Simplifier la sortie de l'indivision successorale
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale, à la demande du groupe UC.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ce texte concerne les familles françaises et toutes nos communes. Élus locaux, nous connaissons les situations dramatiques d'un urbanisme délaissé : une maison aux volets clos en centre-bourg, un terrain en friche qui gèle un projet d'urbanisme, des fratries qui se déchirent parfois pendant des décennies.
L'indivision successorale, quand elle se grippe, paralyse le patrimoine, nourrit des rancoeurs, entrave l'action publique et crée de l'insécurité. Elle fait le lit du moche du non-développement économique.
Les députés Louise Morel et Nicolas Turquois ont porté la voix d'élus locaux exaspérés par la vacance immobilière et de familles épuisées par les procédures. Je salue leur travail de défricheurs.
Une bonne intuition politique appelle une expertise juridique exigeante, que la Chancellerie s'est engagée à conduire. Je salue également le travail remarquable de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur Jean-Baptiste Blanc, grâce à son expertise d'élu local.
Le texte issu de l'Assemblée nationale comportait des fragilités techniques, d'où le choix de l'expérimentation. Votre commission a su écarter les fausses bonnes idées qui auraient fragilisé le droit de propriété. Monsieur le rapporteur, vous avez fait oeuvre de législateur, en transformant des intentions louables en dispositif législatif.
Nous nous inspirons de ce qui fonctionne : le modèle d'Alsace-Moselle, où le partage judiciaire est plus rapide et plus fluide. Le juge et le notaire y coopèrent, immédiatement. D'où l'idée de l'étendre à l'ensemble du territoire national.
Mais pourquoi n'avoir pas transposé le droit local, tout simplement ? Parce que l'organisation judiciaire d'Alsace-Moselle est spécifique, avec un statut particulier du notariat, non transposable tel quel au reste de la France, où le notaire est un officier public libéral et non un rouage organique du tribunal. Une transposition pure aurait donc été inconstitutionnelle et juridiquement inopérante. La Chancellerie a donc préparé une réforme réglementaire, qui s'articule avec le présent texte.
L'article 4 ne prévoit plus une simple expérimentation locale, mais une réforme systémique, avec une nouvelle procédure de partage judiciaire inspirée du modèle alsacien-mosellan, autour de trois axes.
Premièrement, la fin du séquençage inefficace. Alors qu'on attend trop souvent l'échec du notaire pour saisir le juge, demain le binôme juge-notaire sera désigné dès le début de la procédure.
Deuxièmement, un pilotage actif par le juge. Celui-ci tranchera les difficultés au fil de l'eau, sans attendre la fin du processus pour constater un blocage. Ce sont des années de gagnées !
Troisièmement, le traitement de l'inertie. Alors que nombre de dossiers sont bloqués parce qu'un héritier « fait le mort », le silence ne vaudra plus blocage et le système complexe du mandataire ad hoc sera supprimé. La représentation par avocat sera obligatoire dès le début : si un héritier dûment convoqué refuse de prendre un avocat, la justice ne l'attendra plus. Cette mesure de fermeté civile s'impose, face à ceux qui jouent la montre.
La souplesse du règlement, ancré dans la loi votée par le Parlement, voilà notre méthode. Cette réponse pragmatique respecte nos traditions juridiques, en les modernisant, et le droit de propriété. Nous devons savoir trancher des litiges plus rapidement, en travaillant avec des professions reconnues pour leur sérieux comme les notaires.
Ainsi nos communes retrouveront le beau et pourront se développer. Chacun doit pouvoir vivre de sa propriété, de son héritage, sans embêter ses voisins. Comme maire de Tourcoing, j'ai trop vu d'indivisions bloquer des projets de plusieurs dizaines de millions d'euros. Surtout, je l'ai vu en outre-mer - et que dire de la Corse !
