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Table des matières
Reprise et cessation de mandats sénatoriaux
Accès aux soins dentaires (Procédure accélérée)
M. Raphaël Daubet, auteur de la proposition de loi
Mme Guylène Pantel, rapporteure de la commission des affaires sociales
Discussion de l'article unique
Créer un fichier national des personnes inéligibles
Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi
M. Olivier Bitz, rapporteur de la commission des lois
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Discussion de l'article unique
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi
Protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois
M. Laurent Panifous, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Discussion de l'article unique
Élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade (Procédure accélérée)
Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants
Discussion de l'article unique
Ordre du jour du mercredi 12 novembre 2025
SÉANCE
du jeudi 6 novembre 2025
12e séance de la session ordinaire 2025-2026
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
La séance est ouverte à 10 h 30.
Reprise et cessation de mandats sénatoriaux
M. le président. - En application des articles L.O. 319 et L.O. 320 du code électoral, le mandat sénatorial de M. Thani Mohamed Soilihi, de M. François-Noël Buffet et de Mme Nathalie Delattre a repris ce jour à 0 heure.
En conséquence, le mandat sénatorial de Mme Salama Ramia, de M. Paul Vidal et de Mme Mireille Conte Jaubert a cessé le mercredi 5 novembre 2025, à minuit.
Conférence des présidents
M. le président. - Les conclusions adoptées par la Conférence des présidents réunie le 5 novembre 2025 sont consultables sur le site du Sénat.
En l'absence d'observations, je considère ces conclusions comme adoptées.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Accès aux soins dentaires (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à libérer l'accès aux soins dentaires, présentée par M. Raphaël Daubet à la demande du RDSE.
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. Raphaël Daubet, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes INDEP, UC et SER ainsi qu'au banc des commissions) Partout dans notre pays, des millions de Français ont des difficultés à trouver un dentiste. Les familles renoncent aux soins ; de nombreux enfants n'ont plus de suivi régulier.
Le rapport de la Conférence nationale de santé (CNS) dresse un constat alarmant pour 2025, celui d'une fracture sociale et territoriale, mais aussi d'un déséquilibre profond. Ici ou là, au travail, dans la rue, on croise des sourires gênés où un trou béant laisse voir un trou dans l'estime de soi.
La santé bucco-dentaire est le reflet de l'état de santé général et conditionne l'alimentation, la digestion, la parole, la qualité du sommeil. La bouche est la première des portes d'entrée infectieuses, avec un risque particulier pour le diabète et les maladies cardiovasculaires.
Mais la bouche, c'est bien plus que cela. Objet d'investissement symbolique, siège des fantasmes, elle tient une place particulière parmi les organes du corps humain. Ici se cristallisent les ascendants de la psychologie, les imaginaires collectifs et les influences sociales. Depuis l'importance de l'oralité dans le développement de l'enfant jusqu'au visage de la déchéance organique quand la bouche d'un vieillard est composée de seuls chicots noirâtres et cariés au fond d'une cavité obscure (marques de dégoût sur les travées du groupe Les Républicains), la bouche aura tout incarné : le plaisir de la table et du baiser, la douleur, à l'image des dents arrachées de Sainte Apollonie, ou encore la force et la dévoration, expression de notre animalité.
Le plus important reste la dimension sociale du sourire : impossible d'y échapper, entre celui qui séduit, qui compatit, qui ironise, qui domine.
Pardon de ce long rappel. Mais la bouche est un organe essentiel pour la physiologie, la psychologie, pour la société. Chirurgien-dentiste avant d'être sénateur, j'ai connu l'enfer des cabinets, les patients qui appellent pour des urgences, les équipes débordées. Les praticiens manquent de temps et de relais. Renforcer les équipes est essentiel pour assurer la continuité des soins dans les territoires.
Je remercie la rapporteure Guylène Pantel pour sa rigueur et sa détermination.
L'ambition de ce texte est simple : libérer l'accès aux soins dentaires en créant, comme cela a été fait dans de nombreux pays du monde, une nouvelle profession, assistant en santé bucco-dentaire. Ce texte n'invente rien, il reprend l'ambition de Stéphanie Rist dans la loi qui porte son nom, sans qu'elle n'ait pu se concrétiser dans des décrets d'application.
Ce nouveau professionnel participera aux actes de prophylaxie, d'imagerie, aux soins post-chirurgicaux, libérant du temps pour les chirurgiens-dentistes, qui se concentreront sur des actes plus techniques. L'assistant en santé bucco-dentaire pourra aussi intervenir dans les établissements scolaires pour faire de la prévention, inscrivant cette dernière au coeur de notre politique de santé bucco-dentaire.
La commission des affaires sociales a précisé les conditions d'exercice : la responsabilité des chirurgiens-dentistes est maintenue, les actes autorisés seront fixés par un décret en Conseil d'État après avis de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie nationale de chirurgie dentaire, la formation sera déterminée par un arrêté du ministre de la santé et le titre professionnel sera protégé.
Le texte encadre aussi la reconnaissance des qualifications acquises à l'étranger et la vérification de la maîtrise linguistique - le Conseil national de l'ordre y était très attaché.
Ce texte est équilibré et pragmatique. Il ne détruit pas l'organisation des soins, mais la modernise. Il répond à un besoin concret : la prévention dans les lieux collectifs. C'est la clef : la prévention est moins chère, évite les pathologies lourdes et améliore la qualité de vie.
Cette proposition de loi est le fruit d'un travail collectif avec les professionnels, les ordres, le Gouvernement et les parlementaires, traduisant une volonté commune : construire une organisation plus efficace pour améliorer la santé bucco-dentaire.
En votant ce texte, nous enverrons un message clair : la République doit s'organiser pour assurer à tous le même droit à la prévention et aux soins. C'est un texte de confiance, d'efficacité et d'utilité. Votez cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI, ainsi que sur celles des groupes Les Républicains et INDEP)
Mme Guylène Pantel, rapporteure de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP, ainsi qu'au banc des commissions) Ce texte répond à une forte attente face à l'insuffisance de praticiens, inégalement répartis sur le territoire. Jusqu'en 2019, la croissance de leur nombre était trop faible face au vieillissement de la population. En 2025, on compte 7 000 chirurgiens-dentistes de plus qu'il y a treize ans. Malgré cette évolution positive, les inégalités s'aggravent dans les zones rurales, car ils se concentrent dans des centres dentaires en centre-ville.
Les assistants dentaires, qui ont un diplôme de niveau 4, stérilisent les instruments et tiennent à jour les dossiers des patients ; mais ils ne pratiquent pas d'actes et ne peuvent agir sans la présence d'un chirurgien-dentiste.
Nous avions adopté en 2023 dans le cadre de la loi Rist 2 des dispositions permettant aux assistants dentaires de passer une certification les autorisant à pratiquer des actes complémentaires. Le pouvoir réglementaire n'a pas pu prendre de décret, car la loi ne créait pas une profession distincte - il était impossible au pouvoir réglementaire de prévoir deux niveaux de formation différenciés pour une même profession.
La proposition de loi est très attendue. Le nom de la profession a suscité de nombreux débats. Je propose un nom moins abscons que « assistant en prophylaxie bucco-dentaire ».
Ces assistants auront deux missions : une mission clinique sous la supervision du praticien et une mission de prévention qu'ils peuvent assurer sans lui. L'assistant en santé bucco-dentaire pourra participer à la réalisation d'actes d'imagerie et d'actes de prophylaxie comme le détartrage. Les chirurgiens-dentistes retrouveront entre deux et trois heures de temps médical par jour.
Le texte précise que le nombre d'assistants en santé bucco-dentaire doit être inférieur ou égal au nombre de chirurgiens-dentistes dans un cabinet. Il s'agit d'éviter le développement d'« usines à détartrage ».
Ces professionnels pourront aussi participer à des actes de prévention. La commission a précisé la responsabilité du chirurgien-dentiste dans ces opérations d'« aller-vers ». Seul responsable de ses salariés, il devra contrôler leurs actions.
Un décret en Conseil d'État, pris après avis des académies de médecine et de chirurgie dentaire, précisera les actes autorisés.
Sur ma proposition, la commission a réservé l'accès à cette nouvelle profession aux seuls assistants dentaires, après un certain temps d'exercice.
La commission a également prévu un enregistrement préalable avant l'entrée dans la profession et un contrôle des compétences linguistiques pour les professionnels ayant obtenu leur qualification à l'étranger.
La prévention bucco-dentaire est un enjeu de santé publique. Je regrette le manque de données disponibles : la dernière étude nationale sur les caries des enfants a été réalisée en 2006. Cette nouvelle mission d'« aller-vers » pour la prévention est un atout majeur. Je pense aux Ehpad, où les assistants en santé bucco-dentaire pourraient repérer des situations à risque.
Enfin, dans les cabinets, ces assistants pourront assurer les détartrages, libérant du temps pour les praticiens.
La commission vous invite à adopter la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et des groupes UC, Les Républicains, INDEP et CRCE-K)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées . - Je vous prie de bien vouloir excuser Mme Stéphanie Rist, retenue à l'Assemblée nationale pour l'examen du PLFSS. Il y a des métiers discrets, mais indispensables au fonctionnement des cabinets dentaires. Les 20 000 assistants dentaires sont de ceux-là. Merci à Raphaël Daubet et Guylène Pantel de nous permettre de parler d'eux. Je sais l'engagement du Sénat pour assurer l'accès aux soins sur tout le territoire.
La profession d'assistant dentaire est le fruit d'une reconnaissance progressive : convention collective nationale de 1992, loi de modernisation de notre système de santé de 2016 et enfin loi Rist 2 de 2023, dans laquelle nous avons voté le principe de la reconnaissance d'une profession d'assistant dentaire de niveau 2.
Cette proposition de loi crée une nouvelle profession, que vous souhaitez appeler « assistant en santé bucco-dentaire », avec deux types de missions : la réalisation d'actes sous la responsabilité d'un chirurgien-dentiste d'une part et des actes de prévention en dehors du cabinet d'autre part.
En commission, vous avez précisé que les assistants en santé bucco-dentaire ne pourraient pas réaliser d'actes orthodontiques, et qu'il ne pourrait y avoir qu'un assistant en santé bucco-dentaire pour un praticien. Le Gouvernement y souscrit pleinement. Par ailleurs, les assistants en santé bucco-dentaire ne se substituent pas aux assistants dentaires existants, mais les complètent.
Le Gouvernement soutient cette proposition de loi, qui répond à de nombreux enjeux, telle l'équité territoriale. En effet, dans de nombreux départements ruraux, comme la Lozère, le nombre d'ETP de chirurgiens-dentistes a baissé, alors que leur nombre a augmenté au niveau national. La profession des chirurgiens-dentistes est celle présentant les inégalités territoriales les plus fortes. Avec ce texte, c'est du temps médical utile qui sera dégagé.
Second enjeu, l'accès à la prévention, moins coûteuse, moins invasive et plus efficace à long terme. En s'inspirant des professions hygiénistes de nos voisins, nous pourrons toucher des populations qui ne consultent pas ou trop tard. Je pense à nos aînés, aux personnes en situation de handicap et aux personnes les moins insérées.
Cette proposition de loi est une évolution pour des milliers de professionnels qui accompagnent chaque jour nos chirurgiens-dentistes. Je salue le travail réalisé, qui traduit aussi l'engagement des praticiens.
La santé bucco-dentaire est essentielle pour la nutrition, la qualité de vie, la parole, mais aussi le diabète et les maladies cardiovasculaires.
Ce texte répond aux demandes anciennes d'une profession, mais aussi aux besoins d'accès aux soins. Stéphanie Rist et moi-même vous remercions pour cette proposition de loi, qui recevra un avis très favorable et pour laquelle le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Martin Lévrier . - La proposition de loi Daubet répond à une urgence sanitaire identifiée : la difficulté à accéder aux soins dentaires sur de nombreux territoires, alors que 6 millions de nos concitoyens vivent dans des zones sous-dotées. La Creuse compte 38 chirurgiens-dentistes, soit 33,6 pour 100 000 habitants ; 18 % ont plus de 65 ans. Il fallait donc agir vite sur les compétences des collaborateurs des chirurgiens-dentistes.
La loi Rist 2 avait bien créé des assistants dentaires de niveau 2, mais elle est restée lettre morte. Aucun référentiel de formation n'a été mis en place. Cette proposition de loi trouve une solution structurante en créant une nouvelle profession plus qualifiée. Deux à trois heures de temps médical par jour seraient libérées pour les chirurgiens-dentistes.
Le travail de la commission mérite d'être salué. Le texte a été enrichi de 14 amendements, dont 13 proposés par la rapporteure. Citons la clarification de l'appellation « assistant en santé bucco-dentaire », le cadrage des actes, la consultation des ordres, ou encore le contrôle linguistique pour les professionnels venus d'autres pays européens.
Cette proposition de loi offre une réponse pragmatique et audacieuse. Elle propose des garanties sur les actes et une prévention accrue, tout en sécurisant le parcours professionnel des assistants en santé bucco-dentaire et en évitant une industrialisation des soins.
Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Bernard Jomier . - L'accès aux soins dentaires est un enjeu de santé publique, alors que près de 6 millions de Français vivent en zone sous-dotée. La hausse des besoins est liée à l'augmentation de la population et à son vieillissement. En dépit de l'augmentation du nombre de chirurgiens-dentistes - 49 000 en 2025 contre 42 000 en 2012 -, leur nombre reste insuffisant. En outre, environ 30 % des chirurgiens-dentistes partiront à la retraite d'ici à 2030.
On parle de déserts dentaires dans les zones rurales. Inégalités territoriales, inégalités socio-économiques... Oui, l'accès aux soins est un marqueur social. Il faut dégager du temps, d'où la création de cette nouvelle profession d'assistant en santé bucco-dentaire.
Les assistants dentaires existent déjà, mais leurs compétences se limitent aux actes d'hygiène. Le statut de ces 17 000 professionnels a des limites. En 2023, la loi Rist 2 a créé la profession d'assistant dentaire de niveau 2, initiative qui est restée lettre morte. Or de telles professions existent chez nos voisins.
C'est pourquoi Raphaël Daubet propose la création de la profession d'assistant en santé bucco-dentaire, de niveau bac+2, pour réaliser des missions techniques et cliniques sous le contrôle du chirurgien-dentiste, mais aussi des missions autonomes, notamment en prévention, afin de renforcer cette dernière. En transférant des missions à des professionnels formés, le texte participe au tournant préventif de notre système de santé. Les chirurgiens-dentistes gagneront du temps pour réaliser des tâches plus complexes.
Nous pourrons aussi réduire la pénurie de données en matière de santé bucco-dentaire, notamment sur les jeunes et les plus âgés.
Je remercie l'auteur de cette proposition de loi. Mais attention, madame la ministre, à ne pas avancer dans l'accès aux soins dentaires tout en reculant, avec la diminution des remboursements prévue dans le PLFSS. Nous voterons en faveur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI, du GEST et des groupes UC et Les Républicains)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je remercie Raphaël Daubet de nous offrir l'occasion de débattre de santé publique alors que le Gouvernement propose, dans le prochain PLFSS, d'étendre la participation forfaitaire aux actes réalisés par les chirurgiens-dentistes, ce qui augmentera le reste à charge pour nos concitoyens, et donc les inégalités sociales et territoriales.
Les inégalités de santé bucco-dentaire sont très corrélées avec les inégalités sociales. Selon la Drees, 25 % des adultes n'ont pas consulté de chirurgien-dentiste ces deux dernières années ; ce chiffre est plus important dans les catégories sociales défavorisées. Ainsi, il atteint 40 % des personnes à faible revenu ou sans complémentaire santé. Le renoncement aux soins des jeunes est deux fois plus important dans les classes sociales les plus défavorisées, et 45 % des ouvriers non qualifiés ont au moins une dent manquante non remplacée, contre 29 % pour les cadres. Le 100 % santé a corrigé un peu cet écart, mais les soins dentaires restent coûteux.
Les inégalités sont aussi territoriales ; cela se traduit par des attentes excessives et des renoncements aux soins. Ainsi, dans mon département, on compte 43 praticiens pour 100 000 habitants, contre 63 en moyenne nationale.
La création de la profession d'assistant en santé bucco-dentaire fait consensus ; c'est une solution au manque de praticiens. Ces futurs diplômés de niveau 5 pourront aussi intervenir de façon autonome pour réaliser des actes de prévention.
Reste la question des moyens. Leur exercice doit se faire sous la responsabilité et le contrôle effectifs du praticien. Les centres de santé dentaire, financés par des fonds d'investissement aux pratiques parfois frauduleuses, pourraient être tentés de ne recruter que des assistants en santé bucco-dentaire pour maximiser leurs marges. La présence effective des chirurgiens-dentistes sera un vrai enjeu.
Toutefois, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du RDSE et au banc des commissions)
M. le président. - Nous souhaitons un bon retour chez nous à notre collègue Nathalie Delattre. (Applaudissements)
Mme Anne Souyris . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Sans aucun cynisme, les « sans-dents » sont les oubliés de nos territoires. Les 10 % de la population les plus dotés ont un accès aux soins 7,8 fois supérieur à celui des 10 % les moins dotés. Chez les plus défavorisés, une personne sur dix a dû renoncer à des soins dentaires pour des raisons financières. C'est quatre points de plus que dans l'ensemble de la population.
Les soins dentaires sont ceux auxquels les citoyens renoncent, en raison de restes à charge plus importants. Or le PLFSS 2026 n'arrangera rien : après la hausse du ticket modérateur de 40 % en 2023, les participations forfaitaires seront étendues aux soins dentaires.
Ce texte n'est pas acte magique, mais il offre une première réponse aux inégalités territoriales. Il améliore le partage des tâches en soins dentaires, c'était attendu.
Les chirurgiens-dentistes pourront regagner du temps médical et les habitants des territoires sous-dotés accéderont aux soins plus rapidement, ainsi qu'à une prévention encore trop négligée.
