C. GÉRER LA FORÊT : PROMOUVOIR LA SYLVICULTURE FACE AU RISQUE INCENDIE, PREMIER DES PARE-FEUX POUR LA FORÊT PRIVÉE

Lors de son déplacement en Gironde, le président de la République a entretenu une certaine confusion en insistant tout particulièrement sur le rôle de l'ONF alors que l'essentiel des parcelles brûlées étaient à 93 % privées (les 7 % de forêt publique correspondant à 1 100 hectares de forêt domaniale autour de La Teste-de-Buch, et 390 hectares de forêt départementale et 30 hectares de forêt communale autour de Landiras). Les rapporteurs souhaitent rappeler avec force que la forêt privée, représentant 75 % des surfaces boisées au total en France, doit faire l'objet d'une attention particulière, a fortiori si l'on compare le taux de gestion des forêts publiques et des forêts privées et les moyens financiers et humains consacrés respectivement à l'une et à l'autre (cf. infra ).

Une piste évoquée dans de nombreux rapports pour réduire cet écart consisterait à regrouper les deux organismes en un établissement public unique, compétent pour la forêt publique comme pour la forêt privée - ce qui reviendrait de fait à recréer l'administration des Eaux et Forêts qui existait avant 1963 et la création de l'ONF et du CNPF. La nécessité de prendre en compte de façon globale un risque croissant, s'appliquant indifféremment à la forêt publique ou à la forêt privée pourrait justifier une telle réforme, qui dépasse toutefois le cadre de cette mission.

Sans aller jusqu'à plaider pour cette réorganisation institutionnelle, les rapporteurs soulignent que notre pays ne pourra faire l'économie d'une gestion de la forêt privée qui intègre davantage le risque incendie , d'abord par l'identification plus cohérente d'une composante DFCI dans les documents de gestion durable et dans la certification privée, également par un abaissement du seuil obligatoire de réalisation de ces documents de gestion durable et par une incitation à la gestion groupée des parcelles, mais aussi par l'adaptation en conséquence des moyens du CNPF pour l'instruction de ces documents, l'animation territoriale et la prévention du risque incendie.

1. L'intégration plus cohérente du risque incendie dans les documents de gestion durable et dans la certification privée

La politique forestière est déclinée régionalement par les Centres régionaux de la propriété forestière (CRPF) qui, conformément au Programme régional de la forêt et du bois, établissent un schéma régional de gestion sylvicole (SRGS) des bois et forêts des particuliers, document-cadre des documents de la gestion durable au niveau régional. L'article L. 122-3 du code forestier indique que « les documents de gestion sont établis conformément aux directives et schémas régionaux ». Les rapporteurs préconisent donc d'utiliser le levier des SRGS pour orienter les documents de gestion durable vers une meilleure identification du risque incendie et des pratiques susceptibles de le faire diminuer.

Axe n° 3 - Recommandation n° 29 : Confier aux commissions régionales des forêts et du bois le soin d'enrichir les schémas régionaux de gestion sylvicole (SRGS) par des orientations spécifiques au risque incendie (choix des essences, type de gestion...), prescriptrices pour les documents de gestion durable. Faire apparaître de façon plus cohérente ces orientations dans les documents de gestion durable.

La certification gestion durable privée s'appuie en France sur deux organismes disposant chacun de leur référentiel, PEFC et FSC. Ces certifications établissent des obligations de résultat davantage qu'elles ne prescrivent des itinéraires sylvicoles, les propriétaires gardant le choix des moyens à mettre en oeuvre.

PEFC a indiqué à la mission être en phase de révision de son cahier des charges et travailler à l'identification des zones à risque, au travers des PPFCI, sur lesquelles débroussaillement, élagage et préposition de points d'eau devront être mis en oeuvre. Au regard de l'ampleur du risque, les rapporteurs suggèrent d'acter des avancées significatives sur ce point dans le cadre de la 4e révision du schéma français de certification PEFC, et de faire de même à l'occasion de la révision de la certification FSC.