Je vous invite donc à adopter ce texte, enrichi par la commission, qui modernise cette justice essentielle dont on parle trop peu : la justice civile. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE, ainsi que sur celles des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la commission des lois . - Ce texte repose sur un constat unanimement partagé : le droit de l'indivision, et en particulier le partage judiciaire, se caractérise par une grande complexité qui freine le partage des biens.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale mobilisait des leviers variés afin de faciliter la sortie de l'indivision. La commission partage pleinement l'objectif.
Toutefois, plutôt que d'introduire des modifications ponctuelles et disparates du droit de l'indivision ou de recourir à une expérimentation aux effets incertains, la commission a préféré une réforme de fond du partage judiciaire, à l'issue d'échanges approfondis avec le ministère.
Plusieurs dispositifs du texte initial visaient en effet à contourner la procédure du partage judiciaire, jugée insatisfaisante ou insuffisamment comprise, notamment à travers les articles 2 et 3. Cette approche soulevait plusieurs difficultés.
D'une part, elle méconnaissait la spécificité du droit de l'indivision, issu de la loi du 31 décembre 1976 inspirée par le doyen Carbonnier. L'indivision repose sur la cotitularité d'un droit abstrait sur un bien ; or on ne peut disposer du bien d'autrui sans son consentement. C'est ce qui justifie historiquement la règle de l'unanimité et les seuils de majorité applicables, garants de l'égalité entre indivisaires.
D'autre part, le droit de l'indivision constitue un bloc : toute modification produit des effets au-delà des seules indivisions successorales - sur les indivisions entre époux, concubins ou sur des fonds de commerce, etc. Ne bouleversons pas les équilibres du droit positif, alors même que le partage judiciaire demeure la voie normale de sortie de l'indivision en cas de désaccord, garantissant à chaque indivisaire l'accès à un juge impartial. Voilà pourquoi la commission des lois a profondément modifié le texte.
Par ailleurs, la proposition de loi comporte plusieurs dispositifs utiles pour fluidifier la gestion des indivisions et des successions vacantes.
À l'article 1er, nous avons substitué à la base de données initialement prévue un dispositif proposé par Mme Dominique Vérien, améliorant l'information des communes et des EPCI sur les biens sans maître.
L'article 1er bis facilite l'action de l'administration du domaine lorsqu'elle est désignée curatrice d'une succession vacante, en autorisant la publicité par voie numérique, en complément de la presse.
L'article 1er ter assouplit la règle imposant de vendre les biens meubles avant les biens immeubles : sous le contrôle du juge, le curateur pourra décider de l'ordre de vente.
L'article 2 consacre une solution jurisprudentielle permettant au juge d'autoriser un indivisaire à vendre seul un bien indivis en cas d'urgence et d'intérêt commun.
L'article 3 maintient les seuils de majorité pour la saisine du juge, afin de ne pas désinciter le recours au partage judiciaire, tout en consolidant la procédure dérogatoire applicable en Corse pour en favoriser l'appropriation locale.
La commission a ainsi fait évoluer le texte de manière constructive. Elle partage les objectifs des auteurs de la proposition de loi, mais estime que la rédaction proposée permettra de les atteindre de façon plus efficace. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
La séance est suspendue à 13 h 05.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 35.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Trois millions de logements vacants, quatre millions de personnes mal logées, 350 000 personnes sans domicile : derrière, une réalité en apparence marginale, les indivisions successorales enlisées pendant des décennies, parfois un siècle en Corse ou dans les outre-mer. Des biens qui se dégradent, des projets d'urbanisme reportés, des héritiers prisonniers d'indivisions dont ils ne peuvent s'extraire.
S'attaquer au problème suppose de concilier deux impératifs : la protection du droit de propriété, pilier du contrat social, et la mobilisation du foncier nécessaire aux politiques d'aménagement et de revitalisation.
