EXAMEN DES ARTICLES

Article 2
Création d'un fichier des identités fictives et des prête-noms

L'article 2 crée un fichier national des identités fictives et des prête-noms tenu par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Considérant qu'un tel fichier serait aisément contournable et pourrait avoir des effets collatéraux sur les victimes d'usurpation d'identité, la commission lui a, à l'initiative du rapporteur, substitué une extension du champ des appels à la vigilance émis par Tracfin en application de l'article L. 561-26 du code monétaire et financier afin d'y inclure explicitement la possibilité de signaler des identités fictives et des prête-noms utilisés par les personnes suspectées de blanchiment.

La commission a demandé à la commission des finances d'adopter cet article ainsi modifié.

1. La création d'un fichier des identités fictives et des prête-noms

L'article 2 de la proposition de loi insère un nouveau chapitre VIII bis au titre II du livre Ier du code de commerce, intitulé « du fichier national des identités fictives et des prête-noms ». Celui-ci autorise le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) à créer un fichier recensant les identités fictives et les prête-noms « impliqués dans des affaires de blanchiment » dans des conditions fixées après décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Les modalités pratiques de gestion du fichier et les garanties associées reprennent pour l'essentiel celles figurant aux articles L. 128-1 à L. 128-5 du code de commerce pour le fichier national des interdits de gérer (FNIG). Pour rappel, celui-ci est également tenu par le CNGTC et recense « les faillites personnelles et les autres mesures d'interdiction de diriger, de gérer, d'administrer ou de contrôler, directement ou indirectement, une entreprise commerciale, industrielle ou artisanale, une exploitation agricole, une entreprise ayant toute autre activité indépendante ou une personne morale prononcées à titre de sanction civile ou commerciale ou à titre de peine et résultant des décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée ». Le jugement ou l'arrêt ayant prononcé la mesure est explicitement mentionné dans le fichier.

À l'instar de ce qui est actuellement prévu pour le FNIG, les greffiers des tribunaux de commerce disposeraient donc d'un accès permanent aux données contenues dans le fichier des identités fictives et des prête-noms prévu à l'article 2. Ces données seraient par ailleurs communiquées sur simple demande et sans frais aux magistrats de l'ordre judiciaire et aux services du ministère de la justice pour l'exercice de leur mission (1° et 2°), à une liste de représentants de l'administration définies par décret dans le cadre de leur mission de lutte contre les fraudes (3°) ainsi qu'aux chambres de métiers et de l'artisanat départementales et de région (4°).

L'article 2 prévoit par ailleurs une traçabilité de toutes les consultations et prohibe toute interconnexion avec d'autres traitements de données à caractère personnel détenu par une personne quelconque ou par un service de l'État ne dépendant pas du ministère de la justice.

Il s'agit de la reprise de la recommandation n° 6 de la commission d'enquête sénatoriale précitée de Raphaël Daubet et Nathalie Goulet sur le blanchiment1(*). Si celle-ci faisait le constat d'une multiplication de déclarations frauduleuses effectuées à partir de fausses identités ou d'identités usurpées - impliquant parfois l'usage de noms de personnes décédées. Les apports attendus d'un fichier dédié n'y sont toutefois que brièvement développés.

Rapport n° 757 (2024-2025) de M. Raphaël Daubet et Mme Nathalie Goulet,
« Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société », 18 juin 2025 (extraits)

Si les déclarations relatives aux bénéficiaires effectifs permettent en principe d'identifier les véritables personnes qui contrôlent la société, l'information sur l'identité communiquée est purement déclarative, ce qui ouvre la voie à de fausses déclarations. Cette situation plaide pour un renforcement des moyens de contrôle de greffiers. Or, l'open data, qui se traduit par une diffusion large et gratuite des données sur internet, facilite d'autant plus la falsification des documents et l'usurpation des identités et qualités, particulièrement utilisés dans la constitution de sociétés éphémères. Pour Victor Geneste, président du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce, « cet open data insuffisamment régulé (...) constitue un terreau propice à la fraude ».

À titre d'illustration, il arrive que certaines personnes décédées continuent de figurer dans les registres tenus par les greffiers. Or, ces derniers n'ont pas la possibilité de croiser les données de ce registre avec celles du répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP). Dès lors, pour créer une société éphémère, il suffit tout simplement de prendre l'identité de l'une de ces personnes décédées, sans qu'aucun soupçon ne soit éveillé. Il serait utile de permettre aux greffiers, sous réserve d'une consultation de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), d'accéder au RNIPP afin de croiser les données de ce registre avec celles du RBE et du RCS (...).

Enfin, le rapporteur estime qu'il serait utile que les greffiers de tribunaux de commerce puissent disposer d'un fichier central contentant l'identité des prête-noms ou des faux papiers d'identité utilisés pour la création de sociétés éphémères, afin de prévenir les comportements récidivistes.

Recommandation n° 6 : Créer un fichier central diffusé entre les greffiers de tribunaux de commerce contentant l'identité des prête-noms ou des faux papiers d'identité utilisés pour la création de sociétés éphémères.

2. La position de la commission : une extension du périmètre des appels à la vigilance émis par Tracfin potentiellement plus efficace

Les auditions du rapporteur ont confirmé que l'usage de prête-noms et d'identités fictives était monnaie courante dans les réseaux de blanchiment, complexifiant d'autant la détection des opérations illicites par les autorités de contrôles. À titre d'exemple, la direction générale du Trésor (DGT) a confirmé que, bien qu'elle soit par nature difficile à quantifier, « la fraude documentaire est [bien] identifiée comme une problématique centrale de la lutte contre le blanchiment de capitaux ». Le CNGTC a quant à lui fait valoir que « les greffiers des tribunaux de commerce sont confrontés à l'utilisation d'identités fictives ou de prête-noms lors des demandes d'immatriculation ; ces pratiques visent principalement à créer des sociétés-écrans ou “ sociétés relais ” destinées à dissimuler des activités frauduleuses, détourner des fonds publics ou recycler des capitaux d'origine illicite ; les secteurs les plus touchés sont ceux à forte rotation d'entreprises et à flux financiers rapides, tels que le bâtiment, le commerce en ligne ou la logistique ; ces fraudes restent minoritaires au regard du volume total des formalités, mais leur impact économique et réputationnel est significatif, justifiant une vigilance renforcée ».

