Créer un fichier national des personnes inéligibles

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles, présentée par Mme Sophie Briante Guillemont et plusieurs de ses collègues, à la demande du RDSE.

Discussion générale

Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi part d'un constat surprenant : nul n'est capable de dire combien de personnes sont inéligibles en France ni qui elles sont.

C'est un problème pour notre démocratie, car l'éligibilité est un droit politique fondamental. Le perdre n'a rien d'anodin. Certaines inéligibilités sont liées à l'exercice de fonctions, mais les autres sont prononcées par le juge : ce sont celles qui nous intéressent ici.

Historiquement, dans notre conception de l'éligibilité, il y a la notion de devoir : le représentant doit être à la hauteur de sa fonction. Cela suppose du discernement - ce qui explique que les majeurs protégés en aient été privés - et des qualités morales.

Quatre juges peuvent prononcer l'inéligibilité : le juge pénal, le juge administratif, le juge constitutionnel et le juge des tutelles.

Le juge pénal prononce de plus en plus de peines complémentaires d'inéligibilité. Depuis la loi du 15 septembre 2017, cette peine est obligatoirement prononcée pour certains crimes et délits. Alors qu'entre 2015 et 2017, moins de 50 condamnations avaient entraîné une peine d'inéligibilité, 16 000 ont été prononcées pour la seule année 2024.

Le juge administratif et le Conseil constitutionnel peuvent aussi prononcer l'inéligibilité d'un candidat, notamment pour non-respect des règles sur le financement électoral. Entre 2021 et 2025, le Conseil constitutionnel a rendu plus de 50 décisions d'inéligibilité concernant des candidats aux élections législatives et sénatoriales. En revanche, le ministère de l'intérieur n'a pas été en mesure de nous donner le nombre d'inéligibilités prononcées par le juge administratif, compétent pour les candidats aux élections locales et au Parlement européen.

En 2024, plus de 60 000 personnes ont été placées sous tutelle ou curatelle. La loi prévoit que ces majeurs protégés sont inéligibles, non pour les punir, mais parce qu'ils sont incapables de représenter les concitoyens et de gouverner.

Cette proposition de loi ne modifie pas les motifs d'inéligibilité : elle se contente de prévoir le recensement des 80 000 personnes déclarées inéligibles chaque année, car cette information est éclatée et bien souvent inaccessible.

La loi Bien Vieillir de 2024 a prévu que les mesures touchant aux majeurs protégés fassent l'objet d'une liste, mais le décret d'application n'est pas paru. Le seul moyen de savoir si une personne est sous tutelle ou curatelle est de demander son acte de naissance.

Les décisions du juge administratif sont notifiées au ministère de l'intérieur, mais ce dernier ne tient aucun registre. Quant à celles du Conseil constitutionnel, elles sont certes publiées au Journal officiel, mais centralisées nulle part.

Depuis la loi de 2017, les services chargés de l'enregistrement des candidatures aux élections peuvent théoriquement demander la transmission du bulletin numéro 2 (B2) des candidats, mais les demandes doivent être faites une par une. Songez que pour les municipales cela représenterait près d'un million de demandes manuelles en quatre jours. C'est matériellement impossible. Le ministère de l'intérieur procède donc par échantillonnage : seules 6 % des candidatures aux municipales de 2020 ont fait l'objet d'une demande de B2, permettant de détecter une seule inéligibilité.

Un rapport inter-inspections de juin 2020 et un autre de la Cour des comptes de 2024 préconisent donc la création d'un répertoire national des personnes inéligibles.

Ce répertoire ne crée ni n'éteint aucun droit. Il se borne à rassembler les décisions prononcées afin de faciliter le travail des préfectures et consulats - pour l'élection des conseillers des Français de l'étranger - et de garantir la sincérité des scrutins.

Cela serait une avancée sur le plan de la protection des données personnelles, car le B2 recense toutes les condamnations, même celles sans lien avec une éventuelle inéligibilité.