L'assouplissement de la gestion des successions vacantes apporte une réelle avancée. La direction nationale d'interventions domaniales (DNID) ne sera plus contrainte de vendre les biens meubles avant les immeubles, ce qui préservera la valeur du patrimoine et limitera les pertes pour les héritiers ou pour l'État. Le texte codifie la jurisprudence dite du quai de l'Horloge, en permettant à toute personne concernée de demander au juge la vente d'un bien en cas d'urgence. Il préserve l'égalité de traitement entre co-indivisaires.
Nous regrettons néanmoins sa portée limitée. S'agissant du seuil des deux tiers des droits indivis pour vendre un bien, nous entendons le risque d'atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le droit actuel prévoit toutefois des garanties importantes. Ce seuil doit être équilibré, à l'instar de ce qui se fait en outre-mer depuis la loi Letchimy.
Nous aurions aimé plus de garanties sociales : notifications renforcées des héritiers vulnérables, délai raisonnable de réponse, priorité aux bailleurs sociaux en cas de vente. La simplification des procédures ne doit pas aboutir à l'éviction d'héritiers modestes ou à une spéculation accrue.
L'article 4, qui prévoyait l'expérimentation d'une procédure accélérée de partage judiciaire, est supprimé, au motif que la Chancellerie prépare une réforme d'ampleur : nous aimerions en connaître le calendrier et le contenu. Une réforme ambitieuse est nécessaire, nous serons vigilants.
Malgré ces quelques réserves, le groupe socialiste votera ce texte modeste mais utile, qui rendra notre droit des successions plus opérationnel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, INDEP et du GEST ; M. Claude Kern applaudit également.)
Mme Marianne Margaté . - La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame que nous naissons et demeurons libres et égaux en droits. Cela reste à construire, tant nous sommes inégaux dès la naissance, mais aussi devant la mort. Le livre Les Charognards dénonce un quasi-monopole sur les funérailles. À la peine s'ajoutent les soucis financiers et les questions de succession.
Tout le monde n'a pas la chance d'hériter d'un patrimoine. Seuls 13 % des héritiers toucheront plus de 100 000 euros, et 1 %, plus de 4 millions ; 39 % des héritages sont d'un montant inférieur à 8 000 euros. Ce n'est pas pour autant un problème de riche. Il peut y avoir des indivisions successorales sur des biens sans grande valeur.
Ce texte aborde la complexité administrative liée à l'indivision, alors que le nombre de biens immobiliers en succession vacante a augmenté de 58 % en trois ans, soit 8 733 biens immobiliers en 2025.
La proposition de loi issue de l'Assemblée nationale a été fortement restreinte en commission. Malgré quelques avancées ponctuelles, comme la saisine facilitée du juge pour des actes de gestion ou de vente, son ambition a été largement réduite. Les dispositions visant les indivisions les plus dégradées, les biens à l'abandon et les successions durablement bloquées ont été supprimées, or ce sont ces situations qui alimentent la hausse des successions vacantes, donc la vacance.
En espérant qu'il constituera néanmoins un petit levier face à l'immense crise du logement, mon groupe votera ce texte.
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Lors de successions, des situations de blocage peuvent apparaître en cas de désaccords entre héritiers. Des procédures à rallonge maintiennent ces biens hors du marché immobilier et contribuent ainsi en partie à la crise du logement. On recense plus de 1,3 million de logements structurellement vacants, c'est-à-dire inoccupés depuis plus de deux ans, soit 4 % du parc privé. Selon la DNID, 22 % de ces logements indisponibles, parfois depuis vingt à quarante ans, seraient des biens en indivision successorale ou en succession vacante.
Nous voterons ce texte qui facilite le règlement des contentieux liés à la succession, car nous avons besoin de fluidifier le marché immobilier pour faire baisser les prix. Néanmoins sa portée sera relative.
