Lundi 21 janvier 2019

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à la Présidence de la République

M. Philippe Bas, président. - Nous achevons une nouvelle série d'auditions avec M. Benalla, puis M. Crase. Je vous rappelle notre mandat : d'une part, apprécier les conditions dans lesquelles des personnes étrangères aux forces de sécurité ont pu ou peuvent être associées à l'exercice des missions de maintien de l'ordre ou de protection de hautes personnalités, en l'occurrence le Président de la République ; d'autre part, vérifier la portée des sanctions prononcées en cas de manquement : tout a-t-il été mis en oeuvre pour les appliquer correctement ?

À ce titre, nous avons interrogé M. Benalla, en septembre dernier, sur la nature exacte de ses fonctions à l'Élysée, et en particulier sur l'étendue de sa mission, tant sur l'organisation et le fonctionnement général de la sécurité du Président de la République que sur la protection rapprochée du chef de l'État. Sauf s'il souhaite lui-même revenir sur ces différents points, il n'est sans doute pas indispensable de poser de nouvelles questions dans ce domaine. Nous ne refaisons pas l'audition du mois de septembre.

Nous avions aussi interrogé M. Benalla sur la réalité de la sanction qui lui aurait été infligée en mai 2018 après les fautes commises lors des manifestations du 1er mai à Paris et sur l'application de la mesure de licenciement pour faute prise à son encontre à la fin du mois de juillet, y compris la restitution - comme il se doit - de ses instruments de travail et l'abandon des facilités qui lui étaient accordées dans l'exercice de ses fonctions. Notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio lui avait notamment posé la question de ses passeports diplomatiques. Votre réponse, monsieur Benalla, a depuis lors été démentie par des informations parues dans la presse, puis par les réponses apportées à notre commission tant par le directeur de cabinet du Président de la République que par les ministres des affaires étrangères et de l'intérieur. Vous aurez naturellement à vous expliquer sur ce point.

En revanche, nous n'avons pas reçu du Sénat le mandat d'interroger M. Benalla sur des questions importantes qui ont trait à la politique étrangère de la France et à la protection de nos intérêts fondamentaux à l'étranger. Ce que M. Benalla fait et dit quand il se rend à l'étranger au service d'hommes d'affaires ne nous est pourtant pas indifférent, et nous pourrons à tout le moins l'interroger sur l'observation par lui-même des règles déontologiques applicables à tout agent public après la fin de ses fonctions.

Alors qu'il nous avait déclaré n'avoir pas repris d'activité professionnelle en septembre, nous sommes fondés à lui demander à quelle date une collaboration s'est nouée avec son employeur actuel, si et quand la commission de déontologie de la fonction publique a été saisie et si elle s'est prononcée.

Par ailleurs, des informations font état de la participation de M. Benalla à la conclusion d'un contrat de protection de personnalités entre M. Crase et un oligarque russe, alors que M. Crase encadrait encore les réservistes de l'Élysée et que M. Benalla y était chargé de mission à la chefferie de cabinet. Nous nous devons de vérifier ces informations car, si elles étaient avérées, elles témoigneraient d'un point de vulnérabilité dans la sécurité du Président de la République, qui doit à l'évidence être à l'abri de toute influence extérieure.

Enfin, je signale que les investigations de l'autorité judiciaire se sont encore étendues depuis la dernière audition de M. Benalla, mais cela ne change naturellement rien à notre pratique, très soucieuse de l'indépendance réciproque des enquêtes judiciaires et parlementaires, qui doivent se combiner dans le respect mutuel de chaque institution. Nous ne poserons donc pas de questions sur d'éventuelles infractions pénales commises par M. Benalla, l'objet de notre enquête étant le fonctionnement de l'État dans les domaines couverts par notre mandat. La justice sanctionne des fautes individuelles lorsqu'elles présentent un caractère délictuel. Nous veillons de notre côté au bon fonctionnement de l'État ; nous sommes d'ailleurs les seuls, constitutionnellement, à être en mesure d'effectuer ce contrôle qui ne relève pas de la compétence de la justice. Il se peut que nous ayons à éclairer les mêmes faits, ici l'usage irrégulier de passeports diplomatiques, mais nous le ferons sous des angles différents : celui de l'infraction qu'a pu commettre le titulaire pour la justice, et celui des actions mises en oeuvre par l'État pour empêcher cet usage irrégulier de passeports diplomatiques pour ce qui concerne le contrôle parlementaire. Chacun respecte strictement son rôle ; le nôtre relève d'un droit fondamental des représentants de la Nation de veiller au bon fonctionnement des autorités publiques pour garantir le bon emploi des impôts que nous votons et prévenir les excès de pouvoir en veillant au respect de l'État de droit.

Cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle sera diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission des lois, dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexandre Benalla prête serment.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, si vous le souhaitez, mais vous n'y êtes pas contraint, je vous propose d'introduire cette audition par un propos liminaire à la suite duquel nous vous poserons des questions.

M. Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à la présidence de la République. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je souhaitais avant tout, en propos liminaire, remettre l'ensemble de cette affaire, dite « affaire Benalla », dans le contexte qui est le sien, celui des événements dits « du 1er mai » de la place de la Contrescarpe, sur lesquels, on est en train de le constater avec le temps qui passe, des contre-vérités et des approximations ont été relayées à la fois par la presse et par certains responsables politiques.

On m'a d'abord présenté comme le « tabasseur » des « gentils manifestants », des « opposants politiques » ou encore des « mangeurs de crêpes », comme ils se sont eux-mêmes présentés, en tronquant la réalité d'une situation qui était pour le moins assez tendue et, on est en train de le découvrir depuis plusieurs semaines, assez confuse. Dès le début, lors de mes différentes interventions médiatiques, à la fois au journal télévisé de 20 heures de TF1, dans Le Journal du dimanche et au journal Le Monde, je suis revenu sur ces événement et j'ai expliqué que les personnes qui étaient en face de moi n'étaient pas de « gentils manifestants », mais des lanceurs de bouteilles en verre sur des policiers, ce qui a été difficile à admettre pour un certain nombre de journalistes et de responsables politiques, mais s'est révélé constituer la réalité, dès lors que les vidéos sont sorties dans les médias après avoir été gardées sous le coude pendant quelques semaines. On y voit ces deux personnes en train de jeter des bouteilles en verre et d'agresser littéralement les policiers. Aujourd'hui, ces deux personnes, présentées comme de « gentils manifestants », sont convoquées par la justice pour répondre de faits de violences sur dépositaires de l'autorité publique.

Autre élément de contexte : Devais-je ou ne devais-je pas agir ? Ce n'est pas à moi de vous le dire aujourd'hui, ce n'est pas le sujet de cette audition, je l'ai bien compris. Ce sera à la justice de déterminer si je devais, comme je l'ai fait, contribuer à l'appréhension de ceux que je qualifie de « délinquants », car ils ont lancé des bouteilles sur des policiers. J'ai pensé bien faire, en vertu de l'article 73 du code de procédure pénale, selon lequel n'importe quel citoyen est autorisé à appréhender l'auteur d'un crime ou d'un délit flagrant. Or le jet d'une bouteille en verre sur des policiers constitue un délit ; il s'agit de violences volontaires sur dépositaires de l'autorité publique.

À l'issue de ces pseudo-révélations d'un grand quotidien du soir, il y a eu un déferlement médiatique, un déchaînement politique et un lynchage en règle, dont j'ai fait l'objet et je continue à faire l'objet depuis six mois, avec la construction d'un personnage
- d'un « individu », selon quelqu'un que vous avez auditionné récemment et qui ne tarissait pas d'éloges me concernant en septembre - sa vision ayant apparemment changé assez rapidement. En six mois, on a construit ainsi un personnage que l'on dit « sulfureux », « diabolique », « infréquentable », tous ces qualificatifs étant employés à mon encontre. Je pense, très modestement, avoir contribué à la construction de ce personnage, par des propos que j'ai pu tenir et qui ont été cités hors de leur contexte, mais aussi par mon attitude, qui a pu parfois être jugée décalée. Je conçois que j'ai pu donner une mauvaise image de moi.

Mais je tenais devant vous, monsieur le président, à remettre dans son contexte cette pseudo-« affaire Benalla », dont le cheminement et la construction médiatico-politique n'avaient qu'un seul but : atteindre le Président de la République. Je pense que cela a marché et j'espère que cela va se terminer assez rapidement, pour mon pays et pour la réussite que je souhaite au Président de la République.

En l'espace de six mois, les choses ont bien changé ; elles ont évolué plutôt négativement en ce qui me concerne. Je dois le reconnaître, derrière la carapace, il y a un homme, sa femme, son fils âgé d'un mois et demi au moment du déclenchement de cette affaire, une situation professionnelle et personnelle assez troublée, qui ont fait que j'ai commis un certain nombre d'erreurs. Je les ai reconnues volontiers auprès de mon entourage et je les reconnais publiquement devant vous, comme je l'ai fait également devant la justice. Ces erreurs ont pu naître de rencontres, d'échanges avec certaines personnes, qualifiées de « sulfureuses », mais je tiens à vous dire que je rencontre qui je veux, quand je veux et dans le cadre que je veux, en fixant une limite morale que je garderai pour moi. Cependant, je n'accepte pas le personnage qui a été construit autour de moi et qui ne reflète pas qui je suis et ce que j'ai fait lorsque j'étais à la présidence de la République.

Je veux aussi rappeler devant vous que j'ai été recruté sur la base de mes compétences, qui n'ont jamais été, depuis le début de vos auditions, remises en cause par qui que ce soit. Je n'ai pas débarqué à l'Élysée par effraction. J'ai participé à une campagne électorale où j'ai exercé mes compétences, avec mes qualités et mes défauts. On m'a recruté sur la seule base de mes compétences et de mon savoir-faire.

Je demande juste un peu d'indulgence me concernant, de par le traitement médiatique, politique qui est le mien. La justice, qui fait son travail sereinement, a toute sa place dans notre pays pour faire la lumière sur tout ce qui m'a été reproché depuis le début de cette affaire. J'ai entendu un certain nombre d'approximations, de mensonges et de contre-vérités dans les précédents témoignages des personnes que vous avez auditionnées. J'ai un immense respect pour les fonctions que ces personnes occupent et, aujourd'hui, je ne vous parlerai pas de ce que je pense des hommes, dans la droite ligne de ce que je vous ai dit la dernière fois, monsieur le président Bas.

Je suis venu devant vous le 19 septembre, j'ai fait certaines déclarations. Je reste cohérent avec ces propos. J'ai pu entendre ici ou là que je n'avais pas été suffisamment clair sur certains points, que j'avais fait « de l'enfumage », etc. Aujourd'hui, je suis présent devant vous pour répondre à toutes les interrogations sur lesquelles vous m'avez jugé, peut-être, vague. Je veux juste vous confirmer mon propos, madame la sénatrice Eustache-Brinio, quand vous m'avez demandé si j'avais rendu mes passeports diplomatiques. Je ne me souviens pas des termes exacts de votre question, mais je me rappelle ma réponse : le 19 septembre, devant vous, sous serment, ayant répondu à l'ensemble des questions qui m'ont été posées, je vous ai dit : « ils doivent être dans mon bureau à l'Élysée et ils ont dû les restituer ». Je vous réaffirme solennellement, sous serment encore une fois, que le 19 septembre, mes passeports étaient à l'Élysée. Patrick Strzoda vous a affirmé que ces passeports avaient été utilisés entre le 1er et le 7 août, ce que je ne dénie pas ; c'est la réalité. Je les ai restitués, à la demande de la présidence de la République et du ministère des affaires étrangères, qui m'a adressé deux courriers, ainsi qu'un e-mail reçu de la part du général Bio Farina, le 30 juillet. J'ai restitué mes passeports, les clés de mon bureau, le badge d'accès à l'Élysée et j'ai récupéré d'autres affaires, comme un siège-auto, un chéquier, une paire de clés et un anorak. Je les ai restitués dans le courant du mois d'août 2018, sans être précis sur les dates pour l'instant, car une information judiciaire est en cours qui viendra confirmer mon propos.

Ces passeports m'ont été rendus à nouveau, alors que j'avais été contacté par un membre du personnel salarié de l'Élysée, début octobre 2018, avec un certain nombre d'éléments personnels - un chéquier, une paire de clés, comme je vous l'ai dit. J'ai constaté et l'on m'a fait savoir que ces passeports n'étaient pas désactivés ; sinon, je n'aurais pas voyagé avec ces passeports. Je reconnais là une faute de ma part, un manque de discernement peut-être, une erreur, sans doute. Je l'ai reconnu devant la justice et je le reconnais devant vous. Mais je ne pense pas que cela ne mérite toutes les proportions que cela a pris depuis le début de cette affaire.

Je vous le réaffirme solennellement, je ne vous ai pas menti le 19 septembre lorsque je vous ai dit que mes passeports étaient à l'Élysée. Je fais confiance à la justice, qui travaille sur les événements du 1er mai et fait émerger un certain nombre de vérités face aux mensonges, aux rumeurs, aux contrevérités qui ont été développés ici ou là ; elle fera de même sur cette affaire des passeports diplomatiques.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Monsieur Benalla, alors que nous étions encore interrogés très récemment, Philippe Bas, Muriel Jourda et moi-même avons toujours maintenu la même position. Nous sommes ici rassemblés pour trouver la vérité et mettre à jour les dysfonctionnements qui ont eu lieu, en chercher les causes ; ensuite, nous ferons un rapport dans lequel nous dirons ce que nous aurons à dire. Nous respectons nous-mêmes le principe du contradictoire en auditionnant toutes les personnes que nous avons décidé d'auditionner. Pour le moment, nous en sommes là et nous n'allons pas au-delà, conformément à notre mission de parlementaires.

Concernant votre activité, quand vous étiez à l'Élysée, pouvez-vous confirmer véritablement que vous n'avez été en lien avec aucune société privée liée à des activités de sécurité, de défense ou d'autres domaines pendant que vous y exerciez vos fonctions ?

M. Alexandre Benalla. - Je vais réaffirmer solennellement devant vous que je n'avais alors aucun lien d'ordre professionnel avec une société de sécurité ou de défense. Néanmoins, tout le monde sait ici que je suis issu du milieu de la sécurité et de la protection des personnes et que j'ai travaillé dans un certain nombre d'entreprises auparavant. J'ai donc créé des liens d'amitié avec un certain nombre de personnes dans divers domaines, et pas seulement la sécurité et la protection physique des personnes, et je continue, encore aujourd'hui, car les vrais amis restent, malgré ce déchainement, à entretenir ces liens.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le journal Libération a publié une déclaration de vous selon laquelle vous auriez organisé « deux ou trois rendez-vous à l'Élysée », pendant vos fonctions, avec M. Vincent Miclet. Confirmez-vous cela ? De quoi s'agissait-il ?

M. Alexandre Benalla. - Je démens ces propos, et je ne commenterai pas les articles de presse, contenant tout et son contraire, et surtout beaucoup de contrevérités. Je n'ai jamais prononcé ces propos à Libération.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je vous donne acte de votre réponse. Connaissez-vous M. Iskander Makhmudov ?

M. Alexandre Benalla. -  Je ne connais pas cette personne, si ce n'est à travers la presse, et je ne l'ai jamais rencontrée.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Étiez-vous informé de la collaboration de M. Crase avec M. Makhmudov ?

M. Alexandre Benalla. - Je sais que M. Crase a eu des activités professionnelles, qu'il a créé une entreprise. J'étais au courant de ses affaires, car c'est un ami, je ne vais pas le cacher devant vous aujourd'hui. Toutefois, je peux vous affirmer que je n'ai jamais contribué à une quelconque négociation, conclusion, et que je n'ai jamais été intéressé au moindre contrat que M. Crase a pu passer avec qui que ce soit, et encore moins avec cette personne.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Avez-vous eu des contacts avec une personne particulièrement proche de M. Makhmudov, ce qui justifierait que vous ne l'ayez pas vu personnellement ?

M. Alexandre Benalla. - Je connais un certain nombre de personnes, on l'a tous lu dans des articles de presse, qui disent parfois des vérités, parfois des mensonges... Je connais beaucoup de gens, que j'ai rencontrés par mes anciens camarades, par mes anciennes fonctions ou par d'anciens emplois. On est un tout petit milieu et on se connaît absolument tous. Donc, je connais un certain nombre de gens, dans l'entourage de Vincent Crase ou de la société Velours pour laquelle j'ai travaillé. Je ne puis dire le contraire, vous pouvez aujourd'hui me le reprocher, mais oui, je connais beaucoup de gens.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Comment se fait-il que, après avoir quitté vos fonctions, vous ayez été employé pendant un mois, pour un salaire qui est connu, par une société créée pour les besoins de la cause, me semble-t-il, dont l'actionnariat est assez léger, et qui est dirigée par une personne que vous devez connaître ? Quelle a été votre activité
- éphémère - dans le cadre de cette société qui venait de naître ?

M. Alexandre Benalla. - Je vais répondre à cette question, même si je n'y suis pas obligé, parce que c'est une activité professionnelle que j'ai exercée à l'issue de mes fonctions à l'Élysée. Je vous avais dit lors de ma première audition que j'étais à Pôle emploi, mais j'ai essayé d'en sortir le plus rapidement possible. Je m'efforce de refaire ma vie professionnelle et personnelle par mes propres moyens, avec certaines personnes qui me veulent du bien - je les en remercie. Je suis profondément choqué que ces personnes soient jetées en pâture. Ce sont des entrepreneurs, sérieux, qui passent des contrats - et quand une entreprise passe un contrat, cela me fait plaisir -, qui emploient des gens, sur la base de leurs compétences. Je suis profondément choqué que le nom de leur société, leur prénom, leur nom, leur passé, etc. soient ainsi jetés en pâture. C'est irresponsable, de la part des médias qui, depuis six mois, me harcèlent, ainsi que mes proches ! Je demande juste qu'on me laisse tranquille : je travaille, j'essaie de gagner ma vie par moi-même, ne pas être à la charge de la société, et cette personne que vous évoquez est un de mes amis depuis plus de cinq ans
- M. Crase la connaît aussi très bien, et c'est un concours de circonstances  qui ne justifie pas qu'on aille chercher la petite bête... Cet ami m'a employé pour une mission qui restera confidentielle.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je me permets de vous demander quelle est la nature de l'activité qui a été la vôtre à ce titre en raison du fait que, lorsque l'on a servi dans un service public, en l'occurrence l'Élysée, ce que l'on fait après n'est pas indifférent, surtout si on a exercé des missions liées à la sécurité - vous savez qu'il y a une commission de déontologie... Je vous repose la question, avec insistance : quelle a été la nature de votre travail durant un mois au sein de cette société ?

M. Alexandre Benalla. - Pour des raisons de confidentialité évidentes, et dans la mesure où cela ne concerne pas aujourd'hui votre mission d'information, qui a les pouvoirs d'une commission d'enquête, je ne répondrai pas à cette question.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, c'est nous qui décidons si nos propres questions sont dans notre mandat ou pas ! Ce n'est pas à vous de le faire. Je vais vous préciser les choses, pour que vous les entendiez clairement. La sanction de licenciement pour faute qui vous a été infligée, comporte un certain nombre d'obligations pour vous. Si cette sanction est réelle, elle doit aller jusqu'au bout ; c'est la raison pour laquelle, comme vous le savez, vous deviez rendre tous les instruments et attributs de votre fonction, tels les passeports diplomatiques.

M. Alexandre Benalla. - C'est ce que j'ai fait !

M. Philippe Bas, président. - C'est aussi pourquoi, ayant servi au plus haut niveau de l'État, à la présidence de la République, même si vous n'étiez pas l'un des principaux collaborateurs du chef de l'État, vous deviez respecter l'obligation de soumettre à la commission de déontologie de la fonction publique vos nouvelles activités. Tout cela a du sens. Le droit, ce ne sont pas simplement des règles que l'on pose pour embêter les gens. Pourquoi existent-elles ? Pour s'assurer que, rétrospectivement, la personne qui exerce une activité dans le secteur privé après avoir servi l'État ne puisse se trouver en situation de conflit d'intérêts. C'est aussi pour vérifier qu'à l'avenir les fonctions que cette personne exercera pour le compte d'une entreprise - par hypothèse « respectable », comme vous venez de le dire -, ne mettront pas en cause des informations acquises dans l'exercice de la fonction de service public antérieure.

Notre commission d'enquête s'intéresse tout à fait légitimement - M. Sueur est tout à fait dans son rôle en vous posant ces questions - à vos activités et aux conditions dans lesquelles vous les exercez. Il y a beaucoup de règles en France, il est vrai, mais elles ne sont pas toutes inutiles et dépourvues de sens... Celle-là a beaucoup de sens.

Je reformule la question de Jean-Pierre Sueur : avant de prendre une activité dans une entreprise, avez-vous, premièrement, saisi la commission de déontologie ? Avez-vous, deuxièmement, informé la présidence de la République que vous repreniez, pour vous-même et votre famille, une activité professionnelle, et la nature de cette activité ? C'est extrêmement important : c'est le respect des dispositions du décret du 27 janvier 2017.

M. Alexandre Benalla. - Vous avez raison, c'est très important, à tel point que j'ai reçu le courrier de M. Strzoda m'indiquant que j'avais à saisir la commission de déontologie de la fonction publique, deux jours avant qu'il soit auditionné par vos soins, lors de sa dernière audition. Néanmoins, il serait intéressant de savoir combien de personnes ayant quitté l'Élysée, et ce depuis plusieurs mandats, ont saisi cette commission de déontologie pour exercer une activité professionnelle et créer leur entreprise. Pourquoi me demande-t-on, à moi, trois jours avant de venir devant une commission d'enquête, de saisir cette commission, ce dont je n'avais pas été informé, même s'il est exact que cette obligation était mentionnée dans mon contrat de travail ? Je ne l'ai pas fait, c'est une erreur de ma part, je le reconnais. Mais combien de personnes, en sortant de l'Élysée, saisissent cette commission ?

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, vous n'avez pas de « phobie administrative »... Vous savez bien qu'il faut respecter un certain nombre de règles, qui figuraient de surcroît dans votre contrat de travail, comme vous venez de le rappeler. Ce n'est pas très compliqué à faire !

