ANNEXE N° 4

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition de Mme Josèphe Mercier, présidente,
et de Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale,
de la Fédération nationale Solidarité Femmes

(2 novembre 2004)

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

Mme Gisèle Gautier, présidente, a tout d'abord rappelé que la délégation avait décidé, dans le cadre de son rapport annuel, d'étudier les violences faites aux femmes et a estimé que la gravité de la situation constatée en France justifiait le choix de ce thème d'étude.

Elle a regretté que les associations puissent parfois éprouver un sentiment d'isolement et a souhaité que la délégation puisse relayer l'immense travail -largement bénévole- réalisé par ces organismes, et procéder à des recommandations concrètes, au besoin en s'inspirant d'expériences étrangères réussies. Elle a cité, à ce sujet, la nouvelle législation espagnole.

M. Jean-Guy Branger s'est associé à ce propos et a estimé que la réforme pénale espagnole pouvait être considérée comme un modèle.

Mme Josèphe Mercier , après s'être réjouie d'être entendue par la délégation, a tout d'abord exprimé un sentiment partagé. Elle s'est félicitée de l'intérêt porté aux violences conjugales ainsi qu'à leurs victimes et a manifesté, en même temps, son inquiétude à l'égard d'une éventuelle banalisation des violences conjugales. Elle a constaté que, pour les associations, la médiatisation des violences conjugales entraînait une augmentation du nombre de cas à prendre en charge et s'est dite préoccupée de la faiblesse des moyens mobilisables face à l'ampleur du phénomène et des sollicitations de toutes parts.

Mme Marie-Dominique de Suremain a ensuite présenté la Fédération nationale Solidarité Femmes, qui constitue un réseau national de 54 associations gérant 60 structures. Elle a précisé que la Fédération comprenait 480 salariés, 310 équivalents temps plein et plus de 200 bénévoles et actifs. Le réseau dispose de 1.148 places d'hébergement, ce qui permet de loger 2.500 femmes et 2.700 enfants par an.

Elle a insisté sur la caractéristique du réseau qui est de recevoir des femmes avec leurs enfants et fait observer que certains centres n'étant pas « labellisés » ne disposaient pas, en conséquence, de moyens pérennes. Elle a chiffré à 17 le nombre de lieux d'accueil sans hébergement et à 43 celui des centres comportant des lieux d'hébergement et précisé que la durée moyenne des séjours avait tendance à augmenter, ce qui manifeste une pénurie de logements sociaux.

S'agissant des lieux d'hébergement d'urgence, elle a estimé que l'allongement de la durée d'hébergement avait un aspect positif en permettant aux victimes de violences de prendre le temps de réfléchir avant de décider de la suite à donner à leur vie de couple.

En réponse à une question de Mme Christiane Kammermann sur la possibilité d'accueil des Françaises de l'étranger, Mme Marie-Dominique de Suremain a précisé qu'elles étaient prises en charge sans aucune discrimination, de même que toutes autres personnes s'adressant au réseau associatif.

Mme Josèphe Mercier a noté que les femmes accueillies présentaient fréquemment un ensemble de caractéristiques à effet cumulatif, en soulignant la fréquente insuffisance de ressources des victimes et une certaine image négative due à la dangerosité potentielle de leur conjoint.

Mme Janine Rozier a rappelé que la réforme du divorce comportait un dispositif d'éviction du conjoint violent hors du domicile conjugal.

Mme Josèphe Mercier a estimé nécessaire de veiller à ce que cette loi n'entraîne pas, par contrecoup, une diminution du nombre d'hébergements d'urgence.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a interrogé les intervenantes sur le schéma d'intervention concret des associations lorsqu'elles viennent en aide aux victimes.

Mme Marie-Dominique de Suremain a tout d'abord chiffré à 16.000 le nombre des appels, dont un tiers provient de l'entourage de la victime, et précisé que plus de la moitié de ces dernières appellent pour la première fois.

Elle a ensuite fait observer que la première tâche des associations consistait à leur permettre de « se reconnaître comme victime », en dépit des obstacles extrêmement sévères rencontrés par les femmes face à l'institution médicale, judiciaire ou policière, qui tend parfois à minimiser la gravité des faits de violence. A ce sujet, elle a souligné que la société française n'était pas suffisamment apte à recevoir et à entendre les victimes.

M. Jean-Guy Branger , après avoir rendu hommage à l'action de la Fédération, a regretté le retard de la France en matière d'hébergement des victimes de violences conjugales, et souligné la nécessité d'y remédier de manière énergique.

Evoquant son expérience en tant que rapporteur sur le thème des violences conjugales au sein du Conseil de l'Europe, il a évoqué les diverses facettes des violences subies par les femmes, qui sont, de manière générale, insuffisamment punies. Il a néanmoins cité une exception : la criminalisation des violences conjugales au Canada.

Il a ensuite évoqué l'augmentation des violences conjugales au cours des années récentes, à laquelle ont tenté de répondre certaines législations, espagnole en particulier. Il a enfin fermement appuyé l'idée de renforcer et de structurer les foyers d'hébergement.

Mme Marie-Dominique de Suremain a noté que toutes les violences ne nécessitaient pas de solution d'hébergement, certaines victimes pouvant aussi bénéficier d'une aide de leur entourage. Concrètement, elle a indiqué que les logements d'hébergement étaient partagés, ce qui permet une restructuration plus rapide des victimes dans des conditions de vie convenables, ceci dans un délai, en moyenne, de six mois.

Notant l'allongement de la durée moyenne d'hébergement, elle a également évoqué les difficultés de l'articulation avec le logement social qui fait l'objet de demandes concurrentes en dépit d'accords collectifs censés donner une priorité aux victimes de violences.

Mme Josèphe Mercier a précisé que les associations étaient confrontées à une exigence d'anonymat et à la nécessité d'éloigner les victimes pour les protéger.

Mme Marie-Dominique de Suremain a précisé que les victimes accueillies n'étaient pas nécessairement amenées à porter plainte pour diverses raisons, et, en particulier, par crainte d'éventuelles représailles.

Mme Isabelle Debré a évoqué son expérience en matière de lutte contre la maltraitance des enfants et s'est interrogée sur le sort des femmes mineures. Elle a ensuite interrogé les intervenantes sur le problème de l'accusation éventuelle d'abandon du domicile conjugal, qui peut entraîner des pertes de droits pour les victimes ayant décidé de s'éloigner de leur agresseur.

Mme Marie-Dominique de Suremain a indiqué que la Fédération ne pouvait accueillir que des femmes majeures et a signalé que, s'agissant des femmes accompagnées d'enfant, une déclaration au commissariat pouvait permettre de se prémunir contre une éventuelle accusation d'abandon du domicile conjugal. Elle a néanmoins signalé une recrudescence du phénomène de harcèlement juridique de la part des conjoints violentés et cité des exemples de cas de gardes alternées prononcées à la suite de faits de violences conjugales.

Mme Isabelle Debré a estimé que, la plupart du temps, le dépôt de main courante ne suffisait pas et qu'il convenait de porter plainte contre l'agresseur.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a évoqué certaines initiatives en matière de formation des personnels de police et souhaité obtenir des précisions à ce sujet.

Mme Marie-Dominique de Suremain a confirmé que les associations participaient à un certain nombre d'actions de formation de policiers. Elle a rappelé, s'agissant du problème de la plainte pénale, que la crainte des représailles pouvait conduire à des retraits de plainte de la part des victimes de violences, et fait observer que des dépôts de main courante avaient pour avantage de laisser une trace à la disposition, notamment, des procureurs.

En réponse à Mme Isabelle Debré qui s'est interrogée à la fois sur le caractère obligatoire et l'insuffisance de la « formation » des policiers dans ce domaine, Mme Josèphe Mercier a marqué sa préférence pour le terme de « sensibilisation » qui rend compte plus fidèlement des actions conduites.

Mme Muguette Dini a souligné la féminisation des cadres de la police et s'est interrogée sur la nature des formations souhaitables dans les écoles de police ainsi que sur l'opportunité d'une recommandation à ce sujet.

Mme Josèphe Mercier a estimé que la féminisation progressive de la police contribuait très largement à la nécessaire modification des mentalités.

Mme Marie-Dominique de Suremain a précisé que les formations auxquelles participaient les associations se déroulaient sur la base du volontariat.

Mme Christiane Kammermann s'est inquiétée du sort des femmes mineures victimes de violences.

Mme Marie-Dominique de Suremain a précisé que la Fédération était centrée sur l'accueil des femmes adultes et que l'hébergement des femmes mineures relevait de l'aide sociale à l'enfance.

Mme Sylvie Desmarescaux a évoqué, sur la base de son expérience professionnelle, les précautions à prendre pour l'écoute et l'aide des femmes victimes de violences.

Mme Josèphe Mercier a souligné les mesures d'accompagnement concrètes permettant aux femmes de bénéficier d'une aide matérielle, notamment pour retourner au domicile conjugal en l'absence du conjoint violent et faciliter leur déménagement.

Interrogée par Mme Gisèle Gautier, présidente , sur la réalité statistique des chiffres publiés sur les violences conjugales, Mme Marie-Dominique de Suremain a rappelé que selon l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes -ENVEFF-, présentée en décembre 2000, 10 % des femmes de 20 à 59 ans sont victimes de violences. Elle a estimé que ces grandeurs étaient pertinentes, tout en précisant que les violences physiques sont, la plupart du temps, accompagnées de violences psychologiques et sexuelles.

Elle a ensuite fait observer que les chiffres cités par le rapport Henrion de février 2001, « Les femmes victimes de violences conjugales - Le rôle des professionnels de santé », représentaient une première évaluation, faite par le ministère de l'intérieur, du nombre de meurtres et fait observer qu'un certain nombre de suicides de femmes devraient aussi être pris en compte.

Elle a souhaité qu'un effort de recensement plus précis des violences soit entrepris : en particulier, elle a estimé que les formulaires administratifs devraient traduire la spécificité des faits de violences conjugales et plus généralement, qu'il conviendrait de mobiliser l'appareil statistique pour identifier tous les cas venant à la connaissance des interlocuteurs judiciaires, médicaux et policiers des victimes.

Mme Sylvie Desmarescaux a évoqué la tendance de certaines victimes à retourner au domicile conjugal en dépit du renouvellement des faits de violences.

Mme Muguette Dini s'est associée à ce propos, tout en évoquant la nécessité, dès le collège, de former les élèves pour leur permettre de prendre pleinement conscience du caractère anormal de la violence à l'intérieur des familles.

Mme Josèphe Mercier a tenté d'expliquer ce type de comportement, a priori paradoxal, par le fait qu'une femme isolée devait faire face à un véritable « parcours du combattant ».

Mme Marie-Dominique de Suremain a conclu par un certain nombre de remarques.

S'agissant du « Guide des bonnes pratiques » présenté conjointement par le ministre de la justice et la ministre de la parité, elle a regretté que le principe de la médiation n'ait pas été écarté pour le traitement des situations de violences conjugales. Elle a insisté sur la nécessité de différencier les conflits susceptibles de médiation et les violences qui relèvent de la sanction pénale et civile.

Elle a souhaité, en outre, la progression des financements alloués à l'hébergement des victimes.

A propos des difficultés pour certains magistrats à prendre pleinement la mesure de la réalité des violences conjugales, elle a souligné la nécessité d'une sensibilisation de l'institution judiciaire.

Après avoir évoqué l'importance des dispositifs de prévention des violences conjugales, elle a mentionné le cas spécifique des femmes immigrées victimes de violences qui peuvent être mises en difficulté en raison de l'allongement à deux ans du temps de vie commune requis pour maintenir le droit au séjour en cas de séparation. Elle a cependant noté que les préfets pouvaient, au cas par cas, régulariser leur situation.

Elle a enfin indiqué que la Fédération était en cours de transformation et avait pour vocation de devenir non plus seulement une plate-forme d'écoute et d'aide mais également un véritable observatoire des violences conjugales et un centre de formation, tout en veillant soigneusement à préserver la sécurité des personnes.

Mme Josèphe Mercier s'est associée à ces propos et, à partir d'exemples constatés d'enfants qui battent leur mère, a évoqué le processus général de fabrication de la violence au sein de la famille, violences qu'il convient d'éradiquer par des mesures d'ensemble.

Audition de Mme Catherine Le Magueresse,
présidente de l'Association européenne

contre les violences faites aux femmes au travail,

et du Docteur Lionel Doré,
secrétaire général du Syndicat national professionnel des médecins du travail

(16 novembre 2004)

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

Mme Gisèle Gautier, présidente , a précisé que la délégation avait souhaité consacrer une partie de ses travaux à la question des violences envers les femmes dans leur environnement professionnel.

Mme Catherine Le Magueresse, présidente de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail , a indiqué que l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) était une association féministe de lutte contre les violences masculines à l'encontre des femmes, ayant pour but de lutter pour l'éradication de toutes les formes de violence, qu'elle a jugées indissociables de par leurs causes, leurs auteurs, leurs victimes et leurs conséquences. Elle a précisé que, si l'AVFT est amenée à travailler sur toutes les formes de violences sexistes ou sexuelles, elle est principalement connue pour ses actions dans le domaine des relations de travail.

Elle a rappelé que l'AVFT avait été créée en 1985 par Marie-Victoire Louis, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Yvette Fuillet, alors députée européenne, et Joëlle Causin, secrétaire victime de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique. Elle a noté que l'AVFT était une association nationale intervenant dans toute la France et qu'elle travaillait également en relation avec d'autres associations européennes. Sur le plan financier, elle a indiqué que, dans un premier temps, l'association avait reçu des subventions européennes puis, qu'à partir de 1991, elle avait bénéficié de subventions du service des droits des femmes et de l'égalité et de la direction des relations du travail du ministère du travail, à hauteur d'environ 203.000 euros en 2004.

Mme Catherine Le Magueresse a fait observer qu'il existait très peu de statistiques fiables sur la réalité des violences faites aux femmes au travail. Elle a cité un sondage réalisé par l'institut Louis Harris, en 1991, selon lequel 19 % des femmes actives disent avoir subi, au cours de leur carrière, une forme de violence liée à leur sexe, ce qui représente environ deux millions de femmes. Tout en se demandant si ce chiffre, pourtant considérable, ne minimise pas la réalité vécue par les femmes, elle a fait observer qu'en raison du silence des victimes et des difficultés procédurales, seule une cinquantaine de cas annuels faisaient l'objet d'une sanction pénale. Elle a précisé que l'AVFT était actuellement saisie de 300 dossiers, parmi lesquels on comptait 14 % de viols sur le lieu de travail, 56 % d'agressions et de harcèlement sexuels et 20 % de harcèlement sexuel, ainsi que quelques cas de discrimination liée à la maternité. Elle a ajouté que, parmi les secteurs les plus concernés par ce type de violences, figuraient notamment l'hôtellerie/restauration, la fonction publique territoriale, en particulier au niveau des communes, et les activités sportives, ainsi que les milieux traditionnellement masculins tels que l'armée, la gendarmerie ou la police.

Mme Catherine Le Magueresse a précisé que, conformément à l'article 2 de ses statuts, l'association se fixait deux grands axes d'intervention : des actions de soutien aux victimes, d'une part, et des actions de sensibilisation, d'autre part.