Tout d'abord, la portée du texte a été fortement réduite en commission. Ensuite, le texte ne concerne que 20 % de logements inutilisés. Enfin, il ne s'attaque pas au problème du mal-logement. Pour cela, il faut lutter contre la spéculation immobilière, contre la flambée des loyers, les abus des plateformes du type Airbnb, soutenir l'accession à la propriété, mener une politique de rénovation et de réhabilitation.
Il nous faut répondre aux 2,7 millions de ménages en attente de logement social et plus largement, donner aux gens les moyens de bien se loger, sachant que les Français consacrent en moyenne 27 % de leurs revenus au logement, et 40 % en dessous du seuil de pauvreté. Il nous faut faire de l'accès au logement un droit, à rebours des choix politiques comme la loi Kasbarian qui accélère les expulsions.
Nous voterons ce texte qui apporte une solution à une partie du problème. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Dominique Vérien et M. Claude Kern applaudissent également.)
M. Henri Cabanel . - (Mme Dominique Vérien applaudit.) Je remplace au pied levé M. Masset. L'indivision successorale est un sujet discret du droit civil, mais ses effets sont tout sauf abstraits. Derrière, il y a des maisons qui se dégradent, des familles enfermées dans des successions inextricables, des retards et annulations de projets locaux, de la vacance, des élus locaux démunis face à des biens à l'abandon.
Certaines indivisions, loin d'être transitoires, deviennent des situations figées. Toute évolution doit préserver l'équilibre entre le droit de ne pas demeurer dans l'indivision et celui de ne pas être contraint à céder sa propriété.
Le texte de l'Assemblée nationale exigeait un travail de clarification. Merci au rapporteur de l'avoir conduit. Je salue les avancées concrètes retenues, comme la modernisation de la publicité des actes liés aux successions vacantes, ou l'assouplissement des règles de gestion par la DNID.
À l'inverse, la commission a écarté certains dispositifs, comme l'abaissement généralisé des seuils de majorité pour la vente judiciaire des biens indivis ou l'expérimentation d'un partage judiciaire accéléré. Une telle réforme appelle une approche globale.
Nous voterons le texte, mais il ne saurait à lui seul apporter une réponse structurelle à la crise du logement.
L'expérience des outre-mer montre que des mécanismes dérogatoires ciblés produisent des effets utiles. Cela pourrait nourrir une réflexion plus large sur l'évolution du droit commun, dans le respect des équilibres du droit de la propriété.
Le texte issu des travaux de la commission apporte des outils ciblés, améliore l'existant tout en préservant les principes fondamentaux. C'est dans cet esprit de responsabilité et de mesure que le RDSE le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Qui n'a pas connu de problème de succession bloquée ou de maison abandonnée ? Cette proposition de loi visait à apporter des réponses concrètes à ces situations de blocage et à redonner de la fluidité à des situations humaines et patrimoniales figées.
Ce sujet, qui touche au coeur du droit civil, repose sur un équilibre exigeant : permettre à chacun de sortir de l'indivision tout en respectant le droit de propriété. La loi du 23 juin 2006 a assoupli l'indivision pour faciliter la gestion des biens, mais cela n'a pas suffi à résorber les situations de blocages. Héritiers introuvables, conflits familiaux anciens, procédures coûteuses et longues ; ces difficultés se conjuguent avec l'augmentation du nombre de successions vacantes liée aux évolutions démographiques et sociales.
Cette proposition de loi prévoyait initialement une expérimentation sur le modèle du droit alsacien-mosellan.
M. Claude Kern. - Très bien !
Mme Dominique Vérien. - Je salue le travail du rapporteur Jean-Baptiste Blanc, des députés Louise Morel et Nicolas Turquois, et la participation active de la Chancellerie à la discussion parlementaire. Les ajustements opérés renforcent la solidité du texte. La commission s'est appuyée sur des mécanismes ancrés dans le droit commun afin de garantir la proportionnalité des mesures et leur sécurité juridique. Les moyens d'action de l'administration du domaine en matière de successions vacantes ont été confortés par une modernisation des modalités de publicité, dans un souci de transparence. La gestion des biens gagne également en souplesse, sous le contrôle du juge.