L'an dernier, l'élection législative dans la deuxième circonscription du Jura a dû être annulée par le Conseil constitutionnel, la presse ayant révélé entre les deux tours que l'un des candidats était sous curatelle renforcée. C'est absurde, mais aussi coûteux pour l'État comme pour la démocratie. Comment expliquer à nos concitoyens qu'une personne inéligible soit passée entre les mailles du filet ? Les taux de participation aux élections partielles sont déjà si faibles...

Bien sûr, la mise en place de ce registre aura un coût, mais annuler des élections cela coûte aussi, en temps et en argent. Nos procédures électorales doivent être solides. Il y va également de la crédibilité de la justice, dont les décisions doivent être respectées.

La grande complexité de notre droit électoral -  avec des renvois en cascade entre articles du code électoral  - est regrettable. Une partie du droit électoral n'est même pas codifiée : c'est le cas pour les représentants des Français de l'étranger en dehors des élections législatives ! Il faudra un jour mener un gros travail de clarification.

Cette proposition de loi vise à renforcer la confiance dans notre processus électoral. Merci au RDSE d'avoir inscrit ce texte dans son espace réservé. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE-K ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Olivier Bitz, rapporteur de la commission des lois .  - Je remercie Sophie Briante Guillemont pour son initiative. La commission des lois a adopté à l'unanimité cette amélioration bienvenue. Les services chargés de la réception des candidatures pourront ainsi réaliser un contrôle rapide de l'inéligibilité. En aval, nous espérons moins d'annulations d'élections.

Il existe quatre principaux motifs d'inéligibilité, qui peut résulter d'une condamnation pénale, avoir été prononcée par le juge électoral, découler de l'absence de capacité juridique, ou être fonctionnelle dans le but d'éviter les conflits d'intérêts.

Le casier judiciaire national n'est pas équipé pour transmettre le B2 de façon automatique : les préfectures doivent faire demande expresse pour chaque candidat. C'est impossible, au regard des 900 000 candidatures aux dernières municipales. Le nouveau « B2 plus » devrait permettre l'obtention du B2 dans les 48 heures, mais le contrôle ne sera toujours ni systématique ni intégral.

Il n'existe pas non plus de registre des mesures de protection des majeurs, bien que prévu par la loi Bien Vieillir de 2024.

Les inéligibilités prononcées par le juge administratif et le Conseil constitutionnel sont bien transmises au ministère de l'intérieur, mais l'information n'est pas centralisée.

La commission des lois a adopté à l'unanimité cette proposition de loi qui présente un intérêt évident, en la modifiant toutefois pour en assurer l'efficacité, l'opérationnalité et la lisibilité.

La commission a modifié la liste des informations, en supprimant la nationalité et le domicile afin de respecter la loi Informatique et libertés et le RGPD, mais en ajoutant tous les prénoms et le lieu de naissance afin de garantir l'identification univoque de la personne. Elle a renvoyé certaines dispositions au niveau réglementaire, resserrant le texte sur ses seules dispositions de nature législative.

La commission n'ignore pas les contraintes techniques et budgétaires, notamment la nécessité d'importants développements informatiques. Bien sûr, ce fichier ne pourra pas voir le jour avant les prochaines municipales, mais il faudrait qu'il soit opérationnel avant le 31 décembre 2029.

La consultation du fichier devra devenir obligatoire pour les autorités chargées de la réception des candidatures, y compris pour les élections sénatoriales, des représentants au Parlement européen et les élections relatives aux Français de l'étranger.

La commission a également procédé à des modifications de forme par souci de clarté : elle a regroupé les dispositions au sein d'un futur article L. 45-2 du code électoral et a renommé le fichier « répertoire national des personnes inéligibles », par cohérence.

Nous vous proposons d'adopter le texte ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et du groupe INDEP ; M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur .  - (M. Martin Lévrier applaudit.) Contrôler l'éligibilité des candidats conforte la crédibilité du processus électoral, le bon déroulement de l'élection et donc la démocratie.

Dans le Jura, la péripétie d'un candidat sous curatelle qualifié pour le second tour a marqué les esprits. Des moyens de contrôle existent, mais rien n'est systématisé ni formalisé.

Cette proposition de loi a pour ambition de répondre aux difficultés que le Conseil constitutionnel constate a posteriori. Elle satisfait les recommandations de la Cour des comptes.