Insistant sur le caractère spécifique de chaque cas, elle a expliqué comment l'AVFT mettait en oeuvre une stratégie adaptée à chaque dossier et qui peut se traduire par la saisine de l'employeur, du procureur de la République, de l'inspection du travail ou encore de la médecine du travail. Elle a précisé que l'association se constituait également partie civile lors des fréquents procès qui interviennent faute de pouvoir trouver une solution extrajudiciaire et parce que la parole des femmes victimes n'est pas suffisamment prise en compte sur le lieu de travail. En outre, elle a regretté que les magistrats eux-mêmes semblent parfois avoir des difficultés à apprécier la gravité des violences subies par les femmes dans le monde professionnel, ce qui lui paraissait expliquer le nombre important de relaxes prononcées.

Elle a souligné le rôle essentiel de l'inspection du travail, dont les enquêtes permettent de conserver une trace des cas de violences envers les femmes sur le lieu de travail, tout en insistant sur le fait que les agresseurs sont souvent des récidivistes. Elle a ainsi cité le cas d'un aide-soignant travaillant dans un institut médico-éducatif qui, pendant 30 ans, avait pu rester impuni jusqu'au jour où une de ses victimes avait porté plainte. L'enquête a alors révélé, a-t-elle précisé, grâce aux investigations antérieures de la gendarmerie, onze cas de viols et agressions sexuelles non prescrits, ce qui avait permis de condamner cet aide-soignant à huit ans de prison ferme, soit, en pratique, une peine extrêmement rare dans ce type d'affaires. Elle a constaté que l'agresseur avait cependant pu bénéficier dans son village de soutiens en relation avec ses activités de pompier volontaire, de joueur de rugby et de chasseur.

Mme Catherine Le Magueresse a ensuite abordé les actions de sensibilisation à la réalité de ces violences menées par l'association en direction du grand public et des pouvoirs publics. Ainsi, l'AVFT propose des formations en entreprises ou au sein des organisations syndicales, diffuse des publications, en particulier un guide pratique, a réalisé un court-métrage, s'est dotée d'un site Internet dynamique et s'est appuyée sur les techniques du théâtre, notamment en direction des jeunes en contrat d'apprentissage ou d'alternance dans des lycées professionnels de la région parisienne. La présidente de l'AVFT a également évoqué l'importance cruciale du travail en partenariat avec les chargées de mission départementales et les déléguées régionales aux droits des femmes.

Enfin, Mme Catherine Le Magueresse a indiqué que l'AVFT menait également une action plus globale de lutte contre toutes les formes de violences masculines envers les femmes en dehors des relations professionnelles. Elle a cité, à ce titre, son engagement dans la lutte contre la prostitution, une campagne contre le recours à la médiation en cas de violences sexistes ou sexuelles ou encore une analyse critique du projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

En conclusion, elle a estimé très inquiétante la situation actuelle et appelé de ses voeux la définition par l'Etat d'une politique globale de lutte contre les violences faites aux femmes, accompagnée de moyens adéquats, à l'instar de la politique de sécurité routière, qui semble s'accompagner de résultats tangibles.

Le Dr. Lionel Doré, secrétaire général du Syndicat national professionnel des médecins du travail , a tout d'abord rappelé que la loi donnait aux médecins du travail la mission de lutter contre l'altération de la santé des salariés. Il a affirmé que, de ce point de vue, les femmes payaient un lourd tribut ; il a regretté le manque cruel de statistiques qui pourrait démontrer l'importance des pathologies professionnelles qui frappent les femmes et a estimé que le ministère de l'emploi devrait utiliser des données par genre.

Le Dr. Lionel Doré a noté que les violences envers les femmes qui, comme les coups et blessures, portent atteinte à leur intégrité physique étaient rares sur le lieu de travail. En revanche, il a souligné la part importante des femmes parmi les victimes de maladies professionnelles, et cité le cas des troubles musculo-squelettiques, dits du « tableau 57 » engendrés par les gestes répétitifs dans certaines professions telles que les secrétaires ou les caissières. De même a-t-il estimé que certains postes de travail n'étaient pas suffisamment aménagés de façon à prendre en compte la physiologie féminine. Enfin, il a rappelé que les femmes étaient les premières concernées par le travail précaire et le temps partiel et qu'elles en supportaient les conséquences sur leur santé. Il a également précisé que, bien souvent, les exigences des employeurs étaient plus grandes pour les femmes que pour les hommes en termes de productivité, et cité le cas des infirmières.

Il a ensuite évoqué les diverses formes d'atteintes à la santé mentale en milieu professionnel et constaté qu'en la matière, les femmes subissaient les conséquences d'un processus fréquent de domination masculine qui se traduit également par des discriminations salariales. Il a indiqué que les médecins du travail constataient souvent chez les femmes venant les consulter «  une grande peur » et qu'elles leur confiaient très souvent, sous le sceau du secret professionnel, des choses qu'elles taisent habituellement. Il a observé que ce silence est d'autant plus dommageable que les médecins du travail ne pouvaient agir qu'avec le consentement des intéressées.

Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est interrogée sur les moyens d'action concrets dont disposait la médecine du travail pour faire face à des cas de violence envers les femmes sur leur lieu de travail.

Le Dr. Lionel Doré a indiqué que ces moyens différaient selon les secteurs car la médecine du travail n'y a pas le même statut : il a essentiellement distingué le secteur public du secteur privé et tout particulièrement souligné la « misère » de la médecine du travail dans la fonction publique territoriale. Il a exprimé le souhait d'une harmonisation de la réglementation relative aux moyens d'intervention de la médecine du travail pour renforcer son indépendance.

Sur la base de son expérience, il a estimé qu'il convenait de retirer de son milieu de travail une personne en situation d'épuisement professionnel, dit « burn out », l'arrêt maladie lui permettant alors de se reconstruire et de sortir d'une spirale de « victimisation ».

Mme Gisèle Gautier, présidente , a demandé dans quelle mesure les médecins du travail pouvaient demander un changement de service du salarié à l'employeur.

Mme Annie David a souligné le caractère paradoxal de la pratique qui consiste à privilégier le changement de poste de travail de la victime, alors que l'agresseur conserve le sien.

Mme Christiane Kammermann , après s'être félicitée que la délégation puisse procéder à de telles auditions, a fait part de son étonnement et de son indignation face aux témoignages relatant notamment des faits d'agressions sexuelles de la part de maires sur leurs agents municipaux.

Mme Yolande Boyer a voulu savoir s'il existait des statistiques mesurant l'ampleur des violences envers les femmes dans les mairies et quelles mesures spécifiques étaient, ou devaient être, mises en place dans ces cas précis. Elle s'est également interrogée sur l'existence d'antennes locales de l'AVFT.

Mme Catherine Le Magueresse a indiqué qu'il n'existait pas de statistiques sur ce phénomène dans les mairies et qu'elle faisait référence aux cas dont l'AVFT avait été saisie. Elle a notamment cité l'exemple d'un maire condamné pour violence sexuelle suivie et, par la suite, réélu. Elle a insisté sur le caractère indispensable des actions de formation et de sensibilisation pour faire évoluer les mentalités.

Elle a évoqué la campagne que mène actuellement l'AVFT afin d'obtenir une modification du délit de dénonciation calomnieuse qui permettrait, selon elle, la condamnation quasi automatique des femmes qui ont déposé plainte contre l'auteur des violences. Elle a ainsi cité plusieurs cas de femmes condamnées pour avoir dénoncé les violences physiques ou sexuelles de leur supérieur hiérarchique, les tribunaux saisis de leur plainte ayant jugé qu'il n'existait pas de charges suffisantes pour renvoyer les auteurs désignés devant les juridictions compétentes ou qu'un doute existait sur leur culpabilité. Elle a regretté que, ces agissements n'étant pas reconnus exacts par la justice, les femmes qui les avaient dénoncés soient considérées comme étant à l'origine de calomnies. Elle a cité le cas d'une employée de mairie agressée deux fois par le maire, la deuxième fois dans la rue avec témoin oculaire. Le maire ayant été relaxé en appel, il avait porté plainte pour dénonciation calomnieuse et avait obtenu gain de cause de la part de la justice. Cette affaire pose indéniablement, a-t-elle estimé, le problème de l'existence du droit de dénoncer les violences sexuelles subies.

En réponse à Mme Joëlle Garriaud-Maylam qui souhaitait savoir si l'AVFT ne devrait pas dispenser une formation aux élèves de l'Ecole nationale de la magistrature, Mme Catherine Le Magueresse a indiqué qu'il s'agissait d'un projet de l'AVFT. Elle a fait observer que « le sexisme du droit » n'était certes pas un problème limité à la France, mais que seule la France prétendait à l'universalité et à la neutralité du droit.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé que les femmes qui osaient porter plainte étaient souvent fort mal reçues dans les commissariats, où leurs propos étaient sous-estimés.

Mme Catherine Le Magueresse a estimé que les policiers étaient de mieux en mieux formés et sensibilisés à ces problèmes. Elle a précisé que l'AVFT n'avait pas d'antennes locales et que les trois chargées de mission étaient amenées à se déplacer en province, l'aide logistique apportée par les déléguées régionales et départementales aux droits des femmes étant alors très précieuse.

Mme Annie David a rappelé que la loi de modernisation sociale de 2002 avait modifié la charge de la preuve au détriment des femmes victimes de harcèlement au travail.

Mme Catherine Le Magueresse a précisé que la charge de la preuve avait été aménagée mais non renversée par la loi de modernisation sociale qui obligeait l'auteur des faits à se justifier par rapport aux éléments de fait rapportés. Or, la loi dite Fillon de janvier 2003 a précisé que, conformément au droit européen, la victime devait apporter des « faits » et non plus des « éléments de fait », ce qui, a-t-elle estimé, déséquilibre quelque peu la relation victime/agresseur au bénéfice de ce dernier étant donné les difficultés rencontrées dans ce type d'affaires. Elle a considéré qu'aujourd'hui, la notion de harcèlement moral « phagocytait » de plus en plus le harcèlement sexuel, certaines victimes préférant parfois requalifier elles-mêmes un viol ou un harcèlement sexuel en un « simple » harcèlement moral.

Mme Catherine Procaccia a estimé que le médecin du travail, comme le délégué du personnel, pouvait avoir un poids considérable pour faire évoluer cet état de fait dans l'entreprise.

Le Dr. Lionel Doré a indiqué que les pouvoirs dont disposait le médecin du travail dépendaient essentiellement de son degré d'indépendance. Or, il a rappelé que le médecin du travail était un salarié de l'entreprise et qu'il ne se trouvait pas dans la situation d'un inspecteur du travail qui est, lui, statutairement indépendant de l'entreprise. Il a précisé que l'avis du médecin du travail n'est qu'un conseil à l'employeur qui ne le suit pas nécessairement et que le médecin du travail peut être soumis à de fortes pressions.

Il a estimé que l'arrêt maladie permettait d'orienter une victime vers la médecine de ville, ce qui n'est d'ailleurs pas sans conséquences sur la sous-déclaration des arrêts de travail pour cause de harcèlement professionnel. Il a également insisté sur le fait qu'un chef d'entreprise ou un responsable de ressources humaines n'appréciait guère de recevoir un appel du médecin du travail. Néanmoins, a-t-il ajouté, disposer d'un dossier écrit permet, le cas échéant, d'être plus solide devant la justice. Une intervention d'un médecin du travail peut, à cet égard, constituer un acte de prévention susceptible de mettre un terme à un harcèlement.

Enfin, il a évoqué la possibilité pour le médecin du travail d'établir un certificat d'inaptitude temporaire qui doit cependant, selon lui, être utilisée en dernier recours car elle comporte des effets pervers potentiels. Il a en effet expliqué que le médecin du travail avait pour tâche délicate de faire comprendre à l'employeur que le problème ne venait pas du salarié mais de l'inadéquation du poste de travail à sa santé. De même, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peut aussi faire usage de son droit d'expertise en cas de danger grave pour le salarié.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a relevé l'existence d'une certaine « loi du silence » de la part des collègues des femmes victimes de violences en milieu professionnel et s'est demandé, dès lors, s'il ne conviendrait pas de qualifier de tels comportements de complicité et de non-assistance à personne en danger.

Mme Catherine Le Magueresse a estimé que la complicité était effectivement courante dans ce cas et que la réaction des collègues conduisait fréquemment la victime à se taire. Elle a également noté un phénomène proche du bizutage, qui pouvait être perçu par l'agresseur comme un encouragement. Elle a ainsi cité le cas d'une employée municipale victime de harcèlement de la part de l'adjoint au maire et qui avait porté plainte contre le maire à qui elle s'était confiée, estimant qu'il était demeuré passif : cette femme a été condamnée pour procédure abusive. Elle a souligné les limites de ces lois, facilement contournables car elles n'ont pas été conçues à partir de la réalité des violences vécues par les femmes. Les avancées juridiques, bien qu'indéniables depuis quelques années, se heurtent donc à la complexité des réalités sociales.

Mme Gisèle Gautier, présidente , après s'être félicitée de l'intérêt de cette audition, a indiqué que les prolongements sous forme de propositions concrètes formulées par les intervenants seraient les bienvenues.

Audition de Mme Coumba Touré,
présidente du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS),
accompagnée de Mme Isabelle Gillette-Faye, sociologue, directrice,
et de Me Linda Weil-Curiel,
avocate de la Commission pour l'abolition des mutilations sexuelles (CAMS),
accompagnée de M. Issa Coulibaly, membre de l'association

(14 décembre 2004)

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

Me Linda Weil-Curiel, avocate de la Commission pour l'abolition des mutilations sexuelles (CAMS) , a rappelé que la CAMS avait été créée en 1982, par Mme Awa Thiam, universitaire, auteur de « La parole aux Négresses » (1978), après qu'un groupe de travail sur les mutilations sexuelles eut été constitué à l'initiative de Mme Yvette Roudy à la suite du décès par hémorragie d'une petite fille africaine qui avait été excisée. Elle est alors intervenue dans la plupart des affaires de Paris et de la région parisienne, en qualité d'avocate de la CAMS, qui a pour objet de se porter partie civile dans les procès d'assises, mais également de participer à la prévention, à l'information et à la formation des professionnels. Elle a indiqué que la CAMS avait immédiatement noué des liens avec le Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS), qui mène des campagnes d'information et de prévention. A ce propos, elle a estimé que ces campagnes étaient essentielles pour lutter contre l'excision et a cité, à titre d'exemple, la chanson de M. Issa Coulibaly (Bafing Kul), lui-même membre de la CAMS, intitulée « Exciser, c'est mutiler ».

Mme Isabelle Gillette-Faye, sociologue, directrice du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS) , a indiqué que le GAMS était une association loi de 1901 à but non lucratif, créée en 1982 par des femmes françaises et africaines, provenant en particulier du Sénégal, du Mali et de Côte d'Ivoire. Elle a expliqué que le GAMS poursuivait notamment un travail de prévention en coopération avec les centres de planification familiale et les services de la protection maternelle et infantile (PMI). Depuis 1999, il travaille également sur le sujet des mariages forcés et, à ce titre, intervient dans des collèges et lycées. Le GAMS mène également des actions de formation professionnelle initiale et continue. Il dispose d'un centre de documentation qui édite, dans différentes langues, des outils d'information et d'éducation. Enfin, il participe à un programme européen de lutte contre les mutilations génitales des femmes, en relation avec dix pays partenaires. La directrice a indiqué que le GAMS constituait une référence auprès de plusieurs pays européens en matière de lutte contre les mutilations sexuelles.

