B. LA QUESTION DE L'ÉVOLUTION DU RÉGIME
La réflexion sur l'évolution du régime forestier des collectivités est amorcée depuis plusieurs années.
Un rapport d'audit sur la situation de l'ONF établi par l'IGF, l'IGE et le CGGREF en juillet 2003 s'exprimait déjà en ces termes :
« Il paraît clair que les collectivités propriétaires devront dans l'avenir apporter une contribution mieux en rapport avec ce que coûtent la surveillance et la gestion de forêts dont, en moyenne, elles tirent un profit plus élevé que le coût total du régime forestier. Les difficultés que beaucoup d'entre elles ont rencontrées avec les tempêtes de 1999 ont pu conduire à différer la remise en ordre, mais elle devra être un objectif pour le contrat suivant. Il faudra envisager alors qu'une part des frais de garderie soit assise sur autre chose que les ventes de bois, pour tenir compte des forêts peu productives dont la fonction principale est environnementale ou sociale. En 1994, l'IGF avait proposé qu'une partie des frais de garderie soit fixée à l'hectare afin de mieux tenir compte des frais fixes que cette mission induit pour l'ONF. Cette proposition garde toute sa valeur. Certes, les modalités de calcul des frais de garderie relèvent de la loi et les précédentes tentatives de révision (1979 et 1995) n'ont permis qu'une adaptation limitée, mais il n'en demeure pas moins anormal que la collectivité nationale finance les communes forestières ».
L'État a envisagé à plusieurs reprises de modifier et de majorer la contribution des communes forestières, notamment en introduisant un deuxième facteur de contribution proportionnel à la surface de forêt gérée. Il s'agissait, en particulier, de susciter une contribution de communes ne participant que de manière symbolique au financement des services apportés par l'ONF en raison de leur très faible production de bois (les frais de garderie représentant 10 ou 12 % du chiffre d'affaire bois). Ces initiatives se sont heurtées à une forte opposition des communes forestières et ont conduit l'État à renoncer à son projet non seulement en 1979 et 1995 mais aussi en 2005 et 2008.
Il n'appartient pas à la Cour de déterminer a priori ce que doit être le partage global des charges du régime forestier entre l'État et les collectivités locales, partage qui relève d'une décision fondamentalement politique. Toutefois, outre les tensions financières précédemment analysées, on ne peut manquer de relever que les frais de garderie tels qu'ils sont calculés aujourd'hui entraînent une certaine inégalité entre collectivités. Leur montant est, pour une commune, sans rapport avec sa capacité contributive et les prestations de l'office. Il est, par ailleurs, étroitement lié aux options d'exploitation et de vente qu'elle aura retenues : la charge pesant sur une commune sera d'autant plus élevée qu'elle aura une politique active d'exploitation commerciale de sa forêt (mais ses recettes seront également plus élevées). Inversement, une commune qui négligera une telle exploitation - à supposer qu'elle soit possible - mais qui bénéficiera de prestations de l'office au titre du régime forestier, sera relativement favorisée. Ceci ne va pas dans le sens d'une meilleure mobilisation de la ressource forestière telle que l'a recommandée le Président de la République 42 ( * ) .
III. LES ACTIVITÉS CONCURRENTIELLES DE L'OFFICE : UN SECTEUR DÉFICITAIRE
Avec 125,2 M€ de produits en 2007, les activités « concurrentielles » de l'office représentent un élément essentiel de son équilibre. Le tableau ci-après en décompose le résultat analytique sur 2006 et 2007.
