- Mercredi 28 mai 2025
- Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social - Examen du rapport et du texte de la commission
- La santé scolaire - Audition du docteur Frédérique Charasson, présidente de la Société française des médecins de l'éducation nationale, de MM. Laurent Chazelas, président de l'Association française des psychologues de l'éducation nationale, Marc Pelletier, sous-directeur de l'action éducative au sein du service de l'accompagnement des politiques éducatives de la direction générale de l'enseignement scolaire, et de Mme Priscillia Chazel, présidente de la Société française des infirmiers en santé scolaire
Mercredi 28 mai 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport de nos collègues Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat et du texte de la commission sur le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels (ANI) en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social.
Ce texte, dont le Sénat est saisi en premier lieu et sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, est inscrit à l'ordre du jour du mercredi 4 juin.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Après la santé au travail, dont le projet de loi a été rapporté par notre collègue Pascale Gruny, et le partage de la valeur, c'est la troisième fois depuis 2020 que nous nous confrontons à l'exercice particulier de la transposition législative d'un ANI conclu par les organisations syndicales et patronales.
Le texte que nous examinons ce matin présente la particularité d'avoir connu un parcours contrarié, qu'il nous revient de présenter brièvement.
Le Gouvernement avait initialement invité les partenaires sociaux à négocier en vue d'un nouveau « pacte de la vie au travail », dès novembre 2023, avec trois axes distincts : trouver une meilleure articulation des temps de travail et de loisir, avec la mise en place d'un compte épargne-temps universel (Cetu) ; mettre en place les conditions du plein emploi des seniors ; et encourager la progression des carrières et les possibilités de reconversion professionnelle.
Par ailleurs, dans le cadre de la négociation relative aux règles de l'assurance chômage, qui se tenait en parallèle, les partenaires sociaux devaient adapter les règles d'indemnisation pour tenir compte de l'allongement des carrières. Le Gouvernement avait conditionné l'agrément de la convention d'assurance chômage à la conclusion de ce « pacte de la vie au travail ». Faute d'accord, le Gouvernement a refusé d'agréer la convention d'assurance chômage, et les partenaires sociaux ont été invités par le Gouvernement en octobre 2024 à reprendre les négociations sur les seniors. Ils sont finalement parvenus à la conclusion d'un ANI sur l'emploi des salariés expérimentés, signé le 14 novembre 2024, par les trois organisations représentatives des employeurs, et par l'ensemble des organisations représentatives des salariés, à l'exception de la Confédération générale du travail (CGT).
Cet ANI en faveur du travail des seniors, qui comprend sept articles, est structuré autour de quatre axes : la mobilisation du dialogue social de branche et d'entreprise, la préparation de la deuxième partie de carrière, la levée des freins au recrutement des demandeurs d'emploi seniors et la facilitation des aménagements de fin de carrière.
Cependant, le présent texte ne se borne pas à la retranscription de cet ANI, puisqu'il comporte également des mesures issues de l'ANI sur l'évolution du dialogue social, signé le 14 novembre 2024, et de la convention relative à l'assurance chômage conclue le 15 novembre 2024.
Après quelques échecs de négociation et quelques escamotages de la part du Gouvernement sur l'assurance chômage, nous pouvons, en préambule, nous réjouir que le paritarisme de négociation ait été fructueux. Nous pouvons également nous féliciter de la démarche du Gouvernement de nous présenter un projet de loi qui vise à la stricte transposition des mesures de ces accords relevant du domaine de la loi - tous les partenaires, y compris les non-signataires, en ont convenu.
Dans cette configuration, nous pensons que le Parlement doit veiller à la transposition fidèle de l'accord des partenaires sociaux. L'humilité dont le législateur doit faire preuve est aussi un gage de bon fonctionnement de notre démocratie sociale. L'exercice de transposition par le Gouvernement est plutôt bien réussi : les organisations syndicales comme patronales, signataires des accords, nous ont confirmé que le texte leur convenait. Sur les neuf articles de transposition de mesures, nous ne vous proposerons donc que des ajustements de clarification rédactionnelle, à l'exception de l'article 4 ; mais nous y reviendrons.
Avant de vous présenter les dispositions du projet de loi, permettez-nous de rappeler quelques chiffres sur l'emploi des seniors, sujet principal de ce texte. L'usure et la désinsertion professionnelles, les freins à l'embauche et les discriminations sur le marché du travail conduisent à un taux d'emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans plus bas que pour les autres catégories de la population. En 2023, ce taux s'établissait à 58,4 %, contre 82,6 % pour celles qui sont âgées de 25 à 49 ans. Il demeurait surtout bien inférieur à celui de nos voisins européens : notons ainsi des taux de 67 % au Portugal, et de 74 % en Allemagne - même si l'âge légal de départ à la retraite y est plus tardif.
Ces difficultés que rencontrent les seniors sur le marché de l'emploi peuvent être une source de précarisation pour eux, elles pèsent sur l'activité économique et induisent un manque à gagner pour les finances publiques. Il convient de prendre la mesure de notre démographie ; le salut ne pourra pas venir d'une entrée massive de nouvelles générations sur le marché du travail. En revanche, il convient de jouer sur nos marges de progrès quant à l'emploi de certaines catégories de la population.
Une expérience de pensée - espérons-le, plus avant-gardiste qu'utopique - consiste à projeter en France le taux d'emploi des seniors allemands ; ce bond de 16 points permettrait d'augmenter le PIB de la France de près de 125 milliards d'euros. Les conséquences d'un tel rebond sur les finances publiques permettraient d'envisager sereinement le prochain exercice budgétaire...
Si ce texte vise donc à accroître l'emploi des seniors, cette ambition générale ne passera pas uniquement par des mesures législatives. Il s'agira surtout de changer les mentalités en entreprise et les regards sur les salariés expérimentés et sur les fins de carrière, ce à quoi nos auditions - toute proportion gardée - ont contribué.
À rebours du lieu commun consistant à pointer la productivité déclinante des salariés âgés et l'obsolescence de leurs compétences, nous avons entendu en audition Exper'Connect, un cabinet de recrutement spécialisé dans les missions de placement auprès d'employeurs de retraités détenteurs de savoir-faire spécifiques. Certaines entreprises, dans les secteurs du nucléaire, de l'aéronautique ou de la défense par exemple, ne parviennent pas à trouver les compétences nécessaires sur le marché du travail et se tournent vers ces missions réalisées par des travailleurs retraités.
Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Le projet de loi s'ouvre sur un chapitre primordial pour changer les cultures professionnelles sur la représentation des seniors. Les deux premiers articles visent en effet à relancer le dialogue social de branche comme d'entreprise sur l'enjeu spécifique des seniors.
L'article 1er du projet de loi transpose ainsi l'intention de l'ANI de réinstaurer une négociation obligatoire sur ce sujet au niveau des branches. Une telle obligation imposée par le code du travail était en vigueur de 2003 à 2013, date à laquelle une incitation à conclure des accords avait pris sa suite. Depuis 2017, le code du travail est entièrement silencieux sur le travail et l'emploi des seniors dans les négociations de branches. En conséquence, seules deux branches se sont saisies de cet enjeu spécifique : celles des casinos et des sociétés d'assistance que nous avons entendues lors de nos travaux.
La négociation de branche se tiendrait au moins tous les quatre ans - à défaut d'accord de méthode prévoyant la périodicité, le code du travail retiendrait une fréquence triennale. Lors de cette négociation, les organisations syndicales et patronales devront aborder le recrutement des salariés seniors, leur maintien dans l'emploi, l'aménagement des fins de carrière, notamment les modalités d'accompagnement à la retraite progressive ou au temps partiel, la transmission des savoirs et des compétences.
Cet accord de branche pourra, le cas échéant, prévoir un plan type pour les entreprises de moins de 300 salariés, qui ne pourrait s'appliquer que si la négociation dans l'entreprise n'a pas abouti.
Plutôt que d'imposer par la loi ou l'accord national des mesures préconçues, les partenaires sociaux ont préféré faire émerger, par le dialogue social, des solutions d'aménagement de fins de carrière adaptées aux secteurs d'activité et à chacune de leurs réalités socio-économiques. Nous pensons que cette option est la bonne.
L'article 2 vise un objectif similaire au sein même des entreprises. Il instaure une obligation quadriennale de négociation à destination des entreprises d'au moins 300 salariés, devant porter sur l'emploi, le travail et l'amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés. Cette négociation est précédée d'un diagnostic, et doit permettre aux entreprises de se positionner et de se mobiliser au profit du maintien dans l'emploi des salariés les plus expérimentés.
Le seuil retenu de 300 salariés, en harmonie avec la négociation obligatoire sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC), permet de préserver les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), moins outillées pour ces exercices, et dans lesquelles l'accompagnement des fins de carrière se fait le plus souvent en bonne intelligence avec les salariés.
Le deuxième volet du projet de loi est consacré aux dispositions visant à préparer la seconde partie de carrière et à aménager la fin de carrière.
L'article 3 vise ainsi à créer des rendez-vous clés le long du parcours professionnel du salarié. Il s'agit d'aborder les évolutions possibles dans l'organisation du travail, avec comme objectif de maintenir le salarié dans l'emploi et de prévenir l'usure professionnelle. À cette fin, la visite médicale de mi-carrière, créée par la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, serait mieux articulée avec les entretiens professionnels se tenant tous les deux ans. L'un d'entre eux devra être l'occasion d'aborder les mesures proposées, le cas échéant, par le médecin du travail à l'issue de cette visite. En outre, l'entretien conduit vers le soixantième anniversaire du salarié devra aussi être l'occasion d'évoquer les aménagements possibles de la fin de carrière.
Nous avons bien à l'esprit que le véritable enjeu de ces dispositions est leur traduction effective dans les entreprises. Nous avons alerté la ministre sur ce point : faute de médecins du travail, l'intention du législateur et des partenaires sociaux pourrait rester lettre morte.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Un autre axe du projet de loi est consacré à la levée des freins au recrutement des demandeurs d'emploi seniors.
L'article 4 prévoit de créer un nouveau contrat à durée indéterminée (CDI) à destination des demandeurs d'emploi expérimentés, qui permettrait à leur employeur de procéder à leur mise à la retraite une fois l'âge d'obtention d'une pension de retraite à taux plein atteint. Afin d'inciter à la conclusion de tels contrats, une exonération de la contribution employeur spécifique sur l'indemnité de mise à la retraite y serait associée.
Cet article s'inscrit dans la lignée du contrat de fin de carrière proposé par le Sénat lors de la réforme des retraites, et nous tenons à saluer René-Paul Savary, qui avait mis toutes ses forces au service de cette idée, au point de faire plier le Gouvernement : le temps lui aura donné raison.
Il faut également souligner que les services des ministères sociaux nous ont indiqué lors des auditions qu'une suppression du « CDI senior » interviendra par décret, ce qui est à saluer tant une rationalisation des différents types de contrats semble nécessaire.
Cependant, nous vous proposerons de rétablir un caractère expérimental à cet article, et de prévoir son rapport d'évaluation, afin d'assurer la bonne information du législateur à l'issue des cinq années prévues, et pour pouvoir juger de l'intérêt d'une pérennisation ou non.
S'agissant de la fin de carrière à proprement parler, il ressort de nos travaux qu'employeurs comme salariés considèrent le sujet sous le prisme d'une alternative binaire. Peu de place existe entre le travail à temps complet et la cessation totale d'activité au départ à la retraite. Le temps partiel n'occupe, par exemple, que 25 % des salariés de plus de 55 ans, là où ce taux est de 40 % aux Pays-Bas. De même, la retraite progressive ne concernait que 26 000 salariés en 2023.
Pourtant, le maintien en emploi d'un plus grand nombre de seniors demande des modèles flexibles d'organisation du travail et des transitions plus lisses vers la retraite. Dans cette optique, les articles 5 et 6 visent à lever des freins au temps partiel des seniors.
Dans le prolongement de la réforme des retraites de 2023, l'article 5 encadre davantage le refus opposé par l'employeur à la demande du salarié de passer à temps partiel ou à temps réduit dans le cadre d'une retraite progressive. L'employeur devra ainsi justifier que la réduction de la durée de travail sollicitée a une incidence sur la continuité de l'activité de l'entreprise ou du service et que des tensions de recrutement empêchent d'y remédier.
