EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 7 MAI 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi tendant à confier à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) certaines tâches d'accueil et d'information des personnes retenues, présentée par Marie-Carole Ciuntu et plusieurs de ses collègues.

M. David Margueritte, rapporteur. - Déposée par notre collègue Marie-Carole Ciuntu, la proposition de loi que nous examinons ce matin révise le cadre législatif de l'intervention des associations dans les centres de rétention administrative (CRA), mais également dans les zones d'attente. Ce texte prévoit de mettre fin à l'externalisation de l'assistance juridique dans les centres de rétention administrative, qui est actuellement confiée à des associations. Cette mission a longtemps été assurée par la seule Cimade, avant que l'État n'ouvre cette activité à la concurrence. Désormais, une association intervient par CRA : Mayotte fait l'objet d'un marché distinct, et la Cimade, l'ASSFAM, Forum réfugiés et France Terre d'Asile interviennent dans les autres CRA situés en France métropolitaine et en outre-mer, dans le cadre d'un marché qui a été renouvelé en 2025.

La mission d'assistance juridique au profit des étrangers retenus est prévue par l'article L. 744-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), aux termes duquel : « L'étranger maintenu en rétention bénéficie d'actions d'accueil, d'information et de soutien, pour permettre l'exercice effectif de ses droits et préparer son départ. » Cet article renvoyant à un décret en Conseil d'État l'organisation de cette assistance, l'article R. 744-20 prévoit de confier à des personnes morales - et donc pas uniquement à des associations - le soin de gérer l'assistance juridique, dans le cadre de conventions passées avec l'État.

Que recouvre cette mission ? Les auditions et les visites de centres de rétention administrative que nous avons menées nous ont permis de mesurer que la frontière est parfois ténue entre l'information, l'assistance juridique et le contentieux. Les associations sont chargées d'informer les personnes détenues sur leurs droits ; d'analyser leur situation ; de les conseiller et de les orienter vers les démarches adaptées ; de les aider à rédiger leurs demandes et recours ; enfin, de les mettre en relation avec un avocat.

À cet effet, les associations assurent une permanence, six jours sur sept, dans des locaux dédiés au sein des CRA, et assurent une permanence téléphonique le reste du temps.

La proposition de loi de Marie-Carole Ciuntu remet en cause ce cadre juridique en s'appuyant sur des arguments dont j'ai eu l'occasion de vérifier la validité tout au long de nos auditions.

Son premier argument, fondé sur les constats effectués par la Cour des comptes, est celui du coût de la politique actuelle.

En effet, dans un rapport publié fin 2024 et réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat sur les associations intervenant dans la politique d'immigration, la Cour des comptes a relevé une très forte augmentation des dépenses liées à l'assistance juridique aux personnes retenues : ces dépenses s'élevaient en 2024 à plus de 7 millions d'euros, soit une hausse de 40 % par rapport à 2019. En outre, cette augmentation n'est pas corrélée au nombre d'étrangers en rétention, qui tend à diminuer.

La Cour, sans préjuger de la qualité du travail des associations, relève non sans une certaine malice qu'« Il n'est pas douteux que les associations remplissent effectivement leurs missions d'assistance juridique, qui ont notamment pour conséquence le dépôt de recours devant les tribunaux, au vu du volume soutenu de ceux-ci. » Elle pointe la systématisation et la massification des recours observés devant les juridictions, dont les associations sont l'un des facteurs.

Le deuxième argument tient à la perméabilité entre la posture militante des associations et les conditions d'exercice de leur mission. Celles-ci sont pourtant astreintes, dans l'exercice de la mission qui leur est confiée, en vertu de l'article 1er de la loi du 24 août 2021, au respect du principe de neutralité du service public. Cette exigence ne remet évidemment pas en cause la liberté d'expression dont elles disposent en dehors de l'exercice de cette mission : elles peuvent librement exercer leurs activités de plaidoyer et participer au débat public, y compris pour critiquer de manière très virulente les politiques publiques en matière d'immigration et d'éloignement, auxquelles certaines sont structurellement opposées - c'est leur ADN.