Nous partageons l'objectif, mais la mise en oeuvre n'est évidente ni d'un point de vue technique ni d'un point de vue juridique.

Les informations relatives aux inéligibilités sont déjà accessibles, notamment via le casier juridique et la publicité des décisions de justice, ce qui pose la question du coût du fichier par rapport à son utilité réelle.

En effet, les statistiques de l'inéligibilité montrent qu'il n'y a pas besoin de créer un tel fichier. En 2018, 10 670 peines d'inéligibilité ont été prononcées -  c'est moins de 0,22 % du corps électoral. En 2020, près de 62 000 candidatures aux élections municipales ont fait l'objet d'une demande de B2 et un seul cas d'inéligibilité a été constaté. Un seul !

Le nouveau service B2+, déployé d'ici à la fin de l'année, permettra aux préfectures d'obtenir, pour les élections de mars prochain, le B2 d'un candidat dans un délai maximal de 24 à 48 heures. La systématisation du contrôle est à l'étude afin de raccourcir encore les délais. Ce nouveau dispositif simplifiera le contrôle, garantissant efficacité et transparence.

Un dispositif complémentaire permet déjà au juge d'exiger la démission d'office de l'élu dont l'inéligibilité est découverte a posteriori.

J'ajoute que les cas d'inéligibilité sont souvent connus localement.

Sur le plan technique, la mise en oeuvre d'un tel outil suppose de lourdes interconnexions entre les systèmes du ministère de la justice, du ministère de l'intérieur et du Conseil constitutionnel ; elle impliquerait la normalisation de la codification des peines, la création d'interfaces de consultation et engendrerait des coûts de développement, de maintenance et de sécurisation.

Cette proposition de loi est légitime, pertinente, mais complexe à mettre en oeuvre. Des outils existent qui permettent déjà d'assurer la régularité du processus électoral. Il semble donc raisonnable au Gouvernement d'adopter une position de sagesse.

Il faudra un travail interministériel structuré pour aboutir, à terme, à une solution articulée avec les systèmes d'information existants, ou intégrée à d'autres chantiers numériques de l'État. Dans cet esprit, nous saluons la démarche tout en réservant notre position sur le fond. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Olivier Bitz applaudit également.) Nous voulons tous garantir la sincérité du suffrage et la sécurité juridique de nos élections.

Il ne s'agit pas d'un texte technique, mais d'un texte de confiance - envers les électeurs, l'administration et la démocratie elle-même. Il répond aux recommandations convergentes de la Cour des comptes et d'un rapport inter-inspections de 2020. Le constat étant déjà ancien, je m'étonne de la position de sagesse du Gouvernement...

Chaque année, 80 000 personnes sont déclarées inéligibles, dont 16 000 en 2024 à la suite de condamnations pénales. Mais seules 6 % des 900 000 candidatures aux municipales de 2020 ont fait l'objet d'une vérification via le casier judiciaire, pour une seule inéligibilité détectée.

L'affaire de la deuxième circonscription du Jura est révélatrice d'une défaillance structurelle, liée à l'absence de dispositif centralisé.

La loi de 2017 a prévu la transmission du B2, mais faute d'automatisation, les préfectures doivent interroger individuellement le casier des candidats, dans des délais contraints. Le nouveau service B2+ ne systématisera pas davantage le contrôle, et toutes les causes d'inéligibilité ne sont pas consignées au casier judiciaire.

La commission des lois a enrichi le texte : elle a renommé le fichier « répertoire », a rendu sa consultation obligatoire, et s'est montrée favorable à la possibilité d'interconnecter le casier judiciaire avec les fichiers d'autres ministères que celui de la justice.

Notre groupe soutient pleinement cette initiative, mais son efficacité dépendra des conditions de sa mise en oeuvre. Première exigence : la coordination, entre le ministère de l'intérieur, la Chancellerie, le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel et les services chargés de la protection juridique des majeurs. Deuxième exigence : la réactivité, avec une mise à jour en temps réel, d'autant que les délais pour déposer une candidature sont très courts. Un répertoire obsolète serait plus dangereux qu'une absence de répertoire ! Troisième exigence : la protection des libertés publiques, d'où la consultation de la Cnil.