Résultat analytique des activités concurrentielles de l'office de 2005 à 2007
2005 |
2006 |
2007 |
Evol. 2007 vs 2006 |
||||||
(milliers d'euros) |
Solde |
Charges |
Produits |
Solde |
Charges |
Produits |
Solde |
Montant |
% |
"Patr." - Travaux |
-1 784 |
55 983 |
55 685 |
-298 |
52 833 |
52 989 |
156 |
453 |
152 % |
"Patr." - Expertise & Services |
-1 401 |
3 782 |
2 418 |
-1 364 |
3 646 |
2 441 |
-1 204 |
160 |
12 % |
"Patr." - Maîtrise d'oeuvre |
-3 887 |
10 300 |
6 616 |
-3 684 |
11 242 |
6 800 |
-4 442 |
-758 |
- 21 % |
Total "Patrimonial" |
-7 071 |
70 065 |
64 720 |
-5 346 |
67 720 |
62 230 |
-5 491 |
-145 |
- 3 % |
"Serv." - Produits finis |
-1 528 |
11 909 |
10 924 |
-985 |
2 743 |
2 956 |
214 |
1 199 |
122 % |
"Serv." - Travaux |
-866 |
30 797 |
28 228 |
-2 569 |
35 274 |
35 897 |
622 |
3 191 |
124 % |
"Serv." - Expertise & Services |
-2 431 |
19 071 |
15 674 |
-3 397 |
26 219 |
20 947 |
-5 272 |
-1 875 |
- 55 % |
"Serv." - Maîtrise d'oeuvre |
-1 532 |
4 477 |
2 782 |
-1 695 |
4 611 |
3 182 |
-1 430 |
265 |
16 % |
Total "Services" |
-6 357 |
66 253 |
57 608 |
-8 646 |
68 848 |
62 982 |
-5 866 |
2 779 |
32 % |
Total Produits finis |
-1 528 |
11 909 |
10 924 |
-985 |
2 743 |
2 956 |
214 |
1 199 |
122 % |
Total Travaux |
-2 650 |
86 780 |
83 913 |
-2 867 |
88 107 |
88 885 |
778 |
3 645 |
127 % |
Total Expertise & Services |
-3 831 |
22 853 |
18 092 |
-4 761 |
29 865 |
23 388 |
-6 477 |
-1 716 |
- 36 % |
Total Maîtrise d'oeuvre |
-5 419 |
14 777 |
9 398 |
-5 379 |
15 853 |
9 981 |
-5 872 |
-493 |
- 9 % |
Total |
-13 428 |
136 319 |
122 327 |
-13 991 |
136 568 |
125 211 |
-11 357 |
2 635 |
19 % |
Source : ONF, bilan analytique 2007
Ces prestations s'adressent soit aux collectivités bénéficiant du régime forestier (activités dites « patrimoniales »), soit à d'autres clients de l'ONF (activités dites de « services »).
Si ces deux domaines sont d'un volume comparable tant en charges qu'en produits, la composition des prestations concernées est très différente.
S'agissant des collectivités bénéficiant du régime forestier, les prestations de services sylvicoles (appelées communément « travaux ») et, dans une moindre mesure, la direction et l'encadrement de ceux-ci, constituent l'essentiel des prestations. Celles-ci se situent dans le prolongement du régime forestier 43 ( * ) et l'on peut supposer qu'elles s'adressent à une clientèle relativement stable et peut-être même, d'une certaine manière, assez largement captive. Ceci explique aussi que les expertises et services, prestations d'ingénierie forestière figurant déjà dans le régime forestier, soient relativement peu importantes.
Il n'en est pas de même des prestations aux autres clients de l'ONF pour lesquels les positionnements et la gamme de produits concernés sont plus larges.
A ces activités, les contrats d'objectifs successifs ont assigné un objectif d'équilibre et même de rentabilité. Ainsi le contrat 2007-2011 prévoyait que :
- pour les forêts communales, l'ONF poursuive la réorganisation de son activité de travaux au profit des communes forestières dans trois directions :
- dégager une marge nette positive,
- adapter et standardiser de manière accrue ses prestations,
- maîtriser l'évolution de ses tarifs.
- pour l'ensemble des prestations de services, l'office :
- renforce la professionnalisation de ses activités de prestations de services en poursuivant l'adaptation de son offre et l'amélioration de son organisation pour mieux répondre aux attentes des marchés,
- dégage un résultat net positif sur chacune de ces activités dès 2007,
- dégage une hausse de la valeur ajoutée de 10 % par an.
Dans les faits, l'ensemble des activités concurrentielles, même si l'année 2007 a connu un redressement des marges sur les travaux, a été constamment déficitaire sur la période examinée par la Cour.
Concernant les activités patrimoniales, les résultats du secteur travaux ne parviennent pas à compenser le déficit persistant des activités d'expertise et de maîtrise d'oeuvre, ce qui signifie que les prestations correspondantes sont « vendues » à perte, portant ainsi potentiellement atteinte aux règles de la concurrence. L'origine de ce déficit tient au fait que ces prestations étaient réalisées gracieusement dans le cadre du régime forestier, qu'il a été mis fin à ces pratiques depuis 2002 mais qu'il reste encore très difficile pour l'ONF de les facturer aux communes sur la base du temps réellement consacré. En effet, le temps déclaré par les agents forestiers, qui sert de base au calcul de coût, reste encore insuffisamment maîtrisé, en particulier parce qu'ils y consacrent trop de temps au regard de la norme pour ce type d'activité.
Pour les activités de service « non patrimoniales », les plus concurrentielles, le chiffre d'affaires n'a jamais véritablement décollé, comme le montre le graphique ci-après. Il était sensiblement égal en 2007 à celui de 2001.
