D. LA BAISSE DES MOYENS DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT DEVRA CONDUIRE À S'INTERROGER SUR SON MODÈLE
1. Un pilotage insuffisant de l'agence qui dispose d'une très forte autonomie dans ses prises de décisions
L'Agence française de développement (AFD) est l'opérateur pivot de la politique de coopération et de développement de la France33(*). Il s'agit d'un organisme disposant à la fois du statut d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC)34(*) et, depuis 2018, de celui de société de financement, soumis au cadre prudentiel applicable à cette catégorie de société.
Le modèle d'une agence de mise en oeuvre de la politique d'aide au développement se retrouve dans d'autres pays européens. En Allemagne, il existe deux agences assurant le déploiement de l'APD : la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW)35(*), agence de coopération financière, et la Deutsche Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit (GiZ)36(*), agence de coopération technique. À l'inverse, il n'existe pas de telle agence au Royaume-Uni.
Selon la direction générale de la mondialisation, auditionnée par les rapporteurs spéciaux, l'AFD a réussi à s'imposer comme un bailleur de premier ordre, avec une dimension qu'il n'aurait jamais dû avoir si l'on considère ce que représente la France dans l'environnement international.
Mais force est de constater qu'au cours des dernières années, l'AFD n'a pas fait l'objet d'un pilotage suffisant. Or, sur la période 2017-2025, les moyens alloués par l'État à l'agence au sein de la mission APD ont progressé de 194 % en AE et de 145 % en CP. Dotée d'objectifs de moyens et sans véritables priorités géographiques et thématiques, l'agence a pu disposer, au cours de cette période, d'une très forte autonomie.
Le directeur général de l'agence, Rémi Rioux, lors de son audition, a insisté sur la difficulté à diriger une institution publique sans perspectives pluriannuelles. C'est vrai aussi dans la période de resserrèrent des crédits dans laquelle nous sommes entrés. Le directeur général a rappelé la difficulté à gérer les ajustements budgétaires sans contrats d'objectifs et de moyens associé, en indiquant que l'AFD aurait perdu « 70 % de ses ressources budgétaires en deux ans ». Cette mise en garde corrobore l'audition de la DGM qui précisait « l'AFD travaille sur des projets de long terme et ne peut pas répondre à la demande de réactivité qu'on nous impose. »
En effet, le dernier contrat d'objectifs et de moyens (COM) signé entre l'agence et sa tutelle, arrivé à échéance en 2024, n'a toujours pas été renouvelé. De manière similaire aux deux exercices passés, la quasi-totalité des auditions menée par les rapporteurs spéciaux a annoncé, comme tous les ans, une signature « proche » de ce COM, sans qu'aucune date ne soit véritablement annoncée. Un document préparatoire serait encore en négociation mais des points de blocage persistent, notamment en raison de l'incertitude pesant sur la trajectoire financière de l'agence.
À l'absence de COM s'ajoute la fin du mandat du directeur général l'agence et le silence du Gouvernement sur sa succession.
Ces retards sont emblématiques du rapport distant que semblent entretenir les deux ministères concernés avec l'exercice de leur tutelle sur l'agence et sont préjudiciables dans un contexte où son modèle d'intervention devra être repensé. Il est vrai que les leviers de pilotage dont disposent les cotutelles peuvent présenter des limites.
En particulier, leur absence de majorité au conseil d'administration de l'AFD ne leur permet pas de bloquer des projets qui ne leur paraitraient pas opportun. Si l'examen par le conseil d'administration du financement d'un projet de développement en Égypte, mené par des entreprises chinoises partiellement implantées au Xinjiang, a finalement été rejeté par le Conseil d'administration il y a plusieurs mois, d'autres projets ont prospérés en dépit d'une opposition conjointe de Bercy et du Quai d'Orsay.
2. La fin de l'abondance des moyens financiers devra, à terme, conduire l'AFD à repenser son modèle d'activité
Pour rappel, l'Agence ne reçoit pas de dotation de fonctionnement de la part de l'État. Cela ne signifie pas que l'activité de l'agence ne représente pas un coût pour les finances publiques. L'AFD perçoit des crédits budgétaires pour la mise oeuvre d'actions relatives à la politique de développement et pour la rémunération des frais associés à ces actions.
Pour plus de 90 %, les crédits budgétaires versés en autorisations d'engagement le sont au titre de :
- la bonification des prêts concessionnels accordés par l'agence à des États ou des organisations internationales (programme 110) ;
- la mise en oeuvre des interventions de la France en dons-projets, le financement des ONG et l'assistance technique dans le cadre de la coopération bilatérale (programme 209) ;
- la rémunération, par l'État, du service rendu par l'AFD.
Montant des crédits budgétaires versés à l'Agence française de développement
(en millions d'euros)
|
LFI 2025 |
PLF 2026 |
|||
|
AE |
CP |
AE |
CP |
|
|
Programme 110 - Aide économique et financière au développement |
1 125,34 |
445,00 |
728,13 |
503,16 |
|
Programme 209 - Solidarité à l'égard des pays en développement |
1 064,79 |
1 017,05 |
856,08 |
1 032,85 |
|
Programme 365 - Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement |
145 |
145 |
100 |
100 |
|
Programme 123 - Conditions de vie en outre-mer |
72,35 |
64,94 |
61,35 |
57,88 |
|
Programme 853 - Prêts à l'AFD en vue de favoriser le développement économique et social |
- |
145 |
- |
100 |
|
Total |
2 407,48 |
1 816,99 |
1 745,56 |
1 793,89 |
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Par rapport à l'exercice 2025, le montant des crédits budgétaires est relativement stable en crédits de paiement avec une baisse limitée à 1,27 %. En revanche, les autorisations d'engagement sont très fortement ponctionnées, avec près de 28 % de baisse par rapport à l'exercice précédent. Cette diminution des AE a pour objectif assumé de réduire le montant des engagements pluriannuels de la mission. Selon les données transmises aux rapporteurs spéciaux, les restes-à-verser de l'AFD représentent un total de 19 milliards d'euros fin 2024.
Pour l'agence, la réduction de ses crédits conduira à une baisse mécanique de son volume d'engagement en subventions et prêts bonifiés. Elle ne pourra qu'être partiellement compensée en prêts non bonifiés, moins orientés vers les zones prioritaires de notre APD. En 2025, le plan d'affaires du groupe pourrait atteindre 12 milliards d'euros (11,1 milliards d'euros hors fonds délégués), soit une baisse d'un milliard d'euros par rapport à 2024.
La diminution de son volume d'activité aura des conséquences réelles sur les dépenses de fonctionnement de l'AFD. Il est ainsi probable que l'agence soit amenée à réduire son plafond d'emploi au cours des années à venir. Dans ce contexte, le projet de nouveau siège du groupe à Paris peut paraître décalé.
Pour autant le ralentissement de l'activité de l'agence aura des effets bénéfiques sur son modèle économique, selon les éléments transmis aux rapporteurs spéciaux. La baisse de l'activité de prêts en particulier devrait réduire les exigences de fonds propres pesant sur cette entité.
* 33 À noter que l'AFD, à l'instar d'Expertise France et de tous les organismes intervenant sur la mission, n'est pas considérée comme un opérateur au sens de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf). Le « jaune » opérateur, annexé au projet de loi de finances de l'année, ne mentionne pas cet organisme.
* 34 Conformément à l'article R. 515-6 du code monétaire et financier.
* 35 Traduction : établissement de crédit pour la reconstruction.
* 36 Traduction : agence de coopération internationale allemande pour le développement.