Mme Isabelle Gillette-Faye a rappelé que l'excision consistait en l'ablation du clitoris avec ou sans celle des petites lèvres. Il existe aussi une autre mutilation, l'infibulation, qui consiste à coudre les grandes lèvres dans le but d'empêcher les relations sexuelles. Ces opérations, effectuées sans anesthésie, peuvent engendrer de multiples complications, allant jusqu'au décès. Elle a indiqué que l'excision concernait davantage certains pays d'Afrique de l'Ouest, tandis que l'infibulation était plutôt pratiquée dans certains Etats d'Afrique de l'Est. Elle a cité les chiffres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), selon lesquels 130 millions de femmes africaines avaient subi de telles mutilations, ainsi que deux millions de fillettes chaque année, soit une toutes les quatre minutes. Elle a insisté sur le fait que ce phénomène n'épargnait pas l'Europe, la France étant le premier pays concerné, suivie par l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Cette situation tient à la présence importante d'immigrés provenant d'Afrique. Elle a néanmoins noté la diminution des pratiques de mutilations sexuelles, dont le taux de prévalence au Burkina Faso est revenu de 70 % en 1975 à 45 % en 2000, tandis que le nombre des excisions avait baissé de 4 % en cinq ans au Mali. En France, elle a précisé que 35.000 fillettes, parfois âgées de moins d'un an, et adolescentes étaient excisées ou menacées de l'être, tandis que 30.000 femmes de plus de 18 ans, de nationalité française ou non, vivant sur notre territoire, avaient subi cette forme de violence. En revanche, elle s'est réjouie que, depuis deux ans, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) reconnaisse les mutilations sexuelles comme fondement de l'asile politique. Elle a également évoqué le développement de la chirurgie réparatrice, citant l'exemple d'un célèbre médecin urologue membre de l'association Médecins du Monde.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a voulu savoir si les lésions provoquées par ces mutilations étaient réversibles.

Mme Isabelle Gillette-Faye a indiqué que, sur le plan anatomique, certaines femmes excisées pouvaient récupérer un clitoris, même s'il est trop tôt pour apprécier les résultats d'une telle intervention à long terme. En revanche, elle a insisté sur les séquelles psychologiques profondes engendrées par les mutilations sexuelles.

Me Linda Weil-Curiel a ajouté que certains parents d'origine africaine avaient parfaitement conscience de la vigilance des services de la protection maternelle et infantile (PMI) et qu'ils adoptaient des stratégies d'évitement consistant à envoyer leurs filles dans leur pays d'origine pour être excisées. Elle a précisé que, lorsque l'excision intervenait à un âge avancé, la chirurgie réparatrice était initialement vécue comme un second traumatisme.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a voulu connaître les motivations profondes des parents pour les excisions. Compte tenu de la force des préjugés, elle s'est interrogée sur la manière la plus efficace de conduire des actions de prévention dans les maternités et les services de la PMI.

Mme Coumba Touré, présidente du GAMS , a expliqué que les raisons de l'excision variaient d'un pays africain à un autre, et selon les ethnies. Cette pratique, a-t-elle précisé, est directement liée aux conceptions traditionnelles du clitoris, perçu soit comme un organe mâle dont la femme doit être débarrassée afin d'accéder pleinement à la féminité, soit comme un poison pouvant tuer les hommes au cours des relations sexuelles ou les enfants lors de l'accouchement. Elle a cependant estimé que la principale raison de l'excision tenait au statut traditionnel du mariage en Afrique, une femme non mariée n'ayant pas de statut social. A cet égard, l'excision est censée réduire le désir sexuel des femmes dans un contexte où les hommes sont souvent polygames. Elle a estimé qu'il s'agissait donc d'une volonté des hommes de contrôler la sexualité des femmes avant de préciser que, dans ce contexte, les femmes non excisées pouvaient faire l'objet d'un ostracisme.

M. Issa Coulibaly, membre de la CAMS , a présenté l'exemple du Mali. Il a indiqué que, dans ce pays, le poids de la tradition, fortement intériorisée par les femmes, était très lourd. A cela s'ajoute l'influence de la religion, bien que, a-t-il expliqué, nombre de dignitaires religieux de base ne maîtrisent pas bien le Coran ni, pour certains d'entre eux, la lecture. Il a estimé que certains religieux avaient ainsi accaparé et déformé la tradition selon laquelle les prières d'une femme non excisée n'étaient pas entendues par Dieu. Il a rappelé que la polygamie avait pour fondement initial la nécessité d'avoir de nombreux enfants pour cultiver la terre. Il a toutefois expliqué que l'origine exacte de l'excision n'était pas vraiment connue.

Mme Coumba Touré a considéré que l'excision n'avait aucun fondement religieux, et a montré que des pays africains de confession différente pratiquent l'excision.

Me Linda Weil-Curiel a précisé, en prenant des exemples concrets, que, lors des procès en cours d'assises, les arguments employés variaient selon le sexe, les femmes évoquant la tradition et le mariage, alors que les hommes estiment que l'excision « calme » les femmes.

Mme Anne-Marie Payet a voulu savoir si une évolution des mentalités était perceptible chez les religieux les plus jeunes et chez les jeunes mères.

M. Issa Coulibaly , pour illustrer l'évolution des mentalités parmi les jeunes générations, a fait part d'une anecdote selon laquelle un jeune religieux malien qu'il connaissait avait fait remarquer que l'excision n'existait pas dans les pays qui sont le berceau de l'Islam, en citant notamment l'Iran.

Mme Isabelle Gillette-Faye a noté, elle aussi, une évolution positive des discours des chefs religieux dans différents pays africains, où une réelle réflexion était engagée sur la base des textes religieux. Elle a indiqué que le GAMS recevait de plus en plus de parents, y compris des pères, qui souhaitent protéger leurs filles de l'excision. Elle a toutefois souligné les difficultés de cette démarche dans un contexte marqué par le repli communautaire et le retour de la tradition, l'excision pouvant alors être perçue comme une valeur refuge.

Mme Coumba Touré a indiqué que, lors du Forum sous-régional de l'ensemble des communicateurs traditionnels d'Afrique francophone sur les violences faites aux femmes, qui a eu lieu du 26 septembre au 4 octobre 2004 à Ouagadougou, en vue de la préparation du sommet de la francophonie des 26 et 27 novembre 2004, les médias burkinabés avaient insisté sur l'absence de références à l'excision dans le Coran. Elle a estimé que les jeunes générations avaient pris conscience des méfaits de l'excision, y compris dans les campagnes.

Me Linda Weil-Curiel a indiqué qu'en France l'excision pouvait apparaître comme un phénomène de « marquage identitaire », l'essentiel des personnes issues de l'immigration africaine dans notre pays provenant des régions du fleuve Sénégal, où le poids de la tradition est très fort. Notant la disparition de nombreuses autres formes de marquages identitaires, la scarification par exemple, elle s'est interrogée sur la persistance de l'excision et a estimé que celle-ci tenait avant tout au statut du mariage dans certaines ethnies, et de la volonté des parents que leurs filles se marient dans leur ethnie, ou, à la rigueur, avec un musulman. A cet égard, elle a rappelé que de nombreuses jeunes filles issues de l'immigration africaine, mais parfaitement intégrées à la société française, souffraient de la dichotomie entre leur vie sociale et leur vie familiale.

M. Issa Coulibaly a noté que beaucoup de jeunes filles de nationalité française victimes de l'excision éprouvaient un sentiment de honte. Il a expliqué qu'il cherchait à susciter des débats à partir de ses chansons et de sa musique, et considéré qu'il s'agissait là d'un bon moyen d'engager un débat avec les jeunes sur cette question sensible. Il a toutefois précisé qu'on lui reprochait parfois de tenir des propos « occidentalisés ».

Mme Muguette Dini , estimant que l'excision représentait le moyen de domination masculine le plus puissant sur une femme, s'est demandé quels moyens pouvaient être mis en oeuvre pour que des jeunes filles de 15 ou 16 ans puissent prendre réellement conscience des risques des mutilations sexuelles afin d'être assez fortes pour pouvoir résister.

Mme Isabelle Gillette-Faye a expliqué que la très grande majorité de ces jeunes filles étaient aujourd'hui informées des risques qu'elles encouraient en retournant dans leur pays. Elle a indiqué que le dispositif de protection de l'enfance fonctionnait correctement en France, mais pas de la même manière sur l'ensemble du territoire. Elle a cité des départements français où l'excision est inconnue et constaté que le traitement des cas, et en particulier leur signalement, diffère donc selon le lieu d'habitation de ces jeunes filles.

Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est demandé si les condamnations pénales prononcées pouvaient avoir une dimension dissuasive vis-à-vis des parents.

Me Linda Weil-Curiel a estimé que les mutilations sexuelles auraient dû être plus sévèrement sanctionnées dès le départ. En effet, les peines avec sursis qui sont fréquemment prononcées n'ont pas été comprises, car elles ont été assimilées à une approche relativement tolérante de la justice française. Elle a indiqué que la loi de 1989, qui prévoit que, quand l'intérêt de l'enfant est en contradiction avec celui des parents, un administrateur ad hoc devait être nommé afin, notamment, de désigner un avocat, était bien appliquée. Elle a toutefois observé que certains de ces administrateurs pouvaient vouloir éviter de se montrer trop sévères envers des parents déjà traumatisés par les procédures judiciaires en cours, en refusant de demander des dommages-intérêts pour l'enfant victime. Elle a également relevé l'existence d'une forme de « loi du silence ». Citant l'affaire dite de « la star de l'excision », qui allait bientôt comparaître aux assises, elle a indiqué qu'une jeune fille, pourtant majeure, dont le cas avait été signalé aux services sociaux par le proviseur de son lycée, lui-même averti par courrier anonyme, avait préféré mentir pour protéger sa famille et affirmer que son voyage en Afrique était motivé par des raisons familiales.

M. Yannick Bodin , après avoir rendu hommage à l'action des associations, a regretté qu'une partie infime de l'opinion publique française soit sensibilisée au phénomène des mutilations sexuelles, faute d'une campagne d'information nationale. Il s'est dès lors interrogé sur la forme que devrait prendre une politique nationale ambitieuse en la matière. Il a voulu savoir quelles étaient les relations des associations avec les rectorats et les moyens dont elles disposaient. Il a cité l'exemple du conseil régional d'Île-de-France où, dans ses fonctions de vice-président chargé des affaires scolaires, il n'avait jamais eu l'occasion d'entrer en relation avec les associations de lutte contre les mutilations sexuelles.

Me Linda Weil-Curiel a indiqué que les associations travaillent depuis toujours avec des moyens très limités, en particulier une absence de locaux et de faibles crédits. Cette situation, a-t-elle ajouté, n'a pas empêché la méthode française d'être considérée comme un modèle dans certains pays européens, les Pays-Bas par exemple. Elle a également relevé qu'aucune conférence internationale sur les mutilations sexuelles n'avait jamais été organisée en France. Elle a noté, pour s'en réjouir, que le GAMS et la CAMS étaient reçus pour la première fois par les parlementaires. Hostile aux lois spécifiques qui sont, selon elle, des lois d'exception, elle a estimé que les dispositions pénales en vigueur étaient aujourd'hui suffisantes pour lutter contre les mutilations sexuelles, qui sont pénalement condamnées.

Mme Isabelle Gillette-Faye a indiqué que son association n'avait pas signé, jusqu'à présent, d'agrément avec l'éducation nationale et que, néanmoins, elle était intervenue dans 30 à 40 établissements scolaires, en moyenne, par an, pour y organiser des réunions d'information. Elle a précisé qu'en tout état de cause, la procédure d'agrément ne s'accompagnait pas de subventions spécifiques aux associations. Également dans le cadre de l'éducation nationale, elle a souligné que le GAMS pouvait répondre au besoin d'information et de soutien des jeunes filles à l'occasion des travaux pratiques encadrés (TPE) et s'est inquiétée de la suppression de ceux-ci prévue par le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école. Elle a également évoqué la participation du GAMS aux journées de la citoyenneté avant de citer, au titre de l'action conjointe avec le ministère des affaires sociales, la publication et la distribution de plaquettes d'information sur les mutilations sexuelles. Elle s'est alarmée de la disparition progressive de la médecine scolaire, qui constitue un lieu de dépistage essentiel et a préconisé la vigilance dans ce domaine. Elle a également signalé la fermeture d'un certain nombre de centres de planification familiale.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a manifesté son inquiétude à ce sujet.

Mme Coumba Touré a apporté des précisions complémentaires en constatant et regrettant la fermeture de plusieurs centres de planification familiale, ce qui se traduit notamment par le licenciement d'interprètes, nécessaires pour faciliter le dialogue avec les familles, et prive les mères d'un soutien et d'un lieu d'information essentiel.

Mme Muguette Dini a rappelé que les personnels de médecine scolaire n'avaient pas fait l'objet d'un transfert de compétence dans le cadre des lois de décentralisation et a considéré qu'il conviendrait de réfléchir à cette question. Puis évoquant son expérience de terrain, elle a indiqué que les médecins scolaires préféraient conduire des actions ponctuelles d'information et de soutien, soulignant de ce fait toute l'importance du rôle des associations pour assurer un suivi personnalisé et continu des jeunes filles en danger.

M. Issa Coulibaly a évoqué l'organisation de rencontres musicales dans les collèges sur la question des violences faites aux femmes, avant de déplorer le manque de relais médiatiques en matière de lutte contre l'excision.

Mme Annie David , après avoir, à son tour, rendu hommage à l'action des associations entendues par la délégation, s'est demandé si le silence des jeunes femmes n'avait pas, bien souvent, pour motivation le souci d'éviter de mettre en cause leurs parents et s'est demandé comment prendre en compte cette volonté tout en continuant à aider ces femmes et ces jeunes filles.

Mme Isabelle Gillette-Faye s'est associée à ce propos en indiquant que son association devait faire face en permanence à des exigences contradictoires, puis elle a insisté sur la fonction de repérage qui doit être remplie par l'institution scolaire.

Mme Gisèle Printz , revenant sur les traditions africaines, a rappelé la diversité des pratiques d'excision selon les ethnies. Puis elle a regretté le manque d'écho médiatique sur les mutilations sexuelles et s'est enfin demandé si des atteintes aux petits garçons n'auraient pas suscité des réactions plus énergiques que l'excision des jeunes filles.

Mme Coumba Touré a évoqué, dans certaines parties de l'Afrique, les pratiques de mariage au sein de systèmes de castes et la difficulté du dialogue entre parents et enfants africains sur des sujets relatifs à la sexualité, ce qui limite les possibilités de dialogue pour les jeunes filles en dehors des actions conduites notamment par les associations.

En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier, présidente , sur la répartition des cas de mutilations sexuelles sur le territoire français, Mme Isabelle Gillette-Faye a cité, parmi les régions les plus frappées : le Nord, la région Alpes-Côte d'Azur, la région Rhône-Alpes et la Haute-Normandie, qui sont également des régions d'immigration.

Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est félicitée de cet échange particulièrement fructueux sur un sujet insuffisamment débattu. Puis elle a consulté les membres de la délégation sur l'opportunité d'adresser une lettre aux présidents des exécutifs locaux des départementaux ou des régions les plus concernés par l'excision, dans le but de favoriser le dialogue avec les associations ainsi qu'un éventuel soutien à leur action.

Mme Muguette Dini , manifestant son plein assentiment à une telle initiative, a souhaité que soit envoyée une copie de ce courrier à toutes les femmes élues de ces collectivités.

Mme Annie David a également suggéré d'interpeller le ministre de l'éducation nationale, notamment pour demander quel dispositif pourrait être proposé aux jeunes filles pour se substituer aux TPE.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga , au titre de la lutte contre les mariages forcés, a estimé essentiel d'élaborer une proposition de loi tendant à reporter l'âge légal du mariage de 15 à 18 ans pour les jeunes filles.

