Article 3 bis
(nouveau)
(Article 30-1 [nouveau] de la loi n° 2004-803 du 9 août
2004
relative au service public de l'électricité et du
gaz
et aux entreprises électriques et gazières)
Possibilité pour les consommateurs ayant exercé leur
éligibilité pour leur fourniture d'électricité de
bénéficier d'un tarif réglementé
A l'issue d'un large débat, l'Assemblée nationale a inséré dans le projet de loi un article 3 bis qui permet aux consommateurs d'électricité ayant fait le choix d'exercer leur éligibilité de bénéficier d'un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, également dénommé, dans les débats, « tarif de retour ».
Apporter une solution aux entreprises ayant subi les conséquences de la hausse des prix de l'électricité sur le marché
Les textes juridiques communautaires relatifs à la libéralisation des marchés de l'énergie, successivement transposés dans notre droit interne, ont permis d'ouvrir graduellement ces marchés à la concurrence. Réservée à l'origine aux plus gros consommateurs d'électricité et de gaz, la possibilité de changer de fournisseur en France est devenue plus massive à partir du 1 er juillet 2004, date à laquelle l'ensemble des consommateurs professionnels est devenu éligible.
En effet, la France a retenu, dans le respect des directives, un rythme d'ouverture progressif des marchés. Les lois du 10 février 2000 et du 9 août 2004 ont ainsi encadré les ouvertures du marché de l'électricité : - 30 % du marché (107 TWh) étaient ouverts en mai 2000 (pour les clients dont la consommation était supérieure à 16 GWh par an) ; - 37 % du marché (123 TWh) étaient ouverts en février 2003 (pour une consommation supérieure à 7 GWh par an) ; - 70 % du marché (295 TWh) étaient ouverts au 1 er juillet 2004 (pour tous les professionnels). |
Un grand nombre d'entreprises ont fait usage de cette possibilité qui leur était offerte par ce mouvement de libéralisation en « sortant » du tarif administré pour contracter directement avec un fournisseur, EDF dans la plupart des cas, mais aussi avec d'autres fournisseurs, français ou étrangers (Suez, SNET, Poweo, EO.n, ATEL, ENEL etc...).
Souvent gagnantes au départ, les entreprises ayant exercé leur éligibilité ont progressivement vu leur facture d'électricité augmenter, parfois de manière considérable. En effet, alors qu'en 2002 le choix de la concurrence permettait à une entreprise de bénéficier d'une électricité aux alentours de 18 euros du mégawatheure (contre 35 euros pour le tarif), les prix de marché, sur lesquels reposent ces contrats de fourniture, se sont progressivement envolés, passant de 25 euros du MWh en 2003 à un peu plus de 56 euros en 2006. Une telle situation, dénoncée maintes fois tant par les entreprises concernées que par les responsables politiques de tous bords, pose de nombreuses questions.
Elle conduit tout d'abord votre commission à s'interroger sur les raisons qui expliquent une telle progression . Pour certains, cette hausse serait imputable à des tensions portant tant sur l'offre que sur la demande d'électricité. Alors que la consommation d'électricité croît progressivement chaque année, on dénote parallèlement une insuffisance des investissements de production, ce qui contribue mécaniquement à faire monter les prix. Pour d'autres, elle serait liée à la mise en place d'un marché des émissions de CO 2 , contribuant, selon certaines estimations, pour environ 10 euros à la progression du prix du MWh 79 ( * ) . Par ailleurs, il est incontestable que la hausse du prix du pétrole a contribué de manière substantielle au renchérissement des coûts de production de l'énergie électrique provenant du gaz et du fioul.
Enfin, certains acteurs du marché, et non des moindres, imputent cette progression à une certaine forme d'entente entre producteurs européens. Cette thèse n'a, cependant, jamais été étayée ni juridiquement, ni factuellement.
Au vu des éléments contradictoires portés à l'appréciation de votre rapporteur, votre commission se refuse à trancher entre ces différentes explications. En revanche, elle est convaincue que la France en particulier, et les pays de l'Union européenne en général, manquent de moyens de production compte tenu de la progression rapide et continue de la consommation.