L'article 6 permet de négocier par accord collectif, au niveau des entreprises ou des branches, un versement anticipé de l'indemnité de départ à la retraite dans le cadre d'un passage à temps partiel ou réduit. Ce versement échelonné doit assurer un maintien total ou partiel de la rémunération en dépit de la réduction de la quotité d'activité. Il ne s'agira pas d'une solution providentielle : l'indemnité de départ ne permet pas de couvrir une période importante de temps partiel. En outre, de l'aveu même de la branche des sociétés d'assistance ayant prévu par accord un tel dispositif, les salariés se sont peu saisis de cette possibilité. Toutefois, la modification proposée du droit du travail permettra précisément de valider les clauses déjà négociées dans certaines entreprises ou branches et d'encourager la diffusion de solution pour populariser le temps partiel.
L'article 7 vise à faire évoluer le droit à la suite d'un récent arrêt de la Cour de cassation, afin de préciser que la mise à la retraite d'office d'un salarié est permise, y compris lorsque ce dernier a été recruté après avoir atteint l'âge de départ à taux plein.
Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Le texte comporte un volet relatif au dialogue social qui rend compte de l'ANI que les partenaires sociaux ont souhaité signer en parallèle des négociations demandées par l'exécutif.
L'article 8 procède ainsi à la suppression dans le code du travail de la limitation à trois mandats pour les membres élus du comité social et économique (CSE). Les partenaires sociaux ayant constaté le manque de candidats volontaires pour exercer ces fonctions représentatives, il est aujourd'hui nécessaire de lever cette contrainte imposée en 2017. La suppression de la limitation des mandats permettrait aussi de favoriser la transmission d'expérience entre les élus et leurs successeurs.
Le texte dispose d'un article relatif aux conditions d'activités requises pour les primo-entrants à l'assurance chômage. L'article 9 abaisse ces conditions pour les travailleurs n'ayant jamais bénéficié de l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE) ou n'en ayant plus bénéficié depuis une longue période. En l'état actuel du droit, les primo-entrants se voient appliquer une période d'affiliation minimale de 130 jours travaillés au cours des 24 derniers mois précédant la fin du contrat de travail. Dans la nouvelle convention d'assurance chômage, les partenaires sociaux ont proposé d'abaisser cette condition à 108 jours. La mesure bénéficiera principalement aux jeunes, qui représentent 62 % des primo-entrants. Toutefois, une base légale manquait pour que le Gouvernement puisse agréer cette mesure ; ce sera chose faite grâce à cet article 9.
Enfin, le texte proposé par le Gouvernement prévoit en son article 10 une habilitation à légiférer par ordonnance pour modifier les dispositifs qui concourent aux reconversions professionnelles. L'intention est de transposer le futur ANI en cours de négociation entre les partenaires sociaux.
Cet article nous a posé beaucoup de difficultés. D'un côté, nous souhaitons laisser la main aux partenaires sociaux dans l'établissement de nouvelles règles relatives aux transitions professionnelles. En effet, les dispositifs existants manquent de lisibilité, ce qui met en cause leur efficacité. De l'autre, nous sommes opposés au principe des ordonnances.
Nous avons envisagé de proposer un amendement de suppression de cet article, mais nous souhaitons éviter la possibilité d'un vote conforme à l'Assemblée nationale qui empêcherait de transposer durant la navette parlementaire le futur accord entre les partenaires sociaux. C'est pourquoi nous proposerons à la commission de supprimer l'habilitation à légiférer par ordonnance pour réécrire l'article par le biais d'un amendement qui consacre les objectifs visés par les partenaires sociaux. Nous faisons confiance en la capacité des organisations syndicales et patronales à conclure un accord et voulons que ce dernier soit transposé par le Parlement, et sous son contrôle entier, et non par ordonnance.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, ce projet de loi ne porte pas de recette miracle ni de mesures révolutionnaires pour accroître le taux d'emploi des seniors. Pour autant, nous pouvons aborder l'examen de ce texte avec une grande satisfaction : d'abord, il fait confiance au dialogue social, en transcrivant des ANI dans le respect des partenaires sociaux, et en encourageant le dialogue social de branche et d'entreprise ; ensuite, il nous permet de parler positivement des travailleurs expérimentés et de participer aux changements de culture après quelques textes moins consensuels sur le travail des seniors.
Nous vous invitons donc à adopter ce projet de loi modifié par les amendements que nous vous soumettrons et qui, à l'exception de deux d'entre eux, à l'article 4 et à l'article 10, ne seront que d'ordre rédactionnel.
Pour terminer, il nous revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Nous rappelons que la recevabilité des amendements s'apprécie au regard des dispositions du texte déposé par le Gouvernement, et non pas en considération des stipulations de l'ANI.
Nous considérons que ce périmètre comprend des dispositions relatives au dialogue social de branche et d'entreprise en matière d'emploi et de travail des salariés expérimentés ; aux entretiens professionnels et à leur articulation avec les visites médicales réalisées par la médecine du travail ; à la création d'un nouveau contrat de travail en faveur des demandeurs d'emploi seniors ; aux régimes juridiques de la mise à la retraite et de l'indemnité de départ à la retraite ; à la retraite progressive et au temps partiel ; au mandat des élus du CSE ; aux conditions d'affiliation au titre de l'assurance chômage ; aux dispositifs de formation concourant aux reconversions professionnelles, ainsi qu'à l'organisation des acteurs oeuvrant en matière de transitions professionnelles.
En revanche, ne nous semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables des amendements relatifs à l'assurance vieillesse, et notamment aux règles de la liquidation complète des pensions et de l'âge de départ à la retraite à taux plein ; à la négociation collective portant sur d'autres sujets que ceux qui sont mentionnés dans le périmètre positif ; aux dispositifs généraux d'exonération de cotisations et de contributions sociales.
M. Olivier Henno. - Je salue le travail des rapporteurs. Bien évidemment, notre groupe suivra leurs préconisations. Comme à chaque fois lors de l'examen de tels textes, nous saluons également la fécondité du paritarisme : les discussions de branche sont indispensables si l'on croit au dialogue social. La proposition des rapporteurs à l'article 10 nous paraît d'ailleurs extrêmement judicieuse. Voltaire disait que l'humilité est le contrepoison de l'orgueil : saluons l'humilité de ce travail, assez rare dans notre pays plutôt jacobin et vertical.
Nous nous trouvons au début d'une révolution culturelle qui concerne le travail des seniors. Cet ANI est un premier pas, mais il y en aura beaucoup d'autres. Je me félicite du changement de mentalité dans les entreprises. Il fut un temps, l'emploi des seniors y était systématiquement la variable d'ajustement social. Il faudra tout de même aller plus loin, car la robotisation et l'intelligence artificielle changeront le rapport au travail, et nous devrons trouver les moyens de valoriser encore davantage l'expérience des seniors, de reconsidérer les transitions, le temps partiel, voire la multiactivité. Ce dernier sujet est d'ailleurs assez peu abordé, alors qu'il est développé dans de nombreux pays.
Mme Monique Lubin. - Le qualificatif « expérimenté » m'a interpellée. René-Paul Savary et moi-même avons travaillé sur l'emploi des seniors. J'avais demandé de reconsidérer l'emploi du terme « seniors », que nous trouvions assez péjoratif. Je comprends le sens de ce mot, mais on peut être expérimenté bien avant d'être senior. Le Conseil d'État a également relevé ce point. Décidément, il est difficile de trouver la bonne appellation.
Je salue bien évidemment le travail des partenaires sociaux et la volonté de légiférer en respectant fidèlement leurs propositions. Le Parlement respecte le dialogue social et l'appelle de ses voeux, surtout lorsque celui-ci est bafoué, mais il ne faudrait pas a contrario que son rôle soit renié. Je ne m'empêcherai donc pas de déposer des amendements.
Ce texte pèche dans son approche de la situation dans les entreprises de moins de 300 salariés, notamment dans les très petites entreprises. Le rapport indique qu'il faut les protéger, mais je ne vois pas bien comment nous y parviendrons. Certes, les syndicats sont très présents dans les grandes entreprises et très peu présents dans les petites, mais comment protéger les salariés dans ces dernières ? Il y aura des accords de branche, mais ceux-ci seront-ils suffisants ? Quelles contraintes s'appliqueront aux employeurs ? En matière d'emploi des salariés expérimentés, âgés ou seniors, il n'y a aucune contrainte, et les idées reçues ont la vie dure. Je l'avais indiqué lors de l'audition de Pierre Moscovici, nous devons lutter contre la culture du non-emploi du salarié âgé dans les entreprises françaises. Je salue les avancées de ce texte, mais cette lacune me semble très importante.
Il est toujours difficile de proposer un contrat spécifique pour une tranche d'âge, et je n'adhère qu'avec peu d'enthousiasme à la création des contrats de valorisation de l'expérience. Cela dit, nous n'avons rien trouvé d'autre en la matière, et je suis donc favorable à une expérimentation. Toutefois, la possibilité laissée aux employeurs de licencier automatiquement une personne dès lors qu'elle aura atteint le taux plein me pose problème. Une personne atteint le taux plein en fonction de son année de naissance et du nombre de trimestres durant lesquels elle a cotisé, mais atteindre le taux plein ne signifie pas pour autant toucher une pension suffisante pour vivre.
Prenons un exemple : une femme - c'est toujours une femme ! - a choisi de travailler à temps partiel pour élever ses enfants. Comme il faut avoir travaillé 150 heures pour valider un trimestre, si elle a travaillé à temps partiel une grande partie de sa carrière, elle devra attendre d'avoir validé le bon nombre de trimestres, mais le montant de sa pension sera très faible. De son propre chef, elle aurait pu choisir de travailler plus longtemps. En vertu de quoi lui interdirait-on de le faire ? Je ne prône pas le travail jusqu'à 70 ans, mais je ne suis pas non plus favorable à obliger des personnes à partir à la retraite alors qu'elles ne touchent pas une retraite suffisante pour vivre.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
Mme Monique Lubin. - Personnellement, je ne suis pas d'accord avec cette possibilité laissée aux entreprises, et à ce couperet. En outre, quelles seraient les sanctions prévues pour les employeurs qui ne respecteraient pas les mesures prévues dans ce projet de loi ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - À chaque réforme des retraites et à chaque recul de l'âge de départ, on voit a posteriori fleurir un texte relatif au travail des seniors. C'est prendre le problème à l'envers. Le taux d'emploi pour les personnes entre 55 ans et 65 ans n'est pas uniquement dû au recul de l'âge légal. L'âge effectif de départ étant toujours un peu plus important que ce dernier, notre taux d'emploi ne pourra jamais être supérieur à celui des pays où l'âge légal de départ à la retraite est de 65 ans ou 67 ans.
Le problème ne tient pas qu'à cette raison. Dans la majeure partie des cas, à cet âge-là, les ouvriers sont en arrêt maladie, déclarés inaptes ou au chômage.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Ce problème n'a donc rien à voir avec le recul de l'âge légal. Plutôt que de repousser encore l'âge de départ, il faudrait s'attaquer de front à la sous-performance française par rapport à celle de ses voisins européens en matière de conditions de travail, d'intensité et de pénibilité du travail. À chaque fois que se tient ce débat, je renvoie aux indicateurs de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), qui montrent l'évolution dramatique de tous les critères de pénibilité et d'organisation au travail.
Le texte prévoit de demander aux branches de renégocier l'emploi des salariés expérimentés tous les trois ans, mais il ne fait que rétablir une disposition supprimée par les ordonnances Macron en 2017. Toutefois, le manque de sanctions pose problème, car tout repose sur la bonne volonté des parties prenantes. En outre, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), supprimés par les ordonnances Macron, ne sont pas réintégrés, alors que, par définition, ils constituaient l'une des instances où il était possible d'échanger sur les conditions de travail et de vie dans les entreprises. Nous parlons de simplification, mais un seuil de 300 salariés est retenu. Simplifions en conservant les seuils existants !
Certes, il faut respecter les négociations des partenaires sociaux, mais il y a trois ANI. La Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) n'a pas signé ces accords. Il ne faut pas sublimer le dialogue social - d'ailleurs, nous ne vous avons pas entendus le louer lors de la dernière réforme des retraites ! Nous avons des choses à dire ; sinon, abolissons notre rôle et passons notre tour ! Lors de la transposition d'un ANI sur la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), après avoir rencontré les représentants des victimes d'AT-MP, nous avions modifié des dispositions relatives à la rente, alors même que l'on nous demandait de transposer, sans le modifier, un accord qui avait même été accepté par la CGT.
