EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 28 MAI 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport d'Hervé Reynaud sur la proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), en présence de Laurent Somon, rapporteur pour avis de la commission des finances.

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Je vais vous présenter le fruit de mes travaux menés conjointement avec notre collègue Laurent Somon, rapporteur pour avis de la commission des finances, à qui les articles 3 et 4 ont été délégués au fond par la commission des lois, sur la proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI), dont les auteurs sont nos collègues Anne Chain-Larché et Pierre Cuypers.

Depuis, le 1er janvier 2018, les intercommunalités à fiscalité propre sont attributaires de la compétence GEMAPI. Pour mémoire, la loi de 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles dite « MAPTAM »  a attribué aux communes une compétence ciblée et obligatoire relative à la GEMAPI, avec un transfert obligatoire aux EPCI à fiscalité propre auxquels elles appartiennent, afin de lutter contre l'émiettement de la compétence et de sa gouvernance. Par la suite, la loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dite « NOTRe » a fixé au 1er janvier 2018 la date d'effet de ce transfert ; depuis, il s'agit d'une compétence obligatoire et exclusive des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

La compétence GEMAPI se répartit en deux socles. D'une part, certaines missions relèvent de la gestion des milieux aquatiques : l'aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin hydrographique ; l'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, canal, lac ou plan d'eau, y compris leur accès ; la protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides, ainsi que des formations boisées riveraines. D'autre part, les missions relèvent de la prévention des inondations.

Toutefois, compte tenu des difficultés de mise en oeuvre concrètes du transfert de cette compétence, le législateur a introduit un certain nombre d'assouplissements au travers du vote de la loi du 30 décembre 2017 relative à l'exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, dite « Fesneau-Ferrand », dont le président Mathieu Darnaud était le rapporteur.

Plus précisément, le législateur a souhaité que l'attribution au bloc communal de la compétence GEMAPI laisse aux autres catégories de collectivités territoriales certaines compétences en la matière.

En effet, départements, les régions, leurs groupements et les autres personnes de droit public qui assuraient une ou plusieurs missions relevant de la GEMAPI à la date d'entrée en vigueur de la loi peuvent continuer à les exercer, sans limite de durée, sous réserve de l'accord de l'EPCI par le biais d'une convention conclue pour une durée de cinq ans renouvelables.

Poursuivant la même logique, cette même loi a autorisé les départements et régions qui le souhaitent à demeurer membres des structures syndicales exclusivement compétentes en matière de GEMAPI, auxquelles ils adhéraient à la date du 1er janvier 2018.

Comme de nombreuses compétences, la GEMAPI n'a, dans la plupart des cas, pas vocation à être effectivement exercée à l'échelon communal ou intercommunal, les périmètres administratifs n'étant évidemment pas ceux des bassins versants. C'est pourquoi de nombreux syndicats de communes et syndicats mixtes ont été constitués de longue date pour exercer ces missions à l'échelon pertinent - syndicats de rivière, établissements publics de bassin -, comme vous le savez.

Enfin, le financement de la compétence GEMAPI est assuré par une taxe facultative, plafonnée et affectée, qui peut être instituée par les communes et EPCI à fiscalité propre compétents en matière de GEMAPI. Son produit est exclusivement affecté au financement des charges de fonctionnement et d'investissement liées à l'exercice de cette compétence et ne peut être supérieur au montant prévisionnel de ces charges. Il est également plafonné à 40 euros par habitant.

La proposition de loi qui nous est soumise vise à répondre aux fortes demandes exprimées par les élus locaux qui, face à la multiplication des risques et aux diversités territoriales, souhaitent bénéficier de nouvelles souplesses dans l'exercice de cette compétence.

Partant du constat de « réalités territoriales souvent complexes, de la diversité des acteurs concernés et de la nécessité d'une coordination accrue », selon les termes de l'exposé des motifs, les auteurs de la proposition de loi proposent une évolution du cadre législatif de la GEMAPI, dont deux articles seulement entrent dans le champ de compétence de la commission des lois.

Ces derniers souhaitent, à titre principal, instituer une nouvelle faculté de délégation de tout ou partie de la compétence GEMAPI des EPCI à fiscalité propre aux départements, afin de « permettre une meilleure coordination et à tirer parti des expertises techniques et logistiques des acteurs départementaux ».