Pour autant, les auditions du rapporteur ont également révélé que la création d'un fichier créerait probablement davantage de difficultés qu'elle n'en résoudrait.

D'un point de vue opérationnel, un tel fichier serait premièrement facilement contournable par la multiplication d'identités fictives à usage unique.

Il pourrait deuxièmement avoir des effets collatéraux sur les victimes d'usurpation d'identité, qui peuvent devenir des « prête-noms » malgré elles. Les conséquences juridiques d'une inscription au fichier n'étant pas explicitée dans l'article 2, il ne peut être exclu que des victimes d'usurpation d'identité se voient ainsi privées de la possibilité de créer une société ou d'en poursuivre la gestion.

Troisièmement, il a été relevé que la rédaction de l'article 2 comprenait d'importantes imprécisions quant aux modalités d'alimentation du fichier. À l'inverse du FNIG, qui est alimenté par des décisions de justice déterminées et insusceptibles de recours, le fichier prévu à l'article recenserait des identités fictives « impliquées dans des affaires de blanchiment », ce terme étant particulièrement vague. L'autorité compétente pour décider, in fine, d'une inscription n'est par ailleurs pas précisée.

La Cnil a fait part au rapporteur d'une analyse similaire sur le sujet, estimant que « la notion d'implication ne semble pas définie de sorte à ce que les conditions d'inscription dans le fichier ne sont pas clairement établies : il n'est notamment pas possible de savoir si l'inscription est conditionnée à l'ouverture d'une procédure judiciaire (qui irait avec des garanties procédurales) ». La Cnil a par ailleurs émis plusieurs autres réserves tenant à l'inadaptation de la finalité prévue2(*), ainsi qu'à l'absence ou l'insuffisance de précision sur les modalités d'information des personnes inscrites et leurs voies de recours3(*) ou sur les modalités d'accès aux données du fichier4(*).

S'il a considéré que la création du fichier prévue à l'article 2 « permettrait [potentiellement] de centraliser les informations issues des fraudes avérées et d'éviter la réutilisation d'identités suspectes dans de nouvelles immatriculations et constituerait un outil de prévention en amont, complémentaire aux registres existants », le CNGTC n'en a pas moins également émis des réserves importantes au cours de son audition par le rapporteur. Si la plupart sont similaires à celles exposées précédemment, le CNGTC a également estimé que « pour être opérationnel, ce fichier devrait être interconnecté avec le RCS, le FNIG, le RBE et les bases fiscales ou judiciaires pertinentes », ce que le texte ne prévoit pas. Il s'est également inquiété du risque de créer un doublon avec les éléments existants, sans réelle valeur ajoutée, voire de générer des divergences d'informations entre registres. Il a enfin exprimé sa préoccupation vis-à-vis du fait que « si le greffier devait être amené à signaler ou inscrire une personne sur ce fichier sans base judiciaire préalable, sa responsabilité civile pourrait être engagée en cas d'erreur ou de contestation compte tenu du caractère des informations à inscrire ».

Dans ce contexte, le rapporteur a jugé préférable de travailler à partir des instruments préexistants de la lutte contre le blanchiment plutôt que de créer un nouveau fichier dont la plus-value n'est pas démontrée. Pour rappel, le code monétaire et financier soumet d'ores et déjà les professionnels à d'importantes obligations visant à lutter contre le recours aux identités fictives. Les professionnels assujettis aux règles LCB-FT sont ainsi tenus d'identifier leurs clients et leurs bénéficiaires effectifs5(*). Comme l'a rappelé la direction générale du Trésor au cours de son audition, les exigences de vérifications à mettre en place en cas de relation d'affaires à distance seront en outre durcies avec l'entrée en application du nouveau cadre européen anti-blanchiment au 10 juillet 20276(*).

En conséquence, la commission a, à l'initiative du rapporteur, substitué au fichier prévu une extension du champ des appels à la vigilance aujourd'hui émis par Tracfin en application de l'article L. 561-26 du CMF. La direction générale du Trésor a confirmé au cours de son audition que cet outil « contribuait [effectivement] à détecter le recours à ces identités usurpées ». Il est toutefois nécessaire d'aller plus loin en étendant le champ des informations communiquées par ce canal aux professionnels assujettis. Selon l'amendement COM-4 adopté par la commission, Tracfin pourrait donc désormais non seulement désigner aux personnes assujetties des personnes physiques particulièrement à risque mais également leur signaler expressément les identités fictives et les prête-noms qu'elles utilisent ou sont susceptibles d'utiliser.

Cet enrichissement de l'information apportée aux personnes assujetties aux règles LCB-FT leur permettra de cibler davantage leurs contrôles et de repérer au plus vite des cas de fraude documentaire. Ce mécanisme pallie les carences du fichier proposé par l'article 2 tout en adaptant les outils existants de la lutte contre le blanchiment aux enjeux spécifiques liés à la multiplication du recours aux identités fictives.

La commission a proposé à la commission des finances d'adopter l'article 2 ainsi modifié.

