B. IL EST TEMPS DE DÉFINIR UNE NOUVELLE STRATÉGIE DE RENFORCEMENT DU PARC PÉNITENTIAIRE
1. La suroccupation des prisons est de plus en plus préoccupante
Le nombre de détenus a augmenté de 8,5 % en un an selon les éléments apportés au rapporteur spécial.
La projection initiale du nombre de détenus en fin d'exercice, fixée à 84 788 personnes détenues, a été rehaussée à 86 870 (+ 1 972). La moyenne, sur l'ensemble de l'année, serait de 84 242 détenus en 2025, contre 83 013 prévus en début d'année, en progression de 7 % par rapport à 2024.
Une telle augmentation en cours d'année pèse sur les dépenses du programme 107 « Administration pénitentiaire » et sur la capacité de l'administration pénitentiaire à programmer une activité dont le niveau dépend surtout des décisions prises par l'autorité judiciaire, qu'il s'agisse, en entrée, des mises en détention ou, en sortie, des aménagements de peine.
Par voie de conséquence, le taux d'occupation des prisons est non seulement excessif, mais il connaît une progression accélérée. Alors qu'il avait crû, pour les maisons d'arrêt, de 7,9 % entre 2019 et 202435(*), il progresserait de 12,6 % au cours des seules années 2024 à 2026, au regard des cibles définies.
Taux d'occupation des places en maison d'arrêt
(en pourcentage)
Indicateur 3.1 « Taux d'occupation des établissements pénitentiaires », sous-indicateur « Taux d'occupation des places en maison d'arrêt et quartiers maison d'arrêt ».
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Or aucune amélioration n'est attendue pour les années à venir, ce qui signifie que le plan « 15 000 » en cours de réalisation (voir infra), malgré son ambition manifeste, permettrait seulement de contenir quelque peu l'aggravation de la surpopulation des prisons, et non d'infléchir la courbe.
La situation est très contrastée selon les types d'établissements, le taux d'occupation n'étant « que » de 97 % pour les centres de détention, et selon les régions.
Taux d'occupation dans les maisons d'arrêt,
par direction interrégionale
des services pénitentiaires
(DISP)
(en pourcentage)
Source : calculs commission des finances, à partir des données transmises par la direction de l'administration pénitentiaire.
2. Alors que le « plan 15 000 » est loin d'avoir été achevé, le ministère a lancé de nouvelles initiatives
Un plan de création de 15 000 places supplémentaires en établissements pénitentiaires a été annoncé en 2018. C'est le quatrième programme de ce type depuis la fin des années 1980, les programmes précédents n'ayant jamais permis de faire face à l'accroissement du besoin. L'objectif de ce plan a même été porté à 18 000 places nettes par amendement parlementaire dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-202736(*), quoique les documents budgétaires continuent à parler du « plan 15 000 ».
Au moment de la présentation du présent projet de loi de finances, 24 établissements du plan 15 000 avaient été livrés, soit 7 384 places brutes créées et 5 411 places nettes, compte tenu de certaines fermetures d'établissements.
Le plan 15 000 n'a donc été réalisé pour l'instant qu'à hauteur de 36,1 % de sa cible, voire 30,1 % si l'on considère l'objectif réévalué à 18 000 places.
Au cours de l'année 2025 le surgel du 29 avril 2025 a principalement pesé sur les crédits d'investissement. L'administration pénitentiaire doit en effet, à court terme, faire face à l'augmentation des dépenses de fonctionnement, impactés notamment par le coût des marchés de gestion déléguée, qui ont été renouvelés dans une période de hausse des prix, ainsi que par les coûts résultant de la mise en oeuvre du « protocole Incarville » pour la sécurisation des personnels et les priorités posées par le Garde des sceaux pour la rénovation et la transformation des prisons existantes : dépenses supplémentaires pour les établissements de haute sécurité, renforcement de la sécurisation des autres établissements.
La livraison d'une structure d'accompagnement vers la sortie (SAS) devait avoir lieu cet automne pour 120 places à Ducos (Martinique). En outre, 2 388 places brutes sont en travaux, 2 560 places brutes sont en phase d'études de conception et 1 550 places brutes sont concernées par des marchés attribués.
En outre, 1 500 places supplémentaires sont prévues dans des quartiers de semi-liberté, au moyen de modes de construction innovants (construction modulaire) et sur du foncier disponible dans les domaines pénitentiaires existants. Un programme de construction de 1 500 places pour des courtes peines est enfin annoncé.
Places livrées et prévues sur plan 15 000
(en nombre de places)
Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances
L'addition de toutes ces places permet certes d'atteindre formellement l'objectif de 15 000 places, mais avec d'importants changements de programme. En outre, il reste sujet à de fortes incertitudes, alors que le rapporteur spécial insiste sur la nécessité d'atteindre les objectifs, en raison de la situation toujours plus préoccupante des prisons françaises.
De fait, la communication gouvernementale porte désormais moins sur le programme 15 000 que sur le lancement de nouvelles initiatives tendant à différencier le mode de traitement des détenus en fonction des risques qu'ils présentent, avec un objectif de résultats rapides.
Le Garde des sceaux actuel a ainsi annoncé à la fois la construction de prisons modulaires et la création de quartiers de haute sécurité.
