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Table des matières



Projet de loi de finances pour 2026 (Suite)

Discussion des articles

Article 49 - État B (Régimes sociaux et de retraite - Coordination)

Article 49 - État B (Solidarité, insertion et égalité des chances - Coordination)

Article 49 - État B (Travail, emploi et administration des ministères sociaux - Coordination)

Article 51 - État D (Pensions - Coordination)

Article 48 - État A (Coordination)

Article liminaire (Coordination)

Hommage aux victimes de l'attentat en Australie

Projet de loi de finances pour 2026 (Suite)

Explications de vote

Mme Ghislaine Senée

M. Christopher Szczurek

M. Raphaël Daubet

M. Michel Canévet

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Christine Lavarde

M. François Patriat

M. Thierry Cozic

M. Pascal Savoldelli

M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics

Déclaration du Gouvernement sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre

Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants

M. Cédric Perrin

M. Rachid Temal

M. François Bonneau

M. Claude Malhuret

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Cécile Cukierman

Mme Mireille Jouve

M. Guillaume Gontard

Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants

Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants

Modification de l'ordre du jour

Rappel au règlement

Ordre du jour du mardi 16 décembre 2025




SÉANCE

du lundi 15 décembre 2025

40e séance de la session ordinaire 2025-2026

Présidence de M. Xavier Iacovelli, vice-président

La séance est ouverte à midi.

Projet de loi de finances pour 2026 (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de loi de finances pour 2026, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale. Nous allons procéder aux coordinations sur les articles 49, 51, 48 et sur l'article liminaire.

Je rappelle au Sénat que, aux termes de l'article 43, alinéa 3, du règlement, la discussion ne peut porter que sur la nouvelle rédaction proposée.

Discussion des articles

Article 49 - État B (Régimes sociaux et de retraite - Coordination)

M. le président.  - Amendement n°COORD-1 du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.  - Les quatre premiers amendements tirent les conséquences de la suppression à l'article 44 du PLFSS de la non-indexation des prestations sociales et de retraites, ainsi que de la suspension de la réforme des retraites. Deux autres amendements portent sur les transferts entre l'État et la sécurité sociale. Un autre traduit les mesures adoptées par le Sénat à la mission « Travail ». Enfin, deux amendements de coordination corrigent l'article liminaire et l'article d'équilibre.

Le présent amendement augmente les crédits de 84 millions d'euros en AE et en CP en conséquence du dégel des pensions de retraite.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances.  - Ces amendements de coordination laissent un goût d'amertume, d'inachevé, et nous plongent même dans une forme de désarroi. Le seul qui tire les conséquences des votes du Sénat est un amendement d'économies de 56 millions d'euros sur la mission « Travail ».

Pour le reste, ces amendements font du PLF la victime collatérale d'une loi de financement de la sécurité sociale négociée entre le Gouvernement et l'Assemblée nationale portant le déficit des administrations de sécurité sociale de 17,5 milliards d'euros à 24 milliards d'euros !

Dans une note, le Gouvernement avertissait que le déficit pourrait déraper jusqu'à 30 milliards d'euros si le PLFSS n'était pas voté. Vous avez fait la moitié du chemin ! Vous majorez les transferts de l'État à la sécurité sociale : quel triste tour de passe-passe. Les dépenses nettes de l'État augmenteraient ainsi de 6,3 milliards d'euros.

À l'article d'équilibre, le déficit est de 135,7 milliards d'euros, soit 11,4 milliards d'euros de plus que le texte transmis au Sénat. C'est considérable ! Cette hausse n'est due aux votes du Sénat que pour 5,1 milliards d'euros, contre 6,3 milliards dus à la loi de financement de la sécurité sociale. Il faudra y remédier en CMP.

On ne peut pas demander au Sénat de compenser la dégradation des finances publiques. Mais je ne souhaite pas que notre assemblée se rende responsable d'une aggravation du déficit.

À l'article liminaire, le déficit, toutes administrations publiques, atteindra 5,3 %, bien au-delà des 4,6 % prévus dans le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) ou des 4,7 % prévus dans le PLF initial. Les votes de l'Assemblée nationale aggravent le déficit public de 0,3 point de PIB. Les votes du Sénat l'aggravent de 0,1 point de PIB.

La commission des finances émet donc un avis favorable à l'amendement n°COORD-6, qui résulte des votes du Sénat.

Sagesse pour tous les autres amendements - à titre personnel concernant l'amendement n°COORD-9, qui a été rectifié marginalement après la réunion de la commission.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Vous avez raison, monsieur le rapporteur général : les textes initiaux proposaient un déficit de 4,7 %. À l'issue de l'examen de la première partie du PLF par le Sénat, le déficit était de 5,1 %. Notre amendement tire les conséquences du vote du PLFSS à l'Assemblée nationale, ainsi que des mesures adoptées par le Sénat. Le déficit passe à 5,3 %. Il reste donc beaucoup de travail à faire en CMP pour atteindre un déficit à 5 %. (Murmures à droite)

L'amendement n°COORD-1 est adopté.

Article 49 - État B (Solidarité, insertion et égalité des chances - Coordination)

M. le président.  - Amendement n°COORD-2 du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Cet amendement augmente les crédits de 317 millions d'euros aux programmes 157 et 304 de la mission « Solidarités, insertion et égalité des chances » en conséquence du dégel de plusieurs prestations - allocation aux adultes handicapés (AAH), prime d'activité, RSA...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Sagesse.

L'amendement n°COORD-2 est adopté.

Article 49 - État B (Travail, emploi et administration des ministères sociaux - Coordination)

M. le président.  - Amendement n°COORD-3 du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Nous augmentons les crédits du programme 103 de 3,1 milliards d'euros en AE et en CP afin de compenser à la sécurité sociale des exonérations de cotisation.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Sagesse.

L'amendement n°COORD-3 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°COORD-4 du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Cet amendement augmente les crédits de 2,1 milliards d'euros en AE et en CP, toujours sur le programme 103, pour compenser les gains de la réforme des allègements généraux.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Sagesse.

L'amendement n°COORD-4 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°COORD-5 du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Nous rehaussons de 32 millions d'euros les crédits des programmes 102 et 103, au titre du dégel des prestations sociales.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Sagesse.

L'amendement n°COORD-5 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°COORD-6 du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Cet amendement réduit les crédits de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » de 56 millions d'euros, afin de tirer les conséquences des amendements adoptés par le Sénat sur les articles 80 et 81.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Avis favorable.

L'amendement n°COORD-6 est adopté.

Article 51 - État D (Pensions - Coordination)

M. le président.  - Amendement n°COORD-7 du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Cet amendement de coordination augmente de 603 millions d'euros en AE et en CP les crédits du CAS « Pensions » pour tirer les conséquences du dégel des pensions et de la suspension de la réforme des retraites.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Sagesse.

L'amendement n°COORD-7 est adopté.

Article 48 - État A (Coordination)

M. le président.  - Amendement n°COORD-8 du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Nous actualisons l'article d'équilibre pour prendre en compte la dégradation de 3,7 milliards d'euros par rapport au solde établi à la fin de l'examen de la première partie par le Sénat, et de 11,4 milliards par rapport au texte initial.

Cette dégradation résulte des mouvements suivants : 7,7 milliards d'euros en moins résultants de vos votes de première partie, 2,5 milliards d'euros en plus résultant de vos votes de seconde partie et 6,3 milliards en moins résultant de la coordination avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Pascal Savoldelli.  - C'est un moment extrêmement important, très politique. Le rapporteur général dit que les votes du Sénat aggravent le déficit de 5,1 milliards d'euros.

C'est vrai uniquement grâce à cet amendement qui prend en compte le sous-amendement de crédits évaluatifs à hauteur de 1,8 milliard d'euros, déposé vendredi soir à minuit vingt-huit et voté à minuit trente - sans réunion de la commission des finances. En réalité, le déficit dû à la majorité sénatoriale n'est pas de 5,1 milliards d'euros, mais de 6,9 milliards d'euros !

Vous avez voté 4 milliards d'euros de cadeaux fiscaux pour les grandes entreprises, 800 millions d'euros pour les holdings, sans parler des 800 millions d'euros pour les Gafam. Franchement, ni le Gouvernement ni la majorité sénatoriale n'ont de leçons à donner à l'Assemblée nationale. Nous voterons contre cet amendement.

M. Rémi Féraud.  - Même vote pour les mêmes raisons ! Le sous-amendement présenté vendredi soir est évaluatif : de l'aveu même du Gouvernement vendredi soir, ce 1,9 milliard d'euros n'existe pas, en tout cas pas sur cet exercice ! Le déficit dû à vos votes approche plutôt des 7 milliards. La majorité sénatoriale a déposé un sous-amendement d'affichage, voilà ce qui nous plonge dans le désarroi, monsieur le rapporteur général...

On peut y ajouter la suppression de 1 milliard d'euros de crédits pour France 2030, qui ne correspond à rien de concret : nous sommes donc plus proches de 8 milliards d'euros.

Contrairement à notre habitude, nous voterons contre cet amendement de coordination et contre l'article liminaire, car l'affichage n'est ni réel ni sincère.

M. Marc Laménie.  - Selon cet article d'équilibre, les ressources s'élèvent à 329 milliards d'euros nets et les dépenses à 453 milliards d'euros, avec une augmentation du déficit d'environ 7 milliards. Monsieur le ministre, ma question porte sur les autorisations d'emploi - ces moyens humains très importants, car il faut soutenir la présence humaine dans nos territoires.

Vous faites état de 2,16 millions d'ETPT, sans oublier 400 000 emplois pour les opérateurs de l'État. Ces derniers font-ils partie du chiffre global ? Nous suivrons l'avis du rapporteur général.

M. Thomas Dossus.  - Nous voici à l'heure des comptes. Dans la première partie, à force de protéger les plus hauts revenus et les grands groupes, la droite sénatoriale a aggravé la trajectoire du déficit. (Mme Sophie Primas proteste.) Résultat : dans la deuxième partie, elle a dû trouver le moyen de corriger le tir et l'a fait de la manière la plus cavalière.

Vendredi soir, elle a déposé tardivement un sous-amendement, cosigné par les présidents des deux groupes les plus nombreux. Le ministre, qui était présent, a déclaré que ce sous-amendement était artificiel, puisqu'il ne portait pas sur le bon exercice.

Cet amendement qui le prend en compte est donc insincère, puisqu'il met sous le tapis l'impéritie de la majorité sénatoriale sur le volet recettes.

Mme Christine Lavarde.  - Sur la forme, ce sous-amendement a en effet été déposé tardivement. Sur le fond, il tire les conséquences de la suppression en première partie de la surtaxe de l'impôt sur les sociétés.

Cet impôt est versé par acomptes. Résultat : il peut y avoir des dégrèvements et des remboursements au sein d'une même année. Les crédits ouverts par le PLF 2025 ont été sous-estimés par rapport au décaissement nécessaire, compte tenu de cette surtaxe.

La majorité sénatoriale ayant supprimé cette surtaxe cette année, il était logique d'en tirer les conséquences avec ces 1,8 milliard d'euros.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Le texte sort du Sénat avec moins de fiscalité et plus de sincérité. Chers collègues de gauche, vous pouvez essayer de faire diversion ; mais les 6,3 milliards de déficit supplémentaire sont bien dus à des demandes de votre camp en PLFSS ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains ; UC, INDEP et du RDSE)

Nous avons pris nos responsabilités en en tirant les conséquences.

Le déficit est au-delà de 4,7 %, même de 5 %. Nous avons du travail pour l'établir à 5 %, voire un peu en dessous. Cessons de nous renvoyer la balle et mettons-nous au travail.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Je maintiens mes propos : la suppression de la surtaxe de l'impôt sur les sociétés aura des conséquences, surtout en 2027.

Nous n'avons pas intégré cette modification dans l'article liminaire, pour ne pas préempter les débats en CMP. Le Parlement décidera ce qu'il veut faire de l'impôt sur les sociétés pour l'année 2026.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Sagesse.

L'amendement n°COORD-8 est adopté.

Article liminaire (Coordination)

M. le président.  - Amendement n°COORD-9 rectifié du Gouvernement.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Cet amendement arrête la prévision de déficit public à 5,3 % du PIB, en l'état actuel des discussions budgétaires. Je le répète : la CMP doit travailler pour réduire le déficit à 5 %.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Sagesse.

L'amendement n°COORD-9 rectifié est adopté.

La séance est suspendue à midi vingt-cinq.

Présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 14 h 30.

Hommage aux victimes de l'attentat en Australie

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs et membres du Gouvernement se lèvent.) L'Australie a été frappée hier par un terrible attentat terroriste lors d'une fête juive, Hanouka, qui signifie la lumière et le bonheur, sur la plage de Bondi, à Sydney. Le bilan humain est très lourd : au moins 15 personnes sont mortes, 42 autres sont hospitalisées. Parmi les victimes, notre compatriote, Dan Elkayam, âgé de 27 ans, qui est mort sous les balles des terroristes à plus de 16 000 kilomètres de sa famille et de ses proches.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite, en cet instant, exprimer aux victimes, à leurs familles, à leurs proches notre solidarité, et présenter nos plus sincères condoléances au peuple australien durement éprouvé.

Une fois de plus, une fois de trop, cet événement tragique nous rappelle que le terrorisme ne connaît pas de frontières et que nous ne devons jamais, en aucun cas, abaisser notre vigilance face à la haine, à la violence, à l'antisémitisme et au rejet de l'autre.

Je vous invite à observer un instant de recueillement, en hommage aux victimes de cette attaque. (Mmes et MM. les sénateurs et membres du Gouvernement observent un instant de recueillement.)

Projet de loi de finances pour 2026 (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote à la tribune du projet de loi de finances pour 2026, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale.

Explications de vote

Mme Ghislaine Senée .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) J'irai droit au but. On ne peut pas dire que le rapporteur général et la majorité sénatoriale aient recherché le compromis, ni avec le Gouvernement ni avec l'opposition. Les recettes supprimées, le rejet irrationnel de toute mesure de justice fiscale et les coupes indifférenciées ont abouti à une copie caricaturale compromettant tout accord en commission mixte paritaire (CMP). Au risque d'engendrer l'incompréhension et la confusion des acteurs économiques et de nos concitoyens.

Du côté des recettes, le PLF amplifie la trajectoire gouvernementale. Accélération de la disparition de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), division par deux du taux de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises (CEBGE), suppression de la contribution différentielle sur les hauts revenus, réduction du rendement de la taxe holding, rejet en bloc de tout rééquilibrage fiscal entre les ultrariches et le reste des Français... Résultat : une perte sèche de 8,8 milliards d'euros par rapport au texte initial, à laquelle s'ajoutent 5,7 milliards de dépenses nouvelles, dont le tour de passe-passe de 2 milliards d'euros de dépenses nouvelles survenu jeudi dans la soirée, et 3,1 milliards d'euros sur le PLFSS.

Nous arrivons à un objectif de déficit de 5,3 % du PIB, contre 4,6 % dans la version initiale du Gouvernement.