M. Alexandre Benalla. - La situation, à l'issue de mes fonctions à l'Élysée, était un peu compliquée. Je n'ai pas été orienté vers cette commission de déontologie. J'aurais dû en effet, le 1er août, relire attentivement chaque paragraphe de mon contrat de travail et m'apercevoir que je devais saisir cette commission. Je ne l'ai pas fait ; c'est une erreur de ma part, mais j'avais d'autres priorités comme celles de mettre à l'abri ma femme et mon fils, de retrouver un appartement, un travail... Ce sont des situations un tout petit peu compliquées.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, nous ne sommes pas là pour vous faire la morale, mais pour essayer d'obtenir des informations qui nous permettraient d'établir la vérité. Évidemment, quand on respecte les règles, on est mieux protégé. Depuis lors, avez-vous effectivement saisi la commission de déontologie ?

M. Alexandre Benalla. - Non, je ne l'ai pas saisie, mais mon avocate est en train de s'en occuper.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Mes questions porteront sur le port d'armes. Le préfet de police de Paris vous a délivré le 13 octobre 2017, outre un permis de port d'arme, une autorisation d'acquisition et de détention d'une arme de catégorie B, uniquement pendant la durée de vos fonctions à la présidence de la République. Selon mes informations, vous aviez déjà, depuis le mois de novembre 2016, une autorisation de détention d'armes de cette même catégorie au motif que vous pratiquiez le tir sportif... Avez-vous acquis une nouvelle arme, au titre d'une autorisation d'acquisition et de détention, délivrée par le préfet de police le 13 octobre 2017 ? Si oui, cette arme a-t-elle été acquise par vous-même à titre privé, ou par l'Élysée ?

M. Alexandre Benalla. - Je répondrai très succinctement, parce qu'une information judiciaire est en cours sur les armes - le fameux selfie - ; je peux juste vous dire que j'ai moi-même acquis l'arme dans le cadre de cette autorisation.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Dans la mesure où l'autorisation était liée à vos fonctions à l'Élysée, avez-vous restitué cette arme ?

M. Alexandre Benalla. - Toutes les armes que je détenais de manière légale ont été saisies par la justice dans le cadre de l'information judiciaire qui est en cours.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le téléphone Teorem permet aux collaborateurs situés au plus haut niveau de l'État de passer des communications chiffrées. Selon les informations qui nous ont été données par M. Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, la présidence dispose de 30 combinés, et vous pouviez en utiliser un dans le cadre de vos fonctions à l'Élysée. À quelles fins ? Pour préparer des déplacements, pour communiquer avec le Président ?

M. Alexandre Benalla. - Le Teorem est en effet un outil mis à disposition d'un certain nombre de collaborateurs du Président de la République et d'autres administrations, qui permet des conversations téléphoniques sécurisées. Quand j'étais collaborateur du Président de la République, j'étais très soucieux des procédures et de la sécurité de mes communications. Un Teorem m'a été attribué dans le cadre des missions que je vous ai exposées lors de la première audition. Certains n'ont pas jugé utile d'en avoir un, préférant passer par des messageries cryptées bien connues telles que Telegram, WhatsApp, etc.

J'ai respecté les procédures : lors des discussions avec des préfets, des autorités de police ou de gendarmerie, ou d'autres personnes travaillant à l'Élysée, j'utilisais le Teorem qui avait été acheté, plutôt que de le laisser dans un carton.

M. Philippe Bas, président. - Cela veut dire que le chef de cabinet du Président de la République ne jugeait pas utile, pour ses propres communications avec les mêmes correspondants, d'utiliser un tel appareil ? C'est donc vous seul qui, de votre propre initiative, l'utilisiez ? Vous avez pensé que c'était utile, alors que d'autres pensaient que c'était inutile ?

M. Alexandre Benalla. - Vous avez parfaitement résumé la situation, monsieur le président.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Doit-on saisir de vos propos, monsieur Benalla, que ce téléphone ne vous avait pas été attribué d'office et que vous l'aviez demandé ?

M. Alexandre Benalla. - Nous avons des postes fixes sécurisés, dans chacun de nos bureaux à la chefferie de cabinet. Les postes mobiles ne sont pas attribués de manière automatique, alors que, du fait de nos fonctions - habilitation, etc. -, nous pouvons demander ce type de mobile, en fonction de l'usage que l'on compte en faire. Pour ma part, je respecte les procédures de sécurité et j'ai utilisé ce téléphone pour avoir des conditions de sécurité maximum. D'autres ne l'ont pas jugé utile, il faudra leur poser la question.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question : l'aviez-vous demandé ou vous a-t-il été attribué d'office ?

M. Alexandre Benalla. - Il m'a été attribué.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Pouvez-vous confirmer que ce téléphone n'a pas été restitué lors de votre licenciement ? La restitution vous a-t-elle été réclamée après votre licenciement ? À quel moment ? Quelle diligence avez-vous accomplie pour que cette restitution ait lieu ?

M. Alexandre Benalla. - Dans le contexte général que j'ai exposé tout à l'heure, la situation après le 1er août était un peu confuse me concernant : j'ai déménagé en six mois plus de quatre fois ; mes affaires étaient dans des cartons... Ce téléphone ne m'a jamais été redemandé, et je ne savais pas, jusqu'au mois de décembre, que je l'avais encore en ma possession. C'est lors de mon dernier déménagement, le 20 novembre 2018 pour être très précis, que l'on m'a demandé la restitution d'un certain nombre d'effets qui n'avaient pas été rendus à l'Élysée, dont la carte professionnelle, le pin's et un certain nombre d'autres documents. Le Teorem n'était pas mentionné. Avec ma femme, j'ai procédé à un inventaire complet des affaires qui n'étaient pas encore déballées, et nous sommes tombés sur le Teorem. J'ai alors appelé mon avocate, qui a effectué les démarches auprès de M. Strzoda pour savoir comment nous pouvions restituer ce téléphone. Depuis, il a été restitué à l'Élysée.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quel usage avez-vous fait de ce téléphone depuis votre licenciement ?

M. Alexandre Benalla. - Je vous l'ai dit, il n'y a eu aucun usage de ce téléphone : pendant les six mois qui se sont écoulés, avant que je ne fasse un inventaire complet des affaires qui étaient encore dans des cartons, je n'avais pas connaissance du fait qu'il était encore en ma possession. Il n'a jamais été utilisé depuis le mois de juillet 2018.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'Élysée nous a affirmé vous avoir demandé de restituer ce téléphone le 4 octobre 2018. Cette date est un peu éloignée de celle de votre départ, et vous ne l'avez pas restitué le 4 octobre ?

M. Alexandre Benalla. - Je ne sais pas qui a dit cela, et sur quelle base : ce téléphone ne m'a jamais été réclamé le 4 octobre. Apparemment, l'Élysée a découvert que j'étais en possession de ce téléphone quand mon avocate lui en a fait part.

M. Philippe Bas, président. - En réalité, le téléphone a été « désactivé » le 4 octobre.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - C'est tout de même étrange : alors que vous avez quitté vos fonctions le 31 juillet, l'Élysée ne s'est rendu compte de cette affaire que le 4 octobre. De plus, si je comprends ce que vous dites, s'en étant rendu compte, l'Élysée n'a pas réagi auprès de vous pour vous demander de restituer ce téléphone.

M. Alexandre Benalla. - Je ne sais pas répondre à cette question ; je ne pense pas être le mieux placé pour y répondre.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je vous pose à présent une question relative au port d'arme ; vous n'y répondrez peut-être pas, mais il pourrait être utile pour vous d'y répondre. Une perquisition a eu lieu - vous vous en souvenez. Les conditions dans lesquelles elle a été menée n'ont donné lieu à aucune instance judiciaire. Il a été question d'une armoire. Pouvez-vous nous en dire davantage sur son contenu ?

M. Alexandre Benalla. - La perquisition a eu lieu sur instruction d'un magistrat,...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Bien sûr.

M. Alexandre Benalla. - ... donc de la justice ; cette question concerne l'information judiciaire et l'instruction. Si la justice a des questions à me poser à cet égard, elle me les posera. Tout s'est fait dans un cadre légal : il y a eu une vraie perquisition à mon domicile, avec de vrais policiers. J'en suis le premier témoin. Tout a été fait conformément à la loi.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - On a constaté que vous aviez une certaine appétence pour les passeports : après tout, chacun a ses marottes. Mais la situation est quand même un peu étrange pour ce qui concerne le passeport diplomatique dont vous avez demandé le renouvellement.

Premièrement, cette demande intervient après la sanction qui vous a été infligée, et après que vous avez été déchargé de la mission d'organisation des voyages du Président de la République. Cela peut sembler étrange : pourquoi avez-vous demandé ce passeport diplomatique, à ce moment-là, alors que vous n'aviez plus la fonction qui l'aurait justifié ?

Deuxièmement, vous n'êtes pas passé par le service du protocole de l'Élysée : pourquoi, puisque c'est la voie normale ? Vous avez obtenu le renouvellement du passeport très rapidement, auprès du ministère des affaires étrangères, qui - M. Le Drian nous l'a dit - en a d'ailleurs informé le service du protocole de l'Élysée. D'après nos informations, ce service n'a réagi d'aucune sorte.

M. Alexandre Benalla. - Je suis désolé, mais les conditions d'attribution, de détention, d'obtention et de restitution de ces passeports concernent l'information judiciaire en cours. Le juge d'instruction saisi m'interrogera à ce sujet. Je ne répondrai donc pas à ces questions devant votre commission. J'en suis désolé.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, vous êtes obligé de répondre à ces questions devant notre commission. Elles concernent le fonctionnement de l'État, et non pas des fautes que vous auriez pu commettre. Elles ne sont donc pas reliées à cette information judiciaire, à moins que l'on ait de cette dernière une compréhension particulièrement extensive.

Je vous précise, comme je l'ai dit plusieurs fois, que nos missions sont complémentaires. Nous pouvons nous intéresser aux mêmes faits, mais pas pour le même objet : la justice peut s'intéresser à l'utilisation que vous faites d'un passeport diplomatique si elle donne lieu à une infraction de votre part. Nous ne nous intéressons pas du tout à cela. En revanche, il est très important pour nous d'assumer notre mission constitutionnelle, sans en rien limiter les capacités d'action de la justice - nos missions sont complémentaires, et non concurrentes -, pour ce qui concerne les procédures administratives suivies. Nous voulons savoir comment cette attribution a eu lieu. Elle n'est pas poursuivie en tant que telle comme une infraction.

M. Alexandre Benalla. - Si.

M. Philippe Bas, président. - Non, pas l'attribution de ce passeport diplomatique. Nous sommes tout à fait d'accord pour que la justice vous pose des questions sur ce sujet. Mais, nous aussi, nous vous posons des questions à ce titre, et vous êtes obligé d'y répondre.

M. Alexandre Benalla. - J'ai bien entendu votre propos, monsieur le président Bas, mais je ne pourrai pas répondre à cette question, parce que, contrairement à ce que vous affirmez, la justice s'intéresse aux conditions de délivrance et d'obtention de l'ensemble des passeports, dans le cadre d'une information judiciaire qui est ouverte sur cinq motifs d'infraction et non seulement l'usage d'un passeport. J'ai été mis en examen pour usage abusif d'un document donnant une fonction, mais je suis placé comme témoin assisté sur quatre chefs d'inculpation. Ce n'est pas tant mon statut que l'ouverture d'une information sur ces cinq chefs d'inculpation qui m'empêche de répondre à votre question.

M. Philippe Bas, président. - Rappelez-nous ces cinq chefs d'inculpation.

M. Alexandre Benalla. - Je pense qu'ils ont été rendus publics par le parquet.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Notre question ne porte pas sur l'usage d'un passeport. Elle ne porte pas sur les passeports de service, au titre desquels vous êtes témoin assisté. Elle porte sur les conditions d'obtention et de renouvellement d'un passeport, alors que vous étiez dans une institution, l'Élysée.

Ce n'est pas parce que la justice fait son travail que nous ne devons pas faire le nôtre. C'est très clair et il s'agit d'une question absolument essentielle pour aujourd'hui et pour demain : les commissions d'enquête parlementaires doivent pouvoir exercer leur mission constitutionnelle, qui est de contrôler le Gouvernement et d'évaluer les politiques publiques. Or ce qui se passe à l'Élysée, notamment en matière de sécurité, relève de la politique publique.

À partir du moment où, au sein de l'Élysée, vous demandez et obtenez un tel passeport diplomatique, nous sommes en droit de vous interroger : pourquoi cette demande a-t-elle été formulée, alors que vous n'aviez plus de titre à disposer d'un passeport diplomatique ? Et pourquoi le service du protocole de l'Élysée a-t-il été contourné ? Ces questions sont très simples.

M. Alexandre Benalla. - Je vais réitérer mon propos une troisième fois : la justice étant saisie des faits concernant les passeports au sens large - les passeports de service et les passeports diplomatiques -, s'intéressant également à leurs conditions d'obtention, et non pas simplement aux conditions d'utilisation de ces passeports, une information judiciaire étant ouverte, et étant, moi-même, très respectueux des institutions, je répondrai aux questions des magistrats instructeurs.

M. Philippe Bas, président. - Ce n'est pas être très respectueux des institutions que de refuser de répondre aux questions qui vous sont posées par une commission d'enquête parlementaire.

Vous avez une conception singulière de ce qu'est le respect des institutions... Respecter les institutions, c'est aussi savoir que l'autorité judiciaire n'a pas vocation à porter d'appréciation sur un dysfonctionnement administratif. En conséquence, c'est bien à nous de le faire. Chacun a son rôle complémentaire : la justice vérifiera si vous avez ou non commis des infractions. À ce titre, elle peut tout à fait chercher des informations dans tel ou tel domaine de l'action administrative, mais elle ne peut porter d'appréciation sur la régularité d'une décision administrative. Il s'agit là d'une évidence pour tout le monde, et vous, qui avez fait des études de droit, vous devriez le savoir aussi.

Je vois votre obstination à ne pas répondre aux questions de la commission d'enquête et je n'en comprends pas la raison. Je tenais à vous le dire.

M. Alexandre Benalla. - Je n'ai absolument rien à cacher quant à l'obtention et l'utilisation de ces passeports, et je serais aujourd'hui le premier ravi de pouvoir vous expliquer comment j'ai pu les obtenir, comment ils m'ont été délivrés et comment je les ai utilisés. Mais, dès lors que l'on suspecte que les conditions de délivrance ont donné lieu à une infraction pénale, l'on n'est plus dans un cadre administratif, mais dans un cadre judiciaire. Aujourd'hui, la justice cherche à savoir comment j'ai obtenu ces passeports. Je le réitère pour la quatrième fois : je ne pourrai pas répondre à cette question, qui est d'ordre, non administratif, mais judiciaire.

M. Philippe Bas, président. - La justice s'intéresse-t-elle vraiment aux conditions dans lesquelles vous avez obtenu le renouvellement de votre passeport diplomatique au mois de juin dernier ? Ce n'est pas ce que j'ai entendu.

Le directeur de cabinet du Président de la République a utilisé l'article 40 du code de procédure pénale, non pas pour l'attribution de ces passeports diplomatiques, mais pour la note à en-tête du chef de cabinet du Président de la République par laquelle a été demandée l'obtention de votre passeport de service, ce qui n'a rien à voir avec le renouvellement de votre passeport diplomatique au mois de juin dernier.

Nous en resterons là : je vous donne acte de votre refus de répondre, mais je tiens à vous dire que votre interprétation est erronée. D'ailleurs, vous n'avez pas à opposer votre propre interprétation à celle que nous faisons, au sein d'une commission d'enquête parlementaire : c'est notre rôle d'interpréter notre mandat et de définir le champ des questions que nous avons à vous poser et auxquelles vous pourriez répondre.

En commençant cette audition, j'ai précisé à quel point nous sommes attentifs à ce que, dans ce cadre, la séparation des pouvoirs soit respectée ; la conception que vous en affirmez est, de mon point de vue comme de celui des rapporteurs, abusive.

M. Alexandre Benalla. - J'ai bien entendu votre remarque. Je suis assez inquiet de constater que, devant votre commission, le directeur de cabinet du Président de la République a dit que je serais convoqué dans les toutes prochaines heures ; cela pose quand même question quant à l'indépendance des institutions. Aujourd'hui, vous m'expliquez que vous n'avez pas connaissance du fait que la justice s'intéresse aux conditions d'obtention et de délivrance de ces passeports. Je ne sais pas si vous avez eu accès au dossier judiciaire vous-même, mais cela me pose question.

M. Philippe Bas, président. - Je me fonde sur les chefs d'incrimination retenus par le parquet et rendus publics...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - À une certaine époque, pas moins de quatre ministres nous ont rappelé qu'il était tout à fait nécessaire que nous respections nos prérogatives. Nous ne pouvons qu'insister sur la grande nécessité de respecter l'indépendance de la justice, comme la justice se doit de respecter notre indépendance, et surtout comme le pouvoir exécutif se doit de respecter l'indépendance du pouvoir législatif.

Vous nous dites que, pour ces raisons liées à la justice, vous ne pouvez pas parler des passeports. Il y a là une petite contradiction avec votre déclaration préalable : vous avez commencé par nous parler de passeports. Vous nous avez dit, pour répondre à la question de Mme Eustache-Brinio, que, quand vous avez quitté l'Élysée, les passeports étaient restés dans votre bureau. Tout à l'heure, vous avez dit que les passeports étaient restés « à l'Élysée ». C'est une nuance qui a de l'importance. Pouvez-vous nous confirmer que les passeports sont restés dans votre bureau, à l'Élysée ?

M. Alexandre Benalla. - Je n'ai pas répondu à votre question relative aux passeports, puisqu'elle s'inscrit dans le cadre d'une information judiciaire ouverte. Dans mon propos liminaire, j'ai évoqué ces passeports : je suis simplement resté cohérent avec des propos tenus publiquement à travers deux communiqués, l'un de moi, l'autre de mon avocate. Je n'ai donc fait que répéter mes propos publics, qui datent d'une quinzaine de jours et que vous pouvez trouver dans la presse. Je n'ai pas révélé de secret ; et, il y a quinze jours, je n'étais encore ni mis en examen ni placé sous le statut témoin assisté pour ce qui concerne les passeports.

Pour être encore plus précis que vous ne l'êtes, lorsque j'ai répondu à Mme Eustache-Brinio, j'ai dit : « je pense que mes passeports sont dans mon bureau à l'Élysée et qu'ils ont dû être restitués ». Le « je pense » est une nuance qui a une extrême importance. Penser n'est pas affirmer ; tout ce que je peux vous affirmer - je l'ai fait encore une fois sous serment aujourd'hui -, c'est que mes passeports étaient à l'Élysée le 19 septembre.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Une perquisition a eu lieu, et ensuite on vous a rendu les passeports. Pouvez-vous être plus précis ? Quelle personne vous a rendu les passeports, « au coin d'une rue », comme vous l'avez dit ?

M. Alexandre Benalla. - Je le répète, une information judiciaire est ouverte. La justice exposera dans des conditions claires la manière dont les passeports ont été rendus, puis restitués, comment et par qui.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - M. Strzoda nous a expliqué que vous bénéficiiez de deux passeports de service, l'un délivré en 2016, lorsque vous travailliez à la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, et l'autre délivré le 28 juin 2018, dans le cadre de vos fonctions à l'Élysée. Si vous nous confirmez la détention de ces deux passeports, pouvez-vous nous expliquer quelle en était l'utilité, dans la mesure où vous disposiez déjà de deux passeports diplomatiques ?

M. Alexandre Benalla. - Je suis désolé, mais je ne pourrai pas non plus répondre à cette question, qui porte sur une information judiciaire en cours.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez une conception extrêmement large de l'information judiciaire. Je n'ai pas le pouvoir de vous faire parler si vous ne le souhaitez pas ; je ne peux que me rallier aux longues explications données par le président Bas et déplorer que vous ne souhaitiez pas répondre à la mission d'information.

M. Alexandre Benalla. - J'ai répondu de la manière la plus précise, complète et cohérente, depuis le début de vos auditions, à l'ensemble de vos questions. Je ne décide pas d'être mis en examen ou placé sous le statut de témoin assisté ; je ne décide pas qu'une information judiciaire soit ouverte ou non. Je respecte juste le cadre de ce qui m'a été conseillé par mon avocate : ne pas faire d'auto-incrimination.

Dès lors que je suis mis en cause par la justice - à ce titre, le statut de mis en examen ou de témoin insisté importe peu -, toutes les déclarations que je peux faire devant vous sous serment peuvent être retenues contre moi par la justice ultérieurement. Excusez-moi juste de respecter des principes qui me sont garantis par la Constitution.

M. Philippe Bas, président. - Je suis d'accord avec vous sur ce point. Nous-mêmes, nous ne voulons pas que vous puissiez encourir le risque de l'auto-incrimination.

Cela étant, il s'agit du fonctionnement de l'administration : nous ne vous demandons pas de parler des actes que vous avez commis, mais de ceux qui ont été accomplis par des services de l'administration. Vous voyez bien la différence entre les deux. Il faut que vous cessiez de considérer que les deux enquêtes, parlementaire et judiciaire, devraient s'exclure l'une l'autre. Elles ne sont pas en concurrence, elles se complètent.

Nous sommes ici très heureux que la justice fasse son travail. Elle fait un travail que nous ne pourrions pas faire, et, de la même façon, nous en faisons un qu'elle ne pourrait pas faire non plus. C'est pourquoi, dans notre République, les dispositifs de contrôle sont multiples : à chacun son rôle.

Pour l'instant, nous allons nous en tenir là sur ce sujet : mes collègues vous poseront d'autres questions, et vous aurez alors de nouveau l'occasion de vous exprimer.

M. Alexandre Benalla. - Vous me posez des questions sur l'administration. Les questions qui m'ont été posées me l'ont été directement, concernant des actes que j'aurais accomplis ou l'utilité que j'aurais pu avoir à me faire délivrer ces passeports.

M. Philippe Bas, président. - Oui !

M. Alexandre Benalla. - C'est la nature même de la question qui m'a été posée.

M. Philippe Bas, président. - Non, parce que cela touche à votre fonction à l'Élysée. La question était : pourquoi auriez-vous eu encore besoin d'un nouveau passeport diplomatique au mois de juin, alors que - on nous l'a dit et vous ne l'avez pas démenti - que vous étiez déchargé de vos missions d'organisation des déplacements du chef de l'État à l'étranger ? C'est pourquoi j'estime que vous auriez normalement dû être en mesure de répondre à cette question simple, sans vous exposer au risque d'auto-incrimination.