Je le redis : il est bien dommage de ne pas avoir demandé aux organismes aidant les demandeurs d'emploi leur avis sur le contrat de valorisation de l'expérience (CVE). J'espère qu'il rencontrera plus de succès que le CDI senior. Si celui-ci n'a pas été aussi utilisé que nous le pensions, c'est aussi en raison de la pénibilité dont j'ai parlé précédemment.
On parle de « salariés expérimentés », mais jamais on ne s'offusque qu'un travailleur ait été au Smic toute sa vie. Cela devrait pourtant nous choquer, car un tel travailleur est expérimenté. Il est bien beau d'habiller les choses avec des mots, mais le Smic est un salaire destiné aux travailleurs qui n'ont ni qualification ni ancienneté. Et pourtant, nous envisageons de dire qu'il faut augmenter le minimum contributif si un salarié a passé toute sa vie au Smic.
La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat a décidé de travailler sur le financement de la sécurité sociale. Je ne suis pas d'accord pour que l'expérimentation dure cinq ans. Depuis la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, la loi de financement de la sécurité sociale détient un monopole pour l'introduction d'exonérations supérieures à trois ans. Vous me direz que l'on demandera dans trois ans de prolonger ce délai de deux ans durant l'examen d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), mais on préempte ainsi le débat. Nous ne disposerons d'ailleurs pas alors du rapport. Il me semble que celui-ci devrait être remis dans trois ans, et que l'expérimentation ne devrait pas durer plus longtemps. C'est la deuxième fois que ce cas de figure se présente.
Il est incroyable de ne pas tenir compte de l'avis du Conseil d'État, selon lequel le dispositif ne saurait être qualifié d'expérimentation, car il ne dispose pas « de protocole expérimental permettant de recueillir les éléments de nature à éclairer le législateur en vue de son éventuelle pérennisation ».
En ce qui concerne le départ au taux plein, l'amendement de Mme Lubin est mieux disant que le mien, qui devient donc un amendement de repli. Jusqu'à maintenant, l'employeur ne pouvait pas demander à l'employé quand celui-ci pourra partir à taux plein. Il me semble incroyable que les syndicats aient accepté de lever cet interdit. On demande même au salarié de réactualiser cette information en temps continu, par exemple s'il exerce une autre activité. Mon amendement visait à supprimer l'obligation de réévaluation faite à l'employé, mais c'est avec plaisir que je soutiendrai celui de Mme Lubin.
M. Daniel Chasseing. - Le taux d'emploi des seniors entre 60 ans et 64 ans est seulement de 38 % en France, contre 51 % en moyenne en Europe, et beaucoup plus en Allemagne et en Suède. Pour que les seniors soient valorisés, il est très important qu'ils retrouvent leur place dans les entreprises. Ils ont l'expérience et peuvent beaucoup apporter aux jeunes. Ce projet de loi impose aux branches de se réunir tous les trois ans pour engager des négociations sur l'emploi des salariés expérimentés. Peut-être que les rapporteurs pourront préciser ce point, mais les branches ne réunissent pas que des entreprises de plus de 300 employés.
L'article 3 prévoit qu'un entretien professionnel doit se tenir dans les deux mois qui suivent la visite médicale de mi-carrière. Un autre entretien professionnel après 60 ans doit aborder les possibilités d'aménagement de fin de carrière, les possibilités de temps partiel ou de retraite progressive. Ce point demandé par les seniors aurait dû être prévu avant le passage de la retraite à 64 ans, qu'il aurait peut-être permis de faire mieux accepter.
L'article 4 crée le contrat de valorisation de l'expérience. Ce contrat est moins avantageux que le CDI senior prévu par le Sénat, mais il représente un avantage pour l'employeur, qui sera exonéré de la contribution patronale sur l'indemnité de mise à la retraite.
Selon l'article 5, l'employeur doit motiver son refus d'embaucher un senior. Pour moi, il s'agit d'une satisfaction et d'une amélioration sous l'effet du dialogue social. Certaines entreprises se tournent vers l'expérience des anciens. Il est très important de conserver et de valoriser les seniors, qui apporteront leur expérience aux entreprises. En découleront des ressources supplémentaires : augmenter le taux d'emploi des seniors de 7 points, c'est réaliser 125 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Je voterai en faveur de ce projet de loi.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je l'ai dit lors de plusieurs auditions, la moitié des demandeurs d'emploi inscrits à France Travail sont âgés de 55 ans ou plus. Pour 25 % d'entre eux, cette situation est due à une inaptitude au travail. Tout le monde n'est pas sur un pied d'égalité par rapport à la pénibilité du travail. Lors des auditions préparatoires, nous avons beaucoup parlé de pénibilité physique, notamment pour les aides à domicile ou celles et ceux qui travaillent dans les usines, mais il faut aussi parler des burn-out, fréquents, par exemple, parmi les professeurs des écoles ou dans les métiers du soin.
Il est d'autant plus regrettable de ne pas rétablir les CHSCT, ainsi que Mme Puissat l'a indiqué, que nous n'avons pratiquement plus de médecins du travail. Ils permettaient tout de même de dresser un constat des mauvaises pratiques dans les entreprises, et d'alerter sur les salariés en souffrance au travail.
Après chaque réforme des retraites, dès qu'il veut faire travailler les gens plus longtemps, le Gouvernement propose une nouvelle petite mesure, mais qui ne réglera pas le problème. Encore faudrait-il que les entreprises puissent garder des salariés de 55 ans ou de 56 ans jusqu'au bout - j'ai même appris que l'on pouvait parler de senior à partir de 45 ans ! Or lorsque la personne n'est plus assez rentable, on la licencie. Commençons par nous assurer que celles et ceux qui veulent travailler et cotiser pour leur retraite puissent le faire. Ce projet de loi vise justement l'inverse.
Les contrats de valorisation de l'expérience seront exonérés à hauteur de 30 % de la contribution employeur sur l'indemnité de mise à la retraite. Cela coûtera chaque année à la sécurité sociale 123 millions d'euros, qui ne seront pas compensés par l'État. Nous ne doutons pas que le Sénat soutiendra l'amendement que nous avons déposé, afin de ne pas continuer à creuser le trou de la sécurité sociale.
Je l'ai déjà dit, je suis totalement opposée aux ordonnances. Les parlementaires ont un rôle à jouer : ils doivent prendre des décisions, surtout sur ces questions.
En outre, ces mesures ne concerneront que les entreprises de plus de 300 salariés. On exclut donc 72 % des salariés de notre pays, qui travaillent dans les petites et moyennes entreprises.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Monsieur Henno, nous savons tous qu'un changement de mentalité est en cours. Même si ce texte ne réglera pas tout, ainsi que nous l'indiquons dans le rapport, nous avons remarqué durant les auditions une prise de conscience et une volonté d'avancer.
Madame Lubin, le texte mentionne « les salariés expérimentés, en considération de leur âge ». Le Parlement a évidemment un rôle à jouer, Mme Puissat y reviendra au sujet de l'article 10.
Il est vrai que les entreprises de moins de 300 salariés ne sont pas explicitement concernées, mais nous espérons que des accords de branche les concernant auront lieu. C'est un premier pas. Je l'ai répété, un changement est en cours au sujet de la culture du non-emploi des seniors dans les entreprises. Le changement se fera par nécessité, pour des raisons démographiques et pour assurer la préservation des compétences, du moins dans certains postes de travail.
En ce qui concerne le CVE, la mise à la retraite n'est pas automatique. Quant aux sanctions, celles-ci sont déjà prévues par le code du travail et mises en oeuvre par l'inspection du travail. Quand l'employeur et le salarié signent un CVE, ce dernier doit indiquer à quel âge il souhaite partir à la retraite.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Non, il doit indiquer à quel âge il peut bénéficier d'un taux plein. Ce n'est pas pareil.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Cela fait partie de l'accord interprofessionnel : tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut des adaptations s'il s'agit de travailler plus longtemps, et qu'il faut que l'employeur puisse anticiper. C'est aussi une garantie pour le salarié : il est sûr de ne pas partir avant d'avoir atteint un taux plein, et l'employeur peut, quant à lui, anticiper le renouvellement des compétences. L'accord n'empêche pas que, d'un commun accord, l'employé et l'employeur puissent prolonger le contrat. L'employeur doit pouvoir signer ce genre de contrat sans être lié à l'employé jusqu'à ses 70 ans.
Mme Monique Lubin. - Le taux plein, c'est 67 ans, et 70 ans, c'est l'âge à partir duquel un salarié peut être mis à la retraite d'office.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Les transpositions de l'ANI peuvent frustrer certains d'entre nous, mais, nous pouvons toujours exprimer nos opinions en déposant des propositions de loi ou des amendements. J'y tiens, le Parlement doit respecter l'ANI signé par les partenaires sociaux, qui repose sur des équilibres toujours fragiles. Il faut de l'humilité pour savoir s'effacer derrière les partenaires sociaux : c'est ce qui est proposé avec ce texte.
Les entreprises de moins de 300 salariés peuvent être incluses dans les accords de branche, qui peuvent s'imposer en cas d'absence d'accord dans les entreprises. Même si les partenaires sociaux sont bien conscients que les petites entreprises ne sont pas toujours outillées pour faire face aux difficultés en matière de ressources humaines, ces dispositions peuvent être prévues dans les accords de branche. C'est une avancée : l'article 2 prévoit des mesures spécifiques pour les entreprises de plus de 300 salariés, mais celles qui sont en dessous de ce seuil pourront également être concernées par des accords de branche. Un amendement est d'ailleurs déposé pour abaisser ce seuil à 150 salariés. Nous n'y serons pas favorables, car les partenaires sociaux se sont mis d'accord sur le seuil de 300 employés. Ce seuil existe d'ailleurs déjà dans la GPEC.
En ce qui concerne la pénibilité, qui constitue en effet un enjeu - nous ne sommes pas tous égaux face à l'activité ou à la santé -, l'article 3 prévoit spécifiquement l'organisation d'entretiens professionnels à l'issue de la visite médicale de mi-carrière, créée par une proposition de loi rapportée par Pascale Gruny. Il y a toutefois un sujet quant à la médecine du travail, lié plus globalement à celui de la médecine. Nous rapprochons les visites médicales de mi-carrière et à 60 ans de l'entretien professionnel, pour avoir la possibilité d'adapter les postes, de prévoir des temps de travail moindres à partir de 60 ans.
Quant aux CHSCT, leur réintroduction est revendiquée depuis 2017.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Tous les partenaires sociaux le demandent.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Les comités sociaux et économiques ont vocation à remplacer tous les dispositifs de représentation du personnel. Je le rappelle, l'article 8 supprime le couperet que représente l'impossibilité de se représenter au-delà de trois mandats pour les représentants des entreprises de plus de 300 salariés. Des représentants des salariés expérimentés pourront continuer leur travail sur la prise en compte de la pénibilité, ce qui constitue une avancée de ce projet de loi.
Le CVE est signé par des demandeurs d'emploi de plus de 60 ans, qui ont des difficultés à s'insérer dans le monde du travail. Il faut trouver des outils pour les valoriser. La vraie difficulté que rencontrent les employeurs, c'est la date à laquelle ils pourront se séparer du salarié de 60 ans qu'ils embauchent. Si rien n'est précisé, la seule limite qu'ils peuvent anticiper est celle de 70 ans. En signant un CVE, le demandeur d'emploi indiquera à son employeur la date à laquelle il atteindra un taux plein. S'il choisit de ne pas partir à ce moment, l'employeur peut effectivement choisir de le mettre à la retraite, en lui faisant toucher une prime et en versant une cotisation patronale. Le projet de loi vise simplement à supprimer cette cotisation patronale. Lorsqu'on regarde tous les contrats portés par la droite comme par la gauche, cette contrepartie n'est pas énorme par rapport aux avantages sociaux portés par les uns et les autres.
Effectivement, cela coûte 120 millions d'euros par an, mais le dispositif sur l'assurance chômage pèse aussi 130 millions d'euros. Les chiffres liés au CVE sont en outre difficiles à évaluer. Cette expérimentation n'est peut-être pas très satisfaisante, mais elle permet de soutenir les demandeurs d'emploi de plus de 60 ans. C'est un signe que nous leur envoyons à la suite des partenaires sociaux.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Il faut aussi prendre en compte le fait que si l'on prolonge la durée du travail, les cotisations seront payées plus longtemps, et les indemnités chômage ne seront plus versées. Il faut faire le calcul, et je ne sais pas si l'on peut dès maintenant avancer un chiffre de manière aussi affirmative.
