DEUXIÈME PARTIE
ANALYSE PAR PROGRAMME
I. LE PROGRAMME 303 : UNE CAPTATION INTÉGRALE DE LA HAUSSE DES CRÉDITS, À DESTINATION PARTICULIÈREMENT DE LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
A. UNE OPTIMISATION DES CRÉDITS DÉDIÉS AUX CONDITIONS MATÉRIELLES D'ACCUEIL
1. Une baisse des dépenses d'allocations pour demandeurs d'asile (ADA) fondée sur la double hypothèse d'une contraction prévisionnelle des demandes d'asile et d'une amélioration des délais de traitement par l'OFPRA
a) Une baisse nette des dépenses d'ADA
Le niveau du nombre de demandes d'asile31(*) engendre une forte tension sur les dépenses portées par la mission. Il en va en particulier ainsi des dépenses liées aux conditions matérielles d'accueil (CMA, principalement l'allocation pour demandeur d'asile, ADA, et l'hébergement des demandeurs).
La dotation prévue pour l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA)32(*) dans le projet de loi de finances pour 2026 s'élève à 299,1 millions d'euros, incluant 5 millions d'euros au titre des frais de gestion assurée par l'OFII. Cette enveloppe sera complétée par des crédits du Fonds asile, migration et intégration (FAMI) disponibles à hauteur de 19,3 millions d'euros, portant ainsi le budget total consacré à l'ADA, hors frais de gestion, à 313,4 millions d'euros (241,4 millions d'euros pour l'ADA versée aux demandeurs d'asile et 71,9 millions d'euros pour l'ADA versée aux bénéficiaires de la protection temporaire).
S'agissant plus particulièrement de l'ADA versée aux demandeurs d'asile, la dotation consolidée est en baisse de 5,2 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2025 (246,6 millions d'euros), soit de 2 %. Toutefois, ce montant intègre les 25,2 millions d'euros liés à la mise en oeuvre du pacte européen pour la migration et l'asile en 2026. Par conséquent, en neutralisant ce montant, la baisse de la dotation de l'ADA en 2026 est, à périmètre constant, de 30,4 millions d'euros, soit un montant moindre de 12 % par rapport à 2025.
b) Un renforcement des moyens de l'OFPRA de nature à améliorer ses délais d'instruction et le nombre de décisions rendues
Afin de contenir les dépenses liées aux conditions matérielles d'accueil, la stratégie a été essentiellement de chercher à maîtriser les délais de traitement des demandes d'asile. En effet, un délai de traitement global plus rapide, mesuré de l'enregistrement de la demande auprès du guichet unique des demandes d'asile (GUDA) à la décision définitive de l'OFPRA, voire de la CNDA, réduit le temps d'hébergement des demandeurs dans le dispositif national d'accueil (DNA) et d'octroi de l'ADA. Si les objectifs - parfois trop ambitieux - fixés en la matière n'ont pas été tenus jusqu'ici, des progrès réels sont constatés, grâce notamment à une augmentation du nombre de décisions de l'OFPRA et de la CNDA.
Alors que l'objectif du délai de traitement global est fixé à 6 mois, le délai effectif était de l'ordre de 10 mois en 2023 et 2024. S'agissant spécifiquement des délais d'examen de l'OFPRA, le délai moyen de traitement a été réduit de 260 jours en 2021 à 127 jours en 2023 (4,2 mois). Ce délai est reparti légèrement à la hausse en 2024, pour atteindre 138 jours (4,5 mois). Pour le début de l'année 2025, le délai moyen s'établit à 161 jours, soit 5,3 mois. Alors que la cible avait été ajustée à 120 jours en 2025 dans le projet annuel de performances, la cible 2026 renoue avec l'objectif peu réaliste de 60 jours.
Il convient de relever que la dégradation des délais de traitement est la conséquence mécanique de l'apurement des stocks de dossiers, en cours à l'OFPRA. Alors que le stock était de plus de 70 000 dossiers au 31 janvier 2025, il s'établit en mai 2025 à 63 500 dossiers.
S'agissant de l'activité décisionnelle, l'OFPRA n'a jamais rendu autant de décisions, avec un nombre de 113 688 au 30 septembre 2025, soit une hausse de 8,9 % par rapport à la même période de 2024 (+ 9 307 décisions). Cette année, l'OFPRA devrait ainsi dépasser pour la première fois le seuil de 150 000 décisions rendues. Pour 2026, l'objectif était initialement de 165 000 décisions conformément au contrat d'objectifs et de performance de l'OFPRA. Au regard des 48 ETP supplémentaires alloués dans le projet de loi de finances pour 2026, cet objectif a été révisé à la hausse avec 174 000 décisions attendues.