Article 3
Justification de l'origine des fonds en cas de cession amiable
d'une société commerciale

L'article 3 impose une justification obligatoire de l'origine des fonds par l'acheteur dans le cadre de toute cession amiable d'un fonds de commerce, de parts sociales ou d'actions d'une société commerciale. Si les cessions amiables représentent effectivement une vulnérabilité en matière de lutte contre le blanchiment, le caractère systématique de cette obligation pourrait excessivement entraver la vie économique et se traduirait probablement par l'envoi massif de déclarations de soupçons d'un intérêt limité à Tracfin.

À l'initiative de son rapporteur, la commission a donc adopté un amendement lui substituant la création d'une nouvelle mesure de vigilance complémentaire applicable aux personnes assujetties aux règles LCB-FT.

Elle a demandé à la commission des finances d'adopter cet article ainsi modifié.

1. L'article 3 : une obligation administrative de justification de l'origine des fonds en cas de cession amiable

L'article 3 de la proposition de loi rétablit un article L. 141-1 du code de commerce pour prévoir une justification obligatoire par l'acheteur de l'origine des fonds utilisés dans le cadre d'une cession amiable de fonds de commerce ou de parts sociales ou d'actions entraînant le changement de contrôle d'une société commerciale au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce (I). Cette justification est remise, selon des modalités précisées par décret, au professionnel chargé de la rédaction de l'acte ou au greffier du tribunal de commerce (II). Celui-ci est alors tenu d'opérer une déclaration de soupçon à Tracfin « s'il sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que les fonds proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liés au financement du terrorisme ». L'article 3 prévoit enfin une application systématique de ce dispositif lorsque l'entreprise exerce une activité dans un secteur à risque défini par décret ou lorsque le montant de la cession excède un seuil fixé par voie réglementaire (III).

Cet article reprend une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale précitée du 18 juin 2025 de Raphaël Daubet et Nathalie Goulet du 18 juin 20257(*), qui estimait que « la priorité est de dissuader autant que faire se peut et au plus tôt les organisations criminelles, en amont, de prendre le contrôle d'entreprises, dans la mesure où plus l'économie est gangrénée par la présence d'entreprises légales criminelles, plus il est difficile de rétablir un marché fonctionnel ». Si les auteurs rappelaient l'importance de ne pas entraver l'activité économique par un surcroît de formalités administratives imposées aux entreprises, ils indiquaient néanmoins que les secteurs les plus ciblés par la criminalité organisée étaient peu soumis à une nécessité de fluidité des capitaux et qu'il existait donc des marges de manoeuvre pour mieux les contrôler.

Comme l'a souligné la direction générale du Trésor (DGT), le code de commerce prévoit principalement, dans les quinze jours suivant la date de la cession amiable d'un fonds de commerce, une obligation de publication d'un extrait ou avis dans un journal d'annonces légales dans le ressort du fonds de commerce et au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales8(*). Les cessions de parts sociales doivent être enregistrés auprès de l'administration fiscale dans un délai d'un mois9(*). Le dépôt des statuts mis à jour doit ensuite être effectué auprès du greffe du tribunal de commerce, aux fins de mise à jour du RCS. Si l'enregistrement fiscal demeure obligatoire, le dépôt au greffe n'est en revanche pas systématique dans le cas d'une cession amiable d'action. Seules les cessions impliquant une modification statutaire sont soumises à une telle formalité.

2. La position de la commission : une démarche utile mais qui ne peut être généralisée

Les personnes auditionnées par le rapporteur ont unanimement confirmé que les cessions amiables de société commerciale représentaient un facteur de vulnérabilité dans le dispositif de lutte contre le blanchiment. Tracfin a ainsi indiqué que « l'acquisition de parts sociales ou d'actions constitue un vecteur privilégié de blanchiment des fonds d'origine criminelle », tandis que la direction générale du Trésor a confirmé que « la phase de création d'un commerce (rachat du fonds de commerce et travaux d'installation) est particulièrement exposée aux risques de blanchiment de capitaux ».

Pour autant, le rapporteur a considéré que l'obligation de justification systématique de l'origine des fonds proposée à l'article 3 soulevait plusieurs difficultés.

La rédaction proposée est tout d'abord caractérisée par une ambiguïté sur l'ensemble de cette obligation. Son I prévoit une obligation générale applicable à l'intégralité des cessions amiables. A contrario, son II laisse entendre que celle-ci ne s'appliquerait que pour certaines cessions déterminées, soit parce qu'elles seraient supérieures à un certain montant soit parce qu'elles concerneraient une entreprise relevant de secteurs désignés comme à risque.

Les deux hypothèses soulèvent des difficultés de nature différente. D'un point de vue opérationnel, une obligation générale peut apparaître disproportionnée. Comme cela a été souligné par la DGT au cours de son audition, « la création de cette nouvelle obligation apparaît peu conforme à l'objectif général de simplification pour les entreprises ». La direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a partagé ce constat, exprimant la crainte « que cette nouvelle obligation pesant sur les acquéreurs ne conduise à ralentir les cessions tout en renchérissant leur coût, allant à l'encontre de la volonté de simplification de la vie économique ». De surcroît, cette obligation conduirait probablement à l'envoi massif de déclarations de soupçon d'un intérêt limité à Tracfin, au risque de saturer les capacités d'investigation du service.

La définition d'entreprises à risque ou d'un seuil d'activation de cette obligation ne semble pas de nature à surmonter ces difficultés. La désignation officielle de secteurs à risque pourrait être contreproductive en incitant les criminels à s'en détourner pour investir des champs économiques où la vigilance est moindre. De plus, la désignation explicite de certains secteurs à risque pourrait engendrer des conséquences disproportionnées pour l'activité économiques de la vaste majorité de leurs opérateurs, qui se conforment à leurs obligations légales. La fixation d'un seuil de prix n'apparaît pas plus pertinente. La sous-évaluation des prix de vente étant une pratique courante en matière de blanchiment, celui-ci serait probablement rapidement privé d'effets. La DGT a ainsi rappelé au cours de son audition que « du point de vue de la lutte contre le blanchiment de capitaux, les typologies comprennent notamment la sous-évaluation du prix dans l'acte de vente, compensée par un versement d'espèces non-déclaré », ce qui implique que « les opérations à risque ne sont pas forcément celles affichant des montants importants ».