Le rapporteur prévoit une mise en oeuvre au plus tard au 31 décembre 2029 - malgré l'instabilité, le travail interministériel devrait pouvoir aboutir d'ici là. Nous aurions préféré une application dès les élections municipales de 2026, mais ce n'est guère réaliste.

Le groupe socialiste votera ce texte. C'est un chantier considérable : on prévoit 950 000 candidatures aux prochaines municipales. Espérons que les services de l'État sauront faire face. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE et du GEST)

M. Ian Brossat .  - Notre démocratie repose sur la confiance. Pour qu'elle soit effective, encore faut-il que les règles du jeu électoral soient respectées. Dans le Jura, un candidat Rassemblement national sous curatelle renforcée a pu se présenter, malgré une inéligibilité de fait. De tels manquements imposent que l'administration ait accès à un outil fiable recensant les personnes dont le droit à être candidat a été suspendu.

Un fichier de plus ? Ce répertoire ne sera pas inutile, car la transparence est devenue une condition de la confiance. Les juridictions prononcent de plus en plus souvent des peines d'inéligibilité. Nul en République n'est dispensé d'exemplarité ; la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, et tous les citoyens sont égaux à ses yeux. Sans stigmatiser, ce répertoire évitera que l'on confonde la salle d'audience et celle du conseil municipal.

Ce dispositif avant tout préventif devra rester proportionné et utilisé uniquement par les autorités habilitées. Difficile de s'y opposer dans son principe : il rappelle que le droit à être élu est aussi une responsabilité.

Ce texte ne prétend pas moraliser la vie politique - il en faudrait bien davantage -, mais apporte une pierre à l'édifice de la confiance. En démocratie, la probité des élus est indispensable, et un peu de mémoire administrative ne fait pas de mal. Le groupe CRCE-K votera ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce texte est une bonne idée ; nous le voterons, même si notre groupe est plutôt prudent quand il s'agit de créer des fichiers, les dérives de l'exercice du pouvoir étant de plus en plus fréquentes.

On nous dit qu'il n'y a pas de sous. Mais la démocratie a un coût ! Un coût que le Gouvernement oublie parfois, comme lors de la loi PLM, qui va grever les finances des collectivités concernées...

Si l'on souhaite une participation accrue de nos concitoyens à la vie politique, il faut garantir le bon déroulement des élections. Il est plus coûteux de devoir organiser une nouvelle élection en cas d'annulation, comme récemment dans le Jura, que de mener des contrôles a priori !

Le rapport de la Cour des comptes préconise de donner aux services préfectoraux accès à un répertoire spécifique construit à partir du casier judiciaire national. Lors des dernières municipales, moins de 7 % des candidats avaient fait l'objet d'une demande de B2.

Le problème réside dans le morcellement des informations, le volume des candidatures à traiter et les délais contraints.

Cette proposition de loi y répond. Les services de préfectures ne peuvent pas tout faire. Nous, écologistes, préférerions que leur personnel se consacre à l'usager, comme ces travailleurs étrangers qui peinent à obtenir un papier ou un rendez-vous - d'autant plus que les recours et référés administratifs coûtent cher à l'État.

J'entends la réticence du Gouvernement. Je sais que les temps sont durs, mais le ministère de l'intérieur a dit soutenir la recommandation de la Cour. M. le rapporteur a reporté la mise en oeuvre du texte à fin 2029. Dès lors, madame la ministre, pourquoi vous y opposer ? C'est un pas en avant pour sécuriser les élections et redonner confiance. Nous le voterons nous aussi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Tout progrès en matière de transparence électorale participe à renouer la confiance dans notre pacte républicain. L'État doit pouvoir vérifier qu'un candidat est éligible. C'est le sens de la proposition de loi de Sophie Briante Guillemont, soutenue par l'ensemble du RDSE. (Sourires et applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

M. Francis Szpiner.  - Quel événement !

M. Michel Masset.  - Elle part d'un constat lucide : notre système de contrôle de l'inéligibilité demeure morcelé, incomplet, parfois tardif. Les préfectures chargées d'enregistrer les candidatures ne disposent que d'outils partiels. Résultat, des élections annulées, des recours, une atteinte à la sécurité juridique du vote.

