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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Convocation du Parlement en session extraordinaire

Modification de l'ordre du jour

Victimes du chlordécone

Discussion générale

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Cyril Pellevat

M. Louis-Jean de Nicolaÿ

M. Frédéric Buval

M. Philippe Grosvalet

M. Jean-François Longeot

Mme Evelyne Corbière Naminzo

M. Jacques Fernique

M. Victorin Lurel

Discussion des articles

Article 1er

Après l'article 1er

Article 1er bis (Supprimé)

Après l'article 1er bis (Supprimé)

Article 2

Seconde délibération

Article 1er (Seconde délibération)

Vote sur l'ensemble

M. Jacques Fernique

M. Frédéric Buval

Mme Catherine Conconne

M. Patrick Kanner

M. Victorin Lurel

M. Guillaume Gontard

Renforcer la protection des ressources en eau potable

Discussion générale

Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi

M. Hervé Gillé, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement

M. Jean-Marc Delia

Mme Solanges Nadille

Mme Maryse Carrère

M. Alain Duffourg

M. Alexandre Basquin

M. Jacques Fernique

M. Michaël Weber

M. Cédric Chevalier

Discussion des articles

Article 1er

Rappel au règlement

Discussion des articles (Suite)

Après l'article 1er

Article 2

Mme Florence Blatrix Contat

Mise au point au sujet de votes

Impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches

Discussion générale

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances

M. Xavier Iacovelli

M. Raphaël Daubet

M. Michel Canévet

M. Pascal Savoldelli

M. Thomas Dossus

M. Thierry Cozic

M. Marc Laménie

M. Dominique de Legge

Discussion de l'article unique

Mme Ghislaine Senée

M. Yannick Jadot

M. Grégory Blanc

M. Alexandre Ouizille

M. Yan Chantrel

Mme Anne Souyris

M. Pascal Savoldelli

M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances

M. Michel Canévet

Mme Christine Lavarde

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

Vote sur l'ensemble

Mme Ghislaine Senée

M. Pierre Barros

M. Thierry Cozic

M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances

Mise au point au sujet de votes

Mieux protéger les écosystèmes marins

Discussion générale

Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi

M. Jacques Fernique, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Mme Sophie Briante Guillemont

Mme Annick Billon

M. Jean-Pierre Corbisez

M. Daniel Salmon

M. Michaël Weber

M. Cyril Pellevat

Mme Agnès Evren

Mme Solanges Nadille

Discussion des articles

Article 1er

Article 2

Modification de l'ordre du jour

Ordre du jour du mardi 17 juin 2025




SÉANCE

du jeudi 12 juin 2025

101e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

Secrétaires : M. François Bonhomme, M. Bernard Buis.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Convocation du Parlement en session extraordinaire

Mme la présidente.  - M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 11 juin 2025 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du 1er juillet 2025.

L'ordre du jour, tel qu'établi de façon prévisionnelle par la Conférence des présidents qui s'est réunie le 11 juin 2025, est ainsi confirmé.

Modification de l'ordre du jour

Mme la présidente.  - Le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 2 juillet 2025, après la séance de questions d'actualité au Gouvernement, sous réserve de leur dépôt, de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.

Acte en est donné.

Victimes du chlordécone

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone.

Discussion générale

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer .  - Le scandale du chlordécone est une tache dans l'histoire récente de notre pays, une fêlure entre l'État et les territoires exposés : Martinique et Guadeloupe.

Mon souhait et mon ambition sont d'avancer dans la reconnaissance des préjudices subis. Dans ces territoires, les attentes sont fortes, légitimement : ne les décevons pas. Trop souvent, dans les outre-mer, des rendez-vous manqués ont nourri l'incompréhension, la défiance et la colère, attisant parfois les tensions.

La colère ne doit pas être un frein à l'action. Hélas, on ne reviendra pas en arrière, mais il faut parler de ce scandale. Au-delà des enjeux sanitaires et d'indemnisation, c'est une question de cohésion qui touche au pacte social, à la relation de ces territoires avec l'État et l'Hexagone - avec Paris.

Si la posture du gouvernant et du législateur induit à raison une certaine distance aux affects, il est nécessaire ici de comprendre les émotions et de mesurer les colères.

La stratégie interministérielle 2021-2027, ou plan chlordécone IV, porte ses fruits. Je salue le travail de coordination mené sous l'égide de la directrice de projet. Ce plan comporte une quarantaine de mesures concrètes, et les crédits engagés sont supérieurs à ceux des trois précédents plans. Les analyses de sang sont prises en charge par l'État - 42 500 dosages ont été effectués -, de même que les analyses de sol - 12 000 ont été réalisées - et les conseils en matière d'alimentation ou de jardinage. Quelque 98,2 % des denrées alimentaires contrôlées sont propres à la consommation. Le surcoût de traitement de l'eau potable est pris en charge par l'État : l'eau potable est conforme à 100 % en Martinique et à plus de 97 % en Guadeloupe. Les éleveurs de bovins bénéficient aussi d'un accompagnement, et 800 pêcheurs sont aidés.

Toutes ces actions visent à permettre aux Antillais de vivre sans risque chlordécone. Beaucoup ignorent que la substance s'élimine naturellement du corps lorsque cesse l'exposition, essentiellement alimentaire. Or il est possible de cultiver et d'élever des bovins en évitant la contamination : nous devons accompagner ces pratiques.

L'État continue d'agir en ce sens. Le zéro risque chlordécone est ma boussole. L'atteinte de cet objectif dépend des habitudes des populations, aussi le travail d'information et de sensibilisation sera-t-il poursuivi.

Mais il faut aussi un acte solennel de reconnaissance. Cette reconnaissance est triple : elle porte sur les causes, les faits et les victimes. Le Président de la République a prononcé des mots forts en 2018, dans son discours de Morne-Rouge, reconnaissant que l'État, les élus et les acteurs économiques avaient accepté, pour ne pas dire accompagné, l'usage prolongé du chlordécone, pourtant abandonné dans d'autres territoires.

Plusieurs initiatives parlementaires ont vu le jour, dont la proposition de loi de Dominique Théophile, que vous savez examinée en avril dernier. La présente proposition de loi d'Élie Califer a été adoptée par l'Assemblée nationale en février 2024, à l'époque contre l'avis du Gouvernement.

J'ai oeuvré pour que les lignes bougent. Il est temps que la responsabilité de l'État figure dans la loi. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé un amendement visant à la reconnaissance de l'ensemble des préjudices subis.

Nous aurons l'occasion d'aborder la question du préjudice moral d'anxiété. L'État a été condamné par la Cour administrative d'appel de Paris sur cette base, et d'autres procédures sont en cours. Le pourvoi formé par le Gouvernement vise à sécuriser la jurisprudence : j'espère que la décision du Conseil d'État consolidera le dispositif d'indemnisation.

L'État reconnaît pleinement sa responsabilité. Aussi je soutiendrai l'amendement de Frédéric Buval mentionnant la responsabilité de l'État et non une part de responsabilité. L'État n'est pas le seul responsable, mais il assume la plénitude de sa responsabilité propre.

Ce texte marque une avancée majeure pour les victimes, mais le travail doit se poursuivre pour informer sur les risques, protéger la santé des habitants et réparer le passé.

En avril dernier, lors de l'examen du texte de Dominique Théophile, finalement retiré par son auteur, le Gouvernement s'était engagé à ouvrir une nouvelle voie d'indemnisation, pour les victimes non professionnelles, dont la prise en compte est une exigence d'équité. Le ministre de la santé, Yannick Neuder, y est également attaché, et les travaux sont en bonne voie. Une mission interinspections va être lancée pour définir l'entité chargée de l'indemnisation et les modalités de celle-ci, mais les incertitudes de gestion administrative ne doivent pas faire obstacle à la concrétisation de notre volonté politique.

Le Gouvernement soutient ce texte, qui reconnaît la responsabilité de l'État. Plus largement, il poursuivra sa stratégie visant à atteindre le zéro risque chlordécone et ouvrira la nouvelle voie d'indemnisation dont je viens de parler. Nous n'effacerons pas la tache de ce scandale, mais nous pouvons ouvrir un nouveau chapitre de notre histoire commune, fondé sur la confiance et le respect. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE et sur des travées des groupes UC et SER, ainsi qu'au banc des commissions)

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous avons la responsabilité immense de reconnaître les lourds préjudices liés à l'utilisation du chlordécone dans les Antilles françaises entre 1972 et 1993.

Il y a deux mois, nous examinions la proposition de loi de Dominique Théophile visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à instaurer un mécanisme de réparation. Elle fut retirée par son auteur après la modification de l'article 1er, nous laissant avec un sentiment amer de gâchis et de remords. Mon groupe a donc demandé l'inscription à notre ordre du jour du présent texte, adopté par l'Assemblée nationale, reconnaissant la responsabilité de l'État dans la contamination des populations et la pollution des sols et des eaux.

Sa portée est différente de celle du texte de M. Théophile : il ne modifie pas les indemnisations ni ne crée de nouvelle autorité administrative indépendante. Mais il se concentre sur l'essentiel : la reconnaissance du préjudice et la recherche.

Pierre angulaire de la proposition de loi, l'article 1er reconnaît la part de responsabilité de l'État dans quatre préjudices.

Le préjudice sanitaire ne fait aucun doute. Des études de l'Inserm, notamment, le confirment. Près de 95 % des habitants de Guadeloupe et de Martinique ont des traces de chlordécone dans le sang. De fait, la pollution des sols affecte toute la chaîne alimentaire.

L'article reconnaît aussi le préjudice moral d'anxiété, lié à la crainte de développer une pathologie en vivant dans un environnement que l'on sait contaminé. Si cette notion peut paraître floue et complexe, elle est communément maniée par le juge administratif, qui procède à une appréciation fine, in concreto, et en fait usage avec précaution : sur 1 300 demandes, la Cour d'appel de Paris a admis ce préjudice dans neuf cas seulement.

Le préjudice environnemental est au stade du développement jurisprudentiel : le tribunal administratif de Paris l'a reconnu en 2021 dans la célèbre « affaire du siècle ».

Enfin, l'article reconnaît le préjudice économique, soit la perte de gains pour les activités touchées, parmi lesquelles l'agriculture et la pêche. Le plan chlordécone IV prévoit des aides compensatoires.

La commission a précisé les contours de la responsabilité de l'État, non pour en réduire la portée symbolique ou pratique, mais dans une démarche constructive de recherche de coresponsabilités. Comme pour l'amiante, l'État ne peut être tenu pour seul responsable. Des exploitants agricoles et des industriels sont aussi en cause, et il serait trop facile d'imputer à l'État la totalité de l'ardoise. La justice aura à identifier ces coresponsables.

La commission a aussi souhaité encourager la recherche scientifique en direction des femmes touchées. Sans science, pas d'objectivation, donc pas d'indemnisation. Dans son discours de réception à l'Académie française, Marguerite Yourcenar parlait de la « troupe invisible » des femmes. De fait, celles-ci sont pour l'heure réduites à des ombres chinoises dans la réponse de l'État.

Mes travaux m'ont permis de prendre la pleine mesure de l'action de l'État, notamment dans le cadre du plan chlordécone IV, qui constitue une réponse significative. L'action est désormais plus structurée, qu'il s'agisse de prévention, de recherche ou d'accompagnement.

L'association Phyto-Victimes, que je connais bien, m'a alertée sur les risques que font peser sur son action d'éventuelles coupes budgétaires. J'espère que le Gouvernement nous donnera des garanties à cet égard.

Nos compatriotes ultramarins nous regardent ; ils comptent sur nous. Reconnaissons les souffrances passées et les peurs du présent : ce pas en avant fera honneur à la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDPI ; M. Alexandre Basquin applaudit également.)

M. Cyril Pellevat .  - Deux mois après l'examen de la proposition de loi du RDPI, nous débattons à nouveau de la grave question du chlordécone aux Antilles. Je remercie Nadège Havet pour le travail qu'elle a accompli sur ce sujet délicat.

La proposition de loi soumise à notre examen a été adoptée en 2024 par l'Assemblée nationale.

Le chlordécone a été utilisé dans les bananeraies antillaises pendant vingt ans, du début des années 1970 au début des années 1990. La rémanence de ce pesticide est particulièrement forte : sols et nappes phréatiques sont contaminés pour siècles. Plus de 90 % des Antillais ont dans le sang cette molécule qui entraîne troubles neurologiques, infertilité, cancers et malformations congénitales. L'incidence du cancer de la prostate aux Antilles est deux fois supérieure à celle de l'Hexagone.

L'État savait. Il a sciemment autorisé l'usage d'un produit dont les études prouvaient la dangerosité et que les États-Unis avaient interdit dès 1976. Or la responsabilité des autorités n'a jamais été reconnue jusqu'à aujourd'hui. La colère des victimes est donc légitime.

Depuis 2021, le cancer de la prostate est reconnu comme une maladie professionnelle pour les travailleurs des bananeraies. Certaines atteintes in utero sont également reconnues. Mais quid des femmes ? Il est hypocrite et injuste qu'elles ne puissent pas obtenir d'indemnisation. Nous saluons donc l'amendement voté en commission pour encourager la recherche de pathologies chez les femmes ; c'est le minimum que nous leur devons.

L'État n'était pas seul à savoir, et la responsabilité est partagée avec d'autres acteurs, y compris locaux. Mais nous voterons cette proposition de loi de portée symbolique, en espérant des actes concrets. (M. Jean-François Longeot applaudit.)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Nous débattons ce matin d'un sujet sanitaire, environnemental et humain majeur : la pollution persistante au chlordécone, pesticide hautement toxique, dans les Antilles françaises. Il est juste d'apporter une réponse structurelle à la défaillance systémique de l'État ; cette réponse passe par la science, le droit et la volonté politique.

Cette affaire doit être replacée dans son contexte historique et territorial. Le chlordécone a été utilisé pour protéger la culture de la banane, première ressource économique locale, contre un ravageur redoutable : le charançon du bananier. Les signaux d'alerte ont été ignorés, puis la toxicité de cette substance a été insuffisamment prise en compte. Il convient donc de nuancer le récit d'une décision cynique ou pleinement consciente : l'État a failli, mais dans un contexte où les connaissances, les urgences économiques et les logiques agricoles de l'époque ont pesé lourd.

En 2008, François Fillon, alors Premier ministre, a lancé le premier plan chlordécone, point de départ d'actions de dépollution, de prévention et de recherche. Le quatrième plan est doté de 130 millions d'euros, soit plus que les trois précédents réunis.

Rapporteur pour avis de la commission des finances sur la mission « Cohésion des territoires », je m'exprime annuellement sur le plan chlordécone, qui dépend du programme 162. J'insiste chaque fois sur le rôle central et incisif du Sénat dans la construction, la sécurisation et l'évaluation de ces plans. Nous avons défendu des moyens financiers stables, une meilleure gouvernance et la reconnaissance des victimes. Nous n'avons pas hésité à jouer un rôle de vigie sur l'exécution réelle des crédits.

De son côté, l'Opecst a alerté sur le manque de recherche, de transparence et de pilotage.

La réponse prévue est perfectible ; elle doit s'inscrire dans une dimension globale et compatissante. La République ne peut rester sourde aux souffrances subies, et nous ne pouvons nous retrancher derrière la complexité juridique.

Cette proposition de loi nous offre l'opportunité d'entériner une reconnaissance nécessaire, même si nous regrettons son recentrage sur une reconnaissance symbolique. La position de Mme la rapporteure emporte globalement notre adhésion : il s'agit de reconnaître la responsabilité de l'État tout en laissant ouverte la possibilité de coresponsabilités et en encourageant l'indemnisation des femmes. En ce qui concerne le préjudice moral d'anxiété, la position du Gouvernement nous paraît plus adaptée.

Les territoires ultramarins ne doivent pas être les angles morts de la République. Il est temps que l'État tienne ses engagements et il est primordial de restaurer la confiance. Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi dans le texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.)

M. Frédéric Buval .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Catherine Conconne applaudit également.) Je salue mon collègue Dominique Théophile, dont le courage politique guidera, je l'espère, nos travaux.

Il s'agit de réparer, enfin, l'une des plus grandes injustices de ce siècle. Ce n'est pas un acte de charité ; c'est une obligation républicaine. Les mots creux et les poches vides ne suffiront pas. Il s'agit de rendre à chacun ce que la faute publique lui a arraché. Édouard Glissant a écrit : « Ce n'est pas la mort que je crains, mais qu'elle me soit volée ».

Refuser de regarder en face le scandale de la chlordécone, c'est refuser d'amputer une jambe gangrenée qui empoisonne tout le corps social. La chlordécone est un poison lent qui coule dans nos veines, nos silences, nos regards baissés, nos pleurs et nos deuils.

Plus de 90 % de la population de Guadeloupe et de Martinique est contaminée par ce pesticide rémanent, autorisé en toute connaissance de cause et qui continuera de polluer les nappes phréatiques et les aliments pendant des siècles encore. La Martinique détient le triste record de prévalence du cancer de la prostate.

Ce scandale sanitaire et environnemental est clairement un scandale d'État. Car l'État savait et a laissé faire. Le principe de précaution a été piétiné et le droit à la santé, ignoré. Sa responsabilité totale doit être reconnue : nous le devons à nos compatriotes des Antilles.

La toxicité du chlordécone était connue des pouvoirs publics depuis 1968, quatre ans avant l'autorisation de son usage, accordée à titre dérogatoire et reconduite plusieurs fois pendant deux décennies, en dépit de l'interdiction de la molécule aux États-Unis en 1976 et des mises en garde répétées des scientifiques.

Cet écocide affecte aussi l'activité économique et sociale, notamment dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche.

En l'absence de réponse politique, des associations militantes se sont lancées dans un marathon judiciaire qui n'apportera pas la reconnaissance politique et symbolique attendue.

Ce texte s'inscrit dans la suite des travaux législatifs antérieurs, notamment l'initiative de M. Théophile. Le budget du plan chlordécone IV a été augmenté, mais il convient de le sanctuariser dans la loi. D'autres avancées sont intervenues, à commencer par la reconnaissance de maladies professionnelles liées à la chlordécone. Hélas, en raison de la lourdeur des procédures, seulement 150 dossiers ont été reçus : il faut simplifier les démarches et mieux accompagner les victimes.

Nous proposerons de nouvelles mesures dans les domaines des soins oncologiques, de la recherche sur la dépollution et de la communication sur la gratuité des tests sanguins.

Mme la présidente. - Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Frédéric Buval.  - Quelle est la portée d'une reconnaissance de responsabilité qui n'est accompagnée d'aucune indemnisation ?

Toutefois, en ce moment historique et alors que les extrêmes sont à nos portes, votons ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Philippe Grosvalet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Nous ne pouvons écrire un texte qui exclut ce que nous avons déjà gagné en justice : ces mots justes de Dominique Théophile illustrent les attentes des populations antillaises sur la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans le scandale du chlordécone.

Il y a deux mois, son texte a connu une regrettable mésaventure et n'a pu être voté. Or il nous faut bien trouver une voie pour la reconnaissance de la responsabilité de l'État. Nous ne pouvons rester au milieu du gué, entre l'attente forte des populations et la décision de la cour administrative d'appel de Paris reconnaissant, le 11 mars dernier, la faute de l'État.

Ce scandale politique a nourri une défiance profonde des populations antillaises et continuer d'affecter leur quotidien : les eaux et les terres resteront contaminées pendant 700 ans, les risques sanitaires n'ont pas disparu et nourrissent la crainte des populations. À cet égard, nous saluons la décision de la commission de substituer à la notion de « préjudices moraux » celle de « préjudices moraux d'anxiété » afin d'intégrer dans la loi la qualification dégagée par la jurisprudence administrative. En matière économique, les secteurs de la pêche, de l'agriculture et de l'alimentation sont lourdement touchés.

Nous devons donc trouver une issue politique pour les victimes, les territoires et les acteurs économiques, sans oublier les élus locaux, qui doivent gérer les conséquences dramatiques de cette situation.

Cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité en commission, est de nature à apporter une reconnaissance pleine et entière aux victimes et à orienter l'action de l'État vers des mesures réparatrices sur les plans environnemental, sanitaire et économique. Nous nous réjouissons de l'avancée obtenue en commission sur la recherche à destination des femmes.

En revanche, nous resterons vigilants sur le volet indemnitaire. L'objectif d'indemnisation de toutes les victimes ne doit pas rester lettre morte. Les populations antillaises ont mené un combat de dix-huit années pour la juste reconnaissance du préjudice subi : souhaitons qu'elles n'aient pas à mener un second long combat pour obtenir les réparations qui leur sont dues.

Le RDSE votera évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI et sur des travées du groupe SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. Jean-François Longeot .  - Je salue l'initiative du groupe SER d'inscrire à notre ordre du jour ce texte qui nous permet de débattre d'un sujet d'importance majeure : la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans les dommages subis par les populations antillaises du fait de la pollution au chlordécone.

Parler de scandale n'est pas une hyperbole. Les conséquences de l'utilisation du chlordécone sont majeures et le resteront longtemps. De fait, la terre, les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire sont contaminées pour 600 à 700 ans, selon l'Opecst.

La population est encore exposée quotidiennement à la molécule, essentiellement par l'alimentation. Au-delà des ouvriers des bananeraies, toute la population est touchée : 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens ont des traces de chlordécone dans le sang.

Outre la reconnaissance de la responsabilité de l'État et la dimension symbolique du texte, ses objectifs programmatiques amélioreront l'avenir des habitants de ces territoires. La dépollution des sols et des eaux est à cet égard un objectif fondamental. Si les solutions scientifiques se font toujours attendre, les études en cours sont source d'espoir.

Je me félicite également de l'insertion d'un alinéa spécifique sur la recherche en faveur de la santé des femmes.

Comme le soulignait la rapporteure, ces dernières ont souffert d'une certaine cécité de la science et des pouvoirs publics.

Le groupe UC soutient l'esprit de ce texte, première pierre d'un édifice complexe, afin d'envisager sereinement une indemnisation des victimes à plus grande échelle. Laissons à la science le temps de progresser. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du GEST ; M. Cyril Pellevat et Mme Solanges Nadille applaudissent également.)

Mme Evelyne Corbière Naminzo .  - Combien de textes faudra-t-il encore pour reconnaître une injustice de plus de trente ans et en indemniser les victimes ? Ce texte vient deux mois après la proposition de loi Théophile, et trente-deux ans après le retrait réel du produit en Guadeloupe et en Martinique -  trois ans après le reste du territoire français.

Ce scandale illustre les choix politiques qui privilégient l'économie et les profits de quelques-uns au détriment de la santé de tous. Nos compatriotes des Antilles ont subi la prolongation d'autorisation de vente d'un produit jugé cancérogène probable par l'OMS quinze ans plus tôt. Le chlordécone a tué le charançon du bananier, mais il a aussi provoqué des cancers de la prostate, qui tuent huit mille personnes chaque année.

Ils demandent justice. L'État savait. Les États-Unis ont interdit le chlordécone dès 1977, avant même la reconnaissance de sa toxicité par l'OMS en 1979. Comment l'État français peut-il affirmer qu'il en ignorait les dangers ?

Nous voulons des études approfondies, notamment sur les conséquences de ce poison sur la santé des femmes et celle des sols.

Son utilisation a eu des conséquences sanitaires, y compris un préjudice moral d'anxiété qui, bien que non reconnu, est réel. C'était le coeur du débat d'avril dernier. Plus de 90 % de la population est contaminée et vit dans la peur de consommer certains aliments ou de tomber gravement malade.

Entendre qu'il ne faut pas faire d'exception, que le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) suffit n'est pas acceptable ! Ce fonds, sous-doté, est sous-employé : seulement 154 dossiers validés. Pourquoi ne pas créer un fonds dédié, plus lisible, qui réponde à l'objectif d'indemnisation que nous devons inscrire dans la loi ?

Si l'État n'était pas le seul responsable, comme le sous-entend la modification introduite en commission, pourquoi revenir sur la nouvelle taxe assise sur les industries phytosanitaires ? Les industriels qui vendent du poison doivent indemniser les personnes empoisonnées.

J'espère que notre hémicycle aura le courage d'avancer sur ce sujet grave, dans la continuité de l'Assemblée nationale qui a adopté ce texte il y a plus d'un an. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Dès 1968, la toxicité du chlordécone était établie, mais les intérêts économiques et l'impéritie de l'État ont permis son usage massif, entre 1972 et 1993, dans les bananeraies des Antilles. Bilan : un désastre humain, sanitaire, environnemental et économique, un impact durable et généralisé.

Les Antillais expriment colère, angoisse et besoin de justice. Ce texte longtemps attendu est une nouvelle tentative parlementaire pour y répondre, deux mois après la proposition de loi Théophile.