L'expérimentation est prévue sur un délai de cinq ans. Nous ne savons pas combien de salariés auront bénéficié de ce dispositif dans trois ans. Les accords prévoient qu'un comité d'évaluation se réunisse au fil de l'eau. Si les chiffres sont suffisamment probants, le Gouvernement peut publier ce rapport plus rapidement que d'ici cinq ans. Des expérimentations ont déjà eu lieu, et il faut là aussi faire preuve d'humilité. Nous espérons que ce nouveau type de contrat fonctionnera. Des accords ont déjà été signés par les casinos et les assureurs. Tous les dispositifs ne semblent pas rencontrer le même succès. Le compte épargne-temps est peut-être plus intéressant que l'indemnité de départ. Il faudra voir comment fonctionnera ce dispositif lorsque les accords seront appliqués.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'amendement rédactionnel COM-13 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - L'amendement COM-5 tend à abaisser le seuil de négociation obligatoire de 300 à 250 salariés. Cette proposition n'est pas conforme à l'ANI : l'avis est défavorable.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
Mme Frédérique Puissat. - L'amendement COM-7 vise à créer une sanction financière en l'absence de négociation d'entreprise relative aux travailleurs expérimentés. Là encore, cette proposition ne figure pas dans l'ANI. Par ailleurs, l'obligation de négociation est une obligation de moyens et non de résultat. L'avis est défavorable.
L'amendement COM-7 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté sans modification.
Article 3
Les amendements rédactionnels COM-14 et COM-15 sont adoptés.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - L'amendement COM-16 tend à préciser le caractère expérimental du contrat de valorisation de l'expérience, pour autoriser le législateur à prolonger l'expérimentation si elle est positive.
L'amendement COM-16 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-17.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Les amendements COM-2 et COM-9 ont pour objet d'interdire à une entreprise de conclure un CVE avec un ancien salarié. Il est déjà prévu qu'un salarié employé dans les six derniers mois par l'entreprise ne puisse être ainsi recruté, et cette précision n'a pas été retenue par les partenaires sociaux. Avis défavorable.
Les amendements COM-2 et COM-9 ne sont pas adoptés.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - L'amendement COM-8 vise à conditionner le recours au CVE à la publication d'indicateurs relatifs à l'emploi des seniors. Les partenaires sociaux n'ont pas retenu ces modalités lors de leurs négociations. Par ailleurs, un comité de suivi et d'évaluation est prévu : il semble plus pertinent qu'une obligation à l'échelle de l'entreprise. Avis défavorable.
L'amendement COM-8 n'est pas adopté.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Les amendements COM-1 et COM-12 visent à supprimer la communication de la date de retraite à taux plein à l'employeur. Cette précision est importante tant pour le salarié que pour l'employeur, pour lui permettre d'avoir davantage de prévisibilité. Ces amendements sont contraires à l'ANI, et reviennent à supprimer le principal motif du recours au CVE pour les employeurs. L'avis est défavorable.
Les amendements COM-1 et COM-12 ne sont pas adoptés.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Les amendements identiques COM-3 et COM-11 tendent à supprimer l'exonération de la contribution patronale spécifique sur l'indemnité de mise à la retraite. Cela reviendrait sur l'accord conclu par les partenaires sociaux. L'avis est défavorable.
Les amendements identiques COM-3 et COM-11 ne sont pas adoptés.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - L'amendement COM-10 concerne la remise d'un rapport d'évaluation intermédiaire. Il est en partie satisfait, car nous prévoyons que le rapport d'évaluation soit remis au Parlement avant les cinq ans qui suivent la promulgation de la loi. Raccourcir le délai nous ferait courir le risque de ne pas disposer suffisamment d'éléments, dans la mesure où les salariés recrutés n'auront pas encore atteint l'âge de mise à la retraite. Avis défavorable.
L'amendement COM-10 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles 5 et 6
Les articles 5 et 6 sont successivement adoptés sans modification.
Article 7
L'amendement de coordination juridique COM-18 est adopté.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 8
L'amendement de coordination légistique COM-19 est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 9
L'article 9 est adopté sans modification.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Nous nous sommes tous interrogés sur l'article 10, et même si nous partageons la même volonté, nous n'avons pas tous pris le même chemin. Comme les auteurs des amendements identiques COM-4 et COM-6, nous comptions initialement supprimer l'article 10. En revanche, les partenaires sociaux nous ont demandé de le conserver, car s'ils parvenaient à conclure un accord d'ici au 15 juin prochain, dans les délais prévus par le document d'orientation du Gouvernement, nos collègues députés pourraient intégrer cet éventuel accord national interprofessionnel en lieu et place de cet article. Supprimer l'article 10 aurait été de nature à supprimer toute possibilité d'accroche législative de ces dispositions.
En revanche, au-delà du fait que nous devons garder une telle accroche, nous devons éviter deux écueils. Tout d'abord, nous ne voulons pas émettre une injonction aux partenaires sociaux. Ensuite, nous voulons garder un regard sur les conclusions de l'accord national interprofessionnel.
Nous avons donc choisi de faire de cet article une sorte de coquille vide. Nous avons réinséré, en lieu et place de l'habilitation à légiférer par ordonnance, le document d'orientation du Gouvernement. Nous supprimons donc l'habilitation à légiférer par ordonnance, sans pour autant se priver, lors d'une audition des rapporteurs ou d'une réunion de notre commission, d'aborder de nouveau ce sujet si jamais les partenaires sociaux concluent un accord, et de voir si cet accord est retranscrit de la meilleure manière possible, en accord avec les demandes des partenaires sociaux.
Nous demandons donc le retrait des amendements identiques COM-4 et COM-6 au profit de l'amendement COM-20, car ce dernier permet de conserver une accroche législative, de supprimer l'ordonnance et éventuellement de reprendre la discussion avec les partenaires sociaux.
Mme Raymonde Poncet Monge. - J'entends les engagements qui ont été pris, mais nous devons être certains que le texte pourra revenir devant nous, sans qu'il soit renvoyé en commission mixte paritaire. Nous avons fait l'amère expérience, avant-hier, de voir l'Assemblée nationale adopter une motion de rejet sur la proposition de loi de notre collègue Laurent Duplomb.
En l'occurrence, les syndicats ont pu procéder, en toute conscience, à un vote analytique sur chaque ANI. Pour notre part, nous recevons un paquet sur lequel nous devons légiférer, sans savoir ce que pourra être le vote final en cas de désaccord.
M. Philippe Mouiller, président. - Je comprends ce que vous dites, chère collègue. Toutefois, sachez que nous garderons la main, quoi qu'il advienne. Nous nous sommes mis d'accord pour rejeter les ordonnances sur ce texte. Si nous nous sommes positionnés ainsi, c'est davantage pour les syndicats et les organisations patronales que pour le Gouvernement.
Nous voyons bien la volonté d'accélérer sur ce sujet afin qu'un accord puisse être conclu avant l'été, mais nous avons aussi notre mot à dire. Si un accord était bel et bien signé, nous devrions attendre que le Gouvernement dépose un nouveau texte. On nous demande d'aller vite grâce à ce support législatif, mais, en contrepartie, j'aurai la possibilité, en tant que président de la commission des affaires sociales, de convoquer les acteurs concernés pour évoquer ce sujet, avant la tenue de la commission mixte paritaire.
Les amendements identiques COM-4 et COM-6 sont retirés.
L'amendement COM-20 est adopté.
L'article 10 est ainsi rédigé.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président -
La santé scolaire - Audition du docteur Frédérique Charasson, présidente de la Société française des médecins de l'éducation nationale, de MM. Laurent Chazelas, président de l'Association française des psychologues de l'éducation nationale, Marc Pelletier, sous-directeur de l'action éducative au sein du service de l'accompagnement des politiques éducatives de la direction générale de l'enseignement scolaire, et de Mme Priscillia Chazel, présidente de la Société française des infirmiers en santé scolaire
Mme Pascale Gruny, président. - Nous recevons à présent, dans le cadre d'une table ronde sur la santé scolaire, Mme Frédérique Charasson, présidente de la Société française des médecins de l'éducation nationale (Sofmen), M. Laurent Chazelas, président de l'Association française des psychologues de l'éducation nationale (Afpen), M. Marc Pelletier, sous-directeur de l'action éducative au sein du service de l'accompagnement des politiques éducatives de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), et Mme Priscillia Chazel, présidente de la Société française des infirmiers en santé scolaire (Sofiss).
La présente réunion s'inscrit dans un contexte où l'importance de la santé scolaire a été soulignée par le Gouvernement. Lors des assises de la santé scolaire, qui se sont tenues il y a deux semaines, la ministre de l'éducation nationale, Élisabeth Borne, a annoncé vouloir engager une refondation ambitieuse de la santé scolaire. Elle a notamment évoqué la revalorisation des salaires des médecins, l'augmentation des effectifs d'infirmiers et de psychologues et la systématisation du bilan de santé pour tous les élèves à partir de la rentrée 2026.
Je vais laisser la parole à nos invités pour un propos liminaire. Ils pourront ainsi nous livrer leur vision du plan annoncé par la ministre et les moyens, notamment humains et financiers, que celui-ci requiert pour atteindre les objectifs fixés.
Mme Frédérique Charasson, présidente de la Société française des médecins de l'éducation nationale. - Je suis à la fois présidente de la Sofmen et médecin conseiller technique adjoint dans les Yvelines ; mon activité s'élève à 20 % sur le secteur. Je travaille également auprès de l'éducation nationale en tant que médecin, depuis 2006.
Le résultat des assises de la santé scolaire a été accueilli favorablement par les médecins conseillers techniques et les médecins de secteur. Ils ont toutefois exprimé des inquiétudes sur la mise en oeuvre des dispositifs annoncés.
L'allégement des tâches administratives nous semble essentiel pour dégager du temps médical. Les médecins pourraient ainsi faire davantage de visites individuelles au profit des élèves et contribuer à la promotion de la santé.
Promouvoir la santé suppose d'accomplir des missions d'expertise et de conseil auprès des équipes et, dans le même temps, d'analyser les données épidémiologiques recueillies, afin de conduire des projets de santé au sein des écoles.
Concernant la rémunération des médecins scolaires, nous nous réjouissons des annonces de la ministre. Cependant, nous exprimons quelques réserves sur la mise en oeuvre de la revalorisation des contractuels, qui vise à renforcer l'attractivité du métier. Nous appelons votre attention sur la situation des médecins titulaires qui, en dépit de leurs longues années d'expérience, pourraient percevoir un salaire inférieur.
À l'heure actuelle, on compte 600 médecins scolaires pour 1 500 postes. Étant maître de stage universitaire, j'accueille de jeunes internes au sein de l'éducation nationale. Je sais donc, en raison de ces fonctions, que nous devons réduire les tâches administratives et augmenter les salaires si nous voulons attirer les jeunes.
Nous devons, en parallèle, mener un travail en partenariat avec les doyens des universités. Compte tenu de la démographie médicale, les médecins scolaires se retrouvent aujourd'hui en compétition avec les praticiens des autres spécialités.
Les médecins scolaires, au-delà de leur doctorat en médecine générale ou spécialisée, doivent passer un deuxième concours pour être titularisés. Ils reçoivent en outre une formation d'un an à l'École des hautes études en santé publique (EHESP). Ils ont donc des compétences supplémentaires qui, hélas, ne sont pas reconnues comme une spécialité.
Enfin, ils sont soumis aux obligations du développement professionnel continu (DPC), qui est un important sujet de travail, notamment pour les jeunes médecins. En ce domaine, les choses ne sont pas claires ; nous ne savons pas exactement à quel conseil national professionnel (CNP) nous sommes rattachés. Doit-on s'inscrire dans le cadre de la santé publique ou dans celui de la médecine générale, ou bien les deux à la fois ? Nous manquons de précisions sur ce sujet, la médecine scolaire n'étant toujours pas reconnue comme spécialité.
M. Laurent Chazelas, président de l'Association française des psychologues de l'éducation nationale. - L'Afpen, qui existe depuis 1962, représente environ un tiers de la profession. Elle compte ainsi entre 800 et 1 200 adhérents, essentiellement des psychologues qui travaillent dans l'enseignement de premier degré. Nous sommes également affiliés à l'International School of Psychology Association (ISPA). Nous disposons, à ce titre, de deux représentants à l'Unesco.