Axe n° 3 - Recommandation n° 30 : Dans le cadre de de la révision des certifications de gestion durable des forêts privées (PEFC / FSC), renforcer dans les meilleurs délais la dimension prévention face au risque incendie dans les référentiels afin d'en faire une composante à part entière de la gestion durable.

2. Augmenter le taux de documents de gestion durable, par un abaissement du seuil obligatoire de réalisation de ces documents et par une incitation à la gestion groupée des parcelles

Avant même l'intégration du risque incendie dans les documents de gestion durable, comme le rappelle la DGPE, « l'étape prioritaire est d'augmenter le taux de documents de gestion durable , très proche de 100 % en forêt publique, mais plus faible en forêt privée. C'est là que l'effort doit porter, ce qui exige des moyens humains d'animation importants et des incitations de toute nature pour les propriétaires . »

Le rapport du CGAAER de 2018 sur la défense des forêts contre l'incendie 40 ( * ) mentionne comme l'un de ses axes prioritaires l'identification des « territoires forestiers où il s'agira d'accroître, en gestion directe ou à travers le regroupement de propriétés forestières, les surfaces bénéficiant d'une gestion forestière durable et d'y mettre en oeuvre une sylviculture conjuguant DFCI, renouvellement des peuplements et valorisation des produits forestiers . »

Les propriétaires de petites parcelles, comprises entre 4 et 25 ha, représentent 11 % des propriétaires forestiers mais près d'un tiers de la surface forestière privée , soit un potentiel de gestion significatif, même si leur exploitabilité est moindre que dans les forêts soumises à l'obligation de document de gestion durable, par nature plus grandes et plus accessibles.

Les plans simples de gestion sont aujourd'hui obligatoires seulement au-dessus de 25 ha, ce qui ne favorise pas la gestion durable de la petite forêt privée (cf. supra ). D'après les données du cadastre, compilées par le Centre national de la propriété forestière (CNPF), s'il devenait obligatoire de réaliser des PSG dès le seuil de 20 ha de parcelles d'un seul tenant , au lieu de 25 ha aujourd'hui, ce sont potentiellement plus de 20 000 propriétaires supplémentaires et près d'un demi-million d'hectares de bois et forêts qui entreraient dans une logique gestion durable et multifonctionnelle des forêts. Cette piste, essentielle, n'est évoquée que timidement dans le rapport de la mission flash de l'Assemblée nationale 41 ( * ) .

Taille des parcelles

Entre 4 à 10 ha

Entre 10 et 15 ha

Entre 15 et 20 ha

Entre 20 et 25 ha

Nombre de propriétaires forestiers

296 143

74 122

37 207

21 893

Surface forestière totale

1,8 million d'hectares

0,9 million d'hectares

0,6 million d'hectares

0,5 million d'hectares

Source : CNPF (2018), d'après les données du cadastre de 2016

Les rapporteurs souhaitent rappeler que l'intérêt des documents de gestion durable est loin de se résumer à l'extraction de bois. Il est plus globalement urgent de sensibiliser les propriétaires à l'intérêt économique et écologique d'entretenir leurs parcelles , mais aussi à la nécessité de prévenir les risques, y compris d'incendie (même si le référentiel des documents de gestion durable pourrait intégrer de façon plus cohérente le risque incendie, voir supra ). La réalisation des documents de gestion durable est une étape clef de la dynamisation de la gestion des espaces forestiers.

Dans un souci d'adaptation de la politique forestière aux réalités des territoires, les rapporteurs souhaitent en outre laisser la possibilité d'aller plus loin régionalement en abaissant le seuil en dessous des 20 hectares prévus nationalement . En fonction de plusieurs critères d'opportunité, parmi lesquels figureraient le potentiel d'exploitation et la prévention des risques, dont le risque incendie, cette décentralisation encadrée permettrait d'inciter davantage à la gestion dans les zones les plus exposées au risque.

Source : Agreste, enquête SFP 2012

Il faut toutefois bien mesurer qu'à mesure que le seuil serait abaissé, le bénéfice de la gestion de la forêt serait décroissant d'un point de vue économique du fait de la faible valeur marchande des petits bois, comme le rappelle l'UCFF. L'abaissement du seuil conserverait son intérêt du point de vue de l'entretien et de l'accessibilité des forêts, s'il est accompagné de moyens ad hoc (cf. infra ).