En créant ce statut, on reconnaît le rôle essentiel des assistants dentaires. En 2023, la loi Rist 2 créait la profession d'assistant dentaire de niveau 2, mais des problèmes rédactionnels ont empêché la publication des décrets d'application. Cette proposition de loi répond aux insuffisances actuelles ; le GEST s'en félicite.
Mais restons vigilants à tout dévoiement de ce statut. Il faudra éviter la redondance d'actes inutiles, notamment dans les centres lucratifs qui font de l'imagerie.
En outre, il existe de grandes difficultés en matière de formation. Près de la moitié des chirurgiens-dentistes s'implantant sur le territoire chaque année sont formés à l'étranger. Ils représentent aujourd'hui 14 % des praticiens qui exercent en France, contre 4 % en 2012. Souvent, leur formation est insuffisante.
Qu'il s'agisse de la formation, de la lutte contre la financiarisation du secteur ou de l'inégalité de soins, le chemin est encore long, mais ce texte va dans le bon sens. Nous le voterons. (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDSE et du groupe CRCE-K)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Laurent Burgoa applaudit également.) Je m'exprime aussi en tant que médecin d'une région proche de la Belgique où la profession d'hygiéniste dentaire existe déjà.
Cette proposition de loi est une excellente initiative qui répond à une demande de longue date de la profession : dégager du temps médical, améliorer la prévention et augmenter l'offre de soin. Elle apporte une réponse concrète à l'échec de la création de la profession d'assistant dentaire de niveau 2, restée lettre morte.
Déléguer, c'est mieux soigner : l'assistant en santé bucco-dentaire pourra réaliser des actes sous la supervision des chirurgiens-dentistes, mais surtout mener des actions de prévention hors du cabinet, notamment en Ehpad. Autant de temps médical rendu aux praticiens.
La hausse continue du nombre d'assistants dentaires témoigne d'un vivier de professionnels formés, prêts à évoluer vers des qualifications supérieures.
Je salue l'équilibre trouvé par la commission des affaires sociales, notamment sur la restriction de l'accès à la profession aux seuls assistants dentaires en exercice et le rappel du principe de responsabilité du praticien.
Ce texte porte une vision de santé publique : prévenir, c'est éviter des soins invasifs et coûteux pour l'assurance maladie ; c'est aussi redonner du temps aux chirurgiens-dentistes pour les soins de haute technicité.
Il apporte une réponse immédiate et attractive aux professionnels qui attendent des évolutions. Chaque compétence compte, à son niveau de responsabilité.
Le RDSE appelle à adopter largement ce texte. (Applaudissements)
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et Les Républicains) Dans les années 1950, Henri Salvador chantait Le blues du dentiste. Désormais, ce n'est plus la peur du fauteuil qui prévaut, mais celle de ne pas réussir à en trouver un. (Sourires)
Malgré une hausse de plus de 15 % du nombre de chirurgiens-dentistes en quinze ans - on compte désormais un chirurgien-dentiste pour 1 400 habitants -, les inégalités territoriales restent abyssales. Je n'ai de dent contre personne (sourires), mais cela n'est plus possible ! Les 10 % de territoires les mieux dotés ont un accès aux soins bucco-dentaires huit fois supérieur à celui des 10 % les moins bien dotés.
Nous n'aurions pas dû débattre ce matin de cette proposition de loi. En effet, la loi Rist 2 avait déjà prévu l'élargissement des missions des assistants dentaires, mais rien n'a vu le jour, faute de décret d'application. Quand le Parlement vote une loi, l'exécutif doit l'appliquer ! Le Gouvernement doit donc s'engager à publier les décrets d'application de cette nouvelle loi.
Ces deux années d'attente nous ont cependant permis de bâtir un dispositif plus solide, avec une profession à part entière.
Cette proposition de loi met en musique une logique d'« aller-vers », sous la responsabilité des chirurgiens-dentistes, mais sans contrôle permanent. Quelque 75 % des résidents d'Ehpad présentent un état de santé bucco-dentaire dégradé. S'ensuivent des troubles de l'alimentation, de la dénutrition, des douleurs chroniques, notamment.
Chez les personnes en situation de handicap, la situation est également préoccupante - merci, madame la ministre de l'avoir évoqué. De nombreux établissements n'ont plus de lien avec un cabinet dentaire et les consultations sont parfois difficiles. La Cour des comptes soulignait déjà il y a dix ans qu'il fallait développer les consultations dans les établissements. Des modules de formation sur le handicap et le vieillissement devront être prévus, pour que la santé bucco-dentaire soit réellement accessible à tous.
La création de cette nouvelle profession pourrait libérer deux à trois heures de temps médical par jour et par cabinet, un gain considérable pour les chirurgiens-dentistes, et pour les patients.
Cette délégation de tâches sera strictement encadrée, comme nous l'avions fait pour les assistants médicaux et les infirmiers en pratique avancée (IPA).
Nous voterons cette loi de confiance et d'équité territoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains, du RDSE et du RDPI)
Mme Corinne Bourcier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La fracture territoriale existe aussi en matière de soins bucco-dentaires. Les zones rurales sont largement sous-dotées ; les professionnels se concentrant en milieu urbain, dans des cabinets de groupe ou des centres de santé.
Le statut et la formation des assistants dentaires interdisent toute délégation de tâches. Or depuis quelques années, la délégation d'actes médicaux s'est développée, avec les IPA et les orthoptistes. La proposition de loi Daubet, qui répond aussi à l'échec de la loi Rist 2, est donc bienvenue et très attendue par les professionnels.
Le nouvel assistant aurait des missions cliniques et techniques sous le contrôle du praticien, mais aussi des missions de prévention hors du cabinet et sans supervision.
Je salue les apports de la commission pour restreindre l'accès aux seuls assistants dentaires ayant exercé un minimum de temps, pour rappeler la responsabilité du chirurgien-dentiste en cas d'exercice des missions hors cabinet et pour renommer la nouvelle profession. Merci à Guylène Pantel pour la qualité de ses travaux.
La création de cette nouvelle profession libérera du temps médical, améliorera la prise en charge des patients, renforcera la prévention et redonnera confiance aux territoires sous-dotés. Le groupe INDEP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains, du RDSE et du RDPI ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI) En créant une nouvelle profession de santé, cette proposition de loi répond à un enjeu majeur de santé publique.
En 2023, la loi Rist 2 avait ouvert la voie à la création d'un statut d'assistant dentaire de niveau 2, non pas sous la forme d'une nouvelle profession, mais seulement sous celle d'un niveau supplémentaire au sein d'une profession existante. Mais faute de texte d'application, cette mesure est restée lettre morte. Cette proposition de loi crée une profession à part entière.
Nombre de nos concitoyens peinent à trouver un rendez-vous chez le dentiste, surtout en milieu rural.
Les assistants dentaires jouent un rôle indispensable, mais leurs missions sont limitées. Le texte initial de la proposition de loi proposait de créer la profession d'assistant en prophylaxie bucco-dentaire - dénomination modifiée en « assistant en santé bucco-dentaire » par la rapporteure.
Au cabinet et sous le contrôle du chirurgien-dentiste, ils pourront procéder à des détartrages, au contrôle des muqueuses ou à des soins post-chirurgicaux. Hors du cabinet, ils feront de la prévention dans les écoles, les Ehpad ou les établissements médico-sociaux.
Ce dispositif sera strictement encadré : le nombre d'assistants sera limité pour éviter toute dérive vers une industrialisation des soins ; l'accès à la profession sera réservé aux assistants dentaires expérimentés via la formation continue ; la liste limitative des actes délégués sera établie.
La prévention bucco-dentaire est un véritable enjeu de santé publique. Dans les Ehpad, les nouveaux assistants pourront orienter les patients vers un dentiste.
Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi, qui répond à une attente des chirurgiens-dentistes. (Applaudissements)
Discussion de l'article unique
Article unique
À la demande du RDSE, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°22 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 341 |
| Pour l'adoption | 341 |
| Contre | 0 |
L'article unique est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements)
Créer un fichier national des personnes inéligibles
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles, présentée par Mme Sophie Briante Guillemont et plusieurs de ses collègues, à la demande du RDSE.
Discussion générale
Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi . - Cette proposition de loi part d'un constat surprenant : nul n'est capable de dire combien de personnes sont inéligibles en France ni qui elles sont.
C'est un problème pour notre démocratie, car l'éligibilité est un droit politique fondamental. Le perdre n'a rien d'anodin. Certaines inéligibilités sont liées à l'exercice de fonctions, mais les autres sont prononcées par le juge : ce sont celles qui nous intéressent ici.
Historiquement, dans notre conception de l'éligibilité, il y a la notion de devoir : le représentant doit être à la hauteur de sa fonction. Cela suppose du discernement - ce qui explique que les majeurs protégés en aient été privés - et des qualités morales.
Quatre juges peuvent prononcer l'inéligibilité : le juge pénal, le juge administratif, le juge constitutionnel et le juge des tutelles.
Le juge pénal prononce de plus en plus de peines complémentaires d'inéligibilité. Depuis la loi du 15 septembre 2017, cette peine est obligatoirement prononcée pour certains crimes et délits. Alors qu'entre 2015 et 2017, moins de 50 condamnations avaient entraîné une peine d'inéligibilité, 16 000 ont été prononcées pour la seule année 2024.
Le juge administratif et le Conseil constitutionnel peuvent aussi prononcer l'inéligibilité d'un candidat, notamment pour non-respect des règles sur le financement électoral. Entre 2021 et 2025, le Conseil constitutionnel a rendu plus de 50 décisions d'inéligibilité concernant des candidats aux élections législatives et sénatoriales. En revanche, le ministère de l'intérieur n'a pas été en mesure de nous donner le nombre d'inéligibilités prononcées par le juge administratif, compétent pour les candidats aux élections locales et au Parlement européen.
En 2024, plus de 60 000 personnes ont été placées sous tutelle ou curatelle. La loi prévoit que ces majeurs protégés sont inéligibles, non pour les punir, mais parce qu'ils sont incapables de représenter les concitoyens et de gouverner.
Cette proposition de loi ne modifie pas les motifs d'inéligibilité : elle se contente de prévoir le recensement des 80 000 personnes déclarées inéligibles chaque année, car cette information est éclatée et bien souvent inaccessible.
La loi Bien Vieillir de 2024 a prévu que les mesures touchant aux majeurs protégés fassent l'objet d'une liste, mais le décret d'application n'est pas paru. Le seul moyen de savoir si une personne est sous tutelle ou curatelle est de demander son acte de naissance.
Les décisions du juge administratif sont notifiées au ministère de l'intérieur, mais ce dernier ne tient aucun registre. Quant à celles du Conseil constitutionnel, elles sont certes publiées au Journal officiel, mais centralisées nulle part.
Depuis la loi de 2017, les services chargés de l'enregistrement des candidatures aux élections peuvent théoriquement demander la transmission du bulletin numéro 2 (B2) des candidats, mais les demandes doivent être faites une par une. Songez que pour les municipales cela représenterait près d'un million de demandes manuelles en quatre jours. C'est matériellement impossible. Le ministère de l'intérieur procède donc par échantillonnage : seules 6 % des candidatures aux municipales de 2020 ont fait l'objet d'une demande de B2, permettant de détecter une seule inéligibilité.
Un rapport inter-inspections de juin 2020 et un autre de la Cour des comptes de 2024 préconisent donc la création d'un répertoire national des personnes inéligibles.
Ce répertoire ne crée ni n'éteint aucun droit. Il se borne à rassembler les décisions prononcées afin de faciliter le travail des préfectures et consulats - pour l'élection des conseillers des Français de l'étranger - et de garantir la sincérité des scrutins.
Cela serait une avancée sur le plan de la protection des données personnelles, car le B2 recense toutes les condamnations, même celles sans lien avec une éventuelle inéligibilité.
L'an dernier, l'élection législative dans la deuxième circonscription du Jura a dû être annulée par le Conseil constitutionnel, la presse ayant révélé entre les deux tours que l'un des candidats était sous curatelle renforcée. C'est absurde, mais aussi coûteux pour l'État comme pour la démocratie. Comment expliquer à nos concitoyens qu'une personne inéligible soit passée entre les mailles du filet ? Les taux de participation aux élections partielles sont déjà si faibles...
Bien sûr, la mise en place de ce registre aura un coût, mais annuler des élections cela coûte aussi, en temps et en argent. Nos procédures électorales doivent être solides. Il y va également de la crédibilité de la justice, dont les décisions doivent être respectées.
La grande complexité de notre droit électoral - avec des renvois en cascade entre articles du code électoral - est regrettable. Une partie du droit électoral n'est même pas codifiée : c'est le cas pour les représentants des Français de l'étranger en dehors des élections législatives ! Il faudra un jour mener un gros travail de clarification.
Cette proposition de loi vise à renforcer la confiance dans notre processus électoral. Merci au RDSE d'avoir inscrit ce texte dans son espace réservé. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE-K ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. Olivier Bitz, rapporteur de la commission des lois . - Je remercie Sophie Briante Guillemont pour son initiative. La commission des lois a adopté à l'unanimité cette amélioration bienvenue. Les services chargés de la réception des candidatures pourront ainsi réaliser un contrôle rapide de l'inéligibilité. En aval, nous espérons moins d'annulations d'élections.
Il existe quatre principaux motifs d'inéligibilité, qui peut résulter d'une condamnation pénale, avoir été prononcée par le juge électoral, découler de l'absence de capacité juridique, ou être fonctionnelle dans le but d'éviter les conflits d'intérêts.
Le casier judiciaire national n'est pas équipé pour transmettre le B2 de façon automatique : les préfectures doivent faire demande expresse pour chaque candidat. C'est impossible, au regard des 900 000 candidatures aux dernières municipales. Le nouveau « B2 plus » devrait permettre l'obtention du B2 dans les 48 heures, mais le contrôle ne sera toujours ni systématique ni intégral.
Il n'existe pas non plus de registre des mesures de protection des majeurs, bien que prévu par la loi Bien Vieillir de 2024.
Les inéligibilités prononcées par le juge administratif et le Conseil constitutionnel sont bien transmises au ministère de l'intérieur, mais l'information n'est pas centralisée.
La commission des lois a adopté à l'unanimité cette proposition de loi qui présente un intérêt évident, en la modifiant toutefois pour en assurer l'efficacité, l'opérationnalité et la lisibilité.
La commission a modifié la liste des informations, en supprimant la nationalité et le domicile afin de respecter la loi Informatique et libertés et le RGPD, mais en ajoutant tous les prénoms et le lieu de naissance afin de garantir l'identification univoque de la personne. Elle a renvoyé certaines dispositions au niveau réglementaire, resserrant le texte sur ses seules dispositions de nature législative.
La commission n'ignore pas les contraintes techniques et budgétaires, notamment la nécessité d'importants développements informatiques. Bien sûr, ce fichier ne pourra pas voir le jour avant les prochaines municipales, mais il faudrait qu'il soit opérationnel avant le 31 décembre 2029.
La consultation du fichier devra devenir obligatoire pour les autorités chargées de la réception des candidatures, y compris pour les élections sénatoriales, des représentants au Parlement européen et les élections relatives aux Français de l'étranger.
La commission a également procédé à des modifications de forme par souci de clarté : elle a regroupé les dispositions au sein d'un futur article L. 45-2 du code électoral et a renommé le fichier « répertoire national des personnes inéligibles », par cohérence.
Nous vous proposons d'adopter le texte ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et du groupe INDEP ; M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur . - (M. Martin Lévrier applaudit.) Contrôler l'éligibilité des candidats conforte la crédibilité du processus électoral, le bon déroulement de l'élection et donc la démocratie.
Dans le Jura, la péripétie d'un candidat sous curatelle qualifié pour le second tour a marqué les esprits. Des moyens de contrôle existent, mais rien n'est systématisé ni formalisé.
Cette proposition de loi a pour ambition de répondre aux difficultés que le Conseil constitutionnel constate a posteriori. Elle satisfait les recommandations de la Cour des comptes.
Nous partageons l'objectif, mais la mise en oeuvre n'est évidente ni d'un point de vue technique ni d'un point de vue juridique.
Les informations relatives aux inéligibilités sont déjà accessibles, notamment via le casier juridique et la publicité des décisions de justice, ce qui pose la question du coût du fichier par rapport à son utilité réelle.
En effet, les statistiques de l'inéligibilité montrent qu'il n'y a pas besoin de créer un tel fichier. En 2018, 10 670 peines d'inéligibilité ont été prononcées - c'est moins de 0,22 % du corps électoral. En 2020, près de 62 000 candidatures aux élections municipales ont fait l'objet d'une demande de B2 et un seul cas d'inéligibilité a été constaté. Un seul !
Le nouveau service B2+, déployé d'ici à la fin de l'année, permettra aux préfectures d'obtenir, pour les élections de mars prochain, le B2 d'un candidat dans un délai maximal de 24 à 48 heures. La systématisation du contrôle est à l'étude afin de raccourcir encore les délais. Ce nouveau dispositif simplifiera le contrôle, garantissant efficacité et transparence.
Un dispositif complémentaire permet déjà au juge d'exiger la démission d'office de l'élu dont l'inéligibilité est découverte a posteriori.
J'ajoute que les cas d'inéligibilité sont souvent connus localement.
Sur le plan technique, la mise en oeuvre d'un tel outil suppose de lourdes interconnexions entre les systèmes du ministère de la justice, du ministère de l'intérieur et du Conseil constitutionnel ; elle impliquerait la normalisation de la codification des peines, la création d'interfaces de consultation et engendrerait des coûts de développement, de maintenance et de sécurisation.
Cette proposition de loi est légitime, pertinente, mais complexe à mettre en oeuvre. Des outils existent qui permettent déjà d'assurer la régularité du processus électoral. Il semble donc raisonnable au Gouvernement d'adopter une position de sagesse.