Il établit la lourde et irréfutable responsabilité de l'État et affiche la volonté d'apporter réparation aux victimes.

Nous le voterons, en en mesurant ses limites. Sa portée normative est faible : il s'agit plutôt d'une résolution que d'une loi opérationnelle. L'objectif d'une indemnisation intégrale est affiché, mais sans cadre juridique ni garantie sur les modalités. Nous restons dans l'intention.

Moins de deux cents personnes ont bénéficié de l'indemnisation prévue depuis 2020, tant elle est étriquée. Faute de dispositifs juridiques concrets pour l'accès à la réparation, la reconnaissance des préjudices sanitaires, moraux, économiques, écologiques reste un voeu pieux.

Le texte évoque la nécessité d'agir sur la dépollution. Il faudra être bien plus précis... On ne pourra pas en rester au plan chlordécone IV.

Les amendements gouvernementaux nous sont arrivés ce matin même, ce n'est pas correct - d'autant que certains sont problématiques.

Pour financer l'indemnisation, mon groupe proposait de rehausser le plafond de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Il faudra y revenir en loi de finances.

Votons cette proposition de loi pour qu'elle serve de socle à de futures avancées opérationnelles, assorties de moyens. C'est la condition pour réparer les liens de confiance entre la République et les Antillais. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

M. Victorin Lurel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cancérogène, mutagène, reprotoxique, persistant dans les terres et dans les chairs, poison commercialisé malgré toutes les alertes scientifiques, le chlordécone est à l'origine d'un véritable scandale.

Cette proposition de loi est un premier pas pour « que chacun prenne sa part de responsabilité et avance dans le chemin de la réparation », comme le disait le Président de la République le 27 septembre 2018. Elle reste en partie symbolique, mais revêtira demain un caractère invocatoire pour les victimes qui demanderont indemnisation.

Associations, collectifs citoyens, avocats, chercheurs : de nombreux acteurs de la société civile se sont engagés dans ce combat. Je rends hommage au député Élie Califer, auteur du présent texte ; à la députée Hélène Vainqueur Christophe, qui n'a cessé de plaider pour une réparation intégrale ; à notre ancienne collègue Catherine Procaccia, auteur des rapports de l'Opecst. Je remercie aussi Nicole Bonnefoy, qui incarne l'inlassable combat contre les pesticides. Son expertise a inspiré de nombreuses propositions de loi sur le sujet.

Après le retrait de la proposition de loi Théophile, nous poursuivons avec ce texte, fruit d'un compromis qui préserve néanmoins l'essentiel et marque un progrès notable en inscrivant dans la loi la notion de préjudice moral d'anxiété, consacrée par la jurisprudence administrative

La commission a réaffirmé la responsabilité de l'État, le principe de dépollution et l'objectif de réparation de toutes les victimes. Je salue l'équilibre trouvé.

Monsieur le ministre, il serait faux de dire que rien n'a été fait depuis 2002. À travers plusieurs plans, l'État a mobilisé des moyens pour sensibiliser et protéger la population, soutenir les professionnels et améliorer les connaissances sur ce poison. Pour autant, compte tenu de la rémanence du chlordécone dans les milieux naturels, je plaide pour des actions d'ampleur, à la mesure des préjudices subis.

Si le budget du plan chlordécone IV est passé de 92 à 130 millions d'euros pour la période 2021-2027, l'effort reste sous-dimensionné. Selon l'Opecst, le coût d'une dépollution totale des eaux et des sols atteindrait 3,5 milliards d'euros. Nous sommes loin du compte.

Par ses manquements coupables et son attentisme, l'État a une obligation morale.

Reconnaître, c'est bien, indemniser, c'est mieux.

Je suis surpris et déçu que l'État se pourvoie en cassation pour contester le jugement rendu le 11 mars dernier par la cour administrative d'appel de Paris. Cette décision de justice était source d'espoir pour les plaignants, et plus largement pour les victimes, mais l'État persiste dans son aveuglement ; c'est une faute morale. Il est temps d'envoyer un signal fort à nos compatriotes. Le groupe SER votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et dGEST)

Discussion des articles

Article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°20 du Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Je souhaite que le débat se concentre sur le préjudice moral d'anxiété. L'État reconnaît sa responsabilité. Le Gouvernement n'a jamais été aussi clair à ce sujet que je l'ai été voilà quelques instants, à la tribune. Je retire cet amendement. (On le salue sur plusieurs travées du groupe SER.)

L'amendement n°20 est retiré.

Le sous-amendement n°27 n'a plus d'objet.

Mme la présidente.  - Amendement n°2 rectifié de M. Buval et du RDPI.

M. Frédéric Buval.  - Cet amendement reconnaît pleinement la responsabilité de l'État dans le scandale du chlordécone. Sénateur de la Martinique, j'associe à mon propos Dominique Théophile. Nous ne cessons de le marteler : il ne faut pas diluer la responsabilité de l'État en parlant de sa « part de responsabilité », il est bien seul responsable des autorisations de mise sur le marché du chlordécone. La décision de la cour administrative d'appel de Paris est à cet égard sans équivoque. Cette reconnaissance explicite, attendue, s'inscrit dans la continuité de nos travaux parlementaires, notamment le rapport de la commission d'enquête de 2019. Ni idéologique, ni symbolique, c'est un acte de vérité, de justice et de responsabilité institutionnelle. Ne laissons pas l'histoire s'écrire à moitié !

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Loin d'atténuer la reconnaissance de la responsabilité de l'État, notre rédaction est plus objective : les industriels et les exploitants des bananeraies ont aussi leur part de responsabilité. Retrait ou avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Inscrire dans la loi la reconnaissance d'une part de responsabilité de l'État, plutôt que sa pleine responsabilité, est cohérent avec les récentes décisions de justice. L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris relève ainsi que plusieurs acteurs -  producteurs, importateurs, distributeurs, organisations professionnelles, utilisateurs  - ont aussi une part de responsabilité. Mais l'État ne souhaite pas minimiser sa propre responsabilité. Il a en effet autorisé la mise sur le marché du chlordécone ; il faut le reconnaître. Avis favorable.

M. Victorin Lurel.  - Le retrait de l'amendement du Gouvernement a rééquilibré les choses.

J'ai du mal à comprendre la position du Gouvernement. L'État reconnaît sa responsabilité concernant les autorisations de mise sur le marché - mais le texte de la commission n'empêche pas les victimes potentielles de saisir les tribunaux pour rechercher d'autres co-responsables. Les tribunaux doivent dire le droit. Commerçants et producteurs ont eux aussi une responsabilité.

En réalité, la fin de l'utilisation du chlordécone ne date pas de 1993 mais des années 2000 -  il y avait des stocks à écouler, et le produit a été utilisé clandestinement... Respectons le travail parlementaire en adoptant cet amendement.

À la demande de la commission et du RDPI, l'amendement n°2 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°312 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption   71
Contre 269

L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°4 rectifié de M. Buval et du RDPI.

M. Frédéric Buval.  - Le préjudice d'anxiété ne doit pas éclipser l'ensemble des préjudices moraux entraînés par le chlordécone. Si la décision de la cour administrative d'appel de Paris est une avancée, les préjudices causés par l'exposition à ce produit ne se résument pas à l'angoisse de développer une maladie. Ne fermons pas la porte, par omission, à une reconnaissance plus juste et plus complète des souffrances vécues.

Mme la présidente.  - Amendement n°21 du Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - J'ai retiré le précédent amendement du Gouvernement pour que l'on se concentre sur le préjudice moral d'anxiété. Il faut distinguer ce dernier, c'est-à-dire la conscience de courir un risque élevé de développer une pathologie grave, du préjudice subi par une personne déjà gravement malade.

Les dispositions prévues dans le texte de la commission ne sont pas en phase avec les conditions strictes posées par la jurisprudence administrative s'agissant du premier.

La cour administrative d'appel de Paris a condamné l'État pour moins de 1 % des 1 280 requérants. Plusieurs pourvois ont été déposés devant le Conseil d'État. Sur les onze cas reconnus, neuf relèvent d'un préjudice moral d'anxiété et deux d'un préjudice moral, pour le décès d'un enfant in utero et un accouchement prématuré.

Il est juridiquement impossible de mettre sur le même plan ces deux préjudices. Et il n'est pas tout à fait rigoureux de suggérer que l'ensemble des populations martiniquaises et guadeloupéennes ont subi un préjudice moral d'anxiété du seul fait d'avoir été exposées au chlordécone. Gardons la notion de préjudice moral au sens large.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Nous avons décidé de mettre l'accent sur le préjudice moral d'anxiété afin de caractériser plus précisément le préjudice subi par les populations. Cette notion est admise par le juge administratif pour les victimes de l'amiante, des essais nucléaires ou des infections nosocomiales. Retrait, sinon avis défavorable à l'amendement n°4 rectifié.

La commission n'a pas pu se réunir pour examiner l'amendement n°21 du Gouvernement, mais le président de la commission et moi avons pu en parler. La notion de préjudice moral est moins précise que celle de préjudice moral d'anxiété, aussi j'émets un avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Avis défavorable à l'amendement n°4 rectifié.

M. Victorin Lurel.  - Je n'ai pas la même lecture que le ministre sur les précédents judiciaires. La distinction entre une maladie existante et une atteinte psychologique paraît quelque peu ésotérique. Si la maladie est reconnue, elle sera indemnisée selon les modalités existantes. Pourquoi refuser au chlordécone ce qui est reconnu pour l'amiante ? Voilà deux ans, j'avais d'ailleurs demandé qu'un arrêté ministériel soit pris pour reconnaître, comme pour l'amiante, les affections liées au chlordécone comme maladies professionnelles.

À la demande de la commission, l'amendement n°4 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°313 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption   36
Contre 304

L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°21 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°314 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 129
Contre 211

L'amendement n°21 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié de M. Buval et du RDPI.

M. Frédéric Buval.  - Si vous refusez de reconnaître la pleine responsabilité de l'État, au moins allez au bout de la logique. Cet amendement de repli demande à l'État d'identifier clairement ses coresponsables. Qui sont-ils ? Planteurs, industriels, scientifiques ?

La décision de mise sur le marché relève exclusivement de l'État. On ne peut pas, dans un même texte, édulcorer la faute et refuser de désigner les complices. Ce serait doublement injuste pour les victimes et profondément incohérent.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - La mission de recherche des coresponsables échoit à la justice, non à l'État. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Même avis.

L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°22 du Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Le renforcement des moyens attribués à la recherche pour la dépollution des sols et eaux est une priorité du Gouvernement. Le volet recherche représente 40 % du budget global de la stratégie chlordécone. Des pistes existent, mais qui n'ont pas encore fait leurs preuves à une large échelle. Il est donc préférable de parler d'objectifs de recherche.

Mme la présidente.  - Amendement n°11 de M. Lurel et du groupe SER.

M. Victorin Lurel.  - J'aime bien provoquer le ministre : j'ai la faiblesse de croire que mon amendement est mieux rédigé. Il reprend une partie du rapport de l'Opecst signé par notre ancienne collègue Catherine Procaccia. Des évolutions prometteuses doivent être prises en compte. Respectons l'esprit du texte de la commission !

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - L'amendement du Gouvernement reviendrait à atténuer l'objectif de recherche de dépollution des sols et des eaux qui est fondamental -  c'est même la clé de la résolution de cette crise. Avis défavorable.

Avis favorable à l'amendement de M. Lurel, qui apporte une précision utile. Des avancées pour le futur sont possibles, salutaires pour la santé des populations.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Avis défavorable à l'amendement n°11 de M. Lurel, car je défends le mien... Je respecterai bien évidemment le vote du Sénat. Ce qui m'importe, c'est que l'on avance et que l'on franchisse des étapes importantes. Je salue Élie Califer, auteur de la proposition de loi, qui est en tribune.

Monsieur Lurel, je suis prudent s'agissant de l'existence de solutions de dépollution. Certaines pistes, prometteuses en laboratoire, n'ont pas fait leurs preuves sur le terrain. La somme de 3,5 milliards d'euros mentionnée précédemment est peu réaliste. Gardons-nous des illusions.

L'amendement n°22 n'est pas adopté.

L'amendement n°11 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°23 du Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - L'exposition au chlordécone a lieu essentiellement par voie alimentaire. Les pêcheurs et agriculteurs sont directement affectés par cette pollution. C'est pourquoi l'État s'assigne l'objectif de les accompagner pour favoriser une production locale sans risque.

La stratégie chlordécone prévoit déjà des solutions : analyses de sol gratuites, aide technique et financière pour la décontamination des bovins. L'aide financière aux pêcheurs existe depuis 2022. Ces dispositifs montent en puissance : plus de 300 éleveurs et 800 pêcheurs ont déjà été accompagnés.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Avis favorable à cet amendement de bon sens, qui correspond à un objectif établi dans le plan chlordécone IV.

M. Victorin Lurel.  - Le groupe SER votera cet amendement, mais le Gouvernement ne vise que les bovins, alors que les chèvres et les moutons sont aussi contaminés : il faudrait parler des ruminants.

L'amendement n°23 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°6 rectifié de M. Buval et du RDPI.

M. Frédéric Buval.  - Nous incluons dans l'article un objectif de recherche, de caractérisation et de traitement des pathologies dues au chlordécone, pour une approche plus globale des enjeux de santé publique. Cet amendement ouvre également la voie à des mesures de prévention adaptées, notamment du cancer de la prostate. Pas moins de 227 cas pour 100 000 habitants sont recensés en Guadeloupe, contre 100 dans l'Hexagone. La prévalence plus forte aux Antilles appelle une politique adaptée. Cette rédaction préserve l'esprit initial du texte et en renforce la portée sanitaire.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - L'objectif de ma rédaction était de consacrer un alinéa spécifique aux femmes, trop souvent oubliées dans cette tragique histoire. Votre amendement en élargit le champ à l'ensemble de la population, ce qui a pour effet d'atténuer l'accent mis sur les femmes. Avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Avis favorable.

L'amendement n°6 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°24 du Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - La rédaction actuelle assigne à l'État un objectif d'indemnisation de toutes les victimes de contamination. Nous voulons la cibler sur les personnes souffrant d'une maladie résultant d'une exposition au chlordécone. La présence de chlordécone dans le sang ne signifie pas un risque de maladie, et il est possible d'en faire rapidement baisser le taux en agissant sur l'alimentation. C'est pourquoi l'État a mis en place des contrôles renforcés sur les aliments au stade de la production, de la commercialisation et de l'importation. Il accompagne également les jardiniers familiaux, les pêcheurs et les agriculteurs - c'était l'objet de mon amendement n°23.

Mme la présidente.  - Amendement n°19 de Mme Bonnefoy, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Rédactionnel.

La formulation de l'amendement n°24 reviendrait, de facto, à exclure une réparation des préjudices environnementaux et économiques. Avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Avis favorable à l'amendement n°19.

L'amendement n°24 n'est pas adopté.

L'amendement n°19 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°12 de M. Lurel et du groupe SER.

M. Victorin Lurel.  - Défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°5 rectifié de M. Buval et du RDPI.

M. Frédéric Buval.  - La nomination par décret des membres de l'instance chargée d'évaluer l'atteinte des objectifs de l'article 1er répond à une double exigence de transparence et de lisibilité institutionnelle. Elle garantit une expertise à la hauteur des enjeux sanitaires et environnementaux, mais aussi sociaux. Une composition plurielle et équilibrée est gage de légitimité.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Avis favorable à l'amendement n°12. L'Opecst dispose d'une véritable expertise sur le sujet, après deux rapports, en 2009 et 2023.

Avis favorable également à l'amendement n°5 rectifié, qui apporte une précision utile.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Mêmes avis.

L'amendement n°12 est adopté.

L'amendement n°5 rectifié n'a plus d'objet.

Mme la présidente.  - Amendement n°25 du Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Cet amendement fixe un délai après la date de promulgation, encore inconnue, plutôt qu'une date fixe.

L'amendement n°25, accepté par la commission, est adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

Après l'article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°13 de M. Lurel et du groupe SER.

M. Victorin Lurel.  - Article 40 oblige, cet amendement demande un rapport... Mais le ministre s'est engagé à la tribune à lancer une mission et à formuler des propositions.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Il s'agit d'étudier la faisabilité d'une extension du FIVP à l'ensemble des personnes souffrant d'une maladie en raison d'une exposition au chlordécone ; en l'état, seules les personnes reconnues en situation de maladie professionnelle et les enfants exposés in utero sont éligibles. Avis favorable.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Avis défavorable à cette demande de rapport. Le Gouvernement s'engage à lancer les travaux nécessaires à l'extension de l'indemnisation aux victimes non professionnelles ; une mission inter-inspections s'y penchera. Il n'y a pas lieu de préjuger du mode de gestion de l'indemnisation.

L'amendement n°13 est adopté et devient un article additionnel.

Article 1er bis (Supprimé)

Mme la présidente.  - Amendement n°17 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Nous demandons un rapport sur l'utilisation du chlordécone sur l'ensemble du territoire national. Il devra établir si le chlordécone et ses métabolites sont présents dans les sols et comporter des informations précises sur la production, la commercialisation et l'importation du chlordécone.

Cela revient à rétablir l'article 1er bis, supprimé en commission sur la base d'un rapport peu explicite de l'Assemblée nationale. Il reste en effet des zones d'ombre, comme la destination de 1 500 tonnes de chlordécone importées en Europe via une société basée en Allemagne, citée par l'Opecst.

Les études manquent pour établir définitivement qu'aucun usage du chlordécone n'a été fait à La Réunion. Le Kelevan pourrait avoir été utilisé pour la culture de la pomme de terre. Impossible à ce jour d'affirmer que les sols réunionnais n'ont pas été contaminés. Or, à La Réunion, les zones rurales et urbaines sont très proches.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Selon le professeur Hervé Macarie, de l'Institut de recherche pour le développement, il est peu probable que le Kelevan ait été utilisé dans l'Hexagone ou à La Réunion pour la culture de la pomme de terre. Néanmoins, du chlordécone a été retrouvé dans des organismes récifaux de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie, sans explication. D'où mon avis de sagesse.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Même avis.

L'amendement n°17 est adopté. L'article 1er bis est rétabli.

Après l'article 1er bis (Supprimé)

Mme la présidente.  - Amendement n°26 du Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Cet amendement inscrit dans la loi les objectifs de la stratégie chlordécone, traduction de l'engagement de l'État pour nous rapprocher du zéro chlordécone.

La stratégie publiée en 2021 traduit cette ambition, avec trois impératifs : informer, protéger, réparer. Des solutions sont proposées à tous - habitants, pêcheurs, agriculteurs. Notre méthode : la prise en compte des travaux scientifiques, la concertation, l'écoute, le dialogue, la collaboration avec tous les acteurs locaux.

Le budget mobilisé est inédit. Nous l'avons porté de 92 millions d'euros à 130 millions. En quatre ans, plus de 48 millions d'euros ont déjà été engagés, soit 22 millions de plus que sous le plan 2014-2020.

Le volet recherche représente 40 % du total, avec un accent sur la dépollution des sols et la santé des femmes. Il n'y a aucun tabou.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Avis favorable. Je salue le travail remarquable de la coordinatrice du plan chlordécone.

L'amendement n°26 est adopté et devient un article additionnel.

Article 2

Mme la présidente.  - Amendement n°18 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Nous finançons nombre de politiques publiques par la taxe additionnelle sur le tabac. Lorsque le poison a un nom, nous pouvons aussi lui faire porter la responsabilité du coût engendré pour la société.

S'agissant du chlordécone, l'État « prend sa part de responsabilité » - signe que d'autres acteurs ont leur part dans ce scandale. Les industriels qui fabriquaient hier le chlordécone, aujourd'hui le glyphosate, sont aussi responsables de la contamination des sols, de l'eau et de notre santé.

Nous proposons de rétablir une taxe additionnelle sur les produits phytosanitaires, assise sur les bénéfices des sociétés réalisant un chiffre d'affaires de plus de 250 millions d'euros. J'espère que la chambre des territoires suivra l'Assemblée nationale pour protéger les ressources des habitants et des collectivités malmenées par ces produits toxiques.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Je comprends la logique, mais il existe déjà une taxation ad hoc sur les industries phytopharmaceutiques. Il n'est pas pertinent de superposer des taxations à l'assiette identique. Avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Même avis.

L'amendement n°18 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

La séance est suspendue quelques instants.

Seconde délibération

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Je demande une seconde délibération sur l'amendement n°21, au titre de l'article 43, alinéa 4, du règlement.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.  - Avis favorable.

À la demande des groupes Les Républicains et UC, la demande de seconde délibération est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°315 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 244
Pour l'adoption 209
Contre   35

La seconde délibération est ordonnée.

Article 1er (Seconde délibération)

Mme la présidente.  - Amendement n°A-1 du Gouvernement.

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Je propose de prendre en compte l'ensemble des préjudices moraux, sans préciser « d'anxiété ».

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure.  - Par cohérence, avis défavorable.

M. Victorin Lurel.  - Un compromis a été trouvé au terme d'un travail laborieux, mais bien fait - on reconnaît bien là l'ethos du Sénat.

Je comprends la déception de certains, comme l'auteur de la proposition de loi, présent en tribune. Critiquant la solidité juridique du préjudice d'anxiété - pourtant reconnu par la jurisprudence -, le ministre demande une seconde délibération ; j'en suis marri, déçu.

Je demande aux collègues de mon groupe et aux autres collègues de s'abstenir.

À la demande du groupe UC, l'amendement n°A-1 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°316 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 209
Pour l'adoption 190
Contre   19

L'amendement n°A-1 est adopté.

À la demande du groupe UC, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°317 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 320
Pour l'adoption 319
Contre    1

L'article 1er, modifié, est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. Jacques Fernique .  - Cette avancée d'aujourd'hui était nécessaire. Elle appelle des actes concrets et oblige à tirer les leçons de la logique tragique et cynique selon laquelle les intérêts économiques prévalent sur les droits humains et environnementaux - une logique toujours à l'oeuvre avec la loi Duplomb. Amiante, PFAS, néonicotinoïdes : quand tirerons-nous les leçons de ces désastres ?

À propos de leçons, plus légèrement, une leçon de grammaire s'impose pour réduire le clivage qui s'est révélé toute la matinée entre ceux qui disent « le chlordécone » et ceux qui disent « la chlordécone ». Le Larousse est formel : ce mot est masculin.

D'aucuns arguent que c'est une cétone et plaident donc pour le féminin. Dans une fiche de l'agence régionale de santé de Martinique, il est même écrit que le féminin est utilisé pour en adoucir l'image... (Sourires) Aujourd'hui, c'est le masculin qui l'emporte et le Sénat a été à la hauteur face à ce rude fléau. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Frédéric Buval .  - Deux mois après la proposition de loi de Dominique Théophile, le constat est amer. Cette proposition de loi n'est pas une avancée, mais un renoncement. Vidée de toute portée symbolique, sans aucune substance opérationnelle, financière ou juridique, elle se contente de bonnes intentions et de voeux pieux.

Comment accepter sérieusement de voter un texte qui dilue la responsabilité de l'État pour une prérogative qui ne dépend que de lui et qui sous-entend l'existence de co-responsables sans s'assigner l'objectif de les rechercher ? Comment accepter le cynisme de cette non-reconnaissance de la souffrance de familles qui voient leurs proches s'éteindre à petit feu quand l'État joue la montre ? Cette version affaiblie et injuste, bien loin des intentions des auteurs, n'apaisera pas la colère des territoires ni de la diaspora.

Le RDPI, groupe le plus ultramarin du Sénat, s'abstiendra.

Mme Catherine Conconne .  - Je remercie Élie Califer, présent en tribune, pour cette initiative. On avance ! Il y a trente ans, les victimes n'auraient pas été indemnisées et l'État n'aurait pas admis sa part de responsabilité : la poussière restait sous le tapis.

Des militants ont eu le courage de monter au créneau et de créer des associations pour faire avancer la cause, à laquelle a contribué la commission d'enquête du député martiniquais Serge Letchimy.

Ce texte est une nouvelle étape pour la reconnaissance de ce fléau qui frappe nos pays de Guadeloupe et de Martinique. J'espère que cela continuera. Je salue Yvon Sérénus, président d'une association de victimes qui, malgré son âge et les maladies, continue de mener le combat chaque jour. Je salue les efforts réalisés au travers du plan chlordécone IV et sa coordinatrice Edwige Duclay, présente comme commissaire du Gouvernement. On avance ! (Mme Nicole Bonnefoy et MM. Patrick Kanner, Philippe Grosvalet et Jacques Fernique applaudissent.)

M. Patrick Kanner .  - Je n'ai pas été insensible aux propos de notre collègue Buval - j'imagine que cela relève de la polyphonie gouvernementale, puisqu'il appartient au socle commun...

