B. UNE DIMINUTION QUI NE DEVRAIT PAS ENTRAVER LES PROMESSES FORMULÉES À L'ÉGARD DU MONDE AGRICOLE MÊME SI DES POINTS D'ATTENTION DEMEURENT

L'effectivité d'une baisse des crédits dans le PLF pour 2026 apparaît donc indéniable mais le périmètre de cette diminution peut être nuancé. Les rapporteurs spéciaux se sont principalement attachés à vérifier que le niveau des crédits envisagés pour 2026 est en adéquation avec le périmètre des politiques publiques conduites et qu'il intègre les engagements qui ont été pris à l'égard des agriculteurs depuis deux ans.

En effet, des tensions sociales chez les agriculteurs dans de nombreux États européens, dont la France, apparues au cours de l'année 2024, ont conduit les Gouvernement successifs à formaliser puis à confirmer un total de 70 engagements en tout, en faveur des agriculteurs qui sont progressivement mis en place.

Parmi les aides initiées depuis le début de cette crise (et qui sont, ou seront, financés sur les exercices 2024, 2025 et 2026) figurent :

- un fonds d'urgence pour le secteur viticole de 80 millions d'euros (soumis au régime de minimis), sous forme d'une aide de trésorerie exceptionnelle à destination des viticulteurs touchés par les pertes de production ou pertes économique subies en 2023, dans les régions Occitanie, Provence-Alpes Côte d'Azur, Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes ;

- un dispositif de réduction du potentiel de production viticole (dispositif structurel, dit d'« arrachage définitif ») doté d'une enveloppe de 110,4 millions d'euros ;

- un dispositif de prêts bonifiés, à hauteur de 1,9 million d'euros, à l'attention du secteur viti-vinicole ;

- un fonds d'urgence de 50 millions d'euros visant à soutenir les exploitations d'élevage impactées par la maladie hémorragique épizootique (MHE), et s'adressant aux éleveurs et aux commerçants en bestiaux ;

- une aide à la filière biologique de 105 millions d'euros, visant à prendre en charge une partie des pertes économiques engendrées par les conséquences de la guerre en Ukraine et de remédier ainsi aux problèmes de liquidité immédiats de ces exploitations en évitant des « déconversions » massives qui impacteraient le potentiel de production biologique français ;

- un dispositif d'aide exceptionnelle à la trésorerie, pour 9,5 millions d'euros, au bénéfice des planteurs de banane dessert dans les départements de Martinique et de Guadeloupe touchés par les conséquences de l'agression de la Russie contre l'Ukraine ;

- une aide complémentaire de 10 millions d'euros pour la prise en charge d'une partie des pertes de production des éleveurs de volaille en conséquence des mesures de police sanitaire mises en place pour lutter contre l'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) ;

- la mise en oeuvre du dispositif d'indemnisation pour la prise en charge de la surmortalité liée à la fièvre catarrhale ovine (FCO) dans les élevages ovins et bovins pour 75 millions d'euros ;

- un dispositif de prise en charge d'une partie des pertes économiques des exploitations apicoles engendrées par les conséquences de l'agression de l'Ukraine par la Russie sur la période correspondant à la déclaration de TVA pour 2023, d'un montant de 4,3 millions d'euros ;

- des soutiens à la trésorerie sous forme de prêts garantis, à concurrence de 85 millions d'euros ;

- une deuxième vague d'aide à l'arrachage sanitaire en Gironde pour 15,46 millions d'euros ;

- le dispositif « Fruits et légumes outre-mer » pour la Martinique et Mayotte, pour un peu plus de 100 000 euros ;

- un fonds d'urgence « soutien aux exploitations en difficulté suite aux inondations de 2024 » en Ille-et-Vilaine, d'un montant de 300 000 euros ;

- un fonds d'urgence lancé en juin 2025, au bénéficie des jeunes installés en viticulture, pour 9 millions d'euros ;

