B. L'AMORCE DE DIFFICULTÉS BUDGÉTAIRES À VENIR : LA GRATUITÉ DES FRAIS DE SCOLARITÉ À L'ÉTRANGER POUR LES ENFANTS FRANÇAIS

1. Une mesure qui n'est pas pilotée sur le plan budgétaire

Décidée par les pouvoirs publics le 30 août 2007, et traduite par une instruction en date du 21 septembre 2007, la prise en charge des frais de scolarité de l'ensemble des enfants français établis hors de France pour les classes de terminale, devrait progressivement bénéficier à l'ensemble des classes. Ainsi, elle est élargie à compter de la rentrée 2008/2009 aux classes de première, puis pour la rentrée 2009/2010 aux classes de seconde. Le Président de la République a annoncé la généralisation de cette mesure de gratuité . Elle devrait être achevée pour les enfants de maternelle à horizon 2020. C'est à cette date qu'elle aura produit l'ensemble de ses effets budgétaires.

Les caractéristiques de l'enseignement français à l'étranger

Au total, on compte 451 établissements et lycées français à l'étranger : 73 établissements en gestion directe , 180 établissements conventionnés et 198 établissements homologués . Ce réseau est sans égal par rapport à celui de nos pays partenaires. Il scolariserait de l'ordre de 98.000 élèves français .

Seules les deux premières catégories de lycées - gestion directe et conventionnés - bénéficient d'un financement de l'État et relèvent de l'agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Dans ces établissements, selon le rapport annuel de performances 2007, les enfants français ne représentent que 46,72 % des élèves inscrits (78.622). Les enfants étrangers du pays d'accueil représentent 40,52 % des inscrits et les enfants étrangers « tiers » 12,76 %.

Le système de l'enseignement français à l'étranger est un système tripartite qui repose sur un effort des parents, des entreprises et de l'État . L'ensemble de ces établissements sont des lycées privés, donc payants, même si le réseau de l'AEFE est subventionné à partir de la mission « Action extérieure de l'État » :

- la dotation à l'AEFE inscrite sur le programme 185 ;

- les bourses et de la prise en charge des frais de scolarité financées par le programme 151.

Source : commission des finances

Pour 2007, la mesure ne représente que 5 millions d'euros , puisqu'elle ne s'est appliquée que sur les 4 derniers mois de l'année. Cette mesure a été autofinancée par la mission « Action extérieure de l'État » : 3 millions d'euros ont été couverts par un prélèvement sur le fonds de roulement de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) destiné à financer des projets d'informatisation des procédures en faveur du traitement des demandes d'asile.

Pour la première année, selon l'AEFE, 2.333 demandes de prise en charge 4 ( * ) ont été présentées, soit 90,28 % des prises en charge attendues (2.584). 2.086 dossiers ont été déclarés recevables. 12 % des dossiers émanaient d'enfants scolarisés dans les lycées homologués.

Pour la seconde année, en cours d'examen, 4.637 dossiers ont déjà été présentés, pour un nombre maximum de prises en charge attendu de 5.965. Ils seraient issus à 17 % d'établissements homologués.

La prise en charge en année pleine des trois classes de seconde, première et terminale représentera à horizon 2010, à effectifs constants, de l'ordre de 60 millions d'euros : il convient d'ajouter à la prise en charge stricto sensu des frais de scolarité un effort réalisé pour élargir les attributions de bourses à vocation sociale en faveur des familles qui scolarisent leurs enfants dans les écoles primaires et lycées, et qui ne bénéficient pas encore de la gratuité. Selon le rapport annuel de performances pour 2007, les bourses attribuées sur critères sociaux représentent 46,96 millions d'euros.

Il convient de rappeler que la mesure de prise en charge ne prend en compte à ce stade, ni les revenus des parents, ni le statut des établissements 5 ( * ) (les lycées homologués sont concernés), ni le niveau des frais de scolarité appliqués. Elle n'est appliquée en revanche que si l'employeur ne prend pas lui-même à son compte ces frais de scolarité. Or, les entreprises et employeurs français, qui prenaient une large part au financement de la scolarité des enfants de leurs expatriés, ont d'ores et déjà débuté leur désengagement , pour bénéficier d'un effet d'aubaine financier. Selon l'AEFE, Auchan, Darty, le lycée privé Rochambeau de Washington, par exemple, seraient déjà dans ce cas. Il y a donc la disparition d'un des socles sur lequel reposent traditionnellement les ressources de l'enseignement français à l'étranger : le financement des entreprises.