Produits et résultat relatifs aux
activités concurrentielles non patrimoniales
de l'ONF en 2001-2007
(en millions d'euros)
Source : ONF, rapports analytiques annuels (période 2001-2007) ; retraitements Cour
Cette situation de déficit, qui persiste depuis de nombreuses années, appelle la définition d'une stratégie, basée sur une analyse détaillée des causes du déficit, analyse qui ne semble pas avoir été réalisée jusqu'à présent.
L'office semble avoir fait des choix de gestion discutables en début de période, concernant cette ressource pourtant importante pour lui et non corrélée au marché du bois. L'activité concurrentielle n'a pas connu de réelle dynamique, son développement ayant été largement laissé à la charge des unités de terrain. Il en est résulté des approches et des résultats en termes de chiffre d'affaires hétérogènes entre régions. Le niveau de professionnalisation des agents et de leur structure pour l'exercice de ces activités était lui aussi hétérogène, et globalement insuffisant. L'absence de politique commerciale structurée, s'appuyant sur des compétences adaptées, apparaît comme le défaut de pilotage majeur.
Au-delà de l'amélioration de la commercialisation et du renforcement du marketing récemment mises en oeuvre, l'ONF espère des gains de productivité de ses réorganisations internes :
- la création d'agences travaux, regroupement de la gestion des moyens techniques au niveau des directions territoriales, gestion précédemment dispersée au niveau des unités de terrain, intéresse l'ensemble des activités d'exploitation forestières de l'ONF. Elle a été généralisée au 1 er janvier 2009. Sur le point plus particulier des prestations de services, il devrait en résulter un allégement des fonctions d'encadrement et, au niveau territorial, un rapprochement des fonctions commerciales et des fonctions de prestations de service. Cette réforme est diversement accueillie par les personnels de terrain ;
- l'ONF a par ailleurs décidé la création de bureaux d'études territoriaux. Mais la mise en place en a été différée.
Cependant :
- l'office ne dispose pas encore de moyens d'apprécier la rentabilité des différents produits développés localement ou au niveau national, puisque la comptabilité analytique ne prévoit qu'un découpage par grand type d'intervention (produits finis, travaux, études et expertises, maîtrise d'oeuvre, autres services). Seul un suivi des recettes selon ces types d'intervention, et non des marges nettes, par grande famille de produits, est aujourd'hui possible. Le développement en cours d'un outil informatique dénommé SEQUOIA devrait y remédier ;
- une modification des comportements et des modes opératoires s'impose. En réponse à la Cour, l'ONF, pour expliquer le déficit de ces activités fait état d'une « surqualité » en matière de prestations de services. Compte tenu de la formation des prix facturés aux clients, directement proportionnels au temps prévisionnel nécessaire à la réalisation de la prestation, cette hypothèse est crédible. Ce qui revient à dire qu'il existe en ce domaine des gisements de productivité encore à exploiter.
IV. LES MISSIONS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL : L'ÉVOLUTION DES RÈGLES DE FINANCEMENT
Les missions dites d'intérêt général (MIG) sont des actions dont des personnes publiques (État, collectivités) ont confié l'exécution à l'office, en vue de la satisfaction de besoins d'intérêt général 44 ( * ) . Elles concourent à un produit total de 67,8 M€ en 2007. Elles présentent la même année un déficit (produits - charges analytiques) de 12 M€, qui ne revêt cependant pas une signification claire du fait de la diversité des activités exercées, répondant ou non au principe de couverture des coûts complets.
Résultat analytique des missions d'intérêt général de 2005 à 2007
(milliers d'euros) |
2005 |
2006 |
2007 |
||||||
Charges |
Produits |
Solde |
Charges |
Produits |
Solde |
Charges |
Produits |
Solde |
|
Projets complexes |
5 623 |
3 289 |
-2 335 |
||||||
Travaux touristiques |
13 472 |
10 572 |
-2 900 |
13 350 |
10 748 |
-2 602 |
14 822 |
12 210 |
-2 612 |
Conventions nationales |
24 752 |
21 565 |
-3 187 |
25 223 |
21 581 |
-3 642 |
45 777 |
39 952 |
-5 825 |
Conventions locales |
18 187 |
16 102 |
-2 085 |
20 582 |
18 134 |
-2 449 |
13 658 |
12 446 |
-1 211 |
Total |
56 410 |
48 239 |
-8 172 |
59 155 |
50 463 |
-8 692 |
79 880 |
67 897 |
-11 983 |
Source : ONF ; bilan analytique 2007
Les missions d'intérêt général regroupent ainsi : des missions nationales (42 % des produits générés par les missions d'intérêt général en 2007) confiées par les ministères chargés de l'agriculture et de l'environnement, telles que la restauration des terrains en montagne ou la défense contre les incendies ; des missions locales (26 % des produits) ; des travaux touristiques réalisés en forêt domaniale avec le soutien financier des collectivités (25 % des produits) ; des projets complexes de nature forestière, en partie financés par l'Union européenne (7 % des produits).
