II. LA SUSPENSION DE LA RÉFORME DE 2023 METTRAIT EN PÉRIL, À TERME, LA PÉRENNITÉ FINANCIÈRE DU SYSTÈME

A. LE COÛT BUDGÉTAIRE D'UNE SUSPENSION DE LA RÉFORME DES RETRAITES SERAIT IMPORTANT

L'examen des crédits alloués aux pensions en 2026 prend cette année une tournure particulière, dans la mesure où se pose la question de suspendre jusqu'en 2027 la mise en oeuvre de la réforme des retraites.

La rapporteure spéciale est défavorable à une telle évolution, au regard des déficits du système de retraites anticipés par le COR dans son rapport de 2025. En effet, le solde du système de retraite observé et projeté dans le scénario de référence indique que, malgré la mise en oeuvre de la réforme, le régime connaîtrait un déficit croissant jusqu'en 2070.

Ainsi, le solde du système s'établirait selon le COR à - 0,9 % du PIB en 2045 et atteindrait en 2070 près de - 1,4 %.

Solde du système de retraites observé et projeté dans le scénario de référence
du COR jusqu'en 2070

(en pourcentage du PIB)

Note : la prévision repose sur une hypothèse de maintien de l'application de la réforme de 2023.

Source : commission des finances, d'après le Rapport du Conseil d'orientation des retraites de 2025

Ce calcul est concordant avec celui obtenu par la Cour des comptes dans son rapport de février 2025 remis au Premier ministre11(*).

En raisonnant en milliards d'euros, la Cour indique en effet que le déficit du régime devrait atteindre, en 2025, 6,6 milliards d'euros12(*) - soit 0,2 % du PIB - puis demeurer stable jusqu'en 2030 grâce à la montée en puissance de la réforme de 2023. La suite mène, sous l'effet de la hausse continue du nombre de retraités et du montant moyen de leurs pensions, à une dégradation du déficit qui atteindrait près de 15 milliards d'euros hors inflation en 2035 et près de 30 milliards d'euros en 2045.

Il apparaît donc clairement que la réforme de 2023 ne permet qu'une stabilisation à moyen-terme des déficits du régime de retraites et certainement pas un retour à l'équilibre.

Or, comme l'indique le Comité de suivi des retraites (CSR) dans son avis de juillet 202513(*), l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale fixe un objectif de pérennité financière au système de retraites qui doit être respecté et ne l'est déjà pas aujourd'hui.

En effet, la montée en charge de la réforme doit s'achever normalement d'ici 2032, ce qui indique que l'effet de déséquilibre démographique et de hausse des pensions l'emporte dès avant la fin de la mise en oeuvre de la réforme.

Calendrier prévu du relèvement de l'AOD et de la durée d'assurance requise selon la réforme des retraites de 2023

Année possible de départ en retraite

Générations

Age légal d'ouverture des droits

Durée d'assurance requise

2023-2024

Personnes nées à compter du 1er septembre 1961

62 ans et 3 mois

169

2024-2025

1962

62 ans et 6 mois

169

2025-2026

1963

62 ans et 9 mois

170

2027

1964

63 ans

171

2028-2029

1965

63 ans et 3 mois

172

2029-2030

1966

63 ans et 6 mois

172

2030-2031

1967

63 ans et 9 mois

172

2032

1968

64 ans

172

Source : commission des finances

Selon les propos du Premier ministre lors de la déclaration de politique générale du 14 octobre 2025, le coût d'une suspension de la réforme serait pour le système de retraites « de 400 millions d'euros en 2026 et d'1,8 milliard d'euros en 2027 ». Il faudra donc ajouter au déficit prévu pour les deux années à venir les montants indiqués, en cas de mise en oeuvre de cette possibilité.

Soldes du système de retraites anticipé de 2025 à 2027,
selon un scénario de suspension ou non de la réforme des retraites

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après le rapport de la Cour des comptes sur la situation financière et perspectives du système de retraites, février 2025 et les annonces du Premier ministre le 14 octobre 2025

Pour la rapporteure spéciale, cette aggravation du solde potentielle n'est pas responsable et qu'il s'agit d'un retour en arrière dommageable pour la pérennité du système.

Elle déplore néanmoins l'absence de chiffrage fin, à ce stade, permettant de distinguer le coût de la suspension pour l'ensemble du système de retraites et le coût qui concerne uniquement l'État14(*) et les régimes spéciaux suivis.

La suspension de la réforme des retraites de 2023 aurait, en outre, un coût important pour le solde de l'ensemble des administrations publiques, qui dépasserait celui pour le système de retraites.

En effet, en permettant aux personnes de partir plus tôt en retraite, le taux d'emploi des seniors augmenterait moins que prévu : les cotisations sociales et les impôts qui auraient été prélevés sur l'activité de ces personnes ne viendraient pas abonder le budget. Ce coût serait d'autant plus élevé que la suspension dure longtemps.

La suspension de la réforme maintiendrait l'âge d'ouverture des droits (AOD) à 62 ans et 9 mois. Or, le premier volet des rapports de la Cour des comptes au Premier ministre relatifs au système de retraites15(*), publié en février 2025, modélisait le coût que représenterait un maintien de l'AOD à 63 ans pour les générations nées à partir de 1964, au lieu des 64 ans prévus par la mise en oeuvre de la réforme de 2023.

Cela donne un ordre de grandeur du manque à gagner potentiel.

Effet annuel d'une modification de l'AOD sur les finances publiques pour l'exercice 2035

(en euros constants de 2024)

Périmètre

AOD 63 ans
génération 1964

AOD 65 ans
générations 1968 à 1972

Effet annuel sur le système de retraites

- 5,8 milliards d'euros

+ 4,7 milliards d'euros

Effet annuel sur l'ensemble des finances publiques

- 13,0 milliards d'euros

+ 9,4 milliards d'euros

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de la Cour des comptes, de la direction générale du Trésor et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse


* 11 Cour des comptes, Situation financière et perspectives du système de retraites, février 2025.

* 12 L'article 1er du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 prévoit un solde de la branche vieillesse de - 6,3 milliards d'euros.

* 13 CSR, Avis 2025, 10 juillet 2025.

* 14 Dans le régime de la fonction publique d'État, les militaires et les marins ne seraient pas concernés par la suspension de la réforme.

* 15 Cour des Comptes, Situation financière et perspectives du système des retraites, février 2025.

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