Axe n° 3 - Recommandation n° 31 : Abaisser le seuil d'obligation d'élaboration de documents de gestion durable pour la forêt privée à 20 hectares (contre 25 aujourd'hui) (500 000 hectares supplémentaires ainsi concernés) et donner la possibilité au préfet de région d'abaisser encore ce seuil, selon l'opportunité, après avis de la commission régionale de la forêt et du bois.

En complément de l'abaissement des seuils qu'elle juge nécessaire, la mission souhaite également augmenter les incitations des propriétaires à se tourner vers la gestion durable. C'est pourquoi elle préconise, dans l'esprit du rapport du CGAAER de 2020 sur ce dispositif, de reconduire le dispositif d'encouragement fiscal (DEFI) en forêt, en particulier sa composante « travaux » (pour le DEFI « assurance », cf. infra ), dont la disparition est programmée au 31 décembre 2022 (article 199 decies H du code général des impôts). Le cas échéant, il pourrait être pertinent d'élargir son périmètre (plafond, taux). Surtout, il paraît essentiel de le pérenniser pour apporter sécurité juridique à ses bénéficiaires, et de maintenir la gestion durable comme condition d'éligibilité, de même que des modalités d'accès plus favorables pour les démarches de gestion groupée.

Axe n° 3 - Recommandation n° 32 : Pérenniser le DEFI (dispositif de défiscalisation des investissements en forêt) et en élargir le périmètre (plafond, taux).

3. Adapter en conséquence les moyens du Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour l'instruction des documents de gestion durable, l'animation territoriale et la prévention du risque incendie

Les rapporteurs souhaitent attirer l'attention sur la faiblesse des moyens du CNPF, qui constitue un réel danger pour l'adaptation de la forêt privée à l'extension et l'intensification du risque incendie.

CNPF (forêt privée)

ONF (forêt publique)

Surfaces

environ 12 millions d'ha (75 %)

4,6 millions d'ha (25 %)

Nombre de propriétaires

environ 3,4 millions

environ 15 600

ETPT (programme 149)

337

8 735

Crédits alloués par le programme 149

- crédits/ha

- crédits/propriétaire

environ 15 M€

- 1,25 € / ha

- 4,5 € / propriétaire

environ 200 M€

- 43,5 € / ha

- 960 € / propriétaire

La comparaison avec les moyens de l'ONF est à manier avec beaucoup de précautions, car le périmètre des missions du CNPF et de l'ONF diffèrent : l'ONF a aussi une mission d'exploitation de la forêt domaniale et des collectivités territoriales, en plus des missions de conseil et de développement de la gestion qu'elle exerce en commun avec le CNPF. Aussi convient-il de ne pas tirer de conclusions hâtives sur l'ONF, dont les rapporteurs appellent à stabiliser les effectifs (cf. supra ). La forte disproportion des moyens entre forêt publique et privée est toutefois un bon indicateur de la moindre gestion et du moindre entretien de la forêt privée , contribuant à y accroître le risque d'incendie .

Les rapporteurs ont acquis la conviction que l' agrément par le CNPF était un gage indispensable du sérieux et de la crédibilité des documents de gestion durable. En outre, pour que les PSG conservent leur rôle de dynamisation de la gestion, il n'est pas envisageable de passer d'un agrément a priori à des contrôles aléatoires ex post , sur le modèle de la certification privée.

Par conséquent, des moyens d'instruction supplémentaires seront nécessaires pour le CNPF . D'après les estimations fournies par l'établissement public, il faudrait 25 ETP de permanents dans le plafond d'emploi pour instruire l'agrément de ces nouveaux documents, soit une hausse qui dénote avec la diminution du nombre d'emplois des années passées.

