B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une massification rapide de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur
a) Un niveau de financement public qui explique la hausse du nombre d'apprentis, notamment dans le supérieur

On dénombre 657 900 étudiants à fin 2024 préparant un diplôme de l'enseignement supérieur. Le nombre d'alternants a connu une croissance spectaculaire au cours de la dernière décennie, corrélée à la réforme de 2018 et aux aides exceptionnelles mises en place pendant la crise sanitaire (+ 59 % entre 2019 et 2020 ; + 78 % entre 2020 et 2022 ; + 10 % entre 2022 et 2023, ralentissant tout en continuant de croître de + 3 % entre 2023 et 2024).

Dans certaines filières du supérieur, la proportion d'apprentis est écrasante : 61 % des étudiants en licence professionnelle, mais également 34 % des étudiants en écoles de commerce ou un quart des étudiants en institut universitaire de technologie (IUT) sont en apprentissage.

Évolution du nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur
depuis 2014

(en nombre d'étudiants)

Source : commission des finances d'après les données du ministère de l'enseignement supérieur

Le développement de l'apprentissage a par ailleurs contribué à la réorganisation de certaines filières d'enseignement supérieur. Alors que plus des trois quarts des apprentis sont inscrits dans l'enseignement supérieur privé, nombre d'établissements d'enseignement supérieur intègrent en leur sein un centre de formation des apprentis (CFA). Une telle dynamique a contribué à alimenter le débat sur les effets d'aubaine de l'apprentissage pour certaines formations, pour lesquelles l'apprentissage constitue une voie privilégiée de développement de ressources propres.

Concernant le public ciblé par les politiques d'apprentissage, les apprentis sont en moyenne d'origine sociale moins favorisée que les autres étudiants dans les formations d'ingénieur et dans les écoles de commerce. En revanche, on ne note pas d'effet de soutien ciblés vers les apprentis de familles moins favorisées inscrits dans des formations universitaires.

Catégorie socio-professionnelle des parents d'apprentis et d'étudiants en 2024

(en %)

Source : commission des finances d'après les données du ministère de l'enseignement supérieur

Notons par ailleurs que l'apprentissage a pour conséquence de diminuer d'autant le nombre d'étudiants pouvant potentiellement bénéficier d'une bourse sur critères sociaux, dans la mesure où les apprentis ne peuvent être boursiers.

b) Une efficacité en termes d'insertion sur le marché du travail très variable selon les formations et les profils d'apprentis

Concernant l'impact de l'apprentissage sur le marché du travail, les études complètes et postérieures à la réforme de 2018 manquent. Le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq) indique que « des questions subsistent sur l'impact de cette massification sur le taux et la qualité de l'insertion professionnelle »9(*).

Le fait que certains apprentis restent dans l'entreprise où ils ont effectué leur contrat d'apprentissage réduit mécaniquement leur durée d'accès au premier emploi. D'après l'étude mentionnée plus haut, il n'est cependant pas certain que le gain soit particulièrement significatif par rapport aux étudiants non apprentis mais ayant effectué un stage pendant leur année d'études.

En outre, l'impact de l'apprentissage sur l'insertion sur le marché de l'emploi est fortement variable selon la formation supérieure. D'après le Cereq, l'effet sur l'entrée en emploi est plus limité pour les formations déjà fortement insérantes : ainsi, l'écart d'accès à un emploi à temps plein en sortie d'études entre apprentis et non apprentis n'est que de 3 points pour les étudiants en école de commerce ou d'ingénieurs. L'apprentissage semble a contrario avoir un impact plus significatif pour les jeunes inscrits dans des formations professionnelles.

Part des jeunes en emploi à temps plein directement
après la sortie d'études

(en %)

 

Apprentis

Non-apprentis

Ecart

Non diplômés du supérieur

87 %

58 %

28 %

BTS

89 %

74 %

15 %

Licence professionnelle

92 %

80 %

12 %

Master

90 %

77 %

12 %

Ecoles de commerce et d'ingénieur

94 %

92 %

3 %

Total

89 %

72 %

17 %

Source : Céreq, Enquête Génération 2017 (menée en 2020-2021)

c) Des conséquences multiples pour l'enseignement supérieur

Les établissements d'enseignement supérieur se sont pour la plupart rapidement adaptés en développant une offre de formation en apprentissage. À titre d'exemple, l'année dernière, le directeur de l'Institut d'études politiques de Strasbourg avait indiqué avoir ouvert 5 formations en apprentissage en cinq ans, parallèlement à une augmentation d'apprentis de 200 % depuis 2019.

En 2014, seules 1 800 formations en apprentissage étaient proposées sur APB. En 2018, ce chiffre était monté à 2 600 formations. En 2024, plus de 10 000 formations en apprentissage étaient proposées sur Parcoursup, soit 1 000 de plus qu'en 2023. Cette progression est notamment très sensible dans les champs BTS et certificats de spécialisation qui représentent plus de 90 % de l'offre en apprentissage sur Parcoursup.

L'apprentissage constitue le plus souvent un atout pour les étudiants, ainsi qu'une solution sur le plan économique à la poursuite de leurs études.

Cependant, le développement de l'apprentissage constitue en quelque sorte une forme d'externalisation du financement de l'enseignement supérieur hors de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Le coût total de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur s'élève à près de 4 milliards d'euros en 2023.

Afin d'objectiver le différentiel éventuel entre les charges pédagogiques et d'accompagnement déclarées à France compétences par les CFA et les coûts complets réels des établissements, une enquête annuelle est réalisée par la DGESIP depuis fin 2021. 55 % des formations ont ainsi des coûts complets non couverts par les niveaux de prise en charge du contrat d'apprentissage (NPEC).

