II. LES AMÉLIORATIONS QUE CONNAÎT LA JUSTICE JUDICIAIRE DOIVENT ÊTRE POURSUIVIES ET L'ÉCHÉANCE DE LA LOPJ ANTICIPÉE
A. LA CONDUITE DES POLITIQUES NUMÉRIQUE ET IMMOBILIÈRE DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE APPARAÎT ENCORE PERFECTIBLE EN DÉPIT DE CERTAINES ÉVOLUTIONS BIENVENUES
1. Les progrès réalisés par la Chancellerie dans le domaine du numérique doivent être poursuivis
Les difficultés rencontrées par le ministère de la justice en matière numérique ont justifié la mise en place d'un suivi de cette politique qui conditionne la qualité de travail des personnels judiciaires. Les rapporteures ont constaté lors de l'examen du présent projet de loi de finances que la Chancellerie résout un nombre croissant des problèmes qui s'élèvent dans le domaine du numérique. Les organisations syndicales représentatives ont ainsi salué les progrès sensibles de la procédure pénale numérique (PPN), qui a été mise en place dans l'ensemble des tribunaux et dont le développement se poursuit en coordination avec ses utilisateurs. L'applicatif Cassiopée2(*) a quant à lui connu les mises à jour qui avaient été annoncées lors de l'examen du précédent PLF. Le nombre de trames de procédure, qui s'élevait à près de 1 400, a déjà été réduit de 70 % et le secrétariat général oeuvre à l'utilisation d'un seul moteur d'édition, Opentext, pour faciliter leur mise à jour. La direction du numérique développe par ailleurs l'interconnexion de Cassiopée avec le logiciel de recouvrement des amendes de la DGFip (AMD) et le fichier de traitement des antécédents judiciaires du ministère de l'intérieur (Taj) pour favoriser la transmission automatisée des données entre les services et, partant, réaliser des gains de temps et des économies d'affranchissement.
La progression rapide des travaux du ministère dans le champ de l'intelligence artificielle générative a également été saluée par les rapporteures. Le ministère de la justice accusait en effet un retard significatif en la matière, qui avait été documenté l'an dernier dans le rapport d'information sur l'intelligence artificielle et les professions du droit adopté par la commission des lois3(*).
Les rapporteures demeurent toutefois attentives à la poursuite des efforts du ministère en matière numérique, spécialement dans le contexte du déploiement de Portalis et de Prisme. Les commissaires aux lois ont en effet constaté lors de déplacements au sein de juridictions judiciaires en juin dernier que Prisme apparaissait inabouti. Si le secrétariat général du ministère a en partie dissipé ces inquiétudes en faisant état des corrections qui ont été apportées au logiciel depuis lors et des tests « utilisateurs » nationaux qui ont été organisés en septembre dernier, les rapporteures suivront scrupuleusement les prochaines étapes de déploiement de ces logiciels. Elles envisagent à cette fin d'organiser dans les prochains mois de nouveaux déplacements en juridiction consacrés à la question du numérique.
Enfin, les rapporteures alertent la Chancellerie quant à la nécessité d'anticiper l'éventuelle adoption d'un projet de loi d'ampleur, tel que celui annoncé par le garde des sceaux et visant à assurer une sanction utile, rapide et effective. Plusieurs personnes entendues lors de leurs travaux ont en effet rappelé que l'adoption du « bloc peines » en 2019 avait engendré de grandes difficultés liées au défaut d'actualisation des différents applicatifs concernés.
« Fondation », l'outil de travail développé par le CSM
Le conseil supérieur de la magistrature (CSM) a déployé l'applicatif Fondation auprès de l'ensemble de ses membres le 3 mars 2025. Il a donc pu servir de support aux travaux du CSM durant le dernier examen de la transparence judiciaire4(*). Si le logiciel devra encore intégrer des fonctionnalités supplémentaires pour répondre à l'ensemble des besoins de l'institution, la progression de son développement témoigne des vertus de la méthode de beta.gouv.fr. Cette méthode de conception structurée à partir des besoins des utilisateurs garantit l'efficacité et en conséquence l'utilisation de l'applicatif. Le CSM a ainsi indiqué aux rapporteures que, dès l'examen de transparence du 17 mars 2025, 19 des 22 membres avaient déjà utilisé Fondation, que 56 % des rapports avaient été préparés en son sein et que le délai de restitution des avis de cette transparence avait été de 33 jours, contre 39 en 2023.