À titre plus subsidiaire, à l'article 2, ils ambitionnent de « clarifier la répartition des responsabilités, notamment en matière de gestion des eaux pluviales et de ruissellement » en permettant d'introduire dans le zonage communal ou intercommunal d'assainissement des mesures relatives au ruissellement.

Au travers des auditions denses que nous avons menées - je remercie les collègues qui étaient présents - et comme le soulignent les différents travaux conduits par le Sénat en la matière, nous avons pu relever que, près d'une décennie après sa création, la compétence GEMAPI ne satisfait pas complètement les élus locaux et mérite des correctifs pour s'adapter aux réalités locales, si diverses en la matière.

En particulier, nous avons pu mesurer le caractère parfois poreux des frontières entre la compétence GEMAPI et la compétence gestion des eaux pluviales urbaines (Gepu), car le ruissellement peut, suivant son ampleur, relever de la gestion des eaux pluviales urbaines ou de la prévention des inondations, et ce différemment selon les caractéristiques d'un territoire.

Dès lors, je vous proposerai d'approuver, dans son principe, la proposition de loi qui nous est soumise, car elle permettra d'apporter aux élus locaux de nouveaux outils, facultatifs et adaptés aux réalités de leurs territoires, pour exercer le plus efficacement possible la compétence GEMAPI.

Tout en approuvant l'économie générale de la proposition de loi, je vous proposerai, trois amendements visant à clarifier et à compléter les dispositions qui nous sont soumises.

Ainsi, je vous propose à l'article 1er d'aligner la procédure de délégation de la compétence GEMAPI des EPCI aux départements sur la procédure de délégation de droit commun, en prévoyant l'accord de l'ensemble des communes membres de l'EPCI pour ce faire. Cela garantira le caractère volontaire et facultatif d'une telle délégation, conformément à la volonté des auteurs de la proposition de loi.

Par ailleurs, à l'article 2, il me paraît souhaitable d'expliciter le lien entre les mesures de lutte contre le ruissellement et l'érosion des sols, qui pourraient, à titre facultatif et en fonction des réalités territoriales de chaque intercommunalité, être intégrées dans les zonages relatifs à l'assainissement, afin de garantir que ces mesures n'y soient intégrées que lorsqu'elles présentent un lien réel avec la prévention des inondations.

Enfin, je vous proposerai de compléter cette proposition de loi par un article additionnel visant à ajouter la lutte contre le ruissellement à la liste des domaines dans lesquels le département peut mettre à disposition des communes ou des EPCI, qui ne bénéficient pas des moyens suffisants pour l'exercice de leurs compétences, une assistance technique. Comme je l'ai dit précédemment, la frontière entre la lutte contre le ruissellement et la prévention des inondations étant parfois particulièrement ténue, une telle explicitation apparaît indispensable pour clarifier les domaines d'intervention de chacun.

Je vous propose de poser une nouvelle pierre à l'édifice des libertés locales et des souplesses apportées aux élus locaux en matière de GEMAPI, même si je n'ignore pas que ces travaux ont vocation à être poursuivis et complétés par ceux qui sont menés par nos collègues de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Jean-Yves Roux et Rémy Pointereau - leur rapport d'information devrait être publié d'ici l'automne.

Je ne manquerai pas, en séance publique, de m'adresser plus particulièrement au Gouvernement, qui doit également prendre ses responsabilités en matière de solidarité et de risque inondation.

Enfin, je remercie particulièrement mon collègue Laurent Somon pour la qualité du travail que nous avons accompli et pour ses propositions, auxquelles je souscris pleinement.

M. Laurent Somon, rapporteur pour avis de la commission des finances. - La création de la compétence GEMAPI en 2014 par la loi « Maptam » ne s'est pas accompagnée d'un transfert de moyens de l'État. Elle a toutefois donné lieu à l'instauration d'un nouvel impôt local facultatif, la taxe GEMAPI, codifiée à l'article 1350 bis du code général des impôts. Il s'agit d'un impôt de répartition, affecté au financement de cette compétence.

Cette taxe constitue, pour les collectivités, une ressource en progression. En 2018, 428 EPCI la percevaient, contre 665 en 2021, soit un taux de couverture de 53 %. Selon les premières données disponibles, les trois quarts des EPCI auraient levé cette taxe en 2024. Son montant a également augmenté, passant de 6 euros par habitant en 2018 à 7,5 euros en 2021. Le produit global de la taxe GEMAPI aurait ainsi triplé entre 2018 et 2023.

