EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS
L'ARTICLE 71
Plafonnement des frais irrépétibles
versés aux avocats devant la Cour nationale du droit d'asile au niveau
de l'aide juridictionnelle
Le présent article prévoit que le montant des frais irrépétibles prononcés par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), versés aux avocats et à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), ne peut dépasser le montant de l'aide juridictionnelle, qui est quant à elle financée sur le budget du ministère de la justice.
Dans la mesure où la rétribution au titre des frais irrépétibles est actuellement deux fois plus rémunératrice que celle au titre de l'aide juridictionnelle, les avocats tendent à préférer les frais irrépétibles, qui sont prononcés par la CNDA dans 56 % des décisions d'annulation. Par suite, ce poste de dépenses a considérablement augmenté dans le budget de l'OFPRA, qui est pour la première fois déficitaire, principalement à raison des frais irrépétibles.
La commission propose d'adopter cet article.
I. LE DROIT EXISTANT : DES FRAIS IRRÉPÉTIBLES QUI NE PEUVENT ÊTRE INFÉRIEURS À LA PART CONTRIBUTIVE DE L'ÉTAT À L'AIDE JURIDICTIONNELLE, MAJORÉE DE 50 %
A. DES ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES ONT CONDUIT À AUGMENTER LE MONTANT DES FRAIS IRRÉPÉTIBLES DEVANT TOUTES LES JURIDICTIONS
Pour la prise en charge de leurs dépenses de justice, les requérants devant toutes les juridictions peuvent demander l'aide juridictionnelle, financée sur le budget du ministère de la justice.
L'aide juridictionnelle désigne l'aide financière accordée par l'État aux personnes physiques disposant de ressources insuffisantes afin de défendre leurs droits devant les juridictions judiciaires et administratives. Elle vise à permettre la prise en charge de tout (dans le cas de l'« aide juridictionnelle totale ») ou partie (par une « aide juridictionnelle partielle ») des frais de procédures et ceux inhérents au recours à un conseil.
En application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, elle est accordée sous condition de ressources pour toute action qui n'apparaît pas manifestement irrecevable ou dénuée de fondement. Elle est de droit pour les contentieux portés devant la Cour nationale du droit d'asile.
L'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 permet aux auxiliaires de justice d'obtenir le bénéfice des frais irrépétibles mis à la charge de la partie perdante, plutôt que de percevoir la somme versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Si la loi du 10 juillet 1991 dans sa version initiale prévoyait une liberté de fixation par le juge du montant des frais irrépétibles, par la suite, le législateur a prévu un montant plancher pour inciter au prononcé des frais irrépétibles en lieu et place de la part contributive de l'État.
Dans un premier temps, l'article 128 de loi de finances pour 201464(*) a prévu que les frais irrépétibles ne peuvent être inférieurs au montant de l'aide juridictionnelle. Cette disposition devait permettre en principe à la fois de soulager le budget de l'aide juridictionnelle et d'augmenter la rémunération des avocats désignés pour assister les bénéficiaires de cette aide.
Dans un second temps, l'article 243 de la loi de finances pour 202065(*) a augmenté ce plancher en prévoyant que ces frais ne peuvent pas être inférieurs à cette aide juridictionnelle, majorée de 50 %. Cet article résulte d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale de Philippe Gosselin et Naïma Moutchou et fait suite à une préconisation de leur mission d'information sur l'aide juridictionnelle66(*), afin de rendre « le dispositif plus incitatif pour les avocats, en leur assurant une rémunération supérieure à celle qu'ils auraient obtenue au titre de l'aide juridictionnelle ».
Ces dispositions législatives ont eu pour effet d'augmenter le versement de frais irrépétibles à la charge de la partie perdante devant toutes les juridictions, et de fait à la charge de l'OFPRA en cas de décision d'annulation d'un refus de protection par la CNDA.
En pratique, lorsque la CNDA annule une décision de refus de protection de l'OFPRA, les avocats des demandeurs d'asile demandent au juge de prononcer les frais irrépétibles. Si le juge accède à leur requête, ils renoncent à l'aide juridictionnelle pour percevoir les frais irrépétibles, et dans le cas contraire, ils conservent l'aide juridictionnelle. En 2024, la CNDA a fait droit à cette demande dans 56 % des décisions d'annulation. Ce chiffre a significativement augmenté ces dernières années : il était de 17,27 % en 2019, 31,86 % en 2021, 41,20 % en 2022 et 49 % en 2023.
B. UNE HAUSSE MASSIVE SUBSÉQUENTE DES FRAIS IRRÉPÉTIBLES DUS PAR L'OFPRA, À L'ORIGINE D'UN DÉFICIT STRUCTUREL
Les dépenses liées aux frais irrépétibles, qui constituent des dépenses de guichet pour l'OFPRA, ont été multipliées par sept depuis 2019, passant de 0,9 million d'euros en 2019 à 7,7 millions d'euros en 2024. Sur la seule période 2021-2025, ces dépenses de guichet ont augmenté de près de 100 %, passant de 4 à 8 millions d'euros.
Évolution des frais
irrépétibles versés par l'OFPRA
en cas de condamnation
par la CNDA depuis 2016
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'OFPRA
Ainsi, les frais irrépétibles prononcés par la CNDA représentent aujourd'hui le quatrième poste de dépenses dans le budget de l'OFPRA, soit 7 % du budget total en 2025, après les dépenses de personnel, de traduction et d'immobilier.
Par ailleurs, certains cabinets d'avocats spécialistes en contentieux de l'asile concentrent une part importante des dépenses. En 2024, trois avocats ont concentré près de 10 % de la dépense totale des frais irrépétibles. Pour 2025, un seul avocat a été rémunéré par l'OFPRA à hauteur de 250 000 euros au titre des frais irrépétibles.
L'évolution exponentielle de ces dépenses sont à la source d'un déficit structurel pour l'OFPRA. Il est pour la première fois de l'ordre de - 6,5 millions d'euros, financés sur les réserves de l'établissement par le fonds de roulement. En outre, cette augmentation des dépenses n'est que partiellement compensée dans le cadre du budget pour 2026, avec le rehaussement de la subvention pour charges de service public à hauteur de 2 millions d'euros.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : PLAFONNER LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES VERSÉS AUX AVOCATS DEVANT LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE AU NIVEAU DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE
Le présent article additionnel est proposé par l'amendement II-18 (FINC.5) de la commission des finances.
Cet article modifie la première phrase du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91 647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique afin de préciser que devant la Cour nationale du droit d'asile, la somme versée au titre des frais irrépétibles ne peut être supérieure à la part contributive de l'État.
Cela crée une particularité dans le paysage procédural, mais ce régime est déjà spécifique puisque l'aide juridictionnelle est de droit.
La rémunération obtenue par le biais des frais irrépétibles doit impérativement rester soutenable pour l'État et proportionnée au travail effectivement fourni par les avocats. Dans cette perspective, le présent article génèrerait, dès 2026, une moindre dépense d'environ 4 millions d'euros pour l'État.
Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article.
* 64 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
* 65 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
* 66 Rapport d'information déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'aide juridictionnelle (M. Philippe Gosselin et Mme Naïma Moutchou), n° 2183.