Je peux déduire de votre non-réponse que la question vous gêne !

M. Alexandre Benalla. - Pas du tout ! Si des questions me gênaient, je vous l'aurais dit depuis longtemps ; je n'aurais pas répondu de manière aussi claire, longue et précise, que je l'ai fait depuis le 19 septembre.

Si votre question concerne le fonctionnement de l'administration, voici ce que je peux vous dire : ces passeports m'ont été délivrés normalement, sans qu'à aucun moment une objection quelconque intervienne, depuis que j'ai quitté mes fonctions ou alors que j'étais en fonction. C'est tout ce que je peux vous dire aujourd'hui.

Si l'administration avait jugé anormale la délivrance des passeports, elle l'aurait soulevé. Les passeports de service ont été annulés ; les passeports diplomatiques, je constate que non.

M. Philippe Bas, président. - Et le service du protocole de l'Élysée, informé par le Quai d'Orsay du renouvellement de ce passeport diplomatique, ne vous a fait aucune observation ?

M. Alexandre Benalla. - Non.

M. Dany Wattebled. - Entre le 1er août, date de votre licenciement, et le 31 décembre 2018, vous avez, d'après M. Strzoda, utilisé deux passeports diplomatiques une vingtaine de fois. Lors de ces déplacements, avez-vous, comme vous l'avez indiqué dans un communiqué de presse, toujours prévenu « la plus haute autorité française » ?

M. Alexandre Benalla. - Je ne commenterai pas les articles de presse, mais uniquement mes propres déclarations. En l'occurrence, un communiqué qui était le mien.

J'ai avisé des personnes de l'ensemble de mes déplacements à l'étranger, par courtoisie républicaine. Je n'ai pas saisi la commission de déontologie de la fonction publique, mais j'ai un peu expliqué ce que je faisais depuis que j'avais quitté mes fonctions.

M. Dany Wattebled. - Ma question était plus précise : « la plus haute autorité française ».

M. Alexandre Benalla. - Je parle, non pas d'une personne, mais d'une institution.

M. Philippe Bas, président. - Qui sont les personnes que vous avez informées ?

M. Alexandre Benalla. - Des personnes travaillant pour la plus haute autorité française, c'est-à-dire des membres de la présidence de la République.

M. Philippe Bas, président. - Quelles fonctions occupent ces personnes ?

M. Alexandre Benalla. - Je ne souhaite évoquer ni leurs fonctions ni leurs noms ni leurs prénoms. Je suis désolé.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - À quelle date avez-vous prévenu les personnes en question de votre déplacement au Tchad ?

M. Alexandre Benalla. - Je suis désolé, mais je ne répondrai pas à cette question, qui concerne des déplacements postérieurs à mes fonctions à l'Élysée.

M. Philippe Bas, président. - Cela nous permet d'accélérer notre audition...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ce qui s'est passé après a un rapport avec ce qui s'est passé avant. Au cours des déplacements que vous avez faits récemment - vous avez tout à fait le droit de vous déplacer -, a-t-il été question de la sphère d'activité dont vous étiez chargé à l'Élysée ? Y a-t-il une connexion entre cette sphère d'activité et l'objet de ces déplacements, ou n'y a-t-il aucun rapport entre eux ?

M. Alexandre Benalla. - Il n'y a aucun rapport.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Lorsque vous avez été reçu par des chefs d'État, l'ont-ils fait en lien avec certaines missions, dont vous pourriez ou non nous parler, ou en lien avec vos anciennes fonctions ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai été reçu en tant qu'Alexandre Benalla. Je n'ai pu changer ni de nom ni de prénom ! Malheureusement, et contre mon gré, mon nom a acquis une notoriété qui s'est répandue jusqu'en Afrique. Je n'ai jamais été reçu afin de remplir une quelconque mission pour mon ancien employeur ni pour occuper des fonctions ou un emploi, ou encore pour mener des discussions en rapport avec mes anciennes fonctions. Ces déplacements et ces rencontres avec certaines personnes ont été menés à titre privé, avec mon prénom et mon nom, en tant qu'Alexandre Benalla.

M. François Grosdidier. - Sur votre propos liminaire, il est exact qu'il y a eu des violences lors des manifestations du 1er mai, telles que vous en faisiez état.

Premièrement, concernant les passeports, je voudrais vous interroger sur la pratique courante. Est-il, selon vous, pratique courante que des personnes ayant quitté leurs fonctions utilisent des passeports diplomatiques ou de service jusqu'à leur expiration ? Si c'est interdit, vous l'a-t-on dit ? Votre ancien employeur a porté plainte pour ce motif. En étiez-vous informé ? Seriez-vous la seule personne poursuivie pour avoir violé cette interdiction ?

Vous dites par ailleurs avoir informé la présidence de vos déplacements. Vous refusez néanmoins de nous donner les noms des personnes en question. À moins que vous ayez été en mission parallèle - pour la DGSE ou que sais-je -, je ne vois pas ce qui peut justifier un tel refus. MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères, ainsi que M. le directeur de cabinet du Président de la République, nous ont dit que, quatre mois durant, ils ignoraient tout de vos déplacements à l'étranger, et qu'ils ne les avaient découverts que dans Le Canard enchaîné. Cela vous paraît-il vraisemblable ? Pouvaient-ils l'ignorer ? Marianne vous cite, disant « comme cela, ils sauront où je suis »...Vous paraît-il vraisemblable que notre ambassadeur au Tchad n'ait pas informé Paris de votre déplacement dans ce pays ? Vous paraît-il vraisemblable que M. le ministre des affaires étrangères ait tout découvert le 26 décembre, comme il nous l'a dit, sachant que le Président de la République était à N'Djamena le 22 décembre ?

Enfin, vous disiez vous-même avoir gêné dans vos fonctions. N'avez-vous pas le sentiment d'avoir gêné également plus tard ? Certains affirment que vous êtes « mort » aux yeux de l'Élysée ; selon d'autres, au contraire, vous auriez pu renseigner utilement le Président sur l'emploi des forces de l'ordre pendant les manifestations, ou encore, pourquoi pas, sur le Tchad, voire le rôle des Russes au Tchad... Il aurait été nécessaire, pour le Président, de le savoir, mais il n'aurait pu recevoir de telles informations par les voies officielles. N'avez-vous pas, alors, irrité certaines personnes ? Cela pourrait-il être à l'origine des ennuis qui vous sont faits et des informations qui nous sont données bien tardivement aujourd'hui ?

M. Alexandre Benalla. - On ne m'a pas informé, par quelque moyen que ce soit, que je ne pouvais pas utiliser ces passeports. Je le confirme : ils m'ont été rendus au début d'octobre. Ils étaient utilisables : aucune mention n'avait été portée dessus, et aucun courrier m'enjoignant de ne pas m'en servir ne les accompagnait. C'est une connerie de ma part de les avoir utilisés, au vu de la polémique qui s'en est ensuivie.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Qui vous a rendu ces passeports ?

M. Alexandre Benalla. - Je vous ai déjà dit que je ne répondrai pas à cette question, monsieur le co-rapporteur.

M. Philippe Bas, président. - La présidence de la République, alors, nous aurait-elle menti ?

M. Alexandre Benalla. - Je pense que l'enquête judiciaire déterminera la vérité avec les moyens qui sont les siens. Je vous affirme, sans porter aucune accusation, que j'ai rendu mes passeports à la fin du mois d'août  et qu'ils m'ont été restitués au début d'octobre.

Concernant la pratique courante, j'ai entendu dire, à l'occasion de vos auditions, qu'une inspection générale avait été diligentée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ; elle a découvert qu'un certain nombre de passeports diplomatiques dont les titulaires avaient cessé leurs fonctions étaient toujours conservés, sinon utilisés, par ces personnes. Je suis incapable de vous dire si des personnes continuent de se servir de leurs passeports après la fin de leurs fonctions ; je vous répète juste les propos d'une personne que vous avez auditionnée : certaines personnes - dans plusieurs administrations, d'ailleurs - qui disposent de passeports diplomatiques ne restituent pas ces passeports en quittant leurs fonctions. S'en servent-elles pour voyager ? Je suis incapable de répondre à cette question.

Pour ma part, j'ai avoué de la manière la plus simple possible que j'avais voyagé avec ces passeports, et j'assumerai ma responsabilité devant la justice, qui me le reproche aujourd'hui. C'est tout ce que je peux vous dire à ce sujet.

Pourriez-vous répéter vos autres questions ?

M. François Grosdidier. - Le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur pouvaient-ils ignorer vos déplacements ? L'ambassadeur de France au Tchad a-t-il pu oublier de signaler à Paris que vous vous étiez rendu à N'Djamena le 12 décembre, alors que le Président de la République y allait le 22 ? Est-il vraisemblable que le ministre des affaires étrangères n'ait découvert votre déplacement que le 26 ?

M. Alexandre Benalla. - Je n'en sais rien ; je ne suis pas dans la tête du ministre des affaires étrangères. J'ai lu une brève, dans le Canard enchaîné, selon laquelle la direction de la coopération internationale, service dépendant du ministère de l'intérieur, avait été informée de certains de mes déplacements à l'étranger ; elle n'aurait pas fait remonter l'information. Je peux vous affirmer que j'ai informé, par courtoisie, en mon nom propre et sous ma responsabilité, des personnes à la présidence qui devaient en connaître. Concernant les autres acteurs - ministres ou responsables d'administrations -, je ne sais pas quelles démarches ils ont prises ou non.

M. François Grosdidier. - Enfin, en détenant ou en révélant certaines informations, n'avez-vous pas indisposé la sphère administrative ou technocratique ?

M. Alexandre Benalla. - Merci de me donner cette chance de m'expliquer publiquement, clairement et sous serment. Je ne détiens aucun secret sur qui que ce soit, je ne fais aucun chantage. On essaie d'expliquer ainsi un certain nombre de dysfonctionnements de la part de l'État, ainsi qu'un certain nombre de négligences et d'erreurs et de fautes que j'ai commises, que je reconnais devant vous et que j'ai reconnues devant la justice. J'assume mes responsabilités, mais il ne faut pas en déduire que tout cela est dû à des secrets que je détiendrais. Je ne détiens aucun secret.

J'avais une fonction claire, que je vous ai décrite le 19 septembre ; j'ai rempli ma mission de manière claire et je ne suis pas parti en emportant des secrets sur qui que ce soit. J'essaie juste de reprendre une vie normale et de me refaire, par moi-même, sans demander l'aide de personne.

Mme Esther Benbassa. - Pour les détenteurs de passeports diplomatiques ou de service, une note verbale du ministère des affaires étrangères est demandée pour l'obtention du visa d'entrée sur le sol tchadien. J'ai le document ici. Je précise que cette formalité est exigée tant pour les courts séjours que pour ceux de longue durée. Aviez-vous à disposition une note verbale pour l'entrée sur le sol tchadien ? Comment avez-vous pu produire un tel document ? Vous a-t-il été délivré par le Quai d'Orsay ? Si vous n'aviez pas ce document, expliquez-nous par quel moyen vous avez pu obtenir ce visa.

Je voudrais savoir, si possible, qui vous a restitué les passeports en octobre.

Ensuite, vous avez révélé dans la presse avoir eu des contacts avec le Président de la République jusqu'au 24 décembre, par la messagerie Telegram. Vos échanges étaient-ils d'ordre privé, ou d'une nature plus officielle ?

Enfin, votre épouse était salariée de La République en Marche (LaREM) lorsqu'ont éclaté les affaires qui vous concernent. Quelles étaient ses fonctions ? Est-elle toujours salariée de LaREM ? Avez-vous toujours des contacts avec le parti présidentiel ? Y exercez-vous des fonctions ?

M. Alexandre Benalla. - Je n'ai pas connaissance de cette note verbale. Je suis entré au Tchad sans visa, avec un simple tampon. J'étais avec une délégation économique étrangère, comme je l'avais déjà précisé.

Mme Esther Benbassa. - C'est exigé pour les passeports de service et les passeports diplomatiques !

M. Alexandre Benalla. - Je suis entré au Tchad sans visa. Il faudra peut-être poser la question à d'autres autorités. Moi, je n'ai pas fait de demande de visa pour aller au Tchad.

Pouvez-vous me rappeler votre deuxième question ?

Mme Esther Benbassa. - Elle a pour objet la teneur de vos contacts avec la présidence lors de vos échanges par Telegram. Ces échanges étaient-ils privés, ou d'une nature plus officielle ?

M. Alexandre Benalla. - Je ne commente pas les articles de presse. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai plus de contact avec qui que ce soit, à la présidence de la République ou au parti La République en Marche, depuis le 24 décembre.

Mme Esther Benbassa. - Quant à votre épouse, est-elle toujours salariée de LaREM ?

M. Alexandre Benalla. - Ma femme n'a pas grand-chose à voir avec toute cette histoire. Je ne parlerai donc pas d'elle ici.

M. François Pillet. - Si je vous posais la question que j'avais préparée, vous me répondriez, je le crains, ne pouvoir y répondre en raison de la procédure pénale en cours. J'aurais voulu savoir quelles raisons vous avaient poussé à solliciter quatre passeports en même temps ou les raisons pour lesquelles on vous les a attribués. Je vais néanmoins m'extraire totalement du cas Benalla et vous poser plutôt la question suivante : est-il habituel, pour des personnes remplissant les missions que vous nous avez dit remplir, d'avoir quatre passeports en même temps ? À quoi cela sert-il ?

M. Alexandre Benalla. - Ce n'est pas quatre, mais trois passeports. Le premier passeport de service m'a été attribué en 2016 dans le cadre d'autres fonctions. Sa restitution n'a jamais été demandée non plus à cette occasion. Il est habituel - le ministre des affaires étrangères vous a répondu, je pense, assez clairement sur ce point - de détenir deux passeports diplomatiques, pour des raisons liées aux demandes de visas. C'est fonctionnel. Quant au passeport de service, je le répète, je l'ai obtenu dans des conditions normales et pour des raisons normales. Je ne veux pas être affirmatif sur la question, mais certaines personnes détiennent plus de passeports diplomatiques que j'ai pu en détenir ; c'est quelque chose de normal. Dès lors que vous demandez à l'administration un certain nombre de documents, les contacts entre les administrations sont assez fluides. Si ma demande avait paru bizarre ou ubuesque, le ministère de l'intérieur n'aurait pas délivré le passeport en question.

Mme Brigitte Lherbier. - Lors de vos vingt déplacements à l'étranger, étiez-vous seul, ou bien en délégation ?

Lors des passages aux frontières, tant à l'entrée qu'à la sortie du territoire, les fonctionnaires ne vous ont-ils posé aucune question ? N'ont-ils pas été surpris de quoi que ce soit relativement à vos passeports ?

M. Alexandre Benalla. - Je vais répondre à cette question, alors que je n'y suis pas obligé, dans la mesure où elle concerne mes déplacements privés à l'issue de mes fonctions.

Je me suis déplacé parfois seul, parfois en délégation ; je vous le dis sans vous donner les détails exacts de ces déplacements. Mes passeports, qui ont été utilisés vingt-trois fois, pour être tout à fait exacts, l'ont été simplement pour justifier de mon identité au passage de frontière. Ils ne m'ont fait bénéficier d'aucun avantage, sinon, à deux reprises, du fast track. Je suis passé plus rapidement, comme avec une carte premium. À une dizaine de reprises, je me suis déplacé en avion privé, avec les avantages que cela procure, mais je me suis soumis à l'ensemble des contrôles lors de ces déplacements. Le passeport diplomatique ne vous immunise absolument pas. Je suis passé sous les portiques de sécurité et mes bagages sont passés aux rayons X.

Mme Esther Benbassa. - Mais sans visa !

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait !

M. Jérôme Durain. - Monsieur Benalla, le porte-parole du Gouvernement a évoqué l'existence de dysfonctionnements à l'Élysée. Ces dysfonctionnements sont au coeur de notre travail parlementaire. Ils concernent des faits, comme les conditions d'attribution, de restitution ou de non-restitution de votre arme de service, de vos passeports, du téléphone Teorem, mais ils impliquent aussi que nous comprenions les mécanismes et les circuits décisionnels propres à l'Élysée, ainsi que les interactions qui existent entre les différents protagonistes de l'administration élyséenne.

Nous avons appris que vous auriez demandé au directeur de cabinet du Président de la République de réécrire votre lettre de licenciement. Est-ce vrai ? Vous est-il arrivé assez fréquemment d'imposer ainsi vos vues à M. Strzoda ?

M. Alexandre Benalla. - Si je comprends bien, monsieur le sénateur, vous n'avez qu'une seule question et celle-ci concerne ma lettre de licenciement.

Tout d'abord, je vous informe que cette lettre est sortie dans la presse, alors qu'il s'agit d'une pièce de l'instruction judiciaire en cours sur les événements du 1er mai. Il s'agit en réalité d'une exploitation de mon téléphone portable : j'ai envoyé un SMS à M. Strzoda l'informant que la lettre de licenciement qu'il avait écrite ne correspondait pas à la vérité et que je ne signerai que la réalité des faits. Je n'ai donc pas imposé mes vues ; j'ai juste exercé un droit, qui est le droit à la vérité.

La première mouture de la lettre de licenciement écrite par M. Strzoda indiquait que personne n'était au courant de mon stage d'observation à la préfecture de police le 1er mai, ce qui n'est malheureusement pas la réalité. J'assume mes responsabilités, mais je ne les assume que lorsque les faits réels sont écrits. Quand on écrit un mensonge, je le dénonce. Je vous fais simplement remarquer que le courrier a été modifié et qu'il a finalement relaté la réalité des faits, c'est-à-dire que mes autorités étaient au courant que j'allais aux manifestations du 1er mai en tant qu'observateur.

Mme Marie Mercier. - Monsieur Benalla, vous avez déclaré dans la presse que vous étiez resté en lien avec le Président de la République jusqu'au 24 décembre dernier. Vous avez dit que la teneur de vos échanges portait sur des faits sociétaux, sur votre manière de voir les choses, à propos des gilets jaunes, par exemple. Ces échanges auraient eu lieu par SMS. Or nous avons appris que le téléphone crypté Teorem que vous utilisiez avait été désactivé le 4 octobre. Cela veut-il dire que vos échanges ont eu lieu avec un téléphone que je qualifierai « de base » et, par conséquent, que le Président de la République utilise un téléphone ordinaire ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai eu un certain nombre d'échanges avec un certain nombre de personnes via des messageries cryptées. Cette information est sortie dans la presse dès le début du mandat du Président de la République, et même depuis le début de la campagne. Je n'ai eu aucun échange avec le téléphone Teorem depuis le 1er juillet dernier avec qui que ce soit.

M. Patrick Kanner. - Je souhaite revenir sur les déclarations que nous a faites M. Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, le 16 janvier dernier. Monsieur Benalla, le ministre nous a affirmé qu'une demande officielle de restitution de vos passeports diplomatiques vous avait été adressée le 26 juillet 2018 et que l'accusé de réception avait bien été retiré. Le 10 septembre, puisque vous n'aviez manifestement pas obtempéré, une nouvelle lettre vous a été transmise, laquelle n'aurait cette fois-ci pas été retirée. Entre-temps, le 1er août, vous avez été licencié. Vous nous avez dit tout à l'heure que, pendant quelques jours, vous aviez utilisé vos passeports diplomatiques dans le cadre d'une mission privée dont vous ne voulez pas révéler la teneur.

Ma première question est simple : comment vos passeports ont-ils été restitués à l'Élysée, puisque vous nous déclariez le 19 septembre dernier que ces passeports y étaient restés ? À cet égard, permettez-moi de vous dire qu'il semblerait que vos propos étaient plus nets lors de votre première audition que ceux que vous avez tenus tout à l'heure.

Ma seconde question est plus factuelle : connaissez-vous un certain Philippe Hababou Solomon ?

M. Alexandre Benalla. - Votre première question concerne-t-elle bien la restitution de mes passeports ?

M. Patrick Kanner. - Oui, vous avez utilisé ces passeports pendant quelques jours au mois d'août, si j'ai bien compris.

M. Alexandre Benalla. - Oui, du 1er au 7 août, pour être tout à fait exact.

M. Patrick Kanner. - Puis ceux-ci sont repartis à l'Élysée : comment ont-ils été retournés ? Êtes-vous vous-même passé à l'Élysée pour les rendre ? M. Strzoda nous a dit que vous n'y aviez pas mis les pieds depuis le 1er août.

M. Alexandre Benalla. - Les propos de M. Strzoda ne sont pas tout à fait exacts. Sans entrer dans des détails qui, encore une fois, se rapportent à l'information judiciaire en cours, j'ai fait redéposer un certain nombre d'effets personnels, dont mes passeports diplomatiques, à un salarié de l'Élysée dans le courant du mois d'août, plutôt même vers la fin du mois d'août.

Concernant votre seconde question, je connais en effet M. Philippe Hababou Solomon, que j'ai rencontré après la fin de mes fonctions, en octobre 2018, pour être tout à fait exact.

M. Éric Kerrouche. - J'ai une première question toute simple. Vous nous dites que vous avez récupéré les passeports diplomatiques au début du mois d'octobre : pourquoi les avez-vous acceptés, alors qu'ils avaient manifestement un lien avec des fonctions que vous n'exerciez plus ?

Ma seconde question, même si je crains que vous ne souhaitiez pas y répondre, puisque vous faites aujourd'hui l'objet d'une enquête préliminaire pour faux et usage de faux, ce qui ne contrevient pas pour autant à l'activité de notre commission d'enquête, est la suivante : que pensez-vous de la déclaration de M. Strzoda laissant entendre que vous auriez fabriqué un faux pour demander un passeport de service au ministère de l'intérieur ?

M. Alexandre Benalla. - En ce qui concerne la restitution de mes passeports, j'ai reconnu une erreur, que je reconnais encore une fois devant vous. Moralement, il aurait été plus prudent de laisser ces passeports dans le sac plastique où ils se trouvaient. Je ne l'ai pas fait ; il s'agit d'une bêtise que j'assume à 100 %.

Concernant votre seconde question, le seul constat que je dresse, c'est que je n'ai pas été mis en examen pour faux et usage de faux. Je n'ai pas d'autre déclaration à faire concernant les propos de M. Strzoda.