Néanmoins, cette posture militante ne doit pas rejaillir sur l'exercice de leur mission. En effet, le bon exercice de l'assistance juridique exige que cette mission soit assurée de manière impartiale, dans le seul intérêt des personnes retenues. Or la systématisation des recours, sans examen individualisé de la situation de la personne, participe de l'inflation du nombre de contentieux des étrangers. Ainsi, le nombre d'affaires relatives à la rétention portées devant le juge judiciaire a augmenté de 30 % entre 2021 et 2023. Le nombre de contentieux des étrangers devant les juridictions administratives connaît le même dynamisme, bien qu'il soit impossible d'isoler les recours formés par des personnes en rétention.

Revenons sur la procédure : à son arrivée en CRA, l'étranger se voit tout d'abord notifier ses droits par les forces de l'ordre, puis il rencontre les agents de l'Ofii. Il convient en effet de rappeler que l'Ofii est déjà présent dans les CRA pour informer les personnes détenues sur les conditions matérielles de la rétention et sur les aides possibles pour le retour.

Il est ensuite dirigé vers l'association titulaire du marché et se voit, bien souvent, remettre un formulaire prérempli dont l'intégralité des cases - qui correspondent aux moyens de légalité soulevés à l'encontre de la mesure - sont cochées, alors que même que certains moyens sont manifestement inopérants ou inadaptés à sa situation réelle.

Les avocats n'interviennent qu'en bout de course et découvrent bien souvent les dossiers à l'audience. Ils n'ont pas rédigé le recours, puisque l'association s'en est chargée, de façon sommaire, voire très sommaire. Les magistrats pointent souvent du doigt le fait que ces recours sont mal rédigés et mal motivés en droit et en fait, et il est rare que les avocats produisent des mémoires complémentaires. Cela pose question sur l'efficacité réelle de la défense et sur l'effectivité du recours.

L'intervention des avocats en centres de rétention administrative est en net recul : les permanences d'avocats, qui avaient encore cours il y a dix ans, ont quasiment disparu, à rebours des recommandations formulées, en 2014, dans un rapport d'information de notre commission consacré aux CRA.

Le système actuel, dans lequel les avocats découvrent à l'audience des recours rédigés à la hâte par les associations, conduit à payer deux fois la politique d'assistance juridique : une première fois par les associations, dont le coût est de plus en plus élevé ; et une seconde fois par le biais de l'aide juridictionnelle (AJ).

Le troisième argument en faveur de cette proposition de loi est que la présence des associations est émaillée d'incidents, qui illustrent la complète perméabilité entre leur activité militante et les missions qui leur sont confiées.

À titre d'exemple, des affichages militants au sein de centres de rétention administrative contrevenant au principe de neutralité ont été pointés du doigt. De même, des recours ont été formés pour le compte d'étrangers retenus sans que ceux-ci en aient connaissance soit en leur faisant signer des documents vierges remplis ultérieurement, soit en signant eux-mêmes les recours. De tels faits, survenus au CRA du Mesnil-Amelot, ont été établis en novembre 2024 à l'occasion d'une enquête préliminaire de l'office de lutte contre le trafic illicite de migrants. Plusieurs faits similaires ont par ailleurs été rapportés.

Pour toutes ces raisons, la proposition de loi prévoit de mettre un terme à l'externalisation des missions d'assistance juridique en confiant ces dernières à d'autres acteurs : l'Ofii et les avocats.

Comme je l'ai évoqué, l'Ofii est déjà présent dans les CRA. Comme j'ai pu le constater au CRA de Paris, ses agents sont même présents sept jours sur sept dans certains établissements et délivrent une première information aux arrivants. Il est donc proposé de lui confier la mission d'information sur l'accès au droit prévue à l'article L. 744-9 du Ceseda.

