EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 25 JUIN 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons le rapport de Stéphane Le Rudulier sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme. Je remercie notre rapporteur pour la célérité de son travail : notre commission a été saisie tardivement et il n'a eu que quelques jours pour étudier ce texte.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - La proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme, déposée par Loïc Kervran, a été adoptée par les députés le 3 avril dernier. Elle vise principalement à corriger ce qui apparaît aujourd'hui comme des effets indésirables de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Cette dernière a créé un dispositif d'aménagement des peines d'emprisonnement ferme, communément appelé « bloc peine », qui tend à limiter l'incarcération en interdisant les peines de prison ferme de moins d'un mois, en prévoyant que les peines dont la durée est comprise entre un et six mois s'exécutent, par principe, en dehors de la prison, et en aménageant systématiquement les peines de prison de six mois à un an.

Or, on ne peut que constater que cette loi a eu des effets contraires à l'intention du législateur.

Tout d'abord, la surpopulation carcérale n'a cessé de croître. On comptait en effet, au 1er mai 2025, plus de 83 000 détenus, pour environ 62 500 places et plus de 5 200 matelas au sol, soit une augmentation de presque 8 % en un an. Cette situation s'explique par le fait que les juges ont prononcé des peines de prison plus élevées pour garantir l'incarcération : entre 2019 et 2024, le nombre de peines d'emprisonnement d'une durée comprise entre six mois et un an a augmenté de 51 %, tandis que le nombre des peines d'emprisonnement courtes, d'une durée comprise entre un et six mois, baissait sur la même période de 22 %.

En outre, les peines de prison ferme n'ont pas été exécutées dans de bonnes conditions, notamment en raison de la surpopulation carcérale, laquelle atteint des niveaux inédits, mais aussi en raison des aménagements de peine dits ab initio, décidés dès le prononcé de la sentence par le tribunal correctionnel. La loi du 23 mars 2019 et certains arrêts de la Cour de cassation ont rendu de tels aménagements presque obligatoires en pratique, alors même que les juges du fond n'ont pas forcément les éléments requis pour décider des modalités d'exécution de la peine, faute de connaître avec suffisamment de précision la situation personnelle, professionnelle et matérielle du condamné.

Cette situation ne permet pas une bonne individualisation des peines. L'objectif de prévention de la récidive ne peut pas non plus être atteint, car un nombre important d'aménagements de peine prennent la forme d'une détention à domicile sous surveillance électronique : ce procédé représente aujourd'hui 81 % des aménagements, alors même qu'il n'est pas adapté à tous les profils de délinquants. On ne peut, plus largement, que déplorer l'absence de suivi qualitatif des condamnés.

La proposition de loi vise à inverser la logique en privilégiant l'incarcération face à l'aménagement des peines et en supprimant le recours à la libération sous contrainte de plein droit, lequel permet une libération quasi automatique des détenus trois mois avant la fin de leur peine : c'est une forme de régulation carcérale qui ne dit pas son nom.

Je partage le constat formulé par les auteurs de la proposition de loi ainsi que les objectifs qu'ils poursuivent. Il est préjudiciable à la qualité de la justice et à sa lisibilité pour les justiciables, mais aussi, plus largement, pour les citoyens, que plus de 40 % des peines d'emprisonnement ferme soient aménagées avant toute incarcération ; je rappelle, à ce titre, que le nombre des peines aménagées dès l'audience par le tribunal correctionnel a été multiplié par dix depuis 2019.

Le temps dont j'ai disposé pour examiner cette proposition de loi était particulièrement court et je ne saurais prétendre être en capacité de vous proposer un texte parfait. Cette situation est d'autant plus regrettable qu'il y aura une deuxième lecture, dans un calendrier incertain. La discussion en commission est donc la première étape d'un travail qui doit se prolonger d'ici à la séance.

Il faut éviter que ce texte ne soit le miroir de celui de 2019, c'est-à-dire que soit il produise des effets de bord inverses à l'intention du législateur, soit il ne devienne un facteur supplémentaire d'aggravation de la surpopulation carcérale.