Toute recette refusée, c'est de la dette pour nos enfants, dites-vous. Comment comprendre ce choix ? (Un brouhaha s'est installé depuis le début de la séance.)

Ce brouhaha est incompréhensible ; après tout, il ne s'agit que du PLF... (Murmures à droite)

M. Roger Karoutchi.  - C'est la vie !

Mme Ghislaine Senée.  - Selon Naomi Klein, seule une crise réelle ou perçue provoque du changement. La dette est instrumentalisée : présentée comme une menace existentielle, elle devient le prétexte à une remise en cause de l'État social. Or elle ne résulte pas d'un excès de protection sociale, mais d'un manque persistant de recettes.

En fabriquant un récit alarmiste, vous créez une urgence artificielle pour légitimer des politiques d'austérité. Or nous sommes dans une impasse majeure. Notre système fiscal est inadapté : les 1 % les plus riches contribuent moins que les autres, les défendre n'est plus acceptable. C'est contraire à l'esprit de notre Constitution, à contresens de l'unité, c'est l'opposé de l'exigence de faire nation.

Selon l'historien Romain Huret, face à une concentration extrême des richesses, les démocraties n'ont qu'une solution : taxer les plus fortunés, se battre pour la progressivité réelle de l'impôt.

Loin de toute volonté de spoliation, à rebours des propos de la droite et de l'extrême droite, la taxe Zucman, défendue par la gauche, est une solution de repli visant à faire rentrer les ultrariches dans le droit commun en matière d'impôt. En refusant cette justice fiscale, vous divisez le pays en deux blocs : ceux qui paient plein pot, et ceux qui échappent à leur juste contribution par des voies détournées et se tournent -  ironie amère  - vers l'extrême droite pour sanctuariser leurs privilèges. C'est la démocratie elle-même qui s'effrite.

Du côté des dépenses, ce budget raconte une longue dégradation : ni réforme ni protection, renonciation à préparer l'avenir. Les inégalités explosent, la pauvreté atteint des niveaux inédits. Pire, vous sacrifiez le tissu associatif qui soutient les plus précaires que l'État n'aide plus. Vous osez supprimer 4 000 postes d'enseignants, tout en déplorant le déclassement scolaire. La réussite scolaire mérite mieux qu'un petit calcul comptable fondé sur la baisse démographique. La mission « Écologie, développement et mobilité durables » devient la variable d'ajustement : ses crédits ont presque disparu en deux ans. Le Sénat a sabré ceux des opérateurs : Ademe, Office national des forêts (ONF), Office français de la biodiversité (OFB), Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), tout y passe !

Et que dire de la recherche ? L'année où Philippe Aghion gagne le prix Nobel d'économie en démontrant que la croissance d'un pays dépend des investissements dans l'enseignement, la recherche et l'innovation, vous supprimez 1 milliard d'euros sur France 2030. C'est une vraie année blanche pour l'innovation.

La situation des collectivités territoriales est alarmante. Ce budget reflète un choix politique clair : privilégier les grands acteurs économiques au détriment de la puissance publique locale. Le gel de la DGF, la division par cinq du fonds vert en deux ans et la nouvelle hausse des cotisations employeur à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) prennent les collectivités territoriales à la gorge. Le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) ponctionnera illégitimement leurs recettes.

Les mesures correctrices ne sont qu'un saupoudrage. L'effort final du PLF sur les collectivités devrait atteindre entre 4 et 5 milliards d'euros. C'est colossal et gagne-petit, pour la Chambre des territoires, alors que ces échelons de proximité répondent aux besoins des Français.

Parce qu'il aggrave les inégalités fiscales et sociales, fragilise notre État social et les services publics, incarne le renoncement de la France à ses engagements climatiques, ne donne aucun horizon à la jeunesse et tourne le dos à l'égalité et à la fraternité, le GEST votera résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; MmeMarianne Margaté et Marie-Claude Varaillas applaudissent également.)

M. Christopher Szczurek .  - Dans un contexte toujours plus incertain, où nos marges de manoeuvre s'affaiblissent et où l'instabilité politique s'accroît, le dernier budget de la Macronie illustre l'échec économique, financier et institutionnel de ses deux quinquennats.

En 2017, la Macronie triomphante entamait cinq années d'un pouvoir sans partage. Le Gouvernement bénéficiait d'une majorité pléthorique à l'Assemblée nationale. Le Parlement servait de chambre d'enregistrement. Seules les révoltes sociales et la crise sanitaire ont troublé cette domination. Dans le même temps, le Rassemblement national voyait ses résultats électoraux croître inexorablement. La dette publique s'élevait à 2 000 milliards d'euros, et l'on s'en inquiétait déjà. L'architecture institutionnelle de la Ve République paraissait encore la plus solide du monde occidental et les vieux partis, gonflés d'orgueil, semblaient promis à une disparition annoncée.

M. Christopher Szczurek.  - Huit ans après, plus de majorité, plus de gouvernement, bientôt plus d'État. Des apparentements iniques ont brisé la belle mécanique institutionnelle héritée du général de Gaulle. Les tensions s'accumulent, les conflits menacent, la dette s'accumule, tout comme les fractures sociales. Et la majorité sénatoriale s'obstine toujours à refuser de voter un amendement de baisse des dépenses publiques dès qu'il est défendu par le RN...

Sitôt adopté, le budget reviendra sur le bureau d'Olivier Faure qui fera le tri, en totale inadéquation avec le poids électoral du Parti socialiste. Plus de Gouvernement, plus de Parlement, plus d'État, seuls des arrangements de couloir entre un gouvernement sans cap et un PS triomphant, trop heureux de surseoir à la sanction électorale.

Entre l'entêtement des uns et la bassesse des autres, le Rassemblement national votera contre le budget. (MM. Joshua Hochart et Aymeric Durox applaudissent.)

M. Raphaël Daubet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Voici donc la copie que le Sénat va soumettre au dialogue bicaméral. Au Sénat, le débat démocratique est allé jusqu'au bout grâce au travail du rapporteur général. Je l'en remercie au nom de mon groupe, le plus ancien de notre assemblée, profondément attaché au bicamérisme, convaincu de la responsabilité particulière qui pèse sur notre chambre et très inquiet de l'instabilité politique.

Depuis trois ans, le régime confine à l'ingouvernabilité et le risque de blocage institutionnel est au plus haut dans ce moment budgétaire. Ayant une haute idée de l'exercice démocratique, nous voulons une majorité et une opposition, ce qui n'est pas le cas à l'Assemblée nationale, et que la majorité tienne compte des observations de l'opposition, ce qui n'est pas toujours vrai au Sénat...

Il y avait un enjeu central : transformer un texte fragile en consensus parlementaire. Or la copie sénatoriale, construite en réaction aux initiatives de l'Assemblée nationale et aux compromis négociés avec le Gouvernement, nous éloigne du point d'équilibre qu'il faudra pourtant atteindre pour doter le pays d'un budget.

La logique même de la version sénatoriale - renoncer à plusieurs milliards d'euros de recettes en pariant sur les économies - n'était ni solide, ni souhaitable, ni soutenable. La trajectoire de retour à l'équilibre n'est pas tenue. Au contraire, le texte dégrade notre situation financière.

Au fond, la question des recettes se posait sous la forme d'un triangle entre ressources suffisantes, justice fiscale et acceptabilité économique. Mais nous avons échoué à trouver le centre de gravité. Les négociations entre les deux chambres achopperont sur ce désaccord.

Notre économie est malade. L'exercice budgétaire commande de tendre tous les ressorts possibles pour activer le redressement productif du pays : privilégier les investissements publics sur le fonctionnement bureaucratique, miser sur la recherche et l'innovation, soutenir les filières agricoles, industrielles et artisanales via des politiques d'aménagement, d'emploi, de formation, de commerce extérieur, d'énergie.

La suppression d'un milliard d'euros des crédits de France 2030 témoigne de l'absence de vision sous la logique comptable. La dette comble ce que notre économie ne produit plus, elle finance l'effondrement de la production et du commerce extérieur. Au lieu de s'y attaquer, on incrimine la dépense publique ou le modèle social.

Le redressement de notre économie passera par le logement, qui agrège trois défis : relance économique, révolution écologique, cohésion sociale. Or au lieu d'un choc puissant, on y apporte une réponse timide.

Comment concilier des priorités stratégiques fortes avec la nécessité de maîtriser le déficit public ? L'autonomie stratégique de la France ne peut pas attendre une hypothétique embellie budgétaire. En 2009, Jean-Pierre Chevènement disait, ici au Sénat : nous nous sommes résignés à confier aux États-Unis le soin d'exercer la défense, non de la France, mais de l'Europe. Or il se pourrait bien que les États-Unis se désintéressent un jour de l'Europe. La France risque d'être isolée par la conjonction du réalisme américain et du pacifisme européen. Nous y sommes. L'autonomie stratégique recouvre aussi le soft power des partenariats internationaux. Quelle erreur de se laisser tenter par le repli, alors que notre place devrait être à l'avant-garde de la recomposition du cadre multilatéral que les puissances illibérales font voler en éclats !

L'autonomie stratégique s'appuie sur nos outre-mer. L'effort d'investissement est indispensable.

Nous aurions pu relever de bonnes avancées, notamment sur l'effort demandé aux collectivités territoriales, mais nous n'en attendions pas moins du Sénat, qui demeure fidèlement la Chambre des territoires. Ce budget a le mérite d'exister, mais c'est un budget de repli qui aggrave le déficit public, ne répond pas au décrochage économique et technologique et affaiblit la voix de la France à l'international.

La logique serait de s'y opposer, mais par responsabilité, la majorité d'entre nous s'abstiendra, en attendant les résultats de la CMP. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Jean-François Husson et Marc Laménie applaudissent également.) Qu'a voulu faire le groupe Union centriste durant ce budget ?

M. Rachid Temal.  - Couper les missions !

M. Michel Canévet.  - Tenir une trajectoire crédible des finances publiques, favoriser le développement économique, donc la création d'emplois et de richesses, prendre des mesures de justice fiscale et tenir compte de la situation des collectivités territoriales.

Nous devons tenir nos engagements européens, c'est une question de crédibilité. Nous pouvons les atteindre par la croissance, source de recettes. Nous voulons aussi une baisse des dépenses publiques, qui doivent être exemplaires : balayons les dépenses inefficaces.

Nous regrettons que les décisions du PLFSS aient dégradé le déficit public que nous devons assumer dans le PLF.

Nos entreprises réclament de la stabilité fiscale, sinon elles n'investissent pas. Mercredi dernier, le journal Les Échos évoquait la hausse record des prélèvements publics dans les pays de l'OCDE. Le Danemark a la palme, la France est à la deuxième place. Il faut mieux maîtriser nos dépenses publiques pour éviter des prélèvements obligatoires supplémentaires. Certains le voudraient, ce n'est pas notre cas. Nous devons continuer à réduire les charges des entreprises pour une meilleure compétitivité. La balance commerciale française est dégradée, redonnons des marges de manoeuvre.

Plusieurs projets de loi relatifs à la justice fiscale ont été examinés avant le PLF. Notre collègue Nathalie Goulet a formulé de nombreuses propositions à cet égard. Des recettes peuvent être engrangées par un contrôle fiscal renforcé. Nous avons aussi soutenu la taxation des petits colis, pour éviter la fraude à la TVA.

Le groupe UC a eu une posture ambitieuse pour resserrer le pacte Dutreil et le plan d'épargne retraite et lutter ainsi contre l'évitement fiscal, comme avec la taxe holding proposée par l'Assemblée nationale.

Nous partageons la proposition du président du Sénat de réduire à 2 milliards d'euros la contribution des collectivités. Elles doivent participer aux efforts de réduction du déficit, mais de manière mesurée.

Le groupe UC a formulé des propositions sur les dépenses : Michel Laugier a proposé de soutenir le Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER), Dominique Vérien de conforter le soutien aux femmes isolées, Pierre-Antoine Levi de maintenir l'aide à l'apprentissage dans les PME, Sonia de La Provôté de soutenir les registres locaux des cancers, Franck Dhersin de compenser le relèvement du taux des cotisations employeur pour les universités...

M. Rachid Temal.  - Ce sont les César ! À chacun son prix !

M. Michel Canévet.  - Annick Billon de renforcer l'offre de service civique (tous les noms cités par l'orateur sont ponctués par une exclamation ironique à gauche), Olivia Richard de former les agents consulaires à l'étranger sur les violences faites aux femmes, Jean-Michel Arnaud d'anticiper les études techniques nécessaires à la réussite des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. Enfin, Amel Gacquerre a soutenu le statut du bailleur privé.

Nous avons des problèmes de logement (M. Rachid Temal ironise). Il faut des réponses crédibles en la matière. Qui dit relance du logement, dit rentrées de TVA. Le groupe UC, dans sa grande majorité, votera ce PLF. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La position de notre groupe procède d'un constat sans cesse renouvelé : la France est asphyxiée par les impôts, taxes, cotisations, redevances.

M. Rachid Temal.  - C'est cela, la Macronie !

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Trop longtemps, une partie de cet hémicycle a expliqué aux contribuables que l'on ne pouvait atteindre le bonheur que par la fiscalité. Chaque augmentation d'impôt nous approchait un peu plus du Valhalla des services publics. Résultat : nous sommes champions de l'OCDE en matière de prélèvements obligatoires, vice-champions en matière de dépenses publiques.

En fait de Valhalla, ce n'était qu'un mirage. Nous accumulons les retards. Notre argent, trop prélevé, est mal dépensé. À cela s'ajoute un déficit structurel. Nous nous endettons chaque année davantage sur le dos des générations à venir pour satisfaire les caprices de certaines formations politiques, comme la suspension de la réforme des retraites.

Augmenter les impôts ne sert plus à rien...

M. Rachid Temal.  - Même pour les plus riches ?

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Nous avons épuisé la poule aux oeufs d'or, pensant qu'elle pouvait pondre des oeufs d'autruche.

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Désormais, chaque hausse d'impôt est suivie d'une baisse de nos recettes fiscales. Or les deux seuls moyens d'augmenter les recettes publiques sont une augmentation de l'activité économique et une baisse de la fiscalité.

Dans le grand bain de la compétition économique mondiale, nos chefs d'entreprise sont déjà obligés de nager avec des chaussures de ski, tant ils sont imposés. Et certains voudraient les faire nager avec les skis en plus des chaussures ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe INDEP ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Nous devons la vérité aux Français : seule la baisse des dépenses publiques évitera la crise budgétaire. C'est d'ailleurs ce que veut l'écrasante majorité des Français, plutôt qu'une augmentation d'impôts.

Il faut recentrer l'action de l'État sur ses missions régaliennes : enseignement, recherche, décarbonation. (Mme Sophie Primas applaudit.)

M. Emmanuel Capus.  - Très bien !

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - À cet égard, je regrette vivement le choix de la majorité sénatoriale de couper les crédits de France 2030 (applaudissements sur les travées du groupe INDEP), compromettant notre capacité à soutenir notre industrie de demain. Ce coup de rabot ne va pas dans le sens de l'histoire. (Mme Frédérique Puissat s'exclame.)