M. Alain Marc. - Monsieur Benalla, lorsque vous avez intégré le cabinet de la présidence de la République, il semblerait que vous n'ayez pas fait de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Vous auriez pourtant dû le faire, puisque les textes en la matière - nous les avons bien étudiés - sont très clairs.

Quelqu'un à l'Élysée vous a-t-il dit que vous auriez dû faire une telle déclaration à laquelle nous, parlementaires, sommes astreints, comme toute personne gravitant autour de l'exécutif ?

Vous allez bientôt faire une déclaration à la commission de déontologie, et ce six mois après la cessation de vos fonctions à l'Élysée. Quelqu'un vous a-t-il demandé ou a-t-il exigé de vous que vous fassiez cette déclaration ? Si oui, à quel moment ? Et pourquoi avez-vous mis autant de temps à la rédiger ?

M. Alexandre Benalla. - En ce qui concerne la déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique que j'aurais dû faire préalablement à mon entrée à l'Élysée, la pseudo « affaire Benalla » a révélé que les chargés de mission n'y ont jamais été astreints et qu'il s'agissait d'une pratique courante depuis un certain nombre de quinquennats. Ce n'est qu'à la suite de cette affaire que le directeur de cabinet du Président de la République a demandé aux neuf autres chargés de mission de l'Élysée de remplir une telle déclaration.

Je tiens à vous informer que, au mois de septembre dernier, après avoir quitté l'Élysée, j'ai transmis une déclaration de cessation de fonctions à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Concernant l'obligation de saisir la commission de déontologie de la fonction publique, je n'ai, encore une fois, pris connaissance de cette obligation que trois jours avant l'audition de M. Patrick Strzoda par votre commission d'enquête, lequel m'a envoyé un courrier, que je pourrais éventuellement vous fournir si vous en avez besoin, dans lequel il m'informait qu'il était très important de saisir cette commission. Malheureusement, je n'ai pas relu mon contrat de travail au terme de mes fonctions ; j'en suis absolument désolé - il s'agit là encore d'une erreur de ma part.

M. Philippe Bas, président. - Il est vrai que ce courrier aurait certainement pu vous être adressé plus tôt, au mois de juillet par exemple,...

M. Alexandre Benalla. - Exactement.

M. Philippe Bas, président. - ... ce qui ne vous dispensait pas pour autant de remplir vos obligations.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Monsieur Benalla, j'ai bien noté que vous confirmiez avoir laissé vos passeports à l'Élysée et que vous refusiez de répondre à la question de savoir qui vous les avait rendus et comment ils vous avaient été restitués.

Vous avez été licencié le 24 juillet avec effet au 1er août.

M. Alexandre Benalla. - Oui.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le fait que vous ayez continué à utiliser ces passeports diplomatiques m'interpelle : pourquoi, comme tous les citoyens de ce pays, comme moi, par exemple, n'avez-vous pas utilisé un passeport ordinaire pour voyager ? Pour quelle raison avez-vous estimé que votre passeport diplomatique était nécessaire pour vous déplacer ? On peut parfaitement se déplacer avec un passeport ordinaire : on passe les frontières, peut-être un peu moins rapidement, mais on les passe ! Qu'est-ce qui justifie que vous ayez absolument tenu à utiliser des passeports diplomatiques pour vos déplacements ?

M. Alexandre Benalla. - Absolument rien ne justifiait l'utilisation de ces passeports. Je le répète encore une fois, il s'agissait d'une bêtise, d'une erreur de ma part. J'ajoute que ces passeports ne m'ont pas facilité la vie plus que cela au moment du passage aux frontières. Je n'ai échappé à aucun contrôle, que ce soit les contrôles d'identité ou les contrôles des bagages. C'était une erreur de ma part.

M. Jean-Yves Leconte. - Monsieur Benalla, je voudrais vous faire préciser quelques-uns des propos que vous avez tenus en réponse à notre collègue Esther Benbassa sur votre voyage au Tchad ; j'ai trois questions.

Première question : êtes-vous entré au Tchad avec votre passeport diplomatique, sans visa, comme vous nous l'avez dit, ou avez-vous présenté un passeport ordinaire aux autorités tchadiennes ? Deuxième question : des visas ont-ils été apposés sur votre passeport diplomatique depuis le 1er août ? Troisième question : avez-vous voyagé avec votre passeport diplomatique dans des pays où le titulaire d'un passeport diplomatique, contrairement à celui d'un passeport ordinaire, est exempté de demande de visa ?

M. Alexandre Benalla. - Pour répondre à votre première question, je suis entré au Tchad avec mon passeport diplomatique. Ensuite, je n'ai jamais fait l'objet de demande de visa avec ce passeport diplomatique.

Mme Esther Benbassa. - C'est obligatoire.

M. Alexandre Benalla. - Je ne l'ai pas fait, madame, et on m'a accepté au Tchad. Il faudrait demander aux autorités tchadiennes la raison pour laquelle elles m'ont laissé entrer sur le territoire, mais, en tout cas, je n'ai pas été refoulé à la frontière.

Enfin, à ma connaissance, je n'ai pas voyagé dans des pays qui exemptent de visa les titulaires de passeport diplomatique.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, à votre sortie du territoire français, aucun fonctionnaire de la direction centrale de la police aux frontières ou des services de la douane ne s'est opposé à l'utilisation de votre passeport diplomatique ?

M. Alexandre Benalla. - À aucun moment, monsieur le président Bas.

M. Philippe Bas, président. - Vous avez donc utilisé ce passeport diplomatique pour sortir du territoire.

M. Alexandre Benalla. - Il m'est arrivé de l'utiliser.

M. Loïc Hervé. - Monsieur Benalla, vous nous avez dit tout à l'heure avoir restitué un pin's : est-ce celui du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) ?

Par ailleurs, en tant que collaborateur du Président de la République, vous bénéficiiez d'une habilitation secret-défense au terme d'une enquête menée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Quand avez-vous rempli et signé le formulaire de demande ? Combien de fois, quand et par qui avez-vous été auditionné pour obtenir votre accréditation secret-défense ?

Enfin, le début et la fin de votre accréditation secret-défense vous ont-ils été notifiés ? Si oui, quand ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai entendu et lu beaucoup de choses dans la presse : en aucun cas, le pin's porté par les membres du cabinet de la présidence de la République n'est similaire à celui du GSPR.

Le pin's du GSPR est de couleur noire, comporte les armoiries de la présidence et trois étoiles qui correspondent à l'acronyme de la protection rapprochée. Le pin's délivré au personnel du cabinet de la présidence, ainsi qu'à certains membres des services administratifs, comme les photographes ou les intendants, pour que ceux-ci soient plus facilement identifiables lors des déplacements du Président de la République, est rond. On y trouve les couleurs bleu blanc et rouge et la mention « présidence de la République ». Ce pin's est numéroté et attribué nominativement par le commandement militaire du Palais de l'Élysée, sur instruction du directeur de cabinet.

L'enquête d'habilitation secret-défense n'a pas été réalisée par le SGDSN, car ce service n'enquête qu'en cas d'accréditation « très secret-défense », niveau auquel je n'étais pas habilité. Pour ma part, j'ai été habilité par mon autorité d'emploi, c'est-à-dire le directeur de cabinet du Président de la République, sur rapport de la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, dont les enquêtes sont assez poussées, et dont je ne connais pas la teneur, ce qui est, par essence, le but que l'on vise quand on procède à ce type d'enquête.

Enfin, l'habilitation vous étant accordée dès lors que vous occupez certaines fonctions, elle devient caduque lorsque vous cessez de les occuper. C'est la règle dans l'administration : quand quelqu'un dispose d'un poste qui nécessite une habilitation secret-défense et qu'il le quitte pour prendre de nouvelles fonctions, il perd son habilitation.

M. Loïc Hervé. - Vous voulez dire que vous n'avez à aucun moment été auditionné en vue d'une habilitation secret-défense à votre arrivée à l'Élysée ?

M. Alexandre Benalla. - Sans trahir de secret en la matière, puisque je ne suis pas détenteur moi-même d'une telle habilitation, les services mènent des auditions uniquement dans le cas où ils identifient un problème. Ils vous demandent alors de vous rendre à une convocation à laquelle vous êtes tenu d'aller et de répondre à un certain nombre de questions sur des failles susceptibles de vous concerner. Dans la mesure où je n'ai pas moi-même été auditionné par ces services, c'est qu'il n'y avait aucune raison de douter ou de m'entendre sur des faits qui auraient été portés à leur connaissance.

Mme Catherine Troendlé. - Monsieur Benalla, à une question portant sur le téléphone Teorem, vous nous avez répondu tout à l'heure que vous aviez le souci du respect des procédures.

Ma question porte sur le moment où vous avez récupéré vos passeports diplomatiques. Vous avez déclaré qu'il vous arrivait d'informer certaines personnes très haut placées à l'Élysée de vos déplacements. Cette démarche résultait-elle d'une procédure ? Quelqu'un vous a-t-il demandé de le tenir informé de vos déplacements ? Dans le cas contraire, qu'est-ce qui peut expliquer votre démarche auprès de ces personnes, si ce n'est que vous souhaitiez que le Président de la République en soit informé ? Enfin, avez-vous informé ces personnes de votre déplacement au Tchad ?

M. Alexandre Benalla. - Pour répondre à votre question, je n'avais aucune obligation d'informer la présidence de la République de mes déplacements. Je l'ai fait par courtoisie et, paradoxalement, je l'ai fait pour éviter ce que l'on est en train de vivre aujourd'hui. L'erreur d'avoir utilisé les passeports n'a pas aidé en soi. Compte tenu de la notoriété que j'ai acquise à cause de cette affaire, je souhaitais que mes déplacements ne puissent faire l'objet d'aucune interprétation. En l'occurrence, je n'avais pas été informé du déplacement du Président de la République au Tchad trois semaines après mon propre déplacement. J'ai informé l'Élysée de mon déplacement au Tchad a posteriori, et non avant de m'y rendre. C'est d'ailleurs ce qui a provoqué toute cette histoire. Je n'avais aucune obligation à le faire ; je l'ai fait par courtoisie.

Mme Catherine Troendlé. - Vous avez donc informé la présidence de la République par courtoisie et pour que le Président de la République soit au courant.

M. Alexandre Benalla. - Je l'ai surtout fait pour que les services de l'Élysée et l'entourage du Président de la République soient informés de mes déplacements, et ce afin d'éviter toute confusion et de faire en sorte qu'ils soient avertis a minima de ce que je faisais après mon licenciement.

M. Jean-Luc Fichet. - Je veux simplement revenir quelques instants sur l'utilisation du téléphone Teorem. On nous a expliqué qu'il existait 4 600 appareils en fonctionnement à l'échelon national, que l'Élysée se servait d'une trentaine de ces téléphones, et que leur utilisation impliquait que son correspondant dispose d'un appareil du même type. La procédure semble donc extrêmement encadrée et précise.

Je voudrais savoir si vous utilisiez fréquemment ce genre de téléphone et, le cas échéant, savoir avec quel type de correspondants vous échangiez. Comment expliquez-vous qu'un téléphone crypté aussi important et rare ait pu être égaré pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et que vous l'ayez retrouvé par hasard dans vos cartons, alors que vous semblez si soucieux d'être professionnel, de bien utiliser le matériel et de le rendre en temps voulu ?

M. Philippe Bas, président. - Il est vrai qu'il s'agit quand même d'un outil très précieux et rare !

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.

Tout d'abord, comme vous l'avez dit, il s'agit d'un outil qui a coûté très cher à l'État et qui est malheureusement très peu utilisé, alors qu'il est à la disposition de toutes les personnes qui en ont besoin. Je me déplaçais, j'organisais des déplacements et j'étais en lien avec les autorités préfectorales et les autorités de police - c'est avec ces personnes-là que j'échangeais.

Ensuite, je n'ai pas retrouvé ce téléphone par hasard. Après avoir reçu le courrier du directeur de cabinet, je voulais être sûr et certain que je n'avais plus rien en ma possession qui appartienne à la présidence de la République. Je l'ai retrouvé à la suite de mes propres recherches ; je l'ai rendu de manière spontanée, par le biais de mon avocate. En revanche, je ne sais pas pourquoi l'Élysée s'est rendu compte au mois d'octobre que ce téléphone n'était plus là. En tout cas, on ne m'a jamais sollicité pour que je le rende. Comme pour les passeports diplomatiques, après que le scandale a éclaté, je l'ai fait de ma propre initiative, via mon avocate.

M. François-Noël Buffet. - Monsieur Benalla, vous avez été licencié le 1er août 2018. Vous bénéficiiez de passeports diplomatiques et de service liés à votre fonction. Pendant la période du 1er août au 31 décembre vous avez voyagé à vingt-trois reprises. Vous avez dit tout à l'heure que c'était pour mener des missions personnelles, dont vous considérez qu'elles ne regardent pas la commission. À partir du mois d'octobre, le Gouvernement vous demande à deux reprises de restituer ces passeports. Les lettres qui vous sont envoyées ne seront pas retirées. Vous êtes, semble-t-il, soucieux de la régularité des procédures, vous l'avez redit. Trouvez-vous normal de voyager à titre personnel avec des passeports qui étaient liés à la fonction que vous n'occupez plus ?

M. Alexandre Benalla. - Monsieur le sénateur, vous vous êtes égaré dans les dates : j'ai reçu les correspondances du ministère des affaires étrangères à la fin du mois de juillet 2018, ainsi qu'un mail du général Bio Farina, qui me demandait de restituer un certain nombre d'affaires, ce que j'ai fait dans le courant du mois d'août 2018. Et depuis que ces passeports m'ont été rendus début octobre 2018, je n'ai plus jamais reçu de relance de la part du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. On m'a rendu ces passeports en l'état, sans aucune interdiction de les utiliser, si ce n'est hors d'un cadre que je qualifierai de « moral ». C'était une bêtise de les utiliser, et j'en assume la responsabilité. Vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur, ce n'était pas normal d'utiliser ces passeports. Je l'ai fait, et j'en assume la responsabilité devant vous et devant la justice également.

M. Philippe Bas, président. - Merci de votre réponse. Vous vous souvenez peut-être également - sans doute l'avez-vous appris - que le 10 septembre 2018, la chef du bureau compétent du ministère des affaires étrangères vous a écrit un deuxième courrier par lettre recommandée avec accusé de réception vous demandant de restituer ces deux passeports. D'après ce que l'on nous a dit, vous n'avez pas retiré ce courrier.

M. Alexandre Benalla. - Je n'en ai pas pris connaissance ; il n'a pas été retiré. C'était une période un peu compliquée, pour tout vous dire.

Mme Catherine Di Folco. - M. Castaner, ministre de l'intérieur, nous a dit, lors de son audition du 16 janvier, que vous aviez fait une demande directement auprès du Quai d'Orsay pour obtenir un passeport de service. Il vous aurait été refusé parce que cette demande doit émaner de l'employeur. Vous auriez donc produit un document rédigé par vous- même sur un papier à en-tête du chef de cabinet, document non signé. Est-ce l'usage de produire un faux document pour arriver à ses fins ? Pourquoi avez-vous eu tant besoin de ce passeport de service à la fin du mois de juin 2018, alors que vos missions avaient été considérablement réaménagées, et que vous n'aviez plus besoin a priori de vous déplacer avec le Président de la République à l'étranger ? Enfin, avez-vous produit d'autres faux documents à d'autres moments durant vos missions ?

M. Philippe Bas, président. - Ma chère collègue, je ne crois pas que M. Benalla puisse nous répondre sur le fait qu'il aurait ou non produit des faux documents. Je lui ai rappelé tout à l'heure quelle était l'étendue de notre mission. Même si je comprends votre préoccupation, que vous n'êtes d'ailleurs pas la seule à avoir, ces questions sont susceptibles d'être tranchées par la justice, quand bien même M. Benalla n'a pas été mis en examen pour cette raison s'agissant de son passeport de service, comme il l'a relevé. Quant à son passeport diplomatique, il n'a jamais été allégué qu'il aurait commis un faux, du moins à notre connaissance. Il a simplement été souligné que ce passeport diplomatique a été renouvelé, à la suite d'une demande émanant de M. Benalla, lui-même, alors que, normalement, c'est le service du protocole de l'Élysée qui fait les demandes de renouvellement des passeports diplomatiques des collaborateurs du Président de la République,...

M. Alexandre Benalla. - Sur instruction du cabinet.

M. Philippe Bas, président. - ... ce qui n'a pas été le cas. Cependant, M. Benalla, qui a une conception extensive du champ qui relèverait exclusivement de la justice, n'a pas voulu nous répondre sur ce point, alors même qu'aucun soupçon ne pèse sur lui à cet égard. En revanche, un soupçon pèse sur lui au sujet des passeports de service, puisque le directeur de cabinet du Président de la République a déclenché la procédure de l'article 40 du code de procédure pénale, même si M. Benalla n'est pas mis en examen à ce jour.

Monsieur Benalla, vous pouvez répondre à la question dans la mesure où vous le souhaitez.

M. Alexandre Benalla. - Pour répondre partiellement à la question, ce n'est pas le service du protocole qui prend la décision d'octroyer ou pas un passeport diplomatique. Ce service fait simplement les démarches administratives sur instruction du cabinet du Président de la République.

M. Philippe Bas, président. - Évidemment, mais il n'en reste pas moins exact que le renouvellement de votre passeport diplomatique n'a pas été demandé par le biais du service du protocole.

M. Alexandre Benalla. - En tout cas, ma demande a été suffisamment considérée pour donner lieu à une délivrance normale.

M. Philippe Bas, président. - Oui, c'est ce qu'a pensé le ministère des affaires étrangères,...

M. Alexandre Benalla. - Exactement.

M. Philippe Bas, président. - ... qui a informé le service du protocole...

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait. Et qui n'a pas trouvé à y redire.

M. Philippe Bas, président. - Mais vous-même n'avez-vous pas eu l'idée que, compte tenu de l'évolution de vos fonctions, rien ne justifiait une demande de passeport diplomatique ?

M. Alexandre Benalla. - Monsieur le président Bas, je vous ai justement dit que j'avais répondu partiellement à votre question. J'en suis désolé, mais j'ai répondu partiellement à votre question.

M. Philippe Bas, président. - C'est ce que je constate.

M. Alexandre Benalla. - Ce n'est pas le service du protocole qui prend la décision d'octroyer ou de délivrer un passeport diplomatique. Il a un rôle de transmetteur entre la présidence de la République et le Quai d'Orsay.

M. Philippe Bas, président. - Et ce service n'a pas transmis la demande de renouvellement ?

M. Alexandre Benalla. - Exactement, il a simplement reçu l'information selon laquelle le passeport avait été renouvelé.

M. Philippe Bas, président. - Et vous avez fait votre demande directement au Quai d'Orsay ?

M. Alexandre Benalla. - Ce n'est pas exactement comme cela que cela s'est passé.

M. Philippe Bas, président. - Alors comment cela s'est-il passé ?

M. Alexandre Benalla. - Je le dirai à la juge d'instruction.

M. Philippe Bas, président. - Mais peut-être qu'elle ne vous le demandera pas ! Tandis que moi, je vous le demande.

M. Alexandre Benalla. - La question m'a déjà été posée lors de ma garde à vue, pour tout vous dire.

M. Philippe Bas, président. - Certes, mais ce n'est pas une raison pour ne pas répondre.

M. Alexandre Benalla. - Cela fait partie de l'information judiciaire.

M. Philippe Bas, président. - Je reconnais que je reviens sur un aspect de nos échanges pour vous donner une ultime chance.

M. Alexandre Benalla. - Je comprends, monsieur le président.

M. Philippe Bas, président. - Je le fais en réalité avec bienveillance, monsieur Benalla.

M. Alexandre Benalla. - Je l'imagine bien, et c'est pour cette raison que je préférerais répondre à la justice.

M. Philippe Bas, président. - Vous choisissez la personne à laquelle vous préférez répondre.

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.

M. Philippe Bas, président. - Je vous en donne acte ; je ne puis faire autrement.

M. Alexandre Benalla. - En vertu des textes.

M. Philippe Bas, président. - Je suis tout de même obligé de vous rappeler que la personne qui refuse de déposer devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Nous aurons donc à délibérer de la manière dont vous nous avez répondu ou plutôt de la manière dont vous n'avez pas répondu à des questions dont je vous redis qu'elles relèvent de notre commission d'enquête, même si la dernière question a pu vous être posée...

M. Alexandre Benalla. - ... dans le cadre d'une information judiciaire.

M. Philippe Bas, président. - Oui, mais le juge d'instruction vous a certainement posé aussi beaucoup d'autres questions sur des faits au sujet desquels vous nous répondez lorsque nous vous interrogeons. Même si les faits qui occupent la justice sont abordés sous un angle différent, ce sont en partie les mêmes que ceux sur lesquels nous mettons en oeuvre nos investigations. Il est donc bien normal qu'un juge d'instruction vous pose des questions dans un domaine pour lequel il n'estime pas devoir engager des poursuites, et que nous posions aussi des questions sur ces faits.

Mais j'ai déjà eu l'occasion de vous expliquer tout cela : je suis persévérant et vous êtes obstiné, si bien que nous n'arriverons pas à déboucher sur une réponse qui paraîtrait satisfaisante pour la commission d'enquête.

M. Alexandre Benalla. - Je comprends bien votre souci, monsieur le président Bas. Mon seul souci, c'est celui de la présomption d'innocence...

M. Philippe Bas, président. - Je le partage entièrement.

M. Alexandre Benalla. - ... et de la non auto-incrimination.

M. Philippe Bas, président. - Mais je ne vous demande pas de vous auto-incriminer.

M. Alexandre Benalla. - À partir du moment où je vous parle sous serment, il y a des choses que je ne peux pas vous dire.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Des propos mensongers ?

M. Alexandre Benalla. - Non, ce ne sont pas des propos mensongers, contrairement à ce que vous dites, madame la rapporteur.

M. Philippe Bas, président. - Il n'y a pas de poursuites engagées sur ce point, monsieur Benalla.

M. Alexandre Benalla. - C'est mon droit, et il faut juste le respecter. À partir du moment où une information judiciaire est ouverte contre vous, quel que soit votre statut, il y a des choses que vous pouvez dire et d'autres pas.

