Art. 48
(Art. L. 331-7-1 nouveau du code de la consommation)
Institution d'une possibilité de moratoire et d'effacement des dettes en cas d'échec de la phase de conciliation

Cet article constitue l'innovation majeure du projet de loi en matière de surendettement. Il vise à adapter le dispositif de traitement du surendettement aux cas les plus désespérés.

Le rapport précité de MM. Jean-Jacques Hyest et Paul Loridant constate que, pour les ménages les plus fragilisés, le dispositif législatif actuel semble atteindre ses limites.

« En effet, les commissions de surendettement sont de plus en plus confrontées à des dossiers dans lesquels la capacité de remboursement des surendettés est très faible, voire nulle. Devant ces cas inextricables, les commissions n'ont pas d'autres alternative que de proposer un moratoire. Or, la multiplication des retours de dossiers risque à moyen terme de provoquer l'asphyxie des commissions de surendettement ».

Le projet de loi introduit un nouvel article L. 331-7-1 dans le code de la consommation. Cet article instaure deux mesures nouvelles afin de mieux prendre en compte ces situations :

- l'institution d'un moratoire d'une durée maximale de trois ans ;

- la réduction ou l'effacement des dettes.

Ces deux innovations appellent des commentaires particuliers :

Le moratoire

En elle-même, la pratique du moratoire n'est pas une réelle nouveauté pour les commissions de surendettement. L'article L. 331-7 du code de la consommation leur permet en effet déjà de prescrire, dans ses recommandations, le report du paiement des dettes. Le rapport d'information précité notait ainsi que « la pratique des moratoires tend (...) à se généraliser. Statistiquement et en données cumulées, le pourcentage de plans comportant des reports de dettes est de 28 % en phase amiable et de 58 % en phase de recommandation ».

Cette pratique n'apporte cependant pas satisfaction.

D'une part, ces moratoires sont de courte durée. 58 % d'entre eux sont d'une durée inférieure à un an. Ils ne laissent pas un temps suffisant aux débiteurs insolvables à la suite d'« accidents de vie » (chômage, décès, longue maladie, séparation) pour redresser leur situation financière. Dès lors, la pratique des moratoires se traduit à terme par l'échec des plans de redressement.

D'autre part, ces moratoires conduisent paradoxalement à l'encombrement des commissions. On estime qu'environ 15 % des dossiers en instruction devant les commissions en 1996 étaient des dossiers redéposés à la suite d'un moratoire.

Le projet de loi donne un nouveau cadre juridique à ces pratiques de moratoires.

Il définit d'abord les conditions du recours au moratoire. Le moratoire ne peut intervenir qu'après l'échec de la tentative de conciliation, comme solution alternative aux mesures visées à l'article L. 331-7 du code de la consommation. Il exige également des conditions objectives liées à la situation du débiteur : « insolvabilité (...) caractérisée par l'absence de ressources ou de biens saisissables ».

Il encadre ensuite le champ du recours au moratoire . La durée du moratoire ne peut excéder trois ans. Le moratoire peut s'appliquer aux « créances autres qu'alimentaires, fiscales, parafiscales ou envers les organismes de sécurité sociale ».

Il précise l'effet du moratoire . Le moratoire entraîne la suspension de l'exigibilité des créances. Pendant cette période, afin d'atténuer la charge du remboursement des intérêts tout un respectant les droits du créancier, le projet de loi prévoit que c'est le taux d'intérêt légal qui s'applique. Par ailleurs, au vu de la situation du débiteur, la commission peut recommander un différé de paiement des intérêts moratoires en fin de période.

Le présent article définit enfin, dans son paragraphe IV, la procédure applicable au moratoire. Le prononcé du moratoire reste le fait du juge sur recommandation de la commission.

L'introduction de ce nouveau moratoire dans la législation française sur le surendettement constituerait une spécificité au regard des législations étrangères : aucune législation parmi celles d'Allemagne, d'Angleterre, de Belgique, du Danemark, des Pays-Bas, de la Suisse, du Québec ou des Etats-Unis, ne prévoit explicitement la possibilité d'un moratoire lorsque les revenus des débiteurs sont insuffisants pour permettre l'élaboration d'un plan.

La réduction ou l'effacement des créances

Si la mise en place d'un moratoire n'est pas une véritable innovation, la possibilité d'une réduction ou d'un effacement des créances, inscrite dans le second alinéa du nouvel article L. 331-7-1 du code de la consommation constitue une réelle nouveauté dans la législation française. Jusqu'à présent, il n'existait en effet qu'une simple possibilité de réduction des prêts immobiliers en cas de vente du logement principal du débiteur, possibilité prévue au 4° de l'article L. 331-7 du code de la consommation.

Cette innovation répond au constat dressé par le Conseil national de la consommation dans son avis précité du 4 décembre 1997. Le Conseil estime en effet « qu'il y a nécessité de prévoir la possibilité d'un abandon de créances pour les personnes qui se trouvent dans des situations extrêmes afin de leur permettre de repartir dans la vie dans des conditions viables ». Le Conseil ajoute cependant que « le recours à ces mesures revêt un caractère exceptionnel qui doit bien sûr être encadré par les conditions strictes ».

Les dispositions introduites par le second alinéa du nouvel article L. 331-7-1 du code de la consommation sont les suivantes.

