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Table des matières



Questions orales

Numerus clausus pour la profession d'orthophoniste

Mme Catherine Morin-Desailly

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Identification des intercommunalités vulnérables en matière d'accès aux soins

M. Hervé Maurey

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Situation des Padhue

Mme Marianne Margaté

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Délais de traitement des demandes de retraite pour les Français établis hors de France

M. Yan Chantrel

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel

M. Hugues Saury

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Présence d'hexane dans les denrées alimentaires

Mme Anne Souyris

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Remboursement des cures thermales

M. Jean-Claude Anglars

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Désertification pharmaceutique

M. Christophe Chaillou

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Traitement de l'hypercholestérolémie

M. Jean-François Longeot

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Consultations bucco-dentaires des personnes en situation de handicap

Mme Jocelyne Guidez

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées

Instabilité de la politique de rénovation énergétique

M. Guislain Cambier

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement

Entretien du viaduc de Morlaix

M. Jean-Luc Fichet

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement

Simplification de la réglementation sur l'entretien des cours d'eau

Mme Elsa Schalck

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique

Ventilation du fonds friches

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique

Projet de décret sur la police résiduelle au titre de l'article L. 163-9 du code minier

M. Daniel Gremillet

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique

Permis de conduire ukrainien

M. Bernard Buis

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur

Incendies dans l'Aude

M. Sebastien Pla

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur

Police municipale

Mme Nathalie Goulet

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur

Obligations légales de débroussaillement

M. Jean-Yves Roux

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur

Sapeurs-pompiers volontaires

Mme Dominique Estrosi Sassone

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur

Élections complémentaires des conseils municipaux

M. Cédric Chevalier

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur

Maison d'arrêt d'Angers

M. Grégory Blanc

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur

Congé maladie des agents territoriaux

M. Philippe Grosvalet

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Taxe d'aménagement (I)

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Taxe d'aménagement (II)

Mme Sylviane Noël

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Taxe d'aménagement (III)

M. Didier Rambaud

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Conséquences du Dilico en Seine-Maritime

Mme Céline Brulin

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Avenir du pacte Dutreil

M. Cyril Pellevat

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie

Avenir de la PAC

M. Olivier Bitz

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire

Renouvellement du certificat médical pour la pratique de la danse

Mme Pascale Gruny

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire

Panthéonisation de Camille Claudel

M. Lucien Stanzione

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire

Programme « Notre école, faisons-la ensemble »

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale

Financement par les communes des frais de scolarité

Mme Annie Le Houerou

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale

Blocages administratifs et pénurie de main d'oeuvre agricole

M. Laurent Burgoa, en remplacement de Mme Christine Bonfanti-Dossat

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe

Enseignement français en Espagne

Mme Évelyne Renaud-Garabedian

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe

Dotation de solidarité rurale (DSR)

M. Patrick Chaize

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité

Paiement par le pétitionnaire de l'instruction des permis de construire

M. Laurent Burgoa

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité

Constat d'insalubrité d'un logement

Mme Laurence Garnier

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité

Loi SRU et perception des DMTO

M. Max Brisson

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité

Recensement de la voirie communale pour le calcul de la DSR

M. Jean-Michel Arnaud

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité

Arrêté de péril imminent

M. Bruno Rojouan

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité

Vétusté des piscines municipales

M. Fabien Genet

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité

Situation des finances publiques locales

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation

Mme Mireille Jouve

M. Bernard Delcros

Mme Vanina Paoli-Gagin

M. Jean-Claude Anglars

M. Bernard Buis

Mme Isabelle Briquet

M. Pascal Savoldelli

Mme Ghislaine Senée

M. Hervé Maurey

Mme Marie-Carole Ciuntu

Mme Frédérique Espagnac

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Simon Uzenat

Mme Christine Lavarde

M. Stéphane Sautarel

M. Laurent Somon

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Avenir de la décentralisation

Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains

Mme Annick Girardin

M. Daniel Fargeot

Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin

M. Jean-Claude Anglars

M. Jean-Baptiste Lemoyne

M. Pierre-Alain Roiron

Mme Céline Brulin

Mme Ghislaine Senée

M. Jean-François Longeot

M. Pascal Allizard

Mme Isabelle Briquet

M. Patrick Chaize

M. Simon Uzenat

M. Christian Klinger

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation

M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains

Quelles réponses apporter à la crise du logement ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains

Mme Amel Gacquerre

M. Cyril Pellevat

Mme Martine Berthet

M. Frédéric Buval

Mme Viviane Artigalas

M. Pascal Savoldelli

Mme Antoinette Guhl

Mme Mireille Jouve

M. Yves Bleunven

Mme Sabine Drexler

M. Lucien Stanzione

Mme Lauriane Josende

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement

M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains

Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ?