En effet, le présent projet loi de finances procède de nouveau à une revalorisation des moyens humains de l'OFPRA, après une hausse de + 29 ETP alloués par la loi de finances initiale pour 2025. Pour 2026, les 48 créations sont déjà fléchées : 41 nouveaux officiers de protection pourront être recrutés à l'OFPRA et 7 agents seront affectés à la nouvelle procédure d'asile à la frontière à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle dans le cadre de la mise en oeuvre du pacte européen pour la migration et l'asile.
Selon les données transmises par la DGEF, cette hausse de l'activité décisionnelle de l'OFPRA permise par l'allocation de 77 ETP supplémentaires en deux ans, soit une augmentation de l'ordre de 7 % des effectifs, devrait générer 20,4 millions d'économies sur les dépenses d'ADA. De plus, 10 millions d'euros supplémentaires devraient être économisés du fait de sommes non utilisées récupérées sur des cartes de paiement inactives, arrivées à échéance de la prescription quadriennale. Par conséquent, la baisse de 30,4 millions d'euros du montant de l'ADA pour 2026 résulte d'une gestion dynamique du dispositif et ne devrait pas engendrer de diminution du montant de l'allocation versée aux demandeurs d'asile.
Toutefois, une telle réduction des dépenses d'ADA paraît relativement optimiste à double titre.
D'une part, il n'est pas certain que le volume de demandes d'asile se stabilise à la baisse pour 2026, dès lors que la contraction de la demande d'asile à l'échelle européenne commence seulement à produire ses effets dans notre pays, comme cela a été évoqué supra33(*).
D'autre part, les estimations en termes d'économies d'ADA de la DGEF sont fondées sur des hypothèses fortes de 176 000 décisions rendues par l'OFPRA. Si 150 000 décisions sont rendues in fine en 2025, cela signifie que l'OFPRA devra rendre 16 000 décisions de plus en 2026 pour atteindre cet objectif34(*). Auditionné par le rapporteur spécial, le directeur général de l'OFPRA a émis des réserves quant à l'atteinte de cet objectif « à marche forcée » pour 2026, principalement au regard du fort delta de décisions à rattraper.
2. Une réduction concomitante du parc d'hébergement pour les demandeurs d'asile
L'optimisation des dépenses liées aux conditions matérielles d'accueil (CMA) passe également, pour la deuxième année consécutive, par la réduction de la taille du parc d'hébergement du dispositif national d'accueil (DNA), qui bénéficie aujourd'hui aux demandeurs d'asile et aux réfugiés vulnérables. Cette évolution contraste avec la tendance haussière constatée ces dernières années, le parc étant passé de 82 762 places en 2017 à 119 437 places au 31 décembre 2024.
Le DNA regroupe différents types de centres dédiés à héberger principalement les personnes en instance de demande d'asile. S'y ajoutent des places en faveur des réfugiés vulnérables. Pour 2026, 111 855 places ont été budgétées, selon la ventilation suivante :
- 61 963 places dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), qui correspondent au mode normal d'hébergement des demandeurs d'asile. Ces centres offrent aux demandeurs d'asile un hébergement, ainsi que des prestations d'accompagnement social et administratif ;
- 5 080 places en centre d'accueil et d'examen des situations (CAES), qui permettent une prise en charge de premier niveau des personnes migrantes, y compris administrative, en amont de leur orientation vers les lieux d'hébergement, notamment en cas d'afflux massif dans certains territoires ;
- 11 159 places au sein des centres provisoires d'hébergement des réfugiés (CPH), qui visent à favoriser l'accompagnement linguistique, social, professionnel et juridique des réfugiés qu'ils hébergent, présentant des vulnérabilités particulières et nécessitant une prise en charge complète dans les neuf premiers mois suivant l'obtention de leur statut ;
- 32 923 places d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA). Une part de ce dispositif, offrant des prestations et des conditions d'accueil similaires à celles observées en CADA, est considérée comme de l'hébergement pérenne, permettant une prise en charge des demandeurs tout au long de leur procédure. Les structures n'offrant pas un tel niveau de prestations, tels que les dispositifs hôteliers, sont quant à elles destinées à accueillir, à titre transitoire, des demandeurs d'asile préalablement à leur admission éventuelle dans un hébergement pérenne. Ce parc comprend des places d'hébergement d'urgence gérées au niveau déconcentré par les préfets, le « HUDA local », ainsi que des places du parc d'hébergement d'urgence relevant du programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile (« PRAHDA ») ;
- 730 places dans d'autres hébergements pour réfugiés, dans des régions en tensions, comme en Île-de-France par exemple, qui ont pour objectif de fluidifier le DNA.