- une aide aux pépiniéristes en viticulture (1 million d'euros) mis en difficulté par les moindres achats de plants. Les rapporteurs spéciaux ont été informés du fait que cette situation pourrait s'aggraver à la suite des opérations d'arrachage définitif et seront attentifs aux moyens consacrés aux pépiniéristes en 2026 ;

- un fonds d'urgence pour soutenir les exploitations agricoles, en particulier viticoles, touchées par les incendies de l'Aude survenus à l'été 2025, pour un total de 7 millions d'euros incluant un dispositif de prise en charge des cotisations sociales d'un montant d'un million d'euros.

Certaines mesures attendues, non budgétaires ou fiscales, ont par ailleurs été prises : nouveau plan national loup, publication de mesures règlementaires sur le contentieux agricole, sur les obligations légales de débroussaillement, sur la simplification des mesures administratives préalables au curage, non-imposition sous condition de 30 % des reprises de dotation pour épargne de précaution, la transformation de la dotation pour stock de vaches en une provision comptable ainsi que des avantages fiscaux destinés à favoriser la transmission de patrimoine vers les jeunes agriculteurs, prise en compte des 25 meilleures années pour le calcul de la pension de retraite, relèvement de 1,2 à 1,25 SMIC du seuil de dégressivité du dispositif travailleurs occasionnels - demandeurs d'emploi, dit TO-DE.

Quelques promesses sont également en cours de discussion à l'échelle européenne, en particulier concernant l'effectivité des « clauses miroirs » en cas d'entrée en vigueur de l'accord UE-MERCOSUR.

Un certain nombre d'engagements doit encore trouver une traduction au plan national sur le fondement du projet de loi de finances pour 2026. Certains engagements se traduisent par des dispositions fiscales qui figurent en première partie du projet de loi de finances pour 2026 (prorogation de trois ans du dotation pour épargne de précaution, prorogation de deux ans du crédits d'impôt « agriculture biologique », exonération d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés - sous condition d'affectation du montant de cette exonération - des plus-values et des profits sur stocks dégagés du fait de toute perception d'indemnités d'abattage pour raisons sanitaires d'animaux affectés à la reproduction du cheptel pour les années 2025 à 2027, etc.). Les rapporteurs spéciaux renvoient au rapport général sur la première partie du PLF pour le détail des mesures prises.

Quelques-uns des engagements à l'égard des agriculteurs le seront sur le fondement du budget voté en seconde partie de la loi de finances. Les rapporteurs spéciaux se sont donc penchés sur l'adéquation des crédits budgétaires proposés aux engagements pris. Ils considèrent, à l'issue des nombreux échanges conduits que la baisse des crédits de la mission, même si elle donne lieu à des arbitrages qui seront politiquement débattus, n'entrave pas la capacité du Gouvernement à disposer des moyens de répondre, au cours de l'année 2026, aux attentes légitimes des agriculteurs. Ils constatent notamment le maintien des crédits destinés à alléger le coût du travail. Par ailleurs, même si des améliorations devront sans doute être apportées, les dépenses de personnel pour 2026 devraient permettre de ne pas entraver le niveau de services rendus aux agriculteurs. Toutefois, ils demeurent très vigilants s'agissant des dispositifs d'aide à l'installation.

1. Une stabilisation des dépenses de personnel par rapport à la LFI 2025

La mission est caractérisée par une stabilisation des dépenses de personnel. Celles-ci atteignent en 2026 un total de 940,99 millions d'euros en AE comme en CP, réparties entre les programmes 206 (369,81 millions d'euros, contre 358,78 millions d'euros en 2025 et 390,42 millions en 2024) et 215 (571,18 millions d'euros, contre 575,25 millions d'euros en 2025 et 592,44 millions d'euros en 2024) soit une quasi stabilisation (+ 6,96 millions d'euros, soit + 0,75 %) par rapport aux 934,03 millions d'euros de 2025.