On compte environ 8 000 psychologues de l'éducation nationale (psys-EN), répartis entre le premier et le second degré. Ils font partie d'un nouveau corps unique de la fonction publique, créé en février 2017, et assurent de nouvelles missions dans le cadre de deux spécialités : éducation, développement et apprentissage dans le premier degré ; éducation, développement et orientation dans le second degré.
Cette reconnaissance statutaire était importante pour les psychologues scolaires. À ce moment-là, la France était le seul pays, avec la Russie, qui disposait de psychologues issus du corps enseignant, ce qui n'est maintenant plus le cas. On observe donc une évolution de la place des psychologues dans la société, avec des demandes en forte augmentation.
Le nombre de postes est resté stable depuis une vingtaine d'années. Aujourd'hui, on compte environ un psy-EN pour 1 600 élèves, alors qu'il faudrait un psychologue pour 800 élèves, selon les recommandations européennes. Sur ce sujet, je vous renvoie au rapport Bien-être et santé des jeunes, publié par Marie-Rose Moro et Jean-Louis Brison en 2016.
Les psys-EN ne sont pas des professionnels de santé ni, en conséquence, des praticiens paramédicaux. Ils participent néanmoins à la santé et au bien-être.
L'Afpen se réfère à la définition de la santé telle qu'elle a été arrêtée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »
Les psychologues scolaires jouent un rôle important dans la promotion et la protection de la santé mentale. Ils sont attentifs à la dimension psychique des enfants et des adultes qui fréquentent l'école.
Notre association vise à promouvoir les apports de la psychologie et des psychologues au sein de l'institution scolaire. Nous oeuvrons beaucoup pour que les psys-EN sortent de l'invisibilité dans laquelle ils se trouvent, au moins pour des raisons d'organisation fonctionnelle. S'ils sont reconnus et très appréciés des enseignants, avec lesquels ils travaillent au plus près du terrain, ils sont aujourd'hui isolés, notamment dans l'enseignement de premier degré, sans être toujours mobilisés pour les missions et compétences qui sont les leurs.
Leur place au sein du programme de lutte contre le harcèlement à l'école (Phare) n'a pas été bien pensée. Ils sont rarement nommés comme « référents école pour tous » ou « référents santé mentale » au sein des circonscriptions.
Depuis la création du corps des psys-EN, en 2017, notre association demande que la profession, comme les autres, puisse être représentée au sein des directions des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN), des rectorats et du ministère, afin de rendre visibles et de structurer les missions des psychologues et, surtout, d'améliorer la coordination avec les autres disciplines et professions.
Plusieurs rapports ont formulé des préconisations en ce sens. Je pense notamment au rapport publié par Erwan Balanant en 2020, Comprendre et combattre le harcèlement scolaire, au rapport de François-Noël Buffet sur le signalement et le traitement des menaces dont les enseignants sont victimes, paru la même année, et à celui du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) sur la santé mentale, publié en 2023.
Nous sommes très heureux qu'Élisabeth Borne ait annoncé la création de psychologues conseillers techniques. Toutefois, nous regrettons le qualificatif de « santé mentale », qui nous paraît trop restrictif. Il singularise par trop ces professionnels vis-à-vis des autres, notamment les médecins, les infirmières et les assistants sociaux.
Nous souhaitons la création d'une centaine de psychologues conseillers techniques à l'échelon national, mais cela ne doit pas se faire à moyens constants. Il n'est pas question d'avoir encore moins de postes pour les élèves et les enseignants ; ce serait préjudiciable au travail de proximité de repérage de premier niveau auquel nous participons.
Grâce aux quelque 8 000 postes de psys-EN répartis sur l'ensemble du territoire national, nous proposons un service relativement accessible et gratuit à l'ensemble des familles, quelles qu'elles soient.
Notre profession reste fragile, comme l'ensemble des métiers liés à l'enfance au sein de la fonction publique d'État. Nous connaissons notamment des difficultés d'attractivité et une baisse des effectifs. L'appel de plus en plus important à des contractuels nuit à l'inscription pérenne de notre action dans les écoles, ce qui précarise in fine notre dispositif.
M. Marc Pelletier, sous-directeur de l'action éducative au sein du service de l'accompagnement des politiques éducatives de la direction générale de l'enseignement scolaire. - Je précise avant toute chose que la Dgesco possède un bureau consacré à la santé scolaire et à l'action sociale, chargé d'appliquer la politique de santé scolaire. J'articulerai mon propos en trois points. Tout d'abord, je préciserai ce qu'on entend par « santé scolaire », car je sais que cette notion suscite énormément de confusion. Ensuite, je ferai un état des lieux de la santé scolaire, en partant des besoins des élèves. Enfin, j'indiquerai la manière dont nous avons préparé les assises de la santé scolaire et les mesures annoncées par la ministre de l'éducation nationale.
Qu'appelle-t-on « santé scolaire » et quels sont ses grands principes ? Tout d'abord, selon notre conception, la santé scolaire est un déterminant majeur de la réussite des élèves. En cela, elle constitue une priorité de notre politique éducative.
Elle désigne, au sens large, l'organisation institutionnelle de la politique de santé scolaire au sein de l'école. Sa mise en oeuvre repose sur l'implication de nombreux acteurs : les personnels sociaux et de santé - infirmiers, médecins, psychologues, assistants sociaux - et l'ensemble de la communauté éducative, à savoir les personnels éducatifs et les enseignants, mais aussi les personnels d'encadrement qui exercent au sein des établissements.
Quelle est la philosophie générale qui sous-tend notre action ? Depuis 2018, nous sommes inscrits dans une démarche « École promotrice de santé », qui prend appui sur les recommandations internationales. Elle vise à développer une approche de la santé globale et systémique.
Je le précise, cette approche est positive : depuis 2018, nous avons cessé de dire ce qu'il ne fallait pas faire ; à l'inverse, nous nous sommes efforcés de promouvoir de bons comportements. Il s'agit là d'un basculement majeur.
Nous travaillons à renforcer la coordination des actions de promotion de la santé, à améliorer les conditions environnementales de la scolarité et à encourager des comportements favorables à la santé des élèves. Notre ambition consiste à donner aux élèves les moyens d'agir sur leurs propres déterminants de santé.
Il s'agit bien d'une approche globale et intégrée, qui repose sur une action éducative. La démarche « École promotrice de santé » met l'accent sur le développement des compétences psychosociales, afin que les élèves adoptent des comportements qui leur soient favorables.
Bien sûr, cette politique doit s'articuler avec d'autres éducations transversales, notamment la lutte contre le harcèlement et le développement durable. En outre, elle est un vecteur important de lutte contre les inégalités en matière de santé, puisque nous essayons de prioriser les interventions auprès des familles les plus éloignées des structures de santé.
L'école promotrice de santé intègre la prévention, le repérage, l'éducation et la protection des élèves.
Pour ce faire, nous travaillons en complémentarité avec l'ensemble de la communauté éducative, mais aussi avec des partenaires extérieurs, des partenaires institutionnels, au premier rang desquels le ministère de la santé puisque nous nous inscrivons dans une démarche de santé publique.
L'école n'est pas un lieu de soins au sens propre du terme. C'est un lieu où l'on va éduquer, où l'on va détecter, où l'on va apporter une première réponse avant d'adresser et d'accompagner l'élève et sa famille.
Notre préoccupation première, ce sont les besoins des élèves. Or ces besoins ont profondément évolué ces dernières années. En outre, la situation est préoccupante à bien des égards. Nous constatons une augmentation significative des besoins en santé mentale, ce que confirment de nombreuses enquêtes.
Par ailleurs, l'attention portée au premier degré, c'est-à-dire aux élèves les plus jeunes, est insuffisante. Notre action porte beaucoup plus sur le second degré, alors même que l'importance de la prévention dès le plus jeune âge, notamment pour repérer les troubles des apprentissages, est connue.
Il nous semble également nécessaire de renforcer la protection de l'enfance. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place le plan Brisons le silence. Nous savons pouvoir compter sur l'engagement extrêmement fort des personnels, comme l'ont souligné un certain nombre de rapports. Mais, de manière générale, nous observons une dégradation des conditions d'exercice de ces personnels ou un accroissement des difficultés.
Nous souffrons aussi d'un déficit très net d'attractivité, près de la moitié des postes de médecin scolaire n'étant pas pourvus, faute de candidats. Il s'agit d'une réelle difficulté.
C'est dans ce cadre que Mme la ministre a décidé d'organiser les assises de la santé scolaire, qui s'inscrivaient dans la continuité des assises de la santé et de la pédiatrie. Ces assises ont reposé sur une concertation vaste des organisations professionnelles, syndicales, représentatives des personnels, ainsi que sur un questionnaire en ligne. Il y a eu plus de 30 000 réponses, ce qui nous a permis de dresser les besoins et d'insister sur différents aspects.
Il faut d'abord souligner le fort attachement à ce que la santé scolaire reste bien dans le giron de l'éducation nationale. Les résultats de l'enquête l'ont montré de manière extrêmement claire. C'est sans doute dû au fait que l'approche est tellement intégrée, tellement complémentaire avec l'ensemble de la communauté éducative, qu'il n'est pas certain qu'une autre organisation aurait la même efficacité.
Mme la ministre a annoncé un certain nombre de mesures, je n'en reprendrai que quelques-unes.
La première consiste à réaffirmer la triple mission de la santé scolaire autour de la prévention, de la détection et de la promotion de la santé, ainsi que le recentrage des personnels sur leur coeur de métier. L'alourdissement des tâches administratives nuit au temps médical, ce qui entraîne une perte de temps médical effectif.
La deuxième est la nécessité de renforcer la détection dès le plus jeune âge. Il s'agit donc de porter une attention particulière sur le premier degré, ainsi que de rendre effectifs les bilans obligatoires, notamment le bilan de 6 ans, qui est réalisé de manière trop aléatoire selon les départements. Un certain nombre de dispositions ont été proposées, notamment sur la santé mentale.
Je vais énumérer les mesures qui entreront en vigueur dès la rentrée 2025, sachant que d'autres mesures seront mises en place ultérieurement, notamment en termes d'attractivité et de rémunération, parce qu'elles ne peuvent être abordées que dans le cadre du projet de loi de finances.
Je pense tout d'abord à la désignation et à la formation de deux personnels de référence en santé mentale dans chaque circonscription, collège et lycée et à la nomination, qui a été évoquée, de 100 psychologues de l'éducation nationale en qualité de conseillers techniques en santé mentale. Cela ne signifie pas pour autant que leur action se limitera à cette dimension ; il s'agit surtout de souligner une forme de spécificité et leur expertise en la matière.
En ce qui concerne la santé mentale, nous voulons une mise en place systématique de protocoles spécifiques au sein des établissements, afin d'établir une démarche d'ensemble allant du repérage jusqu'à la prise en charge des élèves.
Troisième mesure qui entrera en vigueur dès la rentrée, la création de pôles départementaux de santé, de bien-être et de protection de l'enfance, placés sous l'autorité du directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) pour permettre l'établissement d'une feuille de route la plus claire possible et adaptée aux territoires.
D'autres mesures sont attendues, mais nous devons encore travailler avec les personnels concernés et les organisations syndicales.
Mme Priscillia Chazel, présidente de la Société française des infirmiers en santé scolaire. -Je suis infirmière diplômée en pratique avancée (IPA) et présidente de la Sofiss, association loi 1901 créée en 2024 par des infirmiers de l'éducation nationale en formation IPA. Cette association est neutre, apolitique et indépendante. Elle oeuvre pour la santé et la réussite des élèves, de la scolarisation obligatoire jusqu'aux études supérieures, en garantissant équité, accès et qualité des soins en milieu scolaire.
Nous promouvons le leadership clinique infirmier, le développement de la recherche et des projets innovants pour enrichir les pratiques de soins. La proposition de loi sur la profession d'infirmier et les assises de santé scolaire sont une opportunité pour nous de partager notre expertise et de contribuer à l'évolution des prises en charge en milieu scolaire.
La santé scolaire fait face actuellement à des défis croissants. La santé mentale des jeunes se dégrade, avec une augmentation des troubles anxieux et des tentatives de suicide. Les troubles neurodéveloppementaux touchent un enfant sur six. Les violences affectent trois enfants par classe et le nombre d'élèves en situation de handicap a triplé depuis 2006. Les pathologies chroniques concernent 15 % des adolescents et les facteurs de risque, tels que le surpoids, l'obésité, les addictions, le faible niveau de littératie en santé et la précarité sont aussi considérables.