C'est par la réduction du déficit que nous pourrons stopper la folle croissance de la charge de la dette. Troisième budget de l'État en 2025, deuxième en 2026, elle sera le premier poste de dépense d'ici deux ans.

Mon groupe est très clair : nous souhaitons abaisser les impôts, réduire les dépenses, et augmenter l'activité. Nous n'avons pas voté la première partie, car il y avait trop d'impôts nouveaux. Nous ne sommes pas allés assez loin en deuxième partie en matière de sobriété budgétaire, mais je salue quelques avancées, notamment le troisième jour de carence pour les fonctionnaires (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Cécile Cukierman s'exclame), le renforcement des moyens de nos armées et le maintien des crédits du ministère des affaires étrangères.

Le groupe Les Indépendants votera le budget. À titre personnel, je considère qu'il n'est pas adapté pour réaliser des économies et préparer l'avenir. Cet exercice est souvent trop fiscal. Il faudrait une loi de finances pluriannuelle pour réformer l'État tout au long de l'année. (Mme Sophie Primas acquiesce.)

Quelques pistes, enfin : réformer la commande publique - pour de vrai ! - réformer la fonction publique - pour de vrai ! -, introduire l'intelligence artificielle dans les services publics, réformer l'immobilier de l'État. Qu'importent les incertitudes de l'Assemblée nationale, vous avez face à vous des sénatrices et sénateurs prêts à réformer le pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après le vote du PLFSS à l'Assemblée nationale mardi dernier, une éditorialiste a résumé en un titre les maux de notre pays : la sécurité sociale, cette octogénaire qui dévore ses petits-enfants.

Je l'ai dit le 25 novembre à cette tribune : la France est un vieux pays qui ne sait plus parler à sa jeunesse. Comment la sécurité sociale, pilier de la République sociale, a-t-elle pu être à ce point dévoyée ? La réalité est là, sous nos yeux : l'âge moyen de départ à la retraite dans l'OCDE est de 64,7 ans et bientôt de 66,4 ans. En France, le taux d'épargne des plus de 70 ans atteint 25 % de leurs revenus bruts disponibles, mais cet équilibre est fragile, car la France est l'un des pays où les plus de 65 ans sont les plus tributaires des transferts publics.

Plutôt que la suspendre, il aurait fallu prolonger la réforme des retraites par une refonte systémique. Quels gages allons-nous donner à la Commission européenne pour justifier le retour sous le seuil des 3 % en sept ans au lieu de quatre ?

Ce PLF aurait dû amorcer un rééquilibrage entre les générations, plutôt que de sacrifier la jeunesse au bénéfice des aînés. Las, si les dépenses sociales sont préservées, les dépenses d'investissement, dans la recherche ou la transition écologique sont mises à contribution. Un Français consacre une semaine et demie de travail à payer les intérêts de la dette. En l'absence d'ajustement, ce sera le double dans quinze ans. Pour les jeunes générations, l'impôt, ce ne sera plus le financement de l'avenir, mais le coût de l'héritage du passé.

Ce budget n'est pas neutre : c'est un arbitrage qui ne dit pas son nom, qui satisfait le présent en sacrifiant l'avenir. Tel n'est pas le modèle du groupe Les Républicains, comme le montrent ses amendements : rejet de la suspension de la réforme des retraites, pas de modification du barème des impôts sauf pour les plus modestes... Ce sont des choix responsables.

Chers collègues de gauche, à vous qui pensez que la situation n'est pas grave... (Protestations à gauche)

Mme Cécile Cukierman.  - Personne ne dit cela !

Mme Christine Lavarde.  - ... sous prétexte que nous laissons à nos enfants un patrimoine plus important que la dette et que la fiscalité offrira une échappatoire, nous avons essayé de montrer qu'un autre modèle était possible : réduction de l'emploi public non régalien, regroupement des structures publiques, rationalisation de la politique du chèque ou du guichet. Nous n'avons pas toujours trouvé de majorité, c'est regrettable.

Ne pensons pas que notre incapacité à réformer trouvera sa solution dans une hausse infinie des recettes. Les ultrariches ne pourront pas financer notre incurie collective, car la croissance est fragile. La réalité est sous nos yeux, là encore : vendredi, un quotidien titrait sur la tentation de l'exil des chefs d'entreprise. L'impôt finance le présent, seule la croissance finance l'avenir.

Dans quelques heures, au motif de ne pas contribuer à l'instabilité, on nous enjoindra non pas au compromis, mais à la compromission. Conscient des difficultés actuelles, le groupe Les Républicains est responsable. Mais la responsabilité, à quel prix, et pourquoi ? L'instabilité ne disparaîtra pas avec le vote du PLF, et son coût dépasse largement celui d'une éventuelle dissolution.

Dans un tel contexte, qui peut sérieusement dire que la feuille de route est claire et cohérente ? L'incertitude, c'est aussi l'absence de cap du Gouvernement. Doit-on comprendre que ce dernier a déjà abandonné son objectif révisé de réduire le déficit à 5 % ?

C'est animé par la conviction que seule la croissance économique offrira un avenir à notre jeunesse que notre groupe a contribué au débat budgétaire. Nous devons sortir notre pays du cercle vicieux où l'on compense la faible croissance par une hausse de la fiscalité pour financer notre modèle social sans le réformer.

En responsabilité, nous voterons ce PLF, mais nous aborderons les débats de la CMP dans ce même esprit. Chaque impôt sans réforme est une dette morale transmise aux jeunes générations. Nous ne pourrons apporter nos voix à une CMP qui ferait trop contribuer les collectivités locales, pourtant non responsables de la dette (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Cécile Cukierman proteste), une CMP qui ne réformerait pas l'action publique. La marée monte chez les patrons, les agriculteurs, toutes les forces vives de la nation, qui n'en peuvent plus.

Être responsable, madame, monsieur le ministre, c'est refuser l'impôt. C'est réformer plutôt que taxer ; voilà ce que signifie gouverner ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) « La politique, c'est l'art de rendre possible ce qui est nécessaire », disait Richelieu.

M. Rachid Temal.  - Il y a du boulot !

M. François Patriat.  - Nous sommes ici pour accomplir une mission certes difficile, mais possible : doter notre pays d'un budget.

Je remercie les services du Sénat et nos collaborateurs qui ont travaillé sans relâche et permis des débats de qualité, qui honorent notre institution. Loin du spectacle donné ailleurs, le Sénat a montré une belle image de politique républicaine. Je salue les ministres qui se sont relayés au banc, sans oublier le rapporteur général, qui a fait valoir ses exigences avec constance. (M. Jean-François Husson s'en amuse.)

Après vingt jours de débat, ce budget porte la marque de notre groupe.

M. Rachid Temal.  - Ah !

M. François Patriat.  - Au titre des victoires, nous avons permis la suppression de l'article 7, qui aurait porté un coup fatal à l'économie de nos territoires ultramarins. Nous avons préservé les micro-entrepreneurs en supprimant la réforme des franchises de TVA. Nous avons protégé le pouvoir d'achat avec l'indexation de la première tranche d'impôt sur le revenu ou la suppression de la hausse sur la fiscalité des biocarburants. Enfin, grâce à l'action coordonnée du Sénat, nous avons protégé nos collectivités locales en limitant l'effort demandé à 2 milliards d'euros, pour préserver leurs capacités d'investissement.

Soyons lucides : ce budget est loin d'être idéal. L'enjeu sera l'accord à trouver demain - qui ne pourra l'être à n'importe quel prix. Cessons les postures stériles, faites de « lignes rouges » ; les grands débats seront tranchés en 2027. Aujourd'hui, à nous de converger pour assurer la stabilité, la continuité de l'État. Tous les groupes doivent consentir à faire un pas vers l'autre.

Les plus belles réussites de notre histoire sont nées de compromis. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, gaullistes, socialistes, chrétiens-démocrates ont su s'unir pour refonder nos institutions.

Mme Cécile Cukierman.  - Les communistes, aussi !

M. François Patriat.  - Plus récemment, les grandes lois sur la décentralisation ont réuni la droite et la gauche.

M. Rachid Temal.  - D'abord la gauche !

M. François Patriat.  - Nous avons su nous élever ensemble sur ces grands projets ; comment ne pas y parvenir pour avoir un budget en 2026 ? Les Français en ont assez de cette séquence interminable et anxiogène. Le compromis, c'est maintenant !

C'est animé de cet esprit, non par conviction, mais par responsabilité républicaine et par sens de l'État, que le RDPI votera ce budget.

On connaît la formule de Pierre Mendès France : « Gouverner, c'est choisir, mais gouverner, c'est aussi rassembler ». Ayons le courage de rassembler plutôt que de diviser. Choisissons l'intérêt général plutôt que les calculs partisans. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Laure Darcos et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'examen de ce budget nous laisse un goût amer. La majorité sénatoriale a parlé responsabilité et compromis, mais agi avec dogmatisme. Toutes les démagogies se sont illustrées : refus absurde de faire contribuer les plus fortunés, poncifs sur les jours de carences et chasse aux fonctionnaires, pour aboutir à un déficit de 5,3 %, en hausse de 5 milliards par rapport au texte initial.

La partie recettes a été un festival. Le solde budgétaire se dégrade de 7,7 milliards d'euros, et le déficit passe de 4,7% à 5,1 %.

Une voix à droite.  - C'est Olivier Faure !

M. Thierry Cozic.  - Vous avez supprimé la surtaxe sur les grandes entreprises, pour 4 milliards d'euros ; ...

M. Emmanuel Capus.  - C'est très bien !

M. Thierry Cozic.  - ... vidé de sa rachitique substance la taxe sur les holdings ;

M. Emmanuel Capus.  - Très bien !

M. Thierry Cozic.  - ...réduit le rendement de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ne venez plus nous parler de sérieux budgétaire, quand vous creusez le déficit à la pelleteuse ! (Applaudissements à gauche)

M. Loïc Hervé.  - Et la réforme des retraites ?

M. Thierry Cozic.  - Certains débats sont manifestement interdits. Ainsi, alors que la Cour des comptes préconise des mesures fortes sur l'héritage, le Sénat lui oppose un dogmatisme absolu. Aucun de nos amendements n'a trouvé grâce à vos yeux. (M. Emmanuel Capus s'en félicite.)

Autre débat escamoté : l'urgence climatique. Pourtant, le dérèglement est là, il prend des vies, conséquence directe du capitalisme fossile et financier qui enserre le pays.

Mme Sophie Primas.  - Si ça, ce n'est pas du dogmatisme !

M. Thierry Cozic.  - Coupes dans le fonds Barnier, dans les crédits de la rénovation thermique : nous sommes loin des 37 milliards d'euros qu'il faudrait investir chaque année ! Pourtant, vous avez refusé toute perspective au fonds vert.

Nos collectivités locales ont pu constater votre double discours : pendant le congrès des maires, vous vous érigiez en défenseurs des territoires ; pendant l'examen du PLF, vous avec désindexé les dotations, ponctionné les variables d'ajustement, maintenu le Dilico... Non, la droite sénatoriale ne protège pas les collectivités ! (Applaudissements nourris à gauche ; huées à droite)

Les quelques avancées - suppression de la fusion des dotations, doublement du fonds de sauvegarde des départements, pour lequel le groupe socialiste a joué un rôle central - ne sauraient masquer l'essentiel. Vous sacrifiez les collectivités sur l'autel de choix idéologiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Après le Gouvernement, au tour de la majorité sénatoriale, en bons Shadock, de creuser, creuser, creuser...

Ce budget ne résoudra aucun problème et risque même d'en créer. L'Allemagne traverse une crise analogue, avec au coeur la question budgétaire. La volonté du libéral Christian Lindner de baisser les impôts des plus riches a paralysé l'exécutif ; les investissements urgents dans les services publics, les systèmes de santé et de retraite ou la transition écologique demeurent entravés par l'orthodoxie budgétaire et par une dette qui roule comme un hamster tourne dans sa cage.

Ironie frappante : à Berlin, le gouvernement tombe sur la manière d'augmenter la dette ; à Paris, en essayant de la réduire. Ce n'est pas le fruit du hasard. Nous ne sommes pas dupes : tant M. Macron que M. Merz utilisent la panique budgétaire pour masquer leur absence de programme social et écologique. Et c'est derrière cet impensé que la majorité sénatoriale s'est cachée.

Ce budget ne résout strictement rien. Pire, en supprimant les rares dispositions redistributives, vous avez réduit les chances de trouver un compromis acceptable en CMP - au risque d'entraîner notre pays dans une impasse dont vous serez seuls responsables. (Bruyantes manifestations d'impatience à droite, l'orateur ayant épuisé son temps de parole.) En l'état, le groupe socialiste votera contre ce budget. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées des groupes CRCE-K et GEST)

M. Pascal Savoldelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Le 27 novembre, nous proposions de rejeter ce budget et de tout reprendre de zéro, craignant un budget inégalitaire, minoritaire et impropre à rassembler les Français. Le texte gouvernemental ne faisait que reprendre le projet Barnier, censuré, le projet Bayrou, rejeté par le vote de confiance, et l'éphémère projet Lecornu 1. Demain, peut-être, une loi spéciale - dernier moyen d'imposer le budget des battus !

Nouveau désaveu, le budget n'a récolté qu'une seule voix à l'Assemblée nationale. Ni la droite sénatoriale ni le Gouvernement ne se sont interrogés, alors que ce budget n'était soutenu que par 8 % des Français : il fallait continuer, comme si de rien n'était.

Le compromis n'a pas eu lieu, n'aura pas lieu, sinon entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale. On décidera en CMP, conclave non filmé, dont les communistes et écologistes sont exclus - bien qu'ils aient un groupe dans chaque chambre. (MM. Loïc Hervé et Olivier Paccaud s'exclament.)

Après trois semaines de débats au Sénat, la perspective d'un débat faussé et d'un budget imposé demeure. Le président Larcher plaide pour un 49.3 ; Élisabeth Borne lui a emboîté le pas.

M. Emmanuel Capus.  - Très bien !

M. Pascal Savoldelli.  - C'est légal, mais illégitime.

Nos craintes étaient fondées. Le budget initial reposait sur un équilibre : un tiers de l'effort sur les recettes, deux tiers sur les dépenses. Il est désormais clair que la droite sénatoriale n'a d'autre budget que celui du Gouvernement qu'elle a simplement durci, radicalisé. Elle en partage l'essentiel : la défense des possédants, le rationnement pour les autres. Côté recettes, la droite sénatoriale exonère les plus riches de 13 milliards d'euros, accorde 6 milliards d'euros d'allègements ciblés aux grandes entreprises, aux holdings patrimoniaux et aux hauts patrimoines. Elle a même refusé un simple document d'information parlementaire sur les 211 milliards d'euros d'aides publiques accordées sans contrôle aux entreprises ! Les plus riches continueront à vivre heureux, car cachés.

La rente est protégée, les grandes entreprises biberonnées et les magnats de l'immobilier consacrés dans la République des actionnaires.

