C. POUR MAINTENIR SON ACTION, DES MARGES DE MANoeUVRE INTERNES ET DE PILOTAGE DOIVENT ÊTRE RECHERCHÉES

1. Un pilotage rendu plus complexe par l'existence d'une cotutelle

La vision intégrée de l'INCa justifie la tutelle conjointe des deux ministères chargés de la santé et de la recherche. Toutefois, cette double tutelle ainsi que la possibilité d'une appréhension différente de l'évolution du rôle de l'opérateur exposent à une coordination insuffisante, voire difficile.

La décision de création de l'Institut résulte avant tout d'une décision au plus haut niveau de l'État, de sorte que les relations entre les directions d'administration centrale investies de la tutelle et l'INCa ont mis du temps à se stabiliser. Ces difficultés initiales sont rappelées dans l'insertion au rapport public annuel de 2009 sur l'INCa, qui  souligne : « jusqu'en 2006, l'exercice normal de la tutelle et du contrôle a priori par l'administration centrale a été restreint par des interventions supérieures » . De même, le rapport public thématique de la Cour des comptes sur « La mise en oeuvre du plan cancer » affirme que « dès l'origine, un sentiment de frustration s'était ainsi développé, du fait d'un dialogue parfois difficile entre l'INCa et la tutelle » 25 ( * ) . Les magistrats de la Cour des comptes interrogeaient le pilotage initial des tutelles.

Le rapport de notre collègue député Yves Bur 26 ( * ) de 2011 sur les agences sanitaires insistait sur la difficulté supplémentaire provoquée par l'existence d'une tutelle multiple, nécessitant l'organisation d'un dialogue entre les ministères intéressés. Une des propositions formulées consistait alors à désigner un ministère chef de file. De même, ce rapport en appelait à une tutelle rénovée, privilégiant un pilotage stratégique en fixant aux agences un schéma d'orientations stratégiques autour d'objectifs assignés et de moyens dédiés via des contrats d'objectifs et de performance. Conclus pour une période de trois ans, ils permettent de suivre annuellement les résultats et indicateurs afin d'affiner l'évolution des objectifs et des moyens.

Dans ce cadre, la tutelle sur l'INCa s'est progressivement stabilisée et s'exerce désormais par le biais des outils préconisés par la circulaire du Premier ministre du 26 mars 2010 relative au pilotage stratégique des opérateurs de l'État 27 ( * ) . Elle repose avant tout sur la signature du premier contrat d'objectifs et de performance le 7 janvier 2011, couvrant la période 2011-2014. En vue d'assurer un pilotage effectif de l'opérateur, il prévoyait notamment l'adoption de protocoles de coordination entre les directions d'administration centrale (direction générale de la santé, direction générale de l'offre de soins et direction générale de la recherche et de l'innovation) et l'INCa. Un nouveau contrat d'objectifs et de performance a été signé en octobre 2015 pour la période 2015-2018 par la ministre chargée de la santé, le secrétaire d'État chargé de la recherche, et la présidente de l'INCa. Ses dispositions s'inscrivent dans les priorités du troisième plan cancer 2014-2019, ainsi que dans les axes de la stratégie nationale de santé et de la stratégie nationale de recherche « France Europe 2020 ». Il affirme le rôle de pilote de l'Institut dans la mise en oeuvre du troisième plan cancer. Quatre axes stratégiques structurent ce nouveau contrat d'objectifs et de performance :

- consolider une approche intégrée de la lutte contre le cancer, notamment en accentuant l'articulation des actions de recherche, de prévention, de dépistage et d'organisation des soins ;

- conforter la qualité de l'expertise et améliorer la performance de l'Institut ;

- promouvoir une recherche de pointe au profit de tous les patients ;

- renforcer la démocratie sanitaire et partager les résultats de l'expertise.