Mes amendements visent à corriger les éléments du texte qui pourraient être contre-productifs, tout en posant des jalons pour la suite de la discussion. Chaque peine doit être individualisée. Tout aménagement doit être justifié. Il faut tenir compte des faits commis, de la personnalité de l'auteur, de ses antécédents judiciaires, de son parcours de vie.

L'article 1er supprime l'interdiction faite au tribunal correctionnel de prononcer une peine d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois. C'est le fameux « choc carcéral » souhaité par les auteurs du texte.

Il met fin au principe selon lequel l'emprisonnement ferme ne peut être prononcé qu'en « dernier recours ». Il remplace l'aménagement des peines d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à un an par une faculté laissée au juge d'aménager les peines d'une durée inférieure ou égale à deux ans.

Cet article inverse la logique de motivation des décisions sur les peines en prévoyant que la juridiction de jugement devra se prononcer par une motivation spéciale lorsqu'elle décide d'aménager la peine d'emprisonnement.

L'article 2 porte sur les motifs permettant d'aménager une peine de prison ferme. Il rétablit des dispositions identiques à celles qui étaient en application avant l'entrée en vigueur de la loi de programmation précitée de 2019. L'aménagement serait ainsi possible dès lors que le condamné justifie de son insertion professionnelle, de sa « participation essentielle » à la vie de sa famille, de la nécessité de suivre un traitement médical, ou d'« efforts sérieux de réadaptation sociale résultant de son implication durable dans tout autre projet caractérisé d'insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive ».

L'article 3 procède à diverses coordinations. Il modifie par ailleurs les règles relatives à la motivation spéciale des décisions : celle-ci deviendrait facultative pour les décisions tendant au placement en détention du condamné - mandat de dépôt immédiat ou à effet différé - et serait supprimée pour les décisions tendant à prononcer une peine de prison d'une durée supérieure à un an, sans sursis.

L'article 4 étend la possibilité de recours au fractionnement des peines, en alignant le régime applicable aux récidivistes sur le droit commun. En d'autres termes, le fractionnement serait à l'avenir possible pour les personnes en état de récidive légale condamnées à une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou inférieure à deux ans, contre un an aujourd'hui.

L'article 5 est principalement un article de coordination. Toutefois, il supprime la libération sous contrainte de plein droit, c'est-à-dire le mécanisme qui permet la remise en liberté du condamné « exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté d'une durée totale inférieure ou égale à deux ans » lorsqu'il reste un « reliquat de peine à exécuter qui est inférieur ou égal à trois mois ». Le régime actuel équivaut à accorder des aménagements de peine non préparés, qui peuvent être assimilés à des sorties sèches, sans anticipation ni suivi, ce qui est un dévoiement de la raison d'être de l'aménagement de la peine, lequel doit participer à la réinsertion et à la prévention de la récidive.

L'article 6, inséré en séance publique sur l'initiative du groupe La France insoumise, requiert du Gouvernement la remise au Parlement d'un rapport sur l'impact du texte sur la récidive et la surpopulation carcérale, dans un délai de deux ans à compter de sa promulgation. Je vous proposerai de supprimer cet article.

Si je partage les objectifs visés par les auteurs du texte et par les députés, je vous propose - comme je l'ai indiqué à titre liminaire - d'adopter plusieurs amendements pour privilégier l'incarcération des condamnés, renforcer l'autonomie des juges et favoriser une meilleure répartition des tâches entre la juridiction compétente au fond et le juge de l'application des peines.