Un répertoire national des personnes inéligibles donnerait aux autorités administratives un outil fiable, rapide et exhaustif.

Il ne s'agit pas de créer de nouvelles causes d'inéligibilité ou de stigmatiser, mais de rendre effectif un contrôle déjà prévu, mais imparfait.

Le RDSE y voit une avancée importante pour la fiabilité de nos processus électoraux et la transparence de la vie publique. Les difficultés récentes relevées par la Cour des comptes et les inspections générales montrent qu'un tel outil est devenu indispensable.

Certains s'inquiètent, légitimement, que le répertoire recense une population fragile, les majeurs protégés. Mais il sera strictement encadré et ses modalités d'accès seront fixées par décret, après avis de la Cnil.

La commission des lois a utilement resserré le texte sur son coeur juridique. Fidèle à l'esprit du Sénat et du RDSE, c'est une réforme concrète, équilibrée et respectueuse des libertés publiques. Le RDSE la votera avec conviction, à l'unanimité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI, du groupe UC et du GEST)

Mme Anne-Sophie Patru .  - La crédibilité de nos institutions repose sur la confiance, fragilisée par des dysfonctionnements administratifs aux répercussions politiques et financières. La proposition de loi cible l'une de ces failles : l'absence de vérification systématique et fiable des inéligibilités avant les élections.

Les auditions du rapporteur ont montré que ce contrôle était fragmenté, lent et efficace. Seulement 6 % des 902 000 candidatures aux municipales de 2020 ont été vérifiées via le B2, et une seule inéligibilité a été détectée. C'est que les préfectures doivent effectuer des demandes manuelles pour chaque candidat. Le nouveau service B2+ prévu pour la fin de l'année réduira les délais de transmission, mais ne permet pas la généralisation ou l'automatisation des contrôles.

Depuis la loi du 15 septembre 2017, le nombre de peines d'inéligibilité s'est envolé : 16 000 condamnations en 2024, contre moins de 50 par an avant 2017. Mais l'information n'est pas transmise, et l'inéligibilité peut n'être découverte qu'après l'élection, lors d'un recours... Aucun système centralisé ne recense les décisions de placement sous tutelle ou curatelle, alors que 65 000 mesures de protection sont prononcées chaque année.

Je salue l'initiative pertinente de Sophie Briante Guillemont. Ce répertoire serait nourri par le ministère de la justice, le Conseil d'État et les greffes des tribunaux judiciaires. Il ne concernerait que les inéligibilités objectives et vérifiables, non les inéligibilités fonctionnelles.

Le rapporteur a veillé à ce que seules les données strictement nécessaires soient transmises, conformément au RGPD. L'accès au répertoire serait limité aux préfectures, aux juridictions, au Conseil constitutionnel et aux personnes concernées.

Le texte impose aux préfectures l'obligation légale de consulter le répertoire avant d'enregistrer toute candidature.

La commission des lois a proposé une date d'entrée en vigueur au 31 décembre 2029, délai nécessaire pour développer les interconnexions informatiques et assurer la fiabilité du système. Ce calendrier, aligné sur celui du répertoire électoral unique, paraît réaliste.

Le groupe UC soutiendra cette proposition de loi qui allie efficacité administrative et respect des libertés individuelles. C'est un outil pour une démocratie plus transparente et numérique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE)

M. Olivier Bitz, rapporteur.  - Bravo !

Mme Laure Darcos .  - Le rapport de la Cour des comptes retrace les difficultés des préfectures pour contrôler a priori les candidatures aux élections - étape pourtant indispensable au bon déroulement du processus électoral.

Faute d'instrument de contrôle systématique et automatique, ces démarches sont lentes et complexes et exposent à un risque d'erreur. Aussi la Cour recommande-t-elle de créer un répertoire spécifique, alimenté par le casier judiciaire national, accessible, de manière sécurisée, aux agents des bureaux des élections dans les préfectures.