Pour autant, les auditions que nous avons conduites ont mis en lumière un constat partagé par de nombreux élus : la taxe GEMAPI demeure insuffisante. Ce constat est revenu de manière récurrente. Si l'administration évalue le produit potentiel de la taxe à 2,9 milliards d'euros, ce plafond est encore loin d'être atteint. De fortes disparités territoriales subsistent. Les territoires les plus exposés aux risques d'inondation mobilisent cette taxe à un niveau proche du plafond légal de 40 euros par habitant, tandis que d'autres, moins exposés, disposent de marges non exploitées. L'insuffisance de la taxe GEMAPI résulte donc d'une répartition inégale de l'effort fiscal sur le territoire.

L'examen de la présente proposition de loi s'inscrit dans un contexte de forte tension sur la capacité des collectivités territoriales à faire face aux risques d'inondation, en raison de l'insuffisance des moyens dont elles disposent. Le texte a été renvoyé à la commission des lois pour l'examen des articles 1er et 2. Celle-ci a toutefois délégué à la commission des finances l'examen au fond des articles 3 et 4, qui relèvent du volet fiscal.

L'article 3 prévoit la remise d'un rapport par le Gouvernement au Parlement. Ce rapport doit porter sur la mise en oeuvre de la taxe GEMAPI, sur les modalités permettant une répartition plus équitable de son produit sur l'ensemble du territoire, ainsi que sur l'opportunité d'instaurer un fonds de péréquation.

Je le rappelle, le Sénat se montre traditionnellement réservé à l'égard des demandes de rapport adressées au Gouvernement : seuls 20 % d'entre eux sont effectivement remis. J'aurais donc été enclin à formuler directement une proposition de création d'un fonds de péréquation de la taxe GEMAPI, de façon à provoquer un débat de fond et à contraindre le Gouvernement à se positionner, comme l'a d'ailleurs suggéré le rapporteur.

Cependant, à la suite des échanges que nous avons eus avec les auteurs de la proposition de loi, nous avons souhaité respecter leur choix de s'en tenir à une demande de rapport. Cette option permet d'engager une réflexion partenariale avec le Gouvernement, tout en rappelant que la solidarité nationale relève d'abord de sa responsabilité ; nous touchons ici à des missions qui relèvent presque de la sécurité civile.

En conséquence, la commission des finances a proposé d'adopter l'article 3 sans modification.

L'article 4 vise à permettre que les recettes de la taxe GEMAPI puissent désormais financer des actions menées dans le cadre de la compétence relative à la maîtrise des eaux pluviales en zone non urbaine. Or cette compétence ne relève pas du périmètre de la GEMAPI. L'article prévoit également que les personnes à qui la compétence GEMAPI a été transférée puissent reverser tout ou partie du produit de la taxe aux communes, afin qu'elles prennent en charge cette compétence spécifique.

Cette disposition nous paraît particulièrement superflue s'agissant des départements. En effet, l'article 1er de la proposition de loi ouvre la possibilité d'une délégation, et non d'un transfert de compétence au profit des départements. Or, dans le cadre d'une délégation, il est déjà possible de reverser les financements aux communes concernées.

Par ailleurs, il ne nous semble pas que la taxe GEMAPI puisse absorber le coût d'une compétence supplémentaire. Comme je l'ai indiqué précédemment, son produit est aujourd'hui insuffisant pour couvrir l'ensemble des dépenses nécessaires à la prévention des inondations. Plusieurs personnes auditionnées nous ont fait part de leur inquiétude quant à l'intégration de nouvelles missions dans le champ de la GEMAPI, qu'il s'agisse de la gestion des eaux pluviales en zone non urbaine ou de la protection du littoral.

La commission des finances a donc proposé la suppression de cet article.

Mme Audrey Linkenheld. - Je remercie nos rapporteurs pour le travail qu'ils viennent de nous présenter.

Si j'osais une formule, je dirais que la question, en définitive, est de savoir si l'on peut faire ruisseler... le ruissellement. Il est d'ailleurs assez original que le ruissellement, qui constitue en quelque sorte le sujet numéro un en matière de finances, ne relève pas ici de la commission des finances, mais bien de la commission des lois.