Par prolongation, cette question entraîne celle de l'intensité du contrôle qui serait effectué par les professionnels en charge de la rédaction de l'acte de cession, à savoir, selon les cas, les notaires, avocats, greffiers ou experts-comptables. La DACS a insisté sur le fait que la conduite systématique de diligences poussées alourdirait immanquablement la charge administrative pesant sur les acteurs économiques, et ce d'autant plus que la vérification des justificatifs présentés peut être délicate dans certains cas de figure. La DACS a ainsi cité le cas de « la constitution d'une épargne dont l'origine résulte, par hypothèse, de revenus non dépensés, et suppose, en toute rigueur de se faire produire les pièces utiles (relevés de comptes bancaires) et de procéder à leur analyse ». A contrario, un contrôle purement formel aurait probablement peu d'impact sur la lutte contre le blanchiment, sans que son coût administratif ne soit neutre pour autant.

La rédaction proposée soulève également une difficulté juridique en ce qu'elle crée une nouvelle obligation de transmission de déclaration de soupçon à Tracfin. Comme l'a rappelé la DGT au cours de son audition le champ de l'obligation de déclaration de soupçon découle toutefois directement du droit européen et des normes internationales, et couvre l'ensemble des situations identifiées dans la loi puisque l'obligation porte sur toute « opération portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme »10(*).

Les professionnels chargés de la rédaction des actes de cession amiable sont enfin déjà assujettis aux règles de vigilance et de signalement LCB-FT en application du 19° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier. Pour toute opération anormalement complexe, d'un montant inhabituellement élevé ou qui paraît injustifié économiquement, les déclarants doivent effectuer un examen renforcé, au titre de l'article L. 561-10-2, qui implique une vérification de l'origine des fonds auprès du client. Dès lors, la rédaction proposée de l'article 3 pourrait introduire une ambiguïté sur la portée de cette obligation.

Partageant l'objectif d'une plus grande vigilance sur les cessions amiables de sociétés commerciales, la commission a donc, à l'initiative du rapporteur, substitué à l'obligation prévue la création d'une nouvelle mesure de vigilance complémentaire applicable aux personnes assujetties aux règles LCB-FT. Concrètement, l'amendement COM-5 adopté par la commission prévoit que les professionnels en charge de la rédaction de l'acte de cession ont l'obligation de se renseigner auprès de l'acquéreur de l'origine des fonds lorsque le risque de blanchiment leur apparaît élevé. Cette nouvelle obligation ne dispense en aucun cas les professionnels des diligences prévues à l'article L. 561-10-2 du code monétaire et financier mais constitue une obligation de vigilance complémentaire autonome dont le seuil de déclenchement par le professionnel est plus faible, eu égard au risque particulier de blanchiment constaté lors des cessions amiables.

Cette approche par les risques apparaît plus adaptée qu'une obligation déclarative systématique, particulièrement lourde. Elle s'insère par ailleurs mieux dans le cadre préexistant des mesures de vigilance complémentaire, qui est connu et maîtrisé par les acteurs et est par là même gage d'une plus grande efficacité.

La commission a proposé à la commission des finances d'adopter l'article 3 ainsi modifié.

Article 8
Procédure de radiation d'office du registre du commerce et des sociétés

Le I de l'article 8 précise que le contrôle des titres d'identité étranger opéré par les greffiers des tribunaux de commerce vise à prévenir la fraude. La commission ne s'est pas opposée à une mention des finalités de la démarche, tout en estimant nécessaire de préciser que celles-ci ne relèvent pas exclusivement de la lutte contre la fraude.

Le II de l'article 8 propose que l'institut national de la propriété industrielle (Inpi) soit obligatoirement informé des radiations d'office du registre du commerce et des sociétés (RCS) opérées par les greffiers des tribunaux de commerce et que ceux-ci puissent rapporter une radiation en cas de régularisation. La commission a constaté que ces deux éléments figuraient déjà l'article L. 561-47 du code monétaire et financier et qu'ils pourraient en conséquence être supprimés. La commission a demandé à la commission des finances d'adopter cet article ainsi modifié.

1. Le I de l'article 8 : un contrôle des titres d'identité étranger par les greffiers des tribunaux de commerce qui répond à de multiples finalités

L'article 4 de la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic a complété l'article L. 123-2 du code de commerce par un alinéa autorisant les greffiers des tribunaux de commerce à « vérifier par tout moyen la cohérence et la validité des pièces d'identité étrangères fournies » dans le cadre d'une demande d'immatriculation au RCS. Cette disposition avait été introduite lors de l'examen du texte en commission en première lecture à l'Assemblée nationale via un amendement du groupe socialiste11(*).

Il s'agissait à l'origine d'une recommandation émise par le CNGTC dans son « Livre blanc : 15 propositions pour renforcer la lutte contre la criminalité financière » du 4 novembre 2024. Le CNGTC estimait ainsi primordial, « dans le cadre du renforcement de la lutte contre les sociétés fictives et éphémères [...] de permettre l'identification des fraudeurs le plus tôt, en amont de la création de la société, quelle que soit la situation de résidence du dirigeant étranger afin de supprimer toute possibilité d'utiliser la société à des fins irrégulières ». Il ajoutait qu'il « conviendrait de permettre au greffier de disposer des moyens techniques pour vérifier la cohérence et la validité des pièces d'identité étrangères fournies, de sorte que le contrôle de police économique effectué par le greffier en vertu de l'article L. 123-2 du code de commerce soit étendu ».

