D. UN SCHÉMA D'EMPLOIS EN DISSONANCE AVEC LES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES

1. Le schéma d'emplois à l'aune de nombreux défis

Le rapport de la Cour des comptes sur les effectifs de l'État territorial 96F97(*), a constaté, tous ministères, tous programmes et tous niveaux, régional et départemental confondus, une réduction de 11 763 ETPT entre 2012 et 2020. Les effectifs de l'ATE sont passés de 82 429 ETPT à 70 666 ETPT entre 2012 et 2020, soit une réduction de 14%97F98(*).

Les postes en préfectures n'ont pas échappé à ce mouvement de réduction d'effectifs. En effet, la mise en oeuvre du plan préfecture nouvelle génération (PPNG) et du projet « Action publique 2022 » a conduit à la suppression de 1 726 ETPT dans les préfectures et sous-préfectures.

Le constat de la Cour des comptes est sévère. « Dans les préfectures, les suppressions de poste, qui ont représenté la quasi-totalité des réductions d'effectifs du ministère de l'intérieur, n'ont pas été réalistes » 98F99(*).

La rapporteure spéciale se félicite que l'année 2021 ait marqué la fin de cette trajectoire avec une stabilisation des emplois pour la première fois depuis au moins dix ans (Cf. tableau, ci-après)99F100(*).

Effectifs des préfectures, sous-préfectures à compter de 2016
et des SGCD à compter de 2021

Sources : RAP pour 2016-2024 et PAP pour 2025 et 2026

Le renforcement des effectifs préfectoraux avec la création de 215 ETP entre 2023 et 2024 a notamment permis d'accompagner la mise en oeuvre des politiques publiques prioritaires, de renforcer le pilotage de la politique des ressources humaines au niveau régional et d'élargir l'évaluation de l'encadrement supérieur100F101(*).

Cependant, ces créations ne constituent qu'un minimum requis pour assurer les missions essentielles des préfectures. À l'instar de la Cour des comptes, la rapporteure spéciale déplore les effets négatifs de la stratégie de réduction d'emplois passée, impactant encore les missions des préfectures. Selon la Cour, « les gains sur les missions prioritaires dégagés dans le cadre du plan préfecture nouvelle génération (PPNG) de 2016 ont été effacés par le maintien de réductions d'effectifs importantes après 2018. Aujourd'hui, les préfectures ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services. » 101F102(*)

2. La contractualisation et l'externalisation, des facteurs de fragilisation financière et opérationnelle
a) Une contractualisation excessive

La rapporteure spéciale avait, l'an dernier, confirmé le constat de la Cour des comptes précédemment cité, d'une contractualisation diffuse qui concerne nombre de structures relevant de la mission. En septembre 2025, le taux de contractuels relevant du programme 354 atteint 16 %, soit 4 660 ETPT102F103(*).

La politique de contractualisation au sein des préfectures s'explique notamment par les suppressions de postes sur la période 2010-2020, ce qui avait conduit au recrutement improprement qualifié de vacataires, selon la Cour des comptes103F104(*). En 2025, le phénomène de contractualisation est particulièrement marqué au sein des services préfectoraux (1 146 ETPT), et les CERT104F105(*) (434 ETPT).

Le ministère justifie la poursuite de cette stratégie contractuelle en 2025 (+ 6 % par rapport à 2024) par la difficulté de recruter des profils adaptés105F106(*) aux besoins. La rapporteure spéciale relève néanmoins que ce mode de recrutement ne concerne pas uniquement des emplois spécialisés puisque que l'on a dénombré en 2025, 199 ETPT affectés à la gestion des ressources humaines, 168 ETPT à la maintenance des bâtiments et aux travaux, et 105 ETPT au standard, tous relevant du programme 354.

Ce constat est d'autant plus surprenant que le ministère de l'intérieur applique une politique d'encadrement du recours à la contractualisation afin de privilégier le recours aux ressources internes, même en cas de prestations intellectuelles et informatiques.

Par ailleurs, la proportion de personnels contractuels est encore plus importante s'agissant des différents opérateurs de la mission AGTE, tels que le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) opérateur dont les crédits sont rattachés au programme 216. Dans le cadre de l'examen du PLF pour 2025, la rapporteure spéciale avait relevé que le Conseil était composé à 64 % d'agents contractuels, proportion stable depuis cinq ans.

Cette année, elle souhaite mettre en lumière la situation de France Titres, opérateur rattaché au programme 354. La part des contractuels y prédomine nettement, avec des effectifs composés à 83 %106F107(*) d'agents contractuels dans son service d'assistance, le Centre de Contact Citoyens (CCC). La raison réside d'une part, dans le plafond d'emplois107F108(*) insuffisant pour accomplir l'ensemble des missions, et d'autre part, dans le schéma d'emplois nul en 2025 et 2026. En conséquence, France Titres est contrainte à ne pas dépasser fin 2025 le niveau atteint fin 2024, soit 160 ETP, et est empêché de recruter trois agents, pourtant nécessaires. Cette contrainte fragilise indument l'Agence dans l'exercice de ses nombreuses missions (Cf Supra).