2. La politique immobilière du ministère suscite une préoccupation majeure qu'accentue la situation budgétaire actuelle
L'immobilier judiciaire continue de servir de variable d'ajustement. Ceci tient au fait que les programmes que couvre cet avis reposent en grande partie sur des dépenses de personnel et de fonctionnement incompressibles. Or, il est plus facile de restreindre les investissements. Le contexte budgétaire a ainsi entraîné la suspension de « la quasi-totalité des opérations judiciaires dont les travaux n'avaient pas été engagés », selon les représentants de l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) entendus par les rapporteures. En conséquence, les prises à bail réalisées dans l'attente de la livraison des immeubles seront prolongées, notamment pour les juridictions de Bobigny, Dieppe, Mâcon, Perpignan et Toulon.
Les crédits alloués à l'immobilier judiciaire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026 permettront en revanche de poursuivre les travaux des juridictions de Bayonne, Bordeaux, Cayenne, Saint-Laurent du Maroni, Valenciennes et Vienne et d'assurer la livraison du nouveau palais de justice de Lille, de la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin et du chantier de réhabilitation de l'île de la Cité dit « B2P1 ».
Le nouveau palais de justice de Lille
L'opération de construction du nouveau palais de justice de Lille témoigne des difficultés que peut rencontrer le ministère de la justice dans la conception puis la réalisation de ses projets immobiliers. Si l'opération a été approuvée dès 2016 et qu'une date de livraison était alors envisagée en 2021, elle a connu plusieurs évolutions de programmation entre 2016 et 2019 et un appel d'offres infructueux en 2019. L'appel d'offres engagé en 2021 a dû faire l'objet d'aménagements conséquents puis d'un ajournement pour des motifs tant exogènes (la crise des matériaux entre 2022 et 2023) qu'endogènes (l'adaptation des aménagements intérieurs du palais aux engagements pris durant les états généraux de la justice) au ministère de la justice.
La nouvelle reprogrammation des projets de l'immobilier judiciaire souligne l'inquiétude exprimée par les rapporteures lors de l'examen du précédent PLF quant aux difficultés que l'Apij rencontre à fidéliser ses effectifs dans un contexte d'incertitude sur les projets qu'il lui revient de conduire. L'Apij dénombrait ainsi déjà 31 départs lors de son audition en 2025, contre 25 au cours de l'année 2024 (le plafond d'emplois de l'agence étant de 164). Si le nouveau directeur général de l'Apij a relativisé l'importance de ces mouvements, dont l'ampleur serait comparable chez les promoteurs immobiliers, il n'en demeure pas moins utile de suivre l'évolution de ce taux de rotation.
Les représentants de la direction des services judiciaires, du secrétariat général et de l'Apij entendus par les rapporteures ont en outre indiqué que le garde des sceaux a sollicité les collectivités territoriales concernées par les autres projets de l'immobilier judiciaire pour qu'elles contribuent à leur financement et permettent donc l'engagement des marchés de travaux. La commune de Cusset a par exemple cédé gracieusement à la Chancellerie le foncier destiné au futur palais de justice, ce qui a permis au garde des sceaux de relancer les actes préparatoires à cette opération immobilière.
Au-delà des questions budgétaires, les rapporteures constatent de nouveau l'incompréhension persistante des avocats et des personnels judiciaires quant au pilotage de la politique immobilière et à la conception des projets du ministère. Cette situation engendre à la fois une inadéquation aux besoins et un surcoût, qui pèsent tant sur le budget de la mission « Justice » que sur la qualité de travail de son personnel.
La conduite des politiques numérique et immobilière du ministère de la justice connaît donc une évolution partiellement favorable, qui traduit les efforts encore inaboutis du ministère de la justice en la matière. Le garde des sceaux a annoncé durant sa dernière audition par la commission des lois qu'une réorganisation structurelle de la Chancellerie relative à l'immobilier et au numérique serait engagée le 2 décembre prochain. Cette démarche, longtemps attendue par les rapporteures, fera l'objet d'un suivi attentif.
* 2 Cet applicatif constitue le bureau d'ordre national automatisé des procédures judiciaires. Il permet le suivi des procédures pénales de leur engagement à la décision rendue en appel.
* 3 Rapport d'information (2024-2025) sur l'intelligence artificielle et les professions du droit, fait par M. Christophe-André Frassa, sénateur, et Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice, au nom de la commission des lois.
* 4 La « transparence » désigne l'examen par le CSM des propositions de nomination de magistrats.