Audition de M. Jean-Marie Huet,
directeur des affaires criminelles et des grâces,
et de Mme Marielle Thuau,
chef du bureau de l'aide aux victimes et de la politique associative

du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville,
au ministère de la justice

(18 janvier 2005 )

Présidence de Mme Janine Rozier, vice-présidente

Mme Janine Rozier, présidente , a souhaité la bienvenue aux intervenants et évoqué les travaux accomplis par la délégation et par sa présidente, Mme Gisèle Gautier.

M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces , a indiqué que sa direction apportait un regard judiciaire sur la question de la lutte contre les violences au sein du couple qui s'est imposée comme une priorité interministérielle à laquelle le ministère de la justice participait amplement.

Il a noté que les violences au sein du couple donnaient lieu à un contentieux de masse. Certes, le casier judiciaire national ne comporte pas d'indications sexuées sur les violences, mais le ministère de la justice dispose de statistiques selon lesquelles, en 2003, 6.961 condamnations pénales pour infraction volontaire sur le conjoint avaient été prononcées, soit environ 20 % des condamnations pour violences prononcées par les juridictions correctionnelles. Il a précisé que ce chiffre avait augmenté après une baisse constante au cours des dernières années : 7.284 condamnations pénales en 2000, 6.700 en 2001 et 4.700 en 2002.

M. Jean-Marie Huet a ensuite essayé d'expliquer cette évolution des statistiques, notamment par le fait qu'en 2003 les victimes de violences au sein des couples ont pu déclarer, plus facilement, les agressions. Il a cependant reconnu que le dépôt de plainte par une femme victime de violence conjugale demeurait difficile en raison de ses éventuelles conséquences familiales et sociales, mais aussi de la qualité de l'accueil qui lui est réservé par les services de police ou les services judiciaires, et que, dès lors, un certain nombre de faits pourraient échapper à la police et à la justice.

Il a insisté sur la priorité du ministère de la justice consistant à réduire au maximum les cas dans lesquels les victimes ne sont pas suffisamment écoutées et comprises. A ce titre, il a rappelé que, lors de la réunion du Conseil national de l'aide aux victimes du 21 octobre 2003, présidée par le ministre de la justice, il avait été décidé de créer un groupe de travail pluridisciplinaire sur les violences au sein du couple auquel avait participé le ministère de la justice. Il a noté que ce groupe de travail avait abouti à l'élaboration d'un guide de l'action publique intitulé « La lutte contre les violences au sein du couple », diffusé à partir de septembre 2004 dans l'ensemble du réseau judiciaire. Il a précisé que ce guide comportait, notamment, un ensemble de recommandations pour les enquêteurs, par exemple en ce qui concerne la trame des auditions ou les examens médicaux légaux. De même, ce guide préconise certaines mesures susceptibles d'être prises par le parquet pour éviter à tout prix un classement sans suite : l'ensemble des possibilités à la disposition du procureur de la République est ainsi décliné. En effet, l'appréciation par le ministère public, dans ce type d'affaires, de l'opportunité des poursuites est très délicate, en raison notamment de fréquents retraits de plaintes. Aussi bien, a-t-il précisé, des efforts de formation au niveau de l'accueil des plaintes ont-ils été entrepris.

M. Jean-Marie Huet a estimé que le contexte actuel d'accélération de la procédure pénale rendait nécessaire une très bonne connaissance des conditions d'existence des femmes qui viennent porter plainte, afin de prendre la décision optimale. Il a ainsi indiqué que, dans certains parquets, des magistrats référents, spécialisés dans l'approche de ces problèmes, avaient été nommés. De même, les procureurs nouent des liens avec le milieu associatif de manière à établir un maillage permettant qu'aucun de ces faits n'échappe à la justice. Il a également insisté sur la nécessité de limiter le recours à la « main courante » d'un service de police ou de gendarmerie et de prendre des décisions plus avancées. Enfin, dans l'hypothèse où le juge aurait le choix entre des mesures adaptées, le parquet dispose d'un large choix de mesures alternatives. Toutefois, lorsqu'un conjoint violent a été éloigné du domicile conjugal, il faut disposer de solutions en urgence (foyers...).

M. Jean-Marie Huet a considéré qu'une meilleure prise de conscience du phénomène et une implication plus grande de la police et de la justice dans son traitement pouvaient expliquer la meilleure faculté de révélation des violences au sein du couple que traduisent les statistiques les plus récentes.

Il a néanmoins souligné qu'un renforcement de la législation restait envisageable, en particulier sur deux points : d'une part, renforcer dans le code pénal les circonstances aggravantes pour le conjoint auteur de violences dans son couple ainsi que pour les anciens conjoints ou concubins ; d'autre part, en matière de contrôle judiciaire, la possibilité, pour un juge, de décider l'incarcération d'un conjoint violent qui reviendrait au domicile conjugal en dépit de l'interdiction qui lui a été notifiée.

Mme Janine Rozier, présidente , a indiqué que de nombreuses femmes victimes de violences de la part de leur conjoint exposaient leurs difficultés au maire de leur commune, qui se trouve alors souvent démuni pour leur proposer une solution. Elle s'est réjouie de la plus grande sensibilisation de la police et de la gendarmerie à ce problème de société tant il est vrai que, dans un passé récent, elles avaient pu sembler, dans certains cas, sourdes aux plaintes déposées par des femmes battues.

M. Jean-Marie Huet a reconnu que les élus locaux confrontés au drame d'une femme battue se trouvaient dans une situation délicate. Il a indiqué que le ministère de la justice avait noué des relations avec l'Association des maires de France de manière à se mettre d'accord sur les conditions d'échange entre les procureurs et les élus locaux. De ce point de vue, il a estimé qu'il s'agissait d'une évolution récente, mais sensible, même s'il existe encore des marges de progression. Il a également évoqué la mise en place d'agents référents dans les commissariats de police et les gendarmeries pour traiter ce problème. Il a insisté sur la rapidité de la réponse judiciaire apportée qui ne doit cependant pas être unique.

M. Alain Gournac a voulu obtenir des précisions sur la possibilité pour le juge de poursuivre la procédure alors qu'une femme avait retiré sa plainte.

M. Jean-Marie Huet a expliqué qu'en effet, il n'y avait pas d'automaticité entre le retrait de la plainte et l'arrêt de la procédure, car il existe des cas dans lesquels une femme redépose une plainte après l'avoir retirée. Il a indiqué que l'hésitation que traduisait ce nouveau dépôt de plainte constituait, pour l'enquêteur ou le parquet, l'existence d'un problème qu'il convenait d'explorer.

M. Alain Gournac a relevé que certains retraits de plainte par des femmes étaient la conséquence d'intimidations de la part du conjoint. Il a également insisté sur le manque de sérieux avec lequel, parfois, la police ou la gendarmerie accueille une femme venant porter plainte pour violences conjugales. Il a estimé que la réponse apportée par la justice aux violences conjugales devait être plus efficace et constituer un soutien aux élus locaux souvent démunis devant ce problème.

M. Jean-Marie Huet a rappelé que le procureur de la République réunissait régulièrement les services de police et de gendarmerie de manière à traiter les problèmes de violences conjugales, au besoin au cas par cas. Il a considéré que, depuis quelques années, la prise de conscience du phénomène s'était améliorée et a insisté sur la bonne adéquation des condamnations prononcées. A cet égard, il a souligné que l'exécution de la peine devait être diligentée dans de bonnes conditions.

M. Yannick Bodin a déclaré avoir constaté une réelle évolution des mentalités depuis quelques années. Il a néanmoins estimé que certains aspects restaient à approfondir, précisant que ces réponses relevaient parfois plus de la pratique que de la loi. Ainsi, il a considéré qu'un retrait de plainte devait constituer un signe de suspicion d'acte de violence au sein du couple et que ce retrait ne devait pas se traduire systématiquement par l'abandon des poursuites. Il a également estimé que la médiation n'était pas adaptée en cas d'agression : en effet, la violence conjugale relève moins d'un mode de résolution des conflits applicable à une « scène de ménage » que de la sanction d'une véritable agression subie par une victime. Enfin, il s'est demandé s'il ne convenait pas d'éloigner rapidement l'agresseur du domicile conjugal dès lors que les faits de violences étaient établis, un mari violent sur la défensive pouvant être encore plus brutal.

Mme Christiane Kammermann a voulu savoir si le guide pratique établi par la direction des affaires criminelles et des grâces évoquait le cas des Françaises de l'étranger, qui sont confrontées également à la violence conjugale et qui disposent de moins de recours encore qu'en France, d'autant plus que ce sont souvent des bi-nationales.

M. Jean-Marie Huet a reconnu que ce guide ne comportait pas de références aux Françaises de l'étranger, car il se place dans le cadre de la politique pénale française, la France ne maîtrisant évidemment pas les réponses judiciaires qui peuvent être apportées par les pays étrangers. Il a néanmoins rappelé que les faits de violences commis à l'étranger par ou sur des ressortissants français pouvaient être signalés et, dans certains cas, poursuivis en France. Il a cependant considéré que ce sujet méritait une analyse spécifique.

Mme Marielle Thuau, chef du bureau de l'aide aux victimes et de la politique associative du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville, a ensuite dressé un tableau des actions conduites par les associations et encouragées par le ministère de la justice pour apporter un soutien aux victimes. Elle a indiqué que le même groupe de travail issu de la réunion du Conseil national d'aide aux victimes s'était efforcé d'analyser, selon une logique d'ensemble, les activités du réseau associatif.

Rappelant que six « mains courantes » ou dépôts de plaintes sont statistiquement nécessaires avant que la septième ne permette d'enclencher une procédure, elle a indiqué qu'une réponse purement judiciaire ne suffisait pas à dissuader les violences au sein des couples. Elle a précisé qu'un guide, en cours de finalisation, dresserait, notamment à l'usage des victimes, un tableau des actions de soutien conduites par le réseau associatif. Elle a particulièrement insisté sur la nécessité impérieuse, pour les différents acteurs, de travailler en partenariat et souligné le caractère exemplaire des actions conduites à Nantes en la matière. Elle a fait observer que les femmes ayant vécu un traumatisme dans le cadre d'un rapport de domination n'étaient pas, le plus souvent, en mesure de faire face à la segmentation des interlocuteurs selon une logique de renvoi d'un guichet à un autre.

Mme Marielle Thuau a indiqué que des formations pluridisciplinaires avaient été mises en place et qu'elles s'adressaient à tous les intervenants médicaux, sociaux, policiers et judiciaires pour leur permettre de dresser un panorama complet des différents aspects des violences au sein des couples.

Précisant le contenu prévisionnel du guide, qui sera publié prochainement, elle a noté qu'après une partie générale, seront adjointes une trentaine de fiches exposant de façon pratique les actions conduites par les associations afin que les expériences réussies puissent servir d'exemple sur d'autres parties du territoire national. A titre d'exemple concret, elle a indiqué qu'à Pau avait été mise en place une prise en charge de la victime dès le dépôt de sa plainte avec une permanence effectuée par les associations d'aide aux victimes au sein de chaque commissariat, ce qui permet de ne pas imposer des démarches et des déplacements supplémentaires aux victimes. Elle a précisé que cette mise en contact immédiat avec un travailleur social avait pour objet de les orienter vers un logement d'urgence ou vers une aide pour trouver une assistance juridique, le rôle de l'avocat étant essentiel auprès de personnes trop souvent mal préparées à se défendre elles-mêmes. Elle a ensuite évoqué un autre exemple : à Trappes, le relevé des « mains courantes » est remis à une association qui prend contact avec les victimes pour leur proposer un soutien et les écouter. Abordant un troisième type d'action, elle a insisté sur l'importance des mesures de soutien psychologique auprès des enfants, afin, notamment, de leur permettre de ne pas être contaminés par le cycle de la violence.

Puis Mme Marielle Thuau a indiqué que, dans le cadre d'un programme financé par le Fonds social européen, des actions d'insertion des femmes dans la vie économique seraient mises en place pour permettre à celles qui en ont besoin d'acquérir une autonomie financière.

Elle a ensuite cité deux actions spécifiques. Elle a signalé que l'association « SOS femmes » de Nantes avait envoyé un kit médical dénommé « Oser en parler » à tous les médecins, un certain nombre d'entre eux ne souhaitant pas prendre parti dans un conflit opposant deux membres d'une famille dont ils assurent le suivi médical d'ensemble. Elle a également mentionné les activités de l'association « Accord 67 » qui organise un cycle de formation pluridisciplinaire.

Elle a ensuite évoqué une réflexion spécifique des associations ayant conduit à la mise en place, du côté des agresseurs, de groupes de paroles destinés aux hommes, notamment en liaison avec le parquet de Paris qui peut enjoindre les agresseurs à y participer. Elle a aussi indiqué qu'à Marseille, tout acte de violence porté à la connaissance du parquet déclenchait une enquête sociale sur l'auteur par une association qui prend également contact avec la victime.

Mme Janine Rozier, présidente , a conclu l'ensemble des débats en évoquant les travaux relatifs à la réforme du divorce et en faisant observer que le maintien du divorce pour faute avait le mérite d'inciter à rester attentif à la violence conjugale.

Audition de Mme Maïté Albagly,
secrétaire générale du
Mouvement français pour le planning familial ,
accompagnée de Mme Dalila Touami,
responsable du département du Haut-Rhin

(1 er février 2005 )

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

Après avoir excusé Mme Françoise Laurent, présidente du Mouvement, en déplacement au Sénégal, Mme Maïté Albagly , secrétaire générale du Mouvement français pour le planning familial (MFPF) , a rappelé les circonstances historiques au cours desquelles le MFPF avait mené, dès les années 1950, un combat pour le droit à la contraception, puis dans les années 1970, pour le droit à l'interruption volontaire de grossesse, et s'était engagé, dans les années 1980, dans les luttes contre les violences faites aux femmes puis, plus récemment, contre le SIDA. Elle a mentionné la création, en 1984, d'un collectif féministe contre le viol et la mise en place, en 1985, d'un numéro vert à l'intention des victimes, ainsi que le soutien du mouvement à des femmes victimes de viol ou d'incestes dans plusieurs procédures judiciaires. Avec d'autres associations féministes, le MFPF a notamment combattu pour que soit reconnu et puni le viol entre époux.

Elle a également indiqué que le MFPF était à l'écoute et rencontrait dans son activité des milliers de femmes victimes en France, et dénoncé les violences faites aux femmes comme un véritable fléau de la société. Elle a mis en évidence le lien entre ce phénomène et le constat d'un rapport de domination dans les relations entre les hommes et les femmes. Elle a ensuite signalé que le MFPF, agréé en tant qu'organisme de formation, avait donc compétence pour informer les professionnels dans le champ de la sexualité et des violences faites aux femmes : les associations départementales du MFPF animent ainsi dans les établissements scolaires et auprès de jeunes adultes des séances de travail et d'échanges sur la relation garçon-fille et les comportements sexistes. Elle a insisté sur la nécessité de la prévention qui doit se traduire par des interventions dans les écoles, cette information précoce étant fondamentale pour contribuer à un changement de mentalité globale dans la société.

Mme Maïté Albagly a fait observer que la violence conjugale se repère bien souvent au moment où la femme est enceinte de son premier enfant : dans ces circonstances, elle cesse, en effet, d'être la « propriété » symbolique de son conjoint qui en éprouve un sentiment de perte.

Puis, évoquant son expérience du terrain, elle a indiqué combien il était important d'être à l'écoute de femmes victimes de violences qui entament une démarche, même limitée, à venir en parler : ne pas recueillir et prendre en compte leur parole les rejetant dans le déni, le silence.