Livre blanc du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce12(*)

Explications sur la proposition n° 2

« Les pièces justificatives à produire pour le dirigeant personne physique d'une société de droit français ou de droit étranger sont limitativement prévues à l'annexe 1-1 à l'article A. 123-45 du code de commerce. Elles diffèrent selon que le dirigeant est français (ou ressortissant européen) ou étranger, résidant ou non en France.

« Le dirigeant français ou ressortissant européen doit produire à l'appui de sa demande d'inscription au RCS une copie de la carte nationale d'identité ou du passeport en cours de validité et une attestation sur l'honneur de non-condamnation, faisant apparaître la filiation.

« Le dirigeant étranger résidant en France, lorsqu'il dirige une société civile doit fournir tout document justifiant de son identité et une attestation sur l'honneur de non-condamnation faisant apparaître la filiation.

« Lorsqu'il dirige d'autres types de société, le dirigeant étranger résidant en France doit produire une copie d'un titre de séjour et une attestation de non-condamnation, faisant apparaître la filiation.

« Les greffiers des tribunaux de commerce vérifient l'authenticité des pièces d'identité et des titres de séjour délivrés en France. Cette vérification est rendue possible par l'interrogation des bases de données détenues par le ministère de l'Intérieur via le dispositif DOCVERIF.

« Le dirigeant étranger ne résidant pas en France peut diriger une société inscrite au RCS, y compris de droit français, en conservant sa résidence à l'étranger. Dans ce cas, il doit fournir une copie de la carte d'identité ou du passeport en cours de validité et une attestation sur l'honneur de non-condamnation, faisant apparaître la filiation.

« Il ressort des pièces justificatives fournies que les contrôles sont moins étendus dans le cas de documents produits par les dirigeants étrangers non-résidents alors même que les greffiers des tribunaux de commerce doivent faire face à une montée en puissance de la fraude documentaire. »

Dans ce contexte, le I de l'article 8 de la proposition de loi précise que ledit contrôle de la cohérence et de la validité des pièces d'identité étrangères fournies est effectué « pour prévenir les risques de fraude ».

Au cours de son audition par le rapporteur, le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a estimé que cette précision en apparence symbolique permettait de « reconnaître formellement le rôle de tiers de confiance du greffier au coeur du dispositif national de transparence économique » ainsi que de « conférer une base juridique claire à une mission déjà exercée dans les faits, renforçant ainsi la légitimité du contrôle exercé par les greffes et la sécurité des procédures de publicité légale ».

Si la commission ne s'est pas opposée à ce que les finalités de ce contrôle soient mentionnées à l'article L. 123-2 du code de commerce, elle a néanmoins été sensible aux arguments exposés notamment par la direction générale du Trésor quant au risque de lecture a contrario de la rédaction proposée. Le contrôle de la validité et de la cohérence des pièces d'identités étrangères répond en effet à une pluralité d'objectifs, parmi lesquels la prévention de la fraude mais également la fiabilisation de l'information légale des entreprises publiée dans les différents registres. Par conséquent, la commission a adopté l'amendement COM-6 de son rapporteur précisant que la lutte contre la fraude n'était pas la finalité exclusive desdits contrôles.

2. Le II de l'article 8 : une nouvelle procédure de radiation du RCS prévue à l'article L. 561-47 du CMF dont les contours sont déjà suffisamment précis

Les sociétés ou entités mentionnées à l'article L. 561-45-1 du CMF sont tenues d'obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leur bénéficiaire effectif. Les bénéficiaires effectifs sont les personnes physiques soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client (1°), soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée13(*). Le pouvoir réglementaire a précisé le cas prévu au 1°, en désignant comme bénéficiaire effectif « la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société au sens des 3° et 4° du I de l'article L. 233-3 du code de commerce »14(*).

Ces informations sont portées au registre des bénéficiaires effectifs (RBE) ainsi qu'au RCS. Elles figurent également au registre national des entreprises tenu par l'Inpi en application de l'article L. 123-37 du code de commerce. Elles font au préalable l'objet d'un contrôle effectué par les greffiers des tribunaux de commerce.

L'article 4 de la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic a complété l'article L. 561-47 du CMF afin de prévoir la possibilité pour les greffiers des tribunaux de commerce de radier d'office du RCS une société ou une entité n'ayant pas déclaré ou mis en confirmé dans un délai de trois mois à compter d'une mise en demeure les informations relatives à ses bénéficiaires effectifs. Deux autres cas de radiation d'office sont par ailleurs prévus, lorsque le signalement d'une divergence n'a pas donné lieu à une régularisation15(*) ou dans le cas où une société ne défère pas à une injonction du président du tribunal de commerce de déclarer ou rectifier les données relatives à ses bénéficiaires effectifs16(*).

Les auditions du rapporteur n'ont pas permis d'obtenir de premiers éléments de bilans. De fait, ces nouveaux mécanismes de radiation d'office du RCS ne sont entrées en vigueur qu'au 13 juin de cette année et prévoient un délai de trois mois avant l'exécution de la mesure. Le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a ainsi indiqué au cours de son audition que les premières vagues de courrier avaient été adressées début septembre et que, compte tenu de ce délai, d'éventuelles opérations de radiation ne pourraient intervenir qu'au début du mois de décembre.