Côté dépenses, 28 à 38 milliards d'euros de coupes sur les services publics, quand le Gouvernement en annonçait 23 milliards. Signe de cette brutalité : 1 milliard d'euros supprimé pour France 2030 - et tant pis pour notre industrie ; 4 000 suppressions de postes d'enseignant.

Et que dire des méthodes ? Secondes délibérations, rabotage de dernière minute : un sous-amendement déposé à 0 h 24, examiné à 0 h 30, est venu supprimer 1,9 milliard de crédits évaluatifs ! Vous dégradez le solde par un tripatouillage bien loin du sérieux budgétaire.

C'est une violence contre le peuple (protestations sur les travées du groupe Les Républicains), car on demande des efforts à ceux qui en font déjà. (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit ; M. Emmanuel Capus proteste.) Vous ne vivez pas dans le même monde que nous - celui des 360 plans sociaux, de la vie chère outre-mer, de l'explosion des factures d'électricité, des Français contraints de sauter des repas ! Voilà le pays tel qu'il est. Voilà le cadre dans lequel un budget devait être construit.

Le groupe CRCE-K a fait cinq cents propositions pour obtenir 70 milliards d'euros de recettes. Nous avons ciblé la richesse là où elle est : dans les rentes et les abus, pour réinvestir dans la relance, la solidarité, l'école, la culture, les transitions, les collectivités territoriales, les coopérations, les sécurités collectives, en misant sur la paix sociale et la diplomatie. Nous avons chiffré et défendu un budget alternatif.

Le mouvement social, syndical, le monde paysan, le monde du travail vous le disent : ce que vous faites n'a aucune légitimité dans le pays. Cette politique a été rejetée à chaque reprise. L'année 2026 sera peut-être celle des résistances nouvelles, populaires, unitaires. Et tout redeviendra possible. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)

M. le président.  - Conformément à l'article 60 bis du règlement, il va être procédé à un scrutin public à la tribune. Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l'appel nominal : lettre X. (Exclamations diverses ; M. Adel Ziane applaudit.)

Le projet de loi de finances pour 2026, modifié, est mis aux voix par scrutin public à la tribune de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°125 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 296
Pour l'adoption 187
Contre 109

Le projet de loi de finances pour 2026, modifié, est adopté.

M. le président.  - Nous arrivons au terme de la discussion du projet de loi de finances pour 2026, entamée le 27 novembre. Dans des délais contraints, nous avons siégé 165 heures. Le nombre d'amendements a battu un nouveau record : 5 156 amendements, 13 % de plus que l'an dernier. Dans ce contexte, la conférence des présidents a proposé de réduire les temps de parole à une minute pour l'examen de certaines missions : merci de vous être tous tenus à cette règle, qui nous a permis de tenir les délais constitutionnels. Néanmoins, si cette tendance inflationniste se poursuivait, elle menacerait à terme la qualité de nos débats, je le dis solennellement.

À l'issue de ces dix-sept jours de séance, j'adresse mes vifs remerciements au rapporteur général, Jean-François Husson, pour sa disponibilité et son travail. (Applaudissements) Je remercie le président de la commission des finances pour son implication et sa vigilance sur la bonne tenue de nos débats. (Applaudissements) Merci aux présidentes et présidents de séance, très mobilisés. (Applaudissements) Je salue les 48 rapporteurs spéciaux de la commission des finances, les 76 rapporteurs pour avis des autres commissions, ainsi que les présidents de ces dernières et les chefs de file des groupes politiques. Je remercie les présidents de groupes politiques ; leur tâche n'a pas été simple. Enfin, je remercie les services du Sénat. (Applaudissements)

Monsieur et Madame les ministres, je vous adresse nos remerciements, ainsi qu'à vos collègues ministres qui se sont succédé au banc.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances.  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Brigitte Micouleau applaudit également.) À mon tour de remercier les vice-présidents du Sénat, qui ont présidé nos séances pendant de très longues heures. Je remercie les services de la commission des finances, et tous ceux qui font fonctionner cette maison. (Applaudissements)

D'année en année, cela devient de plus en plus complexe. Cette année, le texte a été déposé tardivement, mais, l'Assemblée nationale ayant rejeté la première partie, nous avons échappé au pire : si nous avions dû traiter les articles additionnels adoptés par les députés, nous aurions pris encore une semaine de retard, sans doute.

Le nombre d'amendements est un sujet. L'absence de vote sur la première partie à l'Assemblée a conduit à défendre les amendements au Sénat. Résultat : deux à trois fois plus d'amendements qu'il y a dix ans.

Cela nous a conduits à adapter nos règles de fonctionnement. Limiter le temps de parole n'est pas idéal ; demain, on ne pourrait pas continuer ainsi, si le nombre d'amendements continuait de croître. Je ne serai plus là, mais il faudra trouver des solutions pour tenir les délais - peut-être une modification constitutionnelle temporaire allouant trente jours à l'Assemblée nationale et trente jours au Sénat ! (Sourires)

Merci, chers collègues, de vous être pliés à cette règle, ce qui nous a permis de mener à bien nos débats. (Applaudissements)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Dans une France qui doute, je me réjouis que nous ayons pu débattre démocratiquement, posément, sans dogmatisme - ce petit mot sympathique ne m'a pas échappé. (M. Thierry Cozic s'en amuse.) Il est sain que, sur certains sujets, il y ait des oppositions - parfois au sein même de nos familles politiques. C'est la démocratie qui vit.

Madame et monsieur les ministres, entendez qu'il vous faut travailler en bonne intelligence avec les deux chambres ! Il y a trois ans, le Sénat avait proposé 7 milliards d'euros d'économies au Gouvernement. Il n'en était rien resté. Cette fois-ci encore, nous avons fait des efforts : moins qu'espéré, peut-être ; plus qu'attendu, sans doute. Faites en sorte qu'il reste quelque chose de la copie du Sénat !

Pour que la CMP se passe bien, il ne faut pas d'interférences : il faut tout mettre sur la table, en transparence. L'avenir ne peut se construire en contournant certains. Pendant que nous examinions ici le budget rejeté à l'Assemblée nationale, des négociations se déroulaient ailleurs, dont les conclusions viennent percuter notre travail. Beaucoup ont mal vécu qu'on leur demande de réduire des dépenses qui sont les conséquences de déficits dont on refuse de régler les causes...

Madame la ministre, merci d'avoir assumé de renoncer aux reports de crédits qui affectent la sincérité du budget - notre commission les dénonçait en 2022, en 2023, en 2024. Ce moment de vérité est un hommage rendu au travail du Sénat, assemblée qui débat, s'oppose, mais surtout, trace des perspectives.

Il nous faut répondre au ras-le-bol fiscal, au souci de justice, de qualité des services, publics et privés. Aujourd'hui, ce sont les entreprises qui servent de bouc émissaire. Prenons garde à la tentation du poujadisme, voire de l'exil - avant qu'il ne soit trop tard.

Il nous reste quelques jours pour trouver un compromis - qui ne saurait ignorer le travail du Sénat. Les économies, les orientations fiscales proposées peuvent être discutées. Nous avons souhaité que les collectivités soient traitées avec considération et justice, et tenté de rendre la copie acceptable pour les trois blocs de collectivités. Les associations d'élus ont accepté le chemin que nous leur avons proposé. Au nom du Sénat, je vous demande de prendre en compte ce travail.

Bonne chance ! Souhaitons que nous trouvions la voie pour adopter un budget avant le 31 décembre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et sur quelques travées du groupe SER)

M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique .  - Merci à toutes et à tous, au président Raynal, au rapporteur général, aux présidents de commissions, à tous les rapporteurs, pour ces 180 heures de débat.

À Bruxelles, au conseil Ecofin, mes homologues, inquiets, me demandent si nous allons y arriver. L'Europe souhaite que nous réussissions. Elle n'est pas là pour nous donner des leçons.

Nos partenaires souhaitent aussi que nous poursuivions sur la voie de la consolidation budgétaire. La Commission européenne avait donné un avis favorable au projet de budget présenté par le Gouvernement ; le commissaire l'a redit vendredi. Or le texte qui sort d'ici n'est plus en ligne avec la prévision telle que nous l'avions présentée il y a deux mois...

J'entends qu'il y a des désaccords fondamentaux, honorables, sur des sujets de fond : équilibres entre recettes et dépenses ; répartition de l'effort entre État, collectivités territoriales et administrations de sécurité sociale ; entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement ; entre ménages et entreprises ; entre grandes entreprises et PME ; entre aisés et moins aisés ; entre jeunes et moins jeunes. Ces débats, légitimes, vont se poursuivre dans les dix-huit mois à venir et seront tranchés lors des prochaines échéances électorales.

Mais aujourd'hui, très franchement : Houston, we have a problem !

Demain, l'Assemblée nationale votera définitivement, nous l'espérons, un PLFSS. Vous venez de voter un PLF. En additionnant les deux, on aboutit à un déficit des administrations publiques à 5,3 % du PIB. C'est inacceptable. Nous devons réussir à sortir de cette ornière. J'entends que le rapporteur général a fait des propositions d'économies sur les dépenses, mais le texte qui vous était soumis, assorti du PLFSS voté à l'Assemblée nationale, affichait un déficit d'un peu moins de 5 %. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Burgoa.  - On n'est pas à l'Assemblée nationale, ici !

M. Roland Lescure, ministre.  - Les compromis trouvés à l'Assemblée se sont traduits par une dégradation du déficit - mais les compromis trouvés ici également ! Personne n'a la vertu de la discipline budgétaire.

Nous avons un problème. Il est soluble à condition que vingt-huit parlementaires, députés et sénateurs, soient capables de travailler ensemble pour faire converger une copie avec une autre - qui n'existe pas, mais qui doit être intégrée, si la CMP doit réussir.

M. Rachid Temal.  - Il faut appeler le père Noël !

M. Roland Lescure, ministre.  - Le Gouvernement est prêt à aider dans ce processus inédit, mais tout le monde devra y mettre du sien. Si chacun reste campé sur ses positions, nous n'y arriverons pas.

Mme Marie-Carole Ciuntu.  - Prenez vos responsabilités !

M. Roland Lescure, ministre.  - Un déficit à 5,3 %, cela ne passe pas. Vous allez devoir faire des concessions. Je suis persuadé que l'on peut aboutir, mais il faudra faire des efforts, y compris sur les recettes, qui ne sont pas au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; huées sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics .  - Je remercie chacun d'entre vous, et d'abord le rapporteur général, pour l'engagement, la patience, les convictions qui ont marqué ces longues heures passées ensemble. Nous avons fait honneur à la démocratie : chacun défend ses idées, tente de faire majorité, de manière civilisée, tantôt gagnante, tantôt perdante, au grand jour. Point de compromis de couloir, mais des compromis à ciel ouvert, retransmis à la télévision - j'en remercie les équipes de Public Sénat.

Sur le fond, il y a eu des propositions d'équité fiscale, de votre part et de la nôtre, sur l'IFI, sur le Dutreil ou sur le mécanisme d'apport-cession. Certaines ont fait majorité, d'autres ont été battues, mais débattues.

Sur les économies, il n'y aura pas d'interférence. Le Gouvernement est au service du Parlement. (Mme Pascale Gruny ironise.) Nous sommes là pour chiffrer, pour répondre à vos questions, mais ne serons, par définition, pas en CMP. Certaines propositions d'économies sont bienvenues et doivent être conservées.

Une voix à gauche.  - Et côté recettes ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je soutiendrai également certaines des nouvelles dépenses que vous avez proposées, et aiderai à les mettre en oeuvre si je suis encore ministre.

Vous appelez à des réformes « pour de vrai » ? Le Gouvernement a annoncé ce matin d'importantes réformes sur la commande publique ; j'ai dans mes dossiers une réforme de la foncière de l'État, ainsi que des réformes « pour de vrai » sur les opérateurs, inspirées de votre rapport. Nous ne renonçons pas à réformer.

Chacun mesure l'importance d'avoir un budget au 31 décembre. Non un budget de repli, mais un budget de l'essentiel. Comment, en ces temps troublés, nous mettre d'accord sur l'essentiel ? Il existe des majorités : sur l'autonomie stratégique, en matière de défense notamment, sur les enjeux d'innovation, de souveraineté, de protection - je pense aux petits colis  - , sur les services publics et les collectivités territoriales, sur la maîtrise des comptes.

Non, ce n'est pas un budget par défaut. C'est un budget pour agir, dans les dix-huit mois à venir, avant les débats cruciaux que nous aurons en 2027. L'instabilité n'est pas un choix, mais elle a un prix. La stabilité aussi : de croire au compromis. Je le crois possible, je le souhaite, je suis à votre disposition pour y arriver. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées du RDSE et du groupe SER)

La séance, suspendue à 16 h 50, reprend à 17 h 15.

Déclaration du Gouvernement sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP et UC ; Mme Sabine Drexler applaudit également.) Ce débat était d'abord imaginé pour vos collègues députés. En raison de la non-adoption de la première partie du PLF, ceux-ci n'ont pu examiner la mission « Défense ». Lors de son discours à Brienne, le 13 juillet dernier, le Président de la République a décidé d'une accélération, d'une marche de 3 milliards d'euros supplémentaires pour la loi de programmation militaire (LPM). Pour des raisons démocratiques, ce débat devait avoir lieu.

En revanche, au Sénat, vous avez pris le temps de débattre de cette mission et du budget des armées. Cet après-midi, je vous propose que ce débat aille un peu plus loin. Il nous faut débattre de la méthode pour mettre à jour la LPM au premier trimestre 2026.

Ce débat amène plusieurs questions, dont certaines ont déjà trouvé des réponses lors de la discussion de la LPM en 2023, et d'autres non.

Premier sujet, notre autonomie, notre souveraineté, notre indépendance. Je parle d'indépendance au sens strict, le fait de ne dépendre de personne, ni de Moscou, ni de Pékin, ni de Washington ; le fait de s'inscrire dans un coeur souverain d'indépendance nationale tel que le général de Gaulle nous l'a légué, consacré par tous les présidents de la République qui ont suivi.

La dissuasion nucléaire, elle, ne se partage pas. En revanche, certains programmes sont mutualisés, pour des raisons aussi bien politiques que budgétaires - je pense au système de combat aérien du futur (Scaf), au système principal de combat terrestre (MGCS), aux frégates nouvelle génération. Nous devons débattre : pourquoi y consacrer autant d'argent ? Acheter à l'étranger coûte moins cher, mais acheter en France est un enjeu d'autonomie, de souveraineté et de croissance économique.

Deuxième question : les sauts technologiques brutaux, comme l'IA ou le quantique, le New Space. Faut-il s'accrocher coûte que coûte, ou se laisser aller à une forme de déclin ? La réponse est dans la question. Le Gouvernement propose de s'accrocher. Il nous faut des moyens, et réinventer la dualité, qui conjugue civil et militaire.