Mme Maïté Albagly a poursuivi en décrivant les étapes psychologiques de la démarche des femmes qui, dans un premier temps, reviennent vers leur conjoint violent qui s'excuse, exprime des regrets, promet que cela n'arrivera plus. Les femmes peuvent être dans l'espoir de sauver leur couple. Par la suite, elle a fait remarquer qu'en fait, dans la plupart des cas, la violence s'accroissait en fréquence et en intensité.

Elle a insisté sur la nécessité de grandes campagnes nationales d'information comme sur celles qui ont été menées en Espagne et qui s'appuient notamment sur l'analyse systématique des faits divers relatifs aux violences au sein des couples. Evoquant l'exposé des motifs des propositions de loi, elle a ensuite souhaité que le Sénat puisse affirmer de manière aussi nette que possible que la violence envers les femmes est totalement inacceptable.

Faisant référence à ses travaux en tant qu'experte au niveau européen, elle a également regretté l'insuffisance dramatique des efforts permettant de recueillir et d'évaluer les données relatives aux violences faites aux femmes. Elle a redouté que les moyens permettant de remédier à cette situation ne soient pas suffisamment mobilisés.

Revenant sur le parcours de la femme victime de violences, Mme Maïté Albagly a noté qu'en cas de divorce, une certaine distorsion pouvait se manifester dans les cas où un mari violent condamné pénalement parvenait par ailleurs à obtenir un divorce aux torts partagés. Elle a donc souhaité une meilleure prise en compte des violences subies et une harmonisation entre les procédures. Puis elle a illustré le défaut d'homogénéité, en France, dans le traitement des violences conjugales, avec des zones de « tolérance zéro » qui coexistent avec des lieux où la répression des violences est moindre. Tout en se déclarant, de manière générale, favorable à la médiation, elle a ensuite considéré qu'en cas de violences qui constituent une relation inégalitaire entre une victime et un agresseur, la médiation était inadaptée. Sur le plan juridique, elle a signalé les difficultés insurmontables que peut poser la notion d'arrêt de travail, 15 jours d'interruption de temps de travail (ITT) correspondant à une situation dans laquelle une femme a subi des violences graves.

Mme Dalila Touami, responsable du département du Haut-Rhin, a, pour sa part, insisté sur le caractère extrêmement concret de la demande du MFPF à travers les régions françaises. Elle a notamment évoqué la mise en place de groupes de parole dans le Haut-Rhin, qui permettent d'illustrer le fait que la violence est un continuum, les femmes subissant des violences ayant bien souvent déjà été, dans leur jeunesse, confrontées à de telles situations.

Mme Dalila Touami a également montré comment les images stéréotypées de la famille idéale pouvaient expliquer et susciter un sentiment d'échec chez les femmes victimes de violences, qui se reprochent à elles-mêmes tous les dysfonctionnements du couple.

Mme Isabelle Debré , évoquant la difficulté sur le terrain de la collecte des informations, a indiqué, sur la base de son expérience d'élue locale, que les femmes ne sont pas suffisamment informées de leurs droits. Elle a notamment souligné le fait que le dépôt d'une main courante n'a pas suffisamment de portée juridique, en estimant bien préférable pour les victimes de porter plainte de manière plus systématique. Soulignant à son tour l'ampleur des moyens nécessaires pour soutenir les femmes victimes de violences, elle a également souhaité une meilleure formation des personnels, de police notamment, pour que les femmes ou les enfants battus soient écoutés de manière adaptée et avec tout le tact nécessaire.

Mme Maïté Albagly s'est associée à ce propos, tout en insistant sur la nécessité d'une loi globale -et si possible élargie à une dimension antisexiste d'ensemble. Elle a insisté sur le fait que les enfants doivent apprendre très tôt que la violence envers les femmes est interdite.

Mme Gisèle Gautier, présidente , revenant sur la distinction entre dépôt de plainte et dépôt d'une main courante, a signalé que les auditions des représentants de la police nationale pourraient apporter un éclairage complémentaire.

Mme Maïté Albagly a indiqué à ce sujet qu'il convenait d'informer les femmes de toutes les conséquences possibles du dépôt d'une plainte et de les accompagner dans cette prise de risque.

Mme Gisèle Printz a fait observer que certaines femmes préféraient, dans un premier temps, se contenter du dépôt d'une main courante en indiquant que ces victimes éprouvaient un sentiment de culpabilité et redoutaient, par un dépôt de plainte, de détruire la cellule familiale.

Prolongeant ce propos, Mme Maïté Albagly a observé qu'il n'était pas si simple de recenser les violences faites aux femmes, car les victimes ont tendance à se taire et, paradoxalement, voudraient que l'interlocuteur à qui elles s'adressent ne les place pas dans la catégorie des « femmes battues ».

Mme Janine Rozier a insisté sur la nécessité pour les élus locaux de pouvoir adresser les interlocuteurs à un réseau de correspondants bien identifiés. Elle a ensuite rappelé que la loi sur le divorce prévoyait désormais l'éloignement du conjoint violent du domicile avec l'obligation, pour le conjoint évincé, de continuer à payer le loyer. Elle a également souligné le maintien du divorce pour faute, qui peut intervenir notamment en cas de violences conjugales et contribuer à la reconstruction des victimes. Enfin, elle a évoqué la « violence économique » que constitue l'insuffisance des ressources attribuées aux femmes divorcées ayant la garde des enfants.

Mme Maïté Albagly a estimé qu'il ne fallait pas oublier les femmes qui ne sont pas mariées et qui sont néanmoins victimes de violences.

Mme Annie David , insistant sur l'aspect préventif du dispositif, s'est demandé si des modules de formation ne devraient pas être introduits dans la formation des enseignants et si les représentations sexistes diffusées par les manuels scolaires ne devraient pas être proscrites.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé qu'à l'occasion de son rapport sur la mixité, la délégation avait formulé des recommandations en ce sens.

Mme Annie David s'est également inquiétée de l'accueil des victimes de violences, notamment dans les hôpitaux, pour tenter de cibler l'origine de leurs blessures.

M. Jean-Guy Branger , après avoir rendu hommage à l'ensemble des intervenants, a estimé que la lutte contre les violences au sein des couples constituait un « vaste programme » et nécessitait un véritable changement de culture. Il a rappelé que ces violences, autrefois considérées comme des affaires privées qu'il convient de s'efforcer d'étouffer, tendent à devenir une question de société. Il a évoqué les travaux conduits au sein du Conseil de l'Europe et souhaité que 2006 puisse être proclamée année de la lutte contre les violences faites aux femmes.

M. Jean-Guy Branger a ensuite observé que la violence au sein des couples était un phénomène qui, contrairement à l'idée reçue, a tendance à s'aggraver dans bien des pays de l'Union européenne. Il a, en particulier, évoqué le cas de l'Espagne, où la proportion considérable de femmes battues a conduit le gouvernement espagnol à prendre deux séries de réformes avec, en dernier lieu, un dispositif pénal renforcé.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a conclu cette première audition en évoquant son expérience de terrain et en décrivant les difficultés considérables auxquelles sont confrontées les victimes de violences, avant de souligner le rôle fondamental des associations pour soutenir ces dernières.

Audition de M. Michel Gaudin
directeur général de la police nationale
au ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales,
accompagné de Mme Marie-Louise Fimeyer, commissaire divisionnaire,
conseillère au cabinet du directeur général de la police nationale

(1 er février 2005 )

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé le rôle fondamental de la police dans la lutte contre les violences dont les femmes sont les principales victimes.

M. Michel Gaudin, directeur général de la police nationale , s'est d'abord réjoui de l'arrêt de la progression de la délinquance constatée depuis une vingtaine d'années. Il a, en revanche, noté que les violences contre les personnes progressaient et qu'elles s'étaient seulement stabilisées globalement en 2004 (nouvel indicateur : - 0,24 % selon l'Observatoire national de la délinquance). Il a indiqué que les chiffres de la délinquance étaient répertoriés depuis 1972 par le ministère de l'intérieur, dans un document intitulé l'« état 4001 », qui comporte aujourd'hui 107 rubriques ; cependant aucune d'entre elles n'est consacrée spécifiquement aux violences contre les femmes. Il a certes expliqué qu'il était toujours possible de débattre de la pertinence et de la fiabilité des statistiques, et a évoqué à ce sujet le débat sur la création d'un Observatoire de la délinquance consécutif au rapport publié il y a quelques années par deux députés, MM. Robert Pandraud et Christophe Caresche. Il a insisté sur la volonté déterminée du ministre de l'intérieur de s'attaquer aux violences contre les personnes, en particulier aux violences intra-familiales. Le ministre en a fait une des priorités 2006 de sa politique de sécurité.

M. Michel Gaudin a d'abord exposé les statistiques du ministère de l'intérieur concernant les violences faites aux femmes. Il a indiqué que l'outil statistique en vigueur avait pour objectif de comptabiliser les crimes et délits portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie et ayant donné lieu à l'établissement d'une procédure judiciaire, au titre des 107 rubriques de l'état 4001. Il a souligné, en conséquence, que ces statistiques ne donnaient pas forcément une image précise du phénomène criminel dans sa globalité, qui ne pourrait résulter que d'une enquête de « victimation ». En revanche, a-t-il noté, l'analyse de ces données statistiques permet de répartir les victimes par sexe. Il a ainsi donné quelques exemples de violences dont les femmes ont été les victimes en 2004. Ainsi, 672 femmes ont été l'objet d'homicides ou de tentatives d'homicide sur les 1 928 faits entrant dans cette rubrique, soit 34,9 %. Les femmes ont été victimes, dans 54,7 % des cas, de coups et blessures volontaires, criminelles ou correctionnelles. Il a constaté que les femmes étaient très largement concernées par la délinquance violente en général, et en particulier par la violence des hommes : en effet, la délinquance globale, en 2004, a été commise à 84,5 % par des hommes. Néanmoins, l'outil statistique ne permet pas, actuellement, d'isoler les violences conjugales incluses dans la rubrique des coups et blessures volontaires. Il a toutefois indiqué qu'un nouvel outil informatique, appelé système de traitement des infractions constatées ou « STIC Ardoise », qui devrait être opérationnel en 2007, offrirait des statistiques intégrant ce paramètre.

Il a expliqué que, d'ici là, afin de mieux cerner le phénomène, une démarche technique d'enrichissement de la base statistique devrait permettre à brève échéance de chiffrer les infractions liées aux violences conjugales. Il a évoqué, sur ce thème, l'avis des services opérationnels selon lesquels ce type de violences, commises le plus souvent dans l'intimité du foyer, progressait et se banalisait, même si une grande part échappe au recensement global des services de police. Il a précisé que la préfecture de police avait établi, depuis 2000, un état statistique annexe permettant de conclure qu'à Paris, les violences physiques constitutives de violences conjugales représentaient environ 30 % du total des faits de violences constatées, avec une tendance permanente à la hausse. Dans le même sens, il a ajouté que les interventions au titre de police-secours sont largement liées aux violences conjugales et sont en progression inquiétante.

M. Michel Gaudin a ensuite abordé la question de l'accueil des femmes victimes de violences dans les services de police. Il a considéré que, depuis plusieurs années, de réels efforts, à la fois budgétaires, en effectifs et de formation, avaient été entrepris pour améliorer l'accueil dans les services. Il a tout d'abord indiqué que cette évolution s'était traduite par l'élaboration d'une charte d'accueil affichée dans tous les services de police recevant du public depuis le 15 janvier 2004. Il a ajouté que des moyens financiers avaient été alloués à l'amélioration des locaux, mais également à des actions de formation des agents. Ainsi, tous les policiers de sécurité publique en activité ont reçu une formation au cours du quatrième trimestre 2003 sur la mise en oeuvre de la charte d'accueil. En outre, les formations initiales sur ce thème ont été rénovées dès janvier 2004. Il a indiqué qu'un dispositif d'évaluation très complet avait été arrêté et a cité l'organisation de réunions semestrielles entre les chefs de service et les associations locales d'aide aux victimes ainsi que la réalisation d'une enquête annuelle « grand public » pour mesurer la satisfaction du public accueilli.

Le directeur général de la police nationale a ensuite évoqué la diffusion aux préfets d'une instruction ministérielle du 13 janvier 2005 pour une mobilisation accrue des services de police et de gendarmerie dans la lutte contre les violences intra-familiales. Il a expliqué que le ministre de l'intérieur avait voulu réorienter l'action des services sur cette forme de délinquance dans deux directions :

- une démarche plus préventive, d'une part : il s'agira, a-t-il précisé, de mettre à profit les interventions de police-secours au sein de la famille, à l'occasion de violences conjugales, pour mettre en garde officiellement l'auteur sur les conséquences de son geste et pour encourager la victime à déposer plainte ; en cas de refus de sa part, un procès-verbal de renseignement devra être établi et constituera la preuve du précédent en cas de récidive ;

- un professionnalisme accru des services de sécurité, d'autre part : le dépôt de plainte devra être établi avec une grande rigueur afin de mettre l'autorité judiciaire en situation de répondre efficacement en prononçant une sanction adaptée ; les mentions sur la main courante devront être l'exception ; il a indiqué qu'un guide méthodologique numérisé, mis en ligne sur l'Intranet du ministère de l'intérieur, traitait à la fois du volet comportemental lors de l'intervention, des spécificités de l'accueil et des particularités de la procédure diligentée pour ces faits.

Il a noté que l'instruction du ministre de l'intérieur s'inscrivait dans le prolongement du guide de l'action publique, intitulé « La lutte contre les violences au sein du couple », élaboré par le ministère de la justice. Il a rappelé que des plaquettes destinées à l'information des femmes victimes de violences avaient également été élaborées et mises à disposition dans tous les services d'accueil des commissariats et des brigades.

Puis M. Michel Gaudin a présenté les dispositifs de prise en charge et d'accompagnement des victimes. Il a indiqué qu'il existait 173 bureaux d'aide aux victimes, répartis sur 54 départements dans les services de sécurité publique. Ces structures assurent les opérations pratiques de soutien et d'assistance aux victimes et veillent à la cohérence de la prestation policière tout au long du processus d'intervention, c'est-à-dire sur les lieux de l'infraction, lors de l'accueil et de la réception de la plainte, et s'assurent de la mise en oeuvre de mesures d'urgence en cas de besoin. Il a ensuite précisé qu'un correspondant départemental d'aide aux victimes avait été nommé dans chaque direction départementale de sécurité publique : celui-ci a en charge le développement des relations avec les associations d'aide aux victimes, l'organisation de l'accueil, la centralisation de toutes les informations utiles aux victimes et la fourniture de documentation. Il a ensuite indiqué qu'à ce jour, plus de 70 services de police avaient intégré les permanences d'associations d'aide aux victimes, dont le but est, à l'issue du dépôt de plainte ou de façon concomitante, de recevoir la victime, lui apporter le soutien psychologique nécessaire, lui expliquer le déroulement de la procédure et ses impératifs, et l'orienter vers les associations d'aide, les structures sociales ou juridiques qui pourraient la soutenir dans sa démarche et régler des problèmes tels que l'hébergement pour une femme ayant quitté le domicile conjugal. Enfin, il a noté la présence d'une quinzaine de travailleurs sociaux dans les commissariats : installés dans les locaux de police, ils aident à l'accueil, au soutien et à la prise en compte du public mais aussi des victimes ainsi qu'à l'exploitation des informations portant sur des faits non encore caractérisés mais en devenir d'infraction. Par exemple, une intervention pour tapage nocturne pourra en réalité être liée à un différend conjugal pour lequel une action le plus en amont possible évitera la récidive.