Il y a deux mois, Dominique Théophile retirait son texte car il estimait avoir été trahi, y compris par les siens. Nous avons alors repris le texte qu'Élie Califer a fait voter à l'Assemblée nationale. Comme l'a dit Catherine Conconne, nous avançons. J'espère que ce texte sera rapidement réexaminé à l'Assemblée nationale. Monsieur le ministre d'État, vous nous avez aidés sur les propositions de lois de Victorin Lurel et d'Audrey Bélim : je compte sur vous pour que les engagements soient tenus.

J'espère que ce texte sera voté le plus largement possible. Nous restons toutefois vigilants. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Victorin Lurel .  - Depuis près de trente ans, nos populations ont le sentiment que nous, parlementaires des outre-mer, ne faisons pas le job. J'ai moi-même essayé en 2017, 2018, 2020 ; d'autres aussi : je pense à Nicole Bonnefoy ou Catherine Procaccia.

J'entends que ce texte est décevant ; j'ai appris au Sénat que l'enfer c'est les autres, et qu'il faut composer. Nous avons donc fait des concessions.

Je suis déçu par la seconde délibération, mais le Gouvernement vient de très loin. Certes, le Président de la République avait déclaré : « Nous prendrons notre part de responsabilité ». Mais c'était verbal, parole de diplomate ; bref, du vent ! Là, c'est inscrit dans le marbre d'un texte.

En prévoyant un rapport, nous contraignons le ministre, qui s'est engagé à ce qu'il y ait une mission. J'aimerais que l'amendement d'Evelyne Corbière Naminzo prospère dans le PLF ou le PLFSS. Je ne veux pas attendre une mission qui prendra plus de six mois.

Je vous appelle à voter ce texte, y compris nos amis du RDPI. (Mme Nicole Bonnefoy applaudit.)

M. Guillaume Gontard .  - Je salue le travail accompli par les collectifs qui se sont mobilisés et les auteurs de cette proposition de loi. La voter, c'est mettre un pied dans la porte. La reconnaissance de la responsabilité de l'État est importante.

Monsieur le ministre d'État, aujourd'hui encore, on utilise encore des produits dangereux, comme le glyphosate. On s'apprête à voter la loi Duplomb qui autorise de nouveau l'acétamipride, dont 1 200 études prouvent la nocivité et qui se retrouve dans l'eau de pluie au Japon !

Il faut s'interroger sur la responsabilité de l'État du point de vue de la protection des populations, mais aussi du point de vue financier, car tout cela a un coût. Vous l'avez dit : nous n'avons pas de solution pour dépolluer les sols du chlordécone. Je ne voudrais pas que, dans vingt ans, nous devions voter un texte sur les méfaits du glyphosate ou de l'acétamipride. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

À la demande du groupe SER, l'ensemble de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°318 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 319
Pour l'adoption 318
Contre     1

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Alexandre Basquin applaudit également.)

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.  - Merci à tous d'avoir voté ce texte à une très large majorité. Ce texte n'est pas parfait, mais qui l'est ? Si quelqu'un a la recette...

Je remercie M. le ministre d'État d'avoir retiré l'amendement n°20 - c'était un geste fort.

Je salue le travail remarquable de la rapporteure et des membres de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER, du GEST, et sur quelques travées dRDSE)

M. Manuel Valls, ministre d'État.  - Je remercie le président Longeot et la rapporteure Bonnefoy. Je salue le travail de très grande qualité du Sénat.

Monsieur Buval, les choses avancent, et c'est le plus important. Au-delà des mots du Président de la République il y a quelques années, tout ce qui est fait dans le plan chlordécone IV mérite d'être salué.

La responsabilité assumée de l'État n'avait jamais été établie avec autant de précision. Voyez-y l'effet de l'implication non seulement du Gouvernement, mais aussi de mon implication personnelle : je suis convaincu qu'il faut purger ce point et répondre à la demande de dignité des Guadeloupéens et des Martiniquais victimes du - ou de la - chlordécone.

Un pas a été franchi. J'espère l'adoption définitive de cette proposition de loi. Vous pouvez compter sur mon engagement et celui de tout le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Marc Laménie et Teva Rohfritsch applaudissent également.)

Renforcer la protection des ressources en eau potable

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses, présentée par Mme Florence Blatrix Contat et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Évelyne Corbière Naminzo applaudit également.) L'alerte est maximale : notre eau potable est en danger. Elle est de plus en plus rare, chère et polluée par les pesticides et les nitrates. Ce n'est pas un scénario d'anticipation, mais une réalité vécue au quotidien sur nos territoires. L'eau est une bombe à retardement qu'il est de notre devoir de désamorcer.

Depuis 1980, plus de 14 300 captages ont dû être abandonnés, dont un tiers à cause de leur pollution par les nitrates et pesticides. En 2022, plus de 10 millions de Français ont été alimentés au moins une fois par une eau présentant des dépassements de normes en pesticides. Plus inquiétant encore, près de 30 % des eaux souterraines sont aujourd'hui contaminées et 40 % risquent de ne pas atteindre un bon état chimique d'ici 2027.

Mais ces chiffres ne reflètent qu'une partie du problème : les pollutions émergentes sont mal ou pas du tout mesurées. Les normes actuelles ne les prennent pas en compte, pas plus que l'effet cocktail.

Environ 12 % des substances actives des pesticides appartiennent aux PFAS, ces polluants éternels dont la persistance et les effets sont alarmants. En France, les quantités de pesticides PFAS sont passées entre 2008 et 2021 de 700 à 2 300 tonnes.

Face à cette situation critique, notre stratégie est essentiellement axée sur le traitement curatif, mais cela a des limites - elle est à bout de souffle.

Limites techniques, d'abord : les solutions les plus sophistiquées, comme l'osmose inverse ou les filtres à charbon actif, voient leur efficacité diminuer. Il faut de plus en plus de charbon actif pour capter les métabolites de pesticides : en deux ans, une nouvelle usine a dû multiplier par deux les quantités prévues.

Limites de souveraineté, ensuite. Nous dépendons de l'Asie et de l'Amérique pour obtenir ce charbon actif. En cas de crise du commerce international, notre capacité à potabiliser l'eau captée et polluée serait gravement compromise - c'est le talon d'Achille de notre sécurité hydrique.

Limites économiques, enfin. Le coût du traitement de l'eau contaminée est chaque année de 1 à 2 milliards d'euros, une dépense en hausse constante qui pèse lourdement sur les budgets des collectivités territoriales. Syndicats des eaux et agences sont en première ligne, mais cela pèse in fine sur les factures des Français.

Les experts sont unanimes et nous alertent : sans changement radical, un prix abordable pour l'eau ne pourra être maintenu. Le traitement des pesticides fait bondir de 30 à 45 % le prix de l'eau.

Nos élus locaux le disent : ils n'en peuvent plus. Cela coûterait trois fois moins cher de traiter la pollution en amont plutôt qu'en aval, selon l'Agence de la biodiversité.

Ce week-end, lors de l'inauguration d'un réservoir d'eau potable, l'ensemble des élus présents m'ont apporté leur soutien pour cette proposition de loi, quel que soit leur bord politique.

Agir à la source est donc un impératif sanitaire, une urgence absolue à laquelle répond cette proposition de loi. Son article 1er prévoit l'interdiction progressive de l'usage et du stockage de pesticides et d'engrais minéraux dans les zones de protection des aires de captage, avec une pleine effectivité au 1er janvier 2031 et des étapes intermédiaires fixées par décret. Son article 2 prévoit des sanctions en cas d'infraction.

Son exposé des motifs est sans ambiguïté : cette transition ne se fera pas contre, mais avec le monde agricole.

Les amendements de compromis proposés en commission par le rapporteur Hervé Gillé allaient dans ce sens : mise en oeuvre plus progressive, accompagnement technique et financier des agriculteurs et des gestionnaires de l'eau, entrée en vigueur dix ans après la promulgation de la loi. Ils ont tous été rejetés par la droite sénatoriale. Je les reprendrai en séance.

Nous savons ce qui arrive lorsque nous n'agissons pas à temps. Le scandale du chlordécone en témoigne : c'est une catastrophe sanitaire dont nous subirons encore longtemps les effets. (M. Hervé Gillé renchérit.) Ne répétons pas les erreurs du passé !

Au moment de voter ce texte, ayez à l'esprit les études, notamment de l'Inserm, qui mettent en valeur les risques accrus de maladies après une exposition aux pesticides, notamment chez les agriculteurs et les femmes enceintes.

Rappelez-vous que nos collectivités locales sont en première ligne : ce sont nos maires, nos intercommunalités qui doivent chaque jour assurer l'accès à l'eau potable de nos concitoyens et installer d'urgence des filtres au charbon actif ou affréter des camions-citernes, quand le puits doit être fermé.

Pensez à nos concitoyens qui voient leurs factures exploser.

Pensez aussi aux nappes phréatiques, ces réservoirs d'eau souterraine si précieux et si vulnérables.

Le Sénat ne peut pas faillir à sa responsabilité sur un sujet aussi fondamental - non pas un débat technique réservé aux experts, mais une question de santé publique, de souveraineté, d'équité territoriale.

Le statu quo n'est plus tenable ; la seule voie responsable est celle d'une action résolue, ambitieuse et créative - un sursaut. Ne manquons pas ce rendez-vous avec l'intérêt général ! (Applaudissements à gauche ; MM. Marc Laménie et Cyril Pellevat applaudissent également.)

La séance est suspendue à 13 heures.

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.

M. Hervé Gillé, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Notre Haute assemblée a l'opportunité de mettre fin à des décennies d'impuissance publique concernant la qualité de l'eau. Le texte de Florence Blatrix Contat prend à bras-le-corps le sujet de la pollution de l'eau et du coût de notre inaction. En commission, j'avais proposé, avec son accord, des ajustements pour mieux répartir les efforts de réduction de la pression sur la ressource et les rendre plus acceptables.

Les élus locaux attendent de nous une attitude responsable, et non des postures dogmatiques, et de la détermination pour mettre fin à la dégradation de la qualité des eaux souterraines et superficielles servant à l'alimentation en eau potable. Les économies attendues sont estimées entre 1 et 2 milliards d'euros par an. Nous mesurons l'enjeu, à l'heure où l'argent public se fait rare...

La France dispose d'environ 37 800 captages actifs destinés à la production d'eau potable, dont 96 % puisent dans les eaux souterraines. Chaque année, ce patrimoine essentiel de la résilience hydrique se réduit. Près de 14 300 captages ont ainsi été fermés entre 1980 et 2024 - soit plus d'un captage sur quatre -, dont 41 % du fait de teneurs excessives en nitrates ou en pesticides.

Malgré les alertes des élus locaux, des agences de l'eau, des associations de protection de l'environnement, le rythme des fermetures se maintient.

Un rapport des inspections sociales et environnementales de juin 2024 a montré l'échec de la préservation de la qualité des ressources contre les pesticides et les difficultés que la gestion des non-conformités de la qualité des eaux brutes pose aux acteurs de terrain : les politiques de protection des captages sont insuffisantes ; et sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité de l'eau est illusoire.

Ce constat est sévère, mais lucide. Cet échec est collectif : nous nous contentons de solutions curatives, alors que les approches préventives coûtent près de trois fois moins cher.

Les solutions devront nécessairement associer tous les acteurs de l'eau, en prenant en compte les activités présentes au sein des aires d'alimentation des captages via des démarches concertées, avant tout levier coercitif.

Pour atteindre nos objectifs ambitieux, nous devrons prendre des mesures d'interdiction ou de limitation de certaines substances ou pratiques.

La dégradation de la ressource en eau n'est pas due aux seuls usages agricoles. Cette stratégie de réduction des pressions sur les captages prioritaires me paraît cependant essentielle. Elle est partagée par de nombreux acteurs et figure dans la feuille de route annoncée par la ministre Agnès Pannier-Runacher.

Les auditions que j'ai menées et les débats en commission, tout comme mon expertise dans les instances de l'eau du bassin de Haute-Garonne, m'ont convaincu que l'atteinte de cet objectif devrait être progressive et accompagnée. C'est pourquoi j'ai proposé une négociation sur objectifs dans le cadre de contrats d'engagement réciproque, initiative reprise dans des amendements du groupe SER que nous examinerons tout à l'heure.

Le cadre normatif de protection des captages d'eau potable est diffus et foisonnant. Les lois de 1964, de 1992 et de 2006 ont enrichi les périmètres de protection et instauré des zonages spécifiques, incluant interdictions et prescriptions. Plusieurs stratégies ont ensuite complété ces instruments : Grenelle de l'environnement, conférence environnementale de 2013, plan Écophyto, plan Eau de mars 2023 - jusqu'à la feuille de route susmentionnée.

Cet empilement normatif et cette superposition de stratégies sont à la fois le signe d'une prise de conscience et la marque de notre impuissance collective.

Tous les acteurs le reconnaissent : nous devons changer d'échelle, de mesures et d'outils.

Le texte interdit l'utilisation et le stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages et des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates d'ici à 2031. Il prévoit une sanction pouvant aller jusqu'à 75 000 euros d'amende et deux ans d'emprisonnement.

Pour améliorer son acceptabilité, j'avais proposé cinq amendements visant à resserrer l'interdiction là où les pressions sont les plus fortes, différer son entrée en vigueur à dix ans après la promulgation du texte, dépénaliser les sanctions, diviser par dix le montant de l'amende et instituer un contrat d'engagement réciproque, facultatif et volontariste. Une négociation est en effet indispensable en amont de la coercition.

Mais la commission n'a pas adopté ces initiatives qui répondaient aux craintes exprimées en audition. Je le regrette, car elles tendaient à placer le Sénat à l'avant-garde de ce sujet majeur. Je salue d'ailleurs le travail et le sens du compromis de l'auteure de la proposition de loi.

Le texte que nous examinons ne tient donc pas compte du travail de ces dernières semaines, la commission ayant rejeté ces amendements constructifs pour des raisons qui ne m'ont pas convaincu.

Certains d'entre vous proposent de supprimer purement et simplement l'article 1er, ce qui revient à faire la politique de l'autruche. Circulez, il n'y a rien à voir !

Je défendrai, en tant que rapporteur, les avis adoptés hier en commission mais je serai, à titre personnel, favorable aux initiatives de mon groupe pour améliorer l'efficacité et l'acceptabilité du texte.

Le Gouvernement travaille à une feuille de route sur la protection des aires de captage. Mais nous ne connaissons pas l'issue de ces travaux. Fort de son expertise et de son indépendance, le Sénat ne saurait laisser le Gouvernement travailler seul sur une question qui préoccupe tant les élus locaux, lesquels veulent disposer d'une boîte à outils pour résoudre leurs problèmes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement .  - Je vous prie d'excuser l'absence d'Agnès Pannier-Runacher, qui représente le Gouvernement à la conférence des Nations unies sur l'océan à Nice ; vous connaissez son engagement en la matière.

C'est toujours un plaisir de me retrouver au Sénat. Garantir une eau potable de qualité en quantité suffisante et à un coût maîtrisé pour tous nos concitoyens est une priorité du Gouvernement. Cet enjeu s'inscrit dans un contexte de dérèglement climatique qui conduit à une raréfaction de la ressource.

Près d'un tiers des eaux souterraines est touché par des pollutions diffuses et 3,3 % par des pollutions ponctuelles. Entre 1980 et 2021, plus de 12 600 captages d'eau potable ont été fermés. Quelque 33 000 captages assurent les deux tiers de la consommation en eau. La protection de ces ressources stratégiques est donc vitale, c'est pourquoi je salue l'initiative de Florence Blatrix Contat. Vous l'avez souligné, l'approche coercitive n'est pas la bonne.

Le traitement curatif est coûteux, énergivore et parfois inefficace ; il faut agir en amont. Le coût annuel du traitement de l'eau potable s'élève entre 500 millions et 1 milliard d'euros. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : la prévention est incontournable, d'autant que l'argent public se fait, lui aussi, très rare.

Le Gouvernement s'engage dans une politique de protection à la source conforme aux exigences européennes et pensée à l'échelle des territoires, avec des mesures proportionnées et graduées, allant de la sensibilisation jusqu'aux actions réglementaires ciblées. Leur mise en oeuvre revient aux collectivités territoriales.

Fin 2024, 87 % des aires d'alimentation des captages sont délimitées, 85 % ont un plan d'action, même si seules 8 % sont couvertes par un programme zone soumise à contraintes environnementales (ZSCE) volontaire.

Notre stratégie repose sur deux piliers : la directive Nitrates, qui cible les zones vulnérables, et la stratégie Cogito 2030 qui a fait baisser de 97 % les ventes de substances CMR 1 -  les plus nocives pour la santé.

En application de la mesure 28 du plan Eau, le préfet peut prendre des mesures contraignantes immédiatement en cas de dépassement des seuils de qualité pour un produit phytosanitaire toujours utilisé.

Les concertations en cours pour l'élaboration de la feuille de route se concentrent sur deux axes : identifier les zones à traiter en priorité, et établir un guide pratique pour les préfets.

Concernant l'article 1er, les mesures affectant notre agriculture doivent être ciblées : une interdiction uniforme et générale négligerait les spécificités locales et fragiliserait l'adhésion des acteurs de terrain.

Il faut concentrer les efforts sur les zones les plus vulnérables. C'est tout l'enjeu des zones de protection des aires d'alimentation des captages, qu'il revient au préfet de déterminer.

La réglementation actuelle ne permet pas forcément de différencier selon les zones. Or il s'agit, non pas d'imposer, mais d'organiser une transition raisonnée, territorialisée, construite avec les acteurs de terrain.

L'interdiction totale des produits phytopharmaceutiques s'écarte de l'approche graduée, proportionnée, ciblée et déconcentrée que prône le Sénat et que suit la feuille de route gouvernementale, qui prévoit une montée en puissance progressive des mesures en fonction des risques et des dynamiques locales. Nous opérerons la transition avec les acteurs, et non contre eux.

L'article 2 renforce les sanctions. Nous n'atteindrons pas nos objectifs uniquement par des mesures répressives, ni efficaces ni soutenables socialement. Pour nombre d'agriculteurs, cette réponse coercitive qui ne tient pas compte des réalités de terrain est une injustice.

Nous devons faire évoluer notre modèle avec le monde agricole, par un accompagnement humain, technique et financier.

Certains critiquent l'écart entre les sanctions prévues par la loi et celles qui sont effectivement prononcées. Indépendant, le juge adapte la réponse pénale aux circonstances. Le Gouvernement a lancé une mission d'évaluation sur la proportionnalité des peines environnementales : il serait prématuré de créer de nouvelles infractions.

Je salue l'esprit de ce texte. Quoi de plus important que de protéger notre ressource en eau et accompagner la transition agricole face aux changements climatiques ? Fort de cette ambition partagée et du travail engagé, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat tant sur le texte que sur les amendements. (Mme Kristina Pluchet applaudit.)

M. Jean-Marc Delia .  - Personne ne nie l'urgence. Oui, la pollution des ressources en eau est un défi majeur. Oui, garantir l'accès de chaque Français à une eau potable de qualité est un impératif.

Je salue le travail d'Hervé Gillé, qui a cherché un compromis - conforme à l'ADN sénatorial.

Le modèle d'interdiction proposé pose néanmoins problème. Sur le papier, la solution paraît simple : il suffit d'étendre les périmètres de protection, et le problème sera réglé ! Mais après trente ans de législation, 16 % des captages n'ont toujours pas de périmètre de protection. De nouvelles obligations ne régleront donc rien.

Les collectivités ont besoin d'efficacité, de moyens humains et financiers, pas d'une nouvelle couche de normes.

Multiplier les interdictions et les contrôles sur l'utilisation des intrants agricoles, sans prendre en compte les réalités locales et les efforts engagés par les filières, fera plus de mal que de bien. (M. Daniel Salmon s'exclame.)

Cette logique de défiance fragilisera les exploitants, déjà soumis à de fortes contraintes, sans apporter de garanties supplémentaires pour la qualité de l'eau. (M. Daniel Salmon ironise.) Nous risquons de décourager les bonnes volontés.

Sur 12 500 captages fermés, seuls 34 % l'ont été pour pollution aux nitrates et pesticides.

M. Thierry Cozic.  - C'est déjà pas mal !

M. Jean-Marc Delia.  - Est-il raisonnable de cibler ainsi le monde agricole ? Les agriculteurs sont soumis à des contraintes énormes et ont besoin de soutien et de confiance, pas d'être noyés sous les normes.

Interdire sans compensation, c'est creuser encore davantage les fractures entre les territoires.

Face aux sécheresses, la communauté d'agglomération du Pays de Grasse, dans les Alpes-Maritimes, a développé un programme d'action ambitieux : lutte contre les pertes d'eau, optimisation des usages, entre autres. Résultat, la qualité de l'eau est excellente, avec une conformité microbiologique et physico-chimique à 100 %. Ce succès tient à la concertation et à la responsabilisation, pas à la contrainte uniforme. Il faut s'appuyer sur les acteurs locaux et valoriser ce qui fonctionne.

Le groupe Les Républicains reste engagé dans la protection de l'eau, mais ce texte va trop loin dans la contrainte, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Solanges Nadille .  - L'eau potable, bien vital, est menacée. En France, sa qualité se dégrade et elle devient plus rare.

Les pollutions diffuses sont dues à l'emploi d'engrais azotés ou de pesticides. On retrouve dans l'eau des PFAS issus de l'industrie. En 2020, plus de dix millions de nos concitoyens ont bu au moins une fois une eau non conforme aux normes sanitaires.

Sous l'effet du changement climatique, les sécheresses se multiplient, les débits des cours d'eau diminuent, ce qui accroît la tension sur les ressources. Les fermetures de captages renforcent la pression.

Nombre de lois se sont succédé. Depuis 2009, des zones de protection des aires d'alimentation des captages ont été créées. Mais nous devons faire plus, et prévenir les pollutions à la source - cela coûte trois fois moins cher que le traitement en aval.

Interdire l'usage des produits phytosanitaires dès 2031, comme le propose ce texte, serait une contrainte massive, susceptible de fragiliser la viabilité de nombreuses exploitations.

Soyons pragmatiques : la transformation des pratiques doit être accompagnée, le monde agricole ne saurait être seul à faire des efforts.

Dans nos territoires d'outre-mer, la situation est critique en raison des pollutions historiques telles que le chlordécone, qui laissent des stigmates profonds dans les sols et les eaux. La politique de l'eau doit s'articuler avec nos territoires, elle exige des moyens renforcés et une action de long terme.

Pour atteindre l'objectif de ce texte, il faut une approche équilibrée combinant prévention, concertation et accompagnement. Le RDPI laissera la liberté de vote à chacun. Pour ma part, je voterai cette proposition de loi, au vu de la situation en Guadeloupe et en Martinique. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les faits sont là : chaque année, plus de 100 captages sont fermés ou abandonnés. Ils s'ajoutent aux 14 300 fermés depuis 1980 - dont 4 600 pour des problèmes de pollution par nitrates et pesticides.

Devant cet échec, nous ne devons plus nous contenter du diagnostic. Il faut agir.

Ces pollutions menacent tant la qualité que la quantité de nos eaux. Protéger nos aires de captage est donc une priorité absolue. Or seuls 1 500 captages sur 33 000 sont sécurisés. Nous devons changer de méthode.

Le rapport des inspections générales de novembre 2024 intitulé Prévenir et maîtriser les risques liés à la présence des pesticides et de leur métabolite dans l'eau destinée à la consommation humaine précise qu'il faut refonder la politique de protection des captages, grâce à une coordination renforcée entre les services de l'État. L'amélioration de la qualité de l'eau passe par des mesures préventives ambitieuses, notamment l'interdiction des usages de produits phytopharmaceutiques contenant des substances générant des métabolites dans les aires de captage d'eaux souterraines ou l'augmentation du taux de la redevance pour pollutions diffuses.

Je comprends que l'approche de cette proposition de loi est trop répressive et centrée sur l'agriculture, mais l'urgence est bien là. La réponse doit être collective, car chaque minute perdue augmente les coûts de traitement, entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros chaque année. Ces dépenses reposent uniquement sur les collectivités locales, dont les budgets sont déjà contraints. Cela entraîne aussi une augmentation du prix de l'eau et exacerbe les inégalités territoriales, notamment en milieu rural.

Une politique proactive s'impose : elle serait plus efficace et moins coûteuse.

Nous serons attentifs à la feuille de route 2025, qui prévoit un accompagnement renforcé des collectivités, des agriculteurs et des industriels.

Quid des paiements pour services environnementaux ? Depuis plusieurs années, Henri Cabanel cherche à les développer, mais il se heurte à la rigidité de Bruxelles. Toute pédagogie sera vaine sans accompagnement financier.

