II. LES OPÉRATIONS RÉCENTES DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE DANS LES SECTEURS DE L'INFORMATIQUE ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS ILLUSTRENT LA PERTINENCE DES INTERVENTIONS EN FONDS PROPRES POUR PRÉSERVER L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE DE NOTRE APPAREIL PRODUCTIF
Depuis l'adoption par l'Agence des participations de l'État en 2017 d'une doctrine d'investissement révisée46(*), la stratégie d'intervention de l'Agence des participations de l'État repose sur trois axes complémentaires47(*) :
- les entreprises stratégiques qui contribuent à l'indépendance de la France ;
- les entreprises participant à des missions de service public ou d'intérêt général national ou local ;
- les entreprises en difficulté dont la disparition pourrait entraîner un risque systématique.
Depuis 2022, le durcissement des relations internationales observé après la crise économique et sanitaire et le phénomène de « retour de la géopolitique »48(*) illustré par le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022 ont renforcé la dimension souveraine de la politique d'actionnariat public, notamment à travers la mise en lumière des actions de préférence et des actions spécifiques.
Actions de préférence et actions
spécifiques dans le portefeuille
des participations de
l'État
Pour préserver ses intérêts stratégiques dans les sociétés dans lesquelles il détient au moins une action, l'État dispose de deux leviers complémentaires d'influence actionnariaux : les actions de préférence et les actions de droit commun.
En premier lieu, l'action de préférence est un instrument de droit commun régi par l'article L. 228-11 du code de commerce. Il permet de prévoir de rattacher à certaines actions des droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent. Les droits particuliers rattachés à ces actions sont prévus par les statuts de la société et l'émission de ces actions doit être décidée par l'assemblée générale extraordinaire. L'État dispose d'une action de préférence dans plusieurs de ses participations directes dont par exemple la société Exxelia International au sein de laquelle l'action détenue par l'État a été convertie en action de préférence pour garantir les intérêts de la défense nationale dans le cadre du rachat de la société par le groupe américain Heico en 2023.
En second lieu, l'action spécifique est un instrument exorbitant du droit commun, prévu par l'ordonnance du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participations publique49(*). Il permet à l'État de prendre unilatéralement la décision de transformer une action ordinaire qu'il détient en action spécifique. Cette décision, prise par décret en Conseil d'État, doit être motivée par la protection des intérêts essentiels du pays en matière d'ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale.
Par surcroît, le périmètre des sociétés dans lesquelles l'État peut détenir une action spécifique fait l'objet d'une double délimitation. Premièrement la société doit être mentionnée dans l'annexe au décret du 9 septembre 2004 fixant le périmètre de l'Agences des participations de l'État50(*) dans sa version en vigueur au 1er janvier 2018 ou être cotée et détenue directement ou indirectement à hauteur de 5 % par Bpifrance. Deuxièmement l'activité de la société être incluse dans le champ des activités entrant dans le champ du contrôle des investissements étrangers en France (IEF)51(*), c'est-à-dire les activités dans le domaine de l'armement et les activités de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale.
L'État dispose d'une action spécifique dans plusieurs de ses participations directes principalement dans le domaine de la défense dont par exemple, dans le secteur des matériaux indispensables aux besoins de la défense nationale, la société Aubert & Duval pour laquelle le ministre de l'économie dispose d'un droit d'information particulier et peut notamment s'opposer aux décisions ayant pour effet de modifier les conditions d'exploitation de certains actifs stratégiques.
Source : commission des finances
Plusieurs interventions en fonds propres de l'Agence des participations de l'État (APE) au cours des exercices 2025 et 2026, sous réserve des opérations confidentielles à intervenir au cours de ces exercices, illustrent la place croissante de l'axe correspondant aux entreprises stratégiques, c'est-à-dire aux entreprises concourant à la souveraineté économique du tissu productif, dans les investissements en capital de l'État - en particulier dans le secteur informatique et dans le secteur des télécommunication.
En premier lieu, les crédits ouverts sur le programme 731 pour l'exercice 2026 permettront à l'Agence des participations de l'État (APE) de financer la finalisation de l'opération de rachat partiel par l'État du département Advanced Computing du groupe Atos52(*).
L'opération d'acquisition par l'État des principales activités du département Advanced Computing du groupe Atos a été contractualisée le 31 juillet 2025. Le contrat de cession et d'acquisition recouvre les activités du département Advanced Computing, à l'exception des activités « Vision AI ». L'accord a été conclu pour une valeur d'entreprise de 410 millions d'euros. Le périmètre des activités acquises par l'État, qui recouvre les activités de conception et de fabrication des serveurs de haute performance et des supercalculateurs du groupe Atos, représente 2 500 employés et un chiffre d'affaires estimé à 800 millions d'euros en 2025. En rachetant cette entreprise, l'État s'est porté acquéreur de la seule entreprise européenne en capacité de produire des supercalculateurs53(*), en l'occurrence dans une usine de production située à Angers. La sécurisation de cet actif revêtait un caractère critique dans la mesure où des supercalculateurs sont utilisés dans des industries souveraines et pour garantir la crédibilité de la dissuasion nucléaire française.