Le directeur général de la police nationale a ensuite indiqué qu'à la demande du ministre de l'intérieur une convention avec l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM), qui fédère environ 160 associations d'aide aux victimes implantées sur l'ensemble du territoire, était en cours d'élaboration. Ainsi, un protocole définissant le cadre général de fonctionnement, de recrutement et de financement des permanences des associations d'aide aux victimes dans les commissariats devrait être signé en mai 2005. Par ailleurs, a-t-il ajouté, un groupe de travail constitué par la délégation interministérielle à la ville et auquel participent gendarmes et policiers, élabore un cadre de références pour les travailleurs sociaux en commissariat ou en brigade de gendarmerie.

Enfin, M. Michel Gaudin a abordé le sujet de la formation des policiers. Il a insisté sur le fait que les formations initiales avaient été rénovées afin d'intégrer l'accueil des victimes en général et celui des femmes victimes de violences en particulier, soit 25 heures pour les gardiens de la paix, 16 heures pour les lieutenants et 10 heures pour les commissaires. Il a ajouté que des actions spécifiques étaient proposées dans le cadre de la formation continue : un stage de deux à trois jours sur la problématique de l'accueil du public et sur la gestion des publics violents, un stage de deux jours portant sur le thème « victimes : de la prise en compte à l'assistance », et un stage spécifique de quatre jours sur les violences conjugales, qui sera proposé en 2005.

Mme Marie-Louise Fimeyer, commissaire divisionnaire, conseillère au cabinet du directeur général de la police nationale , a insisté sur le fait que la problématique de l'accueil des victimes par les agents de police était un axe nouveau des politiques publiques de sécurité, et qu'elle avait constitué un travail de longue haleine engagé depuis plus d'un an.

Mme Gisèle Printz a noté que l'auteur présumé de l'assassinat de deux agents à l'hôpital psychiatrique de Pau avait été signalé par sa compagne pour violences conjugales. Elle a voulu savoir si les statistiques du ministère de l'intérieur étaient sexuées et s'est interrogée sur les limites de l'inscription à la main courante.

M. Michel Gaudin a indiqué que les statistiques étaient partiellement sexuées, mais que parmi les 107 rubriques de l'état 4001, aucune ne concernait les violences conjugales qui sont enregistrées dans la rubrique des coups et blessures volontaires.

Mme Marie-Louise Fimeyer a tenu à préciser que les statistiques ne traduisaient que les faits portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie.

M. Michel Gaudin a indiqué que la police, d'une manière générale, souhaitait désormais inciter les victimes à porter plainte plutôt qu'à se limiter à une inscription à la main courante. Il a en effet expliqué que la police était souvent impuissante en l'absence de dépôt de plainte, alors que les femmes victimes de violences conjugales retiraient fréquemment leur plainte sous la pression de leur conjoint.

Mme Gisèle Gautier, présidente , après avoir noté qu'une femme victime de violences conjugales devait faire preuve d'un certain courage pour se rendre dans un commissariat, a constaté que les intéressées, dans de tels cas, préféraient souvent s'adresser à des associations, car elles ont parfois l'impression que la police et la gendarmerie demeurent relativement passives face à leurs problèmes. Elle a dès lors insisté sur le caractère essentiel de la formation des agents.

Mme Marie-Louise Fimeyer a indiqué que l'instruction ministérielle du 15 janvier 2005 demandait précisément aux services de police d'intervenir le plus en amont possible pour prévenir ce type de violences.

Mme Annie David a estimé qu'une femme qui n'était pas écoutée par la police se trouvait en situation de non-assistance à personne en danger. Elle a souligné, à son tour, le caractère fondamental de la formation et a voulu savoir si la police avait noué des contacts avec des associations ou des travailleurs sociaux pour dispenser une telle formation. Elle s'est également interrogée sur les possibilités de modifier l'état 4001 de manière à prendre en compte les violences conjugales.

M. Michel Gaudin a expliqué que, selon lui, cette question posait le problème de l'alerte pour l'ensemble des victimes, qu'il s'agisse des femmes ou des enfants. Le système d'alerte nécessite une collaboration étroite avec les services sociaux, et a regretté que, parfois, ces derniers n'acceptent pas facilement une telle collaboration. Il a estimé que dès que les faits de violences à l'égard des femmes étaient signalés à la police, ils devenaient un problème d'ordre public nécessitant l'intervention de la police afin de protéger la vie des victimes. Il serait ainsi injuste d'accuser la police de vouloir s'immiscer dans la vie privée des gens.

Mme Jacqueline Alquier a voulu savoir si les services de police travaillaient également en collaboration avec les collectivités territoriales.

M. Michel Gaudin a indiqué que la police avait déjà approfondi ses relations avec les collectivités territoriales afin de mettre en place un service d'alerte. Il a cité l'exemple de la ville de Dijon, qui a mis une assistante sociale à la disposition du commissariat.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a fait observer qu'une femme victime de violences ayant des enfants hésite longuement avant de dénoncer son conjoint par peur de représailles sur ses enfants. Elle s'est dès lors demandé si, dans ce cas, il n'était pas possible de faire intervenir une tierce personne pour porter plainte.

M. Michel Gaudin a indiqué que, dans cette situation, il convenait de faire un signalement en relation avec les services sociaux. Il a également précisé qu'il était possible de modifier l'état 4001 afin de mieux mesurer les violences conjugales. En tout état de cause, il a indiqué que la main courante informatisée, qui devrait être mise en place prochainement, permettrait de mieux connaître la réalité de la délinquance et de la violence.

Audition de Mme Nicole Ameline
Ministre de la parité et de l'égalité professionnelle

(8 février 2005 )

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé que la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle avait déjà pris un certain nombre de dispositions pour lutter contre la violence envers les femmes, citant en particulier le plan global de lutte contre les violences comprenant « Dix mesures pour l'autonomie des femmes », présenté en Conseil des ministres le 24 novembre 2004.

Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle , après avoir rendu hommage à la délégation du Sénat aux droits des femmes pour l'acuité du choix de ses thèmes de travail, a noté que la lutte contre les violences envers les femmes s'inscrivait dans un contexte systémique de promotion des valeurs d'égalité et a estimé que seule une approche globale permettrait d'éradiquer ces violences, y compris les discriminations dont les femmes sont victimes.

Elle a considéré que le domicile conjugal ne pouvait pas échapper à la loi et qu'il ne devait pas être un lieu de non-droit, en particulier pour les femmes. Elle a dénoncé l'idée, trop longtemps répandue, que les femmes restaient seules face à la violence. A cet égard, elle a cité une importante mesure applicable depuis le 1 er janvier 2005 qui permet l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal. Au titre des réponses apportées par le gouvernement à la lutte contre les violences au sein des couples, elle a également mentionné la rédaction par le ministère de la justice, en partenariat avec ses services, d'un guide de l'action publique qui donne des indications à l'ensemble des magistrats, le vote d'une loi récente sanctionnant les propos sexistes ainsi que la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE). Elle s'est également réjouie de ce que la lutte contre les violences envers les femmes soit devenue une priorité au niveau communautaire, comme l'a confirmé le récent Conseil des ministres réuni à Luxembourg.

Puis Mme Nicole Ameline a illustré ses propos sur la base de plusieurs exemples. Elle a ainsi affirmé son souhait de renforcer le rôle des associations qui sont des partenaires de plus en plus efficaces des pouvoirs publics et qui, pour cette raison, verront leurs subventions croître de 20 %. En matière d'éducation, elle a expliqué que la régression des violences entre les garçons et les filles devait également résulter d'une éducation à la mixité, qui passe, en particulier, par la formation des enseignants, et a félicité la délégation du Sénat aux droits des femmes pour le débat engagé sur ce thème en 2004. Enfin, elle a cité le cas de la publicité qui véhicule trop souvent une image dégradée de la femme et a indiqué que son ministère avait conclu avec le bureau de vérification de la publicité un accord destiné à sensibiliser les publicitaires sur ce point. Elle s'est félicitée des résultats obtenus dans ce domaine.

Elle a ensuite rapporté le cas d'une femme battue par son mari qu'elle a rencontrée lors d'un déplacement effectué à Créteil, avec le Premier ministre. Cette femme a osé parler à ses collègues, qui l'ont soutenue, des violences qui lui avaient été infligées, ce qui lui a permis d'enclencher un processus d'autonomie au terme duquel elle a retrouvé sa dignité. A partir de cet exemple, elle a expliqué que les pouvoirs publics devaient mettre en place un parcours balisé afin d'aider une femme ayant eu le courage de parler à se reconstruire. Elle a indiqué qu'elle ne disposait pas d'une évaluation du coût économique des violences, mais que celui-ci était assurément considérable, évoquant un « gâchis » non seulement pour les victimes, mais également pour les enfants et l'ensemble de la société.

Mme Nicole Ameline a ensuite rappelé les dix mesures pour l'autonomie des femmes qu'elle a présentées au Conseil des ministres du 24 novembre 2004, et qui doivent permettre d'aboutir à une politique publique globale. Elle a indiqué que les femmes quittant le domicile conjugal devaient bénéficier d'un logement selon une procédure d'urgence. Les victimes doivent également se voir proposer des aides financières et, à ce titre, l'allocation de parent isolé ou le revenu minimum d'insertion seront mobilisés rapidement. Elle a également évoqué l'accompagnement professionnel, précisant qu'une femme contrainte à une démission consécutive à des violences conjugales se verrait attribuer des allocations chômage, ce qui n'est pas possible actuellement. Elle a ensuite cité des mesures devant faciliter l'accès des femmes à la justice et assurer leur protection, par exemple, le renforcement des sanctions contre les auteurs de violences au sein des couples.

Dans le but de moderniser l'action publique par le renforcement des partenariats et une mise en cohérence des interventions, la ministre a insisté sur la nécessité de mieux repérer les situations de violences. Elle a également rappelé la hausse des crédits de son ministère consacrés au soutien financier des associations. Elle a ensuite évoqué la plus grande sensibilisation des professionnels, en particulier dans le domaine médical, et a cité la réflexion engagée avec le Conseil national de l'ordre des médecins et celui des pharmaciens sur l'introduction de la victimologie dans les études médicales, sur le secret médical, sur la simplification de l'élaboration du certificat médical et de la question délicate de l'incapacité totale de travail (ITT). Elle a ensuite évoqué la prévention des violences à l'école et, enfin, l'action de la France contre les violences au sein des couples au niveau européen et international.

Mme Nicole Ameline a exposé son souhait de voir réduit le délai entre le départ du domicile conjugal et l'apport de premières réponses aux victimes. A cet égard, elle a cité l'élaboration d'un dépliant, intitulé « Stop violences - AGIR, c'est le DIRE », qui sera largement diffusé, par exemple dans les commissariats, les services sociaux ou les pharmacies. Ce document permettra aux victimes d'identifier des référents locaux. Il mentionnera par exemple les services avec lesquels prendre contact pour trouver un logement. Elle a estimé qu'un flux important de demandes de la part de victimes qui ne s'étaient pas encore manifestées pouvait d'ores et déjà être anticipé au cours des deux ou trois années à venir, ce qui nécessite d'être rapidement opérationnel et d'éviter la dispersion des efforts. Elle a d'ailleurs noté que les dépôts de plaintes avaient déjà commencé à augmenter.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a insisté sur la nécessité de dispenser une formation adéquate aux policiers et aux gendarmes, soulignant l'accueil parfois délicat réservé aux victimes dans les commissariats. Elle a notamment considéré que la formation des policiers devait intégrer des aspects concrets et ne pas se limiter à des considérations d'ordre théorique et général. Enfin, elle a indiqué que de nombreuses femmes se rendant au commissariat pour déposer plainte ne savaient pas qu'une mention sur la main courante n'entraînait pas de conséquences judiciaires.

Mme Nicole Ameline a estimé que la formation des services de police et de gendarmerie était effectivement essentielle et qu'elle avait beaucoup progressé, les agents étant aujourd'hui réellement sensibilisés aux violences envers les femmes. Elle a ajouté que, si ces efforts étaient suivis d'effet, des progrès demeuraient encore possibles. A titre personnel, elle s'est déclarée hostile à la suppression de la main courante, la mention de violences de la part de son conjoint pouvant constituer pour une femme un premier pas vers la dénonciation des sévices subis. Elle a néanmoins estimé que cette démarche devait être l'occasion, pour l'administration, de fournir à la victime des renseignements les plus complets possibles.

Mme Isabelle Debré , relatant son expérience d'élue locale, a noté que les femmes victimes de violences se confiaient fréquemment au maire de leur commune ou à l'adjoint au maire chargé des affaires sociales, qui est souvent une femme. Elle a donc émis le souhait que le dépliant « Stop violences - AGIR, c'est le DIRE » évoqué par la ministre soit également adressé à l'ensemble des maires et aux adjoints en charge des affaires sociales.

Mme Nicole Ameline a indiqué que des discussions avaient été abordées avec l'Association des maires de France dans ce sens, ajoutant que l'ensemble des acteurs devaient assumer leurs responsabilités en matière de violences au sein des couples. Il s'agit de montrer que ce type de violences est désormais pris très au sérieux.

Mme Gisèle Printz a noté le dépôt de propositions de loi sur la lutte contre les violences au sein des couples, qui seront prochainement examinées au Sénat. Puis elle s'est inquiétée du sort des victimes qui n'osent pas dénoncer les sévices qu'elles subissent, considérant qu'une femme s'étant rendue au commissariat était déjà sur la bonne voie. Elle s'est également interrogée sur la manière de faire reconnaître le viol entre époux. Elle a abordé la question de la sensibilisation des élèves aux violences conjugales. Puis elle s'est interrogée sur la situation réelle d'un foyer accueillant des femmes enceintes, en Vendée, dont le directeur aurait agressé des résidantes.

Mme Nicole Ameline a fait part de sa conviction que les femmes gardant le silence seraient de moins en moins nombreuses, grâce à la dénonciation collective des violences conjugales, qui constituera, selon elle, un « levier à l'action exceptionnel », à l'origine par exemple d'une prise de conscience de la part de catégories sociales qui, aujourd'hui, ne se sentent pas réellement concernées. Annonçant l'amorce d'un nouveau comportement, elle a cité l'exemple qu'elle a pu observer lors d'un voyage en Espagne avec des partenaires sociaux, ces derniers s'étant particulièrement émus des dégâts des violences conjugales en se rendant dans un foyer d'accueil des victimes. Elle s'est dite ouverte à une modification du droit positif de manière à renforcer la répression des violences au sein des couples. Elle a 11,5

Audition de M. Bernard Basset
sous-directeur de la santé et de la société
à la direction générale de la santé
du ministère des solidarités, de la santé et de la famille,
accompagné de Mme Véronique Mallet,
chef du projet « violences et santé »

(8 février 2005 )

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

M. Bernard Basset, sous-directeur de la santé et de la société à la direction générale de la santé du ministère des solidarités, de la santé et de la famille , a tout d'abord présenté les activités de son service, qui est notamment compétent en matière de lutte contre le tabac, l'alcool, les drogues et dans le domaine de la santé des personnes vulnérables.

Il a ensuite détaillé les actions conduites en matière de violences faites aux femmes en faisant, au préalable, observer que, jusqu'à une période récente, il n'y avait pas véritablement de prise de conscience globale de cette problématique, même si un certain nombre d'initiatives ponctuelles pouvaient s'y rattacher. Puis il a illustré le changement de perspective intervenu au cours des dernières années, en citant un certain nombre de mesures telles que la mise en place, en 1997, des pôles de référence pour les victimes qui se présentent dans les hôpitaux, la mobilisation au sein des services d'urgence d'une capacité d'accueil adaptée aux victimes et une sensibilisation du réseau des professionnels de santé aux questions de violences.