Plus sérieusement, je tiens à dire que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain partage pleinement l'intention qui sous-tend cette proposition de loi : il s'agit de tenter de faciliter la tâche des collectivités territoriales, qui sont malheureusement confrontées à la question des inondations et, plus généralement, à la problématique sensible de la gestion de l'eau.

Cela étant, comme pour d'autres textes, la question qui se pose est la suivante : en cherchant à assouplir ou à simplifier le cadre juridique, ne risque-t-on pas, paradoxalement, d'en accentuer encore la complexité ? Tel est le point de vue de notre groupe, qui rejoint, je crois, celui des rapporteurs, même si ceux-ci ont cherché à répondre à ces inquiétudes par voie d'amendement. Nous sommes donc un peu circonspects.

Il faut bien reconnaître que la question de la compétence GEMAPI est ici traitée par le biais d'une délégation, qui n'est ni un transfert de compétence ni une délégation classique. Les amendements déposés visent à apporter des précisions à ce sujet. Mais une interrogation subsiste : si l'on supprime l'article modifiant la taxe GEMAPI, quel est alors l'intérêt d'élargir une compétence dont les ressources sont d'ores et déjà insuffisantes ? Le produit moyen de cette taxe est aujourd'hui de 8 euros par habitant, alors que le plafond légal est fixé à 40 euros. L'écart est donc significatif.

Pour notre part, nous ne sommes évidemment pas opposés à l'objet du texte. En revanche, s'agissant des rédactions proposées - tant initiales que résultant des amendements -, nous souhaitons nous accorder encore un temps de réflexion. Il convient de vérifier si, au terme de ce travail, le dispositif tourne mieux qu'auparavant. Nous restons, bien entendu, favorables à l'objectif des auteurs.

M. Michel Masset. - Si l'intention des auteurs de ce texte est louable - et il est évident que des clarifications sont nécessaires en matière de compétences -, je me permets néanmoins de vous exposer la situation concrète du Lot-et-Garonne.

Dans ce département, nous subissons entre trois et cinq inondations par an. Le territoire compte onze intercommunalités, qui ont toutes institué la taxe GEMAPI. Malgré cela, les moyens financiers demeurent largement insuffisants. Il faut savoir que, durant les deux premières années d'exercice de la compétence, la taxe a été prélevée à hauteur d'environ 25 euros par habitant, ce qui a permis de constituer une enveloppe globale de 500 000 euros. Or ces deux premières années ont été intégralement consacrées à la réalisation d'études - des études que, je le précise, l'État n'avait jamais conduites - concernant l'endiguement.

Un seul exemple : une première brèche identifiée sur une digue de 700 mètres nécessite une intervention chiffrée à 400 000 euros, soit une somme presque équivalente à la totalité des ressources collectées à l'échelle départementale, alors même que nous n'avons à traiter que 40 kilomètres de berges.

Dès lors, envisager un transfert de la compétence ou de ses ressources par délégation au département revient, pour reprendre une expression imagée, à organiser un mariage entre pauvres. En effet, je ne vois pas en quoi les départements disposeraient de davantage de marges de manoeuvre que les communautés de communes, si les prélèvements restent les mêmes.

Les intercommunalités se sont structurées, elles ont recruté du personnel. Un transfert de personnels pourrait éventuellement être envisagé, mais, à mes yeux, la véritable échelle pertinente n'est pas celle du département. Il s'agit d'une problématique qui doit être appréhendée en amont et en aval du cours d'eau, dans sa globalité, et donc à l'échelle de plusieurs départements, voire à celle de la région.

Par ailleurs, je peux vous assurer que lorsqu'on subit régulièrement des inondations, comme c'est le cas dans le Lot-et-Garonne, on souhaiterait davantage la mise en place d'un impôt ou d'une taxe collective. Car lorsque vous êtes situés en aval, vous ne faites que collecter les eaux provenant des autres territoires. Et pourtant, c'est vous qui êtes inondés.

Alors, pourquoi ne pas chercher à simplifier le dispositif ? Mais il restera toujours, en tout état de cause, la question centrale du financement.

Mme Cécile Cukierman. - La compétence GEMAPI fait couler beaucoup d'eau depuis sa création. Tout le problème est bien là, puisqu'elle devait précisément réduire les risques liés à une maîtrise insuffisante de l'eau.