Il faudra un travail interministériel structuré pour aboutir, à terme, à une solution articulée avec les systèmes d'information existants, ou intégrée à d'autres chantiers numériques de l'État. Dans cet esprit, nous saluons la démarche tout en réservant notre position sur le fond. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Olivier Bitz applaudit également.) Nous voulons tous garantir la sincérité du suffrage et la sécurité juridique de nos élections.
Il ne s'agit pas d'un texte technique, mais d'un texte de confiance - envers les électeurs, l'administration et la démocratie elle-même. Il répond aux recommandations convergentes de la Cour des comptes et d'un rapport inter-inspections de 2020. Le constat étant déjà ancien, je m'étonne de la position de sagesse du Gouvernement...
Chaque année, 80 000 personnes sont déclarées inéligibles, dont 16 000 en 2024 à la suite de condamnations pénales. Mais seules 6 % des 900 000 candidatures aux municipales de 2020 ont fait l'objet d'une vérification via le casier judiciaire, pour une seule inéligibilité détectée.
L'affaire de la deuxième circonscription du Jura est révélatrice d'une défaillance structurelle, liée à l'absence de dispositif centralisé.
La loi de 2017 a prévu la transmission du B2, mais faute d'automatisation, les préfectures doivent interroger individuellement le casier des candidats, dans des délais contraints. Le nouveau service B2+ ne systématisera pas davantage le contrôle, et toutes les causes d'inéligibilité ne sont pas consignées au casier judiciaire.
La commission des lois a enrichi le texte : elle a renommé le fichier « répertoire », a rendu sa consultation obligatoire, et s'est montrée favorable à la possibilité d'interconnecter le casier judiciaire avec les fichiers d'autres ministères que celui de la justice.
Notre groupe soutient pleinement cette initiative, mais son efficacité dépendra des conditions de sa mise en oeuvre. Première exigence : la coordination, entre le ministère de l'intérieur, la Chancellerie, le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel et les services chargés de la protection juridique des majeurs. Deuxième exigence : la réactivité, avec une mise à jour en temps réel, d'autant que les délais pour déposer une candidature sont très courts. Un répertoire obsolète serait plus dangereux qu'une absence de répertoire ! Troisième exigence : la protection des libertés publiques, d'où la consultation de la Cnil.
Le rapporteur prévoit une mise en oeuvre au plus tard au 31 décembre 2029 - malgré l'instabilité, le travail interministériel devrait pouvoir aboutir d'ici là. Nous aurions préféré une application dès les élections municipales de 2026, mais ce n'est guère réaliste.
Le groupe socialiste votera ce texte. C'est un chantier considérable : on prévoit 950 000 candidatures aux prochaines municipales. Espérons que les services de l'État sauront faire face. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE et du GEST)
M. Ian Brossat . - Notre démocratie repose sur la confiance. Pour qu'elle soit effective, encore faut-il que les règles du jeu électoral soient respectées. Dans le Jura, un candidat Rassemblement national sous curatelle renforcée a pu se présenter, malgré une inéligibilité de fait. De tels manquements imposent que l'administration ait accès à un outil fiable recensant les personnes dont le droit à être candidat a été suspendu.
Un fichier de plus ? Ce répertoire ne sera pas inutile, car la transparence est devenue une condition de la confiance. Les juridictions prononcent de plus en plus souvent des peines d'inéligibilité. Nul en République n'est dispensé d'exemplarité ; la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, et tous les citoyens sont égaux à ses yeux. Sans stigmatiser, ce répertoire évitera que l'on confonde la salle d'audience et celle du conseil municipal.
Ce dispositif avant tout préventif devra rester proportionné et utilisé uniquement par les autorités habilitées. Difficile de s'y opposer dans son principe : il rappelle que le droit à être élu est aussi une responsabilité.
Ce texte ne prétend pas moraliser la vie politique - il en faudrait bien davantage -, mais apporte une pierre à l'édifice de la confiance. En démocratie, la probité des élus est indispensable, et un peu de mémoire administrative ne fait pas de mal. Le groupe CRCE-K votera ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce texte est une bonne idée ; nous le voterons, même si notre groupe est plutôt prudent quand il s'agit de créer des fichiers, les dérives de l'exercice du pouvoir étant de plus en plus fréquentes.
On nous dit qu'il n'y a pas de sous. Mais la démocratie a un coût ! Un coût que le Gouvernement oublie parfois, comme lors de la loi PLM, qui va grever les finances des collectivités concernées...
Si l'on souhaite une participation accrue de nos concitoyens à la vie politique, il faut garantir le bon déroulement des élections. Il est plus coûteux de devoir organiser une nouvelle élection en cas d'annulation, comme récemment dans le Jura, que de mener des contrôles a priori !
Le rapport de la Cour des comptes préconise de donner aux services préfectoraux accès à un répertoire spécifique construit à partir du casier judiciaire national. Lors des dernières municipales, moins de 7 % des candidats avaient fait l'objet d'une demande de B2.
Le problème réside dans le morcellement des informations, le volume des candidatures à traiter et les délais contraints.
Cette proposition de loi y répond. Les services de préfectures ne peuvent pas tout faire. Nous, écologistes, préférerions que leur personnel se consacre à l'usager, comme ces travailleurs étrangers qui peinent à obtenir un papier ou un rendez-vous - d'autant plus que les recours et référés administratifs coûtent cher à l'État.
J'entends la réticence du Gouvernement. Je sais que les temps sont durs, mais le ministère de l'intérieur a dit soutenir la recommandation de la Cour. M. le rapporteur a reporté la mise en oeuvre du texte à fin 2029. Dès lors, madame la ministre, pourquoi vous y opposer ? C'est un pas en avant pour sécuriser les élections et redonner confiance. Nous le voterons nous aussi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST ; M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Tout progrès en matière de transparence électorale participe à renouer la confiance dans notre pacte républicain. L'État doit pouvoir vérifier qu'un candidat est éligible. C'est le sens de la proposition de loi de Sophie Briante Guillemont, soutenue par l'ensemble du RDSE. (Sourires et applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)
M. Francis Szpiner. - Quel événement !
M. Michel Masset. - Elle part d'un constat lucide : notre système de contrôle de l'inéligibilité demeure morcelé, incomplet, parfois tardif. Les préfectures chargées d'enregistrer les candidatures ne disposent que d'outils partiels. Résultat, des élections annulées, des recours, une atteinte à la sécurité juridique du vote.
Un répertoire national des personnes inéligibles donnerait aux autorités administratives un outil fiable, rapide et exhaustif.
Il ne s'agit pas de créer de nouvelles causes d'inéligibilité ou de stigmatiser, mais de rendre effectif un contrôle déjà prévu, mais imparfait.
Le RDSE y voit une avancée importante pour la fiabilité de nos processus électoraux et la transparence de la vie publique. Les difficultés récentes relevées par la Cour des comptes et les inspections générales montrent qu'un tel outil est devenu indispensable.
Certains s'inquiètent, légitimement, que le répertoire recense une population fragile, les majeurs protégés. Mais il sera strictement encadré et ses modalités d'accès seront fixées par décret, après avis de la Cnil.
La commission des lois a utilement resserré le texte sur son coeur juridique. Fidèle à l'esprit du Sénat et du RDSE, c'est une réforme concrète, équilibrée et respectueuse des libertés publiques. Le RDSE la votera avec conviction, à l'unanimité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI, du groupe UC et du GEST)
Mme Anne-Sophie Patru . - La crédibilité de nos institutions repose sur la confiance, fragilisée par des dysfonctionnements administratifs aux répercussions politiques et financières. La proposition de loi cible l'une de ces failles : l'absence de vérification systématique et fiable des inéligibilités avant les élections.
Les auditions du rapporteur ont montré que ce contrôle était fragmenté, lent et efficace. Seulement 6 % des 902 000 candidatures aux municipales de 2020 ont été vérifiées via le B2, et une seule inéligibilité a été détectée. C'est que les préfectures doivent effectuer des demandes manuelles pour chaque candidat. Le nouveau service B2+ prévu pour la fin de l'année réduira les délais de transmission, mais ne permet pas la généralisation ou l'automatisation des contrôles.
Depuis la loi du 15 septembre 2017, le nombre de peines d'inéligibilité s'est envolé : 16 000 condamnations en 2024, contre moins de 50 par an avant 2017. Mais l'information n'est pas transmise, et l'inéligibilité peut n'être découverte qu'après l'élection, lors d'un recours... Aucun système centralisé ne recense les décisions de placement sous tutelle ou curatelle, alors que 65 000 mesures de protection sont prononcées chaque année.
Je salue l'initiative pertinente de Sophie Briante Guillemont. Ce répertoire serait nourri par le ministère de la justice, le Conseil d'État et les greffes des tribunaux judiciaires. Il ne concernerait que les inéligibilités objectives et vérifiables, non les inéligibilités fonctionnelles.
Le rapporteur a veillé à ce que seules les données strictement nécessaires soient transmises, conformément au RGPD. L'accès au répertoire serait limité aux préfectures, aux juridictions, au Conseil constitutionnel et aux personnes concernées.
Le texte impose aux préfectures l'obligation légale de consulter le répertoire avant d'enregistrer toute candidature.
La commission des lois a proposé une date d'entrée en vigueur au 31 décembre 2029, délai nécessaire pour développer les interconnexions informatiques et assurer la fiabilité du système. Ce calendrier, aligné sur celui du répertoire électoral unique, paraît réaliste.
Le groupe UC soutiendra cette proposition de loi qui allie efficacité administrative et respect des libertés individuelles. C'est un outil pour une démocratie plus transparente et numérique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE)
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Bravo !
Mme Laure Darcos . - Le rapport de la Cour des comptes retrace les difficultés des préfectures pour contrôler a priori les candidatures aux élections - étape pourtant indispensable au bon déroulement du processus électoral.
Faute d'instrument de contrôle systématique et automatique, ces démarches sont lentes et complexes et exposent à un risque d'erreur. Aussi la Cour recommande-t-elle de créer un répertoire spécifique, alimenté par le casier judiciaire national, accessible, de manière sécurisée, aux agents des bureaux des élections dans les préfectures.
La proposition de loi de Sophie Briante Guillemont apporte une réponse à la recommandation de la Cour. Son article unique institue un fichier national des personnes devenues inéligibles à la suite d'une condamnation pénale, d'une décision du juge électoral ou d'une mesure de protection juridique.
Soyons clairs : il ne s'agit nullement de stigmatiser qui que ce soit, et encore moins les personnes en situation de handicap, comme le craignait le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), mais de faciliter l'évaluation des candidatures par les services préfectoraux et de réduire les annulations d'élections.
Je me réjouis que la commission des lois se soit associée à l'objectif du texte et l'ait amélioré. Les nouvelles dispositions seront rassemblées dans un nouvel article du code électoral. Je me félicite également du renvoi au pouvoir réglementaire de la définition des personnes autorisées à accéder au nouveau fichier. La création d'une obligation de consultation et le décalage de l'entrée en vigueur du répertoire au 31 décembre 2029 marquent le volontarisme et le pragmatisme de la commission des lois, que je salue. Je salue également le travail de qualité du rapporteur.
Cette proposition de loi renforce l'efficacité administrative. Le groupe INDEP la votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe UC)
Mme Évelyne Renaud-Garabedian . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.) Imaginez un maire élu, dont l'élection est annulée par le tribunal administratif quelques mois après. Pourquoi ? Parce que personne n'avait vu qu'il était inéligible, faute d'outil fiable. Résultat : un scrutin annulé, une campagne à recommencer, de l'argent public de nouveau dépensé pour organiser une nouvelle élection, des élus locaux déstabilisés et des citoyens exaspérés. Ce n'est pas une fiction, mais une réalité. Pendant ce temps, la confiance dans nos institutions s'effrite.
Actuellement, le contrôle de l'inéligibilité est trop complexe. Les services concernés doivent regrouper des informations dispersées dans des délais très courts, et avancent donc dans un véritable labyrinthe.
Notre responsabilité et notre devoir institutionnel nous imposent de moderniser le contrôle de l'inéligibilité. Je soutiens pleinement la création de ce répertoire, non pour stigmatiser qui que ce soit ni pour punir deux fois, mais pour que chaque scrutin soit inattaquable et que chaque électeur ait confiance dans la sincérité du vote.
Ce répertoire, consultable uniquement par les autorités compétentes et les personnes concernées, n'est pas une atteinte aux libertés. C'est une garantie démocratique.
Singularité de notre République, la représentation des citoyens résidant à l'étranger est régie par des dispositions particulières qui ne relèvent pas directement du code électoral. Pour éviter que le texte ne leur soit pas applicable, je voterai l'amendement de Sophie Briante Guillemont. Il s'agit d'éviter des contentieux.
La démocratie ne s'arrête pas à l'Hexagone, mais vit aussi à Casablanca, Montréal, Singapour, Tel-Aviv, São Paulo, Abidjan ou Londres, partout où les Français sollicitent la confiance de leurs compatriotes. L'intégrité du vote doit y être garantie.
Un registre n'a de sens que s'il est contrôlé. Cet outil, même robuste, serait inefficace si sa consultation n'était pas obligatoire. Toute autorité habilitée à enregistrer une candidature devra donc le vérifier.
Les préoccupations exprimées sont légitimes. Protéger les données des citoyens est une exigence juridique et une responsabilité publique. Il faut donc des accès limités, tracés, contrôlés, une surveillance constante et le droit de corriger toute erreur.
Le cadre posé par le texte va dans le bon sens. Nous serons vigilants sur sa mise en oeuvre.
Créons cet outil simple, efficace et responsable, au service de la République, de l'égalité des candidats et de la confiance des électeurs, en France comme à l'étranger. Garantir la sincérité du vote, c'est garantir la légitimité de nos institutions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI)
M. Martin Lévrier . - (M. Olivier Bitz applaudit.) Cette proposition de loi comble une faille manifeste de notre système électoral. La carence dans le contrôle des inéligibilités a été mise en lumière lors de la dernière élection législative partielle dans la deuxième circonscription du Jura, conduisant à son annulation, l'un des candidats étant inéligible.
La réponse apportée par cette proposition de loi est claire et pragmatique.
Les données disponibles seront strictement encadrées et permettront un contrôle automatique, rapide et exhaustif. Le travail de la commission et du rapporteur Olivier Bitz a rendu le texte plus opérationnel et respectueux des libertés individuelles. Le texte a d'ailleurs été adopté à l'unanimité en commission.
Les garde-fous mis en place témoignent d'un souci constant d'équilibre entre efficacité administrative et respect des droits fondamentaux. En cohérence avec la recommandation de la Cour des comptes, ce texte s'inscrit dans une logique de modernisation et de transparence de la vie politique.
Les réserves du Gouvernement sur la lourdeur de la mise en oeuvre doivent être entendues. La gouvernance du futur répertoire mérite d'être précisée afin d'éviter toute ambiguïté.
Mais le fondement du texte demeure : garantir la sincérité du scrutin, renforcer la confiance dans nos institutions et doter l'administration d'un outil moderne, fiable, au service de la transparence électorale.
Le RDPI votera cette avancée concrète pour fiabiliser notre démocratie et sécuriser le travail des services préfectoraux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et du GEST ; M. Olivier Bitz applaudit également.)
Discussion de l'article unique
Article unique
M. le président. - Amendement n°1 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - Par cet amendement, nous voulons inscrire expressément dans le texte l'effacement des données à caractère personnel du répertoire dès lors que l'inéligibilité arrive à son terme, conformément aux dispositions du RGPD.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Vous avez présenté à la fois votre amendement et les raisons qui justifient notre demande de retrait... (M. Guy Benarroche sourit.) L'amendement est satisfait par les dispositions du RGPD. En outre, les modalités de gestion du fichier seront précisées par décret en Conseil d'État, après avis de la Cnil. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. - Même avis, pour les mêmes raisons.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié de Mme Briante Guillemont et alii.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Nous prévoyons l'interconnexion du registre avec le casier judiciaire.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Avis favorable.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. - Nous comprenons l'intérêt juridique de cette mesure, mais elle nécessite des expertises supplémentaires entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice. Sagesse.
L'amendement n°2 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°4 de M. Bitz, au nom de la commission des lois.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Nous supprimons la disposition relative aux modalités de transmission des informations qui relèvent du pouvoir réglementaire.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. - Sagesse.
L'amendement n°4 est adopté.
M. le président. - Amendement n°5 de M. Blitz au nom de la commission de lois.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Cet amendement garantit l'effectivité de la proposition de loi en prévoyant l'obligation de consultation du répertoire pour l'élection des sénateurs.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. - Là encore, avis de sagesse. Il faudra retravailler ce point.
L'amendement n°5 est adopté.
M. le président. - Amendement n°6 de M. Blitz au nom de la commission de lois.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Même règle, pour l'élection des représentants au Parlement européen.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ah ! Alors ?
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. - Retrait, sinon avis défavorable.
L'amendement n°6 est adopté.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié bis de Mme Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Amendement de coordination pour prévoir l'application du texte à l'élection des représentants des Français de l'étranger.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Avis favorable.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. - Sagesse.
L'amendement n°3 rectifié bis est adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Le groupe SER est favorable au texte. Je regrette la position du Gouvernement. Le Parlement réalise un travail qui aurait dû être effectué par le ministère de l'intérieur. Les avis de sagesse de la ministre sont très décevants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains, du RDSE et du GEST)
Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi . - Je souscris aux propos de Mme de La Gontrie. Madame la ministre, cette proposition de loi est transpartisane et très attendue. Or nous constatons l'absence d'avancées des ministères de la justice et de l'intérieur sur ce sujet depuis la parution du rapport de la Cour des comptes. Il est de votre responsabilité d'y remédier ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes UC et Les Républicains, du GEST et du groupe SER)
L'article unique, modifié, est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée.
M. le président. - À l'unanimité ! (Applaudissements)
La séance est suspendue à 12 h 50.
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 30.
Protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Discussion générale
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) « Et tout compte fait, quel type de violence pouvait être imposé dans un État où le droit était solidement ancré, où chaque citoyen croyait sa liberté et l'égalité des droits garanties par la constitution solennellement jurée ? (...) Ancrés dans notre vision du droit, nous croyions à l'existence d'une conscience morale européenne universelle et nous étions convaincus qu'il y avait un certain degré d'inhumanité qui s'éliminerait, une fois pour toutes, devant l'humanité. Comme j'essaie ici d'être honnête autant que possible, je dois reconnaître que, chaque fois, nous n'avons pas cru possible un centième ni même un millième de ce qui allait faire irruption quelques semaines plus tard. »
Ces mots sont issus du Monde d'hier de Stefan Zweig. Ils marquent une sidération devant la fin brutale des certitudes.
Nous avons l'impression que la démocratie est intangible. Le droit a la force de cette apparence ; il donne l'illusion d'une solidité à toute épreuve, mais cette solidité est conditionnelle. Tous les textes principiels peuvent être remis en question, y compris la Constitution.
L'institut V-Dem de l'université de Göteborg, en Suède, publie régulièrement un rapport sur l'état de la démocratie dans le monde. Alors que plus de la moitié de la population mondiale vivait sous un régime démocratique il y a vingt ans, l'équilibre bascule : 71 % de la population mondiale vivant dans une autocratie en 2023, contre 48 % en 2015 ; 45 pays en voie d'autocratisation, contre 19 en voie de démocratisation.
La démocratie recule moins sous les coups d'État et les invasions armées que par une érosion intérieure des droits fondamentaux. Liberté d'expression et d'association, sincérité des scrutins : tous les signaux sont au rouge. C'est pire que dans les années 1930. Les dérives autoritaires viennent de tous les camps politiques : au Venezuela, le régime de Maduro survit par la violence ; aux États-Unis, Donald Trump outrepasse ses prérogatives constitutionnelles, écrase le Congrès, organise une chasse aux migrants incluant tous les étrangers. En Hongrie et en Pologne, les partis populistes de droite instaurent des mesures illibérales : contrôle des médias publics, restriction des droits fondamentaux, notamment le droit à l'avortement.
L'illibéralisme n'est pas une rupture extérieure au constitutionnalisme libéral, mais un phénomène interne : des gouvernements élus utilisent le droit et le langage des libertés pour justifier des politiques liberticides.
En quelques années, la Hongrie est passée d'un constitutionnalisme à l'allemande à une cour diminuée sous contrôle politique.
L'essor du populisme remet en cause les cours constitutionnelles : par leur capture, comme en Pologne ou aux États-Unis, ou par leur marginalisation, comme en Hongrie.
Dans notre pays, la tentation illibérale est notamment portée par une proposition de loi du Rassemblement national (RN) qui dépasse largement le cadre annoncé d'un simple référendum sur l'immigration. Ce dernier est un écran de fumée : sous couvert d'un texte technique destiné à combler un prétendu vide constitutionnel, il s'agit en réalité de redéfinir la nature de notre régime républicain. Ce texte modifierait 20 % de notre Constitution, notamment en y inscrivant la priorité nationale, la discrimination légale envers tous les étrangers, la limitation de l'accès aux prestations sociales, la restriction du regroupement familial et la suppression du droit du sol. En outre, il placerait la Constitution au-dessus des traités internationaux, privant tous les citoyens du recours devant les juridictions européennes comme la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Il s'agit d'une bombe à fragmentation qui fera voler en éclats les fondements démocratiques de notre État de droit. Ce texte instaure une Constitution plébiscitaire qui consacre la priorité nationale, la xénophobie d'État et le nationalisme identitaire. Sous couvert de souveraineté nationale, il isolerait la France et porterait atteinte aux droits et libertés.
L'identité française, omniprésente, mais jamais définie, supposément menacée, devient un principe constitutionnel flou, instrumentalisé, ouvrant la voie à une dérive autoritaire fondée sur une conception idéologique de la francité. Selon les mots du sociologue François Dubet, c'est un texte adapté au temps des passions tristes.
Prenant prétexte d'un précédent historique malheureux, déjà illégal, il détourne le recours à l'article 11, alors que seule la voie de l'article 89 prévaut pour réviser la Constitution. Le but est donc de détruire les principes constitutionnels de l'intérieur : choix funeste pour la France.
Au-delà de la simple organisation des pouvoirs publics, la Constitution est un acte fondateur qui définit l'ordre sociétal voulu. C'est pourquoi il doit être difficile de la modifier. La voie doit différer de la voie ordinaire, conformément au choix du constituant de 1958 qui n'a mis qu'un seul article dans le titre XVI intitulé « De la révision ». Passer par l'article 11 efface le Parlement et le Conseil constitutionnel.
Notre proposition de loi constitutionnelle a pour but de boucher cette porte dérobée, en confirmant que seul l'article 89 doit servir pour réviser la Constitution.
Il ne s'agit pas d'une seule menace. Dans un contexte de dérives illibérales généralisées, tout Président de la République élu pourrait avoir la tentation de contourner nos institutions par le biais de l'article 11.
En fait, c'est l'ambiguïté du principe de souveraineté nationale qui est exploitée : né de la Révolution française comme fondement de la démocratie et de la citoyenneté, il peut aussi dériver vers l'exclusion. Gérard Noiriel a montré que le même réflexe s'est réactivé en France à chaque crise, celui de désigner les étrangers comme responsables des difficultés : de la protection du travail français en 1880 au durcissement des politiques migratoires dans les années 1980, la préférence nationale sert de réponse politique aux angoisses sociales.
Ce réflexe est à rebours de ce que nous sommes et du développement des droits qui prévaut en France depuis 200 ans. La constitutionnalisation de la préférence nationale détruirait cet édifice. Notre pays est bien plus que cela : la France est une composition, pour reprendre les mots de Mona Ozouf.
Loin des discours de l'extrême droite et de la droite extrême glorifiant une France éternelle qui n'a jamais existé, reconnaître la pluralité des identités françaises, c'est renoncer à l'enfermement et à la sécession identitaire et donner une chance à notre pays.
Si je suis favorable au référendum d'initiative citoyenne ou au référendum d'initiative partagée (RIP), ces outils ne peuvent être activés sur la base de l'émotion. Ne cédons pas au risque plébiscitaire, en donnant plus de pouvoir à un président qui en a déjà trop. Sauvegardons notre démocratie menacée. (Applaudissements sur les travées de groupe SER, du GEST et du groupe CRCE-K)
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Le but de ce texte est annoncé avec clarté : protéger la Constitution en limitant sa révision à la voie de l'article 89.
Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'enjeux politiques contemporains, mais elle nous renvoie à la vieille querelle : celle du recours par le général de Gaulle à l'article 11 pour réviser la Constitution en 1962.
L'article 89 prévoit que l'initiative de la révision appartient au Président de la République sur proposition du Premier ministre, et aux parlementaires. Ensuite, le texte doit être voté dans les mêmes termes par les deux assemblées, puis approuvé soit par référendum soit par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes quand il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle, soit par référendum décidé par le Président de la République pour une proposition de loi constitutionnelle.
En 1969, le général de Gaulle a recouru à l'article 11 pour introduire l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. Cet article concerne le référendum législatif : le Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou proposition conjointe des deux assemblées, peut soumettre à référendum tout projet de loi « portant sur une série de matières limitativement énumérées », dont l'organisation des pouvoirs publics. Le général de Gaulle s'était appuyé sur l'ambiguïté de cette formule.
La régularité de cette manoeuvre avait d'emblée fait l'objet d'un avis négatif du Conseil d'État. Perçue comme une stratégie de contournement du Parlement, elle avait suscité une forte opposition des deux assemblées, aussi bien au Sénat, sous la présidence de Gaston Monnerville, qu'à l'Assemblée nationale, qui vota la censure contre le gouvernement Pompidou.
Néanmoins, le projet, soumis au référendum, fut adopté par le peuple, le Conseil constitutionnel ayant jugé qu'il n'était pas compétent pour contrôler les lois référendaires. Le texte a pu entrer en vigueur et depuis 1965, le Président de la République est effectivement élu au suffrage universel direct.
M. Olivier Paccaud. - Et c'est heureux !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Depuis, la Constitution n'a jamais été modifiée via l'article 11. Par la suite, 23 révisions ont eu lieu, toutes par l'article 89, et toutes, sauf une, ont été approuvées par le Congrès.
Dès lors, pourquoi vouloir protéger la Constitution ? Ce texte vise à s'opposer à la tentation du RN de recourir à l'article 11 pour réviser la Constitution. Tout au long de mes travaux, je me suis demandé si le dispositif proposé permettait d'atteindre l'objectif visé, et s'il était opportun de voter ce texte dans le contexte actuel. À ces deux questions, je réponds par la négative : la proposition de loi constitutionnelle est juridiquement inefficace, et elle est politiquement contre-productive.
La première question est juridique. Ce texte ne fait que consacrer ce que dit la doctrine : l'article 89 est la seule voie régulière de révision de la Constitution. Elle le disait déjà en 1962. De plus, en pratique, la proposition de loi constitutionnelle n'empêcherait pas un futur Président de la République de recourir à l'article 11. C'est une loi ordinaire qui a réformé la Constitution en 1962, et cela n'a pas empêché qu'elle entre en vigueur, car le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent pour statuer sur un référendum.
Ce texte ne serait donc qu'une barrière de papier.
D'un point de vue politique, cette proposition de loi constitutionnelle est contre-productive. À titre personnel, je partage l'objectif de son auteur et ne défends pas le projet du RN. Je ne m'exprime que sur cette proposition de loi constitutionnelle ; et je vous invite à la rejeter, car, en l'adoptant, quel message enverrions-nous ?
M. Patrick Kanner. - Un bon message !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Nous donnerions l'impression de réviser la Constitution contre le Rassemblement national.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oh la la ! Quelle horreur !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Il faut s'assurer que cette proposition de loi constitutionnelle soit comprise. Or ce ne serait pas le cas. (Protestations sur les travées du groupe SER ; M. Joshua Hochart proteste également.)
Il ne faut pas adopter ce texte simplement parce qu'on redouterait le résultat d'élections. Imaginez l'exploitation politique possible. Préservons notre pacte fondamental de toute appropriation partisane.
Depuis la Révolution, pendant 150 ans, la France a été un pays d'instabilité constitutionnelle, car toutes les formations politiques entretenaient un rapport partisan à la Constitution. Depuis 1958, la Constitution est devenue la chose de tous - qu'elle le reste.
En commission, nous avons eu des débats vifs, mais surtout riches.
Je salue Éric Kerrouche...
Mme Laurence Rossignol. - Ah, tout de même !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - ... pour son initiative et les signataires de la proposition de loi constitutionnelle, car elle soulève des questions essentielles. Toutefois, celles-ci doivent être tranchées lors de l'élection présidentielle et non pas par ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Olivia Richard applaudit également.)
M. Laurent Panifous, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement . - Permettez-moi d'excuser le garde des sceaux, retenu à Lyon pour des consultations avec des magistrats.
Je salue l'initiative à l'origine de cette proposition de loi constitutionnelle. Son intention est vertueuse : protéger la loi fondamentale, éviter toute dérive autoritaire. Toutefois, ce texte pose des difficultés à la fois juridiques, politiques et symboliques.
Du point de vue juridique, l'état du droit est limpide. Seul l'article 89 de la Constitution en prévoit la révision. Seul le recours à cet article est possible. Telle est la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Certes, le contrôle du Conseil constitutionnel n'avait pas été possible en 1962, mais, depuis, par sa décision Maastricht I de 1992, le Conseil constitutionnel a indiqué que la Constitution ne pouvait être modifiée que par les procédures qu'elle prévoit. Ensuite, le Conseil d'État a circonscrit le champ des deux procédures, en jugeant que les référendums en question sont soumis au contrôle du Conseil constitutionnel. Ensuite, depuis la décision Hauchemaille du 25 juillet 2000, le Conseil constitutionnel contrôle les documents préparatoires au référendum, notamment le décret de convocation des électeurs. Un tel décret serait alors censuré si l'article 11 était utilisé pour réviser la Constitution, et la convocation du référendum serait rendue impossible.
L'ancien président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius lui-même soulignait que la révision ne pouvait intervenir que par l'article 89. Le verrou existe donc. En faisant se répéter la Constitution, nous prendrions le risque d'interprétations ambiguës.
Ensuite, au niveau politique, ce texte pourrait apparaître comme l'expression d'une crainte à l'égard du peuple. Il semble opposer la souveraineté populaire, qui appartient au peuple, à la souveraineté nationale, exercée par ses représentants. Adopter ce texte serait envoyer un message paradoxal aux citoyens, alors qu'ils demandent plus de participation, plus de confiance, plus d'écoute.
Enfin, ce n'est pas en faisant se répéter la Constitution que nous protégerons la République, mais en préservant la qualité du débat public et en fournissant aux citoyens une information fiable. Le véritable rempart, c'est la vigilance démocratique de chaque instant et la maturité collective dont nous avons toujours su faire preuve.
Le texte de 1958 a prouvé sa solidité et sa capacité d'adaptation. Les irrégularités procédurales du passé ne peuvent plus se reproduire.
Le Gouvernement sera défavorable à l'adoption de cette proposition de loi constitutionnelle, tout en saluant cette initiative qui pose la question essentielle du rôle des citoyens dans notre processus législatif, qu'il soit ordinaire ou constitutionnel.
M. Ian Brossat . - Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle ont eu raison de le rappeler : le projet du RN est profondément raciste. La proposition de loi constitutionnelle déposée par Marine Le Pen en janvier 2024 en est une preuve éclatante. Cette proposition de loi constitutionnelle restaure la préférence nationale, pudiquement rebaptisée priorité nationale : c'est inscrire la discrimination dans notre Constitution.
Il nous faut dénoncer cette surenchère permanente faisant de l'immigré le responsable de tous les maux de notre société. Cette obsession du RN visant à instiller le venin de la division s'incarne dans des mesures érigeant la xénophobie en norme constitutionnelle.
Notre inquiétude grandit ! La droite républicaine s'est emparée de cette obsession qui pendant longtemps a été celle de l'extrême droite. (M. Joshua Hochart s'exclame.) La semaine dernière, une partie des élus appartenant à la majorité du Président de la République a fait le choix de voter une proposition de loi du RN.
M. Joshua Hochart. - Enfin !
M. Ian Brossat. - Nous voyons bien l'ensemble des menaces qui pèsent sur nos principes républicains. Ce n'est pas le propre de la France ; une internationale réactionnaire se constitue dans le monde entier. Ce texte a parfaitement raison de pointer ces menaces, et c'est pourquoi notre groupe le votera.
Pour lutter contre l'extrême droite, le combat doit d'abord être mené sur le terrain des idées. Le meilleur antidote à l'extrême droite n'est pas le verrou constitutionnel, mais - je l'assume, comme communiste - la conscience de classe, c'est-à-dire la conscience du monde du travail qu'il partage des intérêts communs face à la bourgeoisie, face au capital.
M. Joshua Hochart. - Cela fait longtemps que vous ne défendez plus les ouvriers !
Une voix à gauche. - Chut !
M. Ian Brossat. - C'est en faisant grandir cette conscience de classe que nous ferons reculer l'extrême droite. Le combat contre l'extrême droite doit être mené sur le terrain politique, idéologique. Évidemment, nous en serons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Est-ce le bon moment pour consolider notre Constitution face aux menaces de ceux qui voudraient en finir avec la promesse républicaine ? Oui.
Cette proposition de loi constitutionnelle consacre sans ambiguïté le fait que la Constitution ne peut être révisée que par le seul article 89. Ainsi, elle comble une faille largement connue depuis des décennies, utilisée par le général de Gaulle pour proposer deux réformes constitutionnelles. (M. Francis Szpiner s'exclame.) Ce présidentialisme exacerbé est un danger qui emporte des effets jusqu'à nos jours et dont les conséquences pourraient être encore pires demain.
Certes, un très large consensus parmi les constitutionnalistes affirme que la Constitution ne peut être révisée que par l'article 89. Mais la faille est connue, et le consensus doctrinal ne suffit pas à dissuader le personnel politique de tordre la Constitution.
J'admets l'argument selon lequel une révision constitutionnelle ne doit pas viser un parti. Mais ce texte doit être soutenu, indépendamment de notre lutte contre le RN. Si ce dernier ne se cache pas de vouloir utiliser l'article 11, notre problème n'est pas que l'extrême droite veuille exploiter cette faille, mais bien que cette faille existe.
Il ne sert à rien de politiser ce texte. (Mme Audrey Linkenheld acquiesce.) Il y a un problème et il faut y répondre. La voix du Parlement est de plus en plus bafouée : pour ne pas l'outrepasser, notre Constitution ne doit laisser planer aucun doute. Il est normal que des verrous protègent la Constitution ; c'est une garantie de stabilité.
Nous aurions peur du vote populaire, dites-vous ? Mais cette proposition de loi constitutionnelle n'empêche en rien de faire appel au référendum. Elle n'annule en rien le besoin vital de redynamiser la démocratie directe. Le référendum d'initiative partagé est quasi inaccessible, le référendum n'est jamais utilisé.
Nous appelons au renforcement de la démocratie et à la protection de l'État de droit, ce qui passe en partie par l'adoption de cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements à gauche)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Notre débat est presque aussi ancien que la Ve République. (M. Francis Szpiner acquiesce.) Peut-on réformer la Constitution via son article 11 ? Faut-il impérativement passer par l'article 89 ?
Dès le lendemain de l'installation de la Ve République, le général de Gaulle s'est inquiété de sa succession et de la capacité du prochain président à gouverner. Pour affermir son poids, il a décidé de le faire élire au suffrage universel direct.