Ainsi, l'Ofii informerait la personne détenue dans un premier temps, puis les avocats prendraient la main sur les dossiers. Ces derniers rédigeraient les recours et pourraient procéder à un examen réellement individualisé de la situation. Je rappelle que les étrangers en rétention ont droit à un avocat commis d'office pour les assister dans leurs recours, ainsi qu'à l'aide juridictionnelle, et ce avant même la décision n° 2024-1090 QPC du 28 mai 2024 du Conseil constitutionnel.

À cet effet, le 1° de l'article unique de la proposition de loi ajoute une nouvelle mission à l'Ofii consistant à « assurer l'information sur l'accès au droit au profit des étrangers en zone d'attente ou en rétention ».

Le 3° modifie l'article L. 744-4 du Ceseda, qui énonce les informations devant être communiquées à l'étranger dès son placement en rétention, pour y inclure la faculté de recourir à un avocat et de bénéficier de l'aide juridictionnelle.

Je vous propose d'approuver ce nouveau schéma. Le directeur général de l'Ofii m'a confirmé, lors de son audition, que l'office serait en mesure d'assumer sans difficulté une telle mission après avoir procédé aux recrutements nécessaires.

Cela ne pose aucun problème d'indépendance ou d'impartialité, puisque l'Ofii se verrait confier non pas une mission d'assistance juridique, mais une mission d'information. L'assistance juridique serait assurée par les avocats, dont nul ne peut contester le fait qu'ils sont des experts du droit et savent, par définition, faire preuve d'impartialité.

Ce schéma est de nature à simplifier la procédure et à améliorer la qualité et l'effectivité des recours. Il ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel - je pense en particulier à la directive « Retour ». De nombreux États membres, dont l'Allemagne, l'Espagne ou les Pays-Bas, confient d'ailleurs l'assistance juridique en rétention aux avocats.

Je vous proposerai plusieurs amendements pour assurer la cohérence du texte proposé par Marie-Carole Ciuntu.

Pour clarifier les missions de l'Ofii et leur articulation avec l'intervention de l'avocat, je vous proposerai une nouvelle rédaction de l'article L. 744-9 du Ceseda, qui prévoirait expressément l'intervention de l'Ofii pour l'information juridique. Cette rédaction devrait également sécuriser l'action du pouvoir réglementaire dans la refonte des modalités de l'assistance juridique en rétention.

Par ailleurs, la proposition de loi ne se limite pas aux centres de rétention : elle prévoit d'étendre l'assistance juridique aux personnes maintenues en zone d'attente. Je vous proposerai donc d'aligner la rédaction de l'article L. 343-3-2 du Ceseda sur la nouvelle rédaction que je viens de mentionner.

En plus d'un amendement rédactionnel, je vous soumettrai deux amendements visant à reporter l'application du texte au 1er janvier 2026 en métropole, et au 1er avril 2027 à Mayotte pour laisser le temps à l'Ofii de recruter les agents dont elle aura besoin.

Enfin, pour des raisons de cohérence, je présenterai un amendement visant à modifier l'intitulé de la proposition de loi pour mentionner les dispositions relatives à la zone d'attente.

Compte tenu des défaillances du système actuel et des doutes sur l'impartialité des acteurs, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi.

M. Olivier Bitz. - Tout d'abord, je félicite le rapporteur de ce premier rapport.

Dans la mission « Immigration, asile et intégration », le soutien aux associations représente environ 1 milliard d'euros de crédits. La proposition de loi portant sur 7 millions d'euros au sein de ce budget, je commencerai par évoquer ce chiffre de 1 milliard d'euros, car il reflète un véritable sujet d'organisation du service public.

Au fil du temps, l'État a décidé de confier de plus en plus de missions au milieu associatif. Cela peut poser des difficultés, dans la mesure où certaines associations ont des objectifs politiques, alors que les missions qui leur sont confiées les appellent à respecter le principe de neutralité.