Pour la vente des biens indivis, le choix a été fait de s'inscrire dans le cadre du droit commun, en confortant le rôle du juge. Pour les situations de désordre foncier, notamment en Corse, les procédures existantes seront clarifiées grâce à un amendement de Jean-Jacques Panunzi.
Fort d'un travail de concertation avec notaires et avocats, le Gouvernement proposera, par amendement, de généraliser des mesures qui devaient initialement n'être qu'expérimentales.
Nous attendons que la Chancellerie agisse par la voie réglementaire pour une entrée en vigueur rapide. Issu d'un travail partenarial, ce texte apporte une réponse concrète à un sujet réel. Le groupe UC vous invite à l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du GEST ; M. Jean-Baptiste Blanc applaudit également.)
M. Louis Vogel . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le secteur du logement souffre d'un déficit de construction qui s'aggrave. À cela s'ajoute la recomposition des familles. Résultat, le nombre de logements disponibles ne correspond plus aux besoins.
Cette proposition de loi ne résoudra pas la crise du logement, mais aidera à sortir de certaines situations difficiles. L'article 815 du code civil dispose que nul ne peut être contraint de demeurer dans l'indivision. Économiquement peu efficace, l'indivision successorale n'a pas vocation à durer ; comme le souligne le doyen Carbonnier, c'est « un passage temporaire vers la division et la propriété individuelle ».
Toutefois, il existe des situations compliquées, par exemple quand un héritier n'est pas identifié, ou quand un indivisaire ne veut pas sortir de l'indivision. L'impasse naît de l'opposition entre le droit inviolable de propriété et la liberté reconnue de sortie de l'indivision.
Le juge pourra décider plus facilement, au bénéfice de l'intérêt général. Le texte, utilement réécrit par le rapporteur, résoudra des situations de blocage précises, comme les successions vacantes. Dans certains cas spécifiques, un indivisaire pourra conclure seul un acte de vente d'un bien indivis, lorsque l'urgence ou l'intérêt commun le justifient. La procédure dérogatoire applicable en Corse sera mise à jour.
Autant de raisons d'adopter ce texte, même s'il ne résout pas toutes les questions. Il faudra sans doute y revenir à brève échéance. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Catherine Di Folco . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) En 2024, près de 7 800 biens immobiliers étaient encore administrés par l'État au titre de successions vacantes. Derrière, des logements fermés, des immeubles qui se dégradent, des territoires pénalisés. En voulant protéger chacun, on finit par ne protéger personne et par nourrir l'immobilisme.
Toute réforme du droit de l'indivision doit rechercher un équilibre entre efficacité et respect du droit de propriété. À ce titre, la position du rapporteur est la bonne : simplifier sans fragiliser, accélérer sans déposséder, adapter sans déséquilibrer l'architecture du droit civil.
La commission a refusé la logique de facilité consistant à abaisser indistinctement les seuils de majorité ou à multiplier les dérogations.
Perte de valeur patrimoniale, impossibilité d'aménagement local, charges supportées par la collectivité : le statu quo n'est pas neutre et porte atteinte tant aux droits des indivisaires qu'à l'intérêt général.
La commission a revu les règles de gestion patrimoniale pour permettre au curateur de préserver la valeur des biens et d'apurer les dettes, sous le contrôle du juge. C'est une réponse concrète aux attentes des territoires et des contribuables.
La création d'une base de données des biens abandonnés n'aurait pas de valeur ajoutée, les procédures visées étant déjà connues. Sa suppression traduit un souci de cohérence normative et de bonne utilisation des deniers publics.
Le droit de l'indivision irrigue le droit des affaires et des sociétés. L'abaissement général du seuil des deux tiers pour la vente des biens indivis aurait produit des effets systémiques imprévisibles.