Avait-il raison ? Sa décision de contourner le Parlement par l'article 11 s'appuie d'abord sur l'intérêt national, ensuite sur la politique, enfin sur le droit - ce qu'il qualifiait de « juridisme ». Léon Noël, premier président du Conseil constitutionnel, avait réussi à convaincre le général de Gaulle de changer d'avis ; mais il y eut l'attentat du Petit-Clamart.
Depuis, la doctrine s'est accordée : en théorie, l'article 11 relève seulement du domaine législatif et non constitutionnel. On connaît la suite : de Gaulle a quitté le pouvoir en 1969 après le « non » au référendum sur le Sénat. Mais la brèche ouverte par le Général n'a jamais été refermée. Nous aurions dû politiquement et juridiquement nous emparer du sujet, car cette brèche est dangereuse et le restera tant qu'elle ne sera pas comblée.
L'adoption de cette proposition de loi constitutionnelle ne sera certainement pas suffisante pour lutter contre une dérive autoritaire, mais il ne faut négliger aucun levier. L'unanimité de la doctrine ne protège pas contre une autre interprétation de l'article 11. De même, la jurisprudence Hauchemaille, qui permet au Conseil constitutionnel de contrôler le décret de convocation d'un référendum, ne suffit pas. Le Sénat a encore fait ce constat l'an dernier.
Nous devons défendre notre pacte fondamental. Ce n'est pas protéger la Constitution que de laisser subsister ce qui pourrait devenir l'instrument de l'arbitraire. Nous ne cadenassons pas la Constitution, nous la protégeons.
En 1962, Gaston Monnerville, président du Sénat, s'était fortement opposé à cette votation. Il disait : « Le peuple français doit comprendre que réviser cette Constitution par le biais de l'article 11, c'est porter atteinte à ses droits et à ses libertés, car, lorsque les garanties qui lui sont données par la Constitution sont violées, il n'y a plus de République. »
Le groupe RDSE, porté par son histoire, votera cette proposition de loi avec conviction. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, du GEST et du RDSE)
Mme Olivia Richard . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Un référendum sur le référendum, vraiment ? C'est un peu retour vers le futur. On a déjà eu cette idée en 1984, alors que la réforme Savary sur l'école jetait plus d'un million de personnes dans la rue. Mitterrand envisageait un référendum sur le référendum, pour étendre le champ d'application de l'article 11 aux libertés publiques. Heureusement, il n'a jamais eu lieu.
Le groupe SER veut empêcher une dérive populiste. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il ne faut pas détourner la procédure du référendum législatif pour réviser la Constitution ; nous sommes tous convaincus que la seule voie possible est l'article 89.
Néanmoins, les travaux de la rapporteure montrent que cette proposition de loi constitutionnelle n'empêcherait aucun contournement. En effet, le dispositif est inopérant.
Imaginons que le Sénat vote la proposition de loi constitutionnelle, sur un mode déclaratoire, pour dire son refus du populisme ; encore faut-il que l'Assemblée nationale l'inscrive à l'ordre du jour. Je crois que les socialistes de l'Assemblée nationale sont occupés à autre chose.
Mme Laurence Rossignol. - Ce n'est pas sérieux ! (M. Rachid Temal renchérit.)
Mme Olivia Richard. - Admettons que le Gouvernement inscrive le texte à l'ordre jour, pour faire plaisir aux socialistes - c'est un peu la mode en ce moment...
Mme Laurence Rossignol. - Ce n'est pas au niveau !
Mme Olivia Richard. - Imaginons que le texte soit voté par les deux chambres...
M. Éric Kerrouche. - C'est le principe...
Mme Olivia Richard. - ... le Président de la République devrait convoquer un référendum pour son adoption définitive. Notons qu'il a proposé, lors des entretiens de Saint-Denis, en 2023, d'élargir le champ des référendums. Mais alors, quand aura lieu ce référendum ? Au moment des municipales ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous êtes pour ou contre ?
M. Éric Kerrouche. - C'est ridicule.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Centriste un jour, centriste toujours.
Mme Olivia Richard. - Bref, on pourrait essayer de réconcilier les Français avec leurs institutions au lieu de donner l'impression qu'on tente de se barricader contre eux.
Lorsqu'on inscrit un texte à l'ordre du jour, c'est, en principe, dans l'espoir de le voir prospérer. Ou alors, c'est pour faire de la politique.
Mme Laurence Rossignol. - Bien sûr, vous n'en faites jamais. Pas votre genre !
Mme Olivia Richard. - S'il s'agit de sensibiliser nos compatriotes sur le danger que représente le Front national ? pardon, le Rassemblement national ? pour notre État de droit, de réaffirmer à quel point celui-ci est précieux, je vous rejoins. S'il s'agit de proposer un texte invotable et qui n'a aucune chance de prospérer...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Avec vous, c'est sûr...
Mme Olivia Richard. - ... pour reprocher à la majorité sénatoriale de ne pas le voter et l'accuser de ne pas protéger la Constitution face au RN, c'est indigne de la crise démocratique.
L'Union centriste ne votera pas cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol. - C'est vous qui avez écrit ça ? Vous valez mieux !
Mme Laure Darcos . - Faut-il protéger le peuple de lui-même ?
Nos collègues socialistes sont inquiets d'un hypothétique recours du Rassemblement national à une procédure pourtant considérée par l'écrasante majorité des spécialistes comme inapplicable à la modification de la Constitution. De fait, la révision est encadrée par le titre XVI, qui contient l'unique article 89.
Au-delà du consensus doctrinal, il faut rappeler que le général de Gaulle a fait usage par deux fois de l'article 11 pour modifier, ou tenter de modifier, la Constitution. Le Conseil constitutionnel s'était alors déclaré incompétent pour statuer sur des lois adoptées par référendum, celles-ci constituant l'expression directe de la souveraineté nationale.
Alors que les mouvements populistes gagnent dans de nombreux pays, nous comprenons l'inquiétude du groupe socialiste. Dans un scénario dystopique, les Français pourraient adopter par référendum une révision de nature à faire basculer la France dans un régime autoritaire.
Mme Audrey Linkenheld. - Dystopique, vraiment ?
Mme Laure Darcos. - Nous comprenons le raisonnement qui sous-tend ce texte, mais pensons que la réponse proposée n'est pas judicieuse.
D'abord, elle serait inopérante, puisqu'elle n'empêcherait pas un Président de la République de soumettre à référendum un projet de loi modifiant la Constitution, comme jadis le général de Gaulle. Le Conseil constitutionnel ne pourrait pas davantage s'y opposer qu'à l'époque.
Ensuite, elle soulève une difficulté de philosophie politique. En démocratie, faut-il craindre le peuple ? Nous ne le croyons pas et trouvons dangereux de laisser penser que les représentants des Français souhaiteraient les bâillonner.
Depuis de Gaulle, l'écrasante majorité des révisions ont été approuvées par le Congrès. Le dernier référendum, en 2005, a laissé un souvenir amer à nos concitoyens, car il n'a pas été tenu compte de leur vote. Le choix opéré à l'époque est encore présent dans la mémoire collective. C'est ainsi qu'on nourrit la division entre le peuple et ses représentants.
L'adoption de ce texte alimenterait le sentiment partagé par nombre de nos concitoyens de ne pas être écoutés. Ni les institutions ni leurs représentants n'ont besoin de davantage de défiance.
Enfin, si ce texte était adopté par le Parlement, il ne pourrait être définitivement approuvé que par référendum. Au fond, il s'agirait d'un référendum demandant au peuple de bien vouloir accepter de ne plus être consulté sur la modification de la Constitution...
Mme Corinne Narassiguin. - Pas du tout !
Mme Laure Darcos. - Pour sortir de cette impasse, d'aucuns imaginent un hypothétique projet de loi constitutionnelle pouvant être adopté par le Congrès : de quoi entériner pour de bon le divorce entre nos concitoyens et leurs représentants.
La faille constitutionnelle pointée par nos collègues socialistes est une menace réelle sur la protection des droits et libertés individuels. Les Françaises et les Français doivent en prendre conscience et choisir la manière d'y répondre, par exemple en imposant une participation minimale ou une majorité qualifiée.
La campagne présidentielle se prête bien mieux à un tel débat que l'espace réservé d'un groupe parlementaire. Les Indépendants voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, sur de nombreuses travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte semble relever d'une proposition de circonstance. Or le temps du droit constitutionnel n'est pas celui de la politique. Il n'est pas opportun qu'une révision de notre loi fondamentale soit subordonnée à des arrière-pensées partisanes plus ou moins destinées à bloquer une hypothétique majorité future.
Ensuite, la procédure qu'on nous propose de supprimer est utile. Juridiquement, elle est condamnée par une partie dominante de la doctrine, mais, politiquement, elle peut sembler justifiée par le fait qu'une seule assemblée peut interdire durablement une révision recueillant l'adhésion de la majorité des citoyens. Il y a là une difficulté démocratique.
En outre, ce texte est inutile dans la mesure où le référendum d'initiative présidentielle ne fait l'objet d'aucun contrôle préventif du Conseil constitutionnel. Dès lors, une loi ordinaire portant par exemple sur l'immigration ou l'âge de la retraite pourrait être adoptée par la procédure de l'article 11 tout en comportant des dispositions relevant de la Constitution. Les effets seraient identiques à ceux que souhaitent éviter les auteurs du texte, à moins de retirer l'initiative du référendum à l'exécutif ou de la soumettre à un contrôle préalable du Conseil constitutionnel. Les conséquences d'un tel rééquilibrage des pouvoirs devraient faire l'objet d'une réflexion approfondie.
Par ailleurs, le référendum de l'article 11 relève-t-il des pouvoirs propres du Président de la République qui disposerait d'un droit d'initiative spontanée, comme le suggère l'exposé des motifs du texte ? Non : son pouvoir consiste à accepter ou refuser de soumettre le texte au référendum. Nos collègues font valoir que « ce pouvoir propre du chef de l'État lui permet de soumettre un texte au référendum sans examen par les chambres parlementaires. » Mais, s'agissant d'un projet de loi référendaire, le Gouvernement doit faire devant chaque assemblée une déclaration, suivie d'un débat. Rien n'interdit à l'Assemblée nationale de renverser le Gouvernement à cette occasion.
Enfin, cette proposition de loi constitutionnelle priverait le peuple de sa souveraineté. Bien entendu, je ne suis pas favorable à un détournement, mais la consultation du peuple offre pendant la campagne les garanties d'un débat démocratique pluraliste permettant d'éclairer les citoyens. Au demeurant, l'issue d'un référendum n'est jamais acquise, comme le montre le précédent de 1969. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Solanges Nadille . - Nul ici ne met en cause la souveraineté populaire ni le référendum. Notre débat porte sur la clarification du cadre constitutionnel de la révision et le rôle que le Parlement doit y jouer.
Le principe selon lequel une révision ne peut intervenir qu'au moyen de l'article 89 ne bouleverse en rien l'idée originale de notre Constitution ; il la conforte. Bien que la doctrine soit majoritairement convergente, l'histoire enseigne à quoi expose l'absence de limites constitutionnelles. En 1962, malgré l'avis négatif du Conseil d'État, la motion de censure et la dénonciation du président du Sénat, le référendum s'est tenu : la France est passée en deux mois à l'élection présidentielle au suffrage universel direct. Preuve de la faisabilité et de la rapidité d'un recours à l'article 11 pour toucher au coeur du pacte constitutionnel.
La nature même du référendum constitutionnel interroge : il réduit des questions souvent complexes à une alternative binaire ; pas de travaux parlementaires, pas d'amendements, pas de compromis - une campagne et un verdict. La parole du peuple doit être écoutée, mais elle ne saurait se résumer à un choix binaire ; notre démocratie mérite mieux.
La décision de 1962 par laquelle le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour examiner une loi adoptée par référendum ajoute un angle mort qui justifie la plus grande prudence.
Défendre l'article 89 comme unique voie de révision, ce n'est pas se défier du peuple, puisque cette procédure prévoit la possibilité de soumettre le projet à référendum, à l'issue d'une délibération parlementaire. C'est cette chorégraphie qui confère aux révisions passées toute leur légitimité.
La clarification proposée limiterait les contournements du Parlement et éviterait tout usage démagogique du référendum par l'extrême droite ou l'extrême gauche. La tentation de court-circuiter le Parlement n'est pas l'apanage d'un camp : elle existe chaque fois qu'on veut aller vite plutôt que de faire bien.
Évitons qu'une majorité passagère, portée par l'émotion, ne bouscule notre équilibre démocratique. Ce texte est un rappel utile des bonnes pratiques institutionnelles dont le Sénat s'est toujours porté garant ; il ne retire aucune voix au peuple. La majorité du RDPI le votera, pour préserver la République de ses emballements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Akli Mellouli applaudit également.)
Mme Corinne Narassiguin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'article 89 régit seul la modification de notre Constitution, prévoyant une adoption par les deux assemblées, puis une approbation par référendum ou le Parlement réuni en Congrès.
Mais, depuis les débuts de la Ve République, un flou entoure l'utilisation de l'article 11, qui prévoit la possibilité d'un référendum sur tout projet de loi relatif à l'organisation des pouvoirs publics, à la politique économique, sociale ou environnementale ou aux services publics. Ce flou a été alimenté par le général de Gaulle lui-même, qui recourut à deux reprises à cet article pour modifier la Constitution, en 1962 et 1969.
M. Francis Szpiner. - Il a bien fait !
Mme Corinne Narassiguin. - Or tous les constitutionnalistes s'accordent à considérer cette utilisation de l'article 11 comme inconstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans ce sens dans sa décision Hauchemaille de 2000.
Nous proposons de lever ce flou en écrivant noir sur blanc que seul l'article 89 permet de modifier la loi fondamentale. Il s'agit de sécuriser la pratique et d'éviter tout revirement de jurisprudence.
De fait, un parti, le Rassemblement national, souhaite s'emparer de ce flou juridique. Leurs intentions sont clairement affichées dans leur proposition de loi constitutionnelle Citoyenneté, identité et immigration, déposée en janvier 2024 : contourner le Parlement en organisant, via l'article 11, un référendum sur l'immigration. Leur plan nauséabond est prêt : priorité nationale sur le logement, l'emploi et les aides sociales, limitation du droit d'asile, suppression du droit du sol, interdiction faite aux binationaux d'accéder à des emplois dans l'administration.
Nous connaissons le projet xénophobe et raciste de ce parti et continuerons à le combattre.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Très bien !
Mme Corinne Narassiguin. - S'il devait accéder au pouvoir démocratiquement, il serait fondé à vouloir mettre en oeuvre son projet, y compris en révisant la Constitution. Mais cette révision ne saurait être inconstitutionnelle, camouflée dans le cheval de Troie de la question migratoire.
M. Aymeric Durox. - C'est le peuple qui décide !
Mme Corinne Narassiguin. - Le Rassemblement national nous rappelle l'existence de cette brèche en annonçant son intention de l'exploiter. Remercions-le pour sa transparence... Mais la triste réalité est que tout parti au pouvoir serait capable de dérive illibérale. Inutile de chercher bien loin, quand le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, appelle à élargir les possibilités offertes par l'article 11 pour organiser un référendum sur l'immigration et soutient une préférence nationale pour l'accès aux droits sociaux. Au reste, dans toutes les familles politiques, certains peuvent être sujets à une tentation autoritaire.
Qu'on ne nous reproche pas de craindre la consultation populaire ! Les socialistes ont toujours défendu une démocratie plus participative. Nous avons utilisé à plusieurs reprises le référendum d'initiative partagée, notamment contre la privatisation d'Aéroports de Paris ou le projet de démantèlement d'EDF. Avec Yan Chantrel, nous avons proposé de faciliter le référendum d'initiative partagée en abaissant les seuils à 93 parlementaires et un million d'électeurs. Dans notre dernier projet présidentiel, nous défendions un référendum d'initiative citoyenne.
M. Stéphane Ravier. - Vous avez fait 1,75 % !
Mme Corinne Narassiguin. - Réviser la Constitution ne peut être un tour de passe-passe jouant sur les émotions, un contrat qu'on demande à nos concitoyens de signer sans lire les clauses de bas de page. Il doit s'agir d'un processus exigeant, dans le cadre duquel les conséquences du choix proposé sont mises en lumière par un débat démocratique éclairé par le travail du Parlement.
Ce texte vise à protéger le pouvoir de la représentation nationale. Le rejeter, ce serait nous désarmer nous-mêmes. L'adopter, garantir notre État de droit contre toute dérive autoritaire, d'où qu'elle vienne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDSE)
Mme Catherine Di Folco . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'objet de ce texte est d'écarter le recours à l'article 11 de la Constitution pour réviser la norme suprême.
Madame le rapporteur l'a bien expliqué, notre Constitution prévoit deux procédures de révision. L'article 89 est la voie officielle, mais l'article 11 permet au Président de la République de soumettre directement au peuple un projet portant sur des domaines explicitement définis, sans validation préalable du Parlement.
L'objet et le périmètre des référendums prévus à ces deux articles ont été distingués par le Conseil d'État dans sa fameuse décision Sarran de 1998. Lorsque le peuple exerce sa souveraineté par référendum, il le fait soit en matière législative dans les cas prévus à l'article 11, soit en matière constitutionnelle comme le prévoit l'article 89.
Nos collègues socialistes mentionnent la révision de 1962 relative à l'élection au suffrage universel direct du chef de l'État et celle, avortée, de 1969 relative à la régionalisation et au Sénat. On se souvient que le choix du général de Gaulle de recourir à l'article 11 pour modifier la Constitution avait suscité d'importantes discussions entre juristes. Toutes les révisions initiées depuis lors ont emprunté la voie de l'article 89.
La clarté juridique de nos textes est un objectif louable, mais ce texte soulève des difficultés qui ont conduit la commission des lois à le rejeter.