Le rapport de la Cour des comptes qui a été présenté en commission des finances en février dernier m'avait laissé sur ma faim, car il était davantage descriptif qu'analytique. Or nous avons besoin, en tant que parlementaires, d'une évaluation de la pertinence de l'action des associations par rapport aux moyens financiers qui sont engagés par l'État. En effet, en raison des nombreuses missions qui sont déléguées au secteur associatif, nous manquons de capacité d'analyse sur ce que font les associations du milliard d'euros dont nous les dotons.

Madame la présidente, il a été question que notre commission lance une mission d'information sur les associations qui oeuvrent dans le cadre de la mission « Immigration, asile et intégration ». Si notre charge de travail ne nous permet pas d'engager ce chantier cette année, nous ne devons pas perdre de vue l'intérêt d'interroger de manière globale le recours aux associations dans ce domaine.

En ce qui concerne les 7 millions d'euros dépensés au titre de l'assistance juridique des personnes étrangères, je partage en tout point les conclusions du rapporteur. J'ajoute simplement que nous devrons veiller à ce que l'Ofii dispose des moyens nécessaires pour prendre le relais des associations. En effet, cette proposition de loi a vocation à modifier l'organisation du système et non pas à restreindre l'accès au droit des personnes en rétention.

Je ne sais pas dans quelle mesure le ministère de l'intérieur s'est engagé à abonder le budget de l'Ofii. Didier Leschi, que nous avons entendu à l'occasion du renouvellement de son mandat, nous avait alors affirmé que le fait d'assumer ces nouvelles missions ne présentait, selon lui, aucune difficulté en matière d'objectivité. Du reste, c'est le propre des agents de l'État que de faire preuve d'impartialité dans les informations qu'ils délivrent au public. En revanche, il avait appelé notre attention sur les moyens à mettre à la disposition de l'Ofii. Au-delà des besoins exprimés par celui-ci, nous devrons être attentifs aux engagements financiers qui seront pris dans le cadre du budget 2026.

Cette proposition de loi constitue un premier pas, qui doit nous conduire à procéder à une évaluation des politiques publiques dans le domaine de l'action auprès des migrants.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur Bitz, je vous confirme que je n'ai pas perdu de vue notre projet de mener des travaux d'information sur le sujet que vous venez d'évoquer.

Mme Corinne Narassiguin. - Vous ne serez pas surpris de savoir que le groupe Socialiste, écologiste et républicain s'oppose à cette proposition de loi.

Tout d'abord, nous considérons qu'il est infondé de remettre en cause le travail des associations au prétexte qu'elles exercent leur liberté d'expression. Cela ne les empêche en rien de remplir correctement les missions qui leur sont confiées par l'État. Aucun rapport ne démontre le contraire. Le texte porte une accusation grave et sans fondement à l'encontre de ces associations ; ce n'est pas acceptable.

Aussi nous semble-t-il injustifié de modifier de manière aussi radicale l'organisation de l'accès au droit des personnes détenues dans les CRA.

Par ailleurs, contrairement au rapporteur, nous maintenons qu'il existe un problème de conflit d'intérêts. L'Ofii est placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Or des recours peuvent être portés contre l'État et les services du ministère de l'intérieur, qui émet les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Le fait de confier à l'Ofii les missions qui sont actuellement assumées par les associations fait courir le risque d'une nouvelle inflation du nombre de recours au motif que l'indépendance de l'information et du conseil ne serait pas assurée.

En outre, il me semble hasardeux d'imputer la massification des recours à la pratique des associations. Ce phénomène résulte avant tout du renforcement de la politique d'éloignement et de la multiplication du nombre d'OQTF prononcées. En 2023, 44 % des personnes placées en centre de rétention administrative ont été libérées par le JLD en raison de l'illégalité des conditions d'interpellation et des procédures d'éloignement. Il convient donc de s'interroger sur la politique d'éloignement en tant que telle plutôt que de faire porter la responsabilité aux associations de manière infondée.

Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, les avocats sont très peu présents dans les CRA. Pensez-vous vraiment qu'ils seront malgré cela en mesure d'assurer la mission de conseil et de soutien qui est actuellement assumée par les associations avec la même compétence que ces dernières ? De surcroît, le coût de l'aide juridictionnelle sera supérieur au coût de fonctionnement actuel des associations.

Vous avez évoqué les 7 millions d'euros qui sont attribués à ces associations. Je tiens à préciser que les associations ne fixent pas les tarifs de leurs prestations. C'est le ministère qui en décide dans le cadre des marchés publics.

Pour toutes ces raisons, nous sommes contre cette proposition de loi. Nous défendrons donc un amendement de suppression de l'article unique, ainsi qu'un amendement visant au contraire à sanctuariser le rôle des associations et à garantir que la mission d'assistance juridique aux personnes en rétention soit remplie en toute indépendance vis-à-vis du ministère de l'intérieur.

M. Guy Benarroche. - J'approuve totalement l'intervention de Corinne Narassiguin. Le raisonnement des auteurs de la proposition de loi et du rapporteur est biaisé à deux égards.

Nous avons débattu précédemment des contrôles d'identité abusifs, dont personne, y compris le rapporteur, ne nous a dit qu'ils n'existaient pas. Pour autant, personne ne remet en cause l'action de la police dans son ensemble ou n'envisage de la supprimer. Je ne comprends donc pas que l'on puisse, au prétexte de quelques recours abusifs et en se fondant sur des erreurs d'appréciation, notamment sur le rapport de la Cour des comptes, voire sur des contre-vérités, décider qu'il faut supprimer l'intervention des associations dans les CRA.

Par ailleurs, les associations répondent à des marchés publics qui existent depuis des années. Le cahier des charges de ces marchés publics fixe la rémunération des prestations et le périmètre des missions qui sont confiées aux associations. Ces marchés publics sont renouvelés régulièrement par l'État. Ils l'ont été encore récemment, et ce n'est pas un hasard si le rapporteur propose de reporter l'entrée en vigueur du texte au 1er janvier 2026 : ce sera le terme de la première année de la plupart des nouveaux marchés, qui pourront alors ne pas être reconduits.

Pensez-vous que si le ministère constatait des défaillances sur le terrain, il continuerait de renouveler les marchés publics des mêmes associations année après année ?

Sur le fond, comment pouvez-vous imputer aux associations la massification des recours ? Celle-ci est due à la politique d'immigration de notre pays et à la complexification de la justice administrative. Corinne Narassiguin a donné un chiffre éloquent : si le nombre d'abus était si important, 44 % des recours ne se traduiraient pas par la décision de la part du juge de mettre fin à la rétention administrative. Nous sommes le pays d'Europe qui prononce le plus d'OQTF - et de loin !

Quant aux coûts, qui est capable de me dire avec certitude que nous allons les réduire en confiant l'assistance juridique des personnes détenues dans les CRA à l'Ofii et aux avocats ? À l'heure actuelle, l'Ofii n'a pas la capacité d'assurer l'entièreté des tâches confiées aux associations. Son président l'a bien dit, il ne pourra assurer que la mission d'information. Et il le fera d'une manière encore moins objective que les associations. Pour prouver la perméabilité entre les opinions de ces dernières et leurs actions, vous citez un unique exemple.

Le président de l'Ofii est dans son rôle lorsqu'il affirme être en mesure de remplir la mission dont s'acquittent actuellement les associations. Mais si vous posez la question aux syndicats et aux agents, vous verrez qu'ils en sont beaucoup moins sûrs. Je rappelle que le budget de l'Ofii a été réduit cette année. Quelles garanties avons-nous qu'il sera prêt, au 1er janvier, à assumer sa tâche avec du personnel formé ?

Les salariés des associations se forment sur le terrain depuis des années. J'ai visité au moins une quinzaine de CRA, zones d'attente ou postes de police aux frontières depuis que je suis sénateur. Sur le terrain, les associations sont présentes, au contraire des avocats. Avez-vous chiffré ce que représenterait l'augmentation de budget de l'Ofii et celle de l'assistance juridictionnelle, par rapport aux 7 millions d'euros dont sont actuellement dotées les associations ? Nous nous apprêtons à voter une proposition de loi bâtie sur du sable !

