B. POUR LA DEUXIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, UN GEL DES EFFECTIFS EN CONTRADICTION AVEC L'IMPÉRATIF DE RÉDUCTION DES DÉLAIS DE JUGEMENT

1. Les juridictions administratives sont confrontées à une pression contentieuse croissante, mais sont toutefois parvenues à maîtriser les délais de jugement depuis la crise sanitaire

Les juridictions administratives font face à une progression constante des recours contentieux, l'année 2020 faisant figure d'exception en raison de la crise sanitaire, de sorte que le fonctionnement des juridictions administratives est aujourd'hui à flux tendu. Par suite, la hausse des moyens des juridictions administratives chaque année a permis d'absorber le traitement du flux de requêtes sans dégrader les délais de jugement.

a) Une progression des volumes contentieux s'inscrivant dans la durée

Les juridictions administratives ont connu une hausse des recours portés devant elles, mais aussi une diversification des contentieux. De 2000 à 2019, les entrées contentieuses en données nettes ont progressé de 105 % en première instance et de 116 % en appel. Sur la période 2017-2021, l'évolution moyenne annuelle du contentieux est de 5,2 % pour les tribunaux administratifs, et de 7 % si l'on exclut l'année 2020, caractérisée par un recul des entrées.

À partir de 2021, la baisse conjoncturelle des entrées liée à la crise sanitaire s'est progressivement résorbée. De 2020 à 2023, le nombre d'affaires enregistrées en cumulé devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel a augmenté de 15 %, passant de 250 766 à 288 915 affaires.

Le dynamisme des recours contentieux est de nouveau observable en 2024. Les juridictions administratives ont été saisies de 320 014 affaires, dont 9 528 pour le Conseil d'État, 31 522 pour les cours administratives d'appel et 278 964 pour les tribunaux administratifs. Elles ont rendu 295 432 décisions dont 9 763 pour le Conseil d'État, 31 025 pour les cours administratives d'appel et 254 644 pour les tribunaux administratifs.

Évolution des recours devant les tribunaux administratifs,
les cours administratives d'appel et le Conseil d'État entre 2019 et 2024

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Évolution de l'activité des juridictions administratives depuis 2017

(en nombre d'affaires)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le rapporteur spécial souhaite de nouveau alerter la commission sur la progression du niveau du stock des tribunaux administratifs et des cours administratives. Celui-ci a en effet augmenté de près de 30 % entre 2019 et 2024.

En ce qui concerne la CNDA, l'augmentation du nombre d'affaires entrantes s'inscrit elle aussi dans une tendance durable depuis 2008. La Cour a ainsi triplé sa capacité de jugement en 10 ans, période pendant laquelle les affaires entrantes ont crû de 115 %. En effet, la CNDA est confrontée, année après année, à une hausse soutenue du contentieux de l'asile : de 2009 à 2019, la progression du contentieux s'est élevée à près de 140 %. Après une année 2020 marquée par le confinement lié à la crise sanitaire et une évolution des entrées non significative (- 37 %), celles-ci ont continué de progresser jusqu'en en 2023 (+ 9,5 % par rapport à 2019). Toutefois, l'année 2024 marque un recul notable du nombre de saisines par rapport à l'année précédente (- 15,8 %).

Évolution du nombre d'affaires enregistrées par la CNDA

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

b) Une évolution des délais moyens de jugement variable selon les juridictions

Le délai moyen constaté de jugement des affaires constitue le principal indicateur de performance du programme. Pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, les délais moyens de jugement s'étaient dégradés en 2020 du fait de la crise sanitaire. Après s'être progressivement rapproché de leur niveau de 2019, les délais de jugement repartent à la hausse en ce qui concerne les tribunaux administratifs.

Délai moyen de jugement par niveau de juridiction
y compris procédures d'urgence

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025
(cible)

2026 (cible)

Tribunaux administratifs

9 mois et 4 jours

10 mois

9 mois et 16 jours

9 mois et 20 jours

9 mois et 20 jours

9 mois et 29 jours

9 mois

10 mois et 10 jours

Cours administratives d'appel

10 mois et 26 jours

1 an et 3 jours

11 mois et 15 jours

11 mois et 18 jours

11 mois et 16 jours

11 mois et 12 jours

11 mois

11 mois et 20 jours

Conseil d'État

7 mois et 20 jours

7 mois et 29 jours

7 mois et 8 jours

7 mois et 14 jours

7 mois et 8 jours

7 mois et 8 jours

9 mois

9 mois

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Il convient toutefois de relever les limites de cet indicateur. D'une part, la hausse des référés et des jugements d'affaires enserrées dans des délais contraints fait mécaniquement baisser les délais moyens.