En sus d'améliorer le revenu de nos agriculteurs, cela accompagnerait l'évolution des pratiques, notamment en valorisant l'agriculture biologique ou en augmentant les moyens consacrés à la réduction des pollutions par les pesticides.

En raison de leurs spécificités territoriales, certains sénateurs du RDSE voteront pour, d'autres contre. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. Alain Duffourg .  - Cette proposition de loi aborde un enjeu stratégique. Bien sûr, prévenir aurait été meilleur que guérir : les politiques curatives sont coûteuses pour les collectivités et les syndicats.

Dans mon département du Gers, on trouve du chlorure de vinyle monomère (CVM) dans les canalisations installées dans les années 1980. Or les remplacer coûterait cher : 100 000 euros par kilomètre. Pourtant, la pollution engendrée par les CVM est très importante.

Le présent texte contient des mesures ambitieuses, mais il est aussi source de difficultés. D'où les mesures d'accompagnement prévues par le rapporteur.

Le groupe UC est réservé sur ce texte, car nous ne voulons pas préempter le travail mené par le Gouvernement depuis le 28 mars dernier. En outre, une CMP se réunira bientôt sur la loi Duplomb.

M. Bernard Jomier.  - C'est sûr, ça va améliorer les choses !

M. Alain Duffourg.  - Agnès Pannier-Runacher a fait de la protection des captages une priorité. La première conférence territoriale sur l'eau s'est réunie à Bordeaux le 29 avril dernier, avec 500 intervenants.

M. Hervé Gillé.  - J'y étais.

M. Alain Duffourg.  - Le congrès des Jeunes Agriculteurs s'est tenu récemment dans mon département. Je m'attendais à un tollé contre la ministre de l'écologie, mais cela s'est finalement bien passé. (Mme Sophie Primas s'en félicite.)

Les agriculteurs sont favorables à l'écologie. Ils essaient de diminuer l'utilisation d'intrants et de tendre vers une agriculture raisonnée ou biologique. (Mme Sophie Primas renchérit.)

La question de la qualité de l'eau se joue aussi au niveau européen : la directive Eau de 2020 est en cours d'évaluation par l'Assemblée nationale. L'Union européenne a publié la semaine dernière sa stratégie pour la résilience de l'eau, centrée notamment sur les polluants éternels.

Nous ne pouvons voter ce texte en l'état. Toutefois, nous saluons cette initiative de bon sens. Nous veillerons à un juste équilibre entre la qualité de l'eau, la santé humaine et la souveraineté agricole.

M. Alexandre Basquin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Nous le savons tous : l'eau est un bien précieux, tant la ressource est fragile.

Malheureusement, 1,4 milliard de personnes sont encore privées d'eau potable dans le monde. Quelque 1,2 million de personnes meurent chaque année de maladies liées à l'eau, dont 300 000 enfants de moins de 5 ans. Près de 700 millions sont touchés par des pénuries, dans 43 pays, avec des conséquences en matière de migration. Les déficits hydriques ont en effet augmenté de 10 % les flux migratoires à l'échelle de la planète.

L'eau sera demain une source permanente de conflits, si nous n'y prenons pas garde. C'est un bien commun qu'il faut sanctuariser.

Les menaces pesant sur la gestion de l'eau sont qualitatives et quantitatives. Nous saluons le volontarisme de Florence Blatrix Contat et du groupe socialiste.

Selon le ministère de la santé, en 2022, plus de 10 millions de Français ont été alimentés au moins une fois par de l'eau non conforme. Actuellement, 30 % des eaux souterraines sont polluées par des résidus.

Certes, la loi sur l'eau de 1992 a créé des périmètres de protection des captages. Mais c'est insuffisant ; il faut aller plus loin. Cette proposition de loi va dans le bon sens, bien plus loin que la feuille de route du Gouvernement, trop timide.

Quelque 100 captages d'eau sont fermés chaque année à cause de pollutions non traitables, ou à un coût trop élevé. Abandonner des captages, c'est renforcer notre dépendance vis-à-vis des captages existants. C'est donc aussi un problème de financement.

Les coûts de prévention sont trois fois moins élevés que les coûts de traitement. Ces derniers, qui peuvent atteindre 1 milliard d'euros par an, pèsent fortement sur les comptes des collectivités gestionnaires, qui n'ont parfois pas d'autre choix que de les répercuter sur les consommateurs.

Le paradigme de la gestion de l'eau doit changer. Nous ne pouvons plus mégoter : l'eau doit être au centre de tout. Bien sûr, il faut soutenir la filière agricole et faciliter les conversions. L'un ne va pas sans l'autre : cessons d'adopter une vision binaire. Il est urgent de trouver une solution durable.

J'en appelle à nous éloigner des eaux glacées des calculs égoïstes. (M. Hervé Gillé apprécie la métaphore.) Ayons en tête les futures générations. Nous voterons très favorablement cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Yan Chantrel applaudit également.) J'avoue, je ne comprends pas : les pollutions de l'eau s'accentuent, les coûts de traitement s'envolent. Aucune politique, aucune stratégie n'a renversé cette tendance. Le réchauffement aggrave les tensions.

Pourtant, il faudra balayer cette proposition de loi, car il ne faudrait pas de contraintes ni de régulation, car il y a d'autres pollutions que celles issues de l'agriculture, et car le salut viendrait d'une énième feuille de route gouvernementale. Je ne vous comprends vraiment pas !

Est-il vraiment impossible de trouver une voie vers une agriculture plus durable dans les zones vitales pour l'eau potable ? Les clivages politiques verrouillent toute action sur la qualité des eaux. Au-delà de l'empilement des dispositifs illisibles et des stratégies vaines, aucune dynamique commune n'est possible.

La mission d'information sur la gestion durable de l'eau de 2023 avait pourtant établi que nous avions collectivement échoué et qu'il fallait changer de braquet pour une lutte effective et transformatrice contre les pollutions diffuses, afin d'éviter le mur d'investissement pour les élus locaux. J'avais compris que le Sénat prenait la mesure de l'urgence à agir. Eh bien, non ! Le changement de braquet, ce n'est pas pour aujourd'hui ! Quel dommage !

On sait que les traitements curatifs seront toujours plus coûteux. Qu'y a-t-il de brutal à diminuer progressivement l'utilisation de produits phytosanitaires près des aires de captage, et à substituer à cette réduction, le cas échéant, un dialogue d'accompagnement territorialisé entre l'exploitant et le gestionnaire de l'eau ? En prévoyant une durée de dix ans pour la mise en oeuvre de l'interdiction, en divisant par dix le montant des amendes, croyez-vous sérieusement que l'on mettra en péril les exploitations concernées ?

Prenez-vous la mesure de l'alerte récente des médecins sur notre contamination massive au cadmium, ce cancérogène qui empoisonne les sols agricoles et nos enfants ? Allons-nous, par notre inaction, laisser monter une logique d'affrontements contre les agriculteurs, avec des confrontations dures en réaction aux factures d'eau, aux coûts pour les collectivités ? Il est temps que le Sénat retrouve la voie du compromis constructif. Or c'est justement l'esprit du texte. Le même esprit anime celui du député Jean-Claude Raux. Nous devons aller dans cette voie ! (Applaudissements enthousiastes sur les travées du GEST ; applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. Michaël Weber .  - (M. Patrick Kanner applaudit.) Le rapport conjoint des ministères de l'agriculture, de la santé et de l'environnement constate l'échec global de la protection de la ressource en eau à l'égard des pesticides. Idem pour les engrais azotés, en dépit de sept plans consécutifs et de plusieurs condamnations de la France par la Cour de justice de l'Union européenne.

Or il y a urgence : nous sommes confrontés à une situation quasi généralisée de non-conformité de l'eau destinée à la consommation humaine. Les situations les plus critiques se retrouvent dans le nord de la France.

Le lien est direct avec certaines pratiques agricoles industrielles. Dès lors, deux solutions, pour éviter un scandale sanitaire : premièrement, relever les seuils réglementaires ou déroger aux normes sanitaires : officiellement, tout s'améliorerait, mais en réalité cela ne réglerait rien.

Deuxièmement, la seule vraie solution, celle qui fait consensus : préserver en amont les zones de captage en réduisant l'usage des pesticides et des intrants. Sans mesure préventive ambitieuse, sans la généralisation des pratiques culturelles à bas niveau d'intrant près des zones de captage, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire. C'est le sens de la proposition de loi de Florence Blatrix Contat.

Les exploitants agricoles doivent bien sûr être associés à cette réforme. S'il est injuste de faire peser sur eux le coût de cette politique, il est encore plus scandaleux de reporter le coût de la pollution sur les ménages et les collectivités en ne faisant rien. L'interdiction, depuis 2020, de pulvériser des pesticides près des habitations découle du même impératif de santé publique et est désormais bien acceptée.

Certaines pratiques agricoles polluantes devront être encadrées. En laissant faire, l'État se rend responsable des préjudices qui seront immanquablement causés par la pollution de l'eau.

Nous venons de reconnaître la responsabilité de l'État dans la pollution au chlordécone : ne laissons pas se produire une nouvelle tragédie. En tant que législateur, nous devons agir.

Pourtant, jugée trop exigeante, la présente proposition de loi a été rejetée par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Cette commission, qui devrait être le lieu où l'on débat des solutions concrètes, refuse de se saisir d'un sujet crucial pour les collectivités.

Ce faisant, la majorité sénatoriale doit comprendre qu'elle commet une faute politique, à la veille des élections municipales : combien de candidats seront interrogés par leurs habitants sur la qualité dégradée de l'eau du robinet et les risques pathologiques associés ? Quelle crédibilité accorder à la chambre des territoires, qui resterait muette sur ce sujet critique ? En flattant une part réduite de son électorat, la majorité sénatoriale commet une erreur grave.

La commission a rejeté toutes les propositions d'amélioration du rapporteur Gillé : malgré l'urgence d'agir, le pouvoir législatif procrastine et ferme les yeux. Sans émettre aucune proposition alternative, la majorité sénatoriale critique un défaut de méthode, un manque de pédagogie et d'anticipation, oubliant que les plans d'action se compilent depuis trente ans, sans résultats tangibles.

Certes, le texte présente des difficultés - l'auteure le reconnaît elle-même. C'est pourquoi le rapporteur a rééquilibré les choses. Le groupe SER reprendra à son compte ses propositions d'amélioration, qu'il juge adaptées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Cédric Chevalier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Malgré des efforts constants et l'empilement des dispositifs, la qualité de l'eau reste largement insuffisante et la préservation de la ressource ne répond pas aux enjeux. Les pollutions diffuses se propagent, les nappes phréatiques s'épuisent.

Parallèlement, nos agriculteurs sont soumis à une pression normative et administrative croissante qui les étouffe. Ils sont las, car on leur en demande toujours plus, sans moyens. S'y ajoute une inquiétude profonde : les mesures prônées par ce texte sont déséquilibrées. Élaborées sans concertation, elles risquent d'aggraver la situation du monde agricole.

Ajouter une nouvelle couche de contraintes revient à jeter de l'huile sur le feu, à alimenter le sentiment d'injustice, voire d'abandon, chez celles et ceux qui nous nourrissent. Ce sont les petites structures, les plus vulnérables, qui seront touchées les premières. Nos territoires ruraux, déjà fragiles, verront leur dynamisme s'éroder.

Toute la filière agricole est sous pression, alors que la souveraineté alimentaire devrait être une priorité nationale. Pourtant, nombre d'agriculteurs ont fait des efforts.

Il est temps de sortir d'une logique qui oppose systématiquement écologie et agriculture. La transition écologique ne réussira qu'avec les agriculteurs, jamais contre eux. Nous devons privilégier la concertation, le soutien et la valorisation des bonnes pratiques.

L'accompagnement, condition de l'adhésion des acteurs de terrain, doit devenir le fil conducteur de nos politiques. La contrainte est parfois nécessaire, mais elle risque surtout de démobiliser les agriculteurs.

Régulièrement, nous devons revenir sur des mesures d'écologie punitive, élaborées de manière brutale. Alors, associons mieux les acteurs.

Alors que le Gouvernement a entamé un travail de fond et que la crise agricole est vive, prenons le temps, sans légiférer en réaction.

Protéger l'eau est une nécessité, mais cela ne doit pas se faire contre ceux qui nourrissent la France.

Le groupe INDEP s'opposera à ce texte. (M. Marc Laménie applaudit.)

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié quinquies de M. Louault et alii.

M. Cédric Chevalier.  - C'est un amendement de suppression de l'article. Cela ne remet nullement en cause la nécessité d'agir, mais la méthode est trop radicale, coercitive et stigmatisante. N'imposons pas un nouveau changement rapide de méthode productive aux agriculteurs, sans aucune mesure d'accompagnement.

M. Hervé Gillé, rapporteur.  - L'avis de la commission est défavorable, puisqu'à la quasi-unanimité, elle a souhaité que le débat ait lieu, or cet amendement l'empêche.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat, comme sur tous les autres amendements et sur la proposition de loi. (On le déplore à gauche.)

Mme Anne Souyris.  - Cet amendement se contredit : il affirme qu'il faut protéger les aires de captage, tout en s'opposant au texte...

Il fustige des méthodes « trop stigmatisantes » : mais pour qui ? Nous, nous voulons protéger la santé, en particulier des agriculteurs.

Enfin, il s'accroche à un thermomètre défaillant plutôt qu'aux preuves scientifiques. Dans l'objet de l'amendement, vous indiquez que les pesticides et les nitrates n'expliqueraient que 13,2 % des fermetures d'aires de captage, mais oubliez de dire que 30 % des eaux souterraines sont contaminées, que 12 millions de Français ont consommé une eau polluée en 2021 et qu'il n'y a pas moins de 385 millions d'intoxications graves aux pesticides chaque année dans le monde !

Nous voterons contre votre amendement et pour l'article 1er.

M. le président.  - Je vous informe que cet amendement sera mis aux voix par scrutin public.

Mme Florence Blatrix Contat.  - La discussion générale a montré que le constat et l'objectif faisaient consensus. Le rapport sur la gestion durable de l'eau d'Hervé Gillé a été adopté à l'unanimité. Pourtant, cet amendement nous dit : fermez le ban, sans solution alternative ni débat.

Les amendements du rapporteur proposaient des avancées, qui auraient permis d'aboutir. Depuis trente ans, en dépit de nos efforts, la qualité de l'eau ne cesse de se dégrader.

Je regrette cet amendement, qui entrave le débat et empêche les avancées proposées par le rapporteur.

Rappel au règlement

M. Patrick Kanner.  - Mon rappel au règlement s'appuie sur l'article 42 de notre règlement, relatif à la sincérité de nos débats.

On constate le taux de présence par groupe. Avec ce scrutin public - procédure que nous contestons -, vous flinguez un texte important qui aurait mérité un débat : n'empruntez pas cette voie ! Ce sujet essentiel reviendra lors de la campagne des municipales. Refuser le débat sans solution alternative est regrettable.

Acte en est donné.

Discussion des articles (Suite)

M. Alexandre Basquin.  - Voilà un amendement très peu courtois dans un espace réservé. Nous devrions pouvoir aller au bout du débat, afin que chacun se prononce. La commission a souhaité que le débat ait lieu, tant le sujet dépasse le pourtour de cet hémicycle et de nos nombrils respectifs.

M. Daniel Salmon.  - On constate un refus de débattre de la part d'une droite - en rangs serrés... - pour laquelle la protection de l'eau n'est pas un sujet. Elle a longtemps été dans le déni, prétendant que notre planète était grande et que tout se diluait. Eh bien non, les polluants s'accumulent ! En Ille-et-Vilaine, seulement 3 % des eaux brutes sont en bon état. Le coût de la dépollution est colossal pour nos collectivités territoriales. Surtout, la santé de nos habitants est en jeu, car même à doses minimes, les pesticides ne sont pas sans effet.

Ce matin, nous avons parlé du chlordécone, mais à droite, personne ne semble retenir les leçons de l'histoire.

Bien sûr, madame la ministre, on ne fait pas la loi contre les agriculteurs, mais avec eux ; en revanche, nous la faisons contre les lobbies, seulement intéressés par les profits.

M. Jacques Fernique.  - Ce qui va se passer dans quelques instants est important, car nous aurons d'autres cas similaires dans l'après-midi. Vous ne voulez pas de l'article 1er, c'est votre droit, mais permettez-nous d'examiner les amendements d'amélioration de l'article. Et respectez la volonté de la commission !

M. Michaël Weber.  - Le Sénat a souvent débattu des compétences eau et assainissement, souhaitant que les communes retrouvent un rôle dans la gestion des eaux. Mais il faut aussi donner aux élus les moyens de s'assurer de la qualité des eaux. Ce que nous proposons est très attendu dans les territoires, car l'inquiétude est là. Nous devons donc aller au bout de la discussion de ce texte.

M. Marc Laménie.  - Cosignataire de cet amendement, j'appartiens à un groupe qui s'appelle Les Indépendants. Nous évoluons, en fonction des interventions. (MM. Guillaume Gontard et Hervé Gillé applaudissent.)

L'amendement ne remet pas en cause le bien-fondé de l'indispensable protection des points d'eau et des captages d'eau.

J'ai beaucoup de respect pour les avis des uns et des autres et j'évolue souvent dans mes positions. D'où l'importance d'être physiquement présent dans l'hémicycle. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)

Je suivrai donc l'avis du rapporteur et ne voterai pas cet amendement. (Mme Colombe Brossel et M. Saïd Omar Oili applaudissent également.)

À la demande du groupe INDEP, l'amendement n°1 rectifié quinquies est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°319 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 204
Contre 137

L'amendement n°1 rectifié quinquies est adopté.

L'article 1er est supprimé.

Les amendements identiques nos2 et 7 ainsi que les amendements nos4 rectifié, 8 et 5 n'ont plus d'objet.

Après l'article 1er

M. le président.  - Amendement n°9 rectifié de M. Fernique et alii.

M. Jacques Fernique.  - La surveillance de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, hétérogène selon les territoires, doit être renforcée, via une liste nationale de présence des métabolites dans l'eau, associant l'Anses, les ARS et les acteurs locaux.

M. Hervé Gillé, rapporteur.  - La commission, considérant que l'établissement d'une telle liste, bien qu'intéressante pour garantir la transparence, renchérirait le coût de contrôle des eaux par les laboratoires, a émis un avis défavorable. Mais mon avis personnel est favorable.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - C'est au ministère, et non à l'Anses, d'établir une telle liste, déjà prévue par le droit européen. Le ministère de la santé a donné des instructions aux ARS.

Retrait, sinon rejet de cet amendement, satisfait.

Mme Anne Souyris.  - L'eau potable est contaminée par des métabolites dangereux. La directive européenne sur les PFAS fixe une limite à 500 nanogrammes par litre. Or l'eau de Paris est contaminée par le TFA -  non visé par la directive, mais qui provient de pesticides utilisés en agriculture - à hauteur de 2 100 nanogrammes par litre... À l'automne dernier, j'avais alerté le Gouvernement, sans réponse satisfaisante à ce jour. Heureusement, la Ville de Paris protège ses aires de captage, en accompagnant 120 agriculteurs, ce qui évite l'épandage de 55 tonnes de pesticides. C'est donc possible ! Je voterai cet amendement.

À la demande du groupe UC, l'amendement n°9 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°320 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 102
Contre 238

L'amendement n°9 rectifié n'est pas adopté.

Article 2

M. le président.  - Après la suppression de l'article 1er, si l'article 2 n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble du texte.

Mme Florence Blatrix Contat .  - Les collectivités territoriales attendaient un signal clair du Sénat. Mais au lieu de cela, c'est la reculade, car vous avez fait le choix du blocage et du dogmatisme. Vous avez refusé d'examiner nos amendements de compromis, destinés à concilier protection de la ressource et accompagnement des exploitants agricoles. Vous n'avez aucune volonté de débattre. Vous êtes en décalage total avec les attentes des élus locaux, confrontés chaque jour à la dégradation de la qualité de l'eau.

Nous continuerons, nous, à porter cette exigence de protection de l'eau potable. C'est une urgence écologique, une priorité de santé publique, une nécessité de souveraineté et un enjeu majeur pour nos finances publiques.

Vous avez refusé d'agir, de chercher un compromis, de débattre. Ce n'est pas digne de notre mission. (Applaudissements à gauche)

À la demande du groupe UC, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. Daniel Salmon.  - C'est un dévoiement du scrutin public !

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°321 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 110
Contre 229

L'article 2 n'est pas adopté.

M. le président.  - Je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est plus nécessaire.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Mise au point au sujet de votes

M. Xavier Iacovelli.  - Lors des scrutins publics nos314 et 316, Mme Nadège Havet souhaitait s'abstenir.

Acte en est donné.

La séance est suspendue quelques instants.

Impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.

Discussion générale

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - Je salue l'excellent rapport d'Emmanuel Capus et les travaux de la commission des finances, qui a rejeté le texte.

Les Français ont besoin de stabilité fiscale. Les impôts exceptionnels votés en 2025 - surtaxes d'impôt sur les sociétés et contribution différentielle sur les hauts revenus  - resteront exceptionnels et nous n'avons aucun projet de nouvel impôt. Cette stabilité permet aux entrepreneurs et aux investisseurs de créer de la richesse. Je le dis à l'heure où se tient VivaTech, premier salon européen sur l'innovation.

M. Guy Benarroche.  - Quel rapport avec le texte ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Cette stabilité fiscale permet à nos start-up de se financer, à nos PME innovantes de grandir et à nos industries stratégiques de rester en France.

Cette proposition de loi est à rebours des objectifs du Gouvernement.

Une voix sur les travées du GEST.  - Ça c'est sûr !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Une telle contribution serait confiscatoire et inefficace. (Protestations sur les travées du GEST)

M. Guillaume Gontard.  - Confiscatoire ?

Mme Christine Lavarde.  - Si, elle a raison !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Confiscatoire, parce que ce nouvel impôt Zucman promet un rendement cinq fois supérieur à celui de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), concentré sur 2 000 contribuables -  alors que l'ISF en frappait 350 000.

Alors que jamais les biens professionnels n'ont fait partie de l'assiette de l'ISF, les taxer aurait des effets catastrophiques : expatriation des contribuables et distribution par les entreprises d'importants dividendes, afin de permettre à leurs actionnaires de payer l'impôt, au détriment des investissements.

Cet impôt maximalement confiscatoire ferait fuir les foyers fiscaux les plus aisés. Les études sur la mobilité des contribuables de l'ISF ne peuvent être extrapolées -  1 800 personnes, contre 350 000...

Ce n'est pas moi qui dis qu'il s'agit d'un impôt confiscatoire, mais le Conseil constitutionnel. Il indiquait en 2012 qu'un ISF à 2 % devait être plafonné pour éviter une rupture de l'égalité devant les charges publiques. Le risque est que personne, finalement, ne paie cet impôt.

Ce texte, porté par le groupe écologiste et social...

Plusieurs voix sur les travées du GEST.  - Solidarité !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Pardon, j'ai utilisé le nom d'un groupe d'une autre assemblée.

Ce texte prévoit d'imposer aussi les exilés fiscaux. Le rendement de l'impôt serait assuré pendant cinq ans, soit par l'impôt soit par l'exit tax. Mais la sixième année, nous n'aurions ni l'impôt, ni l'exit tax, ni les entreprises ! On provoquerait donc des expatriations certaines, pour un rendement incertain : je ne peux le tolérer. (Mmes Christine Lavarde et Agnès Evren applaudissent.)

Nous évoluons dans une économie ouverte où le capital est mobile. Seule une initiative dans le cadre concerté de l'OCDE serait pertinente. La France a porté ce combat, avec le Brésil, dans le cadre du G20 de l'an dernier. Je l'ai porté à mon tour dans le cadre de l'OCDE -  où nous avons réussi à trouver un accord sur la fiscalité des multinationales. Cette proposition serait intéressante à déployer dans le périmètre du G20 ou de l'OCDE.

MM. Thomas Dossus et Guy Benarroche.  - Et là, ce ne serait plus confiscatoire ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Dans un tel cadre harmonisé, nous pourrions négocier une assiette internationale n'aboutissant pas à une fuite du capital.

Éric Lombard et moi défendons l'efficacité fiscale. Il ne faut pas surtaxer les Français qui produisent de la richesse, ni ceux qui paient déjà un impôt proportionné à leurs capacités. La réforme de l'ISF et la création de la flat tax ont permis à la France de devenir championne d'Europe des investissements directs étrangers (IDE).

Cela n'empêche toutefois pas de s'interroger sur des situations marginales de suroptimisation fiscale -  c'est un point de convergence entre nous. La stabilité fiscale, ce n'est pas le statu quo.

Les contribuables qui contournent l'impôt légalement ne doivent plus pouvoir le faire et l'épargne massive des Français doit aller prioritairement vers des investissements productifs en Europe, alors que plus de 300 milliards d'euros d'épargne européenne partent chaque année vers les États-Unis.