Enfin, ce texte contrevient à une décision du Conseil d'État du 3 juin 2009, qui affirme, d'une part, que la mission d'assistance juridique « porte non seulement sur l'information, mais aussi sur l'accueil et le soutien des étrangers pour permettre l'exercice effectif de leurs droits », et, d'autre part, que les personnes morales qui l'assurent « présentent des garanties d'indépendance ». Nous déposerons donc une exception d'irrecevabilité à l'encontre de cette proposition de loi.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je félicite le rapporteur pour son excellente analyse.

Tout d'abord, Olivier Bitz a eu raison de rappeler que la réflexion originelle de Marie-Carole Ciuntu, qui siège à la commission des finances, a porté sur la façon dont a été utilisé le milliard d'euros dont bénéficient les associations. Convient-il d'octroyer une telle somme à des associations dont le militantisme n'est plus à prouver ? L'argent public n'a pas vocation à remettre en cause une politique migratoire, quelle qu'elle soit.

Ensuite, l'objet de cette proposition de loi est que l'Ofii puisse assurer un rôle de conseil et de soutien au sein des CRA, où, rappelons-le, sont détenues les personnes les plus dangereuses. Que ma collègue de Seine-Saint-Denis se rassure : je siège au conseil d'administration de l'Ofii et je vous garantis qu'il n'est pas aux ordres du ministère de l'intérieur. Au reste, se serait-elle même posé la question si le Gouvernement était socialiste ? Je n'en suis pas sûre.

L'Ofii est certes sous la tutelle du ministère de l'intérieur, mais il a toujours travaillé de manière intelligente et efficace pour soutenir les personnes étrangères qui arrivent dans notre pays.

Enfin, je rappelle que tous les étrangers bénéficient de l'aide juridictionnelle. Les chiffres ont d'ailleurs explosé en la matière. En Île-de-France, des cabinets sont spécialisés en matière de droit des étrangers. L'avocat est là pour défendre son client, même s'il prend parfois connaissance du dossier tardivement et doit plaider dans un délai très court. Cette aide juridique est un droit, et nous ne le remettons pas en cause. Toutefois, cette mission étant coûteuse, il me paraît sain qu'elle soit exercée par des professionnels de l'Ofii qui ont été formés et par des avocats plutôt que par des militants, y compris dans l'intérêt des bénéficiaires de cette aide au sein des CRA.

M. David Margueritte, rapporteur. - Monsieur Bitz, l'Ofii estime avoir besoin de quarante à cinquante postes supplémentaires pour assumer cette nouvelle mission. Je rappelle qu'il est déjà présent dans les CRA et les agents que j'ai pu rencontrer exercent leur mission avec diligence et connaissent très bien les procédures.

Madame Narassiguin, monsieur Benarroche, il est quelque peu déroutant de vous entendre arguer du manque d'objectivité de l'Ofii tout en défendant des associations qui militent publiquement contre l'éloignement même des étrangers. C'est bien sûr leur droit et nous ne remettons aucunement en cause leur liberté d'expression. Toutefois, la mission qui leur est confiée implique de rendre un conseil éclairé et impartial. Or ils conseillent systématiquement aux étrangers retenus dans des CRA de déposer des recours, même quand ils savent pertinemment que ceux-ci n'ont aucun moyen d'aboutir !

Par ailleurs, les agents de l'Ofii sont soumis à l'obligation de neutralité du service public. En outre, cette proposition de loi confie à cet établissement une mission d'information, et non d'assistance juridique. Ses agents ne seront pas chargés de conseiller les étrangers sur l'exercice d'un recours, seulement de les informer des recours dont ils disposent et de les diriger vers des avocats.