Des régimes spécifiques existent pour certains territoires confrontés à des situations foncières exceptionnelles - nous soutenons à ce titre l'actualisation du dispositif applicable en Corse.
La commission n'a pas manqué d'audace. En matière de droit de propriété, l'audace mal maîtrisée se transforme vite en fragilité juridique. Toute atteinte excessive exposerait à un risque constitutionnel et créerait une insécurité durable pour les indivisaires. Le droit des successions exige stabilité et prévisibilité. Le Sénat doit, comme de coutume, privilégier la réforme durable au service des familles, des territoires et de la crédibilité de la loi, plutôt que l'affichage politique.
L'accélération du partage judiciaire exige une réforme globale, sur la base des travaux engagés par la Chancellerie.
Nous suivrons la position du rapporteur, dont je salue la rigueur, et voterons ce texte modifié en commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Depuis 1990, le nombre de logements vacants a augmenté de près de 60 %, alors que quatre millions de nos concitoyens sont mal logés. Parmi les causes de cette vacance durable, il y a les indivisions successorales bloquées, souvent sous-estimées, dont certaines s'éternisent pendant des années, voire des décennies. C'est une perte de foncier et un fardeau pour les maires, démunis face à des biens sans propriétaires identifiés.
Pour l'élu ultramarin que je suis, ce constat n'est pas nouveau. Dès 2016, notre délégation aux outre-mer qualifiait l'indivision de « fléau endémique ». Notre diagnostic a conduit à l'adoption de la loi Letchimy - dont il serait utile de faire un bilan. Le rapport d'information de juin 2023 sur le foncier agricole outre-mer que j'ai signé avec Vivette Lopez faisait apparaître que les notaires ne s'étaient pas pleinement saisis des outils.
Nos spécificités justifient la recherche de solutions efficaces - toujours dans le respect du droit de propriété. C'est dans cet esprit que j'ai abordé cette proposition de loi. Je salue l'excellent travail du rapporteur. La mesure centrale visant à abaisser les seuils de décision en indivision a été supprimée car elle portrait une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Cette sécurisation était nécessaire. Reste qu'outre-mer, une telle mesure aurait pu constituer une réponse utile.
Je comprends la suppression de la base de données prévue à l'article 1er, même si les maires étaient demandeurs d'un outil permettant d'identifier la situation juridique des biens dégradés. Le besoin demeure.
Nous voterons ce texte, qui constitue une étape utile. Il faudra cependant agir pour éviter que la situation que nous connaissons outre-mer ne gagne pas tout le territoire. L'amendement du Gouvernement est une première étape vers la réforme bienvenue du partage judiciaire en matière successorale. (M. Claude Kern applaudit.)
Discussion des articles
Avant l'article 1er (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié quater de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Le maire de Châtel-Censoir, dans l'Yonne, a sur son territoire une propriété dégradée. Il consulte le cadastre et constate que le dernier propriétaire connu est né en 1870. On pressent qu'il est décédé... (Sourires) Le maire demande à l'administration fiscale si quelqu'un paye encore des impôts sur cette propriété : secret fiscal, lui répond-on.
Cet amendement, voté dans la loi Simplification du droit de l'urbanisme mais censuré en tant que cavalier, autorise l'administration fiscale à répondre, de façon cadrée, aux communes concernées par ce type de problèmes.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis favorable. Il faudra assurer le suivi de cette mesure.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°1 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Article 1er (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié de M. Canévet et alii.
M. Michel Canévet. - Nous proposons de réintroduire la base de données à destination des élus, s'agissant notamment des biens sans maître, afin qu'ils aient connaissance des surfaces sans propriétaire et qu'une destination puisse leur être trouvée.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis défavorable. L'amendement précédent est plus efficace.
Ce fichier est très attendu des élus, mais les deux premières procédures ciblées sont déjà connues de la puissance publique et les deux autres ne concernent pas des biens à proprement parler abandonnés. Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis. La création de ce fichier, outre qu'elle relève du pouvoir réglementaire, représenterait une charge et une responsabilité supplémentaires pour les collectivités.