D'abord, selon la grande majorité de la doctrine, l'intention est satisfaite : il ne fait plus guère de doutes que la manoeuvre consistant à recourir à l'article 11 n'est pas un mode de révision valide. Si l'on ajoute à cela que le Conseil constitutionnel peut être saisi de la régularité des opérations référendaires en application de sa jurisprudence Hauchemaille, nous disposons des outils nécessaires pour faire obstacle à un usage détourné de l'article 11.
En outre, si un projet de révision constitutionnelle était soumis au vote des Français en application de l'article 11, ce texte permettrait-il de s'y opposer ? Notre rapporteur a fait la démonstration que non. Exclure les projets de loi constitutionnelle du champ de l'article 11 serait sans effet si le texte déposé ne porte pas le nom de projet de loi constitutionnelle, ce qui était le cas en 1962 et 1969.
Enfin, le resserrement de l'expression du suffrage référendaire soulève des interrogations qui appellent des réflexions plus poussées, dans la mesure où il affecterait en profondeur les équilibres institutionnels qui ont façonné la Ve République.
Le groupe Les Républicains, qui s'inscrit dans la tradition gaulliste, suivra l'avis de la commission en rejetant ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Aymeric Durox applaudit également.)
M. Stéphane Ravier . - (MM. Aymeric Durox, Joshua Hochart et Christopher Szczurek applaudissent.) De toutes les histoires que ma fille Jehanne aime que je lui raconte, il en est deux qu'elle affectionne tout particulièrement : celle des trois petits cochons et du grand méchant loup et celle de Jack et le haricot magique, avec l'ogre qui dévore les enfants... Elle me demande de donner des prénoms aux personnages, en particulier au loup et à l'ogre, sans doute pour mieux identifier le danger, le mal - la bête immonde !
Avec ce projet de loi, les socialistes, éternels conteurs d'histoires imaginaires, ont identifié le danger, le mal, la bête immonde : l'extrême droite. Après avoir sali le prénom Jean-Marie, ils désignent désormais Marine comme l'ogre ; quant au grand méchant loup, il se prénomme Jordan.
M. Rachid Temal. - Le RN ne vous avait pas mis dehors ?
M. Stéphane Ravier. - Mais c'est toujours la même fable récitée pour nous endormir. La dernière fois, ils invoquaient la menace trumpiste sur l'avortement en France ; aujourd'hui, l'arrivée au pouvoir du grand méchant RN. Mais les Français ne sont pas des enfants ! Les socialistes ne peuvent le comprendre, rongés par la populophobie, la prolophobie, la plèbophobie. (Protestations sur les travées du groupe SER)
Nombre d'entre vous comptent sur l'empêchement des juges contre la candidature de celle qui recueille 35 % dans les sondages. Mais, si elle était élue, vous voudriez qu'elle soit empêchée d'agir en en appelant au peuple.
Vous ne voulez pas protéger la Constitution, mais empêcher la fin de l'immigration, plébiscitée par 80 % des Français, la primauté de notre droit, soit le retour à la souveraineté nationale, et la priorité nationale, qui résulte du fondement même de la loi.
Mis à la porte par les Français avec 1,75 % des voix à la dernière présidentielle, les socialistes squattent pourtant les présidences du Conseil constitutionnel, de la Cour des Comptes et du Conseil d'État (marques d'ironie sur les travées du groupe SER) et orchestrent une campagne pour achever de bâillonner le peuple.
Les héritiers de l'UMP ne sont pas en reste : après avoir trahi la voix du peuple en 2005, ils confirment six ministres dans un gouvernement porté par le PS et dont ils ne censurent pas le budget des horreurs.
Le prochain référendum que nous pouvons espérer, c'est l'élection présidentielle - élection directe instaurée par le général de Gaulle via l'article 11. C'est cette démocratie populaire que les socialistes aux abois veulent abolir. La Ve République est née du principe : à bas les partis, vive le peuple ! Eux disent : à bas le peuple, vive le parti socialiste. Leurs histoires à dormir debout, même pas en rêve ! (MM. Aymeric Durox, Christopher Szczurek et Joshua Hochart applaudissent.)
Discussion de l'article unique
Article unique
M. Patrick Kanner . - Chers collègues de droite, si vous doutiez de l'intérêt de la proposition de loi défendue par Éric Kerrouche, l'intervention de M. Ravier vient de rappeler l'importance de construire une digue politique face aux horreurs qui se préparent si l'extrême droite devait arriver au pouvoir.
M. Stéphane Ravier. - La préférence nationale, une horreur ?
M. Patrick Kanner. - Lors du scrutin public que vous ne manquerez pas de demander, puisque vous êtes minoritaires dans l'hémicycle, peut-être y réfléchirez-vous.
L'article unique du texte réaffirme qu'il n'existe qu'une seule voie pour réviser notre loi fondamentale : l'article 89. D'aucuns prétendent contourner cette exigence au nom d'un prétendu retour de la souveraineté populaire, mais le référendum n'est pas un instrument d'exception pour imposer une idéologie. Derrière l'article 11 brandi comme un drapeau, il y a la tentation du plébiscite ; et, derrière elle, la pente autoritaire.
Refermons cette brèche : c'est un acte de résistance républicaine et démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également ; M. Raphaël Daubet acquiesce.)
M. Olivier Paccaud . - La démocratie ne se décrète pas ; elle se façonne et se cultive.
M. Adel Ziane. - Elle se défend !
M. Olivier Paccaud. - La République est progressivement devenue démocratique, au gré des révolutions et des constitutions. Aujourd'hui, Éric Kerrouche se drape dans la toge merveilleuse du défenseur de la Constitution et de nos libertés. Mais sa plaidoirie cible, non pas un diable, mais une anti-héroïne : Marine Le Pen, citée sept fois dans l'exposé des motifs. Cette démone hanterait-elle vos jours et vos nuits ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oui ! Pas vous ?
M. Olivier Paccaud. - À chacun ses obsessions. Mais venons-en au fond : il aurait été plus honnête d'intituler ce texte « proposition de loi constitutionnelle visant à verrouiller la Constitution ». Votre raisonnement a une clé de voûte subtilement provocatrice, puisque vous mettez en cause la légitimité du droit démocratique suprême, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Votre croisade contre Marine Le Pen repose sur un postulat méprisant : moins le peuple à la parole, mieux cela vaut. Vous amalgamez référendum et plébiscite. (On proteste à gauche et sur les travées du RDSE, l'orateur ayant dépassé son temps de parole.) Et vous oubliez nos principes fondateurs : le principe de toute souveraineté réside dans la nation, selon l'article 3 de la Déclaration des droits et de l'homme et du citoyen...
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Olivier Paccaud. - ... et la loi est l'expression de la volonté générale, d'après son article 6.
M. Joshua Hochart . - (M. Christopher Szczurek applaudit.) La politique, c'est une question de choix. Les bons choix socialistes, la liste en serait vite faite. Les mauvais choix faits sous Hollande, on pourrait en parler longtemps.
Mme Laurence Rossignol. - Lesquels ?
M. Joshua Hochart. - Dans le cadre de sa niche parlementaire, le groupe socialiste aurait pu choisir d'améliorer le quotidien des Français, par exemple en réduisant les charges des petites entreprises ou la TVA sur les produits de première nécessité.
Mme Laurence Rossignol. - Nous le proposerons bientôt par voie d'amendements : on verra vos votes !
M. Patrick Kanner. - Ils défendent les riches !
M. Joshua Hochart. - Mais non : ils préfèrent tenter de bâillonner le peuple français. Vous et votre hypocrisie, les Français n'en peuvent plus. Votre résultat à la dernière présidentielle est sans appel : 1,75 %. Vivement 2027 !
M. Christopher Szczurek . - M. Kerrouche et ses collègues socialistes veulent verrouiller la Constitution, empêcher les Français de reprendre le contrôle politique du pays. C'est une manoeuvre de la peur par un parti désavoué par le peuple, en particulier les classes populaires - c'est très net dans le bassin minier, dont je suis originaire.
Ils préfèrent tenter de modifier les règles plutôt que de se remettre en question. Comme ils le font à l'Assemblée nationale pour échapper à la dissolution, ils rêvent d'un système qui neutralise l'expression populaire. Et ils ont l'audace de prétendre défendre la démocratie !
Ce texte est politiquement inacceptable et moralement indéfendable, car il traduit un profond mépris pour le citoyen. Forts de leurs 1,7 % à la dernière présidentielle, les socialistes ne croient plus au peuple français. Nous, si. Nous refusons une République où l'on bâillonne le peuple parce qu'il penserait mal ! Et nous refusons les leçons de morale des héritiers de Mitterrand, qui ont pactisé avec les insoumis.
En République, c'est le peuple qui commande. Parce que nous croyons au pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, nous voterons contre ce texte narcissique d'un sénateur qui voulait son quart d'heure de gloire warholien ; il peut maintenant retourner dans l'oubli.
M. Francis Szpiner . - Entendre M. Ravier, après l'attentat du Petit-Clamart, faire l'éloge du général de Gaulle, c'est tout de même formidable... (Rires et marques d'approbation à gauche) Entendre les socialistes ne pas avoir digéré l'élection du Président de la République au suffrage universel direct l'est tout autant ! Quand M. Mitterrand, après avoir écrit Le Coup d'État permanent, s'est glissé dans la Constitution de la Ve République, vous la critiquiez moins. (MM. Aymeric Durox et Christopher Szczurek renchérissent.)
M. Stéphane Ravier. - Et la francisque ?
M. Francis Szpiner. - Le plus extraordinaire, c'est d'entendre l'oratrice du RDPI prendre le parti inverse de celui du ministre : c'est sans doute ce qu'on appelle le « en même temps ». (Marques d'ironie sur de nombreuses travées)
C'est parce que les partis avaient confisqué la République que le général de Gaulle a décidé d'en appeler au peuple. Au reste, dans l'histoire, le Parlement ne s'est pas paré de toutes les vertus : qui a voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, sinon la chambre du Front Populaire ? (Marques d'indignation sur les travées du groupe SER)
M. Éric Kerrouche. - C'est scandaleux !
M. Francis Szpiner. - Le parlementarisme n'a pas toutes les vertus, le peuple pas tous les défauts.
Nous combattrons tout ce qui porte atteinte aux principes républicains...
M. Éric Kerrouche. - On verra.
M. Francis Szpiner. - ... mais la manière dont vous parlez du peuple - ces imbéciles incapables de comprendre -, c'est le meilleur moyen de renforcer le populisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol . - Les régimes autoritaires, illibéraux, arrivent au pouvoir par des processus démocratiques. Comment s'y adapter ? Voyez les États-Unis : aurions-nous prévu qu'il faudrait si peu de temps pour que l'État de droit s'effondre ?
M. Francis Szpiner. - Il ne s'effondre pas.
Mme Laurence Rossignol. - Les citoyens américains attachés à l'État de droit n'ont pas anticipé ce qui adviendrait après la réélection de Trump. Tâchons, nous, d'anticiper, en empêchant que notre pays puisse renoncer à l'État de droit, c'est-à-dire à la protection des citoyens contre l'arbitraire. Contrairement à l'ancien ministre de l'intérieur, je pense qu'il est intangible. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Patrick Kanner. - Il est sacré !
M. Aymeric Durox . - Souvenons-nous de Montesquieu : « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante ; les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
Ce texte est à notre arsenal législatif ce que le parti socialiste est à notre vie politique : inutile et grotesque. Il sera balayé par la majorité du Sénat, que toute sagesse n'a pas désertée.
Le PS pourfend la priorité nationale, mais c'est Roger Salengro, de la SFIO, qui a inventé le concept en 1931, pour protéger les travailleurs français.
M. Patrick Kanner. - Ce sont vos ancêtres politiques qui l'ont tué. Ne salissez pas sa mémoire !
M. Aymeric Durox. - Léon Blum doit se retourner dans sa tombe en voyant le pathétique spectacle qu'offrent ceux qui se prétendent ses héritiers.
La Révolution a instauré le droit du sang. La IIIe République a instauré le droit du sol, mais c'était pour avoir plus de soldats face à la démographie galopante de l'Allemagne ! Le Parti socialiste veut une citoyenneté ouverte aux quatre vents, alors que, si tout le monde est citoyen, plus personne ne l'est.
M. Pierre Ouzoulias. - C'est le retour de Maurras...
M. Aymeric Durox. - Rousseau demandait : comment les hommes pourraient-ils aimer leur patrie, si elle n'est rien de plus pour eux que pour les étrangers ? Jaurès, lui, disait que la nation est la seule richesse de ceux qui n'ont rien. Aujourd'hui, c'est le Parti socialiste qui n'a plus rien : plus d'électeurs, plus d'idées, plus d'avenir !
M. Éric Kerrouche . - Il est pénible de devoir entendre des leçons du Rassemblement national, dont les députés défendent les plus riches et l'oligarchie financière.
Non, ce texte ne vise pas à amputer la parole du peuple : l'article 89 prévoit bien le recours au référendum. La Constitution n'est pas un texte comme les autres. Nous refusons que nos principes, tout ce qui fonde notre démocratie, puissent disparaître du jour au lendemain.
L'exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle du RN est éloquent : il ne sera plus possible de réviser la Constitution comme elle vient de l'être. C'est donc une pilule empoisonnée. Et c'est exactement ce que font les régimes illibéraux, se prévaloir de la parole du peuple pour la détourner ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Vote sur l'ensemble
M. Joshua Hochart . - L'autoproclamé « camp du bien » essaie de détruire la démocratie. Ce texte indigne a un seul objet : refuser de donner la parole aux Français et aux dizaines de millions d'électeurs du Rassemblement national.
Vous prétendez vouloir mieux encadrer le recours au référendum, mais vous en verrouillez l'accès. Le référendum devient un jouet institutionnel pour une classe politique qui a peur de la voix du peuple.
Cette réforme a été pensée contre le Rassemblement national. Mais demain, quand nous gouvernerons avec Marine Le Pen, nous redonnerons la parole aux Français sur l'immigration, la sécurité, la souveraineté énergétique, etc. Alors, comme vous savez que leur réponse ne sera pas celle que vous espérez, vous cadenassez le système.
Ce texte est un texte de peur, peur du peuple qui conteste vos certitudes, peur d'un mouvement politique qui ose dire que la nation doit choisir son destin, peur de la démocratie réelle et directe. Votre manoeuvre politicienne est d'une rare hypocrisie.
Le parti socialiste, qui hier encore parlait de proximité avec les citoyens et de démocratie participative, s'apprête à retirer au peuple son droit le plus sacré, celui de décider.
Alors que le général de Gaulle voyait dans le référendum une rencontre directe entre le peuple et son destin,...
Mme Laurence Rossignol. - Les bébés OAS citent de Gaulle !
M. Joshua Hochart. - ... vous en faites une procédure administrative impossible à mettre en oeuvre, parce que le peuple français ne vote plus comme vous le voudriez. Permettez-moi de vous rappeler vos 1,75 %...
Le Rassemblement national ne craint pas le verdict des Français. Nous voulons qu'ils s'expriment librement, sur tous les sujets. Nous voterons contre ce texte.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Joshua Hochart. - Vous me faites penser à cette phrase de Bertolt Brecht : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. » Pauvre Parti socialiste !
L'article unique est mis aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°23 :
| Nombre de votants | 345 |
| Nombre de suffrages exprimés | 344 |
| Pour l'adoption | 131 |
| Contre | 213 |
L'article unique n'est pas adopté. En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.
(MM. Joshua Hochart, Aymeric Durox et Christopher Szczurek applaudissent.)
La séance est suspendue quelques instants.
Commissions (Nominations)
Mme la présidente. - Le groupe Les Républicains a présenté des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
Élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, à la demande du groupe SER.
Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants . - C'est la première fois que j'ai l'honneur de m'exprimer à cette tribune. J'en mesure la responsabilité face à l'histoire.
Le texte de cette proposition de loi tient en une phrase : « La nation française élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. »
Merci à la commission des affaires étrangères pour la rigueur et l'excellence de ses travaux, ainsi qu'à l'ensemble des parlementaires qui ont enrichi ces débats. Je mesure l'apport de tous ceux qui ont permis d'avancer dans ce travail collectif de lumière et de vérité, notamment les historiens.
Je n'oublie pas ceux qui ont porté cette proposition dans le débat public : Pierre Moscovici, Frédéric Salat-Baroux et Louis Gautier, ici présents. Et je tiens à dire mon plus profond respect aux descendants d'Alfred Dreyfus, dont son petit-fils, pour leur vigilance à veiller sur sa mémoire. Ils sont parmi nous. Je les salue humblement.
Alfred Dreyfus : ce nom est à jamais indissociable de notre République, de ses erreurs comme de sa grandeur. Il fut celui d'un homme à l'honneur bafoué, injustement condamné après un procès inique, d'un patriote blessé resté fidèle à la République, d'un Français admirable calomnié, parce que juif.
Le nom d'Alfred Dreyfus est le symbole d'un moment fondateur de notre République : ce moment où la République a reconnu qu'elle avait failli à ses principes, ceux de 1789, des Lumières, des droits de l'homme ; ce moment où la réhabilitation d'Alfred Dreyfus a été acquise, grâce à une mobilisation sans précédent de l'opinion publique et de la presse, notamment de Bernard Lazare.
Dans J'accuse, Zola disait que la France avait sur la joue une « souillure ». Il faut se confronter à cette blessure fondatrice de notre République. Chaque génération se demande si elle aurait été digne du combat des dreyfusards. Nous devons d'être « les gardiens vigilants et persévérants de sa mémoire et de ses défenseurs », a dit le Président de la République.
Ce texte, adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, est une grande avancée pour réparer l'injustice dont Alfred Dreyfus a été victime. Je sais que le président Kanner a déposé une proposition de loi similaire.
Ce geste symbolique est plus qu'un symbole. Il répond à une injustice vieille de plus d'un siècle, dont la gravité est restée sans égale dans l'histoire de notre République. Plus de quatre-vingt-dix ans après sa mort, il faut rendre à Alfred Dreyfus ce qui lui fut inaccessible de son vivant.