Troisième sujet, le rapport entre l'appareil de défense et la nation, entre la jeunesse et les forces armées, entre la jeunesse et les anciens combattants. La question concerne les réserves, le service national, le lien entre les institutions civiles et militaires. Le général de Gaulle et Michel Debré voulaient que le ministère s'appelle « des armées », car le périmètre de la défense nationale est plus large. La Constitution le dit, c'est tout le Gouvernement qui est responsable de la défense nationale. Cela pose toute la question du spectre, de la sécurité économique, des approvisionnements ou des matériaux critiques.

La guerre est hybride. C'en est fait de l'éternelle caricature des chars arrivant sur Belfort. On peut être défait sans être envahi. Routes maritimes, fonds marins et cyber sont les nouveaux espaces de conflictualité. Sont aussi visés les infrastructures étatiques, les collectivités territoriales, les hôpitaux, les entreprises.

Dernier débat, le rapport entre notre système de défense, le pays et nos alliances. L'Union européenne n'est pas compétente en matière de défense. Mais, en matière économique, elle peut faciliter ou ralentir les choses. Ces dernières années, il y a eu plus de coups de frein que d'accélérateur. Le spatial est particulièrement concerné.

Enfin, ayons le débat - seule cette chambre peut le mener calmement  - sur le rapport entre notre armée, la France et l'Otan. Nous avons réintégré le commandement intégré de l'Otan depuis la présidence Sarkozy, mais nous ne sommes pas membre du Comité des plans de défense. Avec l'administration Trump, le rapport à l'Alliance évolue. Comment faire vivre le pilier européen de l'Otan ? Nous ne changerons pas de géographie. La relation avec Londres est la clef.

Il faut aussi revoir notre rapport avec l'Indo-Pacifique et le continent africain.

En conclusion, le débat est moins aux reports de charges qu'à des questions fondamentales : modèle d'armée, rythme de renforcement, relations avec la base industrielle et technologique de défense (BITD), capacité à exporter. Nos alliés sont plus exigeants que par le passé.

Je souhaite que ce débat nous permette de tirer quelques lignes de réflexions stratégiques pour les prochains mois, décisifs pour les armées françaises. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et du RDSE ainsi que sur quelques travées du groupe UC ; M. Christian Cambon applaudit également.)

Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.) Mes premiers mots sont pour les femmes et les hommes qui constituent nos armées. Je rends hommage à ceux qui servent la France dans l'Hexagone, les outre-mer et les théâtres du monde entier. Ils veillent, nous protègent, loin de leurs familles, toujours au service de la nation.

Leur visage représente l'engagement de ceux qui nous ont précédés, parfois jusqu'au sacrifice ultime. Leur courage nous oblige. C'est pour eux et nos concitoyens que nous devons regarder le monde tel qu'il est, et non tel que nous voudrions qu'il soit, avec lucidité et gravité.

Depuis l'agression russe contre l'Ukraine en 2014, et depuis 2022 encore plus, l'insécurité s'est aggravée.

Ce conflit n'est pas un accident de l'histoire. Voyons-le comme un révélateur du retour des empires, qui ne connaissent pas de frontières, ou s'imaginent comme tels ; un révélateur des illusions que nourrissaient ceux qui pensaient que les dividendes de la paix auraient conjuré pour toujours le spectre de la guerre en Europe. L'invasion de l'Ukraine a dissipé ces illusions.

Révélateur aussi des mutations de la conflictualité moderne. La guerre de haute intensité est de retour. Elle combine des armements de haute technologie et une dronisation massive du champ de bataille, avec un chantage nucléaire assumé dans le conflit russo-ukrainien.

Ces recompositions n'épargnent aucun continent : en Afrique, où les équilibres sont précaires ; en Asie-Pacifique, où les rivalités s'exacerbent sur fond de rivalité sino-américaine ; en Amérique latine, où le niveau de tension monte, comme au large du Venezuela.

Ces tensions sont d'autant plus inquiétantes lorsqu'elles concernent des États disposant de l'arme nucléaire. Les risques liés à la prolifération nucléaire ou balistique s'ajoutent à ce tableau.

Je ne vous ferai pas la liste des conflits, tant elle est longue.

Un constat s'impose : la guerre ne se limite plus aux champs de bataille traditionnels. Elle se joue partout, jusque dans le cyberespace et dans les profondeurs des fonds marins, voire jusque dans l'espace extra-atmosphérique que certains cherchent à militariser.

Notre pays en a pris toute la mesure.

La guerre se joue aussi dans la lutte contre les trafics, notamment le narcotrafic. Oui, les trafics de criminalité organisée s'additionnent au terrorisme ; ils viennent nourrir l'instabilité.

Hier encore, une attaque terroriste antisémite a frappé la capitale australienne. J'ai une pensée pour les familles endeuillées et le peuple australien. Nous devons rester totalement mobilisés : la menace terroriste n'a pas disparu, elle se transforme, à l'heure où nous commémorons les dix ans des attentats de 2015.

Oui, le monde se transforme sous nos yeux. La force redevient un axe central des relations internationales. Le monde fondé sur la primauté du droit et le multilatéralisme s'effrite, malheureusement. La force redevient un instrument assumé de politique étrangère, y compris pour les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous avons changé clairement d'époque. C'est ce que le Président de la République a choisi de présenter sans fard aux Français, dans ses discours du 5 mars et du 13 juillet dernier.

Les menaces se cumulent : menaces terroristes, menaces cyber, dans les fonds marins, menaces hybrides... Et le retour de la guerre en Europe.

Les fondements mêmes de la sécurité européenne sont remis en question. Les États-Unis veulent réduire leur engagement en Europe, alors que la Russie s'inscrit durablement dans une posture de menace à l'égard de notre continent, menace assumée, structurée, pensée dans le temps long. La Russie a choisi d'entrer dans une économie de guerre. Elle poursuit, sans relâche - j'insiste - son agression contre l'Ukraine, dans le but de terroriser la population et de briser sa résistance, puisque depuis trois ans cette dernière la tient en échec.

Depuis les accords de Minsk, la Russie a démontré un non-respect systématique de la parole donnée. Depuis 2014, vingt ans après les mémorandums de Budapest, elle n'a jamais respecté le moindre accord. C'est une stratégie cohérente fondée sur l'épreuve de force et la conviction que la puissance militaire peut à elle seule redéfinir les frontières.

Une seule conduite possible pour les Européens : ne jamais sous-estimer ou détourner le regard, ne jamais céder à l'aveuglement. En même temps, ne jamais répondre à l'escalade. Notre main doit être ferme et nos mots comptés, notamment face aux incursions d'aéronefs dans le ciel européen.

Une seule réponse vaut : l'anticipation plutôt que l'agitation, la détermination plutôt que l'hésitation, l'action plutôt que l'incantation. Le coeur de la question est : les Européens étaient-ils, sont-ils ou seront-ils prêts ? La question n'est pas de savoir qui a eu tort ou raison hier, mais que devons-nous faire aujourd'hui ?

Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre disait que c'est la place de la France et des Français dans ce nouvel environnement qui est en jeu. La France restera-t-elle indépendante ?

Le général de Gaulle disait en 1959 à l'École militaire : ...

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Très bien !

Mme Catherine Vautrin, ministre.  - « Il faut que la défense de la France soit française. [...] S'il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu'il est depuis ses origines, avec son rôle, avec l'estime qu'il a de lui-même, avec son âme. Naturellement, la défense française serait, le cas échéant, conjuguée avec celle d'autres pays. Cela est dans la nature des choses. »

Dans cette citation, chaque mot compte. C'est précisément cette ligne que nous vous proposons d'assumer. La responsabilité de protéger la France et les Français n'incombe à personne d'autre qu'à nous-mêmes. Notre pays est singulier, la seule puissance dotée de l'arme nucléaire au sein de l'Union européenne. Notre armée d'emploi professionnelle est la plus efficace du continent.

Assumer, c'est aussi construire une véritable autonomie stratégique avec nos partenaires européens, sans couper la relation transatlantique. Nous devons assumer notre rôle de pilier de l'Otan. Les Européens doivent prendre leur destin en main.

Même chose pour l'industrie de la défense : il faut produire, plus vite, moins cher, davantage, et produire en France et en Europe.

En 1972, lors de sa déclaration de politique générale, Pierre Messmer (M. Rachid Temal s'exclame ; « Très bien ! » à droite) disait : « Nous savons qu'il faut d'abord compter sur soi, c'est-à-dire avoir les moyens de décourager les agresseurs. » Cette déclaration n'est-elle pas d'une brûlante actualité ? (Mme Cécile Cukierman proteste.)

Nous sommes le camp de la paix. Pour cela, nous devons être crédibles. Nous avons dû relocaliser nos capacités de production, en particulier pour les munitions simples et complexes. Nous l'avons fait à Bergerac ou à La Ferté-Saint-Aubin. Notre filière de drones est en pleine croissance ; ce sera utile lors du prochain exercice Orion.

Nous devons constituer des stocks, améliorer notre approvisionnement en matières premières, constituer des stocks et renforcer notre résilience. La LPM a renforcé nos outils réglementaires. Les entreprises nous ont demandé d'accéder plus facilement au financement privé. Le dialogue de place montre le dynamisme animant le secteur. Je salue les premiers résultats obtenus.

Le renforcement de la BITD est aussi un enjeu pour nos territoires. Elle représente 220 000 emplois non délocalisables, avec des effets positifs sur chacun des bassins d'emploi.

Près des deux tiers des équipements militaires européens sont achetés hors de l'Union européenne, principalement aux États-Unis. En matière d'autonomie stratégique, la France défend un principe simple : l'argent européen doit servir les intérêts européens - c'est la préférence européenne. D'où notre insistance sur l'origine européenne des armes. D'où les programmes Safe dotés de 150 millions d'euros, pour des acquisitions conjointes, et l'Edip (programme pour l'industrie européenne de la défense). Les lignes commencent à bouger.

L'indépendance ne se décrète pas, elle se conquiert, comme le dit le Premier ministre. Depuis 2017, sous l'impulsion du Président de la République, cette prise de conscience s'est traduite par une première LPM. M. Lecornu a porté la seconde loi dite de réarmement et nous proposons d'accélérer avec les surmarches. Entre 2017 et 2027, nous aurons doublé le budget de la défense.

Jeudi dernier, vous avez adopté les crédits de la mission « Défense ». Avec les surmarches, ceux-ci auront des effets concrets : 2,4 milliards d'euros consacrés aux munitions, triplement de la livraison d'obus, 900 millions alloués à la défense sol-air, 750 millions pour l'espace, avec la commande de quatre satellites, 600 millions pour les drones et les robots. C'est du concret pour notre BITD, mais aussi pour nos soldats, nos marins, nos aviateurs.

L'argent est le nerf de la guerre, mais il ne suffit pas à lui seul. Une politique de défense repose aussi sur les forces morales, l'engagement et le sens du collectif, sans oublier le lien de confiance entre l'armée et la nation. C'est le rôle des associations du monde combattant ou du service militaire volontaire annoncé par le Président de la République le 27 novembre dernier. Dès 2026, de jeunes Français pourront s'engager pour dix mois dans l'une des trois armes. Toute une classe d'âge pourra mieux comprendre les enjeux de défense, et notre réserve progressera.

Le réarmement n'est pas que militaire, il est aussi moral et humain.

Face à un monde en pleine mutation stratégique, les réponses sont plurielles : financières, technologiques, avec l'arrivée de l'IA. La France a choisi la lucidité et la responsabilité. Le Gouvernement vous demande de débattre autour de la question : face à un monde en pleine mutation stratégique, soutenez-vous le renforcement de nos armées ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Mireille Jouve applaudit également.) « L'aveuglement d'une nation qui refuse de voir monter la menace prépare toujours les défaites les plus lourdes » disait le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre.

Le Sénat a adopté les crédits de la mission « Défense » voilà deux jours. Lors de l'examen de la LPM ou de la loi de 2023, le Sénat a toujours été au rendez-vous, dans un consensus républicain qui approchait l'unanimité.

Dès lors, quel peut être l'objet de ce débat ?

Monsieur le Premier ministre, ces questions font consensus, mais vous voulez un débat politique. Le groupe Les Républicains ne se dérobera pas - c'est dans notre ADN politique. Vous demandez au Parlement de se positionner sur la stratégie de défense nationale, sur les moyens et sur les efforts industriels à engager. Nous avons déjà validé l'augmentation de 6,7 milliards d'euros des crédits de la mission.

Monsieur le Premier ministre, nous vous proposons de faire de ce temps un moment utile. Disons-nous les choses franchement.

Depuis 2017, le Président de la République a mis un terme à la saignée et augmenté les moyens de la défense nationale. Nous lui en donnons acte.

À de nombreuses reprises, le Sénat a regretté un manque de transparence. Parfois, la communication l'a emporté. En témoigne l'usage de l'expression « économie de guerre » du Président de la République, qui relevait de l'affichage. En outre, 13 milliards d'euros de non-crédits sont apparus. D'où un sous-financement de la LPM, ce qui a nécessité son actualisation, dont nous espérons qu'elle sera sincère et exhaustive, et qu'elle autorisera enfin un débat sur la masse, le format et le modèle d'armée. Autant de sujets que le Gouvernement n'avait pas voulu traiter en 2023.

Mais voilà, la réalité du monde nous rattrape. Les digues du droit tombent. Nous ne plongeons pas dans l'inconnu pour autant. Le monde devant nous est celui où les peuples ont toujours vécu jusqu'au XXe siècle, celui où la force primait sur le droit.

Pourtant, combien de bonnes âmes, certaines sincères, d'autres subverties par le narratif de nos adversaires, voudraient détourner les yeux. Voyez les réactions insensées au discours du chef d'état-major des armées devant les maires.

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. Cédric Perrin.  - Oui, faisons de ce moment un débat utile. Parlons à nos partenaires européens, à nos compatriotes qui se laissent charmer par les sirènes d'une politique d'apaisement avec la Russie.

Les intentions pacifiques n'ont jamais prémuni personne contre la guerre. Luttons contre les défauts de la société de l'information - ou de la désinformation peut-être. Il faut écouter les chercheurs plutôt que ceux qui tweetent et qui clashent.

Julien Freund disait : « Vous pensez que c'est vous qui désignez l'ennemi ? Comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous. Or c'est l'ennemi qui vous désigne, et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitié, du moment qu'il veut que vous soyez l'ennemi, vous l'êtes. »

Oui, il faut prendre au sérieux les Russes ou les Américains quand ils veulent faire de l'Europe une proie. Les Chinois ont la finesse de ne pas affirmer publiquement cette vision des choses, qu'ils partagent entièrement.

Quel est le tribut ? Pour les Russes, c'est le rétablissement de l'empire soviétique. Pour les Américains, c'est l'obligation de droits de douane déséquilibrés, voire la revendication stupéfiante de territoires européens comme le Groenland. Pour les Chinois, c'est l'acceptation de la prise en main d'infrastructures civiles et les masses de produits industriels que la Chine peine de plus en plus à écouler.

S'y ajoute une ingérence constante dans la vie institutionnelle et le processus démocratique des sociétés européennes.

Dans ce monde de loups, cessons d'être des agneaux. Le 13 juillet dernier, le Président de la République a eu raison de dire qu'il faut être respecté pour être craint. Mais encore faut-il s'en donner les moyens.