M. André Reichardt.  - Très bien !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Il n'est pas logique qu'un ménage dont le patrimoine se chiffre en dizaines de millions d'euros finance son train de vie avec les revenus d'une holding patrimoniale et finalement ne paie aucun impôt sur le revenu. En résumé, nous devons taxer la rente, et non le rentier. (M. Guy Benarroche applaudit ; Mme Nathalie Goulet s'en amuse.)

Mais nous devons manier cette fiscalité avec une main tremblante, en prenant le temps de la concertation, en associant les économistes, en étudiant les mécanismes étrangers - Luxembourg, Espagne.

L'investissement, l'innovation et la croissance des entreprises sont la boussole du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nous examinons la proposition de loi d'Eva Sas et Clémentine Autain instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des plus riches, sous l'amicale pression de ses auteurs. Mais je sais le Sénat assez résistant à ce type de pression extérieure. (On ironise sur les travées du GEST ; M. Pascal Savoldelli s'exclame.)

Pourquoi maintenant ? D'abord, l'ISF est un totem pour une partie de cet hémicycle, depuis longtemps. Ensuite, en juin 2023, l'Institut des politiques publiques (IPP) a relevé une forme de régressivité de l'impôt sur les très, très hauts revenus. Le taux effectif d'imposition -  46 % pour les plus riches  - diminue pour les 0,1 % les plus aisés.

Pour aboutir à cette conclusion, l'IPP a utilisé une nouvelle définition du revenu, qui intègre le revenu non distribué mais contrôlé par les ménages. Les plus aisés peuvent en effet structurer leur patrimoine pour que leurs revenus soient moins imposables, grâce à des holdings, notamment.

Gabriel Zucman, après avoir soutenu la Nupes en 2022,...

Une voix à gauche.  - Un gauchiste !

M. Emmanuel Capus.  - ... a publié un rapport en juin 2024 en faveur d'une imposition à 2 % du patrimoine des milliardaires ou centimillionaires.

Cette proposition s'appuie sur le taux de croissance moyen annuel des entreprises dans le monde -  pas en France  - , qui serait de 7,5 % selon le magazine Forbes -  qui ne cite pas ses sources... Autre bémol : c'est une moyenne, certaines années sont moins bonnes, d'autres sont meilleures. (M. Daniel Salmon s'en amuse.)

Ce texte traduit cette proposition. Il s'agit de s'assurer que ceux qui possèdent plus de 100 millions d'euros paient au moins 2 % d'impôt sur leur patrimoine. En cas de difficulté à s'acquitter de cet impôt, un échelonnement est prévu. Selon Gabriel Zucman, le rendement de l'impôt pourrait s'établir autour de 20 milliards d'euros.

La commission des finances demande le rejet de ce texte, sur deux fondements principaux.

D'abord, pour des questions de méthode. Assimiler la personne physique à la société qu'elle contrôle est inédit, et contraire à nos principes fiscaux. La notion de régressivité est, elle aussi, discutable. Car quand ces contribuables voudront consommer leurs revenus non distribués, ils paieront l'impôt. Selon Jean-Baptiste Michau, il est problématique d'évaluer l'imposition des revenus du capital selon une approche statique, en omettant la flat tax qui sera acquittée au moment du versement effectif des dividendes.

Ensuite, ce texte présente beaucoup trop de faiblesses - constitutionnelles, opérationnelles et économiques - pour être adopté.

Faiblesses constitutionnelles, d'abord. Le Conseil constitutionnel veille en effet à ce que la loi fiscale ne soit pas confiscatoire, en fixant un taux marginal maximal d'imposition. Il a ainsi considéré qu'un impôt sur la fortune au taux de 1,5 % était constitutionnel, mais qu'en revanche un taux de 1,8 % devait être assorti d'un plafond.

Faiblesses opérationnelles, ensuite. La valorisation des entreprises cotées est délicate, mais celle des entreprises non cotées l'est plus encore. De plus, le rendement du capital de certains contribuables peut être faible, voire négatif - c'est le cas des start-up -, d'où un problème de liquidité : certains devront revendre leurs actions pour payer leur impôt... Certes, le texte a prévu un échelonnement, mais cela ne résout pas le problème.

Gabriel Zucman considère que les études démontrent que le risque d'exil fiscal est assez faible. Mais il ne s'agit pas ici de l'ISF ! (M. Yannick Jadot s'exclame.) Selon Challenges, 70 % de la fortune française est concentrée dans le top 10. Donc si ne serait-ce que trois d'entre eux s'expatrient, quid du rendement de l'impôt ?

M. Guy Benarroche.  - Vous naviguez en rase campagne !

M. Emmanuel Capus.  - Faiblesses économiques, enfin. Cet impôt dissuaderait la création de nouvelles entreprises, déstabiliserait l'actionnariat des entreprises françaises et porterait atteinte à l'investissement dans tous nos territoires. Il n'est pas justifié d'imposer les revenus non distribués des entrepreneurs, qui ont fait le choix du développement de leur entreprise. Je pense à l'exemple de SEB.

Nous ne sommes pas contre un mécanisme qui éviterait la régressivité de l'impôt en haut du spectre, mais celui-ci n'est pas le bon.

Plutôt que d'augmenter les impôts des très, très riches, baissons les impôts de tout le monde pour que chacun se retrouve dans la même situation que les plus riches. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; vives protestations sur les travées du GEST)

M. Xavier Iacovelli .  - Ce texte, sous des apparences de justice sociale, est en réalité le fruit d'une démagogie, aussi séduisante en surface qu'inquiétante dans ses conséquences.

Faire contribuer davantage les plus fortunés peut sembler juste, mais le mécanisme proposé est fragile, risqué et juridiquement contestable.

Le patrimoine privé et professionnel serait assujetti à cette taxe, car l'outil de travail est considéré comme un simple coffre-fort. Or une entreprise n'est pas un capital dormant, c'est un levier de croissance.

Alors que la France a regagné en attractivité - depuis 2018, 320 contribuables sont revenus s'installer en France -, n'envoyons pas un signal de défiance.

La fameuse taxe de 75 % mise en place par le président Hollande a été un échec : elle n'a rapporté que 420 millions d'euros en deux ans ; elle a provoqué l'exil fiscal massif de 3 500 à 4 000 contribuables ; elle a pénalisé l'attractivité économique de la France.

Cette proposition de loi risque d'avoir les mêmes effets.

Souhaitons-nous faire revenir les talents ou les faire fuir ?

M. Guy Benarroche.  - Quels talents ?

M. Xavier Iacovelli.  - Souhaitons-nous une France d'opportunités ou une France de pénitence fiscale ? Souhaitons-nous trouver une solution au problème budgétaire de la France ou préférons-nous faire partir nos plus gros contributeurs ?

Il ne s'agit pas de défendre les ultrariches, (« Ah ! » sur les travées du GEST), mais de défendre une France qui attire les investissements et les talents.

M. Emmanuel Capus.  - Bien dit !

M. Xavier Iacovelli.  - Dans un monde globalisé, les capitaux et les cerveaux se déplacent. Nos concurrents sont prêts à accueillir tous ceux que nous découragerons. (Protestations sur les travées du GEST)

Nous aspirons tous à un monde plus égalitaire. Cette proposition de loi séduit par sa simplicité. Mais dès qu'on gratte un peu le vernis, le sujet est plus complexe : être les seuls au monde à appliquer cette mesure aggraverait les inégalités. Confondre simplicité et simplisme, c'est prendre le risque de donner une fausse solution à un vrai problème.

Comme le veut le Président de la République, privilégions les travaux internationaux pour une imposition minimale mondiale des plus fortunés. Au niveau national, luttons contre l'optimisation fiscale, car on ne peut pas demander 40 milliards d'efforts aux Français sans faire contribuer les plus riches. (Mme Nathalie Goulet s'exclame.)

Trouver des alternatives responsables, oui. Tomber dans une fiscalité punitive et démagogique, non. (Exclamations sur les travées du GEST)

Défendons une ligne claire : une France qui attire et ne fait pas fuir, une France qui croit en ses entrepreneurs et ne les stigmatise pas. Le vrai courage est dans l'investissement, la réforme et l'économie.

Le RDPI votera contre ou s'abstiendra majoritairement. (M. Emmanuel Capus applaudit.)

M. Raphaël Daubet .  - Il est des textes qui ne résolvent pas tout, mais ouvrent une brèche dans le mur des injustices. C'est le cas de cette proposition de loi, qui a le mérite de s'attaquer à un angle mort de notre fiscalité : les superpatrimoines et les fortunes insolentes qui prospèrent bien plus vite que l'impôt - je le dis sans démagogie ni stigmatisation des personnes concernées.

Il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître : certains de nos concitoyens, les plus riches, ne contribuent pas comme ils le devraient. Oui, les plus grandes fortunes acquittent, en proportion, moins que les cadres moyens ou les artisans. L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce pourtant que la contribution publique doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.

Ce texte n'est pas une provocation. Il s'adresse aux républicains de tout poil. Il apporte un début de réponse à la profonde crise budgétaire actuelle, qui se mue déjà en crise sociale : les inégalités se creusent, les services publics meurent à petit feu, le consentement à l'impôt s'effrite et le pacte républicain s'érode. Alors que la grande majorité contribue à l'effort commun, une infime minorité échappe largement - et légalement - à la solidarité nationale.

Je n'enlève rien au mérite de ces personnes ni à leur fonction dans l'économie et la société, mais cette situation n'est pas tenable. Rétablir la justice fiscale est une exigence qui n'a rien de révolutionnaire. Mon groupe, le plus ancien du Sénat, celui de Joseph Caillaux, votera ce texte. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Confiscatoire : c'est le mot que, déjà, on opposait aux radicaux qui défendaient l'impôt sur le revenu. Nous laisserons-nous intimider ? La République peut-elle légiférer sous la menace ?

Mme Nathalie Goulet.  - Non !

M. Raphaël Daubet.  - Ce texte n'est pas parfait, mais il est nécessaire. Adoptons-le et faisons-le évoluer, non pour l'édulcorer, mais pour l'installer dans la durée et en faire l'une des clés d'un pacte fiscal réconcilié avec la République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et sur de nombreuses travées du groupe SER ; M. Jean-Pierre Corbisez et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)

M. Michel Canévet .  - Le groupe UC est particulièrement attaché à la justice fiscale. Nous avons formulé de nombreuses propositions en ce sens lors des précédentes discussions budgétaires, en particulier l'instauration d'un impôt sur la fortune improductive en remplacement de l'IFI. Hélas, cette mesure, votée par le Sénat, n'a pas prospéré.

Il est normal que les plus riches contribuent de façon significative au redressement des finances publiques. À cet égard, nous attendons beaucoup des conclusions de la commission d'enquête sur la délinquance financière, dont Nathalie Goulet est rapporteure. Nous devons en particulier mettre en place des dispositifs de lutte contre l'évitement fiscal. La mesure proposée par Mme Goulet en matière d'arbitrage de dividendes doit aussi être mise en oeuvre.

Toutefois, alors que la situation des finances publiques est préoccupante, l'effort premier doit porter sur la réduction des dépenses, dont la France détient le record parmi les pays développés. Le Gouvernement devra faire des propositions en ce sens dès le projet de loi de finances.

Nous devons aborder les taxations supplémentaires avec prudence. Nous avons fixé un cap pour l'attractivité : la stabilité fiscale. Or celle-ci a déjà été mise à mal par la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises.

Le groupe UC a beaucoup apprécié la contribution différentielle sur les hauts revenus. Madame la ministre, nous vous invitons à réfléchir à des dispositifs de cette nature pour faire contribuer les plus aisés de manière minimale.

Le dispositif dont nous débattons est différent, puisqu'il prend en compte l'ensemble du patrimoine. Nous sommes particulièrement gênés par l'intégration de l'outil professionnel dans l'assiette.

M. Cédric Chevalier.  - Bravo !

M. Michel Canévet.  - Ce n'est pas en taxant l'outil de travail que nous soutiendrons le développement économique. Le salon VivaTech, qui se tient ces jours-ci, nous rappelle que nous devons investir massivement dans les entreprises innovantes, dont la valorisation peut augmenter significativement lorsqu'elles réussissent. Quel signal enverrions-nous aux acteurs du capital-risque si nous adoptions ce texte ?

M. Grégory Blanc.  - Ils ont déjà une fiscalité avantageuse.

M. Michel Canévet.  - Certains sénateurs du groupe UC voteront ce texte (marques de satisfaction à gauche), mais la majorité d'entre nous s'y opposera. Nous proposons plutôt de taxer davantage les plus-values latentes et de revoir la niche fiscale sur les donations du plan d'épargne retraite. (MM. Emmanuel Capus et Cédric Chevalier applaudissent.)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Pascal Savoldelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, sur des travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST) Nous vivons dans une France de l'héritage, pas du mérite. La richesse se transmet davantage qu'elle ne se conquiert. Le capital paie plus que le travail.

Cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaure un impôt plancher de 2 %. C'est non pas une radicalité, mais une normalité démocratique. C'est le minimum du minimum ! Et quand ce minimum est jugé excessif, c'est le régime politique et économique qu'il faut interroger.

De longue date, nous formulons de nombreuses propositions pour rééquilibrer notre système fiscal, hélas souvent refusées par des gouvernements aux orientations politiques différentes.

Le taux d'imposition effectif est régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus riches à 26 % pour les 0,0002 % les plus aisés. Pensez-vous que les Français souhaitent cette stabilité, madame la ministre ? Non !

Ayons une lecture économique des situations patrimoniales. À ce niveau de richesse, ce n'est plus le revenu déclaré qui traduit la capacité contributive, mais la masse critique du capital accumulé, souvent immobilisé, parfois dissimulé, presque toujours optimisé. La droite refuse des outils nouveaux, adaptés à une économie transnationale et spéculative, tout en prétendant défendre l'efficacité de l'action publique. Elle soutient une pseudo-modernité quand il s'agit de réduire les droits sociaux et invoque la tradition quand il s'agit de ménager les fortunes.

Ce débat touche à l'éthique républicaine, à la cohésion de la nation. L'État est-il encore le garant de l'intérêt général ou est-il devenu le protecteur des intérêts particuliers lorsqu'ils dépassent les huit zéros ? Est-ce à l'État d'anticiper les exils fiscaux ou aux plus fortunés d'assumer de vivre dans un pays où la solidarité est une condition d'appartenance ?

Depuis 2010, les États-Unis contraignent les banques étrangères à fournir des renseignements sur les comptes de leurs ressortissants pour les dépôts supérieurs à 50 000 dollars.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Nous aussi.

M. Pascal Savoldelli.  - Les faits sont têtus. Les 500 premières fortunes françaises détiennent 1 228 milliards d'euros d'actifs nets, soit une hausse de 890 % en vingt ans. Les dix premières possèdent à elles seules 400 milliards d'euros, mais ne contribuent qu'à 0,2 % de leur fortune. Et le filet fiscal que nous proposons serait confiscatoire...

À force de protéger l'exception, vous êtes en train de normaliser l'injustice. La République, ce n'est pas le confort des puissants, mais l'égalité comme condition du commun. Il n'y a pas de République sans justice, pas de nation sans contribution. Avec l'impôt plancher, l'extrême richesse ne sera plus une extrême dérobade. Nous voterons ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur de nombreuses travées du groupe SER) La question posée est assez simple : existe-t-il en France un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôts que le reste de la population ?

Les plus fortunés paient proportionnellement moins d'impôts, grâce à l'optimisation légale. L'ensemble des Français paient environ 50 % de leurs revenus au total en impôts et cotisations. Mais, à partir de 100 millions d'euros de patrimoine, cette proportion tombe à 27 %. Vous n'avez jamais remis en cause ce constat, madame la ministre.

Les 500 plus grandes fortunes françaises ont vu leur patrimoine décupler en vingt ans, pour atteindre 1 228 milliards d'euros.

Le dispositif proposé n'est pas confiscatoire ou vexatoire. Il vise à corriger une inéquité flagrante : c'est un mécanisme anti-abus.

On a fait simple, mais pas simpliste : les contribuables dont le patrimoine dépasse 100 millions d'euros devront acquitter au moins 2 % de celui-ci en impôt.

Bien sûr, les fatalistes soutiennent que nous ferons fuir les grandes fortunes. D'abord, les études montrent que ce phénomène est marginal. Ensuite, nous prévoyons que ceux qui s'exileraient resteraient redevables des sommes dues pendant cinq ans. Face à l'illiquidité, nous proposons d'étaler les paiements, comme c'est le cas pour l'impôt sur les successions et comme il semble que vous le prévoyiez, madame la ministre, dans votre dispositif anti-abus.

Reste la question du caractère confiscatoire de ce mécanisme. Il est clair qu'un impôt plancher de 2 % au-dessus de 100 millions d'euros, et alors que le rendement du patrimoine est de 5 à 6 %, ne mettra aucun contribuable en difficulté. Les personnes concernées continueront de s'enrichir, certes un peu moins vite.

À la veille de débats budgétaires difficiles, les efforts que vous demanderez aux Français seront absolument inaudibles si vous n'acceptez pas notre proposition. Tocqueville a écrit : « Du moment que l'impôt avait pour objet, non d'atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s'en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l'épargner au riche et d'en charger le pauvre. »

Dans les cahiers de doléances de 1789, la réforme de l'impôt figure parmi les revendications principales. La nuit du 4 août, on abolit, avec les privilèges, les exemptions fiscales de la noblesse et du clergé. Plus de deux siècles plus tard, la soif de la justice fiscale irrigue toujours les cahiers de doléances mis en place pendant le mouvement des gilets jaunes.

Existe-t-il en France un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôts que le reste de la population ? Évidemment non ! Respectons nos textes fondateurs et votons ce texte pour faire en sorte que la contribution commune soit répartie également entre tous les citoyens. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Thierry Cozic .  - L'égalité devant l'impôt, principe fondamental, est au coeur de cette proposition de loi, qui ne touche que les 0,01 % des foyers les plus riches, soit 1 800 foyers.

L'impôt sur le revenu, pilier de la progressivité fiscale, échoue à imposer efficacement les plus grandes fortunes, qui minimisent leur revenu taxable. Pour les plus riches, l'impôt personnel devient ainsi fortement régressif, ne représentant plus que 2 % du revenu économique des 378 foyers les plus aisés. Ce texte ne vise donc pas à taxer les riches, ni même les super riches. Il s'agit d'effacer la régressivité actuelle.

Ce n'est pas le grand soir fiscal, simplement du bon sens : les milliardaires ne doivent pas payer moins d'impôts que leur secrétaire ou leur chauffeur !

Le ministre Lombard s'est opposé à ce texte en commission avec des arguments surprenants sur lesquels je souhaite revenir, parce qu'ils illustrent la méprise volontaire sur ce dispositif.

Il a notamment repris à son compte l'argument éculé selon lequel les milliardaires se verraient contraints de vendre leur entreprise. En moyenne, leur patrimoine rapporte 7 % par an. S'ils prétendent ne pas avoir de liquidités, c'est parce qu'ils organisent leur illiquidité, via des holdings notamment.

M. Lombard n'est pas seul. Dans sa dernière interview télévisée, au milieu de trois heures de commentaires d'une vie politique qui s'écrit désormais sans lui, le Président de la République a tenu à marquer son dernier pré carré : la défense des plus riches. Il a affirmé qu'il y aurait un risque de départ massif des plus fortunés, mais la littérature économique invalide totalement cette idée. L'exil fiscal est un phénomène négligeable. Ainsi, en Suède et en Norvège, seulement 2 % des contribuables concernés sont partis après la mise en place d'un impôt plancher de 1 %.

J'entends le risque d'inconstitutionnalité. Mais le président Raynal l'a dit : dès lors qu'un nouveau dispositif fiscal est proposé, on fait face à la possible censure du Conseil constitutionnel. Laissons le législateur légiférer et le Conseil constitutionnel statuer. Au demeurant, monsieur le rapporteur, vous pourriez voter l'amendement de repli du groupe SER prévoyant un taux de 1 % : vous réduiriez ainsi ce risque à néant...

En dix ans, la fortune des plus riches est passée de 400 milliards à 1 500 milliards d'euros. Depuis que M. Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a bondi de 114 % ! Près de 80 % des Français pensent qu'une taxation des plus fortunés est nécessaire.

Tendre vers plus de justice fiscale va dans le sens de l'histoire. En 1909, la Chambre des députés votait l'impôt sur le revenu : le Sénat, avec une majorité analogue à celle d'aujourd'hui, bloqua la réforme cinq ans durant. Après huit ans de macronisme, nos finances publiques sont dans un état qui ne nous permet plus d'attendre. Pouvons-nous nous payer le luxe de nous priver de 20 milliards d'euros de recettes fiscales ?

Votons ce texte, c'est une question d'équité fiscale et de cohésion sociale ! (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains) Je remercie le GEST d'avoir inscrit ce texte à notre ordre du jour.

Taxer, taxer toujours plus, partout et en tout temps : cette obsession est la marque de courants de pensée en manque d'idées. Pourtant, selon la formule de Churchill, essayer d'atteindre la prospérité par l'impôt revient à se tenir debout dans un saut et à tenter de se soulever soi-même par la poignée...

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Marc Laménie.  - Le dispositif imaginé par Gabriel Zucman, soutien de la Nupes aux dernières élections législatives, est simple en apparence ; en réalité, inapplicable et dangereux s'il était appliqué.

D'abord, on taxerait non seulement les biens détenus en France, mais aussi les biens à l'étranger. Comment le fisc organisera-t-il les contrôles dans le monde entier ?

Ensuite, les non-résidents fiscaux seraient aussi taxés. La France, première destination des investissements étrangers en Europe depuis six ans, enverrait un message clair : cessez d'investir chez nous ! (M. Emmanuel Capus renchérit.)

De nombreuses start-up ont des valorisations très élevées sans être pour autant profitables : il n'y a alors pas de liquidités pour s'acquitter de l'impôt.

Quant aux grandes entreprises, qui font vivre nos territoires, ceux qui les dirigent n'auraient d'autre choix que de se verser des dividendes, soumis à la flat tax, ou de vendre des actions. Suivant l'anarchiste Proudhon, qui considère la propriété comme un vol, nous encouragerions les plus grandes fortunes à revendre leur entreprise. Les personnes visées par cette taxe sont pourtant les seules à pouvoir investir sous forme de capital-risque dans notre économie. Preuve de la méconnaissance de notre économie par les auteurs du texte.

Cette proposition de loi ferait parler dans les journaux pendant quelques semaines, jusqu'à la censure du Conseil constitutionnel. Mais nous enverrions le message que la France n'est pas le pays où il faut créer de la valeur, qu'il vaut mieux investir en Italie, en Espagne ou en Allemagne.

Ce texte met le doigt sur une problématique certaine, mais ne propose pas une bonne solution. Le groupe INDEP votera contre. Pour ma part, je m'abstiendrai. (Quelques applaudissements et marques d'ironie à gauche ; M. Michel Canévet applaudit.)

M. Dominique de Legge .  - L'imposition des hauts revenus nourrit depuis longtemps les réflexions des économistes et des moralistes.

Cette proposition de loi propose l'application de la taxe Zucman, conçue par l'économiste français Gabriel Zucman et qui prendrait la forme d'un impôt plancher en fonction de la fortune.

Les 0,02 % des contribuables les plus riches s'acquittent d'un taux d'imposition moyen de 27 %, contre 46 % pour les 0,1 % les plus fortunés, du fait de l'optimisation fiscale et de l'utilisation de niches et structures juridiques permettant de réduire l'impôt. Ce déséquilibre manifeste soulève une question de fond au regard du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt.

Les auteurs du texte proposent que les foyers fiscaux versent chaque année en impôt 2 % au moins de la valeur nette de leur patrimoine, dès lors qu'il dépasse 100 millions d'euros. Ce mécanisme ne crée pas un impôt supplémentaire, mais repose sur une logique de contribution différentielle. Il concernerait 1 800 contribuables et pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d'euros. Il s'agit de garantir qu'aucun contribuable, quelle que soit l'ingéniosité de ses stratégies d'optimisation, ne puisse échapper à une contribution minimale.

Le mécanisme se concentre sur ceux qui, bien qu'extrêmement fortunés, contribuent faiblement à l'impôt. Difficile d'imaginer un dispositif plus ciblé. Il ne s'agit donc nullement d'un rétablissement de l'ISF, qui concernait 358 000 foyers en 2017, avant que sa réforme ne maintienne assujetties les classes moyennes propriétaires de biens immobiliers non délocalisables et n'exempte les plus riches détenteurs d'un patrimoine financier délocalisable.