Ces montants devraient permettre de couvrir les besoins pour 2026, sans toutefois laisser de marge de manoeuvre importante.

2. Des dispositifs d'allègement du coût du travail préservés

Le dispositif d'exonérations de cotisations patronales sur bas salaires TO-DE (travailleurs ouvriers demandeurs d'emplois) bénéficie à un employeur agricole qui souhaite recruter un travailleur saisonnier. Il est reconduit cette année encore.

Les crédits y afférant sont retracés dans l'action 25 « Protection sociale » du programme 149 (cf. infra). Les allègements du coût du travail en agriculture, qui sont destinés à compenser le manque à gagner lié à cette exonération à la Mutualité Sociale Agricole (MSA), ont été isolés dans le programme 381 « Allègements du coût du travail en agriculture ». Ce programme ne comprend qu'une seule action intitulée « Allègement du coût du travail de la main-d'oeuvre saisonnière » pour un montant de 449 millions d'euros en 2026, contre 448,5 millions d'euros en 2024 et 423 millions d'euros en 2024 (cf. infra pour le commentaire par programme).

Les rapporteurs spéciaux constatent que l'effort porté sur ce dispositif, combiné à diverses mesures relevant des lois de financement de la sécurité sociale, témoigne de la volonté des gouvernements successifs de fluidifier le marché de l'emploi agricole, après l'inscription de l'agriculture dans la liste des secteurs de métiers à tension qui facilite le recrutement de la main-d'oeuvre hors Union européenne par la dispense de l'opposabilité de la situation de l'emploi.

3. Une attention particulière aux crédits budgétaires consacrés au renouvellement des générations

Le renouvellement des générations constitue un défi d'ampleur pour le secteur agricole. Alors que la moitié des nouveaux entrants dans le secteur n'est pas issu du monde agricole10(*), et ne dispose en conséquence d'aucun bien foncier agricole, la mise en place de politiques volontaristes pour attirer de nouveaux exploitants et travailleurs agricoles constitue une nécessité pour rétablir la souveraineté alimentaire. Comme le relevait la Cour des comptes dans une enquête remise à la commission des finances au titre du 2° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances11(*), 43 % des exploitants sont à l'heure actuelle âgés de 55 ans ou plus, et susceptibles de partir à la retraite d'ici à 2033. L'âge moyen des agriculteurs français est ainsi passé de 50,2 ans en 2010 à 51,4 ans en 2020. Or, le profil des candidats à l'installation évolue lui aussi. Si la transmission des exploitations s'est longtemps faite dans un cadre familial, elle s'opère principalement aujourd'hui au profit de nouveaux arrivants.

Une démarche volontariste pour rétablir l'attractivité du secteur agricole doit être mise en place et concerner tous les aspects de la vie professionnelle des intervenants : l'accès à la profession par des formations de qualité, l'acquisition du foncier agricole, le bénéfice d'un revenu digne, un juste rapport de force avec les autres acteurs économiques, une fiscalité adaptée, etc. Se sont ainsi multipliées les initiatives législatives12(*), en particulier pour l'accès au foncier, que ce soit pour faciliter l'accès à la propriété, ou à la location (comme c'est le cas de 40 % des exploitants agricoles aujourd'hui).

Le financement de l'aide à l'installation des agriculteurs provient à la fois de financements européens13(*), alloués par l'intermédiaire des régions, de dispositifs fiscaux (évoqués supra), d'avantages sociaux comme des exonérations de cotisations sociales à la mutualité sociale agricole (MSA) spécifiquement tournées vers les primo-installants, ainsi que de dotations budgétaires finançant des aides directes à l'installation ou des prêts bonifiés14(*).