En effet, si nous adoptions le texte sans modification, il est à craindre qu'il ne produise, comme cela a été le cas de la loi de 2019, des effets de bord contraires à l'objectif affiché. Les magistrats pourraient être tentés de prononcer des peines plus douces pour éviter une incarcération devenue presque automatique. Ils pourraient aussi opter pour une peine de substitution à la prison, qui n'offre pas les mêmes garanties de suivi et de contrôle puisque, contrairement à l'aménagement d'une peine ferme, une telle sanction ne permet pas d'incarcérer le condamné en cas de manquement à ses obligations.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter la plupart des dispositions de la proposition de loi, et en particulier celles qui visent à mettre fin à l'aménagement automatique de facto des peines de prison ferme de moins d'un an, celles qui rétablissent la liberté donnée au juge de prononcer des courtes peines, ainsi que celles qui visent à n'autoriser les aménagements de peine qu'en cas de condamnation à moins de deux ans d'emprisonnement. Ces évolutions permettront une plus grande individualisation des peines, et donc une meilleure qualité de la réponse pénale.

En revanche, il me semble essentiel de revenir sur les dispositifs qui seront, à terme, porteurs d'effets pervers et qui ne sont ni des gages de fermeté, ni les reflets d'une approche pragmatique du sujet.

Je vous proposerai ainsi de supprimer l'exigence d'une motivation spéciale, qui crée des risques réels de recours en cassation, pour prévoir une motivation simple, applicable aux peines de prison ferme elles-mêmes comme aux modalités de leur exécution lorsque ces dernières sont décidées ab initio par le tribunal correctionnel. De cette manière, nous redonnerons aux magistrats des marges de manoeuvre pour punir fermement ceux qui ont besoin d'une sanction sévère ou pour prononcer un aménagement de peine lorsque celui-ci est l'option la plus favorable en termes de lutte contre la récidive.

Je souhaite aussi faciliter le renvoi des dossiers au juge de l'application des peines lorsque le juge du fond ne dispose pas des éléments requis pour définir ab initio les modalités d'exécution de la sanction qu'il a prononcée.

Un autre de mes amendements tend à maintenir les dispositions - malencontreusement supprimées par le texte adopté par les députés - permettant le placement en détention, au titre de l'exécution provisoire, des condamnés dont la peine n'a pas été aménagée ab initio, ce qui permet de ménager une forme de « choc carcéral » entre la condamnation et l'intervention du juge de l'application des peines.

Je vous proposerai également de supprimer les dispositions relatives à la réforme du fractionnement des peines, afin d'engager une réflexion de fond sur ce procédé qui semble être tombé en désuétude, comme cela nous a été indiqué durant nos auditions.

Il convient enfin de supprimer l'article 6 qui consiste en une demande de rapport, conformément à la position constante de la commission des lois en la matière.

Mme Agnès Canayer. - Je voterai évidemment ce texte, ainsi que les amendements de notre rapporteur. Il est nécessaire de provoquer un choc carcéral, car nos concitoyens ne comprennent pas toujours certaines décisions judiciaires ni la réponse apportée à certains faits. Néanmoins, la mise en oeuvre de très courtes peines nécessiterait la création de structures carcérales adaptées. Tant que l'on placera tous les détenus dans les mêmes lieux, on aura les effets délétères que l'on observe aujourd'hui.

Plusieurs lois de réforme judiciaire ont été adoptées depuis 2019. Je pense notamment à la loi de 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire ou à la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ). La question des courtes peines est revenue à plusieurs reprises.

Si cette proposition de loi est adoptée, il faudra recruter des juges de l'application des peines. Nous avions déjà prévu des moyens supplémentaires dans la LOPJ. Cela permettra-t-il de mettre en oeuvre cette loi rapidement ? Où en est la réforme de la procédure pénale qui a été annoncée par le garde des sceaux, mais que l'on ne voit pas venir ? On nous a aussi dit que la réforme du travail en prison serait l'alpha et l'oméga pour faciliter la réinsertion des détenus et assurer la continuité entre la prison et le retour à la vie normale. Là encore, qu'en est-il ? Les réformes se succèdent, mais elles ont malheureusement peu d'effets.

Mme Dominique Vérien. - Les délais pour examiner ce texte sont très courts. Le groupe Union Centriste attendait la présentation de notre rapporteur pour définir sa position. On nous avait annoncé que ce texte viserait à rétablir les courtes peines de prison. Mais cela n'est pas tout à fait le cas : il tend en réalité à redonner une marge de liberté au juge.