La sécurité ne s'hérite pas. Elle se construit, elle s'organise, elle se prépare. En 1939, nous n'étions ni unis ni prêts. C'est ce qu'affirmait le général de Gaulle... Madame la ministre, nous avons les mêmes références.

Mme Catherine Vautrin, ministre.  - Cela ne m'étonne pas !

M. Cédric Perrin.  - Il faut se rappeler les débats homériques, en 2023, pour que le Sénat arrache quelques centaines de millions d'euros ! La suite nous a donné raison, ô combien !

Des moyens supplémentaires sont indispensables. Dominique de Legge a rappelé que nous sommes loin des taux d'efforts de la guerre froide, même avec la surmarche.

Nous aurons néanmoins deux exigences.

Nous devons aborder les sujets de fond, en particulier le modèle et le format des armées. Vous avez reconnu, monsieur le Premier ministre, qu'il manquait plusieurs dizaines d'avions et trois frégates. Nous saluons votre évolution sur ce sujet. Cela devra figurer dans la loi d'actualisation.

Il vous faut aussi revoir le rôle réservé au Parlement. Celui-ci n'a été que marginal pour le moment. L'exécutif tient le Parlement pour quantité négligeable. C'est cette conception du pouvoir qui nous a placés dans l'impasse institutionnelle actuelle.

Le service militaire volontaire doit être clairement défini et budgété, pour éviter qu'il ne finisse comme le service national universel (SNU), une opération de communication mal ficelée.

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Cédric Perrin.  - Plus de moyens, cela veut dire plus de contrôles. Le Sénat ne décevra pas les attentes des Français.

Le réarmement industriel est indispensable. Nous avons baissé la garde. S'ajoute à cela l'effroyable désindustrialisation de la France pour les années 1980, qui s'explique surtout par une vision mortifère faisant de l'industrie une vision du passé. C'est absurde. Nous en payons le prix aujourd'hui.

Nous en payons un prix plus dangereux encore, dans nos faibles capacités à passer dans une industrie de guerre.

Ce sursaut devra se traduire dans la loi d'actualisation de la LPM. Elle devra comprendre un important volet normatif, revenant sur le maquis des contraintes abusives. Il faudra aussi remettre sur le métier l'ouvrage largement avancé par le Sénat sur le financement des entreprises de la BITD.

Il convient aussi de repenser le fonctionnement de la DGA. Depuis plusieurs années, le Sénat demande plus d'agilité et de réactivité, notamment pour la captation des innovations. Il faut aussi mieux entendre les utilisateurs, nos forces armées ; cela nous aurait sans doute évité des erreurs, comme sur les drones.

À la question posée, Les Républicains répondent : oui. Oui à un redressement de l'effort de défense, à une prise de conscience sur le monde qui vient, à une riposte aux ingérences et manipulations. Oui pour que l'esprit français se réveille enfin et donne une vraie chance à la paix en préparant la guerre. Oui à une France forte dans une Europe souveraine, qui refuse de se laisser dévorer par les grandes puissances. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur des travées du groupe UC ; Mme Mireille Jouve applaudit également.)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du RDSE) Enfin ! Enfin un débat et un vote sur la défense nationale. Le groupe SER l'avait demandé, au regard notamment de la situation stratégique et du décalage de la LPM. De fait, il aurait été logique de parler de stratégie d'abord, de budget ensuite.

Approuvons-nous le principe d'une augmentation du budget de la défense pour soutenir la montée en puissance plus rapide de nos forces armées dès 2026 ? Plus précisément, il s'agit de savoir si nous sommes d'accord pour ajouter 3,2 milliards d'euros aux 3,5 milliards prévus par la programmation.

Au préalable, je reviendrai sur notre doctrine. Vous me pardonnerez, monsieur le Premier ministre, de ne pas citer le général de Gaulle, ni bien sûr Pierre Messmer, mais un autre grand Français : Jean Jaurès. En 1911, dans L'Armée nouvelle, il se demandait : « Comment porter au plus haut, pour la France et pour le monde incertain dont elle est enveloppée, les chances de la paix ? Et si, malgré son effort et sa volonté de paix, elle est attaquée, comment porter au plus haut les chances de salut, les moyens de sa victoire ? »

Nous, socialistes, sommes pour la paix, le droit international et le multilatéralisme. C'est pourquoi nous sommes pour une défense nationale puissante, fondée sur la dissuasion, en mesure de défendre notre pays, ses citoyens et ses intérêts vitaux. Telle fut la doctrine du président Mitterrand et de Charles Hernu, de Lionel Jospin et d'Alain Richard, du président Hollande et de Jean-Yves Le Drian.

À mon tour, je rends hommage aux femmes et aux hommes qui servent dans nos forces armées, parfois jusqu'au sacrifice suprême, sous le drapeau français ou dans le cadre d'opérations de l'ONU, de l'Union européenne ou de l'Otan.

L'année qui s'achève nous aura fait entrer dans un nouveau monde. Après la fin des dividendes de la paix, voici le retour des empires contrariés, qui font de la puissance la grammaire des relations internationales. Nos stratégies de défense doivent s'adapter.

Je pense d'abord à la mutation de nos principaux alliés que sont les États-Unis, profonde et durable : ne croyons pas qu'il suffirait d'attendre la fin de la présidence Trump pour que tout redevienne comme avant. Il y a un an, le vice-président américain disait sans ambages : il faut changer les régimes européens - pour vassaliser l'Europe. De même, la récente revue stratégique américaine annonce la couleur : l'Europe vassalisée fait partie d'un ensemble occidental auquel la Russie appartient aussi et qui doit contenir celui mené par la Chine.

Désireux de vassaliser toujours plus la France et l'Europe, les États-Unis ont aussi opéré un changement d'alliance en Ukraine, fermant les robinets des armes et du renseignement. Nous réaffirmons notre soutien au président Zelensky, aux forces armées et à la population ukrainiennes qui combattent contre Poutine. La ministre l'a dit : depuis 1989, Poutine n'a fait que des guerres - Caucase, Moyen-Orient, Afrique, Ukraine par deux fois. (Mme Catherine Vautrin renchérit.) Sans accord sur les conditions de la paix, il y aurait une troisième guerre en Ukraine. Nous saluons l'action du président Macron sur la coalition des volontaires, mais des moyens financiers doivent suivre.

La Russie est aujourd'hui le seul pays en économie de guerre, et tout le monde s'accorde à dire qu'elle sera plus puissante après la guerre qu'avant.

Napoléon disait : on fait la politique de sa géographie. La Russie étant en Europe, nous aurons à nous interroger sur notre rapport avec elle. Quant à la Chine, elle assume de promouvoir un nouvel ordre mondial. À Pékin, il y a quelques jours, quand le président Macron a voulu aborder les relations entre la Chine et la Russie, Xi Jinping lui a répondu : « On ne parle pas de ça. » Voilà qui en dit long...

Je pourrais parler aussi du conflit entre Israël et l'Iran, de la fin de la Françafrique - ou de la France en Afrique ? Du Moyen-Orient entre espoir et chaos, du terrorisme utilisé comme arme de guerre asymétrique, alors que nous commémorons les dix ans des attentats de Charlie Hebdo et du Stade de France, et de la place du climat et de l'eau dans les conflits à venir.

S'agissant de l'Otan, l'accord récent prévoit que nous achetions des armes américaines, ce qui nous interroge, surtout quand la présidente de la Commission européenne explique qu'il faudra acheter des armes américaines pour essayer de ne pas avoir de droits de douane.

La France et l'Europe sont désormais seules, et nous devons en tirer les conséquences en rassemblant le pays et en renforçant nos armées.

Sur le plan politique, l'exécutif doit associer davantage le Parlement. Le Président de la République doit arrêter sa politique des annonces - SNU, coalition contre Daech, « mort cérébrale » de l'Otan. Le domaine réservé n'interdit pas l'association. (Mme Catherine Vautrin approuve.) Hélas, certains partis ont embrassé le narratif de nos concurrents, de même que certains médias. Quant à la baisse des crédits du ministère des affaires étrangères, elle est une mauvaise nouvelle, car la diplomatie doit être intégrée à l'effort régalien.

Sur le plan budgétaire, nous soutenons l'effort, mais pas au prix de notre modèle social. La question des recettes budgétaires est donc posée. Peut-être pourrions-nous aussi faire bénéficier la défense du 1,5 milliard d'euros économisés sur France 2030.

Sur le plan industriel, peut-être faut-il concevoir plusieurs avions qui nous permettraient de répondre aux exigences diverses de nos pays et aussi de mieux exporter. On pourrait imaginer aussi que les grands groupes aient l'obligation d'investir à hauteur de 5 % dans des start-up.

S'agissant de la résilience de la nation, pourquoi ne pas lancer des débats dans le pays ? Nous devons aussi nous doter d'une politique nationale contre les ingérences étrangères ; M. de Legge et moi sommes à l'origine d'un rapport sur le sujet. Enfin, nous devons nous mettre d'accord sur la nature du service militaire volontaire et sa coordination avec, notamment, les réserves.

La question matricielle est celle de notre architecture de défense, de notre rapport avec l'Otan et de notre rôle en Europe, qui doit diversifier ses partenariats pour sortir d'une logique totalement occidentale.

Nous répondons par l'affirmative à la question posée, mais il ne s'agit nullement d'un blanc-seing.

Mme Cécile Cukierman.  - À la guerre !

M. Rachid Temal.  - Ma chère collègue, vous vous exprimerez dans quelques instants. Nous savons quelles sont vos obédiences. Je considère pour ma part que les belligérants sont au Kremlin et à la Maison-Blanche, pas à l'Élysée ou au Sénat.

Nous réaffirmons notre soutien ferme à nos forces armées et à une doctrine de souveraineté nationale et demandons que le Parlement soit pleinement associé à la construction d'une nouvelle loi de programmation militaire, qui renforce notre capacité de défense dans l'esprit du propos de Jean Jaurès que j'ai cité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Raphaël Daubet applaudit également.)

M. François Bonneau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous exprimons nos condoléances aux proches des victimes de l'attentat de Bondi Beach ; nous pensons en particulier à notre compatriote Dan Elkayam. De Sidney à Paris, partout, l'antisémitisme doit être combattu : il est une guerre à nos valeurs.

Depuis l'invasion russe de l'Ukraine, en février 2022, la guerre a fait son sinistre retour sur notre continent. Il faut aussi dire que nous avions refusé d'en voir les signes avant-coureurs. Dès l'annexion de la Crimée, en 2014, les visées expansionnistes du Kremlin étaient sous nos yeux. Or qu'avons-nous fait ? Peu de choses.

Le budget de nos armées a stagné à 1,8 % du PIB pendant cinq ans, ne remontant à 2 % qu'en 2020. Mais c'est pendant une quarantaine d'années que, par aveuglement, nous avons bradé le financement de nos armées. Ces dividendes de la paix ne furent qu'une dette que nous devons désormais rembourser.

Sommes-nous favorables à une augmentation de 6,7 milliards d'euros du budget de la défense en 2026 ? L'adoption par le Sénat des crédits de la mission « Défense » du projet de loi de finances prouve que, en majorité, nous le sommes.

Pour les admirateurs du Kremlin, cette hausse illustrerait notre prétendue hostilité. Mais, depuis 1991, la Russie est constamment l'agresseur : Transnistrie, Géorgie, Tchétchénie, Ukraine. Sans parler de la répression soviétique qui s'est abattue sur les pays d'Europe centrale et orientale.

Quant aux nostalgiques de l'esprit de Munich, français, européens ou américains, rappelons-leur que céder du territoire à un dictateur ne fait que renforcer ses appétits. Le Donbass ou les pays baltes ne doivent pas être à Poutine ce que les Sudètes ont été à Hitler.

Si nous voulons peser dans les négociations, il nous faut une armée à la hauteur de nos ambitions. D'où notre soutien à la hausse du budget des armées, qui ne va pas sans inquiétude, tant les incertitudes sur l'issue du PLF sont grandes.

Nous attendons avec impatience l'actualisation de la LPM, car la programmation actuelle ne suffit plus. Espérons qu'elle ne soit pas la victime collatérale de l'instabilité politique.

De nombreux investissements sont nécessaires pour assurer la projection de nos forces. Nous devons aussi être en mesure de protéger l'ensemble de nos territoires ultramarins.

Nous soutenons le développement du porte-avions de nouvelle génération. Pour reprendre le mot de Kissinger, un porte-avions, c'est 100 000 tonnes de diplomatie... Nous devons rester crédibles sur les mers, car les prédations de nos compétiteurs visent aussi Mayotte, la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie.

Nos projets d'armement doivent avancer, ce qui suppose des arbitrages en matière de gouvernance. Je pense au Scaf et au MGCS, qui ne peuvent plus être retardés.

Les nouvelles technologies - IA, robotique, drones - doivent trouver une place renforcée dans notre armement. En particulier, il est certain que l'IA jouera un rôle majeur dans le pilotage des essaims de drones, mais aussi pour l'autonomisation de nos matériels terrestres, navals et aériens.

La meilleure façon de prévenir la guerre, c'est de dissuader nos compétiteurs de nous agresser. Nos services de renseignement doivent avoir les moyens d'exercer leur mission essentielle.

Il faut aussi garantir la résilience de la nation. Si nous venions à être attaqués, le pays ne devrait pas s'effondrer sur les plans énergétique, alimentaire et sanitaire. Un véritable esprit de défense doit imprégner tous les pans de la société.

Le financement des entreprises de la BITD est un enjeu majeur. Nous nous félicitons de la création d'un fonds spécialisé par Bpifrance. Lever les obstacles au financement de nos entreprises de défense doit être une priorité du Gouvernement.

Enfin, la dissuasion nucléaire est l'ultime recours si les armes conventionnelles ne suffisent pas.

L'Allemagne et l'Angleterre intensifient aussi leur effort de défense. Si la prise de conscience des Européens est tardive, au moins est-elle partagée. À nous de doter notre défense d'un budget à la hauteur de nos ambitions. Souvenons-nous de cet avertissement de Churchill : « Que la stratégie soit belle est un fait, mais n'oubliez pas de regarder le résultat ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Sylvie Vermeillet et M. Michel Canévet applaudissent également.) Si l'Ukraine perd la guerre, l'Europe sera en confrontation directe avec la Russie, dans les pires conditions. La conclusion est claire : l'urgence est que l'Ukraine ne perde pas la guerre.

« Pire que le bourreau, son valet », disait Mirabeau. Ceux qui ne sont pas convaincus que Trump est le valet de Poutine devraient méditer les derniers événements : plan de paix américain rédigé à Moscou, Witkoff expliquant aux Russes comment manoeuvrer son patron, arrêt quasi total de l'aide économique et militaire, stratégie nationale de sécurité implacable contre l'Europe et complaisante envers la Russie.