Écoutons sa voix : « Peut-on imaginer une situation plus épouvantable, plus tragique pour un innocent ? Peut-on imaginer un martyre plus douloureux ? » « Ce ne sont pas les souffrances physiques que je crains ; celles-ci n'ont jamais pu m'abattre, elles glissent sur ma peau. Mais c'est cette torture morale de savoir mon nom traîné dans la boue, le nom d'un innocent, le nom d'un homme d'honneur ».
Le 12 juillet 1906, la Cour de cassation lui rendit son innocence et son honneur. Mais la réparation n'a pas été totale. Certes, il fut réintégré dès le lendemain dans l'armée au grade supérieur, avec la Légion d'honneur. Mais cette réintégration militaire fut incomplète : son défenseur Marie-Georges Picquart fut réintégré au grade de général de brigade avec effet rétroactif.
Alfred Dreyfus y vit une injustice, qui le conduisit à quitter le service dès 1907. Écoutons-le à nouveau : « Je n'avais jamais demandé de faveur dans ma carrière. (...) Je n'ai demandé que de la justice ».
Dreyfus n'a jamais perdu cette foi inébranlable en la vérité et la justice. Voici ce qu'il écrit à sa femme, Lucie, depuis sa cellule : « J'arrive enfin au terme de mes souffrances, au terme de mon martyre. Demain je paraîtrai devant mes juges, le front haut, l'âme tranquille. L'épreuve que je viens de subir, épreuve terrible s'il en fut, a épuré mon âme ».
Le mépris qu'il a subi peut être effacé aujourd'hui. La vérité est désormais bien établie grâce aux solides travaux des historiens Philippe Oriol, Vincent Duclert et Christian Vigouroux, et de tant d'autres.
Avec ce texte, aboutissement de l'esprit de justice et de réparation des parlementaires de 1906, vous parachevez l'oeuvre de vos prédécesseurs.
Le Président de la République a annoncé que la date du 12 juillet serait inscrite l'an prochain au calendrier de nos commémorations nationales, pour marquer la victoire de la justice et de la vérité sur la haine et l'antisémitisme, à l'heure où les actes de haine antisémite connaissent une insupportable progression.
Hannah Arendt avait raison, lorsqu'elle voyait dans l'affaire Dreyfus l'annonce des jours sinistres qui allaient suivre. L'antisémitisme frappe toujours au coeur de notre démocratie. Sachons reconnaître dans ses auteurs le visage des anti-dreyfusards, des antirépublicains.
Alfred Dreyfus ne fut pas seulement une victime. Il fut un exemple, un patriote, un grand Français, un homme debout jusque dans l'isolement tragique de l'île du diable, un officier qui choisit de revenir servir la France au Chemin des Dames, un modèle d'abnégation républicaine et d'engagement combattant au service de la France.
Alfred Dreyfus a emporté avec lui ses souffrances. On ne peut réparer l'irréparable. Nous ne pouvons faire que ce que nous pouvons, à notre place.
L'article 13 de la Constitution prévoit que le Président de la République nomme aux emplois civils et militaires ; cette proposition de loi a donc un caractère unique - comme le destin d'Alfred Dreyfus - et exceptionnel - car il ne faut plus jamais d'affaire Dreyfus.
Vous participez à l'hommage que la France doit à la dignité et à l'héroïsme d'Alfred Dreyfus et à sa famille. Il écrivait à sa femme : « Je te reviendrai meilleur que je n'ai été ». Soyons fidèles à sa promesse, celle d'un homme profondément bon. C'est aussi la promesse que la République doit à l'un de ses fils les plus dévoués : revenir meilleure, après avoir reconnu son erreur.
En mon âme et conscience, et au nom du Gouvernement, je veux dire que la République s'honore toujours quand elle répare une injustice. (Applaudissements)
M. Rachid Temal, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - « Soldats, on dégrade un innocent ; soldats, on déshonore un innocent ! Vive la France, vive l'armée ! » Tels furent les mots d'Alfred Dreyfus le 5 janvier 1895 dans la cour de l'École militaire.
Face aux mensonges et à la haine antisémite, Alfred Dreyfus répondit par la dignité et par l'amour, de son pays et de l'armée.
Nous nous réjouissons du consensus qui entoure cette proposition de loi, déposée par le président Attal à l'Assemblée nationale et par le président Kanner au Sénat.
Alfred Dreyfus, c'est d'abord un Alsacien qui a choisi la France quand l'Alsace-Lorraine devenait prussienne. C'est un patriote humaniste. Un modèle d'héroïsme, qui a toujours respecté son armée et ses chefs. Il s'est réengagé à près de 55 ans pour rejoindre ses frères d'armes pendant la Première Guerre mondiale. Cet officier exemplaire a toujours servi la France.
Alfred Dreyfus, c'est une histoire française.
Je salue sa famille, et notamment son petit-fils Charles, dernier à l'avoir connu vivant. Je salue également Pierre Moscovici, Frédéric Salat-Baroux, Louis Gautier et mon collègue rapporteur Charles Sitzenstuhl.
Cette affaire a concerné toutes les familles françaises. À cette époque, la jeune République était prometteuse. Mais elle était dans un combat permanent contre le conservatisme, contre la monarchie. L'antisémitisme sévissait partout, dans la presse, au Parlement, dans l'armée et dans la société. La raison d'État avait pris le pas sur la liberté individuelle. Ce fut aussi le moment des intellectuels comme Zola, Jaurès et Clemenceau.
Oui, Alfred Dreyfus a été condamné parce que juif. Certains ici ont récemment cru bon de citer Maurice Barrès...
Mme Audrey Linkenheld. - Eh oui !
M. Rachid Temal, rapporteur. - ... qui écrivait : « Dreyfus est coupable de trahir. Je le conclus de sa race ».
M. Roger Karoutchi. - Jaurès, ce n'était pas terrible non plus !
M. Rachid Temal, rapporteur. - Mais la gauche a su faire sa transition et devenir totalement républicaine, monsieur Karoutchi. Je parle en tout cas des socialistes. (M. Roger Karoutchi ironise.) L'affaire Dreyfus, c'est la victoire de la République.
Alors pourquoi une loi ? Parce la loi a toujours été présente dans l'affaire Dreyfus : d'abord celle de réouverture du bagne de l'île du Diable, où Alfred Dreyfus a passé 1 517 jours dans des conditions abominables ; puis celle du 13 juillet 1906.
Je rappelle à mon collègue Karoutchi que nous avions cosigné une proposition de résolution en 2023 pour conférer le grade de général au lieutenant-colonel Alfred Dreyfus.
Cette proposition de loi vise certes à réparer une injustice, mais aussi à reconnaître un officier exemplaire et un militaire d'exception.
Certains ont eu des interrogations légitimes, mais elles peuvent être dépassées.
Ce n'est pas un texte de défiance à l'égard des militaires, mais d'hommage. Alfred Dreyfus n'a jamais trahi ni ses chefs ni l'armée.
Ce n'est pas non plus une loi mémorielle. Il ne s'agit pas de réécrire l'histoire. Le passé est clair : Alfred Dreyfus a été innocenté - même si en 2022 un ancien candidat à l'élection présidentielle s'interrogeait.
Le Président de la République ne peut procéder à cette nomination au titre des prérogatives qu'il tient de l'article 13 de la Constitution. Dans le passé, des mesures individuelles ont déjà été prises - en faveur de Clemenceau, Poincaré et Jean Moulin. C'est non pas le Parlement, mais la nation qui élève Dreyfus.
Certes, nous connaissons tous le « capitaine » Dreyfus. Mais il est déjà lieutenant-colonel, demain il sera général, et pour le plus grand nombre, il restera le capitaine Dreyfus...
Le général Catroux a lui aussi fait l'objet d'une loi le replaçant dans la première section du cadre des officiers généraux de l'armée de terre, sous le général de Gaulle. Cela nous donne un parfait blanc-seing.
Le Sénat a aussi joué un rôle dans l'affaire Dreyfus, avec Auguste Scheurer-Kestner et Ludovic Trarieux. Je suis ému et fier d'être le rapporteur de ce texte historique.
La réparation est nécessaire, mais non suffisante. Il faut aller plus loin, via une panthéonisation symbolique, à l'instar de Robert Badinter. Je salue la décision du Président de la République de faire du 12 juillet une journée nationale pour la mémoire de Dreyfus et contre l'antisémitisme. Le 11 novembre serait une date de promulgation idéale...
Alfred Dreyfus incarne l'amour de la France. Le général de Gaulle disait : « Je ne connais que deux catégories de Français, ceux qui ont fait leur devoir et ceux qui ne le font pas. » Alfred Dreyfus a fait son devoir. Faisons entrer au panthéon des grands militaires français le nom d'Alfred Dreyfus. C'est notre devoir de parlementaires. (Applaudissements)
M. Akli Mellouli . - Je salue la famille d'Alfred Dreyfus.
Cette proposition de loi porte un message de vérité et d'espérance pour notre République. L'affaire Dreyfus est le symbole moderne d'une injustice d'État, d'une machination qui a sacrifié un être humain sur l'autel des préjugés et des représentations excluantes. La République a trahi sa devise en tournant le dos à l'un de ses enfants parce que juif. Refuser de voir en lui un citoyen à part entière a été un crime moral.
L'affaire Dreyfus est un rappel brutal que nos valeurs doivent rester vivantes. Quand on abandonne la justice pour céder à la peur, à l'opinion ou à l'intérêt, la République se dévoie.
Cet homme, à qui on a refusé la présomption d'innocence, doit nous servir de boussole morale. L'injustice qu'il a subie n'est pas confinée à son époque : elle s'adresse à nous tous, quand un citoyen est discriminé en raison de son sexe, de sa couleur de peau, de ses croyances ou de ses origines et quand une foi est considérée comme inférieure par la loi ou la société. C'est à cet instant qu'Alfred Dreyfus doit se lever dans notre mémoire.
Le destin d'Alfred Dreyfus montre que les institutions militaires ne sont pas immunisées contre les préjugés. Notre armée doit être un modèle de cohésion et d'intégrité, où chaque soldat est respecté et protégé, quels que soient son parcours et ses croyances. L'armée moderne doit être diverse, éthique, forte parce que juste.
L'honneur militaire est indissociable de l'exigence morale. L'armée doit être gardienne des valeurs républicaines et non de privilèges ou de favoritisme.
Certes, promouvoir Dreyfus n'efface pas la douleur vécue et ne rend pas les années volées, mais c'est un acte moral qui dit que la République assume ses fautes et tente de les réparer.
Je propose que la statue de Dreyfus soit installée dans la cour de l'École militaire, à l'endroit même de sa dégradation. Ce fut envisagé en 1985, mais refusé par le ministre de la défense de l'époque. Cette statue se trouve aujourd'hui dans un coin discret du boulevard Raspail, comme si c'était une honte. Ce serait une réparation pleine et entière : la pierre témoignerait de la vérité que l'on a voulu nier.
Ce texte n'est ni nostalgique ni décoratif, c'est un moment politique, moral et historique. En relevant Alfred Dreyfus à la dignité méritée, nous proclamons que la République ne renonce pas à son exigence de justice, nous montrons que la vérité doit triompher du silence et que l'humain ne sera jamais sacrifié sur l'autel des préjugés.
Associez à ce geste une matérialité forte. Que cette cour, où l'ignominie fut commise, devienne l'emblème de la République. Puisse le déplacement de la statue résonner comme un acte de foi en notre devenir national, pour que plus jamais un citoyen ne soit exclu ou humilié pour ce qu'il est.
Alfred Dreyfus doit être une boussole pour nos institutions, pour notre armée, pour chaque enfant de la République. (Applaudissements sur plusieurs travées)
M. Philippe Grosvalet . - Je salue les descendants d'Alfred Dreyfus présents en tribune. En élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, la République rétablit une vérité. C'est une exigence de justice, celle d'un pays qui s'honore.
L'affaire Dreyfus est un lieu de mémoire de la République. En humiliant publiquement un officier parce qu'il était juif, notre pays a traversé l'une de ses plus sombres crises politiques. C'est par le courage de quelques-uns - Émile Zola, Marie-Georges Picquart, Jean Jaurès, Georges Clemenceau - que la République a su se relever.
Pour la France, premier pays d'Europe à avoir émancipé les juifs, un siècle avant l'affaire, cette réhabilitation a valeur d'évidence. Terre d'espérance depuis la Révolution, la France a accueilli tant de familles fuyant les pogroms. Ils étaient 100 000, à la fin du XIXe siècle.
Pourtant, la loi ne réintégra Dreyfus qu'au grade de chef d'escadron, sans tenir compte des années volées, des promotions perdues. C'est cette injustice que nous corrigeons. Ce texte a une immense signification morale. Oui, la mesure est exceptionnelle, mais l'affaire Dreyfus l'était tout autant. C'est à la nation d'y répondre par la loi.
Dreyfus fut la cible d'une haine idéologique soutenue par des voix aussi puissantes qu'odieuses : Maurice Barrès, Charles Maurras - Barrès osa même dire que sa culpabilité relevait de sa race. J'invite à la prudence ceux qui se réclament de cet héritage.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien.
M. Philippe Grosvalet. - Clemenceau estimait qu'il n'existait pas de dogmes humains, seulement des règles de justice et de bon sens. Notre vote rappelle la fidélité d'un homme à son pays et d'un pays à ses principes. En rendant son grade à Alfred Dreyfus, nous rendons à la France la part d'elle-même qu'elle a un jour reniée. Le RDSE votera naturellement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées)
M. Ludovic Haye . - Par sa portée symbolique, cette proposition de loi fait oeuvre de mémoire, justice, fidélité à nos valeurs.
En 1906, Alfred Dreyfus a été réintégré à un grade inférieur à celui auquel il aurait pu légitimement prétendre. Depuis plus d'un siècle, son nom évoque à la fois la grandeur et la fragilité de la République. Ravivons cette grandeur, en l'élevant au rang de général de brigade.
Derrière le nom d'Alfred Dreyfus, il y a l'histoire d'un homme intègre, ayant choisi la carrière militaire après le traumatisme de Sedan qui a poussé sa famille à quitter ses terres alsaciennes - celles que j'ai l'honneur d'arpenter quotidiennement, comme mon collègue député M. Charles Sitzenstuhl.
Alfred Dreyfus, de confession juive, d'origine alsacienne, officier modèle promu par la méritocratie, devint le bouc émissaire de toute une part de la société habitée par la haine des juifs. Pourtant, il n'a cessé de clamer son amour de la France sans renier l'uniforme qu'il avait choisi. Et malgré son calvaire, il n'a jamais perdu l'espoir que la vérité éclate.
Emprisonné en Guyane, il écrivait à Lucie, son épouse, le 26 mars 1896 : « Si atroces que soient mes souffrances, le souci de notre honneur plane bien au-dessus d'elles ». Son seul dessein fut de laver son honneur : pour lui-même, pour sa famille, pour la France qu'il refusa toujours d'accabler.
Innocenté et réhabilité, son honneur fut à nouveau bafoué par une réintégration à un grade inférieur à celui auquel il aurait pu prétendre.
Pourtant il reprit les armes pour la Première Guerre mondiale, en combattant au Chemin des Dames, à Verdun. À la fin de la guerre, il est promu officier de la Légion d'honneur, élevé au grade de lieutenant-colonel, avant de prendre sa retraite militaire.
Peu de temps avant sa mort en 1935, Alfred Dreyfus avait résumé sa vie ainsi : « Je n'étais qu'un officier d'artillerie, qu'une tragique erreur a empêché de suivre son chemin. »
La République ne se déshonore jamais à reconnaître ceux qu'elle a injustement condamnés. Le message d'Alfred Dreyfus résonne encore. Il est un symbole puissant d'une République qui regarde son histoire en face, se souvient, et grandit.
Ancien maire de Rixheim, ville d'origine de son grand-père, j'affirme sans réserve que le nom d'Alfred Dreyfus incarne, pour tous les Alsaciens, l'idéal républicain. « Ma patrie avant tout, avant ma famille, avant moi », écrivait-il à sa femme peu après son incarcération.
L'affaire Dreyfus demeure une boussole morale. Elle nous rappelle que la haine de l'autre est un poison pour notre démocratie. Dans un monde où les préjugés refont surface, le combat d'Alfred Dreyfus reste le nôtre. L'antisémitisme n'a pas disparu, il se cache derrière d'autres mots.
Cette proposition de loi ajoute une pierre au rempart contre l'antisémitisme. La voter, c'est réparer une injustice.
Je dis à la famille Dreyfus que la France ne l'oublie pas. La République combattra toujours l'injustice et la haine. Simone Veil l'a dit : pas d'avenir républicain sans mémoire des injustices passées. Souvenons-nous de l'honneur d'Alfred Dreyfus et de son courage. La République n'est forte que lorsqu'elle protège les faibles.
Le groupe UC votera dans sa grande majorité cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées)
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Marc Laménie . - Je remercie le président Kanner et le groupe SER pour cette initiative et salue les descendants d'Alfred Dreyfus.
Au matin du 5 janvier 1895, dans la cour d'honneur de l'École militaire, le capitaine Dreyfus est dégradé tandis que la foule crie : « mort aux juifs ». Alfred Dreyfus a passé sept années en détention, dont quatre au bagne de l'île du Diable. Le président Loubet le gracie en 1899. Il faudra attendre douze années au total pour qu'il soit réhabilité - en 1906.
Pendant des années, la France s'est divisée entre dreyfusards et anti-dreyfusards. L'antisémitisme rampant cherchait un exutoire, la perte de l'Alsace et de la Lorraine appelait un bouc émissaire.
Les preuves avaient été falsifiées. On condamna un innocent, pour masquer l'échec des institutions. Malgré l'action de quelques militaires courageux, l'armée a été incapable de reconnaître son erreur. Il a fallu que la justice civile intervienne pour que l'honneur de Dreyfus soit lavé. Ceux qui ont produit de faux documents n'ont pas été sanctionnés, les années perdues n'ont pas été prises en compte dans son avancement. Revenu à la vie civile en 1907, il fut victime l'année suivante d'un attentat - son auteur a été acquitté.