Dans ce contexte, l'article 8 propose, d'une part, que l'Inpi soit informé des décisions de radiation d'office prises en application de l'article L. 561-47 du CMF et, d'autre part, que « la société ou l'entité [puisse] demander au greffier de rapporter la radiation après régularisation, dans des conditions précisées par décret ». Comme l'a rappelé la direction générale du Trésor au cours de son audition, le rapport de radiation permet au teneur de registre de mettre à jour le registre tout en conservant les données existantes de l'entreprise. Cette démarche est donc plus simple pour le déclarant et lui permet de conserver les données de son entreprise sans avoir à effectuer une nouvelle formalité.

Le rapporteur a relevé à l'issue de ces auditions que ces deux éléments étaient satisfaits par la rédaction actuelle de l'article L. 561-47 du CMF. L'Inpi est en effet mentionné comme destinataire des décisions de radiation d'office en sa qualité de teneur du registre national des entreprises tandis que la dernière phrase du dernier alinéa de cet article mentionne explicitement la possibilité pour les greffiers des tribunaux de commerce de rapporter une radiation17(*) dans des conditions prévues par décret. La direction générale du Trésor a confirmé au cours de son audition que celui-ci serait publié à l'échéance annoncée de septembre 2025.

En conséquence, la commission a adopté l'amendement COM-6 du rapporteur supprimant le II de l'article 8.

La commission a proposé à la commission des finances d'adopter l'article 8 ainsi modifié.

Article 9
Accès des greffiers des tribunaux de commerce à la documentation cadastrale

L'article 9 ouvre, à titre expérimental, un accès direct aux données cadastrales aux greffiers de trois tribunaux de commerce. Considérant qu'un tel accès était potentiellement de nature à renforcer l'action des greffiers des tribunaux de commerce en matière de prévention de la fraude et de lutte contre le blanchiment, la commission n'a pas remis en cause l'article 9. Sans s'interdire de revenir sur le sujet en séance, elle a adopté l'amendement du rapporteur introduisant trois garanties supplémentaires pour la mise en oeuvre de cette expérimentation. La commission a demandé à la commission des finances d'adopter cet article ainsi modifié.

1. L'état du droit : deux régimes d'accès distincts à la documentation cadastrale

La documentation cadastrale recense et identifie les propriétés foncières du territoire national18(*). Son régime juridique est fixé par le décret n° 55-471 du 30 avril 1955 relatif à la rénovation et à la conservation du cadastre, dont la dernière modification remonte à la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015. La documentation cadastrale a une vocation exclusivement fiscale, en ce qu'elle sert de base de calcul aux impôts locaux et ne s'apparente en aucun cas à un fichier des titres de propriété. Concrètement, elle rassemble deux types de documents distincts :

le plan cadastral : il est défini par les ministères économiques et financiers comme une « représentation graphique d'une commune qui dresse l'inventaire de ses propriétés foncières ainsi que l'emprise au sol des bâtiments qui les occupent ». Il ne comprend aucune donnée nominative ;

- la matrice cadastrale : ce document établi annuellement complète les informations figurant dans le plan cadastral. Il agrège les relevés de propriété indiquant l'identité des propriétaires de chaque terrain ou immeuble bâti répertorié au sein du plan cadastral. Dans le détail, il mentionne pour chaque propriétaire, selon la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), « son adresse, sa date et son lieu de naissance, le cas échéant le nom de son conjoint, la liste des parcelles lui appartenant situées sur le territoire de la commune, identifiées par leur numéro et leur adresse, éventuellement, la description du bâti par “unité d'évaluation”, ainsi que les principaux éléments ayant concouru à l'établissement de la taxe foncière et les éventuelles causes d'exonération de cette taxe »19(*).

La direction générale des finances publiques est l'administration en charge de la tenue et de la diffusion de la documentation cadastrale, en particulier à destination des communes.

Le principe de la libre communication des documents cadastraux est un principe ancien remontant à l'origine à la loi du 7 Messidor an II puis confirmé par la jurisprudence administrative20(*). En l'état du droit, les conditions d'accès aux données cadastrales différent néanmoins selon la nature des données.

Dans le cas du plan cadastral, le principe de libre-communication s'applique de manière extensive. Il s'applique à toute personne, qu'elle soit ou non propriétaire sur le territoire de la commune d'implantation des parcelles ou propriétés faisant l'objet de la demande. Cette libre-communication s'exerce vis-à-vis de l'ensemble des administrations détenant le cadastre. Ainsi, le plan cadastral peut être consulté via le centre des impôts ou en mairie, sur place ou par l'intermédiaire d'une demande de renseignement cadastral effectuée par courrier. Il est également librement disponible sur le site internet21(*). La délivrance du plan cadastral est par ailleurs payante dans la plupart des cas, selon des tarifs fixés par un arrêté du 16 mars 201122(*).

Les conditions d'accès à la matrice cadastrale sont quant à elle plus strictes. Les propriétaires ont le droit à la communication de l'intégralité des relevés de leurs propriétés, sous réserve de justifier de cette qualité. Les tiers ne peuvent quant à eux obtenir la communication d'informations cadastrales concernant des parcelles déterminées que de manière ponctuelle. Ces règles sont aujourd'hui fixées aux articles L. 107 A et R. 107 A-1 à R. 109-2 du livre des procédures fiscales. La demande de communication est effectuée par écrit et est traitée par les services de l'administration fiscale et des communes. La CADA rappelle par ailleurs que « sont seuls communicables aux tiers le numéro et l'adresse de la parcelle, le nom et le prénom de son propriétaire, le cas échéant son adresse et l'évaluation du bien pour la détermination de la base d'imposition à la taxe foncière ; toute autre information, notamment la date et le lieu de naissance du propriétaire, ainsi que les motifs d'exonération fiscale, doit être occultée avant la communication »23(*).