Nous voterons l'article 1er, qui redonne aux départements la possibilité d'exercer cette compétence. Nous voterons également l'amendement tendant à conforter le rôle du département dans ce cadre.

Si nous souhaitons réellement rendre aux départements toute leur place, y compris dans un rôle dépassant la seule solidarité sociale pour inclure une solidarité territoriale, il est alors cohérent de permettre aux départements d'apporter une assistance technique - et c'est l'objet du texte, même si j'ai entendu les réserves -, précieuse à de nombreuses intercommunalités pour lesquelles ce sujet reste complexe à traiter.

Cela étant, cette proposition de loi et la suppression de l'article 4 ne permettent pas de régler le grand défi que constitue le financement. Ce défi est pourtant bien identifié depuis la création de la taxe GEMAPI et la mise en place de cette compétence. Dans un monde où les catastrophes naturelles se multiplient, où les précipitations deviennent de plus en plus soudaines et massives, les conséquences sont de plus en plus lourdes pour les territoires - nous le constatons malheureusement chaque année dans nos départements.

Je veux le redire ici - et nous aurons l'occasion de le répéter en séance publique -, nous n'émettons aucune réserve de principe sur cette proposition de loi. Toutefois, il faut bien admettre que les difficultés vont perdurer, en raison de l'incapacité structurelle de la taxe GEMAPI à répondre, seule, aux besoins d'investissement nécessaires. Les exemples qui viennent d'être donnés l'illustrent parfaitement : cette taxe, dans son état actuel, ne permet pas de financer les infrastructures indispensables pour préserver nos territoires des catastrophes pluviales à venir. Il en va de même, bien entendu, pour les territoires littoraux, qui doivent faire face aux effets du recul du trait de côte.

M. André Reichardt. - Je félicite nos collègues à l'origine de cette proposition de loi pour leur engagement sur la compétence GEMAPI. Cela dit, à force de déposer ce type de propositions, on finit par ne plus savoir où l'on va - permettez-moi cette franchise. Est-ce ainsi que l'on doit traiter les affaires de ce pays ? Car, à chaque nouvelle tentative de transfert de compétence, surgit immédiatement la question de savoir si la collectivité destinataire disposera des moyens nécessaires pour l'exercer. Nous contribuons, en réalité, à déstructurer un cadre institutionnel qui, certes, n'était pas parfait - je l'avais d'ailleurs critiqué à l'époque -mais qui, au moins, avait le mérite d'exister et d'offrir un minimum de lisibilité. Aujourd'hui, nous en sommes arrivés à un point où plus rien n'est clair.

J'en appelle donc, solennellement, à un retour de la cohérence dans ce domaine. Est-il, oui ou non, temps de poser, dans ce pays, la question fondamentale de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales ? Et de le faire non pas par une succession de propositions de loi, mais par un véritable projet de loi, qui traiterait en profondeur, de manière globale, les grandes thématiques relevant de l'action publique locale : qui fait quoi, avec quels moyens ?

Rappelons-nous les combats menés - pendant des années - sur le sujet de l'eau. Combien de temps a-t-il fallu pour remettre en question le transfert obligatoire de l'eau et de l'assainissement aux intercommunalités ? Aujourd'hui, ces mêmes intercommunalités en appellent à l'aide, demandent au département de prendre le relais. Mais chacun sait que les départements, de leur côté, n'en peuvent plus : les compétences qui leur sont confiées ne cessent de croître, tandis que leurs moyens stagnent, voire diminuent.

Alors, je le dis sans détour : allons-nous, enfin, avoir le courage de reconnaître que la décentralisation, dans son état actuel, ne fonctionne pas ? Elle ne fonctionne plus. Et je ne veux même pas rouvrir ici le débat - pourtant bien réel - sur les grandes régions, sur les grands cantons, sur les tensions engendrées par les binômes... Tout cela pèse dans la balance.

Ces grandes régions, dans bien des cas, ne fonctionnent pas. Nous faut-il encore attendre pour en tirer les conséquences et proposer un projet de loi structurant, qui permette, en tenant compte des capacités de chacun, de redéfinir clairement ce que l'on peut - et doit - faire à chaque niveau de territoire ?