Je note que vous n'avez pas remis en cause - et heureusement - l'impartialité des avocats dans les procédures. Ces derniers sont actuellement payés au titre de l'aide juridictionnelle, qui a vocation à couvrir l'ensemble des diligences, alors qu'ils ne font qu'assurer la représentation à l'audience, puisque l'association s'est chargée de la rédaction du recours.

Comme je l'ai déjà dit, on peut trouver curieux que les coûts augmentent alors que moins de personnes sont retenues.

De plus, l'effectivité du droit au recours doit se mesurer non pas au regard du nombre de recours introduits mais leur qualité. Lorsqu'une personne se retrouve à l'audience avec un recours rédigé à la hâte, citant des moyens totalement inopérants, avec un avocat qui découvre le dossier, peut-on réellement parler d'un recours effectif ?

Personne ne peut affirmer que le fait de confier, d'une part, l'information à l'Ofii, dont les agents sont tenus à un devoir de neutralité, et, d'autre part, le conseil et le contentieux à un avocat remettrait en cause l'impartialité globale du système.

Enfin, le chiffre de 44 % dont vous vous prévalez est quelque peu trompeur puisqu'il s'agit de la proportion des sortants de CRA libérés par une décision de justice parmi ceux qui ne sont pas expulsés. En réalité, la part des étrangers en CRA libérés par l'effet d'une décision de justice s'élève à 17 %. Cela relativise largement vos arguments sur l'effectivité des recours.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à l'assistance juridique des étrangers en rétention administrative et en zone d'attente ainsi qu'à l'information sur leurs droits.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. David Margueritte, rapporteur. - L'amendement de suppression COM-2 remet en cause le sens même de la proposition de loi et s'apparente à un plaidoyer en faveur de l'externalisation d'une politique publique en matière d'assistance juridique. L'avis est défavorable.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

M. David Margueritte, rapporteur. - Les auteurs de l'amendement COM-1 proposent une nouvelle rédaction de l'article unique de la proposition de loi, en prévoyant de consacrer l'intervention des associations dans les CRA.

En outre, l'amendement ferait disparaître les apports de la proposition de loi relatifs à la zone d'attente. Avis défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'amendement rédactionnel COM-3 est adopté.

M. David Margueritte, rapporteur. - Je propose, par l'amendement COM-4 rectifié, une nouvelle écriture de l'article L. 744-9 du Ceseda pour clarifier les rôles de chacun - Ofii et avocat.

Il s'agit aussi de sécuriser la refonte des modalités de l'assistance juridique en rétention qui sera menée par le pouvoir réglementaire. Dans un souci de cohérence, je propose d'aligner la rédaction de l'article L.343-3-2 du Ceseda. 

L'amendement COM-4 rectifié est adopté.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article unique

M. David Margueritte, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à reporter l'entrée en vigueur de la loi à l'échéance des marchés passés par l'État avec les associations, soit au 1er janvier 2026 pour la métropole et 1er avril 2027 pour Mayotte.

Ce délai permettra au pouvoir réglementaire de fixer les nouvelles modalités de l'assistance juridique et laissera à l'Ofii le temps nécessaire pour procéder aux recrutements nécessaires.

L'amendement COM-5 est adopté et devient article additionnel.

Intitulé de la proposition de loi

M. David Margueritte, rapporteur. - L'amendement COM-6 propose une nouvelle rédaction de l'intitulé de la proposition de loi visant à le mettre en cohérence avec les dispositions du texte, notamment celles qui sont relatives à la zone d'attente.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme NARASSIGUIN

2

Suppression de l'article

Rejeté

Mme NARASSIGUIN

1

Détermination des modalités de l'assistance juridique en rétention

Rejeté

M. MARGUERITTE, rapporteur

3

Amendement rédactionnel

Adopté

M. MARGUERITTE, rapporteur

4 rect.

Réécriture des dispositions relatives à l'assistance juridique en rétention et en zone d'attention

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article unique

M. MARGUERITTE, rapporteur

5

Report de l'entrée en vigueur

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

M. MARGUERITTE, rapporteur

6

Modification de l'intitulé

Adopté

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