En plus de ces moyens humains supplémentaires, le corollaire à la création d'une rubrique incendie cohérente dans les documents de gestion durable et à l'abaissement du seuil de PSG obligatoire est une réflexion plus globale sur le contenu de ces documents de gestion durable et sur la façon de hiérarchiser l'information, pour mieux faire ressortir l'essentiel de l'accessoire. L'ensemble des gestionnaires forestiers devraient être associés à cette démarche, qui pourrait permettre à la fois un gain de temps et une amélioration de la qualité des descriptions effectuées par les gestionnaires.

En particulier, la télétransmission , à la portée de la quasi-totalité des propriétaires forestiers, est à ce jour très minoritairement utilisée . En retenant des hypothèses très fortes de gains de productivité associés à cette obligation de la télétransmission, le CNPF indique que la hausse d'emplois nécessaire à l'instruction des documents de gestion durable pourrait être limitée à 10 ETP.

La télétransmission faciliterait notamment la révision des PSG via des avenants. Il pourrait ainsi être envisagé d'instaurer une procédure simplifiée de révision en cas de crise ou de sinistre (incendie, tempête, parasites...), qui devrait rester suffisamment rigoureux pour ne pas faire l'objet d'un contournement.

Axe n° 3 - Recommandation n° 33 : Adapter les effectifs du Centre national de la propriété forestière (CNPF), chargé de l'agrément des documents de gestion durable, hiérarchiser le contenu de ces derniers et généraliser la télédéclaration pour réduire les délais d'instruction.

Quelles que soient les incitations à s'inscrire dans la gestion durable, celle-ci ne sera néanmoins utile pour améliorer l'accès des parcelles et réduire le combustible, que si elle est prolongée sur le terrain par un accroissement des moyens d'animation du CNPF.

Un moyen intéressant et souple de dynamiser la gestion serait de généraliser les visites à mi-parcours , cette rencontre avec les propriétaires étant souvent un moment très apprécié et de prise de conscience, pour le propriétaire, de l'intérêt d'une gestion sylvicole de sa parcelle.

Axe n° 3 - Recommandation n° 34 : Augmenter les moyens du CNPF sur le terrain pour dynamiser et regrouper la gestion, notamment pour les parcelles en dessous des seuils obligatoires d'élaboration de documents gestion durable. Développer les « visites à mi-parcours » (8 à 12 ans) des documents de gestion durable afin de dynamiser la gestion forestière.

Sur le modèle des experts de l'agence DFCI de l'ONF, mais en gardant une structure institutionnelle souple et adaptative, un réseau d'experts DFCI pourrait être mis en place , avec le recrutement d'un correspondant au sein de chaque Centre régional de la propriété forestière (CRPF) . Selon le CNPF, la formalisation d'un tel réseau, pour être efficace, devrait être complétée « par une animation nationale, pour permettre les échanges et la capitalisation de l'expérience ». Ces experts seraient chargés de conseiller les propriétaires forestiers dans des choix de sylviculture et dans la réalisation d'aménagements permettant de défendre la forêt contre les incendies. Menant aussi des actions de communication sur l'utilité de la gestion forestière dans la prévention du risque incendie, ce réseau aurait l'avantage d' acclimater les propriétaires forestiers à l'extension du risque dans des territoires traditionnellement peu exposés . Enfin, ces référents pourraient être chargés du dialogue avec les SDIS, par exemple dans l'amélioration des synergies entre desserte forestière et pistes DFCI (cf. infra ).

Axe n° 3 - Recommandation n° 35 : Dans le but de constituer une culture commune du feu, créer des postes supplémentaires de référent risque incendie au sein de chaque Centre régional de la propriété forestière (CRPF).


* 40 Charles Dereix et Yves Granger (CGAAER), « Le plan de protection des forêts contre les incendies, guide partagé de l'action collective en défense des forêts contre l'incendie », mai 2018. En ligne : https://agriculture.gouv.fr/analyse-des-plans-de-protection-des-forets-contre-les-incendies

* 41 Mission « flash » sur la prévention des incendies de forêt et de végétation, communication de MM. Alain Perea et François-Michel Lambert, 5 janvier 2022. En ligne : https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/455076/4428909/version/2/file/COMMUNICATION_MI_flash_prevention_incendies.pdf

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