L'amendement n°6 rectifié est retiré.
L'article 1er bis est adopté.
Après l'article 1er bis
Mme la présidente. - Amendement n°18 du Gouvernement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Cet amendement permet aux agents des domaines de donner mandat à des tiers pour la mission de curateur à succession vacante.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°19 de M. Jean-Baptiste Blanc.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - L'amendement du Gouvernement ayant été déposé tardivement, la commission n'a pu l'examiner. Avis favorable à titre personnel, sous réserve de l'adoption de notre sous-amendement, qui rend le dispositif plus direct et moins sujet à interprétation en le recentrant sur la signature des actes de vente.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable au sous-amendement.
Le sous-amendement n°19 est adopté.
L'amendement n°18, sous-amendé, est adopté et devient un article additionnel.
L'article 1er ter est adopté.
L'article 2 est adopté.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié quinquies de M. Panunzi et alii.
Mme Pauline Martin. - M. Panunzi propose de compléter l'article 2 de la loi du 6 mars 2017 visant à faciliter la sortie de l'indivision afin d'encourager les partages familiaux.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis favorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis, mais cela ne réglera pas en profondeur les difficultés successorales en Corse... Nous aurons l'occasion d'en reparler.
L'amendement n°3 rectifié quinquies est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°17 de M. Jean-Baptiste Blanc, au nom de la commission des lois.
L'amendement rédactionnel n°17, accepté par le Gouvernement, est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié bis de Mme Martin et alii.
Mme Pauline Martin. - Nous assouplissons le régime de l'indivision en abaissant le seuil de majorité requis pour la réalisation des actes d'administration et de gestion des deux tiers à la moitié des indivisaires. Les décisions en seront facilitées, par exemple en cas de travaux.
Mme la présidente. - Amendement n°14 rectifié de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Nous proposons également d'abaisser cette majorité, mais seulement à 60 %.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis défavorable. Le droit de l'indivision est fondé sur l'égalité entre indivisaires. En cas de conflit, le recours est possible au partage judiciaire, dont une réforme d'ampleur est prévue. Nul n'est contraint à rester dans l'indivision. Toute la doctrine universitaire fait état des dangers d'un abaissement de seuil - rappelons que le droit de l'indivision prévoyait au départ l'unanimité. J'ajoute que des effets de bord nous ont été signalés, en particulier des risques d'inégalité pour les pacsés et concubins.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Pauline Martin. - Compte tenu de l'engorgement de la justice, j'ai des doutes sur le fait que le recours à une procédure judiciaire règle les problèmes...
Les amendements nos4 rectifié bis et 14 rectifié sont retirés.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié bis de Mme Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - L'article 2 a été réécrit en commission des lois afin de s'aligner sur une jurisprudence de la Cour de cassation autorisant la vente par un seul indivisaire lorsque l'urgence et l'intérêt commun le commandent. Nous proposons d'instaurer une présomption d'accord afin de limiter les risques d'abus de minorité. Le droit d'opposition serait subordonné à la détention d'au moins 10 % de l'indivision, par analogie avec le droit boursier.
Cet amendement prévoit une présomption d'accord en faveur de l'aliénation de manifestation des indivisaires minoritaires et de limiter les risques d'abus de minorité, en conditionnant le droit d'opposition à la détention d'un pourcentage minimum de l'indivision.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis défavorable. Il me semble périlleux de mêler droit des sociétés et droit de l'indivision.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis défavorable.
Ce n'est pas la justice qui bloque, madame Martin, le juge arrive bien trop tard dans les indivisions successorales. C'est d'ailleurs tout l'enjeu du travail mené par les auteurs du texte et le rapporteur.
Il faut que le juge intervienne dès le début du processus. D'où l'article 4, qui s'inspire du droit local mosellan et alsacien, lequel prévoit le couple juge-notaire dès le début.