M. Philippe Bas, président. - Je suis très soucieux de votre droit, monsieur Benalla, sachez-le.

M. Alexandre Benalla. - Merci, monsieur le président.

M. Philippe Bas, président. - Je crois que la manière dont ces débats ont eu lieu l'atteste.

M. Alexandre Benalla. - Bien entendu. Simplement, je vous le dis, il y a des questions auxquelles je ne peux pas vous répondre, et je réserve mes réponses à la justice ; j'en suis désolé. Je fais un choix, qui m'a été conseillé par mes avocats.

M. Philippe Bas, président. - Vous comprenez que nous puissions aussi interpréter votre non-réponse au regard de nos prérogatives constitutionnelles ?

M. Alexandre Benalla. - Bien entendu.

M. Philippe Bas, président. - Et que nous puissions nous interroger sur les raisons profondes de cette non-réponse ?

M. Alexandre Benalla. - Bien entendu.

Mme Catherine Di Folco. - Je me permets d'insister. Si vous ne pouvez pas répondre à l'ensemble de mes questions, peut-être pourriez-vous y répondre au moins en partie. Pourquoi aviez-vous besoin, le 28 juin 2018, d'un passeport de service, alors que vos fonctions avaient été modifiées, au point de faire une demande hors cadre ?

M. Alexandre Benalla. - Madame la sénatrice, votre précédente question pose quand même celle de la présomption d'innocence. Je vous fais remarquer, comme l'a dit le président Bas, que je n'ai pas été mis en examen pour faux et usage de faux.

Mme Catherine Di Folco. - Vous pouvez donc me répondre.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, aviez-vous encore réellement besoin d'un passeport de service, le 28 juin dernier, pour l'exercice de vos fonctions ? Nous laissons totalement de côté le point de savoir si vous avez demandé ce passeport de service au moyen de ce que le directeur de cabinet du Président de la République a qualifié de « faux » ou pas ; nous vous demandons si, eu égard à la fonction que vous exerciez alors, il était justifié de disposer d'un passeport de service ?

M. Alexandre Benalla. - Je vais vous faire la même réponse - cela fait trois fois que vous me posez la question -, car une information judiciaire est en cours : j'ai reçu ce passeport de la manière la plus normale du monde.

Mme Catherine Di Folco. - Ce n'est pas la question !

M. Philippe Bas, président. - C'est tout de même curieux. En vérité, vous vous abritez derrière la mission de la justice quand cela vous arrange. Vous avez fait tout à l'heure un long développement pour justifier les actes du 1er mai qui vous sont reprochés. Pourtant, cette question, que nous ne vous avions même pas posée, relève intégralement de la justice. Et vous ne vous privez pas de porter une appréciation sur le rôle que vous avez eu et sur la justification de ce rôle au regard d'un article du code de procédure pénale que vous nous avez rappelé. Même si la justice a été saisie, vous êtes tout à fait à l'aise pour entrer dans des détails que nous ne vous demandons pas.

Mais, quand nous vous posons des questions ayant trait à votre mission à l'Élysée et aux raisons pour lesquelles vous pourriez avoir un passeport de service, vous vous abritez derrière une information judiciaire, alors même que, comme je l'ai dit et comme vous l'avez dit vous-même, vous n'êtes pas mis en examen, malgré le signalement au parquet effectué par le directeur de cabinet du Président de la République. Il y a, me semble-t-il, de véritables contradictions dans la manière dont vous utilisez le travail de la justice.

M. Alexandre Benalla. - L'utilisation de l'article 40 du code de procédure pénale a fort opportunément été rendue publique devant votre commission au moment même où le chef de cabinet était en train de déposer devant les policiers, à la veille d'une garde à vue qui vous a été annoncée. Je pense qu'il faudrait aussi soulever ce point. Quoi qu'il en soit, j'ai le droit à une défense.

Mme Catherine Di Folco. - Vous deviez être entendu, pas mis en garde à vue.

M. Alexandre Benalla. - On annonçait que j'allais être entendu dans les toutes prochaines heures, c'était à peu près compréhensible. J'ai droit à une défense. J'ai le droit de ne pas m'auto-incriminer. Vous avez le droit de me poser beaucoup de questions, et moi, je vous donne mes réponses, comme je l'entends.

M. Philippe Bas, président. - C'est ce que nous constatons. Vous mettez donc en oeuvre votre stratégie de défense devant la commission d'enquête du Sénat, alors qu'elle ne s'intéresse nullement aux questions dont la justice est saisie.

M. Jacques Bigot. - Monsieur Benalla, êtes-vous en possession d'un passeport ordinaire comme tous les Français peuvent en avoir ? Si oui, pourquoi n'en avez-vous pas fait usage ? Vous avez dit que c'était une bêtise d'avoir utilisé à vingt-trois reprises le passeport diplomatique - c'est toujours quand on est poursuivi que l'on se dit que l'on a fait une bêtise. Les passeports ne servent pas qu'à passer les frontières. Lorsque l'on veut rencontrer les hautes autorités d'un pays, comme vous l'avez fait, il est aussi souvent utile d'avoir un passeport diplomatique. Celui-ci peut faciliter les contacts dès lors qu'il s'agit d'accéder à la présidence de la République d'un État. Si vous aviez un passeport ordinaire, pourquoi avez-vous fait usage de passeports diplomatiques ?

M. Philippe Bas, président. - Cette question a déjà été posée, mais vous pourriez peut-être y apporter une réponse plus précise.

M. Alexandre Benalla. - Première réponse : j'ai un passeport normal et je l'ai utilisé entre le 7 août et début octobre 2018 parce que je n'étais plus en possession des passeports diplomatiques.

Deuxième réponse : j'ai fait une erreur, je le répète pour la sixième fois. Par ailleurs, quand vous êtes en visite dans un pays étranger, vous ne vous présentez pas devant le bâtiment de la présidence de la République en exhibant votre passeport fort, haut et clair en disant : « Je veux être reçu par le Président. Regardez, j'ai un passeport diplomatique ! » Cela ne fonctionne pas tout à fait comme cela. Vous vous présentez au contrôle des frontières pour justifier de votre identité, vous pénétrez dans le pays une fois celle-ci contrôlée et vous allez aux rendez-vous qui ont été convenus à l'avance. Vous n'envoyez pas non plus de mail avec la photocopie du passeport diplomatique que vous détenez encore pour obtenir ce type de rendez-vous. Ce n'est pas exactement comme cela que cela fonctionne.

Mme Laurence Harribey. - Vous avez répondu tout à l'heure à M. Pillet que les passeports avaient été délivrés normalement par l'administration. Nous pouvons en déduire qu'il était normal que vous ayez deux passeports diplomatiques et deux passeports de service, en tant que responsable de la sécurité. D'une manière générique, en faisant abstraction de votre cas et de la procédure en cours, pouvez-vous, au regard de vos fonctions, expliquer les utilisations respectives de ces deux types de passeports, ainsi que les raisons et les procédures pour lesquelles et par lesquelles ils ont été attribués ?

Par ailleurs, le téléphone crypté figurait-il dans l'inventaire des pièces qui vous ont été demandées dans le cadre de la procédure de restitution des effets liés à votre fonction ?

M. Alexandre Benalla. - Cette question m'a déjà été posée, et, suivant la même logique, je n'y répondrai pas.

Je n'étais pas responsable de la sécurité, je tiens à le souligner - je croyais avoir fait un exposé assez précis à ce sujet lors de ma première audition. J'avais un statut de chargé de mission, et j'exerçais des fonctions d'adjoint au chef de cabinet du Président de la République, ce qui n'est pas exactement la même chose que d'être responsable de la sécurité ou garde du corps, comme je l'entends encore régulièrement.

En ce qui concerne la restitution des effets personnels, je tiens à préciser que le téléphone Teorem n'était pas inscrit dans le courrier de Patrick Strzoda à mon intention.

M. Philippe Bas, président. - Bien que non-membre de notre commission, M. Cédric Perrin souhaite poser une question.

M. Cédric Perrin. - Vous avez expliqué que vous aviez eu non pas quatre, mais trois passeports diplomatiques,...

M. Alexandre Benalla. - Deux.

M. Cédric Perrin. - ... dont certains n'étaient plus valables. Avez-vous eu ces passeports diplomatiques avant de rejoindre La République en Marche et avant d'entrer à l'Élysée ?

M. Alexandre Benalla. - J'ai été en possession de quatre passeports, deux passeports diplomatiques et deux passeports de service. Trois de ces passeports m'ont été octroyés pendant ma présence à la présidence de la République, pour être précis, et je n'ai jamais eu de passeport diplomatique avant mes fonctions à l'Élysée.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je poserai quelques questions complémentaires très courtes.

Vous êtes-vous rendu à l'Élysée depuis que vous avez été licencié ?

M. Alexandre Benalla. - Je ne répondrai pas à cette question, car l'information judiciaire peut s'appliquer à la période qui a suivi la fin de mes fonctions.

M. Philippe Bas, président. - M. Sueur veut savoir, en réalité, si je ne me trompe pas, si vous avez poursuivi une forme de collaboration avec la présidence de la République après votre licenciement, afin de vérifier que ce licenciement a été pleinement suivi d'effets. Tel est, me semble-t-il, le sens de la question.

M. Alexandre Benalla. - Tout dépend de ce que l'on entend par la présidence de la République : en tant que bâtiment ou qu'institution... Je n'ai jamais eu avec l'Élysée de collaboration professionnelle postérieure à mon licenciement.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous ne répondez pas, mais vous faites un distinguo entre le bâtiment et l'institution, si je comprends bien.

M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - J'insiste sur le fait que ce qui s'est passé après votre départ fait strictement partie de nos prérogatives. En effet, vous auriez dû faire une déclaration auprès de la commission de déontologie ; vous allez sans doute le faire. Dans les mois qui suivent la fin de l'exercice d'une haute fonction comme celle qui a été la vôtre, il est très important, dans l'intérêt de l'État, qu'il ne soit fait usage d'aucune façon de la fonction précédente au bénéfice d'une fonction suivante. Après avoir pris note de votre réponse, il nous avait été dit que vous n'étiez pas venu à la présidence de la République, contrairement à ce que vous indiquez. Mais on ne sait pas si vous êtes venu dans le bâtiment ou dans l'institution. Peut-être est-ce dans l'institution...

Pour vous le dire gentiment, nous aimons les belles histoires, mais là, vous déposez sous serment.

Dans le cadre de votre activité, vous avez rencontré M. Hababou Solomon, avec qui vous avez ensuite voyagé, un voyage à but économique, comme vous l'avez indiqué, ce qui n'est en rien répréhensible, mais tout de même... Vous avez rencontré un, deux, trois ou quatre chefs d'État - ce n'est pas anodin - après avoir été licencié de l'Élysée. Vous participez à des délégations, et cela à titre personnel : c'est votre liberté. D'après ce que nous avons compris - peut-être ai-je mal compris ? -, M. Hababou Solomon s'occuperait de vendre des uniformes militaires. C'est en tout cas ce que j'ai lu dans la presse, et je sais que vous n'accordez pas beaucoup de crédit à ce genre de déclaration. Lors de l'entretien avec le Président du Tchad - là encore, vous pouvez ne pas répondre -, n'a-t-il été vraiment question que de cette activité marchande ? Dans le cadre de vos déplacements, êtes-vous certain qu'il n'a jamais été question des fonctions que vous avez exercées, que vous n'avez jamais été reçu en référence à ces fonctions ou au motif que vous pouviez, jusqu'au 24 décembre, communiquer en particulier avec l'Élysée ? Êtes-vous sûr que, dans les conversations d'ordre économique auxquelles vous avez légitimement, je le redis, participé, rien n'aurait eu trait à des questions liées à la défense ou à la sécurité ? Pouvez-vous engager devant nous sur ces questions sous serment ?

M. Alexandre Benalla. - Je ne vois pas le rapport entre le licenciement et l'impossibilité d'être reçu par un chef d'État étranger, qui est souverain et qui fait absolument ce qu'il veut...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Bien sûr.

M. Alexandre Benalla. - ... s'il a envie de me recevoir, s'il a envie de m'inviter à venir le voir...

M. Jean-Pierre Sueur. - Je vous en donne acte. Vous avez tout à fait raison sur le plan du droit.

M. Alexandre Benalla. - Je vous en remercie.

... et s'il a envie d'avoir une discussion.

M. Philippe Bas, président. - Peut-être... sauf si la commission de déontologie n'a pas été saisie pour s'assurer que vos nouvelles activités étaient conformes aux règles déontologiques.

M. Alexandre Benalla. - Mais je ne pense pas que la commission de déontologie ait le pouvoir de m'interdire de rencontrer des gens, de voyager et d'essayer de faire quelque chose de ma vie, plutôt que de m'enfermer chez moi au fin fond de la Normandie, en touchant les allocations de Pôle Emploi.

M. Philippe Bas, président. - Il s'agissait bien d'une collaboration salariée ?

M. Alexandre Benalla. - Non. J'ai eu une collaboration salariée à partir du mois de novembre avec la société France Close Protection pour une durée d'un mois. Or vous me parlez des déplacements... 

M. Jean-Pierre Sueur. - Ils étaient à titre privé et bénévoles ?

M. Alexandre Benalla. - Je veux juste être très précis avec le président Bas : je n'ai pas perçu de rémunération spécifiquement pour ce voyage au Tchad avec M. Philippe Hababou Solomon. Je n'ai pas été emmené au Tchad contre rétribution pour faciliter quelque affaire que ce soit, contrairement à ce qui peut être sous-entendu.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Par qui et pourquoi êtes-vous rétribué ?

M. Alexandre Benalla. - Je pense que cela ne vous concerne pas aujourd'hui, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Mais si, cela nous concerne ! Dans les mois suivant l'exercice d'une fonction importante, la loi prévoit une obligation de saisir la commission de déontologie pour lui déclarer de nouvelles activités. Celle-ci doit statuer sur le fait qu'il n'y a aucun rapport entre les activités que vous exercez présentement et les missions qui étaient les vôtres, il y a quelques mois, au sein de la plus haute institution de l'État !

M. Alexandre Benalla. - Ne vous énervez pas, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je ne suis pas énervé, je suis plein de conviction - vous le savez bien et tout le monde le sait d'ailleurs.

M. Alexandre Benalla- Cela regarde peut-être la commission de déontologie qui va être saisie par mon avocat, mais je n'ai pas à vous dire aujourd'hui ce que je fais, de quoi je vis, où je vis, avec qui et comment je me déplace.

M. Philippe Bas, président. - Toutes ces questions ne vous ont pas été posées.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - On ne vous le demande pas.

M. Alexandre Benalla. - L'équilibre entre les questions et les réponses est très subtil.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous vous demandons simplement quel est votre employeur, et quelle est votre activité. Nous avons le droit de le demander puisqu'il y a un droit de suite au regard des fonctions que vous exerciez à l'Élysée. D'une part, ces faits ne sont pas couverts par la justice et, d'autre part, si vous nous répondiez, nous aurions l'assurance qu'il n'y a aucun rapport entre ce que vous faites présentement et ce que vous faisiez à l'Élysée. Si vous exercez une activité dans d'autres domaines, nous ne pourrons que vous souhaiter bonne chance. Le fait que vous ne répondiez pas engendre forcément le soupçon : comment pouvons-nous être sûrs que ces voyages et ces contacts n'ont pas de rapport avec l'activité que vous exerciez auparavant, ou avec les contacts que vous avez entretenus jusqu'au jour de Noël avec la présidence de la République ?

M. Alexandre Benalla. - Encore une fois, je pense que les déplacements que j'ai pu faire avec les passeports diplomatiques et quel que soit mon titre entrent dans le périmètre de l'instruction. Quant à ma vie d'aujourd'hui, elle me concerne moi, et seulement moi. Je fais tout dans le respect des lois depuis que j'ai rendu mes passeports diplomatiques, tant dans ma vie privée que dans ma vie professionnelle. Je ne vais pas répondre de manière perpétuelle à toutes les questions qui me sont posées dix fois par jour par les journalistes : qui je rencontre, qui je vois, ce que je fais, de qui je suis salarié. Tout cela ne regarde que moi.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur Benalla, les questions qui vous sont posées ici ne sont pas celles des journalistes, et le statut de vos réponses n'est pas le même que celui des réponses que vous apportez quand vous consentez vous-même à donner des interviews dans la presse. Nous allons nous en tenir là. Je vais vous demander de bien vouloir vous retirer ainsi que votre conseil, et nous allons poursuivre nos travaux.

Je demande aux collègues qui ne sont pas membres de la commission des lois de bien vouloir se retirer temporairement ainsi que le public et la presse, car nous avons à délibérer de la question de l'éventuelle audition à huis clos de M. Crase. En vertu des textes qui leur sont applicables, les travaux des commissions d'enquête sont en principe publics, mais le huis clos peut néanmoins être prononcé par dérogation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 16 h 10, est reprise à 16 h 15.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Examen de la demande de M. Vincent Crase visant à être entendu à huis clos lors de son audition (ne sera pas publié)

Ce compte rendu ne sera pas publié.

La réunion, suspendue à 16 h 25, est reprise à 16 h 30.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Vincent Crase, chef d'escadron dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale

M. Philippe Bas, président. - Nous allons procéder à l'audition de M. Vincent Crase, auquel j'ai indiqué que la commission des lois avait décidé de maintenir la publicité de cette réunion, malgré sa demande de huis clos.

Après que M. Crase aura prêté serment, nous lui poserons des questions ponctuelles. Il ne s'agit pas de refaire l'audition du mois de septembre, mais simplement de l'interroger sur des informations rendues publiques au cours des dernières semaines : elles concernent un contrat portant sur des prestations de sécurité rapprochée qu'il aurait signé avec une personnalité étrangère alors qu'il aurait été encore en fonction à l'Élysée, chargé de l'encadrement des réservistes de la gendarmerie nationale. M. Crase, auquel nous avons posé des questions écrites, a démenti ces informations. Il nous apportera certainement des précisions à cet égard.

Je rappelle, comme je l'ai fait lors de chaque audition, qu'un faux témoignage devant notre commission des lois, dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Vincent Crase prête serment.

M. Philippe Bas, président. - Vous pouvez, monsieur Crase, dire quelques mots préliminaires, mais vous n'êtes pas obligé de le faire.

M. Vincent Crase. - Commençons tout de suite.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le ministre de l'intérieur nous a indiqué que vous n'aviez jamais, depuis le début de votre contrat d'engagement dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, fait état d'activités privées. Avant d'être mobilisé au sein du commandement militaire du Palais de l'Élysée, avez-vous été interrogé par les services du ministère de l'intérieur ou par la présidence de la République sur le contenu de vos activités professionnelles et sur les éventuelles activités privées que vous exerciez alors ?

M. Vincent Crase. - Lorsque j'ai signé mon contrat de réserve pour intégrer la Garde républicaine, dans le courant du mois d'octobre 2017, j'ai déclaré que j'étais salarié au service de la sécurité d'En Marche. Je ne me souviens pas avoir mentionné que j'avais une société, celle-ci n'ayant pas d'activité.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ma question était : avez-vous été interrogé sur vos activités ?

M. Vincent Crase. - Non, pas dans mon souvenir.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - La presse, pour laquelle nous avons un grand respect -  même si nous gardons une totale indépendance à son égard, comme à celui de la justice et du pouvoir exécutif -, s'est fait l'écho au cours des dernières semaines de prestations de sécurité privée que vous auriez exécutées, par le biais de la société Mars, pour le compte de M. Iskander Makhmudov. Pourriez-vous nous indiquer quel était l'objet exact de ces prestations ?

M. Vincent Crase. - Il s'agissait de prestations de sécurité privée. M. Makhmudov souhaitait que ses trois enfants bénéficient d'un accompagnement journalier, et que lui-même dispose d'une équipe comprenant un chauffeur et deux personnes, durant ses villégiatures en France.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Quelle a été la durée de ce contrat ?

M. Vincent Crase. - J'ai signé ce contrat le 6 juin 2018, sachant que j'avais quitté le Palais de l'Élysée le 4 mai 2018. Ce contrat a duré trois mois : l'affaire du 1er mai ayant explosé le 18 juillet, mon prestataire et le client en ont été émus et ils ont préféré y mettre fin. La durée d'essai prévue étant de trois mois, le contrat s'est terminé en septembre.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ces prestations ont-elles été effectuées par la seule société Mars, ou avez-vous eu recours à la sous-traitance ?

M. Vincent Crase. - J'ai recouru à la sous-traitance, parce que je n'avais pas l'habilitation du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) m'autorisant à être dirigeant de société de sécurité. Comme j'aime faire les choses légalement, j'ai donc dû passer par un prestataire de services qui disposait de cette habilitation.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous venez de nous indiquer que ce contrat avait débuté au mois de juin 2018. Quand ont commencé les négociations du contrat ?

M. Vincent Crase. - Elles ont commencé au mois de mai 2018, après mon départ de l'Élysée.

M. Philippe Bas, président. - Quand avez-vous quitté le Palais de l'Élysée ?

M. Vincent Crase. - Le 4 mai 2018, mon poste de chef d'escadron pour la réserve opérationnelle au Palais de l'Élysée, qui consistait à encadrer les 14 réservistes que j'avais recrutés et instruits, est fermé. Je suis alors réorienté vers le 1er régiment d'infanterie pour lequel j'ai effectué jusqu'à l'affaire, c'est-à-dire jusqu'au 18 juillet, deux journées d'instruction.

M. Philippe Bas, président. - Quelles raisons vous a-t-on donné, le 4 mai, pour mettre fin à vos fonctions à l'Élysée ?

M. Vincent Crase. - La médiatisation des images qui commençaient à tourner et étaient arrivées jusqu'au Palais n'était pas compatible avec mon maintien en poste.

M. Philippe Bas, président. - On observera que la présidence de la République considère que les mêmes images sont compatibles avec le maintien en poste de M. Benalla. Mais vous n'avez pas à commenter ce point...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Quand avez-vous rencontré pour la première fois M. Makhmudov ?

M. Vincent Crase. - Je ne l'ai jamais rencontré.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Qui est l'intermédiaire qui vous a mis en contact avec lui ?

M. Vincent Crase. - Je n'ai jamais été en contact avec M. Makhmudov.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je suppose qu'il y a eu tout de même eu un lien entre lui et vous...

M. Vincent Crase. - Oui, il s'agit de son homme d'affaires. M. Makhmudov ne s'occupe pas directement de son « intendance ». Il a beaucoup d'avocats et de gens qui travaillent pour lui.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous nous avez indiqué par écrit qu'Alexandre Benalla n'avait pris aucune part à la conclusion de ce contrat, et nous en prenons acte. Pouvez-vous nous dire sous serment qu'il n'est intervenu aucunement, auparavant, dans la conclusion de marchés de prestations de sécurité privée que vous auriez assurées ?