L'investissement en capital de l'État, qui représentera 400 millions d'euros en crédits de paiement (CP) en 2026 d'après les estimations figurant dans la documentation budgétaire, démontre l'utilité des instruments d'intervention publique en fonds propres pour permettre à cette activité stratégique non seulement de se poursuivre sous le contrôle d'un actionnariat souverain mais également de bénéficier des investissements nécessaires à son développement.
En second lieu, les crédits ouverts sur le programme 731 pour l'exercice 2025 ont permis à l'Agence des participations de l'État (APE) de financer une opération d'ampleur de recapitalisation de l'opérateur européen de satellites de télécommunication Eutelsat.
Le groupe Eutelsat est des six principaux opérateurs de satellites dans le monde. Depuis la fusion entre Eutelsat et OneWeb intervenue en 2023, le groupe Eutelsat opère à la fois une flotte de 34 satellites en orbites géostationnaires (GEO) et la constellation OneWeb qui est une constellation de plus de 600 satellites en orbite basse (LEO54(*)). Le groupe Eutelsat emploie 1 500 personnes et a réalisé en 2024 un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros dont une marge opérationnelle de 700 millions d'euros.
Pour la période allant de 2026 à 2029, le groupe Eutelsat prévoit des investissements massifs à hauteur de quatre milliards d'euros à la fois pour renouveler la flotte de satellite de la constellation OneWeb et, dans une moindre mesure, pour renouveler les satellites de la flotte géostationnaire. Or, du fait notamment de l'acquisition de OneWeb, le groupe Eutelsat connaissait un niveau d'endettement élevé au début de l'exercice 2025 qui dépassait 3,5 fois son niveau de marge opérationnelle.
Par conséquent, pour faciliter le financement de son programme stratégique d'investissements et lui permettre de récupérer des marges d'endettement, les actionnaires du groupe Eutelsat ont décidé de mettre en oeuvre une opération d'ampleur de recapitalisation à hauteur de 1,5 milliard d'euros. L'État français a participé à cette augmentation de capital à hauteur de 750 millions d'euros ce qui lui a permis de porter sa participation au capital d'Eutelsat de 14 % à 30 %55(*).
L'investissement en capital de l'État représente 750 millions d'euros en crédits de paiement (CP) en 2025 qui permettent à la fois de réduire l'endettement du groupe Eutelsat pour renforcer ses marges d'investissement pour maintenir en conditions opérationnelles la constellation OneWeb et de consolider la place de l'État dans la gouvernance d'Eutelsat.
Répartition du capital d'Eutelsat à l'issue de l'augmentation de capital de 2025
(en points de pourcentage)
Source : commission des finances, d'après les données de l'APE
À l'issue de l'opération, l'État français deviendra en effet le principal actionnaire du groupe avec 30 % du capital dans une période déterminante pour le secteur des télécommunications par satellites. En effet, la période récente est marquée à la fois par le lancement56(*) en février 2022 du projet de constellation européenne Iris2 dont le financement sera partiellement assuré par le budget de l'Union européenne et par la consolidation industrielle en cours dans le segment des satellitiers avec l'annonce en octobre 2025 de la fusion entre les activités de construction de satellite des groupes Airbus, Thalès et Leonardo.
* 46 Agence des participations de l'État (APE), 2017, Rapport d'activité 2016-2017.
* 47 Projet de loi de finances pour 2026, Annexe générale « Rapport relatif à l'État actionnaire », p.31.
* 48 Bruno Tertrais, 2023, La guerre des mondes. Le retour de la géopolitique et le choc des empires.
* 49 Art. 31-1 de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participations publiques.
* 50 Annexe du décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à compétence nationale Agence des participations de l'État.
* 51 L. 151-3 du code monétaire et financier.
* 52 Cf. Deuxième partie du présent rapport.
* 53 Sénat, commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, compte-rendu du 22 avril 2025.
* 54 Low Earth Orbite.
* 55 Avant de participer à l'augmentation de capital, l'Agence des participations de l'État a procéder au rachat des actions d'Eutelsat qui étaient préalablement détenues par Bpifrance Participations.
* 56 Commission européenne, 15 février 2022, Proposition de règlement du parlement européen et du conseil établissant le programme de l'union pour une connectivité sécurisée pour la période 2023-2027.