A horizon 2020, la mesure de gratuité pourrait représenter, en année pleine à effectifs et frais de scolarité constants, 260 millions d'euros . En réalité, la montée de la dépense pourrait bien être plus rapide que l'échéance de 2020 : « l'attente des familles » scolarisant des enfants dans les petites classes pourrait conduire à un élargissement des bourses sur critères sociaux pour apaiser certaines impatiences. Il y a là une inflation préoccupante.

Si le montant de 260 millions d'euros est un minimum, il conduira néanmoins à augmenter le financement public de l'enseignement français à l'étranger de l'ordre de 80 % . Si ce montant était ajouté aux crédits de paiement de la mission « Action extérieure de l'État », celle-ci serait conduite à progresser de 11 % . 30,5 % des crédits de l'action extérieure de l'État serait alors dévolus à la communauté française, ce qui altèrerait le sens des missions d'un Quai d'Orsay a priori consacré à la conduite de notre action diplomatique.

L'hypothèse d'une augmentation des crédits du Quai d'Orsay étant peu probable à horizon même lointain, une large partie des besoins budgétaires consacrés à la mesure de gratuité sera financée par redéploiements . Elle obligera à des choix drastiques : le réseau culturel à l'étranger représente, à titre de comparaison, selon le rapport annuel de performances pour 2007, 141,6 millions d'euros. Le réseau diplomatique a un coût, selon le même document, de 425 millions d'euros. C'est vraisemblablement sur ces postes que serait gagé le surcroît de dépense lié à la prise en charge des frais de scolarité à l'étranger : les autres lignes budgétaires sont très faibles ou contraintes : il en est ainsi des 663 millions d'euros dévolus aux contributions internationales, et des 56,6 millions prévus au titre des institutions européennes.

La nouvelle dépense aura, en outre, mécaniquement un effet d'éviction sur les crédits de modernisation et d'agrandissement des établissements français à l'étranger, en gestion directe ou conventionnés, dont les besoins supplémentaires sont évalués à 50 millions d'euros, et qu'il paraît dès lors peu vraisemblable de financer sur fonds publics. Or, à Londres, par exemple, on compterait une liste d'attente de 1.600 enfants pour 400 places disponibles.

La dépense risque, en outre, de ne pas pouvoir être pilotée, du moins en l'état, en raison de l'intégration dans le dispositif d'établissements homologués, qu'aucune convention ne lie aux pouvoirs publics, et qui ont une liberté tarifaire complète . Or, ces lycées ont une politique tarifaire très dynamique, car ils sont en concurrence avec un système privé prestigieux, où la compétitivité de l'offre scolaire repose non seulement sur le niveau des professeurs, mais aussi sur les activités périscolaires, les offres de langues rares, l'encadrement, les équipements sportifs et la qualité des bâtiments. Il y aura donc des dépenses à la hausse, que les parents accepteront d'autant plus volontiers qu'elles seront assumées in fine par l'État.

En outre, le décret n° 2007-1796 du 19 décembre 2007 relatif aux cotisations de pensions des personnels détachés , en transfère le paiement des administrations d'origine aux administrations employeurs, s'agissant de l'enseignement français à l'étranger : missions laïques et AEFE. 120 millions d'euros devront donc être pris en charge par les lycées français à l'étranger. Cette mesure ne devrait pas être totalement compensée par un transfert à due concurrence, en 2009, en provenance de la mission « Enseignement scolaire ». En conséquence, les parents devront assumer une part de ce surcoût par une hausse des frais de scolarité , qui sera ensuite répercutée budgétairement sur la mission « Action extérieure de l'État », au titre de la mesure de gratuité.

La mesure devrait conduire à faire évoluer le nombre d'enfants français scolarisés dans les établissements à la hausse. La dépense publique progresserait dans la même proportion. Ceci aurait pour effet de réduire la part d'enfants étrangers, du pays d'accueil, et de réduire fortement la fonction de rayonnement de nos établissements à l'étranger.

L'extension de la mesure aux enfants étrangers n'est pas à exclure, au sein de l'Union européenne notamment, si un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) considérait que l'application de la gratuité au seul bénéfice des élèves français était discriminatoire par rapport aux ressortissants des autres pays européens.

* 4 Frais de scolarité les moins élevés : 686 euros (lycée français de Tamatave). Frais de scolarité les plus élevés : 16.801 euros (lycée international franco-américain de San Francisco).

* 5 Au motif que les parents ne peuvent choisir le statut de leur établissement dans des villes où il n'existe qu'un seul établissement d'enseignement français. Pour autant, les pays de l'OCDE offrent un système d'enseignement local comparable à celui de notre pays. Les frais de scolarité d'établissements français privés à l'étranger, d'un montant parfois significatif, simplement homologués, font donc désormais l'objet d'une prise en charge par l'Etat, même si des alternatives existent dans le système d'enseignement public du pays d'accueil.

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