Les élèves ont besoin de soins primaires, de respect, de relations de confiance, de prévention dans toutes ses dimensions, de parcours de soins coordonnés, adaptés, respectés, avec du personnel formé, des soins de qualité et, enfin, une approche holistique, systémique et familiale.
La profession d'infirmier fait face à des défis structurels que nous connaissons tous, notamment en termes d'effectifs. Nous savons que cela affecte la réalisation de nos missions. Le système de santé scolaire est dépassé face à ces besoins complexes. Les infirmiers doivent gérer des situations bio-psycho-sociales complexes, des inégalités d'accès aux soins et s'adapter sans cesse.
Les besoins des infirmiers incluent la reconnaissance de la profession, leur autonomie, le renforcement de l'attractivité, l'amélioration des pratiques et de la prévention, une optimisation de l'organisation et des ressources. Le plan visant à renforcer la médecine scolaire et la proposition de loi sur la profession d'infirmier sont des leviers pour répondre à ces défis. Ils visent à renforcer la prévention, le dépistage précoce, les partenariats, l'appui aux équipes et la sensibilisation, tout en donnant priorité à la santé mentale.
La proposition de loi adoptée au Sénat reconnaît les infirmiers scolaires comme une spécialité autonome et autorise les infirmiers en pratique avancée à exercer en équipe pluriprofessionnelle en lien avec un médecin. Cela renforce leur rôle dans les soins, la prévention et la coordination des parcours de santé tout en respectant le code de déontologie.
Le plan de santé scolaire est ambitieux, mais nous nous interrogeons sur sa mise en oeuvre. Quel acteur pourrait réaliser les dépistages précoces, les projets d'accueil individualisé (PAI), les visites médicales des lycéens ? accompagner les établissements dans la démarche de mise en place de protocoles de santé mentale ? former les chefs d'établissement ? De quelle manière pourrait-on organiser le travail collaboratif avec toutes les structures ? Comment structurer les pôles départementaux santé, bien-être et protection de l'enfance ?
Il semble nécessaire de veiller à la bonne articulation entre la proposition de loi et le plan de santé scolaire.
Pour rappel, l'article 1er de ladite proposition de loi dispose que « l'infirmier initie, réalise, organise et évalue les soins infirmiers. Il effectue des consultations infirmières et pose un diagnostic infirmier ». En outre, il dispense « des soins infirmiers préventifs, curatifs, palliatifs, relationnels » et contribue « à l'orientation de la personne ainsi qu'à la coordination et à la mise en oeuvre de son parcours de santé ». Il concourt également à la recherche.
Dès lors, différents axes de travail s'ouvrent : respect du code de déontologie des infirmiers ; autonomie de l'infirmier ; rôle renforcé de ce dernier dans la prévention et l'éducation à la santé ; développement de la recherche ; attractivité de la profession ; reconnaissance et conditions de travail ; et enfin pratique avancée.
L'IPA apparaît comme un acteur moderne de la santé scolaire au regard de ses compétences cliniques de coordination, de communication, d'éthique, de recherche et de leadership. Il peut contribuer à adapter l'offre de soins et les compétences professionnelles dans les établissements scolaires pour que la bonne intervention soit donnée au bon moment aux bons élèves.
La Sofiss soutient pleinement le plan de santé scolaire et la proposition de loi sur la profession d'infirmier, qui marquent un tournant pour notre profession. Les infirmiers en santé scolaire sont des acteurs clefs pour garantir les prises en charge équitables, continues et adaptées aux besoins complexes des élèves, en santé mentale comme physique.
Pour relever ces défis, il paraît nécessaire de renforcer l'autonomie, la formation, la reconnaissance des infirmiers tout en développant des équipes pluridisciplinaires. Les avancées permettent d'envisager des axes de travail innovants. La Sofiss souhaite que les infirmières de l'éducation nationale puissent s'épanouir dans leur profession et affirmer pleinement leur rôle dans la santé des élèves.
Pour aller plus loin, ne pourrait-on élargir la prévention et l'éducation à la santé sur l'ensemble des déterminants de santé tout au long de la scolarité ? Ainsi, nous proposons la mise en place d'un groupe de travail ministériel en collaboration avec toutes les parties prenantes afin de réfléchir au modèle Peps (programme d'éducation prévention santé) et de moderniser le système de santé scolaire.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Selon vous, comment la santé scolaire peut-elle mieux intégrer les questions liées aux addictions, notamment au regard de la consommation de nouvelles substances comme la métatine ? Comment s'emparer de ce genre de problématiques en milieu scolaire ? Quelles difficultés rencontrez-vous dans le partage d'informations et la coordination interprofessionnelle ?
Madame Chazel, vous avez largement évoqué la proposition de loi sur la profession d'infirmier, dont la commission mixte paritaire se réunira mardi prochain. Ce texte prévoit d'ouvrir l'exercice infirmier en pratique avancée dans les établissements scolaires. Dans un contexte où les besoins en santé scolaire se complexifient, quels effets attendez-vous de cette mesure ? L'arrivée des IPA pourrait-elle transformer la réponse aux problématiques de prévention et de suivi des élèves, tout en renforçant la coordination entre les différents acteurs éducatifs et médicaux ?
Mme Jocelyne Guidez. - Je voudrais revenir sur la loi du 15 novembre 2024 visant à améliorer le repérage et l'accompagnement des personnes présentant un trouble du neurodéveloppement (TND), qui impose notamment la désignation du référent TND. Cette disposition me semble très importante pour favoriser la formation des équipes pédagogiques à l'accueil de ces élèves et la mise en oeuvre de dispositifs spécifiques en primaire comme en secondaire.
Ma question porte sur l'application concrète de ces mesures. Constatez-vous une montée en compétences de l'ensemble des professionnels de santé scolaire - médecins, psychologues, infirmiers - sur les TND ? Les formations dispensées permettent-elles réellement d'acquérir une culture commune du repérage et de l'accompagnement ? Comment sont-elles articulées avec les formations des enseignants ? Enfin, avez-vous identifié des freins opérationnels - manque de temps, d'ingénierie, de formation ou tout simplement d'effectifs - qui pourraient compromettre l'efficacité de cette ambition législative ?
Mme Marion Canalès. - À Clermont-Ferrand, il existe un service de médecine scolaire municipal depuis 1946. La ville a souhaité maintenir dix infirmières et une diététicienne, faute de médecins scolaires.
Ma question est plutôt axée sur la santé sexuelle. L'école est un espace privilégié pour développer des actions de promotion et de prévention en matière de santé. Les infections sexuellement transmissibles (IST) sont en augmentation depuis les années 2000. La question de l'éducation à la vie affective et sexuelle à l'école est essentielle. Elle a d'ailleurs été au coeur de récents débats, pour ne pas dire de polémiques, lors de la présentation du nouveau programme.
Cet épisode est-il le signal d'une résistance active, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'école, à la mise en oeuvre de cette politique de prévention, y compris peut-être par des acteurs de la santé qui pourraient demander à être mieux accompagnés face à ces controverses afin d'être au service des élèves et de pouvoir mettre en oeuvre ce programme dès la rentrée 2025 ?
Mme Marie-Pierre Richer. - Comme cela a été rappelé, depuis 2005, le nombre d'enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a été multiplié par trois, atteignant 513 000 à la rentrée 2024, et le nombre d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) a lui aussi beaucoup progressé.
Quelles ont été les conséquences du développement de l'école inclusive sur les missions des professionnels de la santé scolaire ?
Une démarche de rapprochement entre l'éducation nationale et le secteur médico-social est aujourd'hui promue, notamment par le biais de l'expérimentation des pôles d'appui à la scolarité (PAS), pour améliorer l'orientation des enfants en situation de handicap. La santé scolaire est-elle associée à cette démarche ? Quelle est la nature de vos contacts avec les AESH, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et, plus généralement, le milieu médico-social ?
Mme Nadia Sollogoub. - Ma première question est inspirée des travaux que nous menons conjointement dans le cadre d'une mission d'information sur la prévention en santé. Elle porte sur l'âge idéal pour la prévention en milieu scolaire. La visite médicale obligatoire est réalisée de façon imparfaite. Selon les chiffres de la Cour des comptes de 2020, le taux de visite médicale des enfants de 6 ans a chuté de 8 points entre 2013 et 2018 pour atteindre un niveau historiquement bas de 18 %.
Il y a deux écoles de pensée. L'inspection générale des affaires sociales (Igas), qui a fait un rapport avec l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, propose de fusionner ce bilan médical de sixième année avec celui des 3-4 ans. En revanche, le ministère de la santé propose de fusionner les visites médicales pour les élèves de 6 ans. Quel est l'âge idéal et quelle serait la bonne solution ?
Ma deuxième question est inspirée de mon expérience dans mon territoire. Dans un collège, certains élèves ont subi des attouchements par un membre personnel de l'éducation nationale. Lorsque les enfants ont commencé à parler, deux difficultés sont apparues, même si tout le monde, de la chef d'établissement au Dasen, a très bien réagi.
Devant l'afflux de demandes, venant non seulement des élèves qui étaient concernés, mais aussi de toutes les fratries et familles, nous nous sommes demandé s'il était possible d'organiser une prise en charge avec la médecine de ville, notamment les psychologues, quand les moyens matériels de la médecine scolaire se révélaient insuffisants.
Par ailleurs, les enfants qui ont été entendus n'étaient pas en confiance, parce qu'ils considéraient les personnels de la médecine scolaire comme des collègues de la personne qui avait été maltraitante. Ils préféraient donc libérer leur parole en dehors du milieu scolaire.
Serait-il pertinent, dans ces cas très particuliers, de structurer et d'organiser en amont les relations avec le tissu de ville ?
Mme Florence Lassarade. -J'ai reçu des médecins scolaires à ma permanence qui se sont plaints de l'impossibilité de redevenir médecin généraliste. Est-ce toujours d'actualité ? Y a-t-il une perméabilité entre les deux secteurs ?
Par ailleurs, j'aurais voulu connaître votre position sur les écrans, y compris les tableaux numériques en maternelle ? En 2017, les maires se félicitaient de ce que chaque école maternelle de Gironde serait équipée de tableaux numériques. Est-ce un bon signal vis-à-vis des enfants ? Quelle action de prévention peut-on mener quant à l'utilisation des écrans ?
Quel est votre rôle en termes de prévention des usages des réseaux sociaux ?
Les écrans augmentent nettement le risque de myopie. Celle-ci est-elle toujours dépistée à l'école ?
Une chaire « santé en mouvement » a été créée à Clermont-Ferrand. Son instigatrice avait voulu développer les systèmes de vélo-bureaux pour lutter contre les effets de la sédentarité. Or ces vélo-bureaux ont aussi un effet très positif sur les enfants porteurs de troubles du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et sur les enfants trop sédentaires. Cela peut-il constituer une solution partielle au problème de sédentarité ?
Mme Anne Souyris. - Que pensez-vous du fait que la santé scolaire ait été élevée au rang de spécialité infirmière ? Est-ce une demande de l'ensemble des professions de santé scolaire ? Est-ce important à vos yeux ?
Que pensez-vous du traitement des troubles de l'apprentissage ? Après la phase de dépistage, souvent, il ne se passe pas grand-chose...
À Paris, lorsque j'étais adjointe à la santé, nous avions mis en place un dispositif Santé réussite, qui poursuivait le travail de la santé scolaire, en concertation avec celle-ci, au-delà du dépistage. Mais Paris est une ville qui dispose d'importants moyens. Il existe une inégalité de territoires manifeste sur ces sujets. Comment traitez-vous cette question ?
Mme Priscillia Chazel. - J'ai mené une étude sur les addictions. J'ai interrogé 400 jeunes d'un collège breton pour connaître leur niveau de littératie en santé. J'ai croisé les données avec les consommations d'alcool et il s'est avéré que le niveau de littératie était modéré et que les jeunes consommaient de l'alcool dès 11 ans. Quand on analyse finement les données, on voit que l'autonomisation est un vrai levier.
À la suite de cette étude, les élèves ont demandé à ce que la santé soit enseignée comme une matière scolaire à part entière. Il me paraît nécessaire de mener un dépistage et un repérage précoces, dès le premier degré. Il faudrait questionner les jeunes sur leur consommation, sur leur environnement, sur la manière dont ils vivent, savoir si les parents consomment de l'alcool à table... L'élève a besoin d'être pris en charge de façon globale, systémique. C'est tout l'environnement familial qui est à prendre en compte, toutes addictions confondues, pas seulement sur les drogues.