Entre 2025 et 2026, le parc se réduit donc de 1 403 places (113 258 places étaient budgétées en loi de finances initiale pour 2025), soit une baisse de - 1,3 %. Pour autant, les crédits globaux dédiés à l'hébergement des demandeurs d'asile s'élèvent à 946,6 millions d'euros en 2026, ce qui représente une hausse de 0,2 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2025. En effet, certaines mesures prévues dans le pacte européen sur la migration et l'asile obligent à des aménagements dans les structures d'hébergement, à l'instar de la nouvelle directive « Accueil » du 14 mai 2024, qui impose qu'elles disposent de sanitaires distincts pour les femmes.
Ventilation des places d'hébergement des
demandeurs d'asile
selon le type d'hébergement
entre 2021 et 2026
(en milliers)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données du ministère de l'intérieur
La réduction numéraire du parc d'hébergement touche principalement les demandeurs d'asile les plus vulnérables dès lors que le nombre de places dédiées à l'hébergement d'urgence sur tout le territoire (HUDA) passe de 40 011 places en 2025 à 27 711 places en 2026. Une partie de ces places HUDA seront néanmoins transformées en places dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), qui évoluent de 49 190 places en 2025 à 61 963 places en 2026.
Cette évolution résulte de la mise en oeuvre d'une recommandation de la Cour des comptes de juillet 202435(*), qui préconisait de transformer progressivement les places d'hébergement d'urgence, financées par des subventions, en établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), dont font partie les CADA, avec un fonctionnement encadré par le code de l'action sociale et des familles36(*). Elle vise avant tout à renforcer la sécurité juridique et financière des relations avec les organismes gestionnaires. D'ici trois ans, tous les HUDA ont vocation à être remplacés par des CADA, dont un tiers d'ici 2026.
Enfin, selon les informations transmises par la DGEF, cette réduction du nombre de places ne se traduirait pas nécessairement par des fermetures de sites au regard de l'accélération des procédures d'asile et de la fluidification des sorties des bénéficiaires d'une protection internationale ou des déboutés. Dans ce cadre, le ministère de l'intérieur s'est engagé dans une politique volontariste tendant à limiter les présences indues, en recourant systématiquement au référé dit « mesures-utiles »37(*).
* 31 Voir supra.
* 32 Créée par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, l'ADA est versée aux demandeurs d'asile d'au moins 18 ans pendant toute la durée de la procédure d'instruction de leur demande, y compris en cas de recours devant la CNDA. Cette allocation est familialisée et versée à l'ensemble des demandeurs d'asile dès lors qu'ils ont accepté l'offre de prise en charge qui leur a été présentée lors de leur admission au séjour. Son montant varie en fonction de la composition familiale, des ressources de la famille et du besoin et des modalités d'hébergement. Il est de 6,8 euros par jour pour une personne seule. Il augmente de 3,4 euros par membre de la famille supplémentaire. Un montant complémentaire de 7,4 euros est accordé si aucune place d'hébergement n'a été proposée au demandeur (ce montant est identique que le demandeur soit seul ou qu'il ait une famille). Ainsi, le montant mensuel pouvant être versé à un demandeur d'asile seul, s'il ne s'est pas vu proposer de place d'hébergement, est de 432 euros par mois.
* 33 Le projet annuel de performances de la mission mentionne toutefois que « cette programmation est fondée sur une prévision d'augmentation des flux des demandes d'asile de 5 % en 2026 », soit le même niveau qu'anticipé entre 2024 et 2025.
* 34 Pour rappel, 8 000 décisions de plus ont été prises entre 2024 et 2025.
* 35 Cour des comptes, Les relations entre l'État et les gestionnaires de structures d'hébergement, juillet 2024.
* 36 Article L. 348-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles.
* 37 Article L. 521-3 du code de justice administrative.
