TROISIÈME PARTIE : FACE AUX ÉVOLUTIONS DU CANCER ET AUX DÉFIS POSÉS POUR LA SOUTENABILITÉ DE NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ, L'INSTITUT NATIONAL DU CANCER DOIT PARTICIPER À LA RÉORGANISATION DE L'OFFRE DE SOINS EN CANCÉROLOGIE

I. LES ÉVOLUTIONS DE LA MALADIE PLACENT NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ SOUS TENSION FINANCIÈRE

La lutte contre les inégalités face au cancer constitue un des objectifs structurants du troisième plan cancer. Les inégalités recouvrent plusieurs dimensions, économiques et sociales, mais aussi territoriales s'agissant de l'accès aux soins. Elles se retrouvent dans les trois défis principaux posés par le cancer, pour le traitement desquels l'INCa doit jouer un rôle central.

Il s'agit :

- de la prise en compte des facteurs de risques collectifs ;

- de l'organisation des soins et de leur égal accès ;

- de la prise en charge financière du cancer.

Le rôle de l'Institut national du cancer tient d'abord à sa mission d'expertise et de veille scientifique. Mais ce travail ne se limite pas à une veille passive. Dans certains cas, l'INCa attire l'attention des administrations centrales sur des évolutions qui peuvent avoir un impact sur la prise en charge des patients, sur l'accès à l'innovation et sur la soutenabilité financière pour le système de santé. Cette veille vise alors à nourrir la prise de décision. Ainsi, l'INCa a alerté depuis l'été 2015 les administrations centrales sur l'impact des thérapies ciblées, et plus particulièrement de l'immunothérapie, sur la prise en charge de patients et l'accès à l'innovation au regard des progrès thérapeutiques apportés et des prix de ces médicaments.

A. LA NÉCESSAIRE APPRÉHENSION DES FACTEURS DE RISQUES COLLECTIFS

1. Un facteur difficile à appréhender, mais à la racine de nombreuses inégalités

Les avancées dans les traitements et la généralisation des dépistages permettant un diagnostic plus précoce ont permis d'amorcer une baisse du nombre de morts par cancer ces dernières années. Cependant, cette évolution agrégée masque la hausse du nombre de cas de cancers attribués à des facteurs environnementaux, ou pour lesquels une forte présomption de lien existe. De fait, le pourcentage de 40 % de cancers qualifiés d'évitables recouvre les cancers liés à la fois à des risques individuels et à des risques collectifs. Or ces facteurs sont plus complexes à appréhender, car leur documentation peut faire défaut, et car le lien de causalité est plus difficile à établir. En particulier, les facteurs de risque professionnels d'un cancer sont généralement sous-identifiés du fait de leur latence de survenue. Or, selon l'InVS, entre 4 % et 8,5 % des cancers seraient attribuables à des expositions d'origine professionnelle. En 2010, d'après l'enquête conduite par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et la direction générale du travail « SUrveillance Médicale des Expositions aux Risques professionnels » 52 ( * ) (Sumer 2010), 2,2 millions de salariés ont été exposés à au moins un produit chimique cancérigène au cours de la dernière semaine travaillée, soit 10 % des salariés.

Les facteurs de risque collectifs constituent en ce sens un défi à plusieurs niveaux car, comme ils sont d'appréhension malaisée, les premières actions ont privilégié les facteurs individuels. La recherche, l'observation et la prévention doivent désormais mieux intégrer la composante collective des facteurs d'occurrence de la maladie. Ainsi, dans une documentation relative aux cancers professionnels établie par l'INCa en avril 2015, l'estimation des fractions attribuables de cancers à une exposition professionnelle s'appuie sur des données de 2003.

Environnement et cancer

Les cancers constituent une maladie multifactorielle. Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) estime que des facteurs environnementaux au sens large, incluant le tabagisme, l'alcoolisme, le surpoids et l'obésité, l'activité physique, les expositions à différents agents physico-chimiques et à des agents biologiques (virus) par voie alimentaire, cutanée et respiratoire interviennent dans un très grand nombre de cancers.

Toutefois, la contribution de l'environnement est difficile à quantifier en dépit de nombreux progrès des connaissances du fait des études épidémiologiques et toxicologiques au cours des dernières décennies. Une expertise collective a été réalisée par l'INSERM sur cancers et environnement dans le cadre du Plan National Santé Environnement (PNSE1) en deux temps (2005 et 2008) qui a permis de tracer des perspectives en lien avec neuf localisations cancéreuses (tumeurs cérébrales, poumons, ovaires, thyroïde, mésothéliome, sein, testicule, prostate, hémopathies malignes) qui peuvent constituer un cadre de référence. À la demande de l'INCa et de l'ANSES, cette expertise sera renouvelée, pour évaluer l'avancement des connaissances dans ce champ, identifier les cancers prioritaires à surveiller en lien avec l'environnement et ainsi guider l'action publique sur les mesures de réduction des expositions adaptées et celles de gestion des risques.