M. Thierry Cozic, pour le groupe SER

M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État

M. Emmanuel Capus

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Bernard Buis

Mme Isabelle Briquet

M. Pascal Savoldelli

M. Thomas Dossus

Mme Guylène Pantel

M. Vincent Delahaye

M. Guillaume Chevrollier

Mme Frédérique Espagnac

Mme Nathalie Goulet

M. Louis-Jean de Nicolaÿ

Mme Annie Le Houerou

Mme Frédérique Puissat

M. Olivier Rietmann

M. Jean Pierre Vogel

M. Patrick Kanner, pour le groupe SER

Ordre du jour du mercredi 5 novembre 2025




SÉANCE

du mardi 4 novembre 2025

10e séance de la session ordinaire 2025-2026

Présidence de M. Alain Marc, vice-président

La séance est ouverte à 9 h 30.

Questions orales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

Numerus clausus pour la profession d'orthophoniste

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Avec une moyenne de trente professionnels pour 100 000 habitants, la pénurie d'orthophonistes est grave et quasi généralisée ; les délais d'attente pour obtenir un rendez-vous sont parfois d'un voire deux ans. En janvier 2023, le ministère de la santé a fait de l'augmentation des places en formation initiale une priorité, pour autant le numerus clausus ne répond pas aux besoins. S'y ajoute le manque de moyens alloués aux centres de formation.

Pourtant, certaines collectivités, comme la région Normandie dont je suis une élue, mettent en place une politique volontariste : le numerus clausus est ainsi passé de 35 à 40 places pour les centres de formation de Rouen et de Caen lors de la dernière rentrée, mais cette évolution positive est encore loin de répondre aux besoins du territoire.

Le nombre maximal d'étudiants admis en première année est fixé par les ministères de la santé et de l'enseignement supérieur tous les ans.

Quelles sont les raisons d'un tel blocage ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Depuis quinze ans, le nombre d'orthophonistes en exercice a augmenté de 19 000 à 25 000. Toutefois, des difficultés d'accès aux soins persistent dans tous les territoires et de fortes disparités sont constatées avec 75 % des orthophonistes exerçant en zone urbaine.

Aussi, nous souhaitons augmenter le nombre d'orthophonistes formés. Le nombre de places offertes sur Parcoursup a dépassé les 1 000 étudiants, soit une progression de 28 % en dix ans. La proposition de loi d'Agnès Firmin-Le Bodo, adoptée à l'Assemblée nationale il y a quelques mois, vise à porter les effectifs à former chaque année à près de 1 500 personnes d'ici à 2030.

Avec le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Philippe Baptiste, nous voulons renforcer la formation. Depuis deux ans, les acteurs sont libres de déterminer le nombre de places offertes en fonction des besoins. Avec plusieurs universités, nous oeuvrons à créer de nouveaux centres de formation, comme celui de La Réunion en 2026 et nous créons de postes universitaires.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Débloquons cette situation intolérable !

Identification des intercommunalités vulnérables en matière d'accès aux soins

M. Hervé Maurey .  - Le 27 juin dernier, le Gouvernement a publié la liste des 151 intercommunalités prioritaires censées bénéficier de médecins généralistes dans le cadre de la mission de solidarité obligatoire pour lutter contre les déserts médicaux. Or, alors que l'Eure est un des départements les moins dotés en médecins, ce dont votre prédécesseur, Yannick Neuder, convenait ici même en mai dernier, aucune intercommunalité du département n'y figure...

Cette situation ubuesque résulte des critères absurdes retenus pour le zonage, comme le niveau de vie de la population. Le Gouvernement compte-t-il le revoir ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - En avril dernier, le pacte de lutte contre les déserts médicaux a été déployé : chaque médecin pourra travailler jusqu'à deux jours par mois dans une zone prioritaire. En juin 2025, le ministère de la santé a identifié les 151 premières intercommunalités jugées particulièrement vulnérables selon des critères objectifs comme la densité médicale, le niveau de vie ou l'état de santé de la population.

Cela ne veut pas dire que votre département n'est pas un désert médical ou qu'il ne doit pas bénéficier de mesures de solidarité à l'avenir. Depuis début septembre, ce dispositif démarre, sur la base du volontariat.

En outre, le Premier ministre a annoncé le déploiement du réseau France Santé d'ici à 2027, pour offrir à chaque Français une solution de santé à moins de trente minutes de chez lui et un rendez-vous médical dans les 48 heures ; chaque structure sera soutenue à hauteur de 50 000 euros.

M. Hervé Maurey.  - Comment pouvez-vous soutenir que certains départements ont des besoins plus importants alors que l'Eure figure parmi les trois derniers en matière de présence médicale ? Si je comprends bien, il n'est pas envisagé de modifier la carte établie... La situation est bloquée. Depuis vingt ans, les gouvernements n'osent pas prendre de mesures courageuses. Les maisons France Santé sont une bonne chose, mais ne régleront rien sans médecin à y affecter.