Mme Frédérique Charasson. - Vous avez évoqué le lien entre médecine de ville et médecine scolaire. Comment faire quand la médecine scolaire n'est pas en mesure de prendre en charge tous les élèves ? Je pense que l'on peut alors s'appuyer sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). C'est ce que nous faisons dans mon territoire ; il s'agit d'un lien à développer.
En ce qui concerne la perméabilité entre médecine scolaire et reprise d'un exercice libéral, à partir du moment où l'on est titularisé en tant que médecin scolaire ou que l'on exerce la médecine scolaire depuis plus de trois ans, il faut passer par une formation. C'est une exigence déontologique qui se comprend.
La question des addictions est prise en compte dès le plus jeune âge dans le cadre des programmes d'éducation à la santé. Bien évidemment, il faut adapter le discours à l'âge de l'enfant. Il s'agit d'apprendre aux tout petits à valoriser leur estime de soi, à savoir dire non, etc. Ensuite, il faut progresser avec l'âge.
Il est surtout essentiel de ne pas travailler en silo. Les parcours de santé et les parcours éducatifs doivent se coordonner, en lien avec les analyses territoriales, les besoins n'étant pas partout les mêmes.
Vous évoquiez la fusion du bilan de maternelle - un bilan qui n'est pas forcément bien fait. La couverture des dépistages des 3 à 4 ans est à la charge de la PMI. Cette couverture est très inégale en fonction des territoires. En tant que médecins scolaires, nous travaillons en lien avec les PMI. Si, en amont, ces dépistages ne sont pas effectués, nous nous efforçons ensuite de repérer les enfants qui ont échappé à ce dépistage et qui ont besoin d'un suivi. Nous croisons les données dans un parcours sécurisé avec les données remontées par les enseignants. Les médecins scolaires analysent toutes les données, notamment les fiches remplies par les parents. C'est un travail lourd, qui n'aboutit pas systématiquement à une visite médicale. Pour autant, il y a bien une analyse, qui n'apparaît pas dans les chiffres que vous avez cités, mais qui a le mérite d'exister.
Un programme associant les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) est en cours de déploiement sur le dépistage des troubles visuels en petite section.
La PMI intervient avec le bilan de santé en école maternelle. Le carnet de santé pose des âges clefs avec des dépistages obligatoires. L'entrée en CP en fait partie, mais nous allons travailler sur ce point, avec des groupes de travail, pour savoir s'il est pertinent de faire intervenir le médecin de l'éducation nationale en grande section ou s'il est préférable de se donner un peu de temps et d'attendre le CP, par exemple.
En ce qui concerne la myopie, les CPAM effectuent un dépistage en petite section et les infirmières en font systématiquement un autre en sixième.
M. Laurent Chazelas. - Les trois niveaux prévention, accompagnement et orientation ont été évoqués au travers de vos questions. De manière générale, depuis la loi de 2005, les psychologues de l'éducation nationale ont été fortement impliqués dans le repérage.
Les pathologies apparaissent souvent à l'école maternelle. Nous sommes le premier professionnel que rencontrent les familles. Toutefois, nous sommes très pris par la rédaction des bilans, qui reviennent tous les deux ans. Ces formalités phagocytent beaucoup notre travail et diminuent d'autant notre rôle en matière de prévention. Les nouvelles recommandations nous permettront peut-être d'être moins pris. Cela est d'autant plus important qu'il est très difficile pour les familles de rencontrer des psychologues en libéral.
Comme vous le savez, l'école ne va pas bien de manière générale. Il y a beaucoup de souffrance de la part des enseignants, qui accueillent un nombre important d'enfants en situation de handicap, d'enfants qui souffrent ; or quand un enfant souffre, son entourage souffre aussi.
Nous sommes présents pour accompagner les enseignants sur le terrain. Nous sommes vraiment des personnels ressources, nous prenons le temps de l'accueil. Nous accompagnons aussi, autant que faire se peut, le travail des AESH.
Pour ce qui est du repérage des TND, l'offre de formation continue est quasi inexistante. Elle varie quelque peu en fonction des départements, mais toujours a minima. Il s'agit certes d'une problématique assez récente. En trente ans dans l'éducation nationale, je n'ai jamais eu une formation spécifique sur les TND... Nous sommes des professionnels, nous nous formons nous-mêmes, mais une aide de notre institution sur ces pathologies en progression serait bienvenue.
Je n'ai pas d'avis particulier sur l'âge idéal de dépistage. Nous ne faisons pas de repérage systématique, nous intervenons à la demande des enseignants, en observation dans les classes.
Nous travaillons en lien avec les établissements d'accueil médico-sociaux, tous ceux qui relèvent du sanitaire comme, par exemple, les centres médico-psychologiques. Mais les files d'attente sont longues. Les plateformes de coordination arrivent aussi à saturation. Nous nous retrouvons face à des familles et des enfants qui attendent de six mois à un an...
J'ai bien entendu vos interrogations en cas d'abus sexuel dans l'établissement. Nous nous considérons un peu dedans, un peu dehors. Il serait possible de mettre en place des protocoles particuliers et de faire intervenir des psychologues, des infirmiers, des médecins venant d'un autre secteur. Nous passons ensuite le relais non pas aux psychologues libéraux, mais aux centres médico-psychologiques. Nous restons du côté des structures publiques, même saturées.
En ce qui concerne la question de la spécificité de la santé mentale, je crois que les missions des psychologues sont très larges. Si l'on retient la définition de la santé de l'OMS, les enseignants, les artistes, tous participent à la santé. Nous savons combien les besoins sont importants en santé mentale. Le taux de tentative de suicide est très élevé en France chez les jeunes, notamment les adolescentes. En outre, les données de l'enquête Enabee montrent aussi de grandes difficultés dans les écoles primaires.
L'ensemble de nos missions font partie intégrante de la santé scolaire.
M. Marc Pelletier. - Sur les addictions, nous travaillons à l'échelle nationale en étroite collaboration avec le ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles . Nous avons mis en place un certain nombre d'actions, de programmes faisant appel à des intervenants extérieurs, dont les résultats m'ont surpris, notamment avec un recul de l'usage du tabac. Malheureusement, d'autres formes d'addiction se développent. Toutefois, nous sommes très vigilants sur cette question.
Il est certainement possible de mieux faire en termes de formation des personnels sociaux et de santé. Le pôle départemental que j'évoquais aura précisément pour mission de structurer cette offre de formation en l'adaptant à la fois aux besoins des personnels et à ceux des élèves.
En ce qui concerne les pratiques avancées, il s'agit tout de même d'un régime très particulier. Une pratique avancée en santé scolaire est-elle comparable à une spécialité avancée en santé mentale ou à une spécialité avancée de bloc ? Si l'on va dans ce sens, la question à se poser est de savoir comment exploiter des pratiques au bénéfice du meilleur suivi des élèves.
Toutefois, une difficulté concrète se pose : les pratiques avancées se font à un moment donné sous le regard d'un médecin ; or vous connaissez les difficultés démographiques que nous traversons.
La création d'une spécialité scolaire répond à une demande forte d'un syndicat d'infirmières. Je n'ai pas connaissance de demandes de spécialisation en santé scolaire d'autres catégories de personnels.
Sur les TND, je constate tout de même une formation de plus en plus précise des personnels enseignants.
Nous travaillons bien évidemment en lien avec l'école inclusive, même si nous agissons sur des registres un peu différents. La politique de santé scolaire s'adresse à tous les élèves.
Entre les pôles d'appui à la scolarité et les pôles départementaux que nous créons, il reviendra au Dasen de coordonner l'ensemble. L'idée mettre à disposition des établissements des ressources nouvelles.
Un rapport a effectivement préconisé de fusionner les bilans. Ce n'est pas notre idée et nous préférons maintenir le bilan de la PMI. Il est essentiel de continuer avec le bilan de 6 ans. Les deux exercices ont leur intérêt, à des âges clefs.
Nous nous attachons à la libération de la parole dans le cadre du plan « Brisons le silence ». Les élèves en internat, ceux qui reviennent de voyage scolaire, par exemple, remplissent des questionnaires. C'est un outil supplémentaire pour aider les élèves à signaler des faits, à libérer leur parole. Ils peuvent aussi appeler le 119 : nous avons mis en place pour les violences à caractère sexuelle et sexiste le même système que pour le harcèlement.
Un élève doit d'abord trouver du soutien auprès de sa famille, mais il doit aussi avoir confiance dans les adultes de l'établissement. S'il n'a ni ce soutien-là ni cette confiance-là, il peut appeler le 119. Nous mettons en place un système de transmission d'informations formalisées et systématiques à nos personnels ressources en département.
Parallèlement, nous mettons en place un certain nombre de protocoles pour aider les équipes à adopter les bons réflexes.
Je voudrais enfin revenir sur la question de l'éducation à la vie affective et relationnelle. Nous souhaitons la développer, à tout le moins assurer l'effectivité des séances prévues. C'est une politique extrêmement forte. Le programme retenu permet de cadrer les enseignements de manière très précise, avec des contenus adaptés à l'âge des enfants.
Nous mettons en appui un plan d'accompagnement, un plan de formation tout à fait ambitieux auprès des équipes. L'idée est de former un maximum de personnes. Nous nous assurerons également que ces séances soient bien mises en oeuvre dans les établissements avec un suivi. Nous menons une politique extrêmement volontariste en la matière.
Nous avons cadré de manière très précise les interventions extérieures sur cet enseignement, en recommandant qu'elles n'aient pas lieu dans le premier degré. Dans le second degré, nous insistons très fortement sur le fait que les établissements doivent avoir recours à des associations agréées sur ces questions, sur ces thématiques. En outre, les séances, qui doivent toujours se dérouler en présence d'un personnel de l'établissement, sont construites en amont avec les équipes éducatives.
Enfin, une circulaire demande expressément aux établissements d'apporter le soutien le plus précis, le plus immédiat aux équipes qui pourraient être victimes d'entrisme ou de stigmatisation.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je suis corapporteure d'une mission d'information sur la prévention en santé.
Il existe un consensus sur le fait que la démographie scolaire, en santé scolaire, pose problème aujourd'hui. La proposition de loi Infirmière, à laquelle vous avez fait référence, permet de réaliser plusieurs avancées en termes de reconnaissance de la profession. J'ai eu le plaisir de défendre et de faire adopter un amendement, largement soutenu par de nombreux collègues sur toutes les travées de l'hémicycle, sur la reconnaissance d'une spécialité infirmière autonome en santé scolaire. Or cet amendement est susceptible de ne pas survivre aux travaux de la commission mixte paritaire.
Il est possible que les évolutions présentes dans le texte sur la pratique avancée constituent une solution de remplacement crédible et sérieuse. Je considère toutefois que la pratique avancée doit se réaliser sous l'égide et le contrôle d'un médecin scolaire. Or ce cadre connaît aujourd'hui une démographie défavorable. On estime qu'il manque 50 % de postes d'infirmiers scolaires pour répondre aux besoins d'accompagnement et de suivi des élèves.
Que pensez-vous de l'argument selon lequel une spécialité infirmière autonome en santé scolaire n'est pas indispensable et compliquerait plus les choses au regard des enjeux, alors que l'évolution de la pratique avancée est susceptible d'apporter une réponse idoine ? Si tel est le cas, nous en prendrons acte.
Je travaille aussi sur l'exposition des enfants aux écrans et aux réseaux sociaux. Nous avons évidemment abordé cette question avec la multiplication des écrans à l'école. Autre sujet, celui de la désinformation très présente sur les réseaux sociaux. Je voudrais savoir ce que l'éducation nationale et les professionnels de santé de l'éducation nationale mettent en oeuvre pour aider les élèves.
Il est important d'acquérir une culture d'analyse critique, d'autant que de jeunes enfants accèdent aujourd'hui aux réseaux sociaux. Il faut donc commencer à informer et à former les élèves le plus tôt possible à la détection des informations nocives pour leur santé.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je voudrais faire un petit pas de côté : il ressort clairement de vos interventions qu'il s'agit d'une politique publique large de l'éducation nationale. Toutefois, vous avez évoqué la définition de l'OMS de la santé comme bien-être social, psychique et physique, la promotion d'une approche holistique et la nécessité d'agir sur l'ensemble des déterminants de santé.