Malgré l'intention louable de rétablir une plus grande justice fiscale, le dispositif proposé soulève plusieurs difficultés. (On ironise à gauche.)

La première est l'absence d'étude d'impact. (Exclamations ironiques à gauche)

Ensuite, sur la méthode, la position du groupe Les Républicains est constante : nous devons intégrer ces réflexions fiscales à la réflexion plus générale sur le budget. Nous invitons le Gouvernement à proposer, dans le cadre du projet de loi de finances, des mesures pour faire évoluer la situation, par exemple en réformant l'IFI dans le sens que notre groupe défend depuis des années à l'initiative d'Albéric de Montgolfier.

Pour ces raisons, nous ne voterons pas la proposition de loi. (M. Emmanuel Capus et Mme Agnès Evren applaudissent.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je tiens à rappeler certaines réalités pour ancrer ce débat, au demeurant légitime.

Y a-t-il encore de la justice fiscale ? En 2023, Jean-Marc Germain a mené au nom de l'Insee une étude sur le caractère redistributif de notre système fiscalo-social : il en ressort que celui-ci réduit l'écart de revenus entre le premier et le dixième décile de 1 à 18 à de 1 à 3. Nous sommes un des pays les plus redistributifs d'Europe.

M. Guy Benarroche.  - Nous le savons ! Ce n'est pas le sujet !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Le taux marginal d'imposition, après application de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, est de 49 %, ce qui est particulièrement élevé en Europe.

La contribution est-elle bien proportionnelle au revenu ? Un quart des contribuables acquittent les trois quarts de l'impôt sur le revenu, et 0,1 % des contribuables, représentant 0,9 % des revenus, en payent 4 %.

Quant à l'IFI, son rendement a progressé de 11 % entre 2023 et 2024, à 2,2 milliards d'euros. Le PFU rapporte, lui, 6,3 milliards d'euros ; ce rendement a doublé entre 2018 et 2023.

La question que vous posez, c'est la suroptimisation du revenu fiscal de référence. De fait, à l'occasion de contrôles fiscaux, nous constatons que des contributeurs aux patrimoines très élevés ont des revenus fiscaux de référence qui les rendent éligibles au RSA ou au logement social...

M. Guy Benarroche.  - Attention ! Si on leur retire le RSA, ils vont partir.

M. Pascal Savoldelli.  - Il faudrait qu'ils travaillent 15 heures !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Ils ont la décence de ne pas demander le RSA. (On se gausse à gauche.)

Ces mécanismes sont indécents, mais légaux, en sorte que les autorités fiscales n'ont pas les outils de redressement. C'est sur ce point que nous travaillons.

M. Guy Benarroche.  - Nous y avons travaillé !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La justice fiscale ne peut s'accommoder de telles situations, dans lesquelles, du fait des revenus détachés, le revenu fiscal de référence est insincère.

L'orateur du groupe UC a évoqué la contribution différentielle sur les hauts revenus. Je précise qu'elle ne règle en rien ce problème, puisqu'elle s'appuie sur le revenu fiscal de référence.

Je suis totalement consciente du problème et nous y travaillons. La lutte contre ces pratiques abusives fait consensus, notamment dans le monde entrepreneurial. Ce que nous cherchons à encourager, ce sont les entrepreneurs, les familles qui conservent des entreprises en France, l'innovation.

M. Pascal Savoldelli.  - C'est de la langue de bois !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - S'assurer que le revenu fiscal de référence n'est pas insincère, ce n'est pas imposer 2 % par an sur du stock. Systématiquement, le Conseil constitutionnel a considéré que la fixation d'un taux sans plafonnement n'était pas acceptable.

M. Guy Benarroche.  - Ce n'est vrai !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Depuis quarante ans, le seul taux accepté sans plafonnement est 0,5 % : je livre cette information à votre sagacité...

Discussion de l'article unique

Mme Ghislaine Senée .  - (Applaudissements sur quelques travées du GEST) Les Français nous regardent et attendent que nous traitions ce sujet important - et les élus locaux aussi, au regard des difficultés financières des collectivités.

Notre seul objectif est de sortir la France du marasme dans lequel sept ans de macronisme l'ont plongée. La tension est forte dans la société, et la justice sociale est un enjeu primordial.

Le déficit public explose - 170 milliards d'euros en 2024 -, la dette dépasse 3 000 milliards d'euros et pourtant la France est un paradis fiscal pour ultrariches : les 500 plus grandes fortunes détiennent à elles seules 1 228 milliards d'euros, sept fois notre déficit.

Cette taxe est défendue par Jean Pisani-Ferry, Olivier Blanchard. Bruno Le Maire lui-même l'a soutenue en Europe. Au vu de la gravité de la situation, il faut absolument répartir les efforts demandés. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)

M. Yannick Jadot .  - Dans quel régime politique vivons-nous pour que vous défendiez avec tant de ferveur 1 800 foyers fiscaux ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je défends des millions d'emplois.

M. Yannick Jadot.  - La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui fait partie de notre Constitution, consacre la justice fiscale. Mais vous préférez perdre 20 milliards d'euros pour protéger des privilégiés plutôt que d'investir dans la santé, l'école, la transition écologique ou la réindustrialisation. Sommes-nous donc en ploutocratie ?

Le Sénat devrait se battre bec et ongles contre les coupes budgétaires qui affectent nos collectivités. Est-il redevenu la Chambre des pairs, surtout soucieuse de défendre les privilégiés ? Sommes-nous revenus à l'Ancien Régime, lorsqu'une caste était exonérée d'impôt ?

Relisez Tocqueville : des « manières de distinguer les hommes et de marquer les classes, l'inégalité d'impôt est la plus pernicieuse et la plus propre à ajouter l'isolement à l'inégalité, et à rendre en quelque sorte l'un et l'autre incurables ». Il ajoutait que lorsque deux classes ne sont pas également imposées, elles n'ont presque plus de raison de délibérer et d'agir ensemble.

Ce n'est ni une confiscation ni une obsession : c'est l'égalité fiscale. Et si elle rapporte 20 milliards d'euros, c'est bon à prendre ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Grégory Blanc .  - L'équité fiscale supposerait de refonder l'impôt sur le revenu et d'améliorer la fiscalité sur le capital. Rappelons que les dividendes ne sont imposés qu'à 12,8 % et que les plus-values latentes ne sont pas fiscalisées. La question des héritages aussi doit être remise en débat.

Il s'agit d'une loi anti-abus, visant la suroptimisation de certains hauts patrimoines. Ce n'est pas en essayant de corriger des dispositifs, ce qui laissera nécessairement des trous dans la raquette, qu'on réglera le problème. Il faut innover, ce que fait ce texte. Oui, le mécanisme proposé agrège ce qui relève de la fiscalité sur la personne physique et ce qui relève de la fiscalité sur l'entreprise. Mais la suroptimisation résulte précisément de tours de passe-passe entre personnes physiques et morales. Nous devons repenser notre fiscalité à cette aune.

Au moment du covid, certains patrimoines ont considérablement augmenté du fait de l'injection massive de liquidités de la BCE. Il serait juste qu'il y ait un retour d'ascenseur.

M. Alexandre Ouizille .  - On a parlé de mesure totémique, symbolique. C'est, au contraire, un enjeu fondamental.

En 1985, les 1 % les plus riches détenaient 16 % de la richesse nationale ; aujourd'hui, 25 %. La confiscation est dans l'autre sens ! Les 99 % se sont vu confisquer 9 % de plus de la richesse nationale créée. Et que proposez-vous ? Rien.

Pour l'an prochain, vous voulez trouver 40 milliards d'euros. Nous vous en proposons cet après-midi la moitié.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est méconnue lorsque les contribuables ne paient pas en raison de leurs facultés. En l'occurrence, l'imposition est dégressive à partir des 0,1 % les plus riches. Et qu'on ne dise pas que l'épargne risquerait de manquer : nous en avons en excès !

Nous sommes revenus à une société d'héritiers, avec 65 % du patrimoine hérité. Il faut une après-midi du 12 juin pour changer la donne ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST)

M. Yan Chantrel .  - Nous vivons un moment de vérité.

Vous faites reposer les efforts toujours sur les mêmes, en épargnant toujours les mêmes autres - les multimillionnaires.

Quand on commet autant d'erreurs de politique économique pendant huit ans - baisses d'impôts qui ont creusé le déficit sans nous faire gagner le moindre point de croissance - on révise ses choix. Vous, au contraire, vous apprêtez à faire des coupes qui affecteront les soins ou l'école.

Cette mesure vous rapporterait 20 milliards d'euros. Le gouvernement auquel vous appartenez compte une moitié de millionnaires, mais même vous ne serez pas concernés, puisque le dispositif s'applique à ceux qui gagnent plus de 100 millions d'euros.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Il ne s'agit pas d'un gain ! Il s'agit de patrimoine.

M. Yan Chantrel.  - Le redressement des comptes publics ne sera jamais accepté sans justice fiscale ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Anne Souyris .  - M. de Legge et Mme de Montchalin reconnaissent une inégalité fiscale, mais disent : faisons autrement. Pour l'un, il faut attendre le PLF ; pour l'autre, modifier le calcul du revenu fiscal de référence. Mais, en attendant, pourquoi ce dispositif simple, qui ne fait que compenser une quasi-absence d'impôt, ne pourrait-il pas être mis en place ? C'est une mesure de solidarité au moment où vous demandez aux Français des efforts considérables ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Pascal Savoldelli .  - Le rapport que vous citez, madame la ministre, indique qu'avant transfert, les ménages aisés disposent en moyenne d'un revenu dix-huit fois supérieur à celui des ménages les plus pauvres. Là, on vous suit.

Vous oubliez de dire (Mme Amélie de Montchalin proteste) que ce n'est qu'après transfert, donc après accès aux services publics, que l'on constate une réduction importante des inégalités, avec un rapport de un à trois.

Mais qui paie les services publics ? Qui réduit cet écart ? La dépense publique, à laquelle les ultrariches doivent aussi participer. (Mme Amélie de Montchalin sourit à l'orateur.) Vous souriez amicalement, mais il vous faudrait lire plus attentivement les rapports...

M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances .  - Il est important de débattre sereinement. J'entends les critiques de Ghislaine Senée, Grégory Blanc, Yan Chantrel et Pascal Savoldelli. Monsieur Jadot, vous avez quelque peu dérapé en affirmant que les sénateurs de droite ou le Sénat en général défendraient les milliardaires. (Exclamations ironiques sur les travées du GEST)

Nous ne vivons pas en ploutocratie, mais en démocratie. Le Sénat résiste à toutes les pressions, y compris celles des lobbys et aux courriels que tous les sénateurs reçoivent depuis une semaine ! (Vives protestations sur les travées du GEST)

Le professeur Zucman vous l'a dit, un impôt à 2 % sans plafonnement est contraire à la Constitution.

M. Guy Benarroche.  - Déposez un recours !

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - C'est un peu fort de café de reprocher aux sénateurs de droite de ne pas respecter la démocratie. En démocratie, on n'attaque pas comme vous le faites.

M. Guillaume Gontard.  - Vous nous attaquez un peu aussi...

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Il est nauséabond et populiste de vouloir faire croire aux gens que la majorité sénatoriale s'opposera au texte pour protéger les plus riches (l'ironie redouble sur les travées du GEST), alors que c'est exactement le contraire : c'est pour protéger notre économie, les entreprises et l'investissement. Si vous croyez que vous serez bien accueilli dans vos circonscriptions après avoir ainsi tué l'investissement, vous vous mettez le doigt dans l'oeil, si je puis dire. (Protestations à gauche)

M. Michaël Weber.  - C'est vous qui serez mal accueilli !

M. Michel Canévet .  - À écouter certains orateurs, on pourrait croire que les ultrariches ne paieraient pas d'impôts. C'est faux ! Les 83 milliards d'euros d'impôt sur le revenu ont été payés par 19 millions des 41 millions de foyers fiscaux du pays. Parmi eux, 10 % ont payé 75 % du produit de l'impôt. Cela signifie que 4 % des foyers fiscaux ont payé les trois quarts de l'impôt sur le revenu de l'an passé ! (Protestations sur les travées du GEST) Il faut rectifier les choses. Oui, les plus aisés contribuent, parce que nous avons un système fiscal progressif. (Exclamations ironiques sur les travées du GEST)

M. Grégory Blanc.  - Y a-t-il eu redistribution ?

M. Michel Canévet.  - Enfin, dire qu'on peut récupérer 20 milliards d'euros est un mirage !

Mme Christine Lavarde .  - Je n'ai pas assisté à l'ensemble des débats, mais on m'a rapporté certains propos. Depuis plusieurs années, notre groupe défend une révision de l'IFI pour taxer la fortune improductive. Mais la mesure n'a pas suffisamment suscité l'adhésion. (M. Thomas Dossus proteste.) Le rapporteur général s'est battu pour obtenir un dispositif anti-CumCum ; au printemps, en commission, nous avons interpellé le Gouvernement sur les mesures d'application réglementaires pour rendre ce dispositif effectif. Nous ne sommes pas aveugles sur la question de la contribution des plus riches.

Mais cette mesure nous semble inefficace, car il faut continuer à investir dans l'innovation, la transition climatique, la défense...

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Très bien !

Mme Christine Lavarde.  - Il faut garantir notre souveraineté dans des filières stratégiques - mais vous êtes prêts à ce que les détenteurs de ces actifs les vendent pour payer cet impôt !

De l'autre côté de la Manche, 11 000 millionnaires ont quitté le pays lorsque le gouvernement travailliste a instauré une taxation des plus riches. Est-ce ce que vous voulez pour notre pays ? Pourquoi Gabriel Zucman n'a-t-il pas réussi à convaincre les pays gouvernés par la gauche ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Laure Darcos.  - Bravo !

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - Nul ne peut dire que nous mettrions sous cloche 1 800 personnes. Les ETI - qui génèrent des dividendes non distribués et qui ont des valorisations importantes - représentent 4 millions d'emplois ; les entreprises du CAC 40, 1,2 million d'emplois. Je ne protège personne, sinon l'emploi, l'économie, l'investissement et la croissance... (M. Yannick Jadot proteste.)

M. Guillaume Gontard.  - Et ça marche ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Si nous harmonisions nos règles au niveau de l'Union européenne ou de l'OCDE, nous pourrions avancer dans ce domaine. (Protestations sur les travées du GEST)

M. Yannick Jadot.  - Il faut donner l'exemple !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - À la fin, on se retrouverait tous seuls !

M. Yannick Jadot.  - C'est déjà le cas pour la TVA !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Sur les questions budgétaires, certains d'entre vous me disent : madame la ministre, avec notre solution, le déficit est résolu de moitié. (Mme Ghislaine Senée et M. Grégory Blanc le contestent.)

Si nous voulons arrêter de créer de la dette tous les ans, donc passer en dessous de 3 % de déficit d'ici la date encore trop lointaine de 2029 - car payer plus d'intérêts que de dépenses pour l'éducation nationale n'est pas satisfaisant -, il nous faut globalement réduire en 2029 notre dépense d'à peu près 100 milliards.

Vous me dites qu'avec un taux de 2 %, on trouverait 25 milliards ; l'an prochain, il faudrait trouver 25 milliards d'euros supplémentaires, donc passer à 4 %, jusqu'à atteindre 8 % pour couvrir le manque. (Exclamations sur les travées du GEST)

M. Pascal Savoldelli.  - Franchement...

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Pascal Savoldelli a la solution !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Il est honnête de dire aux Français que nous ne pouvons pas stopper l'augmentation de la dette sans toucher au rythme des dépenses. (Protestations sur les travées du GEST)

L'autre manière de le dire est que, chaque année, la dépense de santé augmente naturellement de 15 milliards d'euros. Si je suis votre raisonnement, il faudrait créer un nouvel impôt chaque année de 15 milliards d'euros supplémentaires...

M. Pascal Savoldelli.  - Vous êtes ministre des comptes publics !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Oui, et en tant que ministre des comptes publics, il me semble que le débat est confus. (On se gausse à gauche.) Notre équation budgétaire est de tenir l'effort dans le temps et non pas de proposer une solution ponctuelle et facile. (Vives protestations sur les travées du GEST)

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Très bien !

M. le président.  - Mes chers collègues, nous devons avancer si nous voulons examiner l'autre texte inscrit à l'ordre du jour.

Amendement n°6 rectifié de M. Daubet et alii.

M. Raphaël Daubet.  - Cet amendement pragmatique prévoit de relever l'abattement sur les résidences principales à 1,5 million d'euros.

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - La commission proposant le rejet du texte, l'ensemble des amendements recevront un avis défavorable.

Cet amendement est cosmétique et ne change pas l'économie du texte. Ce sujet n'a pas été évoqué dans les auditions. La fortune des personnes concernées dépassant 100 millions d'euros, la valeur de leur résidence dépasse certainement 1,5 million d'euros... Le vrai problème concerne plutôt l'outil de travail - et je sais que ce point de vue est partagé, y compris sur d'autres bancs que ceux de la droite et du centre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Même avis. Si cette taxe venait à être votée, je souhaite que nous conservions le même abattement que pour l'IFI.

M. le président.  - Un scrutin public a été demandé sur l'ensemble de l'article unique.

L'amendement n°6 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié de M. Grosvalet et alii.

M. Raphaël Daubet.  - Cet amendement renforce la sécurité juridique de l'impôt proposé. La valorisation des valeurs mobilières fonctionnerait comme pour l'IFI : il serait possible d'opter soit pour le dernier cours connu soit pour la moyenne des trente derniers jours.

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Cet amendement apporte de la confusion. Inutile de modifier l'article 973 du code général des impôts sur l'assiette de l'IFI - que vous semblez vouloir appliquer ici. Avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Retrait, car satisfait. Inutile de complexifier les choses.

L'amendement n°7 rectifié est retiré.

M. le président.  - Amendement n°1 de M. Cozic et du groupe SER.

M. Thierry Cozic.  - Monsieur le rapporteur, vous pointez le risque d'inconstitutionnalité avec un taux de 2 %, qui serait confiscatoire.

Pour nous, l'essentiel est que ce mécanisme soit mis en oeuvre. Nous proposons donc un taux de 1 %, comme à chaque projet de loi de finances.

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Je salue l'auteur de cet amendement, qui tient compte de mon rapport...

M. Yannick Jadot.  - C'est flatteur !

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - ... et du fort risque d'inconstitutionnalité. Si notre collègue Jadot l'avait lu, il éviterait de parler de ploutocratie ! (On s'amuse sur les travées du GEST.)

Une voix à gauche.  - Donc, avis favorable ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Il me semble cependant... (« Ah ! » sur les travées du GEST) qu'au-delà de 0,5 % sans plafond, nous sommes dans l'incertitude et qu'il est vraisemblable que cela soit toujours inconstitutionnel.

Cette taxe nécessitera que les contribuables aliènent une partie de leur patrimoine pour s'en acquitter. Cette difficulté demeure, comme les risques de fuite des entreprises.

Vous me répondrez que le texte prévoit des dispositifs anti-exil.

M. Grégory Blanc.  - L'exit tax !

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Mais pensez-vous que ceux qui détiennent un patrimoine de 90 millions d'euros resteront sagement en France ? Soyons sérieux ! (Mme Catherine Conconne s'exclame.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Avis défavorable pour les mêmes raisons : le taux de 0,5 % est le maximum accepté par le Conseil constitutionnel sans plafond. (M. Guy Benarroche le conteste.)

Ce sont les faits. On peut toujours croire qu'on peut tenter quelque chose, mais ils demeurent.

Mme Ghislaine Senée.  - Le GEST s'abstiendra sur cet amendement, car seul le taux de 2 % permet d'atteindre l'équité.

Je voudrais éviter un effet semblable à celui du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités (Dilico) : alors que les grandes communes riches étaient ciblées, beaucoup de petites communes se retrouvent à devoir payer 5 000 à 10 000 euros.

La taxe Zucman concerne 1 700 foyers, alors que vous en visez 60 000 : vous toucherez les entrepreneurs, les professions libérales. À force de diluer, vous toucherez davantage à l'innovation que nous.

Mme Florence Blatrix Contat.  - Madame la ministre, 2 % c'est trop, 1 %, c'est trop... Nous avions proposé un taux de 0,5 % pour tester cette solution, mais vous avez refusé : c'est donc une position de principe de votre part ! (On renchérit à gauche.)

M. Yannick Jadot.  - Nous avons appliqué cet impôt plancher sur la fortune de Bernard Arnault.

En 2024, son patrimoine est de 190 milliards d'euros. En appliquant cet impôt, il paierait 3,8 milliards d'euros supplémentaires pour atteindre les 2 % d'impôt. Si nous appliquons aux cinq prochaines années son rythme d'enrichissement des dix dernières - ce sera peut-être plus, puisqu'il est ami avec Donald Trump -, il passerait entre 2024 et 2028 de 186 milliards à 297 milliards. Il aura augmenté sa fortune de 100 milliards et il contribuera à hauteur de 6 milliards d'euros - soit le rendement du PFU. Ce que nous proposons n'est pas confiscatoire, puisque les plus riches vont continuer à s'enrichir.

Puisque vous citez le PFU, madame la ministre, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires a montré que, comme la suppression de l'ISF, il n'avait créé zéro investissement, zéro emploi.

Quant aux exilés fiscaux, on a l'impression dans votre esprit que les super-riches sont des mercenaires et que leur intérêt réside dans les taux d'imposition. Mais quelle vision décliniste et pessimiste avez-vous de notre pays ! Moi je pense qu'ils sont patriotes et paieront leur juste part. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)

L'amendement n°1 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.

M. Pascal Savoldelli.  - Les plus anciens s'en souviennent - je prends Dominique de Legge à témoin : en 1981, face à Jean-Pierre Elkabbach, Georges Marchais disait : au-dessus de 40 000 francs, je prends tout ! (On apprécie la référence.) Nous, nous disons : au-dessus d'un milliard d'euros, nous prenons ce qu'il faut. (Sourires)

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - C'est-à-dire tout !

M. Pascal Savoldelli.  - Ce qu'il faut, c'est-à-dire 40 milliards d'euros. C'est un amendement pour aider le Gouvernement à boucler son budget 2026 !

Vous parlez d'un effort national, mais, dans votre vision, il frappe toujours les mêmes : ce n'est pas nous qui évoquons une hausse de la TVA sur des produits du quotidien, des suppressions de postes dans la fonction publique, une année blanche pour les collectivités - soit, pour nos concitoyens, deux années noires du point de vue des services publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Moi non plus !

M. Pascal Savoldelli.  - Pendant ce temps, qui est épargné ? Ceux dont la richesse atteint un tel niveau qu'elle en devient presque abstraite, dissimulée dans des holdings, camouflée dans des montages fiscaux, une richesse qu'on qualifie d'« illiquide » - j'ai découvert ça ! Elle est pourtant très concrète lorsqu'il s'agit d'influencer l'économie, les médias et la politique !

Nous proposons donc un taux inchangé de 2 % au-delà de 100 millions d'euros et un taux de 5,1 % pour la fraction de patrimoine qui dépasse le milliard d'euros. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) C'est un taux raisonné et raisonnable : pour les quarante dernières années, la rentabilité moyenne des grandes fortunes tourne autour de 7,5 % par an ! En captant 68 % de cette rentabilité, nous laisserions aux ultrariches un gain net de 2,4 % par an - soit l'équivalent... du taux du livret A. Il n'y a donc pas confiscation et je pense que la majorité des Français seraient d'accord. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Cet amendement me laisse songeur.

M. Pascal Savoldelli.  - C'est bien !

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Vous partez du constat que beaucoup d'entreprises rapportent beaucoup d'argent : plus 800 % en quelques années. Un libéral se demanderait : pourquoi ne pas confier la gestion de nos retraites à ce type d'investisseurs. Avec une capitalisation de cet ordre, les Français auraient une meilleure retraite ! (On ironise à gauche.)

Mais comme vous êtes un adepte de Marx - un pur et dur ! - (on ironise à gauche), vous pensez qu'il n'y a qu'une seule façon de tuer le capitalisme : toujours plus d'impôts !

Avec un taux de 5,1 % vous proposez un taux totalement confiscatoire !

Rappelez-vous la fable de la poule aux oeufs d'or (Mme Mathilde Ollivier et M. Yannick Jadot s'exclament) : quand on l'a tuée, elle ne vaut plus rien ! Avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - On compte 49 milliardaires de nationalité française - tous ne sont pas résidents fiscaux. Avec une telle mesure, nombre d'entre eux quitteraient le territoire. Cela peut être l'objectif, mais il faut l'écrire clairement.

Derrière ces personnes, il y a de l'investissement, de l'emploi !

Mme Ghislaine Senée.  - Et les savoir-faire ?

M. Yannick Jadot.  - Et les services publics ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Avis défavorable.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié de M. Savoldelli et alii.