La population générale est exposée à des faibles voire très faibles doses, à une multitude d'agents chimiques et physiques présents dans l'environnement, par inhalation, contact cutané ou ingestion. Certains sont des agents cancérigènes avérés : pollution atmosphérique (classée cancérigène certain par le CIRC en 2013), formaldéhyde (présent dans différents produits de consommation tels que produits d'entretien ménager, colles), insecticides arsenicaux (ingestion, inhalation), rayonnements ionisants (radon, imagerie médicale, émissions et déchets des installations nucléaires), UV, amiante résiduelle dans le bâti, effleurements naturels d'amiante, benzène (industries, stations-service...), ou encore certaines substances chimiques dont la commercialisation est désormais interdite mais persistantes dans l'environnement, les dioxines (émissions d'incinérateurs dans les années 90) et les PCB qui ont contaminé de nombreux cours d'eaux et poissons en France.

Les expositions en milieu professionnel aux substances chimiques et physiques sont souvent plus importantes qu'en population générale, tant en durée qu'en intensité ; elles induisent des pathologies qui prennent des formes complexes et de nombreux travaux menés depuis plusieurs décennies ont néanmoins permis d'identifier un certain nombre de facteurs de risques sur la santé notamment professionnels.

Source : INCA

Cet enjeu est d'autant plus fort qu'il s'inscrit dans la lutte contre les inégalités sociales et territoriales : les cancers liés à l'environnement ou aux conditions professionnelles participent des différences dans l'occurrence des cancers. Ainsi, les territoires ultramarins se trouvent particulièrement exposés à certains types de cancers : le cancer de la prostate, en raison de l'utilisation du chlordécone en Martinique et Guadeloupe en particulier ou les cancers de l'estomac à la Réunion. Aux inégalités d'occurrence se conjuguent ensuite des inégalités d'accès aux soins, de sorte que le taux de décès dû au cancer de la prostate est par exemple deux fois supérieur en Martinique à celui de l'hexagone.

De même, ces facteurs entraînent des inégalités sociales. Parmi les salariés particulièrement exposés aux agents cancérogènes, certaines catégories de travailleurs sont davantage concernées puisque deux tiers des exposés sont des ouvriers. Tous les secteurs d'activité et métiers exposent leurs travailleurs aux risques de cancer, mais certains plus que d'autres : le secteur de la construction est le secteur le plus concerné avec 31,9 % de ses salariés exposés, puis l'industrie (17,7 %) et l'agriculture (13,5 %). De plus, du fait de leur mauvaise identification, les cancers professionnels ne sont souvent pas déclarés comme tels et donc non indemnisés au titre des maladies professionnelles.

Nombre de salariés exposés à des produits cancérogènes

Cancérogènes (liste non exhaustive)

Nombre de salariés exposés

Gaz d'échappement diesel

798 000

Huiles minérales entières

537 500

Poussières de bois

369 600

Silice cristalline

294 900

Plomb et dérivés

115 300

Goudrons de houille et dérivés, bitume et brais de pétrole

111 000

Source : Surveillance Médicale des Expositions aux Risques professionnels (SUMER), 2010

Estimation des fractions attribuables de cancers à une exposition professionnelle (hors agents biologiques)

Types de cancers

Agents cancérogènes

Fractions attribuables 53 ( * )

Cancers du poumon

Tous cancérogènes professionnels

Amiante

13 % - 29 %

10 % - 14 %

Mésothéliome

Amiante

85 %

Cancers de la vessie

HAP et amine aromatiques

10 % - 14 %

Cancers naso-sinusiens

Bois, nickel, chrome, cuire

7 % - 41 %

Leucémies

Benzène, rayonnements ionisants

10 % - 18 %

Source : InVS, sur données de 2003

2. L'Institut national du cancer s'est tardivement saisi des facteurs de risques collectifs

La prise en compte des facteurs de risques collectifs recoupe plusieurs plans nationaux : le plan santé environnement, le plan santé travail et le plan cancer. L'action de l'INCa pour la prise en compte des cancers professionnels et des agents cancérogènes dans l'environnement doit donc s'attacher à assurer une cohérence entre les différents acteurs. S'agissant des cancers professionnels et des facteurs de risques liés à l'environnement, l'INCa entretient des relations avec plusieurs acteurs : directions d'administration centrale (direction générale de la santé, direction générale du travail), autres opérateurs (HAS, ANSES, ex-InVS, INPES), médecine du travail.