Ce constat établi, il n'en reste pas moins que notre pays s'inscrit pleinement dans un processus d'unification et de libéralisation des marchés de l'énergie que, depuis son engagement, aucun Gouvernement français n'a jamais remis en cause au niveau des instances européennes et que tous ont contribué à définir . Comme votre rapporteur l'indiquait dans son exposé général, c'est au Conseil européen réuni à Barcelone les 15 et 16 mars 2002 -auquel la France était représentée par M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat chargé de l'industrie-, qu'il a été convenu d'adopter les propositions en instance concernant l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz, impliquant l'éligibilité de tous les consommateurs, autre que les ménages, à partir du 1 er juillet 2004.
Par ailleurs, le processus de libéralisation a toujours été envisagé comme un mouvement irréversible. Même si l'éligibilité n'a toujours été qu'une faculté et non une obligation, une fois l'éligibilité exercée par un consommateur, notre droit national n'offre plus de possibilité de bénéficier du tarif réglementé.
Cette hausse considérable des prix reste néanmoins problématique puisqu'elle pénalise gravement la compétitivité des entreprises françaises, au premier chef les activités dites « électro-intensives » mais également les entreprises qui, sans être « électro-intensives » ont une consommation importante d'électricité. Cette situation est également source de distorsions de concurrence entre deux entreprises françaises qui, placées dans une situation équivalente (deux hôtels par exemple), ont fait, pour l'une le choix de l'éligibilité et pour l'autre le choix de rester au tarif et qui se voient appliquer des prix de l'électricité allant du simple au double. L'envolée des prix de l'électricité en France pénalise aussi les petites entreprises réalisant une grande part de leurs ventes à l'export par rapport à leurs concurrents étrangers qui, pour certains, bénéficient encore de tarifs réglementés dans leur pays.
Bien que non prévue par les textes communautaires, la possibilité de « retourner au tarif » constitue un débat qui est aujourd'hui posé au niveau européen. En effet, rien dans les textes communautaires n'interdit explicitement une telle réversibilité. Votre commission note à ce titre qu'en Espagne, pays dans lequel le marché de l'électricité est totalement ouvert à la concurrence depuis le 1 er janvier 2003, les consommateurs ayant fait le choix du marché libre ont la possibilité de revenir au tarif chaque année. A ce sujet, votre rapporteur émet d'ailleurs des doutes sur la compatibilité de cette législation espagnole avec le droit communautaire, à plus forte raison quand la France fait l'objet d'une mise en demeure sur son système tarifaire, ainsi qu'il l'a indiqué dans son exposé général.
Plus récemment, les autorités allemandes semblent, elles aussi, avoir pris la mesure du problème puisque face à la hausse des prix de l'électricité (+10,3 % pour les particuliers et +22,6 % pour l'industrie depuis 2004), le ministre allemand de l'économie a récemment déclaré 80 ( * ) qu'il entendait mettre en oeuvre des mesures pour renforcer la compétitivité du secteur énergétique ainsi que le contrôle des autorités de la concurrence 81 ( * ) .
Le texte voté par l'Assemblée nationale
Afin d'apporter une solution aux problèmes posés aux entreprises par la hausse des coûts de l'électricité, les députés ont opté pour une solution médiane autorisant les clients ayant exercé leur éligibilité à bénéficier à nouveau d'un tarif réglementé de vente d'électricité. Ce dispositif se traduit par l'insertion d'un article 30-1 au sein de la loi du 9 août 2004 précitée.
A cet effet, le paragraphe I de ce nouvel article 30-1 instaure un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TRTAM), à compter de la promulgation de la loi. Pourraient en bénéficier les clients ayant fait le choix de la concurrence et en faisant la demande par écrit à leur fournisseur avant le 1 er juillet 2007 . Le tarif de retour serait alors applicable de plein droit pour une durée de deux ans renouvelable à la consommation des sites pour lesquels le versement de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) est acquitté.
Le deuxième alinéa du paragraphe rend applicable ce tarif aux contrats de fourniture en cours dès la formulation de la demande et le rend également applicable aux contrats conclus postérieurement, y compris avec un autre fournisseur.