M. Vincent Crase. - M. Benalla n'est jamais intervenu lors des négociations de ce contrat, pas plus que dans sa signature ou son application, et il ne figure pas dans les statuts de ma société.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je veux parler de marchés portant sur des activités de sécurité privée qui auraient précédé ce contrat. Pendant que vous travailliez directement ou indirectement pour l'Élysée, avez-vous eu un contact avec monsieur Benalla, d'une façon ou d'une autre, à propos de ces activités de sécurité privée, qui ne se limitent pas à votre contrat avec M. Makhmudov ?

M. Vincent Crase. - Je n'ai eu aucune autre activité de sécurité privée, à part ce contrat avec M. Makhmudov.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Et antérieurement, jamais non plus ?

M. Vincent Crase. - Antérieurement, il nous est arrivé d'en parler ensemble. Nous sommes des amis, donc nous nous voyons, nous nous côtoyons, nous sortons et nous faisons beaucoup de choses ensemble. Bien sûr, je lui en ai parlé, mais M. Benalla n'est pas un acteur de ce contrat.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Les activités de sécurité privée que vous avez eues avant la signature de ce contrat ont-elles interféré d'une façon ou d'une autre sur les questions de sécurité qui étaient traitées à l'Élysée ?

M. Vincent Crase- Absolument pas. Entre le 10 novembre 2017, date de ma première journée au Palais de l'Élysée, et la dernière semaine d'avril 2018, lors de laquelle j'effectue mon dernier jour d'activité pour l'Élysée, et jusqu'au 4 mai, date à laquelle je rends mon badge et l'on me dit que mon poste est fermé, je n'ai exercé aucune activité de sécurité privée. J'étais en effet salarié chez En Marche, et passais le reste du temps au Palais de l'Élysée. Il me restait quelques week-ends, de temps en temps, pour rentrer en Normandie m'occuper de ma famille.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous nous avez indiqué avoir été en contact avec l'homme d'affaires de M. Makhmudov, et non avec M. Makhmudov lui-même, ce que l'on peut parfaitement entendre. Mais comment cet homme d'affaires a-t-il eu connaissance de l'existence de votre société si vous n'exerciez pas d'activités par ce biais ?

M. Vincent Crase. - La sécurité privée est un petit monde, on se connaît tous. J'avais entendu dire, avant mon entrée en fonction à l'Élysée, que cet homme d'affaires cherchait à changer sa sécurité. Une fois que j'ai intégré l'Élysée, je n'y pense même plus parce que mon objectif, comme je l'ai dit lors de ma première audition, est d'avoir une activité pérenne au sein du Palais, par le biais du commissionnement. Cela ne s'est pas fait, les événements du 1er mai m'ayant empêché d'accéder à ce poste.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'entends bien que la sécurité privée est un petit monde, mais cette personne vous a-t-elle contacté, ou est-ce vous qui l'avez contactée ? Comment les choses se sont-elles passées concrètement ?

M. Vincent Crase. - J'ai dû rencontrer cette personne au mois d'octobre 2017 ou début novembre 2017. J'avais sa carte et nous avions alors échangé en anglais. Je l'ai recontacté après mon départ de l'Élysée pour savoir si ce contrat était toujours d'actualité et si je pouvais m'y impliquer. Après de multiples rendez-vous et négociations, j'ai présenté une proposition qui a été étudiée et acceptée, puis a été signée le 6 juin 2018.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Cela signifie-t-il qu'aux mois d'octobre et de novembre 2017, il n'avait pas donné suite aux contacts que vous aviez pu avoir ? Avait-il décidé de ne pas changer de service de sécurité ?

M. Vincent Crase. - Je ne peux pas vraiment le dire. Je m'étais quelque peu désintéressé de la chose du fait de mon actualité élyséenne, sur laquelle je misais tout. Pour être très précis sur ma situation personnelle à l'époque, j'étais alors en poste à la sécurité de La République en Marche. Or, si la période de la campagne électorale avait été très intéressante, avec un quotidien extrêmement chargé, une fois les élections législatives passées, fin juin, j'ai commencé à prodigieusement m'ennuyer ; c'est la raison pour laquelle je voulais aller à l'Élysée.

Une fois que mon poste à l'Élysée est tombé à l'eau, je me suis dit que j'allais utiliser la société que j'avais créée et essayer de développer une activité, faire quelque chose.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Après qu'il a quitté ses fonctions, M. Benalla a été employé pendant un mois par une société dont il ne nous a pas dit le nom
- nous le connaissions - mais nous n'avons pas pu savoir quel était l'objet de cette société. Puis il nous a dit qu'il avait été employé ailleurs, pour exercer des activités dont nous n'avons rien su. Savez-vous quelque chose à cet égard ?

M. Vincent Crase. - Je n'ai plus de contact avec M. Benalla. Du fait du contrôle judiciaire sous lequel je suis placé, il m'est m'interdit d'avoir quelque contact que ce soit avec les protagonistes de l'affaire. Je ne sais donc pas ce qu'il fait. J'apprends des choses sur lui en lisant la presse ou en regardant la télévision.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Avant d'être mobilisé au sein du commandement militaire de l'Élysée, avez-vous été interrogé par les services du ministère de l'intérieur ou par la présidence de la République sur le contenu de vos activités professionnelles et sur les activités privées que vous exerciez antérieurement ?

M. Vincent Crase. - J'ai déjà répondu à Mme Jourda sur ce point. Lorsque j'ai signé mon contrat à la Garde républicaine, j'ai déclaré que j'étais salarié de La République en Marche en tant qu'adjoint, chargé de missions de sécurité. Je n'ai pas précisé que j'avais une entreprise de sécurité privée parce que la perspective de rejoindre le Palais de l'Élysée se concrétisait ; j'allais donc fermer ma société, qui resterait une structure vide.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - M. le ministre de l'intérieur nous a répondu par écrit qu'il trouvait bien qu'il y ait des relations entre les policiers, les gendarmes et les agents des sociétés de sécurité privée. Pensez-vous, comme lui, que c'est une bonne chose ou qu'il y a un risque de mélange des genres ? Je vous demande une appréciation.

M. Vincent Crase. - Les relations entre policiers, gendarmes et agents de sécurité privée ne me posent pas de problème si tout est fait dans la stricte déontologie et si chacun sait rester à sa place.

Mme Esther Benbassa. - Mediapart a révélé que, pour l'exécution du contrat dont vous avez bénéficié auprès de M. Makhmudov, vous étiez passé par la société de sécurité privée Velours. Est-ce vrai ?

Cette société a employé M. Benalla par le passé. Vous avez dit qu'il n'y avait eu aucune relation entre vous et M. Benalla s'agissant de la sécurité privée de M. Makhmudov. Toutefois, je vous repose la question : savez-vous si M. Benalla a également collaboré avec M. Makhmudov ? Si oui, travaillait-il déjà à l'Élysée ?

M. Vincent Crase. - D'après ce que je sais, M. Benalla ne connaît pas M. Makhmudov, sauf de nom.

Pour ce qui concerne mon prestataire, il s'agit d'une société que je connais depuis 2012. La sécurité privée comprend plusieurs strates. Il y a ainsi des agents qui sont affectés aux arrière-caisses ; je ne veux pas les dénigrer mais nous assurons, quant à nous, la protection rapprochée des personnes.

Je connais cette société, comme d'autres. Ce sont des personnes avec lesquelles j'apprécie de travailler, et c'est un groupe très sérieux. Ils ne m'auraient d'ailleurs pas suivi s'ils avaient pensé que l'affaire que je leur proposais n'était pas elle-même sérieuse.

M. Benalla a travaillé pour Velours, je crois, en 2014. Quant à moi, je les connaissais précédemment.

M. Dany Wattebled. - Au sujet de Mars, la société privée de sécurité que vous avez créée en juin 2017, j'ai trois questions à vous poser. M. Benalla est-il lié d'une façon ou d'une autre à cette société ? Lors de sa création ou ultérieurement, a-t-elle perçu de l'argent de la part d'une personne étrangère ou d'un pays étranger ? Cette société est-elle encore en activité ?

M. Vincent Crase. - Négatif, M. Benalla n'est en aucun cas lié à ma société, qui est une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU). J'en suis donc le seul actionnaire, gérant et président.

J'ai reçu le 28 juin sur mon compte en banque, qui est un compte de société domicilié en France, des sommes qui ont été rendues publiques ; nous sommes encore au-delà du périmètre élyséen. Ayant perçu cet argent, j'ai fait des virements à mon prestataire. Ce sont les seuls mouvements qu'il y ait eu sur mon compte société et tous mes relevés de compte le prouvent.

Mme Brigitte Lherbier. - Comment réagissent vos anciens collègues de l'Élysée face aux soucis que vous et M. Benalla rencontrez ? Vous épaulent-ils, vous soutiennent-ils ou, au contraire, vous lâchent-ils ?

M. Vincent Crase. - C'est le silence le plus complet. J'ai l'impression de ne plus exister. Ce n'est pas très grave, c'est la vie.

M. François Grosdidier. - Votre ancien employeur, l'Élysée, vous a-t-il informé quant à vos obligations, sur ce que vous pouviez faire ou non légalement, sur les relations contractuelles que vous pouviez avoir ou non, ou sur les obligations formelles que vous deviez remplir préalablement ?

M. Vincent Crase. - J'ai reçu le 16 janvier 2019, il y a peu, un courrier de M. Patrick Strzoda m'indiquant une saisine et mentionnant l'article de loi m'obligeant à déclarer mes activités privées à la commission de déontologie de la fonction publique.

Avec mon conseil, nous avons passé en revue les articles de lois qui régissent la commission de déontologie : ils concernent les personnes ayant exercé des activités durant plus de 6 mois. Ayant assumé mes fonctions du 10 novembre 2017 au 4 mai 2018, soit un peu moins de 6 mois, je n'entre pas dans le champ d'application de la mesure. En outre, je tiens à préciser que j'étais réserviste opérationnel. La presse a dit que j'étais salarié, chargé de mission, fonctionnaire de catégorie A... J'ai tout entendu ! Non, j'ai exercé en tant que réserviste opérationnel durant 47 jours, du 10 novembre 2017 au 4 mai 2018. De ces 47 jours vous pouvez en ôter 17, pendant lesquels j'encadrais une préparation militaire gendarmerie (PMG) à Dijon. Il reste donc 30 jours sur 6 mois, soit en moyenne 5 jours par mois et un jour et demi par semaine.

M. François Grosdidier. - Quel est le motif de votre licenciement par La République en Marche ?

M. Vincent Crase. - L'image négative donnée au mouvement. Précédemment, une mise à pied de 15 jours avait été décidée pour les mêmes raisons.

J'ai dit le 19 septembre dernier que j'avais trouvé quelque peu baroque la façon dont s'était déroulé mon licenciement. En effet, le délégué général du mouvement l'avait annoncé à 9 heures du matin à l'Assemblée nationale, alors que j'étais convoqué à 11 h 30 pour un entretien préalable portant sur un éventuel licenciement. Il y a là une contradiction.

M. Philippe Bas, président. - Avez-vous contesté votre licenciement devant le conseil de prud'hommes ?

M. Vincent Crase. - Pas encore, car j'ai beaucoup de problèmes à régler en ce moment. J'attends que la tempête s'apaise avant de revenir à ces considérations.

Mme Marie Mercier. - Lors de votre audition, le 19 septembre dernier, j'avais noté que votre métier était d'être professeur : vous enseigniez l'histoire-géographie dans un centre de formation d'apprentis.

M. Vincent Crase. - J'ai été enseignant, en effet, de 1996 à 2005.

Mme Marie Mercier. - Vous avez une appétence particulière pour le monde de la sécurité ; avec ce que vous vivez, ne regrettez-vous pas le monde de l'éducation ?

M. Vincent Crase. - Cela devient un exposé sur ma vie... Pourquoi pas ? J'ai été professeur, détective privé, agent d'assurance, j'ai travaillé dans la sécurité privée. Aujourd'hui, j'ai envie de tourner la page, de commencer autre chose, et je me consacre à l'écriture.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - La chronologie exposée par Mediapart fait ressortir des concordances de dates qui soulèvent quelques questions.

Fin septembre, la société Velours Close Protection cesse d'assurer la protection de la famille de M. Makhmudov. Le 30 septembre, M. Petit ouvre une boîte aux lettres pour France Close Protection dans un centre de domiciliation situé à quelques encablures de l'Élysée. Le 2 octobre, les statuts de cette nouvelle entité sont signés par son fondateur. Une semaine plus tard, le 9 octobre, le gendarme Vincent Crase ferme le compte bancaire de sa société Mars. Dix jours plus tard, France Close Protection voit le jour. Son objet social est, selon ses statuts, « d'assurer, en France et à l'étranger, la protection de personnes » mais aussi de « réaliser du conseil pour les affaires ». Le 30 novembre vous mettez fin au contrat de domiciliation de Mars.

Ces faits me conduisent à vous poser la question suivante : peut-on considérer que s'est soudainement créée, indépendamment de vous, une société qui s'appelle France Close Protection et n'a embauché qu'une seule personne, M. Benalla ? Vous avez fermé une société. Au même moment, une autre s'est ouverte. Pouvez-vous garantir devant nous que ces deux faits sont indépendants, qu'il s'agit d'un hasard ? Que la société France Close Protection n'exerce pas un droit de suite sur les activités de la société Mars ? Que cette société n'exerce en aucun cas des activités liées à M. Makhmudov et à son groupe ?

M. Vincent Crase. - Le contrat, pour moi et ma société Mars, se termine le 30 septembre. Après, je ne sais pas, je n'ai plus de contacts avec qui que ce soit dans ce milieu et je me refuse à en avoir : je tourne la page.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous n'avez pas entendu parler de la création de cette société ?

M. Vincent Crase. - Pas du tout.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous n'en avez pas été informé ?

M. Vincent Crase. - Absolument pas. J'ai d'ailleurs trouvé très étrange que cette société soit située dans la boîte de domiciliation de la rue de Penthièvre.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - En effet... C'est la même boîte de domiciliation, c'est la même date, et vous l'ignorez.

M. Vincent Crase. - C'est un hasard, une coïncidence.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cette société embauche une seule personne, M. Benalla, et vous ne le savez pas.

M. Vincent Crase. - Négatif, je ne le sais pas. Je n'ai plus de contacts avec M. Benalla : comment pourrais-je le savoir ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Personne ne vous parle de M. Benalla et de cette société, et la vôtre s'arrête au moment où l'autre commence, avec la même domiciliation. Et vous n'êtes pas au courant.

M. Vincent Crase. - Absolument pas.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Dont acte.

M. Vincent Crase. - Je n'ai plus de contacts avec les intervenants qui étaient liés à ce contrat. Le contrat est terminé, je ferme la parenthèse, je passe à autre chose.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Avez-vous une idée de la manière dont le contrat russe continue à être exécuté ? La société en question a toujours les mêmes besoins de surveillance... Qui assume cette mission aujourd'hui ?

M. Vincent Crase. - On peut imaginer que ce sont les sept personnes qui avaient été salariées. Nous avions sept revenus à verser, avec les cotisations sociales afférentes.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous connaissez les sept intéressés ?

M. Vincent Crase. - Pas tous, mais je connais les principaux, puisque c'est ma société qui avait ce contrat. On peut imaginer que les gens sur place ont voulu continuer la mission, puisque celle-ci ne s'arrête pas.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - En connaissez-vous certains qui continuent la mission ?

M. Vincent Crase. - Je n'en ai pas la connaissance. Je n'en sais rien.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Et vous n'avez aucune idée de l'entité qui les emploie ?

M. Vincent Crase. - Je n'ai aucune preuve formelle, aucun indice.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Pour un spécialiste du renseignement... Je prends acte de ce que vous dites, mais mettez-vous à notre place...

M. Vincent Crase. - Le contrat s'arrête pour moi, je ferme ma société. Cet article de presse est cousu d'erreurs : je n'ai pas fermé mon compte en banque, j'ai simplement changé de banque. Je ne pouvais pas fermer mon compte en banque puisque ma société était en liquidation et que mon expert-comptable devait encore régler diverses taxes et cotisations sociales.

En tous cas, je n'ai plus de liens avec les gens qui tenaient ce contrat et je ne sais pas qui l'a repris, sous quelle forme, avec quelle entité juridique.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - M. Benalla a évoqué, dans le journal Libération, « une mission de conseil à l'international » pour justifier les 12 000 euros reçus pendant un mois par cette société qui a justement vu le jour quand la vôtre a cessé d'exercer cette mission. Cela ne vous évoque rien ?

M. Vincent Crase. - Je n'ai plus de contact avec M. Benalla. Les seules sources d'information que j'ai sont la presse ou la télévision. J'ai ainsi appris qu'il avait voyagé beaucoup à l'étranger, j'ai appris comme tout le monde l'histoire des passeports... Mais je n'ai pas d'éléments supplémentaires.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez dit que vous espériez une situation plus pérenne à l'Élysée par le biais d'un commissionnement. De quoi s'agit-il ?

M. Vincent Crase. - C'est le fait, pour un civil ou un réserviste, c'est-à-dire quelqu'un qui n'est pas un militaire d'active, d'avoir un contrat sur quelques années pour remplir une mission spécifique pour les armées. Cette mission, en l'espèce, aurait été d'encadrer la réserve et peut-être la faire grandir pour le Palais de l'Élysée et pour les autres palais nationaux. L'emploi de réservistes fait faire aux armées des économies significatives.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Est-ce M. Benalla qui vous a permis de nourrir l'espoir de ce commissionnement ?

M. Vincent Crase. - Il m'en avait parlé, mais ce n'est pas lui qui avait les leviers de commande pour ce genre de choses. Il n'est pas le seul à m'en avoir parlé.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Qui d'autre ?

M. Vincent Crase. - L'encadrement militaire. C'était une hypothèse, un rêve, mais je n'ai jamais rien signé, et on ne m'a jamais rien promis.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Connaissez-vous M. Yoann Petit ?

M. Vincent Crase. - Oui, bien sûr, depuis 2016.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Connaissez-vous l'identité du seul actionnaire de la société France Close Protection ?

M. Vincent Crase. - Non, je ne sais pas. Peut-être Yoann Petit ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Non, il en est le président-directeur général. Tout de même, cela ne vous paraît-il pas étrange que cette société s'installe justement rue de Penthièvre, à la place de la vôtre ou concomitamment ? Et que cette nouvelle société s'appelle France Close Protection, après Velours Close Protection ?

M. Vincent Crase. - Je n'ai choisi le nom ni de la première, ni de la seconde puisque je n'ai rien à voir avec ces deux sociétés. Et la boîte de domiciliation de la rue de Penthièvre, au coeur du huitième arrondissement est centrale et donc commode.

M. Philippe Bas, président. - Merci des réponses précises que vous avez bien voulu nous donner.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 10.

Mercredi 23 janvier 2019

- Présidence de M. François Pillet, vice-président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Audition de M. Michel Sappin, candidat proposé par le Président du Sénat aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs

M. François Pillet, président. - Mes chers collègues, en application de 1'article L. 567-1 du code électoral, nous allons procéder à l'audition de M. Michel Sappin, dont la nomination est envisagée par M. le Président du Sénat pour siéger comme personnalité qualifiée au sein de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution.

Cette audition est publique et sera suivie d'un vote qui se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement.

Je vous rappelle que le Président du Sénat ne pourrait pas procéder à cette nomination si les votes négatifs au sein de notre commission des lois représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Cette commission indépendante, qui a été créée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, émet un avis public sur les projets de loi, les projets d'ordonnance et les propositions de loi « délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ». Elle s'est prononcée pour la première et unique fois en 2009, au moment du redécoupage des circonscriptions pour les élections législatives. Elle revêt aujourd'hui une importance particulière, le Gouvernement ayant déposé en mai 2018 un projet de loi organique et un projet de loi visant à réduire le nombre de députés de 577 à 404 et le nombre de sénateurs de 348 à 244.

M. Jean-Pierre Sueur. - Ce n'est qu'un projet !

M. François Pillet, président. - Je précise que cette commission indépendante est composée de six membres nommés pour une durée de six ans non renouvelable.

M. Michel Sappin, candidat proposé par le Président du Sénat aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le grand oral que je passe devant vous ce matin me rappelle de très bons souvenirs...

J'ai été à la fois heureux et surpris d'apprendre que le président Gérard Larcher ait pensé à moi pour remplir la fonction de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution. En effet, les quatre autres membres déjà nommés, notamment M. Christian Vigouroux, sont de grands juristes - des professeurs de droit émérites, des hauts magistrats -, contrairement à moi. En discutant avec le président Gérard Larcher, j'ai vite compris que le choix d'un homme de terrain, proche des réalités profondes de nos territoires, correspondait un peu à l'art du contre-pied qu'il manie parfois. Il m'a expliqué que le profil d'un préfet ayant pas mal « bourlingué » sur le territoire pouvait être intéressant. Peut-être a-t-il aussi été intéressé par le caractère trempé qui est le mien et que je revendique pleinement, car il faut pouvoir défendre et attaquer, ce que je ferai sans hésiter.

Quel est mon parcours ?

J'ai travaillé dans trois ministères : j'ai passé sept ans au ministère de l'équipement, six ans au ministère de l'éducation nationale et le reste de ma carrière au ministère de l'intérieur où j'ai été à la fois sous-directeur, directeur de la défense et de la sécurité civile, sous-préfet de l'arrondissement de Vendôme dans le Loir-et-Cher, secrétaire général de préfecture, sous-préfet d'Orléans, préfet délégué pour la sécurité et la défense à Marseille, préfet du Lot, préfet de la Seine-Saint-Denis, préfet de la région Picardie, préfet de la Somme, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) et j'ai terminé ma carrière comme chef de l'Inspection générale de l'administration (IGA), que j'ai dirigée pendant deux ans et demi, avant de prendre ma retraite voilà quelques années.

Je suis toujours au plus proche du terrain, puisque j'exerce aujourd'hui les fonctions de médiateur de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. En étroite relation avec les élus et les administrés, j'essaie de régler les problèmes des uns et des autres dans leurs relations avec les services de la région. À cet égard, seules la région d'Île-de-France et la région PACA ont un médiateur. Une sénatrice de la Gironde a d'ailleurs déposé une proposition de loi visant à étendre la fonction de médiateur à certaines collectivités territoriales.