Dans ce cadre, les actions visent en premier lieu à réduire les expositions aux cancérogènes avérés et suspectés. L'INCa produit et diffuse des outils destinés aux professionnels des services de santé au travail : un bulletin de veille documentaire « Cancer pro actu » ainsi qu'une base de données sur la prévention primaire des cancers professionnels.

L'INCa met aussi à la disposition du grand public et des professionnels de santé des documents de synthèse dressant l'état des connaissances sur le lien entre l'exposition en milieu de vie professionnelle et la survenue de cancer selon les facteurs de risques (cf. encadré). Afin de mieux identifier les cancers résultant d'une exposition professionnelle, l'INCa a publié une brochure d'aide à la déclaration en maladie professionnelle des cancers. Une meilleure identification des cancers d'origine professionnelle par la déclaration en maladie professionnelle permettrait d'améliorer la connaissance sur ces pathologies et d'élaborer une politique plus efficace de prévention des expositions aux cancérogènes en milieu de travail.

À la demande de la direction générale du travail, l'INCa soutient financièrement et méthodologiquement, en lien avec la HAS, la production de recommandations de bonnes pratiques à destination des médecins du travail sur le suivi médical des personnes exposées à des risques de cancers professionnels, élaborées par la société française de médecine du travail. Elles concernent notamment les cancers broncho-pulmonaires, les cancers de la vessie, et les poussières de bois.

En outre, l'INCa soutient plusieurs projets pour surveiller les populations exposées à des agents cancérogènes, dans le cadre du réseau Francim. En particulier, la faisabilité du croisement des bases de données des registres des cancers avec les bases de données de la caisse nationale d'assurance vieillesse est à l'étude. Ce projet permettrait d'assurer une surveillance épidémiologique des cancers d'origine professionnelle en produisant des taux d'incidence des cancers par profession et par secteur d'activité de façon répétée au cours du temps.

En vue d'améliorer les connaissances sur les liens entre environnement et cancer, l'INCa soutient des projets de recherche et d'études. L'INCa et l'ANSES ont saisi l'Inserm fin 2015 pour mettre à jour l'expertise sur les liens entre cancer et environnement.

3. Des efforts doivent encore être conduits pour appréhender ces risques

L'approfondissement des recherches sur les facteurs de risques collectifs du cancer constitue un préalable indispensable. Dans la mesure où les liens entre ces facteurs de risques et la maladie sont moins documentés et où les effets de mesures de prévention sont plus indirects, l'INCa a jusqu'ici concentré ses efforts sur les facteurs individuels. Cependant, son autorité étant désormais reconnue, l'INCa doit mieux investir l'appréhension et le traitement des risques collectifs.

Il existe des obstacles à cette meilleure appréhension des risques collectifs, qui chevauchent les compétences de multiples acteurs, dont une médecine du travail fragilisée par l'érosion de ses effectifs. S'ajoutent également des incertitudes scientifiques et la difficulté à établir des liens tangibles entre produits et cancers. Toutefois, l'expertise scientifique et sanitaire de l'INCa doit lui permettre de mieux documenter le poids de ces facteurs dans la survenue d'un cancer.

De même, l'INCa a un rôle moteur à jouer en matière de prévention pour insuffler la dynamique qu'il a déjà su apporter pour le traitement des cancers. La prévention sur les comportements adaptés face aux agents cancérogènes doit mieux intégrer la capacité du message à être entendu et suivi par les salariés. Soumis quotidiennement à des agents à risques, les travailleurs sont amenés à réduire leur importance pour poursuivre leur activité professionnelle. De fait, pour être perçue, la prévention doit prendre en compte cette dimension psychologique dans son information sur les précautions nécessaires.

Dans la mesure où les facteurs de risques collectifs, qu'ils soient environnementaux ou professionnels, s'inscrivent souvent dans le cadre d'un territoire, il faut insister sur l'importance d'une relation à double sens entre l'INCa et les agences régionales de santé. Le cadre précisé à la suite du troisième plan cancer a permis de mieux articuler la dimension thématique de l'Institut et l'ancrage régional des agences de santé selon une logique majoritairement descendante. Afin d'assurer une meilleure appréhension des risques environnementaux, les ARS doivent pouvoir mieux relayer à l'Institut national du cancer les problématiques locales auxquelles elles sont particulièrement exposées, afin de nourrir une étude puis une action nationale à ce sujet.

Recommandation n° 10 : Mieux assurer les conditions d'une relation à double sens entre l'INCa et les ARS, afin de mieux prendre en compte des problématiques locales, notamment dans le champ des risques collectifs de survenue du cancer, qui nécessiteraient une étude et une action nationales.


* 52 « Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer) », direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et direction générale du travail (DGT), édition 2010.

* 53 La fraction attribuable estime la proportion de cas (ou de décès) qui aurait pu être évitée si l'exposition à l'agent d'intérêt n'avait pas existé.

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