Le paragraphe II précise que le TRTAM, qui ne peut être inférieur au tarif réglementé de vente hors taxes applicables à un site de consommation présentant les mêmes caractéristiques, serait établi par arrêté du ministre chargé de l'énergie. A contrario, la valeur retenue par cet arrêté ne pourrait être supérieure de plus de 30 % au tarif réglementé 82 ( * ) applicable aux sites de consommation identiques.
Propositions de votre commission
Tout d'abord, votre commission souhaite porter à la connaissance des membres de la Haute assemblée un certain nombre d'éléments chiffrés 83 ( * ) afin d'appréhender finement le champ et l'impact de ce dispositif.
Depuis le 1 er juillet 2004, environ 4,5 millions de sites de consommation d'électricité sont éligibles , pour un volume de consommation totale de 310 térawattheures (TWh) en 2005. Sur cette partie du marché ouvert à la concurrence, environ 621.400 sites avaient exercé leur éligibilité au 1 er juillet 2006 pour une consommation totale de 130 TWh fournis, en conséquence, sur la base d'un contrat commercial. Sur ces 130 TWh, les fournisseurs historiques (EDF et les DNN) restent les principaux opérateurs puisqu'ils approvisionnent environ 403.100 sites ( 90 TWh ), soit 69 %, alors que les fournisseurs alternatifs n'en desservent que 218.300 ( 40 TWh, dont 10 sont fournis par Suez). C'est à ces 621.400 sites de consommation que le dispositif du TRTAM a vocation à s'adresser, qui ont vu, pour une partie d'entre eux, leur facture d'électricité augmenter considérablement.
En effet, selon les informations fournies à votre rapporteur, un industriel resté au tarif réglementé s'approvisionne en électricité pour un prix compris entre 32,4 et 39,9 euros par MWh 84 ( * ) . Sur le marché , ce même industriel, s'il avait exercé son éligibilité, s'approvisionnerait à hauteur de 70 euros le MWh. Un TRTAM majoré de 30 % permet en conséquence de bénéficier d'un approvisionnement électrique à un niveau compris entre 42,2 et 51,8 euros.
Toutefois, sur la totalité du nombre de sites ayant exercé leur éligibilité, seuls 600 sites, dont le contrat est arrivé ou arrivera à échéance en 2006, devraient demander à bénéficier du TRTAM cette année. Il ne faut en effet pas oublier qu'un grand nombre de consommateurs éligibles disposent de contrats d'approvisionnement à long terme plus avantageux. Il est donc difficile d'apprécier, sur le total des 130 TWh, le volume de consommation qui s'orientera vers le TRTAM.
Votre rapporteur considère que l'analyse de ce mécanisme doit, pour éclairer les principaux enjeux de cette discussion, s'appuyer sur des éléments rigoureux. Même si les statistiques de prix rapportées ci-dessus doivent être prises avec une certaine prudence, compte tenu de la diversité des profils de consommation des entreprises, il n'en reste pas moins que ces dernières montrent que le niveau du TRTAM est raisonnable puisqu'il se situe à mi-chemin entre le tarif actuel et le marché.
Cette exigence de précision s'impose d'autant plus que cette proposition a suscité de longs débats à l'Assemblée nationale, plusieurs députés ayant souhaité que le taux de 30 % soit fixé à un niveau inférieur. Comme le ministre, votre commission considère que ce dispositif constitue déjà un progrès substantiel de nature à répondre aux préoccupations des entreprises. Elle estime, de concert avec le ministre délégué à l'industrie, qu'il propose « des niveaux de tarif convenables ». Au surplus, comme l'a précisé M. Jean-Claude Lenoir en séance, ce taux ne constitue qu'un plafond, le pouvoir réglementaire ayant toute latitude pour fixer un niveau moins élevé. En moyenne, ce niveau, qui dépendra des profils de consommation et du caractère électro-intensif ou non des activités concernées, devrait être fixé à 25 %. De manière plus générale, votre commission juge parfaitement légitime la demande des entreprises ayant exercé leur éligibilité qui sont, en France, les seuls consommateurs à payer leur approvisionnement énergétique à des niveaux aussi élevés. Elle se déclare, à cet égard, sensible à leurs arguments sur les distorsions de concurrence qu'une telle situation a pu faire naître.
