Art. 78
Modulation des tarifs des services
publics
Le
présent article autorise la modulation des tarifs des services publics
administratifs à caractère facultatif en fonction du revenu des
usagers et du nombre de personnes vivant au foyer. Il instaure
parallèlement une condition à cette modulation tarifaire : les
tarifs les plus élevés ne peuvent être supérieurs au
coût de revient par usager.
A cet égard, on peut rappeler que les services publics administratifs
à caractère administratif sont composés de services
sociaux (cantines scolaires, crèches municipales, centre de loisirs...)
et de services culturels (écoles de musique, musées,
conservatoires d'arts plastiques...).
Cet article ne fait en réalité que codifier une
évolution récente de la jurisprudence administrative.
Traditionnellement, le juge administratif encadrait strictement les
possibilités de discrimination tarifaire, au nom du principe
d'égalité qui régit le fonctionnement des services
publics. La jurisprudence
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*
)
limitait les possibilités de discrimination tarifaires à deux cas
:
• l'existence d'une différence de situation objective,
appréciable et en rapport avec l'objet du service entre les usagers ;
• le motif d'intérêt général.
Le juge administratif appliquait de manière relativement restrictive
cette jurisprudence aux cas d'espèces. Si le juge a progressivement
reconnu la possibilité d'une modulation tarifaire fondée sur la
situation financière des familles pour les services publics sociaux
(cantines scolaires
10(
*
)
,
crèches
11(
*
)
, centres de
loisirs
12(
*
)
), il s'est
longtemps refusé à les accepter pour les services publics
culturels, et notamment des écoles de musique ou les conservatoires
d'arts plastiques.
Il estimait en effet qu'une discrimination tarifaire fondée sur les
différences de revenus entre les familles ne répondait à
aucune des deux dérogations de principes
13(
*
)
:
- il ne s'agissait pas d'une discrimination fondée sur une
différence de situation
objective
car elle résulte d'une
décision discrétionnaire de la collectivité fixant les
seuils d'application au barème.
- il ne s'agissait pas non plus d'un motif d'intérêt
général directement en rapport avec l'objet en service.
Cette jurisprudence, critiquée par de nombreux élus locaux, a
été récemment abandonnée par le Conseil d'Etat. La
section du contentieux a en effet estimé, dans deux arrêts du 29
décembre 1997,
Commune de Gennevilliers et Commune de Nanterre,
" qu'eu égard à l'intérêt général
qui s'attache à ce qu'(un) conservatoire de musique puisse être
fréquenté par les élèves qui le souhaitent, sans
distinction selon leurs possibilités financières, (un ) conseil
municipal (peut), sans méconnaître le principe
d'égalité entre les usagers du service public, fixer des droits
d'inscription différents selon les ressources des familles, dès
lors notamment que les droits les plus élevés restent
inférieurs au coût par élève du fonctionnement de
l'école ".
Le présent article ne fait donc que reprendre les termes de cette
nouvelle jurisprudence.
Il ne s'agit pourtant pas d'une simple inscription de la jurisprudence dans la
loi. Cet article marque en effet une double rupture par rapport à la
situation précédente.
D'une part, le projet de loi généralise le principe de modulation
tarifaire à l'ensemble des services publics administratifs à
caractère facultatif. La modulation tarifaire pourra donc s'appliquer
à l'ensemble de ces services publics à vocation culturelle
(école de danse, conservatoire d'art dramatique, conservatoire d'arts
plastiques...) alors que la jurisprudence actuelle du Conseil d'Etat ne
concerne théoriquement que les écoles de musique.
D'autre part, cet article supprime certaines limites fixées par la
jurisprudence à une modulation des tarifs publics.
Certes, la condition d'une modulation reste subordonnée à des
critères sociaux (revenus et nombre d'enfants de la famille). De
même, l'ampleur de la modulation reste encadrée par l'obligation
de fixer le tarif le plus élevé à un niveau
inférieur au coût de fonctionnement par usager du service. Mais la
condition de but -à savoir l'intérêt général-
posée par la jurisprudence disparaît.
Il ne semble cependant pas que cette formulation de l'article soit de nature
à entraîner une pratique exorbitante de la modulation tarifaire.
Si le texte du projet de loi ne fixe explicitement aucun objet à la
modulation tarifaire, l'objet même de la loi -la lutte contre les
exclusions- permet en effet de mieux définir la finalité de la
discrimination tarifaire : elle vise à la réalisation de
l'objectif d'intérêt général qui est la lutte contre
les exclusions. De plus, les modulations tarifaires resteront soumises au
contrôle du juge, qui vérifiera l'absence d'erreur manifeste
d'appréciation. Or, dans le cadre de ce contrôle, le juge
vérifiera à la fois le respect des critères de la
modulation tarifaire (et notamment les grilles tarifaires) et celui de l'objet
de la modulation tarifaire (la lutte contre les exclusions).
Cette disposition permettra donc une tarification plus souple des tarifs des
services publics locaux, tout en permettant une meilleure prise en compte des
usagers les plus défavorisés.
L'Assemblée nationale a adopté, sur proposition de M. Jean
Le Garrec, rapporteur de la commission spéciale, et avec l'accord du
Gouvernement, un amendement cosigné par M. Denis Jacquat.
Cet amendement, qui précise que "
les taux ainsi fixés ne
font pas obstacle à l'égal accès de tous les usagers au
service
", ne fait que réaffirmer le principe constitutionnel
d'égalité d'accès au service public. Il fixe donc une
seconde limite législative, au-delà de la simple limite tarifaire
énoncée au deuxième alinéa du présent
article, à la possibilité de modulation tarifaire.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.