Du fait de la transmission aux conseils régionaux de la gestion des aides non-surfaciques, en application de la PAC 2023-2027, incluant la « dotation aux jeunes agriculteurs » ainsi que les aides liées à la modernisation des installations, lesquelles constituent un vecteur indispensable avant toute transmission, l'action 23 « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles » du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » avait vu ses moyes diminuer entre 2023 et 2025 (116 millions d'euros en 2025 en autorisations d'engagement, contre 123 millions d'euros pour 2024 et 172 millions d'euros en 2023). Cet état de fait avait été compensé par un cumul des crédits supplémentaires à destination des régions qui avait abouti, au final, à un maintien des aides à l'installation en 2024 et en 2025, répondant là aussi aux engagements pris, d'autant qu'ils viennent en complément des mesures fiscales d'incitation à la transmission des exploitations agricoles portées à l'article 70 de la loi de finances pour 2025.

Ces mesures sont d'autant plus importantes que la France parvient péniblement, malgré toutes les mesures prises, à stabiliser le nombre annuel d'installations de nouveaux agriculteurs.

Nombre annuel d'installations d'exploitants agricoles en France
entre 2003 et 2023

Source : Réponses au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

Toutefois, les rapporteurs spéciaux notent, à ce stade, une incertitude dans le respect des promesses gouvernementales concernant les crédits budgétaires à destination des aides du programme d'accompagnement à l'installation et à la transmission en agriculture (AITA) tels qu'ils sont prévus, à ce stade, dans le PLF pour 2026.

Les AITA sont destinées à soutenir l'accompagnement des candidats à l'installation et la transmission des exploitations agricoles. Elles visent notamment à accompagner les jeunes s'installant hors du cadre familial, qui sont, comme indiqué précédemment, de plus en plus nombreux. Ce programme, qui n'est pas cofinancé par l'Union européenne, a pris le relais, en 2018, du programme pour l'installation des jeunes en agriculture et de développement des initiatives locales (PIDIL) en intégrant les dispositifs relevant de la préparation à l'installation. Le programme AITA permet d'adapter, dans les régions, des mesures nationales, ainsi que diverses interventions opérationnelles et financières diversifiées.

Afin de favoriser la mise en place d'interlocuteurs uniques dans le parcours d'aide à l'installation de nouveaux agriculteurs, qui constituent un élément essentiel dans la réussite du dispositif, l'État s'était engagé à relever les crédits budgétaires destinés à l'AITA à 20 millions d'euros : or, à ce stade, ce sont environ 13 millions d'euros qui sont inscrits en PLF pour 2026 pour l'AITA. Les rapporteurs spéciaux notent que les discussions entre le Gouvernement et les chambres d'agriculture se poursuivent sur ce point et ils ne prennent donc pas l'initiative, dans l'immédiat, d'un amendement de mouvement de crédits à ce sujet, préférant que se poursuive le dialogue. Ils soulignent toutefois l'importance du mécanisme et de son financement.


* 10 Sur ces deux points, on se reportera utilement au rapport d'information « On ne naît pas agriculteur, on le devient », de MM. Vincent SEGOUIN et Patrice JOLY, fait au nom de la commission des finances, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles.

* 11  Cour des comptes, La politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, communication à la commission des finances du Sénat, avril 2023.

* 12 Sur le contexte défavorable à l'accès au foncier agricole, on se reportera utilement au rapport n° 61 (2023-2024), déposé le 25 octobre 2023, de M. Christian Klinger sur la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.

* 13 Ces financements européens comprennent des aides du premier pilier de la PAC : l'aide complémentaire au revenu pour les jeunes agriculteurs (ACJA) qui a pris la suite à partir de 2023 du paiement en faveur des jeunes agriculteurs (PJA) de la programmation 2015-2022, ainsi que des aides du second pilier de la PAC comme la dotation jeunes agriculteurs (DJA) - et les prêts bonifiés jusqu'en 2017)- auxquelles s'ajoutent des majorations des aides à l'investissement prévues dans le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE).

* 14 À la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a établi, en avril 2023, une synthèse de ces divers dispositifs dans son enquête consacrée à « La politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles ».

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