Ces réflexions étant faites, votre commission ne peut que s'interroger sur le caractère pérenne que les députés ont conféré au dispositif qu'ils ont adopté. A ce titre, votre commission estime très pertinentes les réflexions du ministre en séance publique.
En premier lieu, celui-ci rappelait que le principe de liberté contractuelle, qui a, sous certaines conditions, valeur constitutionnelle devait être respecté. Cette analyse le conduisait à indiquer qu'une entorse à ce principe pouvait être justifiée par l'existence de circonstances exceptionnelles. A l'évidence, le fonctionnement actuel du marché de l'électricité démontre son immaturité et se caractérise par un certain nombre de dérèglements qui ont été évoqués ci-dessus par votre rapporteur. Ces dérèglements concernent tout d'abord l'insuffisance des capacités européennes de production, qu'il s'agisse des moyens de production pour fournir les consommateurs en période de pointe, notamment en France, ou de moyens de production de base, en France mais aussi en Europe. En outre, l'incorporation du prix du dioxyde de carbone dans celui de l'électricité n'a pas été sans effet sur la hausse du marché comme cela a été rappelé précédemment. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle votre rapporteur considère comme indispensable que les États de l'Union européenne oeuvrent de concert pour corriger ces deux phénomènes exceptionnels, tant par des investissements dans la production électrique que par des dispositifs permettant de réduire les émissions de CO 2 .
Ces raisons juridiques et économiques militent fortement en faveur de l'adoption d'un dispositif à caractère transitoire. De ce point de vue, la durée de deux ans retenue par le texte de l'article 3 bis paraît raisonnable puisqu'elle donne aux entreprises la possibilité de se protéger contre les fluctuations des prix sur le marché de l'électricité pendant cette période.
Cependant, le caractère renouvelable de ce régime lui enlèverait son caractère dérogatoire et lui confèrerait la nature d'un régime permanent. Ceci aboutirait en définitive à revenir sur les dispositions de libéralisation arrêtées au niveau européen. Or, il est fort à craindre que les autorités européennes n'acceptent pas un tel déni d'obligation. Votre commission considère en conséquence qu'elle ne peut pas proposer au Sénat d'entériner un irrespect aussi flagrant de ses devoirs européens. C'est pourquoi votre commission vous propose, par un premier amendement , de supprimer le caractère renouvelable du dispositif.
En revanche, même s'il n'est pas impossible que les circonstances exceptionnelles évoquées ci-dessus aient disparu dans deux ans, rien ne le garantit pour autant. A cet égard, il appartiendra au législateur, avant que ce dispositif n'arrive à son échéance, de se prononcer et, si nécessaire, d'envisager sa prolongation. Pour orienter ce débat, votre commission vous soumet, par souci prospectif et par cohérence, un second amendement prévoyant la remise d'un rapport au Parlement avant le 31 décembre 2008. Celui-ci devra notamment analyser les effets de la création du TRTAM et envisager la prolongation de ce dispositif.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié. |
* 79 Selon les informations fournies à votre rapporteur, le prix de la tonne de dioxyde de carbone sur le marché des émissions oscille autour de 20 euros et a un impact compris entre 50 et 70 % sur le MWh.
* 80 Le Monde du 21 septembre 2006.
* 81 Serait notamment envisagé un mécanisme de « renversement de la charge de la preuve » en matière de plainte en cas de soupçon d'abus de position dominante.
* 82 La rédaction du texte a pour conséquence que ce taux de 30 % est appliqué au tarif intégré, c'est-à-dire au prix de la fourniture et de l'acheminement.
* 83 Source : CRE, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz, deuxième trimestre 2006.
* 84 Situation type d'un industriel consommant du « pur ruban » (c'est-à-dire sans le facteur de forme qui représente le prix qui lui est imputé pour la volatilité de sa consommation) au tarif vert (prix hors taxes et hors CSPE), acheminement compris.