A l'issue de la période de moratoire, la commission réexamine la situation du débiteur. Si elle s'est améliorée, la procédure reprend au stade de la phase de recommandation. Si elle ne permet toujours pas d'établir un plan de redressement et si le débiteur demeure insolvable, la commission peut recommander, par une proposition spéciale et motivée, la réduction ou l'effacement des dettes du débiteur. Il appartient ensuite au juge de l'exécution, après avoir vérifié la régularité et le bien fondé de la proposition, de lui donner force exécutoire.

Ce dispositif général est complété par certaines dispositions particulières, permettant d'encadrer le recours à cette procédure :

- la réduction ou l'effacement peuvent être différenciés si, « en équité », la situation respective des créanciers le demande ;

- la réduction ou l'effacement ne sont applicables qu'aux « créances autres qu'alimentaires, fiscales, parafiscales ou envers un organisme de sécurité sociale » ;

- aucune dette contractée postérieurement à l'entrée en vigueur de la procédure et pouvant éventuellement donner lieu à réduction ou à effacement ne pourra faire l'objet d'une nouvelle réduction ou d'un nouvel effacement sur une période de dix ans.

Ce dispositif apparaît donc comme une alternative à la procédure de « faillite civile », applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de Moselle. Cette alternative se veut toutefois réaliste car elle vise à éviter certains effets pervers de ce système énoncés par le rapport d'information précité : risque de « stigmatisation » des faillis, risque de déresponsabilisation des emprunteurs, risque de fraude, coût de la procédure pour les débiteurs, inscription obligatoire du jugement de liquidation au casier judiciaire...

Ce dispositif permet également d'aligner la législation française sur les législations étrangères. La législation allemande, anglaise, danoise et américaine et les projets de lois belge et néerlandais actuellement en cours de discussion prévoient en effet que le débiteur peut, à l'issue de la procédure, obtenir l'effacement des dettes résiduelles.

- Les paragraphes II, III, IV, V et VI constituent des modifications qui visent à mettre en cohérence le code de la consommation avec la nouvelle procédure définie au paragraphe I.

L'Assemblée nationale a, en première lecture, sensiblement modifié le texte proposé par le Gouvernement. Outre quelques modifications purement rédactionnelles, les principales modifications sont les suivantes.

L'Assemblée nationale a d'abord adopté, contre l'avis du Gouvernement, un amendement de Mme Véronique Neiertz, rapporteur de la commission spéciale, qui étend le principe du moratoire aux cas dans lesquels le surendettement est exclusivement dû à l'existence d'un cautionnement.

L'Assemblée nationale a également adopté, contre l'avis du Gouvernement, deux amendements présentés par le rapporteur, cosignés par M. Patrick Devedjian et Mme Muguette Jacquaint, qui étendent les possibilités de moratoire et d'effacement aux « créances fiscales, parafiscales ou envers les organismes de sécurité sociale ».

On estime que les dettes fiscales, parafiscales et envers les organismes de sécurité sociale (essentiellement composées de la taxe d'habitation, de l'impôt sur le revenu et de la redevance télévision) représentent 4 % du total du passif des surendettés.

Or ces dettes, en vertu du « privilège du Trésor » n'entrent pas actuellement dans le champ de compétence de la commission de surendettement. En revanche, les services fiscaux accordent assez largement des remises gracieuses. Ainsi, en 1997, 560.000 remises gracieuses ont été accordées, pour un montant de l'ordre d'un milliard de francs.

Dans le projet de loi initial, le Gouvernement avait prévu d'exclure les « dettes fiscales » et assimilées du champ du présent article 48. Il estimait en effet que la procédure actuelle de remise gracieuse offre une plus grande rapidité et une plus grande souplesse qu'une procédure de surendettement. Il soulignait en outre que la nécessaire confidentialité des informations fiscales sur les particuliers, le maintien du privilège du Trésor, l'impossibilité jusque-là affirmée pour le juge civil d'effacer une dette envers l'Etat sont autant d'obstacles de droit et de principe à l'intégration des « dettes fiscales » dans le champ de l'article 48.

Le Gouvernement a toutefois déposé un amendement modifiant le livre des procédures fiscales, afin de renforcer le lien entre services fiscaux et commissions de surendettement. Les remises gracieuses seraient alors « également prises au vu des décisions ou des recommandations de la commission de surendettement ».

L'Assemblée nationale a cependant refusé le dispositif présenté par le Gouvernement. Elle a souhaité intégrer les « dettes fiscales » dans le champ de l'article 48. Trois justifications principales ont ainsi été avancées au cours du débat en séance publique :

- les remises gracieuses accordées par les services fiscaux ne donnent pas toujours satisfaction en matière de surendettement,

- les commissions de surendettement ont vocation à proposer un traitement global pour l'ensemble des dettes,

- l'exclusion des « dettes fiscales » irait à l'encontre de l'équité, en introduisant une disparité de traitement entre créancier public et créancier privé.

L'Assemblée nationale a également adopté deux amendements du rapporteur qui prévoient que le moratoire entraîne la suspension du paiement des intérêts et que « seules les sommes dues au titre du capital sont de plein droit productrices d'intérêt au taux légal ».

L'Assemblée nationale a adopté un amendement du rapporteur qui ramène de dix à huit ans la période pendant laquelle une nouvelle réduction ou un nouvel effacement de dettes n'est pas possible. Cela permet d'aligner la durée des incidences d'un effacement et celle d'un plan de redressement.

L'Assemblée nationale a enfin adopté un amendement du rapporteur qui rappelle la gratuité totale de l'assistance des parties devant la commission.

Votre commission vous propose d'adopter cet article sous réserve des amendements qui pourront être proposés par les commissions des lois et des finances.

Page mise à jour le

Partager cette page