Le nouveau contrat d'objectifs et de performance prévoit que l'Institut définit chaque année un plan d'actions déterminant notamment les mesures du troisième plan cancer qu'il entend mettre en oeuvre. Approuvé par le conseil d'administration, il est adressé aux ministres de tutelle. En outre, l'INCa établit annuellement un rapport de performances qui retrace les résultats atteints pour l'année écoulée, sur la base des indicateurs fixés par le COP.

Outre l'encadrement par le COP, le pilotage stratégique et la coordination entre tutelles s'opèrent par l'organisation de réunions préparatoires au conseil d'administration, afin de recueillir l'avis des administrations et de favoriser des prises de position homogènes des représentants de l'État.

Dans ces conditions, si des difficultés peuvent encore se manifester, les outils nécessaires à une coordination effective entre les deux tutelles ont été mis en oeuvre. En particulier, la trajectoire différente des dotations versées par les deux ministères semble traduire une appréhension différente de l'évolution du rôle de l'INCa. Elle correspond surtout à des contextes différents. De fait, si un équilibre fonctionnel a été trouvé en matière de recherche avec l'articulation entre l'INCa et l'ITMO Cancer, le pilotage du ministère de la santé sur ses opérateurs demeure à parfaire. Comme le montre la réflexion sur la localisation de l'Institut, l'enjeu de la coordination des actions métier et de la mutualisation des fonctions support, source d'économies, se concentre principalement sur les agences sanitaires.

2. Le pilotage de la direction générale de la santé au sein du système d'agences

La politique de santé publique présente la particularité d'être pilotée par l'administration centrale s'appuyant sur plusieurs agences sanitaires 28 ( * ) . Selon le constat dressé par la mission d'information conduite par notre collègue député Yves Bur en 2011, le paysage des agences n'a pas été pensé dans sa globalité selon un schéma d'ensemble structuré mais résulte d'un empilement d'institutions créées au gré des besoins. Le dispositif mis progressivement en place apparait en définitive peu lisible, en raison de la multiplicité des structures, des chevauchements de compétence et du manque de coordination entre les agences. Le rapport préconisait une recomposition prenant la forme à la fois d'une restructuration et d'une mutualisation des moyens. Il soulignait en ce sens la nécessité d'une coordination entre les agences et l'autorité de tutelle, ainsi qu'entre les agences. S'agissant de l'INCa, cette recommandation s'est notamment traduite par la conclusion d'accords-cadres avec les agences sanitaires à vision généraliste. S'agissant de la coordination entre l'autorité de tutelle et l'INCa, la direction générale de la santé a signé un protocole de coordination avec l'INCa le 15 novembre 2012, qui doit désormais être remis à plat pour tenir compte des orientations du troisième plan cancer.

Surtout, la direction générale de la santé a cherché, depuis 2008, à mieux articuler le travail des différents opérateurs sanitaires, au travers du concept de « système d'agences ». Pour assurer la gouvernance de ce système, deux comités ont été institués :

- un comité d'animation du système d'agences (CASA), chargé de la coordination opérationnelle. Il réunit tous les deux mois autour du directeur général de la santé les directeurs généraux des agences. L'objectif est d'impulser une stratégie commune à l'ensemble des agences et de définir des orientations prioritaires. En initiant des réflexions sur des problématiques communes, le comité cherche à renforcer la coordination entre les agences ;

- un comité des secrétaires généraux, chargé des sujets administratifs et financiers. Il réunit tous les trois mois, autour du secrétaire général de la direction générale de la santé, les secrétaires généraux de l'ABM, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'Anses, l'EFS, l'EPRS, l'INPES, l'INCa, l'InVS et la HAS. Ces réunions assurent la cohérence de la gestion administrative et financière propre des agences.