L'adoption de ce texte est susceptible de s'accompagner de deux types d'effets, l'un qui est peu souhaitable et l'autre qui est positif.

Si les juges décident de prononcer davantage de courtes peines, il faudra ouvrir des centres de détention spécialisés, car si l'on envoie les petits délinquants dans des établissements pénitentiaires qui accueillent des mafieux ou de grands criminels, on risque de les voir être recrutés dans de grands réseaux de délinquance. Il faut donc créer des lieux de détention adaptés et mettre en oeuvre un accompagnement adéquat - quinze jours d'accompagnement, c'est un peu court.

On peut aussi penser que les magistrats, qui devaient auparavant prononcer des peines d'emprisonnement d'une durée d'un an et un jour lorsqu'ils souhaitaient éviter tout aménagement de peine, prononceront désormais des peines moins longues. Cela réduirait la surpopulation carcérale.

Notre rapporteur souhaite supprimer l'article du texte relatif au fractionnement des peines. Aux côtés d'Elsa Schalck et de Laurence Harribey, je suis rapporteure de la mission d'information de notre commission sur l'exécution des peines. Dans ce cadre, nous avons pu interroger les personnes auditionnées sur le système proposé. Le système de semi-liberté est intéressant dès lors que les établissements de détention ne sont pas trop éloignés du lieu où la personne travaille ; toutefois, ces établissements manquent de places. Laurent Somon a, pour sa part, déposé une proposition de loi sur l'effectivité des peines en cas de violences routières. Une personne qui a commis un accident de la route grave sous l'emprise de l'alcool doit être sanctionnée. Doit-elle pour autant perdre son travail et sa vie de famille ? Le régime de semi-liberté semble adapté dans ce cas, afin qu'elle puisse continuer à travailler le jour, tout en passant la nuit et le week-end en prison. Or, si l'on supprime le fractionnement des peines et les quartiers de semi-liberté, cela ne sera plus possible.

Ce texte est complexe. Nous définirons notre position en fonction du débat.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes confrontés à des injonctions contradictoires. Les gens ne comprennent pas très bien comment fonctionne le système de sanction, pourquoi il est si lent, etc. Ils ont spontanément tendance à penser qu'il faut que la sanction soit immédiate et que le placement en détention intervienne sans tarder. Toutefois, il importe de respecter les principes d'individualisation de la peine et de gradation des sanctions. Il faut aussi tenir compte de la surpopulation carcérale.

Nous ne portons pas tous, mes chers collègues, le même regard sur l'efficacité de la prison. Pour certains, celle-ci est l'alpha et l'oméga pour remettre les délinquants dans le droit chemin. D'autres estiment au contraire qu'il faut avoir un regard plus lucide sur ses effets néfastes, car le taux de récidive est de 60 % cinq ans après la sortie de prison. On peut considérer que la prison vise à mettre certaines personnes à l'écart de la société, mais on peut aussi estimer que les personnes incarcérées ne sont pas définitivement perdues pour la société et que la prison doit avoir une utilité sociale. Il faut dans ce cas préparer la réinsertion. C'est l'intérêt des systèmes de semi-liberté, des peines en milieu ouvert, des mesures éducatives, etc.

Malheureusement, cette proposition de loi vise uniquement à rétablir les courtes peines. C'est un peu court !

J'ai consulté le rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2025 de Louis Vogel, qui est du même bord politique que l'auteur de la proposition de loi, sur les crédits de l'administration pénitentiaire. Il souligne que l'on manque de moyens pour développer les mesures en milieu ouvert ou les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip). Par ailleurs, Édouard Philippe a évoqué la réforme tendant à prononcer davantage de courtes peines : il estime qu'elle n'est pas applicable aujourd'hui, pour les raisons que les orateurs précédents ont indiquées. La situation pénitentiaire actuelle ne permet pas de mettre en oeuvre un tel dispositif.