Article L. 107 du livre des procédures fiscales

Toute personne peut obtenir communication ponctuelle, le cas échéant par voie électronique, d'informations relatives aux immeubles situés sur le territoire d'une commune déterminée, ou d'un arrondissement pour la Ville de Paris et les communes de Lyon et Marseille, sur lesquels une personne désignée dans la demande dispose d'un droit réel immobilier. Toute personne peut obtenir, dans les mêmes conditions, communication d'informations relatives à un immeuble déterminé. Les informations communicables sont les références cadastrales, l'adresse ou, le cas échéant, les autres éléments d'identification cadastrale des immeubles, la contenance cadastrale de la parcelle, la valeur locative cadastrale des immeubles, ainsi que les noms et adresses des titulaires de droits sur ces immeubles. Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, définit les modalités d'application du présent article et les conditions de communication par voie électronique des informations visées à la phrase précédente.

Article R. 107 A-1 du livre des procédures fiscales

La demande de communication des informations mentionnées à l'article L. 107 A est effectuée par écrit. Elle comporte les nom et prénoms ou la raison sociale du demandeur, la commune de situation des immeubles, l'arrondissement pour les communes de Paris, Lyon et Marseille, ainsi que la personne ou les immeubles concernés. Un immeuble s'entend comme une parcelle ou un lot de copropriété.

Une demande ne peut mentionner plus d'une commune ou d'un arrondissement, et plus d'une personne ou plus de cinq immeubles.

Article R. 107 1-2 du livre des procédures fiscales

La communication des informations susmentionnées a lieu sous la forme d'un relevé de propriété issu de la matrice cadastrale. Elle est assurée par les services de l'administration fiscale et des communes.

Article R. 107 A-3 du livre des procédures fiscales

I. - Le caractère ponctuel de la communication est défini par le nombre de demandes présentées par un usager auprès d'un service, qui ne peut être supérieur à cinq par semaine dans la limite de dix par mois civil.

II. - La limite prévue au I n'est toutefois pas opposable :

1° Aux titulaires de droits réels immobiliers ou à leurs mandataires et, pour les majeurs protégés par la loi ou les mineurs, à une personne chargée de la mesure de protection ou de l'autorité parentale, pour les immeubles sur lesquels s'exercent ces droits ;

2° Aux autorités ou administrations agissant dans le cadre de procédures judiciaires ou administratives visant les personnes ou la définition des propriétés. Toutefois, dans ce cas, l'administration fiscale peut opposer la limite prévue au I si la demande émane d'autorités ou d'administrations disposant annuellement des informations mentionnées à l'article L. 107 A.

Article R. 107 A-7 du livre des procédures fiscales

Les modalités de communication prévues par les articles R. * 107 A-1 à R. * 107 A-6 ne font pas obstacle à la délivrance, par l'administration fiscale, de la documentation cadastrale sous forme de fichiers à d'autres services ou personnes établissant agir dans le cadre d'une mission de service public, le cas échéant en qualité de délégataire, à condition que les informations transmises ne fassent pas l'objet d'une diffusion à d'autres usagers.

2. L'article 9 : expérimenter un accès direct des greffiers des tribunaux de commerce à l'intégralité des données cadastrales

Dans ce contexte, l'article 9 de la proposition de loi prévoit la désignation, à titre expérimental de trois greffes de tribunaux de commerce qui pourraient accéder, pour une durée de deux ans, aux données cadastrales des immeubles détenus par des personnes morales immatriculées dans leur ressort. Il est précisé que ces données ne pourraient être cédées à des tiers ou utilisées à des fins commerciales. La remise d'un rapport au Parlement est prévu six mois avant la fin de l'expérimentation, celui-ci devant mentionner le nombre de demandes effectuées ainsi que les cas de fraude ou d'anomalie détectés.

Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, l'objectif est de répondre au « manque d'interconnexion entre les registres économiques et les bases foncières, qui empêche de détecter certaines incohérences ou montages frauduleux ». Cette question particulière des données cadastrales n'est néanmoins que marginalement abordée dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale précitée de Raphaël Daubet et Nathalie Goulet24(*).

Il s'agit en revanche de l'une des recommandations effectuées par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce dans son « Livre blanc : 15 propositions pour renforcer la lutte contre la criminalité financière » du 4 novembre 2024. Afin d'éviter la création de structures fictives, celui-ci estimait nécessaire, en amont d'une immatriculation au RCS, « de vérifier que l'adresse [du siège social] déclaré a une réelle existence et qu'elle est compatible avec l'activité déclarée par la personne morale ». En conséquence, la proposition n° 4 invite à « mettre en oeuvre une expérimentation de connexion entre les greffiers des tribunaux de commerce et les bases de données de la Poste ou du cadastre afin de pouvoir détecter les adresses qui seraient inexistantes » et précise que « cette possibilité d'interrogation renforcerait la fiabilisation des créations d'entreprises et, intervenant en amont du processus, elle éviterait la création de structures fictives ou frauduleuses ».

Le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a confirmé cette position au cours de son audition par le rapporteur. Il a estimé que le dispositif proposé par l'article 9 « constituerait un outil de vérification précieux pour les greffiers des tribunaux de commerce dans leur mission de lutte contre la fraude et le blanchiment » et qu'il « permettrait de confirmer la réalité des sièges sociaux en identifiant les adresses fictives fréquemment utilisées dans les montages frauduleux ». Il a enfin précisé que l'expérimentation « permettrait de fiabiliser les immatriculations et de bloquer en amont la création de structures fictives par une interrogation automatique ».