J'ai commencé par rendre hommage aux auteurs de cette proposition de loi, mais, pour ma part, je ne peux plus de continuer à légiférer dans ces conditions.

M. Louis Vogel. - Très bien !

M. Michel Masset. - Permettez-moi de vous livrer un dernier exemple illustrant les enjeux concrets liés à la compétence GEMAPI. Cet exemple date de la semaine dernière.

Une ligne à grande vitesse (LGV) a été gravement endommagée à la suite du débordement d'un simple ruisseau. Ce débordement a emporté une portion de la ligne LGV sur une centaine de mètres. Aujourd'hui, la responsabilité incombe à l'intercommunalité, et la SNCF se retourne donc contre cette collectivité.

Voilà ce que cela signifie concrètement : 500 passagers ont dû être évacués du train à vingt-trois heures ; ils ont été mis à l'abri en urgence. Tous les transports sont paralysés depuis quinze jours ; et l'on cherche à faire porter la responsabilité sur une intercommunalité de 18 000 habitants...

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Je vais commencer par répondre à André Reichardt.

Nous pouvons souscrire au questionnement, voire à la sourde colère qui anime un certain nombre d'entre nous, face à l'absence de réformes structurelles ou de fond qui permettraient de régler durablement les problèmes de notre pays depuis quelques mois.

Nous avons tenté, avec ce texte, d'être cohérents avec la vision portée par le Sénat. Cette proposition de loi s'inscrit dans une suite d'assouplissements déjà introduits depuis les lois dites « Maptam » et « NOTRe ». Il s'agit d'un assouplissement de plus, certes, mais dans une logique constante : laisser à nos collectivités territoriales, à nos élus locaux, la liberté de choisir - et avec l'accord de l'ensemble des acteurs du territoire.

C'est pourquoi il n'est pas question ici d'un élargissement imposé de la compétence, mais bien d'une simple faculté de délégation au département, à condition que celui-ci soit volontaire et en capacité de le faire, notamment en matière d'ingénierie et d'assistance technique. Et surtout, nous souhaitons rétablir une procédure similaire à celle qui existe en droit commun : l'unanimité des communes concernées est requise, afin de ne tordre le bras à personne, pour procéder à la délégation de compétence.

Reste évidemment en suspens, comme une épée de Damoclès, la question du financement. Le produit de la taxe GEMAPI s'élève aujourd'hui à 536 millions d'euros. Son plafond, fixé à 40 euros par habitant, permettrait - en théorie - d'atteindre un produit de 3 milliards d'euros. Mais nous voyons bien qu'il s'agit d'un jeu de dupes.

Depuis plusieurs années, on dit aux élus locaux qu'il suffit d'appliquer la taxe pour trouver les ressources nécessaires. Cette situation, nous l'avons entendu au cours de nos auditions, est perçue comme profondément injuste, voire révoltante par de nombreux élus. Cela n'est pas convenable.

Comme je l'ai indiqué en préambule, il nous faudra profiter de la séance publique pour rappeler au Gouvernement ses responsabilités en matière de sécurité publique et de solidarité nationale.

M. Laurent Somon, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Je me contenterai de quelques mots, car je partage entièrement les propos tenus par le rapporteur. Il est vrai que nous avons le sentiment de pastiller les sujets. Mais, en l'absence d'un projet de loi global - le Gouvernement est pourtant régulièrement alerté sur l'insuffisance des ressources allouées aux collectivités territoriales pour faire face à la recrudescence des inondations -, nous n'avons d'autre choix que de procéder ainsi.

Je pourrais, moi aussi, évoquer l'exemple de la Somme, confrontée à des inondations persistantes dès 2001. Il ne s'agissait pas alors d'un simple épisode ponctuel, mais d'une inondation stagnante ayant duré trois mois. Une telle situation provoque non seulement des dégâts importants, mais aussi une profonde irritation chez les habitants.

Cette proposition de loi est certes imparfaite, mais elle a le mérite de remettre au premier plan une nécessité impérieuse pour les collectivités locales, face à la récurrence d'événements climatiques particulièrement coûteux. Elle permet également de soulever, en creux, la problématique des assurances, qui devra être traitée dans le cadre de la proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance à l'ensemble des collectivités territoriales, d'initiative sénatoriale.

