IV. L'ADOPTION PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES D'UNE MOTION TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE
Selon l'article 45 de la Constitution, l'Assemblée nationale peut reprendre en lecture définitive « le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ».
Pour perfectible que soit le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, il paraît peu probable que des amendements adoptés en nouvelle lecture par le Sénat soient adoptés par l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, il convient de ne pas réduire la probabilité d'adoption du texte en lecture définitive. En particulier, un rejet du texte par l'Assemblée nationale pourrait se traduire par un déficit d'une trentaine de milliards d'euros en 2026 (cf. encadré infra).
Dans ces conditions, malgré la reprise en nouvelle lecture d'apports significatifs du Sénat, il est désormais temps de constater la fin de la « navette utile » de ce PLFSS.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales vous propose, pour cette nouvelle lecture, d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.
Les conséquences de l'absence d'adoption du PLFSS
1. Le solde 2026 de la sécurité sociale en l'absence de nouvelles mesures : - 28,7 milliards d'euros selon le rapport à la CCSS
Une première manière d'apprécier les conséquences d'une absence de LFSS est de se référer au solde de la sécurité sociale en l'absence de nouvelles mesures, chiffré chaque année par le rapport d'automne à la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS).
Selon le rapport d'octobre 2025 à la CCSS, en l'absence de nouvelles mesures, le déficit de la sécurité sociale en 2026 serait de 28,7 milliards d'euros.
Toutefois ce chiffrage n'a pas pour objet de simuler une absence de LFSS. Il décrit plutôt une situation où il existerait une LFSS, mais où ses mesures, de même que les mesures réglementaires associées, n'auraient pas d'effet net sur le solde27(*).
2. En l'absence de LFSS, un déficit également d'une trentaine de milliards d'euros en 2026 ?
Si l'on s'interroge plus précisément sur les conséquences d'une absence de LFSS, le déficit semble également devoir être d'une trentaine de milliards d'euros en 2026.
Un préalable : autoriser la sécurité sociale à emprunter
Un préalable est toutefois que la sécurité sociale soit autorisée à emprunter malgré l'absence de LFSS.
En effet, il ressort de l'article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale28(*) que l'autorisation de la sécurité sociale d'emprunter ne peut normalement figurer que dans une LFSS.
Dans le cas de l'exercice 2025, le principe constitutionnel de continuité de la vie nationale a permis de l'inscrire dans la loi spéciale prévue dans le cas de l'État.
Dans l'hypothèse où, s'agissant de l'exercice 2026, seule la LFSS ne serait pas en vigueur au 1er janvier, il pourrait être nécessaire de recourir - sous réserve d'une analyse juridique plus approfondie - à une loi ad hoc. On précise à cet égard que l'Acoss devra constituer dès janvier 2026 son encours lui permettant de passer les échéances des mois suivants, et en particulier celle des pensions de retraite du 9 février 2026.
Sans prise en compte des effets « politiques » : un effort global analogue à celui du texte adopté par l'Assemblée nationale ?
Le seuil du déclenchement de la taxe sur l'industrie du médicament dite « clause de sauvegarde » doit être fixé chaque année par la LFSS. Il en résulte qu'en l'absence de LFSS, cette imposition disparaîtrait, suscitant une perte de recette de 1,6 milliard d'euros en 2026.
Par ailleurs, les principaux financements du système de santé sont juridiquement liés à l'Ondam. Ainsi, dans une récente note au Premier ministre29(*), le directeur de la sécurité sociale estime qu'en l'absence de LFSS, les tarifs des soins et ville et des établissements devraient être maintenus inchangés, et les dotations reconduites par douzième dans la limite de leur part reconductible, empêchant le financement de nouveaux projets.
Dans ces conditions, selon cette approche purement « mécanique », une absence de LFSS pour 2026 pourrait ne pas avoir d'effet majeur sur le déficit :
- d'un côté, l'absence de LFSS susciterait la disparition de la clause de sauvegarde (1,6 milliard d'euros) et des mesures figurant dans le texte stricto sensu, qui dans la version adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture améliorent le solde d'environ 5 milliards d'euros30(*) ;
- de l'autre, la croissance de l'Ondam serait réduite de plusieurs milliards d'euros du fait du gel des tarifs et des dotations (au prix d'une désorganisation majeure du système de santé).
Avec prise en compte des effets « politiques » : un déficit proche de 30 milliards d'euros ?
Toutefois, on voit mal comment le gel des tarifs et dotations à leur niveau de 2025 serait politiquement possible sur la totalité de l'année. Ils devraient vraisemblablement être revus à la hausse, éventuellement sur la base d'un texte législatif autre qu'une LFSS.
Ensuite, en l'absence de LFSS, le Gouvernement pourrait ne pas disposer de la légitimité nécessaire pour prendre les mesures réglementaires d'amélioration du solde actuellement prévues.
Au total, le principal écart par rapport au scénario à « politiques inchangées » du rapport à la CCSS (déficit de 28,7 milliards d'euros) pourrait donc être la disparition de la clause de sauvegarde (1,6 milliard d'euros). Le déficit serait alors d'environ 30 milliards d'euros (avant prise en compte de l'effet d'une telle situation sur la croissance économique).
* 27 Concrètement, le solde prévisionnel du PLFSS est la somme du chiffrage du rapport à la CCSS et des mesures du PLFSS et des textes réglementaires associés, figurant dans l'annexe 3 au PLFSS.
* 28 Selon lequel la loi de financement de l'année « arrête la liste des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement habilités à recourir à des ressources non permanentes, ainsi que les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ».
* 29 À l'occasion de l'examen du PLFSS en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a diffusé une note du directeur de la sécurité sociale au Premier ministre, datée du 4 décembre 2025, portant sur les « conséquences d'un retard ou d'un défaut d'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 ». Cette note a été diffusée par le magazine spécialisé Contexte.
* 30 Taxe d'un milliard d'euros sur les complémentaires santé, augmentation de 1,5 milliard d'euros de la CSG capital, compensation de 2,6 milliards d'euros de niches sociales supplémentaires.