3. La position de la commission : sécuriser les modalités de mise en oeuvre de l'expérimentation

Sans s'interdire de revenir sur le sujet en séance, la commission n'a pas remis en cause l'expérimentation prévue par l'article 9. Si l'article R. 107 A-7 du livre des procédures fiscales est de nature à faciliter l'accès aux données cadastrales pour les greffiers des tribunaux de commerce vis-à-vis des tiers de droit commun, il est vrai qu'aucun accès direct aux données de la matrice cadastrale ne leur est actuellement octroyé par les textes. Or, ces derniers peuvent, dans le cadre de leurs opérations de contrôle préalables à une immatriculation et dans un objectif notamment de lutte contre la fraude, avoir besoin d'accéder à des données cadastrales. Les modalités actuelles de consultation sont toutefois difficilement compatibles avec l'exigence légitime de célérité auxquels ils sont astreints dans le processus d'immatriculation, de manière à garantir la fluidité de la vie économique.

Dès lors, il n'est pas illégitime d'envisager la création d'un accès direct aux données cadastrales au bénéfice des greffiers des tribunaux de commerce. La documentation cadastrale comprenant les données nominatives d'une partie importante de la population française, le rapporteur a néanmoins estimé qu'une telle évolution devait s'envisager avec prudence et que la voie de l'expérimentation était de rigueur en la matière. De surcroît, il a estimé a minima nécessaire de sécuriser les conditions de l'expérimentation.

À son initiative, la commission a donc adopté son amendement COM-7 introduisant trois nouvelles garanties au dispositif. Il limite premièrement cet accès aux données cadastrales aux seules finalités de lutte contre la fraude, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il prévoit deuxièmement que les modalités de mise en oeuvre de cet accès sont organisées de manière à garantir la traçabilité des consultations. Il impose troisièmement la conclusion d'une convention entre l'administration fiscale et les trois greffes expérimentateurs définissant les conditions d'accès aux données.

La création d'un accès direct aux données cadastrales supposant par ailleurs d'importants travaux techniques, il est enfin proposé une entrée en vigueur différée à partir du 1er janvier 2027.

La commission a proposé à la commission des finances d'adopter l'article 9 ainsi modifié.


* 1  Rapport n° 757 (2024-2025) de M. Raphaël Daubet et Mme Nathalie Goulet fait au nom de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, 18 juin 2025.

* 2 La Cnil a ainsi fait part au rapporteur de l'analyse suivante : « L'exposé des motifs précise que le fichier doit permettre d'éviter la réutilisation de ces identités dans de nouvelles structures frauduleuses. La rédaction de l'article 2 de la proposition de loi semble, par conséquent, trop large puisqu'elle vise un objectif imprécis de lutte contre “ les fraudes ” ».

* 3 Si ces éléments peuvent, le cas échéant, être prévus par voie réglementaire, la Cnil a néanmoins rappelé que leur nature dépendrait directement des modalités d'inscription au fichier, elles-mêmes trop imprécises en l'état.

* 4 La Cnil a ainsi fait part au rapporteur de l'analyse suivante : « la rédaction actuelle pourrait permettre un accès fondé sur la lutte contre tout type de fraude, alors que la finalité du fichier semble limitée au domaine de la délinquance économique et financière. Il serait donc souhaitable de préciser les missions concernées afin de les limiter au regard de l'objectif poursuivi. Par ailleurs, la proposition de loi prévoit d'accorder aux greffiers des tribunaux de commerce et des tribunaux civils statuant en matière commerciale un accès permanent au fichier. Toutefois, la répartition des rôles entre les différents acteurs du dispositif n'apparaît pas clairement définie. Si le Conseil national des tribunaux de commerce est désigné comme responsable du traitement, les greffiers semblent appelés à alimenter le fichier. Les conditions concrètes dans lesquelles ils procèdent à cette alimentation - notamment la nature des informations collectées, leurs sources, ainsi que les modalités de vérification ou de transmission - ne sont pas précisées. Une clarification du rôle respectif du Conseil national et des greffiers, tant en matière d'alimentation que d'accès au contenu du fichier, apparaît dès lors nécessaire pour garantir la transparence et la conformité du dispositif aux principes de protection des données ».

* 5 Articles L. 561-5 et R. 561-10 du code monétaire et financier.

* 6 Directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et Règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

* 7  Rapport n° 757 (2024-2025) de M. Raphaël Daubet et Mme Nathalie Goulet fait au nom de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, 18 juin 2025.

* 8 Article L. 141-12 du code de commerce. L'article L. 141-13 liste quant à lui les mentions obligatoires.

* 9 7° de l'article 635 du code général des impôts.

* 10 Article L. 561-15 du code monétaire et financier.

* 11 Amendement n° CL187.

* 12 CNGTC, Livre blanc, 15 propositions pour renforcer la lutte contre la criminalité financière, p. 24.

* 13 Article L. 561-2-2 du code monétaire et financier.

* 14 Article R. 561-1 du code monétaire et financier.

* 15 Article L. 561-47-1 du code monétaire et financier.

* 16 Article L. 561-48 du code monétaire et financier.

* 17 Elle n'est néanmoins pas mentionnée aux articles L. 561-47-1 et L. 561-48 du CMF.

* 18 Ministères économiques et financiers, «  Comment s'informer sur le cadastre ? », 24 janvier 2025.

* 19 Commission d'accès aux documents administratifs, «  Fiscalité locale et cadastre ».

* 20 Conseil d'État, 9 / 8 SSR, du 12 juillet 1995, 119734.

* 21 À l'adresse suivante : https://www.cadastre.gouv.fr/scpc/accueil.do.

* 22 Arrêté du 16 mai 2011 relatif aux conditions de rémunération des prestations cadastrales rendues par la direction générale des finances publiques.

* 23 Commission d'accès aux documents administratifs, «  Fiscalité locale et cadastre ».

* 24  Rapport n° 757 (2024-2025) de M. Raphaël Daubet et Mme Nathalie Goulet fait au nom de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, 18 juin 2025.

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