Nous sommes donc partagés sur ce texte. Les amendements de notre rapporteur permettent de corriger certains aspects, mais le principe demeure : il s'agit d'envoyer toutes les personnes condamnées à de courtes peines en prison. Cela renforcera la surpopulation carcérale, alors même que Didier Migaud, alors garde des sceaux, soulignait qu'il faudrait construire une prison par mois pour suivre le rythme actuel des condamnations ! Nous en sommes loin.

Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) définiront leur position en séance en fonction du texte qui sera adopté par la commission. J'indique à mes collègues de droite que les sénateurs de gauche ne sont pas des hippies des années 1960. Nous ne croyons pas que tout le monde est gentil, ni qu'il faut tout excuser au motif que l'on a eu une enfance difficile ! Nous cherchons à concilier efficacité et respect des droits fondamentaux. C'est pourquoi ce texte nous semble problématique.

Mme Patricia Schillinger. - La difficulté de cette proposition de loi réside dans sa mise en oeuvre. L'incarcération des personnes condamnées à de très courtes peines nécessite une réorganisation de l'administration pénitentiaire, alors que l'on manque déjà de locaux, de cellules, etc. Il faut tenir compte de ces difficultés, si l'on veut que l'emprisonnement permette de protéger la société, de lutter contre la récidive et de réinsérer l'individu. L'instauration de courtes peines pourrait aggraver la surpopulation carcérale. Pour légiférer en la matière, nous avons besoin d'une approche globale. Le garde des sceaux présentera une grande réforme à la fin de l'été. Il serait judicieux d'attendre qu'elle soit dévoilée. Dans l'immédiat, les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants s'abstiendront.

Mme Laurence Harribey. - Je suis corapporteure de la mission d'information sur l'exécution des peines. Je regrette que nous examinions ce texte, alors que notre mission n'a pas encore rendu son rapport. Je regrette également que nous n'ayons pas la culture de l'évaluation des politiques publiques. On finit par dire toujours la même chose au fil des discussions. Les textes se succèdent : soit ils sont inapplicables, soit ils sont censurés par le Conseil constitutionnel.

Je rejoins les propos du rapporteur sur un certain nombre de points. En tant que législateur, je m'attache à faire preuve de rigueur scientifique, c'est-à-dire à m'appuyer sur des faits et sur les analyses des professionnels sur le terrain. Il me semble tout aussi essentiel de faire preuve d'honnêteté intellectuelle, ce qui consiste à éviter les discours incantatoires ou idéologiques, et à chercher à apporter des réponses efficaces aux problèmes.

La prison est devenue une école de la récidive. Louis Vogel le montre bien dans son rapport. La surpopulation carcérale s'accroît.

Dans le cadre de la mission d'information, nous réfléchissons beaucoup à la question de l'exécution des courtes peines d'emprisonnement. Les Pays-Bas, cités en exemple par les auteurs du texte comme par notre ministre, ont rétabli de telles peines mais souhaitent aujourd'hui faire marche arrière, car le taux de récidive n'a pas baissé. Tous les professionnels que nous avons auditionnés nous ont indiqué qu'un tel système n'était pas applicable en France actuellement. Pour qu'un choc carcéral soit efficace, il faut créer des établissements pénitentiaires adaptés, augmenter les moyens pour individualiser l'accueil des personnes détenues et les suivre par la suite. Cela pourrait fonctionner dans un monde idéal, mais les conditions de réussite ne sont pas réunies actuellement. L'instauration de très courtes peines me semble donc une fausse bonne idée.

Le caractère automatique de l'aménagement des peines et de la libération sous contrainte dans certains cas n'est pas judicieux non plus. L'expérience montre que ces mesures deviennent un moyen de régulation carcérale, ce qui n'est pas leur objet. De même, les travaux de notre mission m'incitent à plaider pour un encadrement des aménagements de peine prononcés ab initio par le juge de fond. Il conviendrait de prévoir une évaluation pluridisciplinaire lors de l'exécution de la peine, mais cela suppose des moyens supplémentaires.

Les textes se succèdent, mais on manque de vision globale. Ce texte n'aborde pas certains aspects. On aurait pu réfléchir à la création d'une peine de probation autonome, ce qui suppose là encore des moyens. Il est temps que nous comprenions qu'il existe d'autres peines que l'incarcération, à condition que ces peines ne servent pas à faire de la régulation carcérale et qu'elles aient un sens.