Dans le cadre de mes fonctions, j'ai également été chef de cabinet, conseiller technique et directeur adjoint de cabinet du ministre de l'intérieur. Au vu de mon parcours, c'est sans doute ma vision assez large de ce qui se passe sur notre territoire qui a intéressé le président Gérard Larcher.

Cette présence sur le territoire m'a également permis de mieux appréhender le rôle des élus. À peine arrivé depuis deux jours à Vendôme, j'ai dû avertir en pleine nuit, avec le maire d'une petite commune proche, une famille du décès accidentel de deux de ses enfants. J'ai alors pris conscience qu'un maire est au plus proche des réalités, les plus heureuses comme les plus malheureuses. De même, dans le cadre de mes fonctions de directeur de la défense et de la sécurité civile, j'ai dû gérer un certain nombre de catastrophes, en lien avec les élus de terrain, qu'il s'agisse des inondations, des feux de forêt ou de l'explosion de l'usine AZF.

En tant que sénateurs, je vous sais proches des maires, qui participent d'ailleurs à votre élection. Je fais souvent une comparaison avec les préfets : les préfets le deviennent après avoir longtemps été sous-préfets, sauf exception ; votre parcours d'élu de terrain vous conduit souvent à devenir sénateur après avoir exercé un mandat local.

Cette vision du Sénat, que j'ai évoquée avec le président Philippe Bas, doit transparaître dans les projets de réforme des cartes électorales pour ce qui concerne tant les députés que les sénateurs. Pour avoir participé, en 2009, au redécoupage des circonscriptions législatives dans les Bouches-du-Rhône, je sais combien ce travail est difficile. Au-delà des textes qui imposent un certain nombre de règles, c'est aussi un véritable sujet de cohérence des territoires. Cette dimension est plus forte encore pour le Sénat : un sénateur dans un département comme celui des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes ou du Lot a évidemment un rôle considérable sur le terrain. Pour nombre de maires, le sénateur a, avec le préfet d'ailleurs, un rôle de garant, il est celui qui peut à la fois donner des conseils, aider et assister. Je défendrai ardemment ce rôle des sénateurs au sein de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution.

Le Sénat, c'est la chambre des sages, celle des territoires, une chambre qui recèle beaucoup de compétences et suscite beaucoup d'attentes : où que j'aie exercé, y compris dans un territoire comme la Seine-Saint-Denis, les maires m'ont toujours parlé de leurs sénateurs avec une considération différente de celle qu'ils pouvaient exprimer pour les députés. On peut devenir député parfois un peu par hasard - pour le dire un peu crûment, on le voit d'ailleurs particulièrement en ce moment ! -, mais on ne devient pas sénateur par hasard.

Cette vision que je peux avoir de votre assemblée et de votre mission guidera mon action si j'intègre la commission indépendante et je ferai tout pour la défendre.

M. François Pillet, président. - Merci beaucoup, monsieur le préfet, pour vos propos très clairs, empreints d'engagements qui ne peuvent que séduire votre auditoire.

Quelle est votre opinion concernant la proposition du Gouvernement d'insérer une dose de proportionnelle de 15 % à l'Assemblée nationale ? Ne risque-t-on pas de créer des élus « hors sol », dépourvus d'attaches territoriales ?

M. Michel Sappin. - À titre personnel, je ne suis pas défavorable à cette mesure. Il y a, à l'Assemblée nationale, un écart assez fort entre la représentation telle qu'elle est issue des élections et le ressenti des Français. À l'évidence, un certain nombre d'électeurs ne se retrouvent pas dans la composition de l'Assemblée nationale actuelle. Toutefois, la dose de proportionnelle doit être mesurée, et peut-être conviendrait-il de la revoir un peu à la baisse. D'autres voix devraient s'exprimer à l'Assemblée nationale et moins dans la rue - c'est là l'ancien préfet qui parle.

Il est vrai que cette mesure facilitera l'élection des permanents de partis, mais c'est déjà le cas : certains députés élus ne sont jamais dans leur circonscription. D'ailleurs, cela sera peut-être de nature à simplifier et à clarifier les choses.

M. François Pillet, président. - Considérez-vous que le seul critère démographique, tel qu'il a été déterminé par le Conseil constitutionnel, doive être pris en compte pour la répartition des sièges de parlementaires ou faut-il intégrer d'autres exigences, comme une représentation équitable des territoires ? Je fais notamment allusion aux conclusions formulées par le groupe de travail sur la réforme constitutionnelle présidé par le président Gérard Larcher et dont j'ai l'honneur d'être rapporteur, à savoir qu'il n'y ait jamais moins d'un député et d'un sénateur par département. Que pensez-vous de cette proposition ?

M. Michel Sappin. - J'ai lu bien sûr avec beaucoup d'intérêt les conclusions du groupe de travail du Sénat. Il va de soi que je partage totalement cette idée ; il serait totalement invraisemblable qu'un département n'ait pas au moins un député et un sénateur, hormis peut-être les départements d'outre-mer. Je ne peux même pas concevoir le contraire. En tant qu'ancien membre du corps préfectoral, comment pourrais-je considérer qu'il puisse y avoir, dans un département, un préfet et pas au moins un député et un sénateur ?

J'ai également lu avec intérêt votre proposition, qui est une bonne mesure, de porter de 20 % à 30 % le plafond d'écart de représentation par rapport à la population moyenne représentée dans les départements. J'estime qu'il serait même normal qu'il y ait moins de départements avec un député et un sénateur et plus avec deux. Même si tout dépendra du travail législatif et de l'avis des autorités compétentes, la représentation du territoire est essentielle et ne se discute pas. Vous représentez, en tant que sénateurs, à la fois les élus, le territoire et la population, tandis que l'Assemblée nationale représente les électeurs. La population et les élus n'admettraient pas qu'un département comme celui des Alpes-de-Haute-Provence ou des Hautes-Alpes se retrouve sans député ou sans sénateur ; c'est totalement impensable ! Ce serait d'ailleurs à la fois amoral et anormal.

M. François Pillet, président. - Je vous remercie de ne pas avoir pratiqué la langue de bois et d'avoir apporté des réponses claires.

Mme Jacky Deromedi. - Au vu de votre CV cinq étoiles, je ne conteste rien de vos propos. Vous semblez être l'homme de la situation.

Ma question concerne les Français de l'étranger, que je représente. Pensez-vous que les parlementaires représentant les Français établis hors de France ont une utilité ? Combien en faut-il pour représenter près de trois millions d'expatriés et couvrir le monde entier ?

M. Michel Sappin. - C'est un sujet que je connais bien et depuis très longtemps, car il se trouve que mon beau-père a été directeur de l'Union des Français de l'étranger sous Maurice Schumann.

Les Français de l'étranger doivent bien sûr être représentés : ils l'ont été modestement mais le sont maintenant davantage, ce qui est tout à fait normal.

Je me demande comment aménager la réduction du nombre de députés et de sénateurs pour les Français de l'étranger. Il est déjà difficile de décider d'une carte électorale dans la métropole et dans les outre-mer ! Il sera donc délicat de diminuer le nombre de représentants des Français de l'étranger. La communauté française à l'étranger est importante par sa présence, son activité économique et culturelle. Il faut qu'elle soit représentée à l'Assemblée nationale et au Sénat.

M. François Pillet, président. - Je pense que vous avez rassuré notre collègue, sénateur des Français de l'étranger.

Mme Marie Mercier. - Peut-être vais-je vous paraître un petit peu malicieuse, monsieur le préfet, mais, issue d'un territoire de vignobles, je veux vous dire que nous buvions vos paroles... « Il est des nôtres », pourrais-je ajouter !

En ces temps agités où les élus sont malmenés, je voudrais simplement formuler un voeu : ne changez pas votre vision des élus, des sénateurs et des maires que nous représentons. Notre pays a besoin de stabilité et je sais que vous représenterez cette stabilité au sein de la commission indépendante.

M. François Pillet, président. - Je note qu'il s'agit plus d'un soutien que d'une question.

M. Michel Sappin. - Je vous remercie de votre soutien.

Cette vision qui est la mienne n'est pas nouvelle ; je l'ai partagée dès que j'ai eu mon premier poste sur le terrain et elle s'est renforcée au fil des années. Beaucoup de mes collègues préfets pensent la même chose, le disent et l'ont écrit. Il est d'ailleurs regrettable que les hautes sphères de la « maison France » n'en aient pas tenu compte. Beaucoup de choses auraient pu être évitées...

M. Jean-Pierre Sueur. - La question de la proportionnelle donne lieu à un éternel débat. De nombreux pays d'Europe appliquent une dose de proportionnelle.

Si l'on prend en compte tous les partis, la plus grande part des 15 % de sièges attribués à la représentation proportionnelle sera occupée par les partis dominants. Il serait souhaitable que nous cessions d'élire les députés dans la foulée de l'élection présidentielle. Si les élections législatives se déroulaient un an, deux ans ou trois ans après l'élection présidentielle, ce serait bien différent ! On voit bien que, très vite, l'Assemblée nationale n'est plus en phase avec la société.

Le découpage électoral constitue un véritable « sport national » depuis quelques décennies, qu'il s'agisse des élections législatives ou départementales : tous les élus essaient d'obtenir le découpage qui correspond le mieux à leurs intérêts - je dis là une banalité.

Il est paradoxal qu'il soit procédé à ces découpages par la loi. Les députés notamment, mais aussi les sénateurs, peuvent être juges et parties. C'est peut-être l'un des cas où une haute autorité pourrait être utile.

Dans la mesure où le découpage dépend de la loi, on attend de la commission indépendante une grande impartialité, avec des principes clairs qui s'appliquent absolument partout, en vue d'éviter toute forme de complaisance ou « d'auto-avantage ». Quelle est votre réaction face à cette exigence d'impartialité ?

M. François Pillet, président. - Si je m'autorisais à synthétiser la question de notre excellent collègue, je dirais : comment s'assurer de l'indépendance de la commission prévue à l'article 25 de la Constitution ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Je félicite le président pour cette synthèse.

M. Michel Sappin. - Je ne pourrais pas vous répondre sur l'indépendance de la commission, mais je vous répondrai sur l'indépendance de votre représentant et sur sa neutralité.

Sur le terrain, on m'a souvent demandé comment je pouvais concilier mes opinions personnelles avec ma mission de préfet. Je fais toujours une comparaison avec les travaux publics. Nous avons un maître d'ouvrage, le peuple français ; un maître d'oeuvre, le Président de la République ; un architecte, le Gouvernement ; et nous avons sur le terrain des entreprises qui travaillent, les préfets et l'administration. Nous travaillons sur le projet et les plans qui nous sont donnés. Nous ne pouvons contester que lorsque nous estimons que le bâtiment va s'écrouler. C'est exactement la même chose pour moi ! Si j'intègre la commission indépendante, je défendrai un intérêt général, celui des territoires, celui des élus, quelle que soit la problématique politique. J'ai bien compris que le président Gérard Larcher attendait de moi que j'aie ce discours ferme vis-à-vis de juristes qui seront peut-être un peu moins sensibles à cet aspect du problème.

Concernant la question de la dose de proportionnelle, avoir ne serait-ce que deux ou trois voix divergentes dans une assemblée, représente tout de même un avantage, à condition que le règlement leur permette de s'exprimer. Un grand nombre de représentants du Front national siègent au sein du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur. C'est bien de les écouter : ils disent parfois des choses constructives et les habitants voient aussi le côté quelquefois léger, dirais-je, de leurs propos.

M. Jean-Pierre Sueur. - Quelquefois lourd.

M. Michel Sappin. - En effet.

M. Jean-Pierre Sueur. - C'est même plus souvent lourd que léger !

M. Michel Sappin. - Le fond est lourd et le propos est quelquefois très léger dans la forme. Mais nous avons toujours intérêt à écouter, même en présence de désaccords. L'électeur doit entendre plutôt que d'avoir le regret de ne pas être entendu. Je l'ai dit précédemment, il faut limiter la dose de proportionnelle à l'Assemblée nationale, mais cela permettra aux électeurs de s'exprimer.

Concernant l'indépendance des membres de la commission, c'est vraiment le sens de la conversation que j'ai eue avec à la fois le président Gérard Larcher et le président Philippe Bas : soyez assurés d'une neutralité totale de ma part. J'ai servi sous tous les gouvernements ; je l'ai toujours fait avec conviction et honnêteté.

Comme Monsieur Jean-Pierre Sueur, j'estime que les élections législatives ne devraient pas être subséquentes à l'élection présidentielle. D'ailleurs, je dirai presque
- mon propos est peut-être un peu provocateur - que les meilleures années ont été celles de la cohabitation où régnaient le dialogue, les discussions, les négociations, quelquefois les compromis. Même si ce ne sera pas le rôle de la commission indépendante, il serait en effet souhaitable de « déconnecter » les élections législatives et l'élection présidentielle.

M. François Pillet, président. - Je suis certain que la fermeté et la clarté de la réponse, doublées de la parabole des bâtisseurs, ont rassuré notre collègue Jean-Pierre Sueur.

M. Jérôme Durain. - Monsieur le préfet, vous vous revendiquez praticien des territoires et des élus. Concernant l'élection des sénateurs, certains ont pensé mettre en place des circonscriptions régionales, avec un scrutin proportionnel. Qu'en pensez-vous ?

M. Michel Sappin. - Je n'ai pas réfléchi en profondeur à cette question. Autant je vois l'utilité de l'introduction d'une dose de proportionnelle à l'Assemblée nationale...

M. Jean-Pierre Sueur. - Aujourd'hui, beaucoup de sénateurs sont déjà élus à la proportionnelle, dans les circonscriptions comptant plus de deux élus.

M. Michel Sappin. - Bien sûr mais je n'en vois pas l'intérêt, car vous représentez les territoires. Vos électeurs sont eux-mêmes issus d'élections dans lesquelles il existe de fortes luttes politiques.

M. Jean Louis Masson. - Monsieur le préfet, sans mettre aucunement en cause votre personne, la création de cette commission m'interpelle. Sans vouloir vous faire de peine, j'estime que cette commission ne sert à rien, et je m'en explique.

Nous sommes quelques-uns ici à avoir connu les deux grands découpages des circonscriptions législatives, celui de 1986 avec M. Charles Pasqua, pour lequel la commission n'existait pas, et celui de 2009 sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy, pour lequel elle existait. Au final, la commission n'a pas du tout contribué à rendre plus honnêtes les découpages électoraux.

Tout d'abord, le Gouvernement n'est pas obligé de rendre public son projet avant de le transmettre à la commission. L'avis rendu par la commission ne comporte donc aucune dimension contradictoire. Or on ne peut pas demander à une commission de connaître les tenants et les aboutissants de toutes les magouilles qui peuvent se faire au fin fond d'un territoire. Ensuite, la commission rend son avis, mais, là encore, l'avis n'est pas rendu public. À l'époque, nous n'avions pas disposé de l'avis de la commission ; nous n'avions eu des éléments d'information qu'à la suite de fuites dans les médias. Pour couronner le tout, un gouvernement de mauvaise foi peut parfaitement s'asseoir sur l'avis de la commission, qui revêt un caractère consultatif.

En 2009, dans un certain nombre de cas, le Gouvernement n'a pas tenu compte de tous les avis qui lui avaient été remis ; je pense notamment au cas d'un département : la commission a rendu un avis négatif ; le Conseil d'État a rendu un avis négatif ; la commission des lois de l'Assemblée nationale a voté contre l'avis du Gouvernement mais celui-ci a recouru au vote bloqué. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, le Conseil constitutionnel a reconnu des anomalies dans deux départements, mais a indiqué qu'il n'était pas habilité à vérifier l'honnêteté des découpages électoraux.

Que pensez-vous de cette situation ? Le système est-il cohérent ? Quelles idées pourriez-vous avancer pour faire en sorte qu'il y ait un minimum d'honnêteté ?

M. François Pillet, président. - Permettez-moi de vous rendre attentif, mon cher collègue, à l'article 25 de la Constitution, aux termes duquel l'avis de la commission indépendante est rendu public. En revanche, les opinions dissidentes ne le sont pas. Pensez-vous qu'elles pourraient l'être, monsieur le préfet ?

M. Michel Sappin. - La réponse à votre question est très compliquée, monsieur le sénateur.

Si le Gouvernement mène son projet de réforme institutionnelle à son terme, la commission indépendante croulera sous le travail. Vous avez parlé des quelques modifications non négligeables, certes, qu'il y a eu au cours des dernières années, mais il s'agira là de réduire de 30 % le nombre des sénateurs et des députés. Mes collègues préfets, mes collègues du secrétariat général du ministère de l'intérieur et du cabinet du ministre ont déjà en tête ce travail considérable. Est-ce un hasard ? Il se trouve que je connais bien tous ces interlocuteurs. Comme le soulignait l'un de mes grands patrons que fut M. Charles Pasqua, si les renseignements généraux (RG) n'existent plus sur le terrain, ils existent peut-être encore dans les têtes... Je peux sans doute avoir plus facilement accès à un certain nombre d'informations - je le dis comme je le pense.

En tant que préfet, on m'avait demandé, dans le cadre du redécoupage de 2009, de « transférer » un siège de député de Marseille vers une autre partie des Bouches-du-Rhône, pour respecter les critères démographiques du Conseil constitutionnel. Ce fut un pataquès : il fallait modifier douze circonscriptions ! Le projet que j'avais envoyé a été refait à Paris ; il a été présenté à la commission indépendante, qui - c'est l'un des rares cas - est revenue au projet de départ, ce qui prouve son rôle.

Je suis persuadé que nous aurons un rôle plus important au sein de cette commission que ce qu'on imagine aujourd'hui, d'autant que le ministère fera les choses hâtivement, comme toujours. Concernant les opinions dissidentes au sein de la commission, je puis vous dire que je serai la voix de la contradiction. Telle est bien mon intention ; je veux faire remonter un certain nombre de choses. C'est le rôle que je pourrai, me semble-t-il, avoir.

M. François Pillet, président. - Nous vous remercions, monsieur le préfet, pour la clarté et la fermeté de vos réponses. Nous allons procéder au vote.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est suspendue à 9 h 15.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est reprise à 9 h 30.

Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de M. Michel Sappin, aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs

M. Philippe Bas, président. - Nous avons procédé à l'audition de M. Michel Sappin, que le Président du Sénat envisage de nommer comme personnalité qualifiée au sein de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs.

Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition de nomination.

Ce vote se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement.

Je vous rappelle que le Président du Sénat ne pourrait pas procéder à cette nomination si les votes négatifs au sein de notre commission représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

En application de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote sont autorisées.

La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de M. Michel Sappin aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs.

M. Philippe Bas, président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants : 35

Bulletins blancs : 3

Bulletin nul : 1

Suffrages exprimés : 31

Pour : 28

Contre : 3

Proposition de loi relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km-h sur le réseau secondaire - Examen des amendements

Articles additionnels avant l'article unique

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - Par l'amendement n°  2, M. Masson souhaite encadrer les conditions de fixation des limitations de vitesse sur les routes hors agglomération, afin d'éviter une variation trop fréquente des vitesses. Même si je partage l'objectif de lisibilité poursuivi, cette disposition relève du pouvoir réglementaire. Il revient en effet au président du conseil départemental de fixer les limitations de vitesse sur les routes départementales hors agglomération, dans la limite des vitesses maximales fixées par décret. Je vous propose de soulever l'irrecevabilité de cet amendement au titre de l'article 41 de la Constitution. Il sera transmis au Président du Sénat pour examen de recevabilité.

M. Jean Louis Masson. - Le pouvoir de limitation de vitesse relève effectivement du domaine réglementaire. Toutefois, cet amendement vise à encadrer l'exercice du pouvoir réglementaire. Je considère, à tort ou à raison, que cela relève du domaine législatif.

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n°  2 au titre de l'article 41 de la Constitution.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - L'amendement n°  6 vise à encadrer les conditions de fixation des limitations de vitesse sur les voies rapides. Pour les mêmes raisons, je vous propose de soulever l'irrecevabilité de cet amendement au titre de l'article 41 de la Constitution.

M. Jean Louis Masson. - Je propose une modulation sur les voies rapides. Même observation s'agissant de l'irrecevabilité.

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n°  6 au titre de l'article 41 de la Constitution.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - L'amendement n°  3 a le même objectif que les précédents : il tend à encadrer les conditions de fixation des limitations de vitesse sur les autoroutes. Pour les mêmes raisons, je vous propose de soulever l'irrecevabilité de cet amendement au titre de l'article 41 de la Constitution.

M. Jean Louis Masson. - Mêmes observations.

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n°  3 au titre de l'article 41 de la Constitution.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - L'amendement n°  4 vise à encadrer les conditions de gestion des péages sur les autoroutes concédées. Toutefois, cette question relève du domaine réglementaire : ces conditions de gestion sont notamment déterminées par le chapitre II du titre II de la partie réglementaire du code de la voirie routière. C'est pourquoi je vous propose de soulever l'irrecevabilité de cet amendement au titre de l'article 41 de la Constitution.

M. Jean Louis Masson. - Ce problème important se posera partout en France. La Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef) a aménagé, pour la première fois en France, un péage autoroutier à Boulay, en Moselle, qui permet à l'automobiliste de passer sans s'arrêter. Toutefois, l'automobiliste est obligé de s'abonner, sinon il doit sortir de sa voiture pour prendre un ticket à un guichet et payer, dans les deux jours, par téléphone au moyen de sa carte bancaire ou par Internet. C'est tout à fait scandaleux, et j'évoquerai ce problème en séance.

M. Philippe Bas, président. - Le problème pratique que vous soulevez est réel et conduit à un déni du droit de l'usager de la route lié à la privatisation. Cette question mérite discussion, même si l'amendement est déclaré irrecevable. Nous attendons une réponse du Gouvernement sur la manière dont il entend traiter ce problème. Il ne faudrait pas que cette pratique, présentée sous le jour d'une modernisation, mais qui comporte en réalité de lourds inconvénients pour les usagers, se généralise.