De plus, il existe des disparités territoriales entre juridictions. Pour l'année 2024, le délai de jugement pour les affaires ordinaires devant le tribunal administratif de Nantes est de 1 an et 10 mois quand il est seulement de 10 mois et 5 jours devant le tribunal administratif de Dijon. Il en va de même pour les cours administratives d'appel : le délai de jugement pour les affaires ordinaires est de 1 an et 3 mois devant la cour administrative d'appel de Versailles, quand il est de 9 mois et 8 jours devant la cour administrative d'appel de Nantes.

Les prévisions sont plus délicates pour la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), et sont intrinsèquement liées aux capacités de traitement des demandes par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), alors même que les délais moyens prévus par le projet annuel de performances sont ambitieux. La CNDA ne dispose d'aucun pouvoir d'autorégulation de son activité juridictionnelle, celle-ci étant la conséquence mécanique, d'une part, du nombre fluctuant de demandeurs d'asile qui se présentent en France selon les événements géopolitiques mondiaux, et, d'autre part, du rythme d'activité et du taux d'admission de l'OFPRA dont la CNDA est juge en premier et dernier ressort.

Le délai moyen constaté devant la CNDA pour les procédures ordinaires était de 5 mois et 23 jours en 2024, contre 6 mois et 23 jours en 2023. Malgré cette amélioration, il reste toujours au-dessus du délai cible de 5 mois. En ce qui concerne le délai de 5 semaines pour les procédures accélérées, le rapporteur spécial rappelle qu'il lui paraît difficilement tenable et peu réaliste puisqu'en 2024, le délai constaté pour ce type de procédures s'est élevé à 4 mois et 11 jours.

2. Une stabilisation des effectifs pour la deuxième année consécutive dans le cadre du nécessaire redressement des finances publiques
a) Un gel des effectifs qui entre en contradiction avec l'augmentation massive des recours devant les juridictions administratives

Comme l'année dernière, le PLF 2026 prévoit un schéma d'emplois neutre pour le programme 165, alors qu'il avait bénéficié de plusieurs hausses d'effectifs ces dernières années. En effet, entre 2020 et 2024, le schéma d'emplois du programme a été systématiquement fixé entre + 29 et + 41 ETP.

L'année 2026 confirme donc la mise à l'arrêt de la dynamique de renforcement des effectifs des juridictions administratives engagé l'année précédente.

Schéma d'emplois du programme 165 entre 2021 et 2026

(en ETP)

2021

2022

2023

2024

2025

2026

+ 29

+ 41

+ 41

+ 41

0

0

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Comme l'année dernière, le rapporteur spécial prend acte de la stabilisation des effectifs du programme, dans un contexte marqué par le nécessaire redressement des finances publiques de la France.

Il souhaite toutefois réitérer ses préoccupations face à l'augmentation de la pression contentieuse pesant sur les juridictions administratives, laquelle favorise le risque d'allongement des délais de jugement à court terme. Le Conseil d'État a en effet alerté le rapporteur spécial, lors de son audition, sur le nombre exceptionnel d'affaires enregistrées en 2025 (+ 40 000 environ par rapport au même stade de l'année 2024), ce qui laisse présager une augmentation importante des délais de jugement dès 2026, faute de moyens humains supplémentaires.

b) La stabilisation des moyens du tribunal du Stationnement payant malgré une situation d'engorgement préoccupante

Le rapporteur spécial souhaite également de nouveau attirer l'attention de la commission sur le sous-dimensionnement des effectifs du tribunal du stationnement payant (TSP). Cette juridiction spécialisée, dont la gestion a été transféré au programme 165 depuis 2024, a vu son activité presque tripler entre sa création en 2018 et 2024, mais ses effectifs n'ont pas augmenté en conséquence sur cette période.

Évolution des recours devant le TSP entre 2021 et 2024

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Cette dynamique est amenée à se poursuivre. D'après le Conseil d'État, le TSP « devra vraisemblablement connaître dans les années à venir, à moyens constants, une augmentation de son stock ou, à tout le moins, la stabilisation de ce dernier à un niveau élevé4(*) ». En effet, « la progression très dynamique des recours enregistrés par le TSP, résultant de la généralisation des dispositifs de contrôle automatique de plaques d'immatriculation de type LAPI5(*) et de l'extension des zones soumises au stationnement payant, doit conduire à retenir une hypothèse d'augmentation des stocks similaire à celle constatée depuis 2020, de l'ordre de 18 % par an. »


* 4 Réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 5 Lecture automatique de plaque d'immatriculation.

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