Puis M. Bernard Basset a évoqué la contribution majeure que constitue le rapport du professeur Roger Henrion, paru en février 2001, sur les femmes victimes de violences conjugales et le rôle des professionnels de santé, en précisant qu'étaient désormais diffusées sur le site Internet du ministère de la santé un certain nombre de fiches pratiques issues des principaux enseignements de ce rapport. Il a également mentionné la publication d'un guide intitulé « Le praticien face aux violences sexuelles » destiné aux professionnels de santé. Tout en montrant l'intérêt pratique de cet opuscule, il s'est interrogé sur l'impact réel de sa diffusion. En outre, il a évoqué les travaux conduits sur les auteurs d'infractions sexuelles, en précisant que ces actions s'inscrivaient dans le cadre de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs. Au chapitre des difficultés de la prévention et de la lutte contre les violences, il a évoqué la réticence des praticiens à s'investir sur ce sujet, qui peut les placer dans une position très délicate et inconfortable à l'égard des patients.

M. Bernard Basset a estimé que ce type de problématique relevait plus naturellement de la formation continue que de la formation initiale qui s'adresse à des étudiants avant tout soucieux d'acquérir des bases scientifiques et cliniques. Dressant le bilan des actions de formation ouvertes par le ministère de la santé dans ce domaine, il a chiffré à 560 le nombre de personnes formées, ce qui incorpore non seulement des médecins mais aussi d'autres catégories de personnels, et notamment des directeurs d'établissements pénitentiaires. Il n'a pas masqué un certain manque de popularité de ces formations au sein du corps médical, tout en indiquant que les efforts de sensibilisation se poursuivaient avec, par exemple, le concours de la fédération française de psychiatrie sur le thème de la prise en charge des auteurs d'abus sexuels.

Au titre des prévisions pour 2005, il a tout d'abord évoqué les travaux de réflexion entrepris sur le thème « Alcool et violence ». Il a précisé qu'au-delà de l'idée reçue selon laquelle l'alcool est un facteur aggravant, il n'existe pas de consensus, certains mettant en avant l'effet sédatif de l'alcool sur la violence. Il a annoncé la décision de financer une étude permettant de tirer des conclusions opérationnelles.

M. Bernard Basset a enfin rappelé que la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique prévoyait la mise en place d'un plan « violences et santé ». Pour l'élaboration de ce plan, il a indiqué que six commissions spécialisées avaient été mises en place sur les thèmes suivants : violence et santé mentale ; violence, travail et emploi ; personnes âgées et handicapées ; enfance et adolescence ; institutions, organisations et violence ; ainsi que genre et violence. Il a précisé que les conclusions de ces commissions devaient être prêtes à la fin du mois de février et faire l'objet d'un rapport qui pourra servir de base au plan violences et santé.

Mme Véronique Mallet, chef du projet « Violences et santé » , a ensuite exposé brièvement les modalités de préparation de ce plan, conduit sous l'autorité de Mme Anne Tursz qui préside le Comité d'orientation interministériel. Elle a souligné que consigne avait été donnée par Mme Anne Tursz d'accorder une attention particulière à ce que les mesures préconisées concernent spécifiquement les professionnels de la santé. Elle a précisé que cette orientation visait à situer la perspective essentielle des travaux ainsi entrepris dans le champ de la santé publique sur un sujet au confluent du droit social et de la santé. Puis elle a précisé la composition tripartite de chaque commission qui rassemble des chercheurs, des professionnels de santé publique et des acteurs impliqués dans l'action.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a soulevé les problèmes de dénombrement en matière de violences faites aux femmes en demandant s'il existait des statistiques précises disponibles ou en cours d'élaboration.

Mme Véronique Mallet a indiqué que les groupes d'experts s'étaient efforcés de dresser un état des lieux au début de leurs travaux et a témoigné des difficultés de recensement rencontrées au sein de chaque commission, notamment en raison du caractère éparpillé des données disponibles. Elle a mentionné, à ce sujet, la préparation au sein de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et avec l'aide de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) d'une enquête intitulée « Evénements de vie et santé (18-75 ans) » dont l'exploitation sera riche d'enseignements sur les interactions entre violences et santé.

Mme Gisèle Gautier, présidente , revenant sur le thème de la réticence d'un certain nombre de médecins à l'égard d'une plus grande implication dans les problèmes de violences, a évoqué l'annonce par Mme Nicole Ameline de l'introduction d'une unité de formation au sein des études médicales.

Se disant convaincu de l'intérêt d'une sensibilisation des médecins à cette thématique, M. Bernard Basset a explicité les raisons pour lesquelles on pouvait marquer une certaine préférence pour incorporer ces modules dans la formation continue des médecins. Il a estimé, à titre personnel, que c'est au cours de la vie professionnelle du médecin que se manifeste avec le plus d'acuité l'importance des problèmes humains des patients au-delà du strict enjeu médical.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a évoqué les difficultés liées à la délivrance des certificats d'incapacité totale de travail (ITT) en cas de violences.

Mme Sylvie Desmarescaux a évoqué son expérience de terrain pour illustrer à son tour la difficulté de l'utilisation des certificats médicaux. Elle a ensuite marqué sa préférence pour une sensibilisation des médecins au cours de leur formation continue.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a interrogé les intervenants sur les éventuelles propositions concrètes qui pouvaient d'ores et déjà se dégager des travaux conduits par le ministère de la santé sur les violences faites aux femmes.

M. Bernard Basset a insisté sur l'importance de la prise de conscience globale du phénomène. Prenant, par analogie, l'exemple de l'usage du tabac, il a montré comment les entraves au tabagisme ont pu se révéler porteuses d'un changement de norme sociale, le tabagisme étant devenu non plus un usage communément admis mais un comportement surveillé, ce qui permet de prendre des mesures de plus en plus contraignantes. Tout en reconnaissant le déficit d'information en matière de violences faites aux femmes, il a insisté sur l'importance de la prise de conscience des praticiens et s'est félicité de l'appui apporté dans ce sens par le Parlement et l'Organisation mondiale de la santé.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a insisté sur la nécessaire globalisation des phénomènes de violence pour en discerner les causes et déterminer les remèdes efficaces.

Mme Brigitte Bout a indiqué qu'elle avait été particulièrement bouleversée à l'occasion de son stage au tribunal de Lille de constater in vivo la situation extrêmement pénible de certaines femmes victimes qui s'adressaient à la justice.

M. Bernard Basset a souligné la nécessité d'écouter les victimes et de mobiliser à cette fin les intervenants adéquats.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a posé le problème des enfants qui se trouvent placés en position de témoins de violences familiales et subissent, de ce fait, un traumatisme aux conséquences dommageables. Elle a également demandé si l'indépendance financière des femmes pouvait être considérée comme un facteur qui limite les violences à leur égard.

M. Bernard Basset a estimé qu'à l'avenir, il devrait être possible de déterminer si l'autonomie financière des femmes minimisait leur probabilité de devenir une victime de violences. Il a fait observer que certains couples vivant en « vase clos » considèrent comme normale une situation qui ne l'est pas.

Evoquant les débats intervenus dans la commission « genre et violence », Mme Véronique Mallet a indiqué que, dans la sphère privée, les comportements violents « traditionnels » pouvaient s'exprimer plus librement et que, dès lors, l'autonomie des femmes n'était pas nécessairement une garantie contre les violences.

En réponse à l'interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente , sur l'efficacité des traitements des conjoints violents, M. Bernard Basset a tout d'abord évoqué la mise en place d'une étude destinée à évaluer l'effet des traitements chimiques. S'agissant des traitements psychologiques, il a indiqué que les praticiens affirmaient souvent que leur activité ne pouvait pas faire l'objet d'une évaluation. Il a cependant plaidé pour tenter de surmonter cette tendance à refuser toute évaluation.

Audition du Dr. Emmanuelle Piet
présidente du Collectif féministe contre le viol

(15 février 2005 )

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol , a rappelé que le Collectif avait été créé en 1985 et avait été à l'origine de la mise en place, en mars 1986, de la première permanence téléphonique, dénommée « Viols femmes informations », destinée aux femmes victimes de violences. Le Collectif rassemblait à l'origine diverses associations féministes indignées par l'absence de réaction dans des cas de viols commis sur la voie publique. Elle a indiqué qu'au cours de la première année de fonctionnement de la permanence téléphonique, celle-ci avait reçu 4.000 appels, dont la moitié provenait de victimes de violences, en particulier de viols intra-familiaux au cours de l'enfance. Elle a insisté sur l'intérêt pour les femmes de bénéficier d'un lieu de parole, précisant que l'âge des appelantes était compris entre 7 ans et 80 ans. Elle a noté qu'aujourd'hui encore, 60 % des appels reçus, dont chacun donne lieu à l'établissement d'un compte rendu, proviennent de mineurs dénonçant des violences survenues dans leur cadre familial. Elle a également indiqué que 10 % des appelants étaient constitués d'hommes ou de garçons et a considéré qu'une ligne téléphonique spécifique pour les violences sexuelles envers les hommes devrait être créée.

Mme Emmanuelle Piet a estimé que les femmes demeuraient encore très mal protégées contre les violences et qu'elles éprouvaient encore des difficultés à en parler. Notant que le crime d'inceste était absent du code pénal, elle a fait part du souhait du Collectif d'incriminer spécifiquement les relations sexuelles entre un mineur et l'un de ses ascendants. Elle a en effet évoqué son expérience de certains procès au cours desquels les juges avaient estimé que la preuve de la menace, de la contrainte ou de la surprise, indispensable pour définir le viol, n'avait pas été apportée, en citant une affaire dont la victime était âgée de 5 ans.

S'agissant des violences sexuelles sur les enfants, elle a indiqué que le Collectif militait en faveur d'un allongement du délai de prescription, aujourd'hui de 20 ans, voire de l'imprescriptibilité de ces crimes. Elle a en effet cité l'exemple d'une femme de 48 ans, violée par sa mère pendant son enfance, qui n'est pas, psychologiquement, en mesure de porter plainte, car elle est toujours sous l'emprise maternelle, mais qui, même en cas de dépôt de plainte, se verrait opposée la prescription. Elle a noté que le délai de prescription des actes de mutilations sexuelles était actuellement de 10 ans après la majorité, en faisant observer que le code pénal distingue les mutilations des agressions. Elle a estimé que ces mutilations devraient faire l'objet d'un délai de prescription aligné sur celui des agressions.

Puis Mme Emmanuelle Piet a insisté sur les campagnes de dénonciation de la violence et d'information conduites par le Collectif. Elle a indiqué que celui-ci publiait tous les deux ans une analyse des appels reçus, dont elle a présenté les quatre principaux enseignements. Elle a ainsi rappelé qu'environ la moitié des prostituées avaient subi un viol pendant leur enfance et qu'un quart de ces femmes avaient été contraintes à la prostitution par leurs propres parents. Elle a ensuite indiqué que, lorsqu'une fille est violée par son frère, sa famille la considère souvent comme responsable de la dénonciation ou de l'incarcération du frère violeur. Elle s'est étonnée de ce qu'il était aujourd'hui impossible d'évaluer le coût des viols pour la société, qui est pourtant probablement très élevé en raison de ses conséquences, telles que le déménagement, le changement de travail, les traitements médicaux, l'invalidité... Enfin, elle a mis en évidence le décalage existant entre les chiffres des viols révélés par l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), selon laquelle 50.000 femmes âgées de 18 à 58 ans auraient été violées en 2000, et le nombre de plaintes pour viol déposées auprès de la police, qui n'excède pas quelques milliers. A ce sujet, elle a noté que si le nombre de plaintes pour viol avait sensiblement progressé depuis une dizaine d'années, ce phénomène demeurait sous-estimé, notamment en raison des fréquents classements sans suite des plaintes. Elle a également souligné la faiblesse des condamnations pour viol, environ un violeur sur cent étant condamné, ce qui illustre l'ampleur de l'impunité dont bénéficient les violeurs.

Abordant la question du viol collectif, elle a regretté que, dans bien des cas, la sécurité des victimes ne soit pas assurée et que les violeurs restent en liberté. Elle a jugé que les agresseurs devraient à tout le moins être éloignés de leurs victimes jusqu'au début du procès. En effet, entre le moment du dépôt de plainte et le procès, il peut s'écouler de longs mois pendant lesquels les victimes sont mises en danger, faute de vigilance de la police et de la justice. Elle a également noté que l'aide juridictionnelle était financièrement moins intéressante pour l'avocat d'une victime que pour l'avocat d'un agresseur. En dépit des progrès accomplis depuis une vingtaine d'années, elle a formé le voeu que les droits des victimes et ceux des agresseurs soient, au minimum, placés dans une situation d'égalité. Rappelant que la Cour de cassation reconnaissait le viol au sein du couple depuis 1990, elle a indiqué que ce sujet avait été peu traité jusqu'à présent par le Collectif, mais que sa permanence téléphonique recevait de plus en plus d'appels de femmes se disant victime de viol dans leur couple.

Mme Emmanuelle Piet s'est félicitée de l'amélioration de la formation des policiers, mais s'est montrée beaucoup plus réservée sur l'attitude de certains magistrats qui, selon elle, proposent trop souvent aux victimes de violences une solution de médiation, alors que la victime et l'agresseur ne sont précisément pas en situation d'égalité. Elle a illustré les dangers de la médiation pénale en matière de lutte contre les violences au sein du couple, le juge proposant souvent aux femmes victimes le retrait de leur plainte et aux agresseurs la « renonciation à leurs actes involontaires ». Elle a même cité un cas où le médiateur, par la décision qu'il avait préconisée, reconnaissait implicitement la polygamie en France.

Elle a également fait part des appels reçus par des femmes qui veulent protéger leurs enfants de leur conjoint, en insistant sur un possible renversement de situation qui devient préjudiciable à ces femmes. Ces dernières peuvent en effet être accusées de manipuler leurs enfants ou de refuser de les présenter à leur père. Elle a dès lors dénoncé certaines des expertises effectuées, qui tendent à disqualifier systématiquement la parole de l'enfant. Elle a émis le souhait d'une meilleure formation des avocats et des experts, estimant qu'il convenait de préparer la prévention des violences de demain.

Elle a ensuite estimé que les mariages forcés pouvaient s'apparenter dans bien des cas à un viol. Elle a indiqué qu'ils étaient beaucoup plus nombreux qu'on ne voulait bien le dire, en évoquant notamment des pratiques en cours dans la communauté turque. Rappelant que le ministère de la parité et de l'égalité professionnelle avait mis en place un groupe de travail sur les mariages forcés, qui doit rendre ses conclusions le 8 mars prochain, elle a d'ores et déjà estimé qu'il était nécessaire de relever l'âge du mariage pour les filles de 15 à 18 ans et de dénoncer les conventions internationales conclues avec les pays indulgents à l'égard des mariages forcés. De même, elle a souhaité qu'une circulaire soit adressée aux procureurs de la République pour leur demander de ne plus classer systématiquement les affaires de mutilations sexuelles.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a souligné le grand intérêt de cette audition, en s'inquiétant du niveau extrêmement alarmant de violence dénoncé par la présidente du Collectif féministe contre le viol.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a jugé indispensable que la délégation se mobilise en faveur d'un retardement de l'âge légal du mariage des filles. Elle a relaté une récente visite au consulat de France à Rabat, où le nombre de mariages de jeunes femmes françaises d'origine marocaine transcrits avait été multiplié par vingt en quelques années. Elle a également insisté sur le rôle des médias dans la dévalorisation de l'image de la femme.