Le mode de construction modulaire poursuit un objectif de rapidité dans les modes de construction, mais aussi par l'implantation sur des sites existants, en extension de prisons : les difficultés liées à la recherche du foncier constituent en effet l'une des principales causes de retard. C'est aussi la limite de ce projet, car le foncier disponible ne permettra pas, à lui seul, de résoudre le problème de la suroccupation des prisons.
17 sites ont ainsi été identifiés et le ministère utilise la procédure du partenariat d'innovation avec quatre partenaires. Certains sites seront livrés dès 2026.
S'agissant des établissements de haute sécurité, le premier a ouvert à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et celui de Condé-sur-Sarthe (Orne) accueille actuellement ses premiers détenus. L'ouverture d'un troisième établissement est annoncée pour juin prochain à Réau (Seine-et-Marne).
Par opposition aux quartiers de haute sécurité, et de manière moins médiatique, le ministère lance des projets de quartiers à sécurité allégée, pour des détenus ne nécessitant pas les mêmes moyens de contrôle et de surveillance que les criminels les plus dangereux.
Ces projets utilisent des moyens, notamment humains, qui étaient fléchés sur les établissements du plan 15 000, même si le ministère a assuré au rapporteur spécial que la réalisation des plus grands établissements de ce plan n'était pas remise en cause.
3. Les nouvelles initiatives devraient être formalisées afin de donner de la visibilité à l'évolution du parc pénitentiaire
Le rapporteur spécial, qui notait l'an passé que des réorientations seraient sans doute nécessaires face aux difficultés d'avancement de certains projets, porte un regard favorable sur ces initiatives qui relèvent d'un certain pragmatisme face à la difficulté, fréquente, de trouver des emplacements pour la construction de nouvelles prisons.
Il a toutefois senti, au cours des auditions qu'il a conduites, un certain attentisme au-delà des programmes déjà lancés, de la part d'administrations qui manquent d'une direction claire sur les orientations à donner pour l'immobilier pénitentiaire.
Il considère en conséquence que 2026 devrait être l'année de la définition d'une nouvelle stratégie pour la construction et la rénovation de prisons.
Cette nouvelle stratégie pourrait prendre des formes différenciée en fonction du profil des personnes détenues. Elle devrait, en tout état de cause, favoriser la mise en oeuvre d'un programme pénitentiaire standardisé, car il n'y a guère de raison de retenir des solutions différentes d'une prison à l'autre, si les détenus sont de profils similaires.
À cet égard, il avait proposé, dans un rapport de contrôle budgétaire consacré au plan 15 000 en 202437(*), de produire un véritable schéma directeur immobilier centré sur le pénitentiaire, qui intègre non seulement les besoins de construction de prisons neuves, mais aussi les rénovations et le renforcement de la sécurité dans les établissements existants, afin de définir une feuille de route claire pour l'ensemble des acteurs.
En parallèle, la rénovation des prisons existantes est indispensable, aussi bien pour les sécuriser et mettre fin aux circulations d'objets interdits, que pour accroître la capacité et réduire la suroccupation.
La sécurisation des personnels et des établissements passe par de nombreuses mesures : équipement des personnels en caméras individuelles, déploiement de dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites, lutte contre les drones (55 établissements sont équipés d'un système anti-drone), sécurisation périmétrique des établissements, etc.
L'accent a été mis sur la sécurisation des personnels après l'attaque d'un fourgon au péage d'Incarville (Eure) en juin 2024, qui a causé la mort de deux surveillants. Un protocole d'accord, dit « protocole Incarville », signé avec les organisations syndicales vise à renforcer la sécurité des agents en charge des missions d'extractions et prévenir les risques qui pèsent sur eux, au moyen d'achat de véhicules, de leur aménagement (banalisation, accessoires de type pare-buffles, etc.) et de l'acquisition d'armes. La nécessité de ces mesures a été confirmée par les attaques et menaces dont de nombreux personnels ont fait l'objet au premier semestre de 2025.
Le rapporteur spécial se réjouit en conséquence que, comme il a été indiqué supra, des crédits soient débloqués en fin d'année afin de permettre le lancement rapide de travaux dans certains établissements.
Il renouvelle également sa recommandation d'établir un comité d'audit auprès de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ). En particulier, il a constaté un nombre trop élevé de malfaçons ou de coûts inutiles dans des établissements livrés ces dernières années.
L'APIJ devra jouer un rôle d'impulsion et de contrôle pour s'assurer de la qualité des ouvrages fournis et de leur conformité à un programme commun, ce qui sera gage de qualité des projets, de réduction des délais et d'économies d'échelle sur les études comme sur les chantiers. Il a noté à cet égard avec intérêt la nomination, à la tête de cet agence, d'une personnalité importante, à savoir M. Benoist Apparu, ancien ministre du logement et ancien dirigeant d'entreprises importantes dans le secteur de l'immobilier.
* 35 Un creux exceptionnel a été constaté lors de la crise sanitaire de 2020 en raison notamment, lors du premier confinement, d'une baisse des écrous et de l'octroi de réductions de peines supplémentaires exceptionnelles pour les courtes peines et pour les faibles reliquats de peine.
* 36 Rapport annexé à l'article premier de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
* 37 15 000 places de détention supplémentaires et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 : mission impossible ?, Rapport d'information n° 37 (2023-2024), fait par Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 18 octobre 2023.