Dreyfus a néanmoins répondu présent en 1914. Il est venu défendre la France attaquée. À plus de 50 ans, il a combattu sur le Chemin des Dames, avant de quitter l'institution au grade de lieutenant-colonel. Cette proposition de loi confirme le grade qui aurait dû être le sien.
Rien n'effacera les injustices commises contre Alfred Dreyfus. Ce grade conféré à titre posthume ne fait que parachever sa réhabilitation. Il ne clôt pas le dossier. L'affaire Dreyfus continue de mériter notre attention - en témoignent la vague d'agressions survenue après les attaques du 7 octobre, la profanation de l'arbre à la mémoire d'Ilan Halimi et le boycott d'étudiants juifs dans certains groupes de discussion.
L'adoption de cette proposition de loi n'est pas la fin de ce combat. L'atmosphère intellectuelle se dégrade, les réseaux sociaux sapent la cohésion de notre nation. Sous prétexte de défendre le peuple, ils préparent son asservissement.
Il nous faut parfaire la réhabilitation de cet homme pour ne laisser subsister aucun doute sur son innocence. Voter ce texte, c'est tirer toutes les conséquences de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906, qui disait que c'était par erreur et à tort que la condamnation avait été prononcée.
C'est par erreur et à tort qu'Alfred Dreyfus n'est que lieutenant-colonel. Le groupe INDEP votera cette proposition de loi. C'est notre devoir de mémoire. (Applaudissements sur plusieurs travées)
M. Olivier Paccaud . - Si l'on n'écrit pas l'histoire, il faut régulièrement la relire pour ériger quelques phares de philosophie, loin des bas instincts.
L'histoire d'Alfred Dreyfus, c'est d'abord celle d'un amoureux de la France - sa famille choisit de rester française en 1871 -, puis celle d'un officier humilié mais jamais brisé, d'un patriote trahi n'ayant jamais renié la France. Plus d'un siècle après l'affaire, notre nation porte encore cette cicatrice. La justice et la vérité sont des piliers fragiles, et la République est toujours à défendre.
L'affaire Dreyfus, c'est d'abord un homme seul, condamné parce qu'il était juif. Quand la vérité est en marche, rien ne peut l'arrêter, écrivait Zola dans le journal Le Figaro en 1897 - une plume au service de l'honneur, après Voltaire défendant Calas.
Avant que la vérité ne triomphe, que de souffrances, sur l'île du Diable, où Dreyfus n'a pas cessé de croire que la déraison d'État qui l'avait sacrifié saurait l'innocenter.
En 1906, la République a réhabilité Alfred Dreyfus mais elle ne l'a jamais pleinement réparé. Sa carrière brisée ne lui a pas permis d'atteindre le grade mérité. Pourtant, il défendit la France en 1914.
Il est temps de lui rendre ce que l'histoire lui a refusé. Élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, c'est montrer que la République sait réparer, reconnaître, se tenir debout face à l'injustice. L'honneur d'un pays n'est pas d'être sans tache mais de savoir les laver, à l'image du Président Chirac lors de son discours du Vél' d'Hiv de juillet 1995. (M. Rachid Temal acquiesce.)
L'antisémitisme n'a pas disparu, il a changé de visage, il s'est digitalisé, mais il est là, sans Édouard Drumont, mais avec des humoristes barbus ou des élus sous l'emprise du bruit et de la fureur, dans les caricatures, dans les amphithéâtres de certaines facultés. (M. Roger Karoutchi le déplore.) Chaque fois, c'est Dreyfus que l'on dégrade à nouveau, la République que l'on offense.
En élevant Alfred Dreyfus au grade de général, nous élevons la République elle-même. Parce que Dreyfus fut humilié, nous lui rendons justice, parce qu'il fut trahi, nous lui rendons l'honneur, parce qu'il fut fidèle à la France, nous lui rendons la reconnaissance de la nation.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien.
M. Olivier Paccaud. - Que ce geste soit plus qu'un acte de mémoire, et rappelle à tous que la République n'oublie jamais ses justes. Plus qu'une épitaphe de bonne conscience, ce texte est un épilogue digne que le Sénat s'honore de parapher.
Le 2 janvier 1906, alors qu'il est réhabilité et fait chevalier de la Légion d'honneur là même - cher Akli Mellouli - où il avait été dégradé et son sabre brisé, alors que certains criaient « Vive Dreyfus ! », il répondit : « Non, messieurs, je vous en prie : vive la France ! » (Applaudissements sur plusieurs travées)
Mme Solanges Nadille . - Je salue la famille d'Alfred Dreyfus et ses amis, présents avec nous. En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus était condamné pour trahison sur la base de fausses accusations, nourries par l'antisémitisme le plus violent. Cet officier brillant, dévoué à sa patrie, fut dégradé publiquement. Sa seule faute ? Être juif. Son seul crime ? Servir la France.
Pendant douze ans, Alfred Dreyfus a lutté pour faire éclater la vérité et la France s'est déchirée entre anti-dreyfusards et dreyfusards, entre les défenseurs de la justice et les partisans de la raison d'État. En 1906, la Cour de cassation l'innocente ; il est réintégré dans l'armée. Une loi le nomme chef d'escadron, mais c'était dérisoire au regard de l'injustice subie. Sans cette infamie antisémite, il aurait accédé au plus haut garde de l'armée. Celui qui a servi encore la France pendant la Grande Guerre s'est vu refuser la reconnaissance pleine et entière de ses mérites. En 2006, le président Jacques Chirac a reconnu que justice ne lui avait pas été rendue. En 2021, le président Emmanuel Macron estimait qu'il revenait aux représentants du peuple de réparer cette erreur.
Ne laissons pas l'antisémitisme avoir le dernier mot
Le 2 juin dernier, sur l'initiative de Gabriel Attal, les députés ont adopté ce texte à l'unanimité. Faisons de même, malgré certaines réserves légitimes : notre unanimité montrerait qu'au-delà de nos sensibilités politiques certains combats nous rassemblent tous, à l'instar de la défense des valeurs républicaines et de la justice.
L'antisémitisme qui frappa Alfred Dreyfus n'appartient pas à un passé révolu, même s'il ne s'exprime plus de la même manière : chaque jour, les actes antisémites d'une nouvelle forme se multiplient sur le territoire, les lieux de mémoire sont profanés, les citoyens français de confession juive vivent dans la peur. Élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, c'est dire que la République répare ses erreurs, honore ceux qu'elle a injustement brisés. Le RDPI votera résolument cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je souligne l'absence des quatre sénateurs d'extrême droite, qui se sont beaucoup exprimés tout à l'heure. Peut-être ont-ils décidé d'aller à la piscine... J'ai une pensée particulière pour Pierre Moscovici, la famille Dreyfus, Gabriel Attal et Charles Sitzenstuhl.
En nous prononçant sur l'élévation d'Alfred Dreyfus au grade de général de brigade, nous ne rouvrons pas un dossier, mais refermons une blessure. Alfred Dreyfus n'a jamais demandé ni grâce ni faveur. Fin juillet 1906 il écrivait : « Je n'avais jamais demandé de faveur dans ma carrière, j'avais essayé d'arriver par mon travail. Après ma tragique et si immédiate condamnation de 1894, je n'ai demandé que de la justice. Pendant les cinq années effroyables de l'île du Diable, je ne me suis jamais humilié devant personne, fort de ma conscience, n'abdiquant rien de ma dignité ». Dans la boue il garda la tenue, dans l'isolement il garda la conscience, dans l'humiliation il garda l'honneur.
Voilà pourquoi la faute d'État dont il fut victime nous oblige encore. Notre pays est grand lorsqu'il place le droit au-dessus de la peur, la justice au-dessus de la vengeance. Il est le pays de l'abolition de la torture, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, celui qui par la plume de Zola cria « J'accuse » quand la rumeur réclamait le silence. Mais c'est aussi le pays où un innocent porta l'infamie sur son uniforme, quand la foule criait à la trahison. C'est ce double héritage que nous questionnons.
Alfred Dreyfus fut innocenté, et réintégré, mais il ne fut pas rétabli à hauteur de son destin militaire. Quand son compagnon de vérité, le lieutenant-colonel Picquart, fut promu général, Dreyfus resta en arrière. Pourtant, il reprit les armes pour la France - au Chemin des Dames, à Verdun - , comme si elle ne l'avait jamais trahi.
En ce 6 novembre 2025, cent trente ans après son exil sur l'île du Diable, c'est le devoir de la République que de reconnaître Alfred Dreyfus en sa qualité de général. Pourquoi maintenant ? Car le temps n'éteint pas l'exigence, car il s'agit d'un acte politique et moral, car ce qui frappa Alfred Dreyfus ne fut pas simplement l'arbitraire, mais l'antisémitisme, cette haine froide qui déshonore les nations. Huit décennies après la Shoah, nous aurions pu croire la cause des droits de l'homme définitivement victorieuse, mais tout nous rappelle le contraire, à l'image de la profanation de la tombe de Robert Badinter le jour de sa panthéonisation... La bête immonde rôde toujours. Elle change de visage, elle porte la cravate, mais elle est toujours là. À force de renoncement et d'indifférence, notre société a laissé les faux prophètes parler à la peur, flatter la colère.
Face à eux, nous devons refuser les compromissions, faire les bons choix et rappeler que la République, c'est le refus de l'intolérance, de l'oubli. Simone Veil, qui l'a connu dans sa chair, disait que l'antisémitisme commence dans les mots et s'achève dans la mort. La mémoire est un combat, et ce combat passe par la promotion d'Alfred Dreyfus. Grâce à votre vote, mes chers collègues, l'ombre d'une injustice cessera d'obstruer la mémoire d'un officier français. L'armée et la nation se regarderont avec confiance, car nous aurons préféré la lumière à l'ambiguïté, la droiture au renoncement.
Nous ne réhabilitons pas Dreyfus, la justice l'a fait en 1906. Nous corrigeons par l'honneur ce que la faute d'hier a empêché d'advenir. Au nom de l'unité de la France, adoptons sans trembler l'article unique proclamant « La nation française élève à titre posthume Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. » (Applaudissements sur plusieurs travées)
M. Pierre Ouzoulias . - « Je ne me laisserai jamais abattre. Je lutterai jusqu'au dernier souffle pour faire éclater la vérité et la justice. Je veux vivre pour voir triompher la lumière ». C'est ainsi que, près d'un mois après son arrivée sur l'île du Diable, Dreyfus exprimait à sa femme son ardente volonté de vivre pour que justice soit faite.
En août 1895, il ajoutait : « Je ne veux pas seulement être libéré, je veux être proclamé innocent, il ne s'agit pas de moi seul, il s'agit du droit et de la justice humaine ».
Victime d'un crime d'État parce que juif, tout avait été organisé pour qu'il ne revînt jamais de l'île du Diable. Son premier acte d'héroïsme fut de survivre et de garder confiance en la République.
À la Chambre des députés, la frénésie raciste était alors sans limite. Un député a interpellé le Gouvernement à propos de l'envahissement des administrations publiques par l'élément juif et Léon de Baudry d'Asson, marquis romain, député de la Vendée, exigé l'abrogation de la loi d'émancipation des juifs votée en 1789.
Après l'arrêt de la Cour de cassation qui innocenta Dreyfus, la droite nationaliste dénonce un coup d'État judiciaire. Charles Maurras écrit : « Nous savons que nous ne sommes plus rien chez nous. Nous sommes prévenus par une étiquette certaine que les forces françaises ne sont plus à la France, mais à la juiverie ». Et Maurice Barrès laisse à l'histoire cette formule terrible : « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race ».
À l'antijudaïsme religieux vieux de 2000 ans, succède l'antisémitisme racial du nationalisme intégral de l'extrême droite française, qui a trouvé un accomplissement funeste dans la révolution nationale de juillet 1940 que Maurras qualifia de « divine surprise ».
Alfred Dreyfus déclarait : « J'avais espéré, le 12 juillet 1906, que la programmation solennelle de mon innocence mettrait un terme à mes souffrances. Il n'en fut rien. Je dus rester la victime jusqu'au bout. Mais je me console en pensant que l'iniquité dont j'ai si prodigieusement souffert aura servi la cause de l'humanité et développé les sentiments de solidarité sociale. »
Marie-Georges Picquart obtint une reconstitution complète de sa carrière et devint général et ministre de la guerre dans le gouvernement de Clemenceau. Les sept années de carrière volées à Alfred Dreyfus ne lui furent jamais restituées. Réparons post mortem cette profonde injustice. C'est l'occasion d'honorer la mémoire d'un patriote et d'un héros, ardent défenseur de la République émancipatrice. (Applaudissements sur plusieurs travées)
Discussion de l'article unique
Article unique
M. Roger Karoutchi . - Je me suis abstenu en commission. La façon dont les choses sont présentées me laisse sceptique. Je voterai néanmoins pour le texte en raison d'une discussion avec Frédéric Salat-Baroux et par déférence pour la famille. Mais si j'ai signé avec Rachid Temal il y a quelques années une proposition de résolution sur ce sujet, les temps ont changé. J'aurais préféré que l'on propose la panthéonisation d'Alfred Dreyfus. (M. Pierre Ouzoulias approuve.)
Ainsi, il y aurait eu non un simple vote dans une enceinte parlementaire, mais une cérémonie nationale.
Historien, j'ai toujours étudié le « capitaine Dreyfus ». Depuis cent cinquante ans, nous parlons du capitaine Dreyfus. Qu'il soit général n'y changera rien. Ce n'est pas une réparation - une faute aussi dramatique ne se répare pas.
De plus, chaque fois que je dénonce les actes antisémites dans cet hémicycle, on me répond par de grands discours, mais jamais par des actes forts. Or un acte fort, ce n'est pas l'attribution du généralat à Alfred Dreyfus. Il faut des condamnations des actes antisémites actuels ! Croyez-vous sincèrement que les Français de confession juive seront plus rassurés de vivre en France parce qu'Alfred Dreyfus aura été promu général ? Que le gouvernement se saisisse de cette question ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Francis Szpiner . - Il m'arrive d'être en désaccord avec Roger Karoutchi. Nous parlons de justice, donc de la République, donc de la France. Rappelons la décision de la Cour de cassation : « De l'accusation contre Dreyfus, il ne reste rien debout » ; rien pour lui imputer un crime ou un délit. C'est une réhabilitation. Réhabiliter, c'est rétablir un homme dans tous les droits et les prérogatives dont il a été déchu.
Or tel n'a pas été le cas pour Alfred Dreyfus. La réhabilitation n'a donc pas été complète. Le 12 juillet 2006, Jacques Chirac disait : « La réhabilitation de Dreyfus, c'est la victoire de la République, de l'unité de la France ». Il ajoutait : « Un homme, sachons le reconnaître, à qui la justice n'a pas été complètement rendue. Il a quitté l'armée, la mort dans l'âme, faute d'avoir bénéficié de la reconstitution de carrière à laquelle il avait pourtant droit ».
Ce geste, certes tardif, du Parlement ne fait que mettre un point final à une réhabilitation judiciaire et sociale. En nommant Alfred Dreyfus général de brigade, nous lui rendons justice, même s'il restera pour l'éternité le capitaine Dreyfus. Voilà pourquoi je voterai sans état d'âme cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées)
Mme Laurence Rossignol . - En élevant le capitaine Dreyfus au grade de général de brigade, nous agissons contre l'antisémitisme, oui. C'est une action, ce n'est pas la seule. La panthéonisation d'Alfred Dreyfus en est une autre. Combattre le nouvel antisémitisme qui se dissimule derrière l'antisionisme aussi.
Nos quatre collègues d'extrême droite, agités, hostiles quand il s'agissait de protéger la République en modifiant la Constitution, ont déserté l'hémicycle : ce n'est pas anodin. Cela en dit long sur la sincérité de la conversion tardive - et opportuniste - de l'extrême droite à la lutte contre l'antisémitisme...
M. Roger Karoutchi. - Et l'extrême gauche ?
Mme Laurence Rossignol. - Quoi qu'ils fassent, ils seront éternellement les enfants de Barrès et de Maurras, jamais ceux de Jaurès et de Zola. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K et du GEST ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. Rachid Temal, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Je salue la décision de Roger Karoutchi de voter le texte. Il s'agit d'une réhabilitation juridique, nous la devons à Alfred Dreyfus, à sa famille et au peuple français.
Je suis pour la panthéonisation de Dreyfus. C'est reconnaître qu'il s'agit d'un grand officier - ce n'est pas une simple question de justice.
Soyez contre l'antisémitisme, soyez honnêtes. Comme l'ont souligné le président Patrick Kanner et Laurence Rossignol, la désertion de certains est significative : ils parlent beaucoup, mais, quand il s'agit de voter, ils sont absents. Ce sont les actes qui comptent.
Quelles que soient nos familles politiques, nous ne pouvons plus accepter que des hommes et des femmes, en raison de leur confession, aient peur de pratiquer leur foi, de sortir dans la rue, peur de vivre. Mon groupe sera toujours là. Nous avons toujours condamné le nouvel antisémitisme.
Faisons ce geste historique pour la famille, pour l'honneur de notre armée et pour notre pays. (Applaudissements sur plusieurs travées)
L'article unique est adopté. En conséquence, la proposition de loi est définitivement adoptée.
(Applaudissements ; Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et se tournent en direction de la tribune d'honneur où est présente la famille du général Dreyfus.)
Prochaine séance, mercredi 12 novembre 2025 à 15 heures.
La séance est levée à 17 h 30.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 12 novembre 2025
Séance publique
À 15 heures, 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président, M. Loïc Hervé, vice-président
1. Question d'actualité au Gouvernement
2. Projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales (procédure accélérée) (texte de la commission, n°112, 2025-2026)