M. Pascal Savoldelli.  - J'espère que nous n'aurons pas La Fontaine pour seule réponse et que le rapporteur sera plus aiguisé dans son analyse de Karl Marx...

À chaque tentative de mise à contribution des grandes fortunes, une phrase revient comme un réflexe de classe : ce patrimoine n'est pas liquide. Mais cette situation ne tombe pas du ciel !

Je vous donne un exemple caricatural, mais proche de la réalité. Imaginez un boulanger dans un village qui vend ses pains tous les jours - sauf le 1er mai ! (Rires) Il paie ses cotisations et ses impôts. Imaginez maintenant un milliardaire : au lieu d'empocher les profits, il crée une première holding, puis une deuxième, et ainsi de suite. Résultat : les profits restent coincés dans les étages et sur sa feuille d'impôt : rien ! C'est de l'illiquidation volontaire. Un peu comme si le boulanger disait : je ne paierai pas mes impôts, car j'ai enfermé tout mon argent dans mon four à pain. (On apprécie à gauche.)

Nous disons : l'État ne peut pas se laisser balader par des gens qui organisent eux-mêmes leur insolvabilité fiscale. Comme dans la version initiale, nous prévoyons un échelonnement du paiement, à une condition : le ou la redevable devra apporter un nantissement réel, un gage sur ses biens. Bref, l'État est créancier, mais pas pigeon. L'absence de liquidité ne vaut pas immunité !

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié de M. Daubet et alii.

M. Raphaël Daubet.  - Encore un amendement compassionnel, avec l'espoir d'émouvoir le rapporteur, à défaut de le faire sourire...

Nous proposons d'échelonner le paiement de l'impôt de cinq à six ans.

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié de M. Grosvalet et alii.

M. Raphaël Daubet.  - Cet amendement vise à se prémunir contre la vente d'entreprises stratégiques.

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - L'amendement n°2 rectifié de Pascal Savoldelli, surprenant, crée un nouveau type de nantissement - objet juridique novateur... (Mme Amélie dMontchalin s'amuse.) Avis défavorable.

L'amendement n°5 rectifié cherche à pallier l'illiquidité - c'est ce qui est fou dans ce texte : dès le départ, les auteurs savent qu'une bonne partie, peut-être une majorité, des contribuables ne pourront pas payer. Pourquoi ? Parce que leurs biens ne sont pas liquides. Et je ne vous parle même pas des start-up ! Avis défavorable, même si six ans, c'est toujours mieux que cinq.

Le professeur Zucman a lui-même proposé la saisie d'actions si les contribuables ne peuvent pas payer. L'État deviendrait ainsi gestionnaire de portefeuille si les pactes familiaux d'actionnaires le permettent... Cela devient ubuesque !

M. Pascal Savoldelli.  - Ça pourrait être un amendement !

Mme Antoinette Guhl.  - Ce n'est pas dans le texte !

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - C'en est la suite logique et c'est ce que propose Gabriel Zucman. (M. Yannick Jadot s'exclame.)

Avis défavorable également à l'amendement n°8 rectifié. Si les contribuables sont obligés de vendre les actions des entreprises stratégiques, cela posera évidemment problème, mais cette obligation de demander l'autorisation existe déjà.

Quid des entreprises d'autres secteurs que la défense, mais très implantées, comme Seb ou Pernod-Ricard, par exemple ? Elles seraient à la main des prédateurs étrangers. M. Jadot demandait : « dans quel pays vit-on ? » Nous vivons dans un pays inclus dans le reste du monde ! Le professeur Zucman prônait une taxe mondiale, mais dans les autres pays, sa taxe n'a pas été acceptée.

M. Thomas Dossus.  - Pas encore !

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Il y a d'ailleurs peut-être une raison à cela.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Prenons un cas pratique : Mistral, entreprise valorisée à 6 milliards d'euros, dont la moitié du capital est aux mains de trois actionnaires individuels. Il faudrait qu'ils s'acquittent chaque année de 2 % de 3 milliards d'euros, soit 60 millions d'euros ? Est-ce une nationalisation rampante ? Ce n'est pas mon projet. Si l'État ne les acquiert pas, ils vendront leurs actions à qui voudra.

M. Thomas Dossus.  - C'est une exception.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Ce sont nos licornes. Nous avons mis tant d'années pour que ces entreprises se développent en France et non à l'étranger... (M. Jacques Fernique s'impatiente.) Vous pointez vous-même la difficulté. Dès lors, avis défavorable.

L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté, non plus que les amendements nos5 rectifié et 8 rectifié.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié bis de Mme Goulet et alii.

M. Bernard Delcros.  - Mme Goulet souhaiterait que le Gouvernement, avant l'examen de la loi de finances, indique le nombre de personnes concernées par cette taxe et l'évolution de leur fortune sur les cinq dernières années.

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Je regrette le départ de Mme Goulet.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Elle reviendra.

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Je comprends l'intention : il n'y a pas d'étude d'impact et nous avons besoin d'informations supplémentaires pour savoir qui paiera cet impôt. Ce n'est pas déraisonnable, mais nous aurions gagné à le savoir avant.

La commission des finances est, vous le savez, très dubitative sur les demandes de rapport.

Enfin, une remarque de fond : ce texte s'appuie sur les classements établis par le magazine Forbes. Mieux vaudrait avoir des chiffres précis à notre disposition.

Enfin, cet amendement est inopérant : Bercy ne dispose pas de ces chiffres et ne pourrait vous les transmettre dans les trois mois. Depuis la suppression de l'ISF, Bercy ne connaît plus les patrimoines. Les dernières données à la disposition du ministère datent de 2016. (On s'impatiente sur les travées du GEST.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Cette demande est satisfaite : je vous invite à lire l'étude de l'Insee Revenus et patrimoines. Je préfère mobiliser les fonctionnaires de la DGFiP sur le contrôle fiscal plutôt que sur des rapports déjà écrits.

M. Pascal Savoldelli.  - Chantage !

L'amendement n°4 rectifié bis est retiré.

Vote sur l'ensemble

Mme Ghislaine Senée .  - La situation actuelle est scandaleuse : alors que chaque Français déclare scrupuleusement ses revenus, nous ne pouvons accepter que les plus riches ne fournissent aucune information.

Je remercie Éva Sas et Clémentine Autain d'avoir déposé cette proposition de loi à l'Assemblée nationale.

Sur l'exil fiscal, on prétend, lors du rétablissement de l'ISF, que 350 000 personnes seraient parties - mais nul ne sait qui elles sont. Or les 1 700 foyers concernés par cette taxe sont connus : Bernard Arnault, familles Hermès, Wertheimer, Bettencourt, Saadé, Dassault, Mulliez, Pinault, Niel, Besnier... Ils ont effectivement contribué à l'essor de la France ; si vous les défendez autant, c'est parce que vous les considérez comme des serviteurs de l'État.

Une référence philatélique pour finir : « Économiser, c'est servir, gaspiller, c'est trahir » disait une flamme de La Poste en 1945. Pour moi, je ne pense pas que les plus grandes richesses françaises trahiront leur patrie ; au contraire, ils sont fiers de ce qu'ils ont réussi à construire. Cessez de dire qu'ils partiront, car ils sont patriotes.

Disons donc : payer ses impôts, c'est servir, refuser de les payer à hauteur de ses facultés, c'est trahir. (Bravos et applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du SER)

M. Pierre Barros .  - Notre groupe votera évidemment cette proposition qui rompt enfin avec un récit politique devenu délirant, selon lequel les plus riches seraient trop fragiles pour contribuer et les pauvres trop solides pour être épargnés.

Cette loi vise ceux pour qui la richesse n'est plus un revenu, mais une rente, qui prospère sans jamais ruisseler vers l'intérêt général ; une richesse qui ne produit ni emploi, ni innovation, ni bien commun, mais seulement un pouvoir d'influence sans borne. Pendant ce temps, les services publics trinquent, forcés de faire plus avec moins.

Que nous rétorque-t-on ? Qu'il ne faudrait pas envoyer un mauvais signal aux grandes fortunes. Mais depuis quand la justice fiscale est-elle devenue un risque ? Depuis quand la République doit-elle s'excuser d'exister face aux intérêts privés ?

Vous continuez de parler le langage de la rationalité économique tout en défendant une absolue irrationalité. Quelle majorité peut prétendre défendre l'ordre républicain tout en acceptant que 0,01 % de la population vive en dehors du champ de l'impôt ?

Ce texte est une mesure de justice et de santé démocratique, qui peut redonner du sens au beau mot d'égalité, inscrit au fronton de nos mairies. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)

M. Thierry Cozic .  - Le groupe socialiste votera bien sûr ce texte. Chaque Français doit contribuer à la hauteur de ses moyens.

Mais je ne me fais pas d'illusions : la majorité sénatoriale, en cohérence avec le Gouvernement, poursuit la politique de l'offre telle que construite depuis huit ans, malgré des résultats loin d'être brillants : dette de 3 300 milliards, croissance atone, défaillance d'entreprises, destruction d'emplois.

Madame la ministre, je vous le dis solennellement : votre présence au banc ne tient que parce que les socialistes ont agi en responsabilité. Mais nous n'avons pas signé de chèque en blanc ; nous avions noué un accord avec le Premier ministre : y figurait une contribution des hauts patrimoines.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Il ne fallait pas censurer !

M. Thierry Cozic.  - Le refus de cette taxe ne présage rien de bon pour les échéances budgétaires automnales. Si vous nous payez en monnaie de singe, le prochain budget pourrait bien être le dernier du Gouvernement. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances .  - Évitons de monter les Français les uns contre les autres. (Protestations sur les travées du GEST) Soutenir que l'on réglera les problèmes des plus pauvres en taxant les plus riches est dangereux.

M. Yannick Jadot.  - Cela s'appelle la République !

Mme Antoinette Guhl.  - C'est la justice !

M. Emmanuel Capus, rapporteur.  - Les plus riches - pas les ultrariches - paient beaucoup d'impôts. Jusqu'à 99,9 %, l'impôt est progressif. Le chiffre de 50 % que vous avez beaucoup cité est une erreur : l'IPP parle de 46 % au maximum, qui s'oppose aux 26 % payés par les 0,01 %.

Nous avons un problème à traiter : rétablir une égalité entre ces deux catégories. (Mme Ghislaine Senée et M. Yannick Jadot lèvent les bras.) Une solution serait de baisser le taux marginal de l'impôt sur le revenu ? Un effort a été fait pour l'impôt sur les sociétés, mais pas encore pour l'impôt sur le revenu.

Laisser accroire que les plus riches ne paient pas d'impôt est faux. Il y a d'autres solutions que de créer un nouvel impôt.

À la demande des groupes INDEP et Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°322 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 317
Pour l'adoption 129
Contre 188

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Mise au point au sujet de votes

Mme Christine Lavarde.  - Lors des scrutins publics nos317 et 318, Annick Petrus souhaitait s'abstenir.

Acte en est donné.

La séance est suspendue quelques instants.

Mieux protéger les écosystèmes marins

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins, présentée par Mme Mathilde Ollivier et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.

Discussion générale

Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je suis émue, car ce combat est politique, mais aussi personnel. Petite-fille et arrière-petite-fille de pêcheurs de Concarneau et d'ouvrières des conserveries de la ville, j'ai grandi au rythme des histoires de pêche, de naufrages, de requins-baleines ; au rythme aussi des réveils nocturnes pour partir en pêche, voir le soleil se lever depuis la mer.

Aimer l'océan, c'est accepter de le regarder en face, choisir de le défendre. C'est prendre conscience que le protéger, c'est protéger l'humanité même. Aujourd'hui, l'océan est à bout de souffle. Ce bien commun, régulateur du climat, qui couvre 70 % de la surface de la planète, souffre des canicules sous-marines, de la pollution plastique, de la disparition des habitats, de l'abrasion des fonds marins... Il est la poubelle d'un monde qui voit la nature comme une ressource à exploiter.

« Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, ils s'apercevront que l'argent ne se mange pas », disent les Amérindiens. Nos choix politiques et économiques auront détruit en quelques décennies une activité séculaire.

La surpêche en est la principale responsable. La biomasse s'effondre : disparation de 90 % des grands poissons depuis 1950, diminution de 54 % des poissons prédateurs en quarante ans. Nous avons vidé la mer.

Alors que la Conférence des Nations unies sur les océans à Nice s'achève, notre pays était attendu, notre responsabilité était immense.

Le Président de la République a dit vouloir « limiter l'activité des chaluts de fond dans certaines zones des aires marines protégées ». Un oxymore, tant chalut et aires marines protégées sont antinomiques. Le décalage entre les annonces et la réalité est saisissant. Seulement 1,6 % des eaux françaises sont réellement protégées, dont 0,1 % des eaux hexagonales, alors que le Président parle de 30 %.

Le flou persiste, ces annonces ne sont pas à la hauteur ; elles reconduisent des engagements déjà pris, voire déjà trahis, elles entretiennent l'ambiguïté entre protection forte et protection stricte. La France est encore loin des recommandations de l'Union européenne qui préconise d'interdire tout type de pêche dans au moins 10 % des eaux.

Plus que dans les grands discours, la crédibilité de la France se joue dans la cohérence de sa politique nationale. Or l'amertume domine.

Cette proposition de loi est peut-être la dernière opportunité pour le Gouvernement de sortir par le haut en alignant enfin la définition des aires marines protégées avec les standards européens et internationaux

La cohérence se joue ici, dans notre capacité à légiférer avec courage. Cette proposition de loi est la traduction concrète de ce que la Conférence des Nations unies sur l'océan aurait dû produire en France : une protection effective et juste.

Les aires marines dites protégées couvrent 33 % de notre zone économique exclusive (ZEE), mais que protège-t-on réellement lorsque les mégachalutiers prélèvent jusqu'à 250 tonnes de poisson par jour sur nos côtes, alors que les artisans pécheurs souffrent ?

Ma proposition de loi remplace le flou juridique de la « protection forte à la française » par une protection stricte, alignée sur les standards internationaux de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), soit des zones sans aucune activité extractive ou destructive.

L'efficacité des aires marines protégées est démontrée : 2,5 fois plus de biomasse en moyenne, 30 % d'espèces en plus, un emploi direct pour chaque tranche de 100 hectares protégés...

J'ai entendu les doutes sur la faisabilité de 10 % d'aires protégées sur chaque façade maritime - aussi ai-je déposé un amendement renvoyant les modalités au décret. Il ne suffit pas de protéger des immenses zones en Polynésie : il faut protéger une multitude d'écosystèmes spécifiques.

Nous instituons autour de ces sanctuaires des zones tampon dédiées à la petite pêche artisanale.

Deuxièmement, nous proposons une transition des flottilles de chalut de fond, destructrices et peu rentables. Plutôt que d'attendre leur effondrement, accompagnons leur mutation.

Enfin, nous interdisons les bateaux de plus de 25 mètres dans la bande côtière des 12 milles nautiques, pour préserver la ressource et protéger nos pêcheurs côtiers de la concurrence des mégachalutiers. La présence du Margiris, 143 mètres de long, à la criée de Dunkerque, a suscité la colère des pêcheurs locaux. Ces navires industriels n'ont rien à faire au plus près de nos côtes.

Ce texte répond à l'urgence climatique tout en préservant la filière. Ce n'est pas un texte contre les pêcheurs, mais avec eux, pour eux, pour que la mer continue à nourrir et pour que la pêche artisanale survive.

Là où la biodiversité est préservée, les poissons reviennent. Les pêcheurs en sont les premiers bénéficiaires.

La solution existe. Il faut maintenant la volonté politique, pour résister aux intérêts particuliers et protéger ce bien commun qu'est l'océan. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; MmeSolanges Nadille et Sophie Briante Guillemont applaudissent également.)

M. Jacques Fernique, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Des milliers de dirigeants, scientifiques et représentants de la société civile sont réunis à Nice autour d'une ambition : protéger les océans.

Des écosystèmes marins en bonne santé sont vitaux, tant au plan écologique que socio-économique. La préservation de la biodiversité marine et celle de la pêche constituent un même combat.

L'océan rend de nombreux services écosystémiques. Principal puits de carbone, il atténue le changement climatique. La préservation des milieux marins est essentielle à l'équilibre des réseaux trophiques.

Malheureusement, l'état du monde océanique se dégrade de manière alarmante, à cause du réchauffement climatique, de la pollution marine et surtout de la surexploitation des ressources halieutiques.

Selon l'Office français de la biodiversité (OFB), 94 % des habitats marins et côtiers sont en mauvais état en métropole, 29 % des récifs coralliens sont en cours de destruction, et 29 % des oiseaux des terres australes sont menacés.

Les aires marines protégées sont l'outil le plus efficace pour enrayer cette évolution, à condition de bénéficier d'un haut niveau de protection.

Notre stratégie nationale prévoit, d'ici 2030, au moins 30 % d'aires marines protégées, dont au moins 10 % sous protection dite « forte ». Or si la protection « stricte », préconisée par l'Union européenne et l'UICN, n'admet que des activités compatibles avec les objectifs de conservation des espèces, la protection forte « à la française » n'interdit aucune activité par principe, pas même le chalutage de fond.

Si 33 % des eaux françaises sont désormais couvertes par des aires marines protégées, les aires sous protection stricte ne représentent que 1,6 %, et 0,04 % des eaux métropolitaines. Elles se trouvent surtout dans les terres australes et antarctiques et au large de la Nouvelle-Calédonie.

L'article 1er du texte remplace la notion de protection forte par celle de protection stricte et fixe pour objectif de couvrir 10 % de chaque façade maritime par des aires sous protection stricte.

Il prévoit, autour des zones strictement protégées, des zones tampon réservées à la pêche artisanale, pour qu'elle bénéficie de l'effet réserve.

L'article 2, plus socio-économique, appelle à une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond. Cette pratique entraîne une capture des juvéniles et une abrasion des fonds marins. À moyen terme, le changement de modèle est inévitable : anticipons-le.

Pour protéger la petite pêche côtière de la concurrence déloyale des mégachalutiers, il est proposé d'interdire l'exercice des navires de pêche de plus de 25 mètres à moins de 12 milles nautiques des côtes. C'est un signal fort à nos pêcheurs de la Manche et de la Mer du Nord, en plus d'être rationnel économiquement, car les petits engins de pêche créent plus de valeur et d'emplois par tonne débarquée que les industriels.

Si ses objectifs sont partagés par tous les groupes, la commission a estimé que cette proposition de loi posait des problèmes de méthode, de calendrier et d'opérationnalité. Elle n'a pas souhaité remettre en cause les équilibres de la loi Climat et résilience en matière d'aires marines protégées. Elle a souhaité conserver la doctrine de protection forte, estimant qu'elle était gage de souplesse et d'acceptabilité sociale.

La commission s'est inquiétée des conséquences potentielles de l'article 2, compte tenu de l'importance du chalutage de fond pour l'économie littorale. Elle a estimé qu'un nouveau document stratégique poserait des problèmes d'articulation avec les stratégies existantes.

Si je comprends le besoin de stabilité et de cohérence, de même que les craintes liées aux conséquences socio-économiques de la déchalutisation, les spécialistes en biologie marine et en ressources halieutiques que j'ai rencontrés ont souligné la robustesse des constats sur lesquels se base ce texte. L'expérience montre qu'à terme, les retombées économiques des aires marines protégées sont au rendez-vous. Ainsi du thon rouge en Méditerranée, dont le stock s'est reconstitué depuis la réglementation, au bénéfice des pêcheurs.

Protéger la mer, c'est assurer un avenir à la pêche en préservant la ressource dont elle dépend. Il ne s'agit pas de sanctuariser les océans, mais d'assurer l'équilibre entre conservation et développement durable.

J'avais soumis à la commission plusieurs propositions d'assouplissements - qui n'ont pu être retenues en raison du rejet du texte. Elles seront redéposées par mon groupe.

Ces dernières semaines, les déclarations en faveur de la pêche durable et la protection des océans se sont multipliées. Il n'est pas trop tard pour que la France mette en cohérence ses paroles et ses actes. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Veuillez excuser Agnès Pannier-Runacher, qui porte à Nice la voix de la France. Elle partage pleinement l'ambition d'une protection renforcée de l'océan, de sa biodiversité et de ses écosystèmes, gage de notre souveraineté économique, écologique et alimentaire.

Le Président de la République porte ce combat depuis huit ans. Il l'a réaffirmé à Brest, en 2022, et encore à Nice. Mais cette ambition sera vaine si nous la portons de manière dispersée.

Depuis 2017, nous avons agi : 33,6 % de nos eaux sont des aires marines protégées, au-delà de l'objectif mondial de 30 % fixé pour 2030. Annoncée à Nice, l'aire de Tainui Atea en Polynésie française, plus grande aire protégée au monde, fait de la France un leader mondial.

Mais seules 4,8 % de nos eaux bénéficient d'une protection forte, et à peine 0,1 % en France hexagonale. Nous passerons à 14,8 % au niveau national grâce à la Polynésie et à la labellisation de 4 % de nos eaux hexagonales. Nous aurons atteint en 2026 notre premier palier de 10 % de protection forte, avec quatre ans d'avance.

L'article 1er remplace la notion de protection forte par celle de protection stricte, en imposant une application uniforme de l'objectif de 10 % à chaque façade maritime. Or les enjeux écologiques, les usages, les pressions ne sont pas les mêmes en Méditerranée, dans l'Atlantique ou en outre-mer. Fixer arbitrairement une exclusion systématique a priori de toute activité humaine reviendrait à appliquer un modèle unique à des écosystèmes fondamentalement différents. Ce serait inefficace écologiquement et injuste socialement. Nous défendons une planification rigoureuse, fondée sur les usages existants et sur une évaluation fine de leurs impacts écologiques.

Le Président de la République l'a rappelé : d'ici 2028, toutes les aires marines protégées devront intégrer des zones de protection forte, un plan de lutte contre les pollutions telluriques et de nouvelles régulations.

Dès 2026, 14,8 % de nos eaux seront en protection forte, en particulier dans les zones les plus sensibles : canyons, coraux profonds, herbiers de posidonie, maërl, mangroves. Toute activité humaine à impact significatif - y compris le chalutage de fond - y sera interdite.

Notre méthode, progressive, repose sur un équilibre entre protection de la nature et reconnaissance des usages humains. Laisser sa place à l'homme dans ces zones de protection forte, c'est permettre aux visiteurs de s'émerveiller et les sensibiliser au besoin de préservation.

Sur l'article 2, notre position est claire. L'interdiction des navires de plus de 25 mètres serait contraire au droit européen. La politique des pêches est une compétence exclusive de l'Union. (Mme Mathilde Ollivier s'exclame.) Sans base scientifique solide, cette disposition pourrait être jugée discriminatoire et annulée. Le seuil de 25 mètres est arbitraire...

M. Daniel Salmon.  - Un seuil est toujours arbitraire !

M. Philippe Baptiste, ministre.  - ... et pourrait être contourné. (Protestations sur les travées du GEST)

Diplomatiquement, la France s'est battue pour maintenir l'accès de ses navires - y compris de plus de 24 mètres - aux eaux britanniques dans les 6 à 12 milles.

Mme Mathilde Ollivier.  - Ils sont trois !

M. Philippe Baptiste, ministre.  - Une interdiction nationale aussi stricte pourrait entraîner des mesures de rétorsion - sans compter qu'elle méconnaîtrait les efforts déjà fournis par la filière.

Le gentleman's agreement signé en octobre 2024 entre pêcheurs français, belges et néerlandais sur la Manche Est montre que le dialogue permet de trouver des solutions.

Oui, nous voulons interdire le chalutage de fond - dans les zones écologiquement sensibles, sur la base d'études rigoureuses, et dans un cadre européen harmonisé, garant d'un traitement équitable.

Une nouvelle stratégie nationale concentrée sur le chalut de fond ne nous paraît pas pertinente. Elle ignore les autres engins - dragues, filets, palangres - qui peuvent poser problème, ainsi que les effets de report. Nous avons déjà la stratégie nationale biodiversité, la stratégie nationale mer et littoral, les analyses risque-pêche dans les sites Natura 2000, le plan d'action national 2026, le contrat stratégique de filière. Gare au risque de doublons et d'incohérences en multipliant les stratégies en silo. L'enjeu, c'est la mise en oeuvre effective des démarches engagées.

Au reste, la pêche relève du cadre européen, et toute stratégie doit être compatible avec cette gouvernance partagée. Le combat doit être mené à Bruxelles, en rang serré. Nous ne sommes pas isolés : Agnès Pannier-Runacher a réuni un groupe d'États membres partisans d'une révision cohérente et juste de cette politique commune des pêches.

Nous suivons notre feuille de route, fondée sur le dialogue et l'efficacité.