Au mieux, l'Europe est seule. Au pire, elle affronte deux ennemis : la Russie et le trumpisme. Demain, dans les livres d'histoire, on ne dira plus Munich, mais Anchorage ; plus Daladier et Chamberlain, mais Trump. Le système Maga est en train de briser toutes les valeurs américaines. Au-delà des changements de cap en fonction de l'humeur du boss, il y a une continuité : humilier et vassaliser tous les alliés. Churchill disait qu'il n'y a qu'une chose pire que de combattre au côté d'alliés, c'est de combattre sans eux. Trump et ses promoteurs immobiliers travestis en diplomates s'apercevront un jour qu'aucune puissance ne peut se passer d'alliés. Tout le monde le sait depuis la défaite d'Athènes contre Sparte.

L'objectif de Poutine, c'est le retour à Yalta. Karaganov le dit : la guerre ne prendra fin que lorsque l'Europe sera défaite. Le but de Poutine n'est pas de prendre un territoire, mais sa revanche sur l'Occident. Il veut un concert des grandes puissances - Moscou, Washington, Pékin. Hélas, c'est aussi la vision de Trump.

L'Europe est seule. Or depuis trois ans, anesthésiée par trente ans de tranquillité, entravée par ses divisions et les lourdeurs de ses procédures, fragilisée par sa désindustrialisation et terrorisée par Poutine, elle n'a réussi qu'à éviter le pire, grâce à l'héroïsme des Ukrainiens. Il est temps de se ressaisir. Geler définitivement les avoirs russes était la première urgence, car Trump comptait les kidnapper, l'agresseur devenant un partenaire commercial, la victime un centre de profit et le médiateur empochant une rente sur les bénéfices.

L'urgence est à présent d'utiliser ces fonds pour armer l'Ukraine. Les États-Unis ont coupé toute aide et il n'y a plus d'argent pour leur acheter des armes. Si l'argent russe n'est pas débloqué dans les semaines qui viennent, l'Ukraine perdra la guerre. Dans trois jours, à Berlin, la France a la responsabilité historique d'en convaincre ses partenaires.

L'autre urgence est de nous réarmer. Où est l'économie de guerre annoncée par le Président de la République il y a trois ans ? Alors que le PIB européen est dix fois celui de la Russie, nous avons été incapables de mettre l'Ukraine à parité d'armement avec son agresseur... Qui peut croire à notre réarmement, alors que nous avons été incapables de mettre en oeuvre plus de 10 % du rapport Draghi ?

La hausse du budget militaire est une bonne nouvelle. Elle fait suite à une augmentation sensible depuis 2017. Je salue ces efforts, mais c'est une augmentation de temps de paix.

« La Russie entretient une confrontation avec l'Europe. Elle n'emprunte pas les traits d'une guerre classique, mais c'est une forme de guerre. » Ce propos est de Sébastien Lecornu, ministre des armées, dans son livre Vers la guerre. Oui, nous sommes en guerre.

En mai 1940, Winston Churchill nomme l'industriel Lord Beaverbrook à la tête d'un nouveau ministère de la production aéronautique ; quelques semaines plus tard, l'Angleterre produit plus d'avions qu'elle n'en perd au combat. Il crée une autorité interministérielle de l'industrie de défense, qui confie aux industriels la responsabilité de produire vite et bien : stratégie efficace.

La même idée appliquée à la reconstruction de Notre-Dame a fonctionné. Ce que nous avons fait pour Notre-Dame, il faut le faire pour la sécurité du pays. Si nous voulons vraiment préparer la guerre, ce qui est le meilleur moyen de l'empêcher, oublions les procédures de temps de paix. Nous avons aussi besoin de chefs : le triumvirat Macron-Merz Starmer fonctionne ; il faut lui adjoindre l'incontournable Pologne.

Enfin, il s'agit de gagner la bataille de l'opinion. C'est un miracle que, malgré l'extrême droite et l'extrême gauche, les sondages confirment que son soutien à l'Ukraine ne faiblit pas. Ces laquais de Poutine se disent patriotes, mais ce sont des patriotes russes, comme leurs devanciers étaient des patriotes allemands ou soviétiques.

L'Union européenne est face à une alternative : vassalisation ou transformation en puissance souveraine. Elle doit assurer sa sécurité, imposer un plan de paix favorable à l'Ukraine et dénoncer les ingérences de Trump et des nababs de la tech dans les affaires de l'Europe.

Trump n'est pas éternel. Cote de popularité en chute libre, élections perdues, dissidents Maga, affaire Epstein, agriculteurs victimes des droits de douane : quand les élus républicains comprendront que Trump les fait perdre, le navire prendra l'eau. Cessons les génuflexions et encourageons les Américains qui relèvent la tête !

Nous répondons oui à la question du Gouvernement. L'Europe peut redevenir la grande puissance qu'elle fut pendant des siècles, si elle en a la volonté. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur de nombreuses travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Raphaël Daubet et Mme Gisèle Jourda applaudissent également.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Si vis pacem, para bellum : la devise de l'École de guerre est d'une actualité frappante.

Je me réjouis que le Sénat ait adopté le projet de loi de finances pour 2026. Dans sa mission « Défense », nous avons autorisé 6,7 milliards d'euros de crédits supplémentaires, portant l'effort de défense à 57 milliards d'euros. J'espère ardemment qu'un accord sera trouvé pour une adoption définitive dans le délai fixé par la Constitution. C'est la responsabilité de tous : députés, sénateurs, Gouvernement.

La nouvelle donne géopolitique, ce sont des crises tout le temps et sous toutes les formes : guerre de haute intensité, comme en Ukraine, mais aussi ingérences, désinformation, cyberattaques ou chantage au nucléaire. Les points chauds se multiplient : détroit de Taïwan, Proche-Orient, Corne de l'Afrique, Sahel, notamment. Les acteurs, de même : groupes armés terroristes, organisations criminelles... Bref, nous sommes entrés dans un temps de permacrise et de polycrises.

Dans ce contexte, les mécanismes actuels de prévention des crises et de règlement des différends sont quasiment inopérants. Le système multilatéral hérité de 1945 est à l'agonie, servant ceux qui promeuvent un ordre mondial autour du droit du plus fort.

Et voilà que les alliances qui ont structuré les huit dernières décennies sont brutalement révisées. Comment interpréter autrement la nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine ? Puissent les États européens réagir par un sursaut salvateur plutôt qu'une peur panique les conduisant à raccourcir encore la laisse qui les attache aux Américains.

Les Européens ne doivent pas avoir peur de se projeter ensemble comme une puissance. À cet égard, la France avait vu juste depuis longtemps. Dès 2017, le Président de la République dressait le constat d'un désengagement inéluctable des États-Unis et de la nécessité d'une capacité d'action autonome de l'Europe en complément de l'Otan. Que d'énergie il a fallu déployer pour faire adopter le concept d'autonomie stratégique européenne, sous présidence française en 2022 !

Nous mettons à jour nos logiciels : revue nationale stratégique cet été, actualisation en vue de la programmation militaire, qui prévoyait déjà 413 milliards d'euros, accélération de notre effort dans le PLF 2026 avec une surmarche de 3,2 milliards d'euros, qui n'est pas du luxe au regard des enjeux. Le Premier ministre a présenté quatorze chantiers. Tous sont urgents : munitions, drones, IA, spatial...

N'oublions pas d'où nous venons : la France était tombée à 1,85 % du PIB pour sa défense en 2013. Entre 1991 et 2021, le nombre d'avions de chasse était passé de 686 à 254, celui des grands bâtiments de surface de 41 à 19. Heureusement, nous avons recommencé à investir, avec la relocalisation d'activités de production en France. Il faut encourager l'orientation de l'épargne vers le financement de l'économie de défense et soutenir la chaîne de valeurs des PME, trop souvent fragilisées par les retards de paiement de l'État.

Mais aucun réarmement matériel ne réussira sans réarmement civique et moral. L'attractivité et la fidélisation de nos soldats sont cruciales, comme la reconnaissance que nous leur devons. Je salue l'élan nouveau donné aux réserves opérationnelles. Nul doute que le nouveau service militaire volontaire permettra d'alimenter les forces d'actives comme de réserve dans la durée ; espérons que l'objectif de 50 000 jeunes participants sera atteint rapidement. Soutenons les acteurs qui concourent au lien armée-nation, dont l'IHEDN, les cadets et toutes les préparations militaires.

Notre défense doit être globale, dans l'esprit de l'ordonnance du 7 janvier 1959 du général de Gaulle : « La défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toute circonstance et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ». Français et Européens, nous devons nous en donner les moyens. Si nous voulons encore être Athènes, nous devons être aussi Sparte. Le RDPI votera oui au renforcement des moyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur des travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Puisque d'aucuns se sont risqués à des comparaisons historiques, je rappellerai que les guerres du Péloponnèse sont aussi le berceau d'un impérialisme, la thalassocratie, par laquelle Athènes assura sa domination sur l'ensemble du monde méditerranéen.

On a aussi parlé de Jean Jaurès. Il disait que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ». C'est pour s'opposer aux discours martiaux que Jaurès conçoit un socialisme réformiste qui l'éloigne progressivement de l'idéal révolutionnaire. On peut être contre la guerre et avoir à l'esprit l'intérêt du pays.

Je salue l'organisation de ce débat, suivi d'un vote - fait assez rare. Sans surprise, nous voterons contre. Mais je remercie le Gouvernement de nous permettre de traduire nos positions en vote.

Immigration de masse, effacement civilisationnel : selon la National Security Strategy américaine, ces menaces existentielles pèsent sur le continent européen. Ce discours xénophobe, racialiste et néocolonial reprend la théorie complotiste du grand remplacement. Tel est le visage du fascisme contemporain, avec lequel l'Union européenne continue pourtant de collaborer au sein de l'Otan. La cheffe de la diplomatie européenne a affirmé que les États-Unis demeuraient le plus grand allié de l'Union européenne, illustrant l'aveuglement stratégique dans lequel s'enferme notre continent.

M. Mickaël Vallet.  - C'est vrai !

Mme Cécile Cukierman.  - Le discours de la Sorbonne promettait souveraineté européenne et autonomie stratégique. Huit ans plus tard, où en sommes-nous ? Les dirigeants européens acceptent docilement une charge douanière de 15 % sur nos exportations vers les États-Unis. Nous sommes passés d'une dépendance au gaz russe à une dépendance au gaz de schiste américain, plus coûteux et plus polluant.

L'autonomie stratégique nous échappe tout autant : l'Union européenne s'aligne sur la position américaine contre la Chine dans un retour à la bonne vieille guerre froide - les gentils contre les méchants. Cela conduit l'Union européenne à refuser toute mesure protectionniste face aux USA, qui eux, se sont dotés de l'Inflation reduction act. (IRA). Cette fuite en avant contre la Chine pourrait bien nous mener à une catastrophe industrielle en cas de guerre commerciale.

Nous nous sommes laissés entraîner dans une guerre en Ukraine qui n'avait rien d'accidentel. Seul Donald Trump veut une paix, quel qu'en soit le prix, mais c'est pour mener une nouvelle guerre ailleurs.

Alors qu'elle a déjà causé la mort de 350 000 soldats ukrainiens et russes, la guerre a été encouragée par les États-Unis et le Royaume-Uni jusqu'au moment où l'investissement n'était plus rentable... Après avoir tenté un accord pour mettre la main sur les ressources ukrainiennes, Trump négocie directement avec la Russie. Et l'establishment européen veut prolonger la guerre coûte que coûte, certains disant même que pour faire la paix, il faut faire la guerre... (Mme Cathy Apourceau-Poly renchérit.)

Le double standard est éclatant : silence sur le massacre au Proche-Orient, indifférence face à la guerre de procuration au Soudan, au pillage des ressources en République démocratique du Congo. L'Union européenne ne suit pas des principes ou des valeurs, mais des intérêts impérialistes et économiques.

Nous devons parler sincèrement. La guerre, ce sont des vies humaines qui disparaissent. Le discours martial que vous tenez, avec le Président de la République, prépare notre opinion à une guerre qui serait la seule possibilité.

J'ai en tête les premières images du film Joyeux Noël, au début de la Première Guerre mondiale. On y voit des enfants allemands et français élevés dans la haine de l'autre.

Tout ce que vous nous avez vendu, le respect des règles de l'Union européenne, d'un déficit limité à 3 %, peut disparaître pour satisfaire les besoins de l'armement. Nous sommes dans des logiques de spéculation financière nous empêchant de contrôler notre stratégie de défense nationale.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Très bien !

Mme Cécile Cukierman.  - Oui ou non, nous, membres de l'Otan, voulons-nous continuer à être sous la coupe d'un homme qui ne cherche pas à faire la paix, mais à régler des conflits pour en ouvrir d'autres ailleurs ? Nous ne voulons pas et voterons contre la déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Mireille Jouve .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.) Les mots ont un sens. Nous le savons tous, même si certains, vivant sous le régime éphémère des réseaux sociaux, l'oublient. Guerre, paix, défense.

Trois ans après l'invasion de l'Ukraine, chacun reconnaît que la benoîte tranquillité dans laquelle l'Europe s'était installée a vécu. Les mots, souvent galvaudés, retrouvent leur signification.

Le long processus de l'Union européenne des vingt-sept avait instauré la sérénité. Désormais, l'Europe se réveille avec la gueule de bois.

L'Union européenne discutait sur la forme des bananes, cédant au mirage d'un grand marché protégé par le parapluie américain... Ses dirigeants ont oublié d'être des politiques et de mettre en place une politique de défense. On peut le comprendre : la France dispose d'une place au Conseil de sécurité garantie par sa force nucléaire ; l'Allemagne voulait tourner la page des années sombres.

François Mitterrand disait : « Dans les épreuves décisives, on ne franchit correctement l'obstacle que de face ».

Depuis 2022, nous ne vivons plus en temps de paix. Face à cette déliquescence et aux menaces qui l'accompagnent, tant les dirigeants que les militaires sont en alerte, mesurant notre faiblesse face à la folie populiste d'États qui allient agressivité économique et attitude belliqueuse en tout genre. Le 11 décembre, à Berlin, le secrétaire général de l'Otan, Mark Rutte, indiquait que nous devions nous préparer à une guerre semblable à celle de 1939-1945. Certains présentent le réarmement comme une ruse, faisant preuve d'une naïveté coupable.

Certains d'entre vous se demanderont quand je parlerai enfin de la défense nationale. Mais je le fais depuis ma première phrase ! Celle-ci ne peut être élaborée qu'inscrite dans un cadre européen. Elle doit intégrer les questions liées à l'Indopacifique et aux grands fonds marins.

Monsieur le Premier ministre, vous avez contribué à la trajectoire de progression, avec un budget qui atteindra 57,1 milliards d'euros.

Je me félicite du livret défense, mis en place en octobre dernier. La BITD doit être coordonnée et autonome, pour profiter d'une sécurité technologique et d'une robustesse de la chaîne d'approvisionnement. Elle doit se construire en lien avec la BITD européenne, dont le rapport de Pascal Allizard et d'Hélène Conway-Mouret montre qu'elle doit être musclée. Elle mobilisera entre 5 et 7 milliards d'euros d'investissements nouveaux pour répondre à l'augmentation des carnets de commandes d'environ 17,5 milliards d'euros d'ici à 2030.

