentaient encore que 21,6 millions d'euros en 2020, ces frais auront ainsi presque doublé en six ans.
Dans le contexte budgétaire actuel et alors que beaucoup de ménages qui pourraient prétendre à cette aide n'en bénéficieront pas, cette situation ne manque pas d'interpeller.
Si la hausse très importante de ces frais constatée en 2022 et 2023 pouvait, de manière conjoncturelle, s'expliquer par les nombreux chèques exceptionnels qui ont été mis en place pour accompagner les consommateurs dans le cadre de la crise des prix de l'énergie, il semble qu'une sorte « d'effet cliquet » se soit produit dans la mesure où les coûts n'ont pas retrouvé en 2024 leur niveau antérieur à la crise.
Évolution des frais de gestion du dispositif de chèque énergie (2019-2026)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur
D'après la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), le pic de dépenses observé en 2025 à 52 millions d'euros s'explique principalement par la mise en place de la réforme du dispositif, qui suppose notamment d'organiser de nouveaux croisements de données, de créer un guichet de demande pérenne ou encore de prévoir des mesures d'accompagnement et de communication, ainsi que par la mise en oeuvre du e-chèque énergie.
Le montant très significatif prévu en 2026 s'expliquerait quant à lui en partie comme la conséquence d'un report des coûts de gestion afférant à la campagne 2025 (réclamations, assistance utilisateur, etc.) du fait de l'envoi tardif des chèques, en novembre 2025.
En outre, depuis 2024, le montant des frais de gestion a été structurellement majoré à hauteur de 3,4 millions d'euros, somme correspondant à la contribution annuelle pour l'intégration du chèque énergie au bouquet France services.
* 70 Géré par la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature. Historiquement le programme 174 portait l'ensemble des crédits MaPrimeRenov'. La LFI pour 2024 a acté un transfert des crédits relatifs aux rénovations d'ampleur (programme « performance ») vers le programme 135, laissant au programme 174 le financement des mono-gestes (programme « efficacité »).
* 71 En neutralisant l'évolution des crédits relatifs aux aides à l'acquisition de véhicules propres.
* 72 Il a été instauré par l'article 201 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte pour remplacer les tarifs sociaux de l'énergie. Après une phase d'expérimentation il a été généralisé en 2018.
* 73 En particulier, l'administration ne peut plus reconstituer la composition des ménages lorsque les personnes qui habitent ensemble déclarent leurs impôts séparément.
* 74 L'application des dispositions de l'article a été précisée par le décret n° 2025-735 du 31 juillet 2025 modifiant les modalités de mise en oeuvre du chèque énergie ainsi que par trois arrêtés publiés le même jour.