Pourquoi ne sommes-nous pas allés plus loin sur la question de la péréquation ? Parce que nous avons souhaité respecter la liberté des collectivités territoriales dans la détermination de leurs ressources. Il n'était pas envisageable d'imposer une solidarité horizontale dans le contexte budgétaire et financier extrêmement contraint que nous connaissons.

J'ai moi-même connu, à l'échelle départementale, les limites de la péréquation horizontale au sein de Départements de France, et ce dans une période pourtant favorable, marquée par l'augmentation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Aujourd'hui, les finances locales sont en tension ; imposer une telle solidarité serait très difficilement acceptable.

Les auditions l'ont d'ailleurs bien mis en évidence, nous avons perçu un clivage manifeste entre, d'un côté, les territoires densément peuplés, capables de lever un produit fiscal important, mais peu exposés aux risques, et de l'autre, les territoires peu peuplés, mais fortement soumis à des contraintes météorologiques, nécessitant des investissements considérables pour se prémunir contre les inondations, comme l'a illustré l'exemple évoqué par Michel Masset.

Je le rappelle, la prévention des inondations commence par l'amont, bien avant que ne survienne le ruissellement.

Pour autant, les communes littorales, qui ne subissent pas les mêmes contraintes, refusent souvent d'intégrer la gestion du ruissellement des eaux pluviales dans la GEMAPI. De la même manière, les territoires ruraux situés en amont des rivières rechignent à prendre en charge la protection du littoral, en raison des coûts très élevés que cela impliquerait.

Il appartient donc au Gouvernement d'ouvrir une concertation sérieuse avec les collectivités locales, afin de leur apporter les moyens nécessaires pour agir efficacement.

Nous avons pleinement conscience que le présent texte a une portée limitée. Mais nous avons volontairement choisi de ne pas contraindre les collectivités, tout en leur offrant la possibilité de recourir à la délégation, afin de mobiliser de l'ingénierie ou de transférer ponctuellement certaines compétences, dans le but de réaliser les travaux indispensables.

Enfin, j'évoquerai un dernier point, soulevé par la commission des finances, et que Christine Lavarde a rappelé à juste titre : le rôle de l'agence de l'eau. C'est en effet un acteur essentiel dans la gestion des bassins hydrographiques et de l'eau, qu'il s'agisse du grand cycle ou du petit cycle. Il est donc nécessaire, également, de reconsidérer le rôle et les missions de ces agences.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à l'exercice et au financement de la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations ; les dispositions relatives à la taxe dite GEMAPI mentionnée à l'article 1350 bis du code général des impôts.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je propose que notre commission prenne acte des résultats des travaux de la commission des finances sur les articles qui lui ont été délégués, et adopte l'article 3 sans modification et l'amendement COM-1 de suppression de l'article 4.

Article 1er

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - L'amendement COM-2 vise à préciser que la délégation de la compétence GEMAPI au département nécessite l'accord de l'ensemble des conseils municipaux des communes membres de l'EPCI à fiscalité propre. Il s'agit ainsi d'aligner ce dispositif sur le droit commun applicable aux délégations volontaires et facultatives de compétences entre les collectivités territoriales et leurs groupements.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à clarifier l'articulation entre la compétence GEMAPI et la gestion des eaux pluviales urbaines. Il me semble nécessaire d'expliciter cette articulation en introduisant dans le texte une distinction plus précise entre les notions de ruissellement et de prévention des inondations.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 2

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - L'amendement COM-4 tend, lui aussi, à renforcer le rôle des départements dans l'exercice de la compétence GEMAPI en leur donnant la possibilité de prendre des mesures en matière de ruissellement, dès lors qu'elles présentent un lien avec la prévention des inondations.

L'amendement COM-4 est adopté et devient article additionnel.

Article 3

L'article 3 est adopté sans modification.

Article 4

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 4 est supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. REYNAUD, rapporteur

2

Alignement de la procédure de délégation sur la procédure de délégation de droit commun

Adopté

Article 2

M. REYNAUD, rapporteur

3

Clarification rédactionnelle

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 2

M. REYNAUD, rapporteur

4

Explicitation du champ de l'assistance technique susceptible d'être fournie par les départements aux EPCI-FP et communes en matière de prévention des inondations

Adopté

Article 4

M. SOMON, rapporteur pour avis

1

Suppression de l'article

Adopté

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