Les efforts conduits en matière de gouvernance du système d'agences ont été renforcés depuis la fin de l'année 2014. La composition du CASA a ainsi été étendue aux représentants des ministères tutelles, aux directions d'administration centrale du ministère en charge de la santé et au secrétariat général des ministères sociaux. Il réunit désormais dix opérateurs - l'ABM, l'ANSM, l'ANSES, l'ASN, l'EFS, la HAS, l'INCa, l'INSERM, l'IRSN, la nouvelle Agence nationale de santé publique (ANSP) ; une représentation des ARS est également assurée ; le HCSP fait également partie du CASA. De surcroît, la loi de modernisation de notre système de santé donne habilitation au gouvernement de pourvoir, par ordonnance, le CASA d'une base légale 29 ( * ) .

Alors que les projets de regroupement des agences sanitaires se sont finalement restreints au regroupement de trois agences au sein de la nouvelle Agence nationale de santé publique 30 ( * ) , il convient de renforcer la mutualisation des moyens supports, afin de concilier maitrise des dépenses publiques et poursuite de l'exercice des missions principales.

À la suite des perspectives tracées par le budget triennal 2013-2015, des travaux ont été conduits au sein du comité des secrétaires généraux. Ils ont principalement concerné l'industrialisation des fonctions à faible valeur ajoutée pour les opérateurs en s'appuyant sur la mise en oeuvre de plateformes de services partagées. Dans ce cadre, une première opération de mutualisation des fonctions finances et comptables, a été proposée par la direction générale de la santé aux opérateurs en 2014 afin de mettre en oeuvre un système d'information financier et comptable commun à l'ensemble des agences entrant dans le projet dans la perspective des adaptations rendues nécessaires par l'extension de l'application du décret GBCP 31 ( * ) aux agences sanitaires à compter du 1 er janvier 2016. Le système d'information finance des agences sanitaires (SIFAS) a été développé par cinq établissements (ANSM, INCa, EPRUS, INPES et InVS - future ANSP), sous la gouvernance de la direction générale de la santé ; il a été mis en exploitation le 4 janvier 2016 pour l'ANSM et l'INCa, et dès sa création pour l'ANSP. Les agences concernées par cette application informatique travaillent maintenant sur les développements en termes de mutualisation de traitements comptables et de facturation.

Ce projet constitue une première démarche concrète de mutualisation inter agences d'un outil informatique et doit être considéré comme une première étape vers de futures opérations de mutualisation. Votre rapporteur spécial considère que ce mouvement doit s'étendre afin de sauvegarder la capacité opérationnelle des agences sanitaires en général, et de l'INCa en particulier.

Recommandation n° 3 : convertir la tentative de mutualisation entre agences sanitaires porté par le projet SIFAS pour renforcer les rapprochements des fonctions support et conserver les moyens d'action sur les missions métier principales.


* 25 « La mise en oeuvre du plan cancer », juin 2008, rapport public thématique, juin 2008, page 22.

* 26 Rapport d'information déposé par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale en conclusion des travaux de la mission sur les agences sanitaires présenté par Yves Bur le 6 juillet 2011.

* 27 Circulaire du Premier ministre n° 5454/SG du 26 mars 2010 relative au pilotage stratégique des opérateurs de l'État.

* 28 Pour l'exercice 2016, le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » finance huit opérateurs de l'État participant à la mise en oeuvre des politiques nationales de prévention et de sécurité sanitaire.

* 29 L'article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 autorise, « Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution et dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement [...] à prendre par ordonnances toutes mesures relevant du domaine de la loi afin d'adapter, aux fins de favoriser ou de permettre la mutualisation des fonctions transversales d'appui et de soutien, les dispositions législatives relatives aux missions et au fonctionnement des organismes mentionnés aux articles L. 1222-1, L. 1411-4, L. 1418-1 et L. 5311-1 du code de la santé publique et à l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, afin de faciliter la réorganisation du système d'agences relevant des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ».

* 30 La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a prévu la création de l'ANSP, regroupant trois agences sanitaires existantes, l'InVS, l'INPES et l'EPRUS. Les travaux préalables à l'élaboration de cette loi ont conclu à la stabilité structurelle du reste du système d'agences sanitaires.

* 31 Décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

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