La proposition de loi de Sophie Briante Guillemont apporte une réponse à la recommandation de la Cour. Son article unique institue un fichier national des personnes devenues inéligibles à la suite d'une condamnation pénale, d'une décision du juge électoral ou d'une mesure de protection juridique.

Soyons clairs : il ne s'agit nullement de stigmatiser qui que ce soit, et encore moins les personnes en situation de handicap, comme le craignait le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), mais de faciliter l'évaluation des candidatures par les services préfectoraux et de réduire les annulations d'élections.

Je me réjouis que la commission des lois se soit associée à l'objectif du texte et l'ait amélioré. Les nouvelles dispositions seront rassemblées dans un nouvel article du code électoral. Je me félicite également du renvoi au pouvoir réglementaire de la définition des personnes autorisées à accéder au nouveau fichier. La création d'une obligation de consultation et le décalage de l'entrée en vigueur du répertoire au 31 décembre 2029 marquent le volontarisme et le pragmatisme de la commission des lois, que je salue. Je salue également le travail de qualité du rapporteur.

Cette proposition de loi renforce l'efficacité administrative. Le groupe INDEP la votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe UC)

Mme Évelyne Renaud-Garabedian .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.) Imaginez un maire élu, dont l'élection est annulée par le tribunal administratif quelques mois après. Pourquoi ? Parce que personne n'avait vu qu'il était inéligible, faute d'outil fiable. Résultat : un scrutin annulé, une campagne à recommencer, de l'argent public de nouveau dépensé pour organiser une nouvelle élection, des élus locaux déstabilisés et des citoyens exaspérés. Ce n'est pas une fiction, mais une réalité. Pendant ce temps, la confiance dans nos institutions s'effrite.

Actuellement, le contrôle de l'inéligibilité est trop complexe. Les services concernés doivent regrouper des informations dispersées dans des délais très courts, et avancent donc dans un véritable labyrinthe.

Notre responsabilité et notre devoir institutionnel nous imposent de moderniser le contrôle de l'inéligibilité. Je soutiens pleinement la création de ce répertoire, non pour stigmatiser qui que ce soit ni pour punir deux fois, mais pour que chaque scrutin soit inattaquable et que chaque électeur ait confiance dans la sincérité du vote.

Ce répertoire, consultable uniquement par les autorités compétentes et les personnes concernées, n'est pas une atteinte aux libertés. C'est une garantie démocratique.

Singularité de notre République, la représentation des citoyens résidant à l'étranger est régie par des dispositions particulières qui ne relèvent pas directement du code électoral. Pour éviter que le texte ne leur soit pas applicable, je voterai l'amendement de Sophie Briante Guillemont. Il s'agit d'éviter des contentieux.

La démocratie ne s'arrête pas à l'Hexagone, mais vit aussi à Casablanca, Montréal, Singapour, Tel-Aviv, São Paulo, Abidjan ou Londres, partout où les Français sollicitent la confiance de leurs compatriotes. L'intégrité du vote doit y être garantie.

Un registre n'a de sens que s'il est contrôlé. Cet outil, même robuste, serait inefficace si sa consultation n'était pas obligatoire. Toute autorité habilitée à enregistrer une candidature devra donc le vérifier.

Les préoccupations exprimées sont légitimes. Protéger les données des citoyens est une exigence juridique et une responsabilité publique. Il faut donc des accès limités, tracés, contrôlés, une surveillance constante et le droit de corriger toute erreur.

Le cadre posé par le texte va dans le bon sens. Nous serons vigilants sur sa mise en oeuvre.

Créons cet outil simple, efficace et responsable, au service de la République, de l'égalité des candidats et de la confiance des électeurs, en France comme à l'étranger. Garantir la sincérité du vote, c'est garantir la légitimité de nos institutions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI)

M. Martin Lévrier .  - (M. Olivier Bitz applaudit.) Cette proposition de loi comble une faille manifeste de notre système électoral. La carence dans le contrôle des inéligibilités a été mise en lumière lors de la dernière élection législative partielle dans la deuxième circonscription du Jura, conduisant à son annulation, l'un des candidats étant inéligible.

La réponse apportée par cette proposition de loi est claire et pragmatique.