La réforme de l'apprentissage en 2025

Le Gouvernement a d'abord procédé en 2024, par voie réglementaire, à des baisses des niveaux de prise en charge (NPEC) afin de diminuer le financement des CFA par France compétences.

En outre, le montant de l'aide à l'embauche en contrat d'apprentissage a été réduit, par une mesure paramétrique prise par voie réglementaire, de 6 000 euros quelle que soit la taille de l'entreprise, à 5 000 euros pour les PME et 2 000 euros pour les autres entreprises.

Enfin, la commission mixte paritaire a introduit dans le PLF 2025 une participation de l'employeur (« ou reste à charge ») au financement des formations des apprentis préparant un diplôme supérieur à bac + 2, fixé par décret à la somme forfaitaire de 750 euros par contrat.

Source : commission des finances

2. Une indispensable hausse des frais d'inscription dans les universités en fonction des capacités contributives des étudiants

Les recettes propres des établissements ont, en valeur, très fortement augmenté : entre 2010 et 2024, elles croissent de plus de 3,2 milliards d'euros.

Néanmoins, cette tendance doit être nuancée : les ressources propres augmentent en réalité suivant un rythme proche de celui de la SCSP. En conséquence, on constate une stabilité des ressources propres en proportion du total des ressources : elles représentaient 21,1 % des ressources des établissements en 2010 contre à peine un point de plus, soit 22,1 %, en 2023. Il convient d'ailleurs de noter que le ministère intègre des recettes publiques dans ses données sur les recettes propres, en particulier les financements de l'ANR ainsi que les financements PIA ou France 2030 ayant fait l'objet d'un appel à projet.

Évolution de la part des ressources propres
dans les ressources des établissements supérieurs

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Un constat similaire peut être dressé concernant les frais d'inscription versés par les étudiants. Contrairement à une idée reçue, les droits d'inscription demeurent extrêmement minoritaires dans les ressources des établissements d'enseignement supérieur. En 2025, ils ne représentaient ainsi qu'1,8 % du total des recettes. Cette proportion est d'ailleurs stable dans le temps et ne tend pas à augmenter au cours des dernières années (2,08 % des recettes en 2022 contre 2,02 % dix ans plus tard). Cette stabilité est d'autant plus notable que le montant global des droits d'inscription a cru fortement du fait de l'augmentation du nombre d'étudiants, passant de 250 millions d'euros à près de 400 millions d'euros en dix ans.

Évolution de la part des droits d'inscription
dans les ressources des établissements supérieurs

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

La part des droits d'inscription est sur l'échelle de droite

Une telle stabilité n'est pas satisfaisante dans le contexte de croissance continue des dépenses des établissements et contribue à entériner leur dépendance à une croissance continue de la SCSP.

Les recettes propres des universités sont très limitées par le maintien de droits d'inscription identiques pour tous les étudiants, ce qui peut apparaître in fine comme un système injuste. A contrario, la progressivité des droits d'inscription irait dans le sens d'une plus grande justice sociale, en permettant aux étudiants disposant de davantage de moyens de contribuer plus largement au fonctionnement de leur établissement.

Le rapporteur spécial a pu revenir récemment10(*) sur l'exemple que constituent les instituts d'études politiques (IEP) en matière de développement des ressources propres : les IEP se caractérisent en effet par un taux important de ressources propres (entre 65 % et 70 % de leurs ressources), lié aux montants des droits d'inscription plus élevés que dans les universités. Dans le cas des IEP correspondant à des composantes des universités, les ressources propres représentent une part croissante du budget : Sciences Po Saint-Germain-en-Laye s'autofinance pour environ la moitié de son budget.

Par ailleurs, les recettes propres des IEP se caractérisent par leur dynamisme : elles ont progressé de 16,3 % entre 2019 et 2023. Cette croissance découle en partie d'une hausse des droits d'inscription (+ 12 % entre 2019 et 2023, jusqu'à + 30 % sur la même période pour Sciences-Po Paris), qui représentent eux-mêmes plus d'un tiers des recettes propres des établissements.

L'ensemble des IEP a pour particularité de moduler les droits d'inscription en fonction du revenu des étudiants ou de leurs parents, dans la plupart des cas suivant un modèle par tranche basé sur le coefficient familial plafonné pour les plus hauts revenus. À titre d'exemple, à St-Germain-en-Laye à la rentrée 2024, 8 % des étudiants payaient le montant le plus élevé, soit 5 034 euros. Une part importante des étudiants sont exonérés de droits d'inscription : à l'IEP de Toulouse, cette proportion atteint 43 % des étudiants.

D'autres établissements appliquent des modèles similaires. Dans les universités catholiques, établissements privés qui fonctionnent par le biais de conventions avec les universités publiques, les droits d'inscription sont de 600 euros en moyenne, également modulés selon les revenus de l'étudiant.

Le rapporteur spécial considère que ce modèle, qui met les étudiants à contribution à raison de leurs facultés, doit s'appliquer aux universités pour des raisons de justice sociale et de reconnaissance du service public de l'enseignement supérieur. En conséquence, il propose d'adopter un amendement précisant que les frais d'inscription dans les établissements d'enseignement supérieur public sont modulés en fonction des revenus du foyer fiscal de rattachement de l'étudiant.


* 9 Céreq Bref, n° 462, Décembre 2024, L'apprentissage après la réforme de 2018 : nouveaux acteurs, nouveaux défis.

* 10 Projet de loi de finances pour 2025 : Recherche et enseignement supérieur, Rapport général n° 144 (2024-2025), tome III, annexe 24, déposé le 21 novembre 2024.

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