Or il existe d'autres politiques publiques en faveur de l'enfance comme la lutte contre la pauvreté, la lutte contre le harcèlement scolaire, etc. Ne croyez-vous pas que ces questions appellent la création d'un ministère de l'enfance de plein exercice et, peut-être, d'une délégation parlementaire à l'enfance ?
D'autre part, vous parlez de parcours, de décloisonnement. On ne cesse de décloisonner en tout sens... J'ai lu que la deuxième association de psychologues de l'éducation nationale appuyait la demande de l'Unicef. Ce ne doit pas être tout à fait un hasard...
Mme Annie Le Houerou. - On dénombre un médecin pour 13 000 élèves, ce qui est assez catastrophique. De surcroît, de nombreux départs sont à prévoir, ne serait-ce que parce que 50 % de ces médecins ont plus de 60 ans. La situation est donc encore plus dégradée qu'il n'y paraît.
Comment rendre cette spécialité plus attractive ? Vous avez évoqué les maîtres de stage universitaire. Les médecins scolaires accueillent-ils des internes pour préparer la nouvelle génération et leur démontrer qu'il s'agit aussi une voie d'intérêt et d'importance ? Comment envisagez-vous les sorties de sixième année d'internat, quand un certain nombre de médecins vont se rendre dans les différents départements ?
Compte tenu des effectifs, avez-vous encore le temps, au-delà de toutes les questions et spécialités qui vous concernent, de vous impliquer dans les projets locaux tels que les CTS ?
Mme Frédérique Charasson. - Tous les médecins ne sont pas maîtres de stage universitaire, mais tous sont maîtres de stage.
Nous accueillons des internes qui sont en deuxième semestre ou cinquième semestre, en stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (Saspas) ou en stage santé de l'enfant et de la femme. Ce dernier stage n'existera bientôt plus sous cette forme et nous ne pourrons plus accueillir d'internes de ce niveau-là, puisqu'ils auront trois mois à faire en pédiatrie et trois mois en gynécologie.
Nous accueillons ces internes sur des temps très partiels, en général sur des quarts-temps. Ils sont en exercice partagé sur la médecine de ville ou d'autres médecines comme les soins palliatifs, les centres d'addictologie et autres.
J'étais récemment en lien avec le DMG de la région Île-de-France, qui m'a fait part de ses grandes difficultés pour trouver des lieux de stage pour tous les docteurs juniors dont il a la charge. Pour autant, il ne souhaite pas qu'ils soient accueillis en médecine scolaire. J'ai longuement insisté, pour envisager, par exemple, des temps partagés avec la médecine de ville. Nous pouvons trouver des solutions.
Nous faisons partie des CPTS, ainsi que des plans locaux de santé. Nous y impliquons nos médecins de secteur autant que possible pour travailler avec tous les acteurs de santé locaux.
M. Laurent Chazelas. - L'arrivée de psychologues conseils techniques permet d'éviter de travailler en silo et améliore la coordination dans nos missions communes. Le corps unique a été créé en 2017, mais nous conservons deux spécialités : l'éducation au développement à l'apprentissage dans le premier degré et l'éducation au développement et à l'orientation pour le second degré. Manifestement, les positionnements tiennent aux différences entre ces deux spécialités, entre le premier et le second degré. Il semblerait que, dans ce dernier, il y ait un peu plus de coordination, grâce à certains dispositifs déployés dans les établissements. Dans le premier degré, cela dépend davantage des personnes.
Nous demandons la création de temps institutionnalisés de rencontre avec d'autres professionnels, car ces échanges sont très riches non seulement pour les professionnels, mais aussi pour l'institution.
Pour ce qui concerne le rapport aux écrans, la littérature est partagée. Nous voyons, dans les transports en commun, des tout-petits de 2 ans sur des téléphones portables ; nous imaginons à quel point cela peut être néfaste pour leur développement. Dans les écoles, certains de mes collègues mènent des actions de prévention. Les enseignants des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) peuvent aussi intervenir en prévention, avec des infirmières. On les rencontre aussi dans le premier degré, pour mener des actions de prévention autour des écrans et des réseaux sociaux. Dans des classes de CM2, des élèves créent déjà des groupes sur WhatsApp...
Nous sommes très sensibles à l'idée de créer un ministère de l'enfance. Nous faisons partie du collectif Construire ensemble la politique de l'enfance. À ce titre, je siège auprès du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA). Nous serions très heureux que le Sénat crée une délégation aux droits de l'enfant, à l'image de celle qui existe à l'Assemblée nationale.
Mme Émilienne Poumirol. - Nous le demandons depuis longtemps !
Mme Pascale Gruny, président. - Le Sénat ne copie pas l'Assemblée nationale...
Mme Priscillia Chazel. - À l'heure actuelle, il existe trois spécialités : l'infirmier de bloc opératoire (Ibode), l'infirmier anesthésiste diplômé d'État (Iade) et l'infirmier puériculteur. Les détenteurs de ces trois diplômes ont tous bénéficié d'une formation supplémentaire au métier socle.
La profession d'infirmier scolaire est très spécifique. La rédaction de l'amendement qui visait à en faire une spécialité nous paraissait orientée vers l'éducation et la prévention. Elle mériterait d'être revue pour insister sur toutes les compétences socles de l'infirmier, qui donne des consultations, qui oriente, qui coordonne, qui fait du dépistage, du diagnostic, de la recherche... L'exercice de l'infirmier scolaire est spécifique en raison du primo-accès dont nous avons beaucoup parlé. Cela mériterait d'être valorisé.
Actuellement, l'infirmier scolaire bénéficie de formations très disparates en fonction des académies. Il faudrait permettre à chaque infirmier scolaire de recevoir la même formation, afin d'uniformiser les pratiques et d'augmenter le champ des compétences. Il s'agit d'une spécialité spécifique, et lui conférer un statut particulier mérite d'être envisagé.
Le métier d'infirmier en pratique avancée n'entre pas du tout en tension avec la spécialité d'infirmier scolaire. L'IPA a des compétences cliniques élargies : il réalise des anamnèses, des entretiens, des consultations, de la collaboration avec les structures, en se déplaçant, en réalisant un travail collaboratif qui manque beaucoup, ainsi que nous l'avons dit.
Nous avons beaucoup parlé du manque de confiance des élèves par rapport à la communauté éducative. L'IPA est formé à la relation d'aide : il peut faire un pas de côté, permettant la communication et la relation de confiance. Il a aussi des compétences en santé publique, il élabore des projets de santé, peut faire de l'éducation à la santé et jouer un rôle dans le programme d'éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité (Evars), ou encore prendre une place dans le dépistage dans le premier degré.
L'IPA fait également de la recherche. Dans le cadre de mes travaux de recherche, les élèves que j'ai interrogés recherchaient les informations en santé sur les réseaux sociaux, ce qui est inquiétant et alarmant, car ils ne savent ni critiquer ces informations ni aller chercher la bonne information en santé. L'éducation nationale doit être proactive pour développer la littératie en santé numérique. Peut-être l'IPA a-t-il un rôle à jouer en la matière.
En raison du manque de leadership dans le domaine de la santé scolaire, et parce que l'IPA peut jouer ce rôle, nous avons construit la Société française des infirmiers en santé scolaire. Je suis une IPA ; j'ai une mention pathologies chroniques stabilisées, prévention et polypathologies courantes et je termine la mention psychiatrie et santé mentale. Ces deux mentions ont leur place dans le système de santé scolaire. Nous parlons de pôles de santé : mettre un IPA possédant chacune de ces mentions dans chaque pôle de santé aurait tout son sens pour faire du dépistage et du repérage précoce. Nous parlons de troubles du neurodéveloppement, de trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité ou d'autisme : je suis formée, mais le personnel manque cruellement pour accompagner tous les jeunes, toutes les familles et tous les accompagnants d'élèves en situation de handicap, dont la formation est insuffisante. L'IPA pourrait également former les AESH et les chefs d'établissement en santé mentale : il a toute sa place dans le protocole de santé mentale.
Dr Frédérique Charasson. - Je souhaite revenir sur l'attractivité de la médecine scolaire pour les internes. J'ai omis de mentionner la FST spécifique à la santé scolaire, qui permet aux internes et aux médecins libéraux d'acquérir des compétences spécialisées transversales dans ce domaine. Un certain nombre de postes sont ouverts, mais le travail collaboratif avec les universités de médecine reste parfois complexe, même si l'implication d'un médecin pilote est très bénéfique. Nous encourageons les jeunes médecins, comme les plus expérimentés, à se tourner vers cette spécialisation.
En ce qui concerne le travail collaboratif, un aspect important n'a pas du tout été évoqué : le rôle pivot des centres médico-scolaires (CMS) et des secrétaires et assistants médicaux, qu'il faudra faire monter en compétences. Ces centres offrent un cade confidentiel pour les jeunes, notamment dans les cas de refus scolaire anxieux ou de troubles mentaux, en dehors de l'établissement scolaire.
Pour favoriser la collaboration, on pourrait envisager la création de grands centres médico-scolaires, offrant des temps d'échanges institutionnalisés avec les psychologues, les infirmières et les assistants sociaux - ces derniers, peu évoqués jusqu'ici, sont importants dans le champ de la protection de l'enfance.
Il reste donc encore beaucoup à faire.
M. Marc Pelletier. - Il y a effectivement beaucoup à dire sur l'attractivité de la médecine scolaire. Le ministère pourrait consacrer plusieurs heures à expliquer tout ce qu'il fait.
Vous avez justement insisté sur les FST Médecine scolaire. Nous les soutenons également, étant entendu que le médecin pilote est missionné par la direction générale de l'enseignement scolaire.
L'attractivité de la médecine scolaire est un sujet compliqué, mais nous agissons sur tous les leviers possibles : la formation, la mobilisation des étudiants pour leur donner la vocation de la médecine scolaire et l'amélioration des conditions d'exercice du métier.
Nos actions portent aussi sur la rémunération des personnels et les pratiques mixtes, qui demandent encore des réflexions approfondies en lien avec le ministère de la santé. Notre priorité n'est pas d'augmenter le nombre de postes, mais de pourvoir ceux qui existent. Pour cela, il faut des arbitrages politiques et des financements en réponse aux propositions que nous formulons.
Sur les conditions de spécialité, c'est à la représentation nationale qu'il revient de trancher. Cela soulève des questions d'équilibre entre les différentes voies de spécialisation. Nous partageons votre constat : il faut accorder une attention plus grande à l'entrée dans le métier. L'obtention du concours ne doit pas être une simple finalité ; elle doit s'accompagner d'un soutien à la prise de poste et d'une formation continue.
Concernant la coordination, plutôt que de créer de nouvelles entités, il faut privilégier le développement du pôle départemental - il n'est pas structuré, mais il représente néanmoins un levier considérable - et l'implication des directeurs académiques des services de l'éducation nationale.
Nous travaillons aussi à améliorer les collaborations avec les villes qui disposent d'une compétence en termes de dispositifs de santé en faveur des élèves.
Pour ce qui est des réseaux sociaux, nous menons une politique forte de prévention des risques, intégrée à la lutte contre les addictions et à l'éducation aux médias. Ce volet fait partie intégrante de l'enseignement moral et civique, qui a été rénové, et constitue un axe important de notre travail.
Les infirmières scolaires ont évidemment toute leur place dans la mise en oeuvre de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle dans le second degré. Elles peuvent organiser avec les professeurs des séances spécifiques consacrées à l'analyse critique des informations relatives à la santé. Ces projets peuvent être très facilement menés au sein des établissements, car nous disposons de l'ensemble des personnels nécessaires pour les réaliser.
Quant à l'articulation avec les plans locaux de santé, ce pôle d'appui ainsi que la politique qui sera mise en place au niveau départemental joueront un rôle essentiel.
Enfin, à propos du ministère de l'enfance de plein exercice, il ne m'appartient pas de juger des périmètres ministériels. Je constate simplement l'efficacité de notre action en termes de santé lorsque ces questions ne sont pas confiées à quelques personnels isolés, mais qu'elles sont suivies par l'ensemble des équipes au sein de nos établissements. Il est vrai qu'il manque encore des assistants sociaux, que nous intégrons toutefois pleinement dans cette démarche, car nous sommes directement concernés par les enjeux de protection de l'enfance.
Mme Pascale Gruny, présidente. - Merci à vous tous.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 25.