Mme Sophie Briante Guillemont .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La Conférence des Nations unies sur l'océan s'achève : le Président de la République s'est félicité de la présence de soixante chefs d'État, y compris des climatosceptiques comme Javier Milei. Le sujet est désormais porté au plus haut niveau.

La France possède la deuxième ZEE mondiale : cela nous oblige. Pour autant, l'approche française concernant les aires marines protégées se révèle trop souple au regard des standards européens.

Ce texte propose une approche ambitieuse. La protection de l'océan est essentielle dans la lutte contre le changement climatique : c'est un puits de carbone qui absorbe un tiers du CO2 émis par les activités humaines, régule le climat et produit la moitié de l'oxygène que nous respirons. Il est aussi victime de la surpêche.

Selon l'OFB, près d'un tiers des poissons débarqués proviennent de stocks surexploités. La protection de la biodiversité marine est essentielle à la pérennité économique du secteur de la pêche, dont dépendent de nombreux emplois, territoires, et notre sécurité alimentaire.

La stratégie de l'Union européenne pour la biodiversité fixe l'objectif de 30 % d'aires marines protégées d'ici à 2030, dont au moins un tiers sous protection stricte. L'article 1er corrige donc l'approche française, trop souple, qui n'exclue aucune activité par principe.

À l'article 2, un amendement de Mathilde Ollivier propose de s'en tenir à l'interdiction des mégachalutiers. Pratique de pêche non sélective, le chalutage compromet la reproduction des espèces. Peu créatrice d'emplois, de moins en moins rentable, cette filière menace la survie de la pêche artisanale.

Cette proposition de loi fait écho aux milliers d'initiatives venues de la société civile, des associations aux start-up, qui oeuvrent pour la protection des océans. Parmi ces acteurs engagés, on retrouve souvent des Français de l'étranger, chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs.

Cette proposition de loi permettrait à la France d'être à la hauteur de ses engagements internationaux. Mon groupe y sera largement favorable. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) On dit souvent que la mer ne rend jamais totalement ce qu'elle prend. Nous le savons en Vendée. Nous avons le devoir de la protéger, sans oublier ceux qui en vivent et y travaillent.

Si je partage l'ambition de ce texte, les solutions avancées ne répondent pas aux défis. Protéger l'océan, ce n'est pas dresser une digue entre écologie et économie.

M. Michel Canévet.  - C'est vrai !

Mme Annick Billon.  - Il faut embarquer tout le monde à bord. Sinon, on ne protège pas, on oppose, on fragilise.

Je reconnais néanmoins un effort d'anticipation. Les décisions précipitées ont eu des conséquences graves. La fermeture hâtive du golfe de Gascogne en 2024 a plongé tout un territoire dans la tourmente. Trente-sept bateaux vendéens sont restés à quai, les pertes ont atteint 22 millions d'euros. Et que dire de l'aval : mareyeurs, criées, coopératives, transport frigorifique ? On oublie trop souvent qu'un pêcheur en mer, c'est quatre emplois à terre. Ce texte ne prévoit de compensations que pour les pêcheurs ; pourtant, en 2023, 35 % des entreprises de la filière aval étaient déjà au bord du dépôt de bilan. J'ai interrogé le Gouvernement à trois reprises sur ce sujet. Dans leur rapport d'information, nos collègues Cadec, Bleunven et Grosvalet ont levé le voile sur la brutalité de cette fermeture et sur ses conséquences.

Un cadre réglementaire existe déjà, avec des quotas fixés annuellement par l'Union européenne. La filière agit, innove et investit. Dans le golfe de Gascogne, 30 millions d'euros ont été investis dans des « pingers » pour éviter les captures accidentelles de cétacés.

Les atteintes graves à la biodiversité marine ne viennent pas tant des filets que des terres : plastiques, nitrates, pollutions industrielles.

Proposer une protection stricte d'au moins 10 % par façade maritime, c'est un coup de règle sur la carte, à rebours de la loi Climat et résilience qui privilégie la concertation et la différenciation territoriale.

M. Michel Canévet.  - Absolument.

Mme Annick Billon.  - On ne peut imposer la même protection partout. La mer est un vivant mouvant et complexe

L'article 2 se heurte au même écueil : absence d'analyse d'impact, absence de concertation. Interdire les navires de plus de 25 mètres dans les 12 milles, c'est lancer la course aux bateaux de 24,9 mètres ! (Mme Mathilde Ollivier proteste.) Si nous voulons des langoustines et des Saint-Jacques dans nos assiettes, nous devons préserver la pêche au chalut. La France importe déjà 80 % de sa consommation de poisson...

Mme Mathilde Ollivier.  - Ce sera encore pire !

Mme Annick Billon.  - Bannir le chalutage ne ferait que déplacer le problème. En revanche, une réflexion s'impose sur les mégachalutiers industriels, ces usines flottantes qui ratissent large et vident les mers.

Nous devons garantir l'équilibre entre production et protection, entre nature et culture. Sur nos côtes, cette culture est aussi celle de la pêche.

Le groupe UC partage l'objectif affiché par ce texte de protéger les fonds marins, mais pas les moyens proposés.

Rappelons enfin que selon la FAO, la durabilité des stocks mondiaux de poissons est en forte hausse, quelles que soient les espèces.

Mme Mathilde Ollivier.  - Tout va bien, alors !

Mme Annick Billon.  - Nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Michel Canévet.  - Quel réalisme !

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Alors que notre pays accueille la Conférence des Nations unies sur l'océan, cette proposition de loi marque un tournant décisif dans la protection des écosystèmes marins. L'objectif est clair, l'ambition louable. Mais on ne saurait ignorer les impacts socioéconomiques sur les familles qui vivent de la mer.

Les interdictions proposées menacent directement les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux et des professionnels du chalutage. L'extension des aires marines protégées restreindrait drastiquement l'accès à des zones de pêche traditionnelles, qui font vivre des communautés entières. En repoussant les flottes industrielles hors des zones protégées, on exacerberait la concurrence ailleurs, fragilisant les ressources marines. La pêche artisanale, durable, en paierait le prix fort.

Les aires marines protégées comme moyen de sauvegarder ce qu'il reste de la pêche artisanale ? Séduisante sur le papier, cette vision est-elle réaliste ? Nous manquons d'une étude d'impact socio-économique et d'une cartographie précise. Où sont les zones à sauvegarder en priorité ? Où les pêcheurs gagnent-ils leur vie ? Gare à ne pas briser des équilibres fragiles. Dans les collectivités littorales, l'effet domino sur l'économie locale pourrait être dévastateur, si la transition n'est pas accompagnée.

La promesse d'une stratégie nationale pour réduire la dépendance au chalutage de fond est creuse, sans budget dédié. Parler de reconversion sans chiffrage, c'est trahir les espoirs de ceux qui vivent de la mer.

Enfin, protéger 30 % de nos espaces marins exige un renforcement massif des moyens de surveillance. Or l'OFB, dont certains qualifient les agents de shérifs, manque déjà cruellement de moyens.

Si l'avenir des océans est un enjeu vital, cette ambition doit s'accompagner d'un soutien réel et tangible pour les pêcheurs, les collectivités et les acteurs locaux, sans quoi ce texte ne sera que mirage.

La majorité du groupe CRCE-K s'abstiendra, la protection des océans ne pouvant se faire sans justice sociale et économique.

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) « L'Océan vivant » s'affiche dans toute sa beauté sur les grilles du Luxembourg. Mais comment faire pour qu'il reste vivant ?

Bien commun, allié majeur contre le changement climatique, l'océan est en souffrance. Sa capacité à réguler le climat et à nourrir l'humanité est mise en péril. Chaque cours d'eau charrie les pollutions émanant de nos activités, mais nos destructions sont dues aussi à la pêche industrielle, qui a bouleversé la biodiversité et les habitats marins.

Nous pouvons encore freiner cette course vers l'abîme.

Si 33 % de nos eaux sont couvertes par une aire marine protégée, la plupart d'entre elles autorisent toutes les pratiques de pêche, jusqu'aux plus destructrices. Il faut changer de cap. Les aires marines en protection stricte sont les plus à même de fournir des bénéfices écologiques, mais aussi économiques et sociaux, avec le maintien des revenus des pêcheurs et des perspectives de développement local.

Le monde nous regarde. Le Royaume-Uni, la Grèce ou la Suède relèvent leurs exigences de protection ; le ministre de l'environnement britannique annonce vouloir interdire le chalutage de fond dans la moitié de ses aires marines protégées. La France, elle, est encore à la peine. Il nous appartient de rectifier notre trajectoire et de nous aligner sur les standards internationaux.

Cette proposition de loi est ancrée dans la réalité. Ses deux mesures sont le fruit d'un dialogue constructif avec les parties prenantes. La protection stricte de 10 % de chaque façade maritime et l'interdiction des chalutiers de plus de 25 mètres sont essentielles si l'on veut maintenir une flottille de pêche florissante, lutter contre le changement climatique, favoriser la consommation locale et la sécurité alimentaire.

L'opinion vous regarde. Vous avez là l'occasion de combler le fossé entre la rhétorique et l'action. Il est temps de mettre à distance les lobbies et de faire alliance avec les citoyens, avec la science, avec les artisans pêcheurs et l'océan. L'océan vivant n'est pas que sur les grilles du jardin du Luxembourg ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Michaël Weber .  - L'écologie est, selon Lévi-Strauss, « un humanisme sagement conçu qui fait à l'Homme une place raisonnable dans la nature, au lieu qu'il ne s'en institue le maître et la saccage ». La restauration de la nature est un travail au long cours, mais quelques heures suffisent pour raser une forêt centenaire ou transformer un habitat naturel marin en désert aquatique. Les techniques de pêche industrielle ont eu raison d'une ressource marine qu'on croyait inépuisable ; l'anéantissement en quelques décennies des populations de harengs ou de morues en est l'illustration. Une aire marine protégée qui autorise ces techniques destructrices est un non-sens.

Mais la nature est capable d'une incroyable résilience. Accorder une protection adéquate à une aire marine permet le retour de l'abondance.

Nous partons de loin. La destruction des écosystèmes, la surpêche sont une menace pour les ressources halieutiques qui s'effondrent. Le chalutage de fond y contribue particulièrement.

La France, deuxième ZEE au monde, a une responsabilité particulière.

L'aire marine protégée peut être un outil efficace mais nécessite une bonne gouvernance et un niveau de protection élevé. Les critères internationaux sont clairs : une aire marine est protégée si toute activité industrielle y est interdite. En France coexistent dix-huit statuts de protection ; dans la grande majorité des cas, il n'y a aucune restriction à la pêche industrielle.

Les réserves marines, strictement protégées, ont pourtant fait leurs preuves : la ressource y augmente considérablement. L'effet de débordement de ces zones sanctuarisées bénéficie aux zones de pêche alentour avec, en fin de chaîne, un meilleur revenu pour les pêcheurs.

Le texte apporte une réponse équilibrée, fruit d'un compromis issu d'un dialogue avec les acteurs de la filière et les associations. Il adapte le droit français aux normes internationales et institue une véritable protection des aires marines au service d'une pêche plus durable.

Le monde nous regarde. Ce sujet doit faire consensus dans notre hémicycle. Nous devons mener ce combat ensemble, pour nos pêcheurs, pour les écosystèmes et pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Cyril Pellevat .  - Au moment où se tient la Conférence des Nations unies sur l'océan, cette proposition de loi nous donne l'occasion de débattre de la protection des mers et des océans.

Un consensus semble émerger : la protection des océans est décisive pour notre avenir. C'est un enjeu environnemental, alimentaire et géopolitique.

En France, nous consommons 33 kg de poissons et crustacés par an et par personne, mais nous importons 80 % de notre consommation. Nos aires maritimes, notre littoral et nos ressources halieutiques doivent être protégés. C'est pourquoi nous soutenons l'interdiction des mégachalutiers dans la bande des 12 milles marins, car ils créent des dégâts tant écologiques qu'économiques pour nos pêcheurs. Il faut trouver l'équilibre qui permettra à la pêche artisanale et à la pêche au chalut de coexister.

Nous ne pouvons interdire d'emblée toute activité dans les aires marines. C'est pourquoi nous sommes réservés sur l'article 1er. Chaque territoire a ses particularités et nous devons permettre une différenciation territoriale. L'exemple de la coquille Saint-Jacques en Normandie montre que cela fonctionne. Encourageons les initiatives locales qui impliquent les acteurs économiques.

Les océans relient les hommes, stockent le carbone et sont une réserve nourricière. L'indispensable protection de nos écosystèmes marins devra se faire avec les acteurs économiques de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Agnès Evren .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je vais vous lire l'intervention d'Alain Cadec, dont je vous prie d'excuser l'absence.

La préservation des océans est un enjeu central pour la biodiversité. La pêche illégale représente un poisson pêché sur cinq et plus de 5 000 milliards de morceaux de plastique flottent dans l'océan. Nous ne pouvons rester inactifs. Toutefois, 32,5 % des espaces maritimes français sont déjà en aire marine protégée, c'est plus que la moyenne mondiale.

Ce texte soulevant plusieurs difficultés majeures, il a été rejeté en commission. Il prévoit de placer 10 % de nos espaces marins sous protection stricte, interdisant même la pêche artisanale, avec des conséquences dramatiques pour notre pêche, déjà fragilisée.

Il fixe des objectifs ambitieux, mais irréalistes. Les pêcheurs, les collectivités territoriales et les entreprises dénoncent un manque d'écoute. La transformation de l'économie littorale ne peut se faire sans un dialogue approfondi et des garanties d'accompagnement pour les professionnels concernés.

L'expérience montre que la multiplication des aires protégées n'est pas toujours efficace, surtout quand les moyens manquent. La France affiche déjà plus de 30 % de ses eaux en aire marine protégée, mais seule une infime partie bénéficie d'une protection réelle et efficace. Commençons par améliorer les dispositifs existants.

Attention aussi à ne pas abîmer la compétitivité de la pêche française, ce qui conduirait à une délocalisation vers des zones moins réglementées. Il faut des accords concertés à l'échelle internationale.

Les objectifs de la conférence de Nice sont multiples : protéger 30 % de l'océan, mettre un terme à la pollution plastique, promouvoir la pêche durable, lutter contre la pêche illégale, décarboner le transport maritime, renforcer la coopération internationale face à la montée des eaux, mobiliser de nouveaux financements pour une économie bleue durable, faire entrer en vigueur le traité sur la haute mer et la biodiversité marine, défendre la science et soutenir la recherche.

L'impérative protection des écosystèmes marins ne peut se faire au détriment de nos pêcheurs, de nos territoires et de notre souveraineté alimentaire.

Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi, qui manque d'équilibre et de pragmatisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Solanges Nadille .  - Le RDPI partage évidemment l'objectif de préservation de nos océans, qui régulent le climat, absorbent le CO2, fournissent des aliments et soutiennent les économies littorales. La France, deuxième domaine maritime mondial avec ses outre-mer, porte une attention particulière à ces espaces, qui se dégradent.

Nombre d'entre nous, nous sommes rendus à Nice, où le Président de la République a rappelé qu'il ne s'agissait pas d'opinions, mais de faits scientifiquement établis. Les réponses internationales seront les plus efficaces, s'agissant non d'un bien de consommation, mais de notre patrimoine naturel universel. Le Président de la République a annoncé que le traité sur la haute mer entrera en vigueur, grâce à plus de 60 ratifications. Quant au chalutage de fond, il sera limité.

Il y a urgence, mais la France n'a pas attendu pour agir, avec la loi Climat et résilience par exemple.

L'article 1er de cette proposition de loi remplace la protection forte par la protection stricte, crée des zones tampon, prévoit que 30 % des eaux françaises doivent être couvertes par un réseau d'aires protégées tant dans l'Hexagone qu'en outre-mer et que 10 % devront être sous protection stricte. L'État devra élaborer, sur la base des données scientifiques et en concertation avec les collectivités territoriales, une stratégie nationale.

L'article 2 prévoit une stratégie nationale de transition des flottilles de chalutiers de fond et l'interdiction des mégachalutiers à moins de 12 milles marins.

La France revendique déjà la protection d'environ 30 % de sa ZEE, conformément à l'objectif international 30x30, soutenu par l'Union européenne.

L'objectif est louable, mais j'ai quelques réserves. L'interdiction du chalutage de fond dans toutes les aires marines protégées pourrait porter préjudice aux flotilles artisanales, dont un contexte déjà difficile pour la pêche française. Privilégions la concertation.

En outre, la sanctuarisation de 10 % des espaces marins sans aucune activité humaine va au-delà de nos engagements internationaux.

Pour toutes ces raisons, une majorité du RDPI votera contre ce texte. Pour ma part, j'estime que les spécificités de mon territoire exigent plus de finesse.

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié quater de M. Cadec et alii.

Mme Agnès Evren.  - Défendu.

M. Jacques Fernique, rapporteur.  - Avis défavorable, à l'unanimité de la commission, pour une question de méthode, car la commission souhaite un examen en bonne et due forme de l'ensemble des amendements déposés. Le Sénat doit prendre sa part dans les débats sur l'océan. À titre personnel, je suis aussi défavorable à cet amendement et favorable à l'article 1er modifié par l'amendement n°5.

M. Philippe Baptiste, ministre.  - Avis favorable.

Mme Mathilde Ollivier.  - Je ne comprends pas l'avis favorable du ministre, donné sans explications, à cet amendement supprimant l'objectif de 10 % d'aires protégées. Dans ses dernières déclarations, Emmanuel Macron a dit vouloir avancer vers des objectifs de protection stricte, parlant même de 10 %, mais sans fixer de nouveaux objectifs dans les eaux territoriales hexagonales. Pourquoi le Gouvernement refuse-t-il de clarifier dans la loi la différence entre protection forte et protection stricte ?

L'amendement n°1 rectifié quater n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°5 de Mme Conconne.

Mme Catherine Conconne.  - Ce matin, nous avons tous déploré la pollution au chlordécone dans les Antilles. Savez-vous que 30 % de notre littoral est interdit de pêche ? Cela a plongé dans la difficulté, voire la pauvreté, nombre de pêcheurs. Ceux qui ne se sont pas reconvertis sont obligés d'aller pêcher très loin, alors que le carburant coûte cher.

Et on voudrait ajouter à cela une nouvelle aire marine, alors qu'il y en a déjà une en Martinique ? Autant leur dire d'arrêter de pêcher ! Peut-être viendront-ils demander un petit job au Sénat ?

La Martinique et la Guadeloupe ne sont pas la Bretagne. Nous sommes très loin de la surpêche. Laissez, de grâce, nos pêcheurs travailler tranquilles ! Je ne suis pas une anti-écolo, mais ne faites pas de nos pays les victimes d'une double peine : chlordécone et aire marine hyperprotégée.

M. le président.  - Amendement n°3 de Mme Ollivier et alii.

Mme Mathilde Ollivier.  - Il s'agit de rendre plus flexible l'autorisation des aires marines protégées en protection stricte, en renvoyant leur définition à un décret.

La proposition de loi originelle prévoyait 10 % par façade maritime, justement pour aller dans le sens de Mme Conconne en évitant que le Gouvernement ne mette toutes les aires protégées dans les outre-mer pour se dédouaner de toute responsabilité en métropole. Le Gouvernement vient d'ailleurs de se livrer à un grand exercice de communication en annonçant une vaste aire marine protégée en Polynésie, s'attribuant au passage une déclaration du président polynésien.

Nous partageons le combat contre le chlordécone. (Mme Catherine Conconne fait un geste dubitatif.) Les écologistes se sont toujours mobilisés contre toutes les pollutions, sur terre comme en mer.

La surpêche est un problème majeur qui doit être traité : c'est la première cause de pression exercée sur les écosystèmes marins.

M. Jacques Fernique, rapporteur.  - Avis défavorable à l'amendement n°5. Je comprends la nécessité de prendre en compte les spécificités locales, mais exclure purement et simplement la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane serait moins-disant par rapport à l'existant.

Avis défavorable aussi à l'amendement n°3. Il reprend des évolutions que j'ai proposées, mais que la commission n'a pas retenues. Elles me paraissaient pourtant aller dans le bon sens en permettant une plus grande différenciation territoriale. À titre personnel, je soutiens l'amendement.

M. Philippe Baptiste, ministre.  - Le Gouvernement n'est pas favorable à la notion de protection stricte, qui ne permet pas de prendre en compte les spécificités locales. (Mme Mathilde Ollivier le conteste.) La protection forte permet cette différenciation. Étant défavorable à l'article, j'émets un avis de sagesse sur l'amendement n°5.

L'amendement n°3 assouplit l'objectif de 10 % d'aires marines protégées strictes par bassin. Cette proposition témoigne de la difficulté d'une approche systématique et non différenciée. Là aussi, sagesse.

Mme Catherine Conconne.  - Le rapporteur souhaite une différenciation, mais si cela fonctionnait dans tous les domaines, comme nous serions heureux ! Je peux vous donner la liste des situations pour lesquelles nous ne sommes pas alignés avec l'Hexagone : on y passerait la nuit. Soyons cohérents. Si l'on nous impose l'alignement sur les aires marines protégées, nous voulons un alignement pour tout : tout !

L'amendement n°5 n'est pas adopté.

L'amendement n°3 est adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°323 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 95
Contre 229

L'article 1er, modifié, n'est pas adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié ter de M. Cadec et alii.

Mme Agnès Evren.  - Défendu.

M. Jacques Fernique, rapporteur.  - Avis défavorable, à l'unanimité.

M. Philippe Baptiste, ministre.  - Le report éventuel des chalutiers de fond vers d'autres engins doit être anticipé. Le Gouvernement a déjà traité les enjeux d'évolution des pratiques de pêche.

La France engage des actions de durabilité quelle que soit la taille des navires. Le seuil de 25 mètres est arbitraire et porterait préjudice à la pêche française. Il serait contraire aux règles européennes. Avis favorable.

M. Yannick Jadot.  - Je suis toujours surpris d'entendre cette généralisation, voire cette essentialisation, à propos des pêcheurs. Il y aurait « les pêcheurs ».

Pourtant, quand nous avons gagné contre la pêche électrique - Alain Cadec pourrait en témoigner -, nous l'avons fait avec les pêcheurs artisans contre la pêche industrielle, soutenue par le comité des pêches. De même quand nous avons gagné, au niveau européen, sur la pêche en eau profonde.

Les pêcheurs de ligne sont contre les chaluts-boeufs qui pêchent les bars sur les frayères. Le secteur de la pêche parle peu, s'expose peu, mais il est divers. Défendons les artisans qui font vivre nos territoires, pas ceux qui pillent la ressource au risque de tuer la pêche ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

L'amendement n°2 rectifié ter n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°4 de Mme Ollivier et alii.

Mme Mathilde Ollivier.  - Amendement de repli, qui supprime la mesure relative aux chalutiers de fond pour ne conserver que l'exclusion des bateaux de plus de 25 mètres dans la zone des 12 milles nautiques. C'est une mesure de bon sens : ces bateaux-usines ne doivent pas pouvoir pêcher là où travaillent les artisans.

M. Jacques Fernique, rapporteur.  - Bien qu'il aille dans le bon sens en ciblant davantage le dispositif pour en garantir l'acceptabilité, cet amendement a reçu un avis défavorable de la commission, qui ne souscrit pas à l'article 2 dans son ensemble. À titre personnel, je le soutiens, pour protéger la pêche artisanale des mégachalutiers, le plus souvent étrangers.

M. Philippe Baptiste, ministre.  - Nous ne sommes pas favorables à cette interdiction. Elle est contraire au droit européen, et le seuil de 25 mètres est arbitraire. Diplomatiquement, elle affaiblirait notre position : la France s'est battue pour maintenir l'accès de ses bateaux aux eaux britanniques.

Mme Mathilde Ollivier.  - Appeler au rejet de cet amendement est un scandale ! Nous visons moins de 3 % de la flotte française - ces bateaux sont essentiellement étrangers. Vous prenez fait et cause pour la pêche industrielle.

À la demande du GEST, l'amendement n°4 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°324 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l'adoption   94
Contre 228

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°325 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l'adoption   95
Contre 227

L'article 2 n'est pas adopté.

L'article 3 n'a plus d'objet.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date du 12 juin, le Gouvernement a demandé l'inscription en premier point de l'ordre du jour du jeudi 19 juin de la suite éventuelle de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, ainsi que la possibilité de siéger éventuellement le soir de ce même jour.

Il en est ainsi décidé.

Prochaine séance, mardi 17 juin 2025, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 05.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 17 juin 2025

Séance publique

À 14 h 30 et le soir

Présidence : M. Pierre Ouzoulias, vice-président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, M. Mickaël Vallet

1Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de simplification du droit de l'urbanisme et du logement (texte de la commission, n°694, 2024-2025)

2Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation (texte de la commission, n°713, 2024-2025)