Les données disponibles seront strictement encadrées et permettront un contrôle automatique, rapide et exhaustif. Le travail de la commission et du rapporteur Olivier Bitz a rendu le texte plus opérationnel et respectueux des libertés individuelles. Le texte a d'ailleurs été adopté à l'unanimité en commission.

Les garde-fous mis en place témoignent d'un souci constant d'équilibre entre efficacité administrative et respect des droits fondamentaux. En cohérence avec la recommandation de la Cour des comptes, ce texte s'inscrit dans une logique de modernisation et de transparence de la vie politique.

Les réserves du Gouvernement sur la lourdeur de la mise en oeuvre doivent être entendues. La gouvernance du futur répertoire mérite d'être précisée afin d'éviter toute ambiguïté.

Mais le fondement du texte demeure : garantir la sincérité du scrutin, renforcer la confiance dans nos institutions et doter l'administration d'un outil moderne, fiable, au service de la transparence électorale.

Le RDPI votera cette avancée concrète pour fiabiliser notre démocratie et sécuriser le travail des services préfectoraux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et du GEST ; M. Olivier Bitz applaudit également.)

Discussion de l'article unique

Article unique

M. le président.  - Amendement n°1 de M. Benarroche et alii.

M. Guy Benarroche.  - Par cet amendement, nous voulons inscrire expressément dans le texte l'effacement des données à caractère personnel du répertoire dès lors que l'inéligibilité arrive à son terme, conformément aux dispositions du RGPD.

M. Olivier Bitz, rapporteur.  - Vous avez présenté à la fois votre amendement et les raisons qui justifient notre demande de retrait... (M. Guy Benarroche sourit.) L'amendement est satisfait par les dispositions du RGPD. En outre, les modalités de gestion du fichier seront précisées par décret en Conseil d'État, après avis de la Cnil. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée.  - Même avis, pour les mêmes raisons.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié de Mme Briante Guillemont et alii.

Mme Sophie Briante Guillemont.  - Nous prévoyons l'interconnexion du registre avec le casier judiciaire.

M. Olivier Bitz, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée.  - Nous comprenons l'intérêt juridique de cette mesure, mais elle nécessite des expertises supplémentaires entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice. Sagesse.

L'amendement n°2 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°4 de M. Bitz, au nom de la commission des lois.

M. Olivier Bitz, rapporteur.  - Nous supprimons la disposition relative aux modalités de transmission des informations qui relèvent du pouvoir réglementaire.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée.  - Sagesse.

L'amendement n°4 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°5 de M. Blitz au nom de la commission de lois.

M. Olivier Bitz, rapporteur.  - Cet amendement garantit l'effectivité de la proposition de loi en prévoyant l'obligation de consultation du répertoire pour l'élection des sénateurs.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée.  - Là encore, avis de sagesse. Il faudra retravailler ce point.

L'amendement n°5 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°6 de M. Blitz au nom de la commission de lois.

M. Olivier Bitz, rapporteur.  - Même règle, pour l'élection des représentants au Parlement européen.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ah ! Alors ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée.  - Retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement n°6 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié bis de Mme Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont.  - Amendement de coordination pour prévoir l'application du texte à l'élection des représentants des Français de l'étranger.

M. Olivier Bitz, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée.  - Sagesse.

L'amendement n°3 rectifié bis est adopté.

Vote sur l'ensemble

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - Le groupe SER est favorable au texte. Je regrette la position du Gouvernement. Le Parlement réalise un travail qui aurait dû être effectué par le ministère de l'intérieur. Les avis de sagesse de la ministre sont très décevants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains, du RDSE et du GEST)

Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi .  - Je souscris aux propos de Mme de La Gontrie. Madame la ministre, cette proposition de loi est transpartisane et très attendue. Or nous constatons l'absence d'avancées des ministères de la justice et de l'intérieur sur ce sujet depuis la parution du rapport de la Cour des comptes. Il est de votre responsabilité d'y remédier ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes UC et Les Républicains, du GEST et du groupe SER)

L'article unique, modifié, est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

M. le président.  - À l'unanimité ! (Applaudissements)

La séance est suspendue à 12 h 50.

Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente

La séance reprend à 14 h 30.