Mme Emmanuelle Piet a estimé que les violences envers les femmes trouvaient leur origine essentiellement dans la cellule familiale, les fils voyant leur père battre sa femme en toute impunité. Elle a expliqué qu'une telle situation entraînait bien souvent une reproduction mimétique de la violence et signalé l'existence d'une violence des grands fils à l'égard de leur mère.

Mme Christiane Kammermann a insisté sur l'urgence de la formation des avocats et des magistrats, puis a souhaité qu'une campagne d'information d'ampleur nationale, visant notamment les écoles, soit entreprise.

Mme Emmanuelle Piet a relevé la difficulté de former les magistrats à cette problématique, car ils n'acceptent bien souvent d'être formés que par leurs pairs. Elle a ainsi indiqué que les magistrats, à la différence des policiers, n'avaient pas participé aux sessions de formation organisées par des travailleurs sociaux.

Mme Gisèle Gautier, présidente , a noté le mauvais accueil parfois réservé aux victimes de violences dans les commissariats et gendarmeries. Elle a également estimé que les femmes devraient être informées de ce qu'une mention sur la main courante n'a pas les mêmes conséquences judiciaires qu'un dépôt de plainte.

Mme Gisèle Printz s'est demandé si la médiation pénale en matière de violences contre les femmes ne devrait pas être proscrite. Elle s'est également interrogée sur les effets de l'alcool sur les violences conjugales.

Mme Emmanuelle Piet a indiqué que le Collectif était favorable à ce que la médiation pénale, qui concerne normalement les petits délits, ne soit plus proposée comme solution alternative dans les cas de violences conjugales. Elle a considéré que le recours à l'alcool devrait constituer une circonstance aggravante, les hommes intempérants sachant souvent très bien que l'alcool leur donnera le « courage » de violenter leur femme. D'une manière générale, elle a considéré que les violences conjugales relevaient d'une stratégie préméditée destinée à conserver le pouvoir sur les femmes, un homme violent pouvant être comparé à une « araignée tissant sa toile ». Elle s'est dite tout à fait favorable à la conduite de campagnes d'information qui doivent viser, selon elle, à déconsidérer les hommes qui frappent leur femme, comme on a déconsidéré, avec des résultats tangibles, les hommes qui commettent des excès de vitesse.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a fait observer que les violences envers les femmes existaient dans toutes les sociétés et a rappelé que les petites filles étaient parfois victimes d'inceste dans certaines campagnes françaises, il y a quelques décennies encore.

Mme Emmanuelle Piet a confirmé que les violences envers les femmes étaient un phénomène universel trouvant sa source dans ce qu'elle a appelé la volonté de « contrôler le ventre des femmes ». Elle a indiqué qu'il suffit de lire certains ouvrages, tel « Une vie » de Maupassant, pour se rendre compte de ce qu'était la réalité de la vie des femmes françaises au siècle dernier. De même, la violence envers les femmes concerne tous les milieux sociaux. Elle a noté que, si le viol collectif est appelé « tournante » dans les « cités », on parlait plus pudiquement du « bizutage » dans les grandes écoles, qui recouvre parfois la même réalité. Enfin, elle a insisté sur la difficulté à régler le problème de la violence au sein du couple, précisément parce qu'elle traverse tous les milieux, et a appelé de ses voeux une volonté politique réelle, qui peut porter ses fruits, comme l'a montré la lutte contre l'insécurité routière.

Audition de Mme Isabelle de Rambuteau
présidente du Mouvement mondial des mères-France
accompagnée de Mmes Latefa Belarouci, psychologue,
et Violaine Guéritault, psychologue,
auteur du livre « Le burn out maternel »,
membres du Mouvement

(15 février 2005 )

Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente

Mme Isabelle de Rambuteau, présidente du Mouvement Mondial des Mères-France , a, tout d'abord, remercié la délégation de donner l'occasion de s'exprimer à une Organisation non gouvernementale (ONG) qui représente les mères, en rappelant que, selon une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED) de 2003, celles-ci constituent un des groupes sociaux les plus importants, avec 17,6 millions de mères. Elle a indiqué que le Mouvement Mondial des Mères-France (MMMFrance) était la seule association de femmes à but familial et qu'elle rassemblait des mères de cultures, de situations familiales et professionnelles extrêmement variées, mais ayant comme point commun de mettre au monde des enfants et d'en faire des citoyens. Elle a précisé que les deux principaux objectifs du Mouvement étaient, d'une part, de créer des solidarités entre les mères, grâce à des échanges de savoir-faire comme des groupes de parole interculturels, et, d'autre part, d'être le porte-parole des mères dans les lieux de prises de décisions.

Au plan historique, elle a rappelé que le Mouvement Mondial des Mères avait été créé par des mères qui voulaient promouvoir la paix au lendemain de la seconde guerre mondiale et que le Mouvement était la première ONG internationale de femmes à avoir eu un statut consultatif à l'ONU en 1949.

Abordant le thème des violences faites aux femmes, elle a tout d'abord fait observer que le sujet n'était plus occulté. Elle a, en revanche, indiqué que la violence faite aux mères demeurait un sujet tabou, notamment parce que, dans l'inconscient collectif, la femme qui donne la vie ne peut faire l'objet d'un quelconque acte de violence. Elle a ensuite précisé que les violences faites aux mères présentaient une double particularité. Il s'agit, tout d'abord, de violences directes prenant des formes très variées, qu'elle a classées en quatre catégories : les violences physiques perpétrées par le conjoint et également par les enfants ; les violences verbales, morales, psychologiques, qui se traduisent par l'humiliation, ou le harcèlement à l'égard des mères ; la violence économique, avec essentiellement le manque de ressources financières et les violences administratives que l'on peut, par exemple, illustrer par le refus de fournir les documents nécessaires pour régler un problème administratif. Elle a noté que ces violences sont d'autant plus pernicieuses qu'elles ne laissent pas de traces apparentes et donc pas de preuves des violences subies. Détruites de l'intérieur, honteuses, isolées, et parfois traitées d'affabulatrices, les mères supportent plus que de raison ce type de souffrance, a-t-elle précisé, tout particulièrement parce qu'elles protègent avant tout leurs enfants, ce qui leur donne une capacité d'endurance exceptionnelle.

A ces violences s'ajoute un stress quotidien lourd à supporter : elle a évoqué à ce sujet la double journée de travail, la difficulté à faire preuve d'autorité vis-à-vis des enfants, surtout lorsque celle du père disparaît, la pression de la réussite scolaire et l'intrusion des écrans omniprésents dans la famille.

Mme Isabelle de Rambuteau a ensuite analysé la violence sociale, indirecte et plus subtile, que subissent les mères en raison de leur non-reconnaissance dans leur statut et leur rôle. Les actions éducatives qu'elles mènent au sein de la famille en fixant des limites et en initiant les enfants au rôle de citoyen ne sont en effet pas suffisamment reconnues.

Puis elle a regretté l'absence des mères dans le discours politique alors que dans le même temps, il est fait de plus en plus référence, officiellement, au rôle et à la place des femmes dans la société.

Mme Isabelle de Rambuteau a ensuite cité deux lois comportant des dispositions défavorables aux mères avec, tout d'abord, en matière de divorce, la séparation automatique après deux ans d'interruption de la vie commune. De ce point de vue, elle s'est demandé ce que pouvait devenir la mère qui a dû renoncer à sa carrière pour se consacrer à sa famille et s'est inquiétée des chances de retrouver un emploi pour les femmes d'âge avancé. En matière de retraite, elle a rappelé que 57 % des mères ont des carrières incomplètes et que 11 % d'entre elles n'ont jamais travaillé : pour une carrière complète, les femmes perçoivent une pension de 945 € en moyenne par mois et les hommes 1.433 €.

Elle a également évoqué l'image dégradante des femmes dans la publicité et insisté sur l'image dévalorisée de la mère qui n'a pas d'activité professionnelle en donnant des exemples concrets de déconsidération de celles qui s'entendent dire qu'elles « ne travaillent pas » et ont bien du mal à situer leur rôle dans la société. Elle a noté les différences de traitement entre les mères « qui travaillent » et celles qui n'ont pas d'activité professionnelle, ces différences étant vécues comme autant d'injustices. Elle a cité un certain nombre d'exemples parmi lesquels : les places à la cantine ou à l'étude le soir.

Puis elle a présenté plusieurs propositions du Mouvement Mondial des Mères-France, en suggérant :

- une meilleure reconnaissance dans le discours politique du rôle fondamental des mères en tant qu'éducatrices des jeunes générations à la vie en société et créatrices de liens sociaux. Valoriser de manière officielle ce rôle des mères équivaut à donner des repères aux enfants et prévenir les violences qu'ils peuvent faire subir aux femmes une fois arrivés à l'âge adulte ;

- la création d'espaces où les mères peuvent se retrouver et échanger afin de lutter contre l'isolement qui les frappe et particulièrement les jeunes mamans, les épouses d'immigrés et un million de mères qui élèvent leurs enfants seules, l'objectif étant de leur permettre de retrouver une estime de soi souvent battue en brèche par le regard extérieur ;

- la préparation des jeunes à la conjugalité par la sensibilisation au respect des différences entre hommes et femmes ;

- le contrôle plus strict des images dégradantes des femmes dans la publicité ;

- une plus juste accessibilité des mères au foyer aux services collectifs offerts aux mères qui ont une activité professionnelle, comme les cantines, les études du soir et les haltes-garderie... ;

- l'élargissement de l'offre d'emplois à temps partiel choisi afin d'atténuer le stress des doubles journées.

Mme Isabelle de Rambuteau a enfin indiqué que des groupes de paroles avaient été mis en place dans des quartiers « sensibles », notamment à Colombes et qu'une fois valorisées, les mères étaient beaucoup plus épanouies.

Mme Latefa Belarouci s'est ensuite présentée comme psychologue de culture algérienne résidant depuis quelques mois en France. Tirant les conclusions de ses premières observations, elle a manifesté son étonnement à l'égard du sentiment de solitude qu'éprouvent les mères en France et a estimé de ce point de vue que la situation des mères françaises et algériennes était plus comparable qu'elle ne l'avait pensé a priori. Elle a également insisté sur le sentiment de « non-existence » des mères qui sont insuffisamment « nommées » dans le discours. Puis elle a évoqué son expérience en Algérie auprès des enfants, puis auprès des mères en détresse dont les maris ont été victimes d'exactions, ce qui a orienté son savoir-faire autour de la re-création des liens au sein d'une communauté déstructurée.

Mme Violaine Guéritault, psychologue, auteur du livre « Le burn out maternel » , a ensuite présenté ses travaux menés durant 15 ans aux Etats-Unis sur la protection des femmes contre la violence domestique et a relevé, comme caractéristique dans ce pays, une certaine focalisation sur le statut des femmes en tant que victime, alors que la situation des mères ne fait pas l'objet d'analyses à une échelle comparable.

Elle s'est dite surprise d'avoir trouvé, à son retour en France, une situation d'épuisement physique et émotionnel des mères qui les conduit à la dépression, parfois à la maltraitance d'enfant et, de façon générale, à des difficultés dans la cellule familiale. Elle a indiqué que son livre avait précisément pour but de remédier à l'occultation de cette problématique du « burn out maternel » et a enfin analysé et contesté l'idée reçue selon laquelle être une mère constitue un processus « naturel » ne méritant pas d'être analysé plus avant.

Elle a mis en évidence le contraste entre l'attente, de la part des mères, d'une performance exemplaire, notamment en matière d'éducation des enfants, et le caractère minime des ressources mises à leur disposition.

Mme Gisèle Gautier, présidente , après avoir rendu hommage aux intervenantes, s'est demandé si l'indifférence à l'égard des mères avait des incidences sur leur autorité à l'égard de leurs enfants et de leur mari.

Mme Violaine Guéritault a estimé que le manque de respect et de reconnaissance se traduit par des comportements dégradants des conjoints à l'égard des mères qui, après des journées particulièrement chargées, se voient reprocher leur « inactivité » quotidienne. Evoquant ensuite la force du mimétisme comportemental au sein de la famille, elle a indiqué que les enfants témoins de ces comportements dégradants à l'égard des mères intériorisaient ces attitudes comme « normales » et avaient tendance à les reproduire par la suite.

Mme Latefa Belarouci , à son tour, a souligné l'extrême difficulté pour les mères d'être à la hauteur des responsabilités qui pèsent sur elles, notamment dans leur rôle d'éducation des enfants. Elle a cité une étude faite en Allemagne où un pourcentage important de femmes interrogées ne souhaitaient pas devenir mères, avant de souligner à nouveau le caractère essentiel de la reconnaissance des mères.

Mme Isabelle de Rambuteau , rejoignant ce propos, a illustré par des exemples vécus combien une mère valorisée et soutenue dans ses actions pouvait se transformer et devenir rayonnante, même après avoir subi une phase dépressive.

Mme Latefa Belarouci a, pour sa part, ajouté que, du point de vue psychologique, il était particulièrement important que des mères puissent exister en tant que sujets parlant et soient enfin capables de dire « JE », contrecarrant ainsi leur tendance à placer l'intérêt de leur famille bien avant le leur.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est dite un peu troublée par le discours des intervenantes. Elle a rappelé que, dans les années 50, les femmes avaient lutté pour pouvoir ne plus être considérées uniquement comme des mères, tout en admettant que, par un effet de balancier, le statut des mères était peut-être aujourd'hui parfois trop dévalorisé.

Mme Isabelle de Rambuteau , rejoignant ce constat d'un renversement de tendance, a observé qu'aujourd'hui bien des femmes s'efforcent de cacher leur grossesse en allant travailler dans leur entreprise avant de souligner l'insuffisance dans le discours politique de la référence aux mères.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a qualifié d'ambivalent le discours politique sur les femmes et pris comme exemple le traitement de leur situation à l'occasion des débats sur la réforme du divorce ou des retraites, au cours desquels rares ont été les parlementaires à défendre l'intérêt des épouses et à souligner la faiblesse des pensions perçues par les femmes.

Mme Isabelle de Rambuteau a souligné que le discours politique ne reconnaissait pas suffisamment les mères en tant qu'acteurs essentiels de la cohésion sociale.

Mme Annie David a exposé son expérience de mère et d'élue pour faire observer qu'un certain partage des rôles au sein de la famille était nécessaire. Elle a indiqué que l'évolution du rôle des pères devait être encouragée et conçue sur un plan plus égalitaire entre les conjoints.

Mme Isabelle de Rambuteau a précisé que son rôle consistait avant tout à être le porte-parole des mères. Elle a ensuite jugé important de préparer les jeunes gens à la conjugalité, ce qui contribue efficacement à prévenir les violences conjugales.

Mmes Latefa Belarouci et Violaine Guéritault ont évoqué, à l'aide d'exemples, la difficulté de faire évoluer les préjugés fondés sur une conception inégalitaire du rôle des pères et des mères faisant peser l'essentiel des tâches sur les femmes.

Mme Violaine Guéritault , rappelant que l'absence de reconnaissance et de soutien étaient les deux principaux facteurs de stress en milieu professionnel, a indiqué que le comportement des mères obéissait également à cette même loi psychologique selon laquelle le « renforcement positif » est nécessaire pour maintenir un équilibre harmonieux de la personnalité. Elle a fait observer qu'à la différence d'une personne occupant un emploi, une mère est en permanence « sur le pont » et n'a pas la possibilité de démissionner.

Mme Christiane Kammermann , tout en admettant la difficulté d'être mère de famille, a enfin tenu à rappeler les joies et l'épanouissement de certaines d'entre elles, en citant notamment sa propre expérience en la matière.

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