M. François Grosdidier. - Élu du même département, je ne puis que confirmer les propos de M. Masson. Cette pratique paraît totalement abusive. Vous dites que cette disposition ne relève pas de la loi. Mais la loi permet-elle aux concessionnaires des autoroutes de contraindre un usager à sortir de son véhicule pour pouvoir s'acquitter de la redevance ? Dans la négative, le législateur devra apporter des précisions.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - La loi n'interdit pas que l'usager doive descendre de sa voiture pour s'acquitter de sa redevance. Bien que cet amendement paraisse relever du domaine réglementaire, je vous indique que le débat sur la question des péages à flux libre pourra utilement être abordé dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités.

M. Jean Louis Masson. - Dans ce cas, vous ne pouvez pas arguer que cela ne relève pas du domaine législatif.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - Il ne s'agira pas d'empiéter sur le domaine du règlement mais d'évoquer le sujet avec le Gouvernement.

M. Philippe Bas, président. - Le rapporteur veut dire non pas que des dispositions législatives seront prises dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités, mais que ce sera l'occasion de prendre des textes réglementaires pour régler ce type de problème.

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n°  4 au titre de l'article 41 de la Constitution.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - L'amendement n°  1 vise à introduire une forme de prescription pour les sanctions relatives au retrait de points au permis de conduire : il s'agit de prévoir qu'aucun retrait ne pourra être appliqué à une personne plus de trois ans après la commission des faits.

En l'état du droit, le retrait de points s'applique à compter du jour où la condamnation est devenue définitive, et non pas à compter de la date à laquelle le courrier l'en informant est reçu par le détenteur du permis. Les principes sont déjà clairement énoncés par la loi. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  1 rectifié ter.

Article unique

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - Plutôt que de réduire la durée de récupération de points, l'amendement n°  7 introduit un sursis pour le retrait de point pour les excès de vitesse inférieurs à 5 km/heure commis sur les routes limitées à 80 km/h.

Même s'il n'est pas sans intérêt, cet amendement présente plusieurs difficultés. Tout d'abord, il fait référence à des limitations fixées par décret, ce qui n'est pas conforme aux règles de la légistique. Ensuite, il ne détermine pas avec suffisamment de précision les conditions du sursis. En particulier, ne sont précisées ni la durée du sursis, ni les conditions dans lesquelles il pourrait y être mis fin. Enfin, il paraît préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à la réalisation d'une étude d'impact approfondie, afin d'assurer l'efficacité des mesures adoptées et d'éviter tout effet indésirable pour la sécurité routière. Avis défavorable.

M. Philippe Bas, président. - Je me permets de dire à M. Masson qu'il conviendrait de revoir la rédaction de cet amendement en remplaçant 85 km/h par 5 km/h. À défaut, l'excès de vitesse ne serait pris en compte qu'à compter de 165 km/h !

M. Jean Louis Masson. - Je vous remercie de votre suggestion. Notre rapporteur se fonde sur les règles de la légistique. Sommes-nous contraints par ces règles ? Je ne l'ai lu dans aucun texte. Personnellement, je ne suis pas persuadé que cet argument soit convaincant.

Ce n'est pas par hasard que j'ai retenu 85 km/h. Auparavant, sur les routes limitées à 90 km/h, l'automobiliste était sanctionné à partir de 95 km/h. Actuellement, sur une route limitée à 80 km/h, l'automobiliste n'est sanctionné qu'à partir de 85 km/h. Si le sursis est porté à 85 km/h, la vitesse réelle sera de 90 km/h, ce qui donnerait une certaine satisfaction.

M. Philippe Bas, président. - Cela ne fonctionne qu'une fois.

M. Jean Louis Masson. - En effet.

M. Philippe Bas, président. - C'est prévu pour les conducteurs très scrupuleux...

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  7.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. - L'amendement n°  5 vise à fixer non pas à trois mais à quatre mois la durée de récupération des points pour les infractions au code de la route punies du retrait d'un seul point, contre six mois actuellement. Cette mesure ne suffit pas à résoudre les problèmes soulevés par notre commission, qui nous ont conduits à ne pas adopter la proposition de loi. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  5.

La commission donne les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Articles additionnels avant l'article unique

M. MASSON

2

Irrecevabilité soulevée au titre de l'article 41
de la Constitution

M. MASSON

6

Irrecevabilité soulevée au titre de l'article 41
de la Constitution

M. MASSON

3

Irrecevabilité soulevée au titre de l'article 41
de la Constitution

M. MASSON

4

Irrecevabilité soulevée au titre de l'article 41
de la Constitution

Mme SOLLOGOUB

1

Défavorable

Article unique

M. MASSON

7

Défavorable

M. MASSON

5

Défavorable

Proposition de loi visant à assurer une plus juste représentation des petites communes au sein des conseils communautaires - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - En préambule, je souhaite vous apporter quelques éléments d'information.

Le Gouvernement nous a fait part de son intérêt pour la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur et des membres du groupe socialiste et républicain. Il est en particulier intéressé par certaines dispositions adoptées en commission, qui visent à assouplir les conditions auxquelles est soumise la conclusion d'un accord local de répartition des sièges dans les communautés de communes et d'agglomération.

Le Gouvernement propose de faire en sorte que ces dispositions puissent prospérer à l'Assemblée nationale, afin qu'elles puissent être appliquées dès les élections municipales de 2020. Pour ce faire, il suggère de reporter d'un mois, jusqu'au 30 septembre 2019, la date limite pour conclure un accord local dans les communautés de communes et d'agglomération. Compte tenu des délais impartis, il souhaiterait que le texte soit adopté conforme par l'Assemblée nationale. En effet, la procédure accélérée n'a pas été engagée sur ce texte et ne pourra plus l'être. Une éventuelle commission mixte paritaire ne pourrait donc être réunie qu'à l'issue de deux lectures dans chaque assemblée. Vu les délais d'examen fixés par la Constitution, la première lecture à l'Assemblée nationale ne pourrait avoir lieu, au mieux, qu'à la fin février, et la deuxième lecture au Sénat, au mieux, fin mars.

Par ailleurs, le Gouvernement estime nécessaire, sur un tel sujet, de saisir le Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi, afin que la composition des conseils communautaires ne puisse pas être remise en cause en cours de mandat par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité - je crois qu'il a raison sur ce point. Le Conseil constitutionnel disposerait d'un mois pour se prononcer, ce qui nous amène à la fin du mois d'avril. Il faudra ensuite que les élus s'approprient ces dispositions, et que l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et le Gouvernement mettent à jour leurs logiciels. En effet, l'AMF dispose d'un logiciel perfectionné qui permet, à partir de la composition d'un EPCI à fiscalité propre et de la population de chaque commune, de faire apparaître tous les accords locaux envisageables et conformes à la loi. La direction générale des collectivités locales (DGCL), de son côté, dispose d'un logiciel permettant de vérifier la légalité d'un projet d'accord local, qu'elle met à disposition des préfectures.

Par conséquent, pour que le dispositif soit applicable dès les élections de 2020, il serait préférable que l'Assemblée nationale vote ce texte conforme, afin qu'il puisse être soumis au Conseil constitutionnel et promulgué sans tarder.

Or le Gouvernement s'oppose à l'article 1er relatif à la composition de droit commun des conseils communautaires. Il considère que, même si le texte de la commission a atténué certains défauts de la proposition de loi initiale, les nouvelles règles de répartition des sièges restent contraires à la jurisprudence constitutionnelle, puisque la population des communes qui se trouveraient moins bien représentées à l'issue de la réforme est supérieure à celle des communes qui se trouveraient mieux représentées. Le Gouvernement demande donc, par amendement, la suppression de cet article.

Il demande également la suppression d'une partie de l'article 1er bis, c'est-à-dire de l'un des assouplissements apportés aux conditions régissant l'accord local, mais, sur ce point, il est prêt à s'en remettre à la décision du Conseil constitutionnel. Il accepte, par ailleurs, l'article 2, qui consacre le droit d'information des « simples » conseillers municipaux.

Nous avons donc le choix de maintenir nos positions de la semaine dernière ou d'accepter le compromis proposé par le Gouvernement, afin de nous donner plus de chances de voir entrer en vigueur en temps utile une partie des dispositions que nous avons adoptées, pour une application dès les élections de 2020.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je crains ne pas avoir compris. Le Gouvernement veut-il botter en touche ?

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Le Gouvernement est favorable à l'assouplissement que nous avons mis en place concernant l'accord local à l'article 1er bis, mais il s'oppose à l'article 1er tel qu'il est proposé.

M. Pierre-Yves Collombat. - Il est donc contre, alors que nous y sommes favorables. Alors, l'affaire est conclue.

M. Philippe Bas, président. - Il est exact que nous avons déjà longuement délibéré de ce point. Un certain nombre d'entre nous, dont Mme le rapporteur, sont conscients de l'existence du risque constitutionnel.

Toutefois, d'une part, la décision du Gouvernement de saisir le Conseil constitutionnel si le texte était adopté nous met à l'aise face à cette prise de risque. Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi nous renoncerions à nos positions alors même que de grandes associations, comme l'Association des maires ruraux de France, expriment une forte attente à l'égard de ce texte. Si l'Assemblée nationale ne le vote pas conforme, on peut imaginer que nous fassions nôtre la version retenue par nos collègues députés, même si elle est moins ambitieuse que celle que nous nous apprêtions à voter. Pour l'heure, aucun élément décisif n'est de nature à nous faire changer d'avis. Allons de l'avant pour essayer d'obtenir les dispositions les plus favorables possible !

M. Jean-Pierre Sueur. - Le rapport de Mme Carrère, long de 107 pages et rédigé en collaboration étroite avec la DGCL, évalue les effets du dispositif introduit par la proposition de loi. Il apparaît que, au total, le dispositif prévu par le texte est beaucoup plus juste et plus conforme à la réalité démographique : il corrige des inégalités au détriment des villes situées dans la strate moyenne des intercommunalités et dans la partie haute de la strate inférieure, en réduisant la représentation des villes les plus importantes.

Les amendements du Gouvernement réduisent ce texte à une seule disposition, qui donne la possibilité d'augmenter le nombre de membres de l'assemblée intercommunale au-delà de la limite de 25 %, dans le cadre d'un accord local.

M. Pierre-Yves Collombat. - C'est-à-dire à rien du tout !

M. Jean-Pierre Sueur. - Mme Gourault, avec qui j'ai discuté hier, a reconnu que la meilleure solution est celle que propose notre président : laisser à l'Assemblée nationale le soin d'amender notre texte pour l'adopter, à son retour au Sénat, dans un état d'esprit positif. L'Association des maires ruraux de France est très attachée à cette proposition de loi, comme le montre sa dernière déclaration.

Mme Françoise Gatel. - Je salue le travail du rapporteur d'autant que l'exercice est difficile, voire impossible. L'AMF a montré que, dans le cadre du droit commun, il est impossible de trouver un accord local dans 50 % des communautés de communes. La taille XXL de certaines intercommunalités condamne les communes rurales à l'invisibilité, et les communes intermédiaires à l'écrasement.

La solution proposée est louable, mais revient à déplacer le problème : si elle résout les difficultés rencontrées par 18 000 communes, elle en crée de nouvelles pour 14 000 autres - c'est ce qui est ressorti de mes échanges avec l'AMF. Une éventuelle censure du Conseil constitutionnel mettrait également en danger les intercommunalités, qui doivent décider avant fin août de l'organisation de leur conseil communautaire. Un recours pourrait remettre en cause cette organisation après les élections municipales de 2020.

C'est pourquoi je suis favorable à la possibilité d'assouplissement des accords locaux introduite par l'article 1er bis. En revanche, adopter l'article 1er me semble risqué.

M. Philippe Bas, président. - Il y a bien une interrogation, mais si l'article 1er est adopté, la disposition sera soumise au Conseil constitutionnel et l'incertitude sera levée en temps utile.

M. Pierre-Yves Collombat. - Si je comprends bien, le Gouvernement nous laisse le choix entre ne rien demander et risquer de ne pas obtenir... Or le Conseil constitutionnel ne va pas revenir sur son erreur, qui a consisté à assimiler les intercommunalités à des collectivités territoriales - l'idée de représentation démographique, en l'espèce, n'a aucun sens.

M. Alain Richard. - Mais si !

M. Pierre-Yves Collombat. - Les intercommunalités représentent les communes, avant de représenter la population. Essayons au moins, tout en tenant compte de la population, que toutes les catégories de communes soient honnêtement représentées à l'assemblée communautaire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui !

La réalité des institutions fait que nous n'aurons pas le dernier mot. Ni le Gouvernement ni le Conseil constitutionnel n'admettront qu'ils se sont trompés... Mais que chacun prenne ses responsabilités, et que le Gouvernement ne prétende pas qu'il veut réparer ses erreurs !

M. Jean Louis Masson. - Nous sommes là pour voter les amendements, pas pour refaire le débat qui a eu lieu la semaine dernière. Nous ne sommes pas non plus aux ordres du Gouvernement.

M. Jean-Pierre Sueur. - Madame Gatel, certaines communes sont en effet pénalisées par la proposition de loi, mais c'est la conséquence inévitable d'une représentation plus juste, puisqu'on ne peut pas faire augmenter en même temps la représentation de toutes les communes.

M. Éric Kerrouche. - La redéfinition des accords locaux est une solution, mais une solution sous-optimale. Autant essayer de l'améliorer.

M. Mathieu Darnaud. - Il est difficile de définir la notion de justesse dans la représentation des communes. J'ai fait toutes les simulations possibles, et nous ne parviendrons pas à une solution qui satisfasse tout le monde. Nous ne sommes pas obligés de nous soumettre au bon vouloir du Gouvernement, d'autant que le Sénat l'a éclairé dernièrement sur nombre de sujets, notamment les collectivités territoriales.

M. Alain Richard. - Le Conseil constitutionnel ne fera pas évoluer sa position, qui repose sur le respect d'une égalité dans la représentation démographique dans une fourchette comprise entre plus et moins 20 % par rapport à la moyenne.

M. Pierre-Yves Collombat. - Bien sûr !

M. Alain Richard. - Cette position n'a pas varié depuis vingt ans. Les établissements publics de coopération communale (EPCI) exerçant des compétences communales, le Conseil constitutionnel considère que le principe d'égalité du suffrage s'y applique. Ce raisonnement peut être contesté, mais il n'est ni stupide ni erroné.

M. Pierre-Yves Collombat. - Il est erroné.

M. Alain Richard. - On peut naviguer à l'intérieur de cette fourchette, et même prévoir des mécanismes de rattrapage pour les communes où la représentativité est inférieure aux 80 %. Ainsi, si un deuxième siège est attribué aux plus petites des communes moyennes, leur taux de représentativité passera à 75 % de la moyenne, ce qui est plus proche de la limite des 80 %. Mais il est illusoire de penser que le Conseil constitutionnel acceptera une remise en cause de ce principe par une loi.

M. Philippe Bas, président. - Je rappelle que l'article 1er de la proposition de loi traite non pas des accords locaux qui peuvent être conclus par dérogation au système légal, mais du système légal lui-même et du mode de calcul de nombre de représentants de chaque commune. La réforme proposée aboutirait à ce que les communes moyennes, sur lesquelles des droits de représentation ont été prélevés au bénéfice des plus petites, soient mieux représentées.

Article 1er

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Je maintiens ma position : avis défavorable à l'amendement n°  18 du Gouvernement ainsi qu'à l'amendement n°  1, qui est identique.

La commission émet un avis défavorable aux amendements de suppression nos  18 et 1.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Il est inconcevable d'abroger l'ensemble de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, comme le propose l'amendement n°  12.

Mme Sophie Joissains. - Même si on aimerait bien !

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Cet amendement est d'ailleurs irrecevable puisqu'il n'a pas de lien avec le texte.

L'amendement n°  12 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Il va de même de l'amendement n°  13.

M. Jean Louis Masson. - Je n'avais pas prévu de déposer d'amendements sur ce texte, mais je n'ai pas apprécié les propos dont j'ai été l'objet la semaine dernière, lors de l'examen du texte de la commission. Je suis peut-être le seul à penser ce que je pense, mais j'ai le droit de le penser ! J'ai été la cible de vociférations au prétexte que je ne suis pas d'accord avec la pensée dominante. C'est scandaleux. Nous défendrons nos amendements en séance.

M. Philippe Bas, président. - Je vous entends, mais les responsabilités sont partagées : traiter vos collègues d'hypocrites n'est pas exactement une marque de gentillesse... Je veux croire que vous n'aviez pas de mauvaises intentions.

M. Jean Louis Masson. - Mais je le pense !

L'amendement n°  13 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - L'amendement n°  15 tend à modifier la répartition des sièges entre les communes au sein des conseils communautaires selon une règle de calcul présentée comme plus simple...

M. Pierre-Yves Collombat. - Il faut simplement savoir ce qu'un logarithme !

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis défavorable, la commission ayant fait un autre choix.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je ne comprends pas. Nous poursuivons le même objectif, celui d'améliorer la représentation des petites et moyennes collectivités. La méthode que je propose est plus facile à saisir que celle, incompréhensible, de la commission. Elle est analogue, mais en sens inverse, à celle du calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et du potentiel financier agrégé (PFIA) : un coefficient logarithmique décroissant variant de 4, pour les plus petites communes, à 1 pour les plus grandes est appliqué à la population réelle de chaque commune. C'est plus clair, et peut-être plus juste. Cette méthode est utilisée dans d'autres pays, sans que personne trouve à y redire.

M. Philippe Bas, président. - C'est en effet une méthode très intelligente, qui, par surcroît, lisse les variations. Le problème est qu'elle accroîtrait considérablement les écarts de représentativité entre les délégués...

M. Yves Détraigne. - Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. La notion de logarithme n'est pas parlante pour la population.

M. Pierre-Yves Collombat. - Mais c'est d'une simplicité évangélique ! L'argument ne tient pas.

M. Philippe Bas, président. - C'est sans doute le problème des choses trop intelligentes...

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  15, de même qu'à l'amendement n°  2.

Article 1er bis

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements identiques de suppression nos  3 et 16. L'amendement n° 16 de M. Collombat est de cohérence avec son précédent amendement sur l'article 1er.

M. Pierre-Yves Collombat. - Puisque mon amendement n° 15 réglait le problème de l'écart de représentation, les aménagements prévus par cet article n'auraient pas eu de raison d'être s'il avait été adopté.

M. Philippe Bas, président. - En effet. Avec votre système, que nous avons rejeté pour les effets qu'il produisait et non pour sa logique propre, plus besoin d'accords locaux.

La commission émet un avis défavorable aux amendements de suppression nos  3 et 16.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n°  19 du Gouvernement, qui est contraire à la position de la commission.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  19.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis défavorable également à l'amendement n°  20, pour les mêmes raisons.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  20.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n°  4.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  4.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n°  21 du Gouvernement, qui repousse la date limite de délibération sur un accord local afin de tenir compte du délai qui peut encore s'écouler avant l'adoption éventuelle de la proposition de loi.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n°  21.

Article 2

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression n°  5.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  5.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - L'amendement no  17 rectifié impose, dans tout EPCI à fiscalité propre, la création d'une conférence des maires qui se réunirait au moins deux fois par an pour débattre de tout sujet d'intérêt intercommunal. Une instance similaire, la conférence métropolitaine, existe déjà dans les métropoles ; de plus, beaucoup de communautés de communes ou d'agglomération, ainsi que des communautés urbaines, ont déjà pris une telle initiative.

Faut-il en faire une obligation ? Nous avons toujours jugé préférable de nous en remettre à l'initiative locale. Cependant, un vrai problème se pose depuis la loi NOTRe et la refonte de la carte intercommunale qui s'est ensuivie. Un grand nombre de compétences communales ont été transférées au niveau intercommunal, et beaucoup de maires se plaignent de ne plus être entendus au sein de leur EPCI.

C'est pourquoi je recommande de donner un avis favorable à l'amendement, sous réserve d'une rectification. Il serait inutile, en effet, de créer une conférence des maires là où tous les maires font déjà partie du bureau de l'EPCI, comme le permet l'article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales.

Mme Nathalie Delattre. - Je vous remercie d'accueillir favorablement cet amendement issu du rapport d'information de Mathieu Darnaud sur la démocratie de proximité. Nous procèderons à la rectification demandée.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n°  17 rectifié, sous réserve de rectification.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements nos  6, 8, 10, 7 et 9, contraires à la position de la commission.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  6, 8, 10, 7 et 9.

Article additionnel après l'article 2

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - L'amendement n°  14 a pour objet de donner la possibilité à une commune, à un EPCI ou à un syndicat mixte de demander au préfet d'élaborer une évaluation des conséquences juridiques et financières du retrait d'une commune d'un EPCI ou d'un syndicat mixte et du rattachement d'une commune à un EPCI ou à un syndicat mixte.

Bien que l'intention soit louable, l'amendement n'a manifestement pas de lien avec le texte en discussion. Je vous propose donc de le déclarer irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Philippe Bas, président. - Quels que soient les mérites de l'amendement...

L'amendement n°  14 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Maryse Carrère, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n°  11 et à l'amendement du Gouvernement n°  22.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  11 et 22.

La commission adopte les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Article 1er
Répartition des sièges de droit commun
au sein des conseils communautaires et métropolitains

Le Gouvernement

18

Défavorable

M. MASSON

1

Défavorable

M. MASSON

12

Irrecevable au titre de l'article 45
de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3,
du Règlement du Sénat

M. MASSON

13

Irrecevable au titre de l'article 45
de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3,
du Règlement du Sénat

M. COLLOMBAT

15

Défavorable

M. MASSON

2

Défavorable

Article 1er bis
Accord local de répartition des sièges

M. MASSON

3

Défavorable

M. COLLOMBAT

16

Défavorable

Le Gouvernement

19

Défavorable

Le Gouvernement

20

Défavorable

M. MASSON

4

Défavorable

Le Gouvernement

21

Favorable

Article 2
Information des conseillers municipaux sur les affaires intercommunales

M. MASSON

5

Défavorable

M. MÉZARD

17 rect.

Favorable si rectifié

M. MASSON

6

Défavorable

M. MASSON

8

Défavorable

M. MASSON

10

Défavorable

M. MASSON

7

Défavorable

M. MASSON

9

Défavorable

Article additionnel après l'article 2

M. POINTEREAU

14

Irrecevable au titre de l'article 45
de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3,
du Règlement du Sénat

Intitulé de la proposition de loi

M. MASSON

11

Défavorable

Le Gouvernement

22

Défavorable

La réunion est close à 10 h 35.