Mme de La Gontrie disait qu'en outre-mer certaines successions duraient parfois cent ans. À Pointe-à-Pitre, l'autre jour, une succession de 162 ans a été soldée !
Je ne suis pas responsable des 162 ans, sauf aux yeux de Mme de La Gontrie, peut-être... (Sourires)
Les notaires ne sont pas assez accompagnés, il est parfois difficile de retrouver des héritiers.
La justice a certes de graves lenteurs, mais en l'occurrence ce n'est pas le problème.
M. Francis Szpiner. - Le rapporteur a raison. Le droit de propriété est reconnu par la Constitution. Revenir sur ce droit en l'assimilant au droit foncier ou au droit commercial n'est pas acceptable.
Je rejoins l'avis du rapporteur.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Nous faisons preuve de sagesse en retirant l'amendement.
L'amendement n°2 rectifié bis est retiré.
L'article 3, modifié, est adopté.
Après l'article 3
Mme la présidente. - Amendement n°8 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Défendu.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
M. Victorin Lurel. - Quels sont les motifs de l'avis défavorable ?
Le ministre a évoqué les désordres fonciers dans les outre-mer. Des mesures ont été prises à Mayotte, comme en Corse. Mais des problèmes demeurent en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - La durée de dix ans prévue par l'amendement paraît disproportionnée.
L'amendement n°8 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°9 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Défendu.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Cet amendement est satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - La loi Letchimy n'a pas résolu le désordre foncier. L'amendement n°9 reprend quasi intégralement son article 2. Avis défavorable.
M. Victorin Lurel. - Je comprends les avis donnés. S'il est satisfait, je retire l'amendement.
L'amendement n°9 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°11 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Il s'agit du mécanisme de cantonnement. Lorsqu'on ne peut pas faire de partage, il doit être clair qu'il ne s'agit pas d'une libéralité, car la fiscalité est différente.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Satisfait : la loi Letchimy n'empêche pas l'application de ces dispositions.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Satisfait, en effet. Au demeurant, vous étendez la loi Letchimy à tout le territoire national. Retrait.
L'amendement n°11 est retiré.
Article 4 (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°16 rectifié du Gouvernement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Il s'agit de préfigurer la réforme du partage judiciaire.
Mme la présidente. - Amendement n°5 rectifié ter de Mme Schalck et alii.
Mme Catherine Di Folco. - Mme Schalck a déposé son amendement avant celui du Gouvernement. Il s'agit d'étendre à titre expérimental le régime alsacien-mosellan aux collectivités volontaires.
Mme la présidente. - Amendement identique n°15 rectifié quater
M. Claude Kern. - Le régime local de partage judiciaire repose sur une procédure gracieuse, largement confiée aux notaires. Elle permet de raccourcir les délais, de réduire les contentieux et de faciliter la mobilisation du foncier.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement du Gouvernement, qui facilitera la procédure. Avis défavorable aux amendements identiques. Certes, l'expérience d'Alsace-Moselle est fort intéressante, mais la réforme du garde des sceaux ne l'est pas moins ! (M. Gérald Darmanin sourit.)
Les amendements identiques nos5 rectifié ter et 15 rectifié ter sont retirés.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Merci à Mme Di Folco et à M. Kern d'avoir retiré leurs amendements, qui visent le même but que la réforme que j'ai engagée.
M. Michel Canévet. - Ces sujets sont importants, notamment l'article 4. Je m'étonne qu'il ait fallu attendre quatre ans après les constats de l'inspection générale de la justice pour prendre les mesures nécessaires - ce qui n'est pas une critique contre vous, monsieur le garde des sceaux, qui êtes en fonction depuis peu. Nous devons urgemment trouver des solutions pour désengorger la justice, et nous savons que vous vous y employez.
L'amendement n°16 rectifié est adopté et l'article 4 est rétabli.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.