Dissuasion nucléaire, sous-marins nucléaires d'attaque, spatial militaire, défense surface-air, lutte anti-drone, limitation de notre dépendance technologique, réserves de munitions, défense antimissile balistique, de préparation de la guerre d'attrition... : la liste est longue.

Oui aux moyens supplémentaires : c'est notre devoir envers les générations futures, pour notre pays et pour l'Europe qui doit se dégager de sa dépendance à l'industrie américaine.

Le défi est de faire accepter l'économie de guerre. Voyez l'émotion provoquée par les propos de Fabien Mandon, chef d'état-major des armées ; il faut pourtant se préparer et faire preuve de pédagogie, sans céder à la facilité de la propagande.

C'est ainsi que chacun comprendra que la défense du vieux continent est une condition de sa survie, de sa liberté, qui nous pétrit depuis soixante-dix ans, et dont nous voulons que les générations futures profitent.

Le RDSE votera en faveur de la trajectoire haussière des moyens de la défense nationale, tout en demandant un débat devant le Parlement sur le retour à un service militaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.) Monsieur le Premier ministre, les écologistes partagent le constat que vous avez formulé et qui rejoint celui de Mark Rutte. Nous n'avons aucun doute sur le fait que l'avenir de l'Union européenne se joue dans le Donbass. Nous n'avons aucun doute sur les volontés de Vladimir Poutine, prêt à sacrifier toute une classe d'âge pour retrouver les anciennes limites de l'URSS, consacrant à la guerre 40 % du budget et 70 % de son industrie lourde. Mis au ban des nations, Poutine ne peut plus reculer : il doit être battu.

Il nous faut consentir à ce rapport de force en défendant le droit international.

Nous avons regretté que le soutien à l'Ukraine n'aille pas assez loin ni assez vite. Nous ne nous sommes pas opposés à la LPM, malgré votre dogmatisme néolibéral.

Depuis un demi-siècle, persuadée d'avoir atteint la fin de l'histoire, votre famille politique a désarmé l'État, s'inspirant de Milton Friedman et Francis Fukuyama. Vous avez cru pouvoir toucher les dividendes de la paix, sans réaliser que la puissance de l'État est indivisible : en démocratie, quand on affaiblit l'État providence et l'État stratège, on affaiblit l'État régalien.

Monsieur le Premier ministre, chers collègues de droite, si vous voulez décréter la mobilisation générale, ne croyez pas que le pays l'acceptera en amputant les derniers services publics.

Les sondages l'indiquent, dans leur majorité, les Françaises et les Français ne veulent réduire les crédits d'aucune politique publique.

Votre message ne sera pas entendu si vous ne proposez pas de nouvelles recettes fiscales - comme en 1914 avec l'impôt sur le revenu - et la contribution de nos milliardaires, qui devront sortir du bois : veulent-ils défendre la France, ou l'arrivée à la tête de notre République des valets de Poutine ?

Malgré le respect que je vous porte, votre discours n'était pas celui d'un chef du Gouvernement, mais d'un ancien ministre des armées.

La menace est protéiforme. Le néolibéralisme a bâti un monde interdépendant et terriblement fragile. L'économie prévaudrait sur les querelles territoriales, éloignant ainsi la guerre ? Poutine a balayé ce présupposé, car il sait qu'il nous tient économiquement.

La sécurité du continent ne peut relever du seul effort militaire : l'Europe a acheté plus d'hydrocarbures à Moscou, pour 22 milliards d'euros, qu'elle n'a fait de dons à l'Ukraine - 19 milliards d'euros.

À quand une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) consacrant un mix énergétique souverain et sûr, alors que nos centrales nucléaires fonctionnent depuis quatre ans avec de l'uranium enrichi en Russie et que le bouclier de Tchernobyl, perforé par un drone, n'est plus étanche ? À quand une politique de transition agricole digne de ce nom, alors que nos importations d'engrais azoté russe ont progressé de 90 % depuis le début du conflit ? C'est aussi absurde que criminel.

Idem pour l'action extérieure : nous sabrons les budgets de notre diplomatie et de notre aide publique, notre influence s'effondre dans tout le Sud global - mais nous nous retranchons derrière notre ligne Maginot.

Idem pour notre sécurité civile, qui peine à faire front, ou pour nos hôpitaux, pour lesquels nous avons arraché nuitamment un compromis.

Vous ne dites rien de nos engagements otaniens : nous nous sommes engagés à porter nos dépenses de défense à 5 % du PIB, soit 130 milliards d'euros - plus du tiers du budget de l'État !

Comment nous prononcer sur un budget de la défense, sans avoir la moindre idée de l'évolution des recettes de l'État ? Le flou règne sur le cadre otanien et européen. Vous avez dit qu'il ne fallait compter que sur nous-mêmes. Ce n'est pas juste ! Vous invoquez de Gaulle ; nous lui préférons Jean Monnet, qui disait : « Nos pays sont devenus trop petits pour le monde actuel, à l'échelle des moyens techniques modernes, à la mesure de l'Amérique et de la Russie d'aujourd'hui, de la Chine et de l'Inde demain. » Un propos visionnaire ! À quand d'un commandant européen de l'Otan ? Sans ses partenaires européens, la France n'a pas les moyens de ses ambitions.

Monsieur le Premier ministre, faute de vision suffisamment large et précise de votre part, le GEST s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants .  - Merci à tous les intervenants.

Madame Jouve, nous ne sommes pas en guerre, il est important de le rappeler. Mais nous ne sommes pas complètement en paix non plus.

Monsieur Gontard, nos trois objectifs sont de dissuader, de renforcer notre posture de défense et de renforcer la résilience de la nation : cela concerne tout le Gouvernement.

Monsieur Temal, notre objectif, c'est la paix. C'est pour défendre la paix que nous avons le devoir de renforcer nos armées, avec la volonté de lutter contre ceux que vous avez qualifiés d'« empires contrariés ».

Monsieur Malhuret, je partage votre analyse. Le Conseil européen du 18 décembre portera sur le soutien à l'Ukraine et son financement.

Madame Cukierman, dans la guerre du Péloponnèse, Athènes disposait de ressources financières très supérieures...

M. Mickaël Vallet.  - Elle n'avait pas Bruno Le Maire !

Mme Catherine Vautrin, ministre.  - ... mais elle a fait une erreur d'appréciation (Mme Cécile Cukierman le confirme), en sous-estimant les forces maritimes spartiates. De la même façon, ne sous-estimons pas nos compétiteurs. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Monsieur le président Perrin, il importe de définir notre modèle d'armée. Vous avez fait allusion au porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) et à l'acquisition de nouvelles frégates. Jeudi dernier, le Sénat a adopté un budget en hausse : 7 % de plus pour la dissuasion, 6 % pour l'infrastructure, 26 % pour les munitions, 7 % pour l'espace, 33 % pour les drones et robots, 33 % pour l'intelligence artificielle et 20 % pour le renseignement. Cela renforce notre crédibilité.

Monsieur Bonneau, nous allouons 1,3 milliard d'euros à l'innovation en 2026 : 70 millions pour les études amont, - hypervélocité, grands fonds, quantique -, 400 millions pour l'intelligence artificielle et 500 millions pour le cyber.

L'économie de guerre, ce n'est pas seulement augmenter le budget : il faut aussi considérer les commandes passées à notre BITD, qui ont triplé en dix ans, de 10 milliards à 30 milliards d'euros. La réindustrialisation avance, avec quinze projets de relocalisations industrielles en cours, et les efforts vont se poursuivre.

M. Lemoyne a insisté sur le ruissellement vers les PME. En 2024, 20 % des achats du ministère ont été réalisés auprès de 20 000 PME et ETI, et la moitié des paiements aux grands groupes leur sont reversés. Le problème des délais de paiement concerne la chaîne de sous-traitance, non les paiements directs. Je suis preneuse de cas concrets.

La DGA poursuivra sa transformation, en décentralisant certains programmes et crédits et en créant des plateaux avec les forces et la BITD, pour plus de complémentarité. Nous devons innover, comme nous l'avons fait pour les drones. Nous développerons la première unité robotique de combat terrestre dans le cadre du projet Pendragon, en collaboration avec l'Agence ministérielle pour l'intelligence artificielle de défense (Amiad) et l'armée de terre.

Monsieur Gontard, sachez que le PLF prévoit le financement de l'hôpital des armées dans les quartiers Nord de Marseille.

Monsieur Lemoyne, le service national est une des composantes du lien armée-nation, tout comme la réserve opérationnelle. Depuis 2024, nous avons plus de candidats que de postes, les carrières étant désormais plus attractives.

Le Premier ministre a confié une mission au député Julien Dive pour réécrire le rôle et les missions des correspondants défense avant les élections municipales. Ainsi, les nouvelles équipes municipales élues pourront expliquer ce que l'on attend d'eux et comment travailler avec les délégués militaires départementaux.

Monsieur Perrin, vous avez raison sur le rôle du Parlement. Le présent débat permet d'échanger. Mais au début de l'année 2026, nous devrons aussi travailler sur l'actualisation de la LPM.

Avec les rendez-vous de Brienne, j'ai voulu créer un autre moment avec les députés et sénateurs non membres des commissions de la défense pour échanger sur les sujets de défense, avec le directeur du renseignement militaire (DRM) et les équipes du ministère.

Monsieur Temal, j'ai bien entendu votre proposition de débats locaux sur les sujets de défense. Préparer la paix, c'est nous mobiliser et renforcer nos armées. C'est ce que nous proposons avec ce PLF dont vous avez bien voulu voter les crédits. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants .  - Le constat stratégique est largement partagé sur ces travées. Monsieur Perrin, vous avez raison de dire qu'il faut prendre au sérieux ce que disent nos adversaires, nos compétiteurs et parfois nos alliés. Ils disent ce qu'ils font et font ce qu'ils disent...

Monsieur Temal, le changement de paradigme s'est effectivement brutalement accéléré cette année, mais les revues nationales stratégiques l'avaient anticipé. Le cadrage géopolitique de la LPM soulevait déjà la question des partenariats et des alliances. La question, évoquée par le Premier ministre, de savoir ce qui relève de notre coeur de souveraineté et ce qui relève de la dépendance consentie a été structurante.

Monsieur Malhuret, c'est en effet une question de volonté. Toutefois, mon constat sur l'inertie européenne sera moins sévère que le vôtre. Au début de la guerre en Ukraine, RT France et Sputnik émettaient encore en Europe. Personne, hormis la France, ne semblait s'en émouvoir. Des progrès considérables ont été faits via la facilité européenne pour la paix (FEP), pour laquelle vous connaissez l'importance de la contribution française. Le rapport de force entre l'Europe et la Russie n'est pas forcément déséquilibré à condition que nous prenions conscience de nos atouts technologiques, économiques, militaires, et de nous-mêmes.

Monsieur Lemoyne, vous avez rappelé notre long combat en faveur de l'autonomie stratégique européenne. Il est un peu triste d'avoir eu raison trop tôt... Mais ce n'est pas une raison pour abandonner. Nous avons eu raison de dire, dès le sommet de Versailles, que l'Europe devait réduire ses dépendances. La guerre hybride a été bien anticipée.

Madame Cukierman, en toute honnêteté, s'il y a un pays qui sacrifie sa jeunesse et use de propagande pour la transformer en arme de guerre, y compris en prenant des enfants ukrainiens, c'est bien la Russie. Attention à ne pas nous confondre avec ceux qui instrumentalisent les enfants. Il faut faire de la pédagogie.

Le programme Safe a avancé. Certes, il est financé par l'endettement des nations ; c'est pourquoi le ministère des armées insiste sur le fait que la défense est une compétence nationale. Pour autant, cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas travailler avec les Européens, au contraire. La France s'est d'ailleurs rapprochée du Royaume-Uni sur le sujet nucléaire. La déclaration de Northwood comporte un volet coordination important. La France doit avoir un rôle de leader sur le réarmement conventionnel de l'Europe et agir aussi en coalition, dans la lignée de l'action menée par le Premier ministre lorsqu'il était ministre des armées.

Pour avancer, l'Europe doit changer. Huit ans après le discours de la Sorbonne, elle doit faire le tri entre ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné.

Quelle que soit la position américaine, l'alliance militaire au sein de l'Otan reste indispensable, ne serait-ce que parce qu'elle l'est pour nos alliés européens. Il faut continuer à créer le pilier européen. C'est d'ailleurs le sens de la coalition des volontaires : une prise en main des Européens par eux-mêmes. Nous devons aller au bout de cette logique, car c'est ainsi que se construira la défense de l'Europe. Il n'y a donc pas d'opposition entre la construction du pilier européen de l'Otan et la défense européenne.

Monsieur Gontard, nous sommes assez sceptiques sur le fait d'utiliser des points de PIB pour mesurer l'effort réalisé en faveur de la défense. Ce qui compte, c'est le nombre de bateaux, la quantité de troupes. Cela dit, le sujet de la résilience a bien été intégré dans le comptage négocié au sommet de La Haye. De plus, comme l'a rappelé le Premier ministre, la défense nationale dépasse le seul budget du ministère des armées.

Nous avons construit des partenariats stratégiques solides avec des pays du Sud : l'Inde, l'Indonésie ou encore les Émirats arabes unis. L'expression « partenariat stratégique » a parfois été galvaudée. C'est, là aussi, une question de dépendance consentie et de construction commune, sans contradiction avec le rôle de puissance que l'Europe doit jouer dans le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP ; Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)

La déclaration du Gouvernement sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°126 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 307
Contre   19

La déclaration du Gouvernement est approuvée.

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Lors de la séance de ce jour, le Sénat a décidé que la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote sur cette déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée, prévue le mercredi 17 décembre, débuterait à 21 h 30, sous réserve que l'espace réservé au groupe Les Indépendants - République et Territoires soit terminé à 20 h 00.

Il en est ainsi décidé.

Rappel au règlement

Mme Cécile Cukierman.  - Il me semble avoir vu sur l'affichage de l'hémicycle qu'il manquait un scrutin dans le décompte des voix de mon groupe. Rassurez-vous, monsieur le Premier ministre, cela ne change rien au résultat final... (Sourires) Mais je m'interroge.

Bien sûr, je peux avoir perdu un membre de notre groupe durant le week-end. (Sourires)

M. le président.  - Je vous rassure : vous n'avez perdu personne. En tant que président de séance, je n'ai pas pris part au vote, par tradition.

Prochaine séance demain, mardi 16 décembre 2025 à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 30.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 16 décembre 2025

Séance publique

À 14 h 30

Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, M. Loïc Hervé, vice-président

1Proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quinquies C du règlement, visant à demander au Gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour empêcher la ratification de l'accord avec le Mercosur, présentée par MM. Jean-François Rapin, Cédric Perrin et Mme Dominique Estrosi Sassone (texte de la commission, n°157, 2025-2026) (demande du groupe Les Républicains)

2Proposition de loi visant à intégrer les centres experts en santé mentale dans le code de la santé publique, présentée par M. Alain Millon et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°204, 2025-2026) (demande du groupe Les Républicains)