Que l'ONF, établissement public de l'État, soit investi par celui-ci de missions d'intérêt général ne prête pas à discussion. On peut en revanche s'interroger sur le point de savoir si le coût de ces missions doit être partiellement financé par l'office sur des ressources qui, en définitive, comme on l'a vu, sont des ressources commerciales tirées de l'exploitation des forêts domaniales.
Pour ce qui est des conventions nationales, la doctrine a évolué avec les contrats d'objectif.
Le contrat 2001-2006 avait posé le principe d'un financement intégral de ces missions par l'État. La réalité n'a pas été tout à fait conforme au principe. L'examen des conditions financières d'exécution des conventions fait en effet apparaître des difficultés de financement de la part de l'Etat sur la durée du contrat 2001-2006, liées à l'absence de définition suffisamment précise des missions confiées à l'office, au manque de financement budgétaire disponible, à des retards de paiement cumulés ou au mauvais dimensionnement des opérations. La Cour en a relevé quelques exemples :
- les difficultés rencontrées par l'office dans le cadre de la mission d'intérêt général (MIG) relative à la restauration des terrains en montagne, l'une des MIG les plus importantes (en volume financier) ; jusqu'à ce qu'une réunion interministérielle ne permette le 23 août 2006 de trancher la question, nombre d'actions réalisées par l'office n'étaient prises en charge par aucun ministère ; ce dossier s'est soldé par une perte pour l'office de 1,9 M€ ;
- l'absence de convention signée entre le ministère chargé de l'agriculture (MAP) et l'ONF en 2003 concernant les actions de l'office pour le compte des directions de l'agriculture et de la forêt des DOM, pour un montant prévisionnel de 1,094 M€,
conséquence d'un gel budgétaire pour le MAP ; de façon plus générale, ces missions étaient accomplies depuis plusieurs années par l'ONF, mais la première convention n'a été établie qu'en 2002 ;
- les difficultés de financement des missions exercées par l'office dans le cadre de la gestion des domaines présidentiels : les crédits n'ont pu être obtenus par le ministère chargé de l'environnement qu'en 2002, après une demande spécifique d'ouverture de crédits au niveau d'une réunion interministérielle du 26 septembre 2001 ; ce ministère a ensuite été invité à dégager les crédits nécessaires à partir de 2003 ;
- l'absence de paiement par le MAP de la moitié des factures relatives aux travaux sur les dunes littorales en 2003 (mise en paiement de 434 521 € sur 901 600 € facturés), conséquence d'un gel de crédits.
- le mauvais dimensionnement de certaines missions d'intérêt général par rapport aux moyens alloués. Ainsi, selon les indications de l'office, l'appui à la gestion de crise en matière de prévention des risques en montagne « souffre d'une insuffisance de financements notoire et place par ailleurs les services RTM dans des situations très délicates puisqu'ils ne peuvent pas limiter leur intervention à une journée seulement 45 ( * ) [...] que cette crise soit gérée par un préfet ou un maire ».
Le principe de couverture des coûts complets a été remis en cause dans le cadre du contrat 2007-2011. Ce changement de politique s'est traduit, aux termes mêmes du contrat (annexe 2), par la fixation de taux d'autofinancement par l'ONF, en augmentation progressive sur la période 2007-2011, pour atteindre 54 % en 2011, ceci pour les seules missions confiées par le ministère chargé de l'agriculture.
En dehors des conventions nationales, une assez grande liberté est laissée à l'office pour déterminer le financement des actions. Il en résulte des incertitudes sur les conditions de prise en charge par l'office du financement de certains travaux (aménagements touristiques par exemple).
* 42 Discours d'Urmatt, 10 mai 2009.
* 43 Les travaux concernés sont essentiellement les suivants : régénération naturelle, plantation, regarnis de plantation, complément de régénération naturelle, création et entretien de cloisonnements sylvicoles, dégagement de semis ou de jeunes plants, taille de formation, nettoiement des jeunes peuplements, dépressage des jeunes peuplements, détourage, élagage, entretien des limites et du parcellaire, entretien des routes et chemins forestiers, création et entretien de cloisonnements d'exploitation.
* 44 Elles échappent au marché et se distinguent ainsi des activités concurrentielles ; elles excluent également des actions de gestion forestière.
* 45 Durée maximale d'intervention financée prévue en réunion interministérielle du 23 août 2006