Si la rapporteure spéciale estime que certains besoins particuliers légitiment le recours à la contractualisation, tel n'est pas le cas des métiers dans les fonctions de supports ou de communication. Une contractualisation excessive ne constitue pas la réponse appropriée à la réalité des besoins en termes d'effectifs. Les administrations centrales comme territoriales ainsi que les opérateurs doivent être régis selon un plafond et un schéma d'emplois réaliste, sous peine de dégrader la qualité du service ou d'en augmenter le coût.

En l'espèce, la rapporteure spéciale plaide pour un relèvement du plafond d'emplois de France titres, à l'instar de la Cour des comptes, ainsi qu'un schéma d'emplois positif afin de lui permettre de faire face à la montée en puissance de ses différentes missions.

b) L'externalisation, un double risque opérationnel et financier

La rapporteure spéciale a également constaté la pratique d'externalisation de prestations dans le cadre de marchés publics. Celle-ci relève généralement de deux catégories de situations.

La première est illustrée par la DTNUM et est justifiée par la combinaison de deux contraintes : celle de pouvoir mobiliser une compétence spécifique, voire rare, d'une part, ainsi que celle de répondre à un besoin limité dans le temps à un projet, d'autre part.

La seconde consiste à permettre de faire face à l'accroissement des missions, compte tenu d'un plafond et d'un schéma d'emplois limités. Tel est le constat de la Cour des comptes s'agissant de France Titres, relevant que « le rôle de l'Agence est d'autant plus diffus qu'elle externalise largement chacune des missions qui lui incombe, en matière de systèmes d'information, de production et d'acheminement des titres, comme d'appui aux usagers »108F109(*). En l'espèce, le taux d'externalisation des projets si situe de 78 % à 95 %, au lieu de 60 % maximum préconisés par la direction interministérielle du numérique (DINUM).

Quelle que soit le facteur contraignant de recours à l'externalisation la rapporteure spéciale alerte sur :

le risque de perte de souveraineté, de compétence et de maîtrise opérationnelle des projets ;

et le risque financier en raison d'un coût supérieur allant de 20 % selon la DTNUM, à 100 %, selon France Titres.

La réinternalisation de certaines compétences peut donc s'avérer nécessaire sous réserve d'anticiper les besoins primordiaux afin d'organiser la création de ressources internes de manière compatible avec les contraintes budgétaires.

Dans cette perspective, formalisée par la LOPMI, la DTNUM a ainsi recruté en 2023 et 2024 des profils experts sur des postes de chefferie et de direction de projet difficiles à pourvoir, contrairement à 2025 marquée par le gel des créations d'emplois. En 2026, 30 réinternalisations sont prévues aux fins de garantir la maîtrise des systèmes d'information régaliens.

S'agissant de France Titres, le besoin de réinternalisation des compétences pourrait porter sur 50 ETPT supplémentaires sur 5 ans à raison de 10 ETPT par an. Un tel recrutement pourrait générer des économies de l'ordre de 5 millions d'euros109F110(*) in fine, compte tenu de la baisse sensible du recours aux prestations externes qui en découlerait.


* 97 Rapport de la 4e chambre de la Cour des comptes du 14 avril 2022 sur les effectifs de l'administration territoriale de l'État sur les exercices 2010-2021. Les effectifs de l'État territorial, Cour des comptes, mai 2022.

* 98 Les effectifs sont ainsi passés de 82 429 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2012 à 70 666 ETPT en 2020.

* 99 Rapport de la 4e chambre de la Cour des comptes précité

* 100 Source : Réponse au questionnaire budgétaire.

* 101 Postes créés au sein du Conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation (CSATE).

* 102 Rapport de la Cour des comptes précité.

* 103 Source : réponse au questionnaire budgétaire.

* 104 Dans son rapport de 2022, la Cour des comptes a pris le soin de préciser que les « vacataires » dont il est question, improprement désignés par le ministère de l'intérieur, « ne sont pas des agents recrutés pour une mission spécifique et rémunérés à la vacation, qui correspondent à la définition légale des vacataires. Il s'agit d'agents contractuels remplissant des missions permanentes mais recrutés sur des contrats infra-annuels ». Les effectifs de l'État territorial, Cour des comptes, mai 2022.

* 105 Ils ont remplacé les services « titres » des préfectures et sous-préfectures, à partir d'avril 2017 pour les documents d'identité des personnes (CNI et passeports), et de novembre de la même année pour les permis de conduire et les certificats d'immatriculation des véhicules. En effet, depuis leur création, les effectifs des CERT ont toujours été constitués d'un taux de contractuels de l'ordre de 25 %, avec un pic à près de 29 % en 2023. Depuis 2022, ce sont les CERT dédiés aux CNI et passeports et certificats d'immatriculation de véhicule qui sont composés de la plus grande part de contractuels.

* 106 En 2025, près de 50 % de l'effectif numérique de la direction de la transformation numérique (DTNUM) est constitué de personnels contractuels. Ces contractualisations sont principalement opérées sur des postes de catégorie A, afin de pourvoir des missions à forte valeur ajoutée dans un cadre de recrutement raisonné en termes de délais et de rémunération.

* 107Source : France Titres.

* 108 Le plafond d'emplois en vigueur en 2025, soit 163 ETPT hors apprentis et alternants, est maintenu, dans le cadre du PLF pour 2026.

* 109 L'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), Cour des comptes, avril 2024.

* 110 Source : France Titres

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