Tous les professionnels nous disent que si la prison est une école de la récidive, c'est parce que nous n'avons pas les moyens de différencier l'accueil des détenus en fonction de leur dangerosité ou de la nature des délits ou des crimes commis. Un délinquant de la route peut être incarcéré en détention provisoire avec des trafiquants de drogue, et cela peut l'entraîner dans un engrenage, dans un contexte où la précarité se développe, ce qui est propice à l'essor de la délinquance.

Nous n'avons donc pas de position arrêtée sur ce texte. La réflexion mérite d'être approfondie. En tout cas, ce texte ne permettra pas de résoudre les questions liées à l'incarcération. Je rappelle que la France est l'avant-dernier pays en Europe en ce qui concerne les conditions d'incarcération : il n'est donc pas satisfaisant de multiplier les incarcérations, car elles nourrissent la récidive. Nous devons viser l'intérêt général, c'est-à-dire éviter la récidive et donner du sens à la peine, ce qui suppose un travail d'individualisation poussé, des moyens et de l'intelligence collective.

Mme Sophie Briante Guillemont. - Je serai brève : quel est l'intérêt de voter ce texte, alors qu'il n'y a pas d'étude d'impact et que le garde des sceaux prépare des États généraux de l'insertion et de la probation ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je partage les propos de Laurence Harribey. La France manque cruellement de places de prison. Aucune des promesses faites depuis quinze ans en la matière n'a été tenue. Pourquoi inscrire à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée de tels textes, alors que l'on sait pertinemment qu'ils ne sont pas applicables ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Cette proposition de loi ne concerne pas l'exécution des courtes peines de prison. Elle vise à corriger les effets néfastes de la loi de 2019 ; modifiée par les amendements que je soumets à la commission, elle permettra de rendre au juge la liberté de prononcer des courtes peines et de choisir de les aménager, ou non. Si le juge estime qu'il dispose de tous les éléments sur la personnalité de l'intéressé pour prononcer un aménagement de peine ab initio, il pourra le faire. En cas de doute, il pourra renvoyer la décision au juge de l'application des peines, conformément à la procédure définie à l'article 723-15 du code de procédure pénale. Si le juge du fond estime qu'une incarcération est nécessaire, il pourra délivrer un mandat d'arrêt ou de dépôt. Le but de ces amendements est de rendre au juge son autonomie pour mieux individualiser les peines.

Je rejoins les propos de mes collègues : le taux de récidive est de 60 % cinq ans après la sortie de prison, le droit actuel n'est donc pas performant. De même, j'ai conscience que les peines ultracourtes peuvent être désocialisantes. Si l'on condamne, sans préavis, à trois semaines de prison une personne qui est insérée socialement et professionnellement, celle-ci risque de perdre son travail ou de voir sa vie modifiée. Le mandat de dépôt différé pourrait être une solution pour que le condamné puisse s'organiser avec son employeur.

On se focalise sur l'emprisonnement en oubliant les peines alternatives à l'emprisonnement - les travaux d'intérêt général (TIG), les jours-amende, etc

Mme Laurence Harribey. - C'est vrai !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - On a forcé les juges à prononcer des aménagements de peine ab initio. Mais les peines alternatives et les aménagements de peine ne relèvent pas de la même approche. Il faut bien distinguer les deux.

Madame Vérien, je propose non pas supprimer le fractionnement des peines, mais la réforme du fractionnement prévue dans la proposition de loi. Il conviendra de s'interroger avant la séance sur la mise en oeuvre de ce dispositif, alors que d'autres mécanismes - aménagement de peine, régime de semi-liberté, etc. - existent.

Je rappelle enfin que c'est le Gouvernement qui a inscrit ce texte à l'ordre du jour des travaux en session extraordinaire de notre assemblée. L'examen de ce texte peut sembler prématuré alors que des États généraux ont été lancés hier et que notre mission d'information sur l'exécution des peines devrait rendre son rapport prochainement, mais l'enjeu est, comme je l'ai déjà indiqué, de corriger certains effets de bord de la loi de 2019.

Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre indicatif de cette proposition de loi inclut les dispositions relatives aux condamnations à des peines d'emprisonnement ferme et aux modalités de leur exécution.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Mon amendement COM-1 vise à supprimer l'exigence d'une motivation spéciale. La procédure est très lourde. L'exigence d'une motivation spéciale en matière d'incarcération pose de réelles difficultés, car elle impose au juge de justifier le caractère indispensable des modalités d'exécution de la peine, en tenant compte de critères relatifs à la gravité des faits ou à la personnalité de l'auteur déjà prévus par le droit commun de la motivation. L'exigence d'une motivation spéciale accroît par ailleurs le risque de recours en cassation.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - L'article 2 réécrit complètement l'article 132-25 du code pénal. Il supprime la possibilité, pourtant utile et appréciée par les magistrats, donnée au juge du fond de prévoir l'exécution provisoire de la peine de prison ferme dans l'attente d'un aménagement de la peine par le juge de l'application des peines, qui doit intervenir dans un délai de cinq jours.

Cette suppression semble inopportune. Mon amendement COM-2 vise à maintenir la disposition correspondante, qui permet par ailleurs de produire une forme de « choc carcéral » de courte durée pour les condamnés placés en détention, mais dont la peine peut ensuite être aménagée, si telle est l'option la plus opportune, par le juge de l'application des peines.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Mon amendement COM-3 est rédactionnel. Le choix proposé à la juridiction de jugement en matière d'exécution des peines est juridiquement une faculté et non pas une obligation.

L'amendement COM-3 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-4.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - À la suite de l'entrée en vigueur de la loi de 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation a adopté une jurisprudence très exigeante, qui impose au juge de rechercher un aménagement de peine, même lorsque le prévenu ne fournit pas les justificatifs permettant d'apprécier sa situation professionnelle, familiale ou sociale, ou même lorsqu'il n'est pas présent à l'audience.

Mon amendement COM-5 a pour objet de réécrire la procédure applicable en cas d'aménagement de peine afin de faciliter le renvoi du dossier au juge de l'application des peines (JAP), confiant à ce dernier le soin de déterminer les modalités d'exécution de la peine.

L'amendement COM-5 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-6.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4 (nouveau)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Mon amendement COM-7 vise à supprimer la réforme du dispositif de fractionnement des peines telle qu'elle est prévue par cet article. Il convient d'engager une réflexion plus large sur ce sujet.

L'amendement de suppression COM-7 est adopté.

L'article 4 est supprimé.

Article 5 (nouveau)

L'article 5 est adopté sans modification.

Article 6 (nouveau)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - L'amendement COM-8 vise à supprimer l'article 6 qui prévoit la remise d'un rapport au Gouvernement.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 6 est supprimé.

Mme Dominique Vérien. - Nous avons entendu les précisions que nous a apportées le rapporteur. Dans la mesure où ses amendements ont été adoptés, le groupe Union Centriste votera ce texte.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. LE RUDULIER, rapporteur

1

Motivation simple des décisions relatives aux modalités d'exécution des peines

Adopté

Article 2

M. LE RUDULIER, rapporteur

2

Maintien de l'exécution provisoire des peines de prison ferme 

Adopté

Article 3

M. LE RUDULIER, rapporteur

3

Rédactionnel 

Adopté

M. LE RUDULIER, rapporteur

4

Aménagement par le juge de l'application des peines en l'absence de justifications suffisantes du condamné à l'audience 

Adopté

M. LE RUDULIER, rapporteur

5

Coordination

Adopté

M. LE RUDULIER, rapporteur

6

Rédactionnel 

Adopté

Article 4 (nouveau)

M. LE RUDULIER, rapporteur

7

Suppression de l'article 

Adopté

Article 6 (nouveau)

M. LE RUDULIER, rapporteur

8

Suppression de l'article 

Adopté

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page