?Situation des Padhue

Mme Marianne Margaté .  - Notre pays externalise les coûts de formation des médecins pour importer à bas coût une main-d'oeuvre médicale qualifiée, tout en organisant la pénurie par le numerus clausus et désormais le numerus apertus.

Dans ce cadre, les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) occupent souvent des postes précaires et sous-rémunérés, effectuent des gardes mal payées et vivent dans des conditions difficiles. Ils ne peuvent être titularisés rapidement en raison de procédures opaques et stigmatisantes, tandis que le renouvellement de leur titre de séjour est incertain.

Au 1er janvier 2024, selon l'Ordre des médecins, 17 619 Padhue exerçaient en France, soit 7,5 % des médecins inscrits. En Seine-et-Marne, l'injustice est à son comble : le Trésor public réclame à cinquante d'entre eux le remboursement de 2,7 millions d'euros de primes versées par le Grand hôpital de l'Est francilien (GHEF). Il faut prévoir des moyens dans le prochain PLFSS pour mettre fin à cette situation ubuesque, mais aussi régulariser les Padhue exerçant depuis plusieurs années !

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour favoriser l'accueil des Padhue.

Le nombre de lauréats admis a augmenté : 4 000 postes ont été ouverts au concours en 2024 et 4 440 le seront cette année. Un travail est en cours pour définir des statuts précis. La loi Valletoux a ainsi créé une attestation d'exercice provisoire et le statut de praticien associé contractuel temporaire (PACT), autorisant le recrutement des Padhue titulaires d'une telle attestation.

Pour la première fois cette année, le concours comportera une voie interne simplifiée permettant l'évaluation des connaissances des Padhue déjà en poste. La ministre de la santé souhaite transformer ce concours en examen, disposition déjà adoptée par le Sénat en mai dernier dans le cadre de la proposition de loi Mouiller.

L'accompagnement des Padhue durant le parcours de consolidation des compétences après la réussite au concours est amélioré.

Mme Marianne Margaté.  - Espérons une application rapide de ces mesures. La situation du GHEF révèle la misère de l'hôpital public et l'exploitation qui est faite des Padhue.

?Délais de traitement des demandes de retraite pour les Français établis hors de France

M. Yan Chantrel .  - La France a signé des conventions internationales afin que les Français établis hors de France puissent jouir de leurs droits acquis en France et dans leur pays de résidence, mais les délais de traitement des dossiers sont longs.

Ainsi, ils doivent activer leurs droits à la retraite dans leur pays de résidence six mois avant de partir ; les pays de résidence mettent un à trois mois pour traiter leur demande, puis la transmettre à la France ; un délai de vingt-quatre mois est alors nécessaire avant de toucher leur pension de retraite.

Cette attente inadmissible plonge une partie de nos compatriotes dans la précarité ; ils doivent souvent continuer leur activité professionnelle sans acquérir de nouveaux droits à la retraite.

La charge de travail supportée par les services de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) sans moyens supplémentaires explique ces délais. Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Jean-Pierre Farandou, qui lance la conférence travail-retraites avec les partenaires sociaux.

Le régime général oeuvre à l'amélioration des délais de traitement de l'ensemble des demandes des assurés, mais avec un objectif spécifique pour ceux qui résident à l'étranger : 75 % des demandes devront être traitées en moins de 120 jours d'ici à 2027. S'y ajoutent des cibles annuelles et un objectif de 35 000 dossiers déstockés à la fin de cette année.

Les spécificités de ces dossiers internationaux peuvent allonger les délais de traitement. Une réflexion a donc été lancée pour automatiser certaines tâches. La Cnav a aussi pris des mesures pour améliorer la qualité des échanges.

M. Yan Chantrel.  - Donnons à la Cnav des moyens supplémentaires pour remplir cet objectif !

Mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel

M. Hugues Saury .  - En France, on recense 800 000 mesures de protection juridique, dont la moitié est assurée par les familles. Or 40 % des 400 000 mesures restantes sont prises en charge par 2 300 mandataires indépendants, qui jouent un rôle essentiel.

Leur charge de travail augmente, tandis que leur rémunération est gelée depuis plus de dix ans. La Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs (FNMJI) demande, à juste titre, sa réindexation sur le Smic et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), comme avant 2014.

Au-delà, l'absence totale de dispositif de remplacement en cas d'indisponibilité temporaire de ces mandataires crée un risque grave de rupture dans la prise en charge des personnes protégées.

Selon la réponse ministérielle du 8 mai dernier de votre prédécesseur, une réforme du financement du secteur était envisagée. Où en est-on ? Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Le Gouvernement reconnaît l'engagement des mandataires judiciaires et la nécessité de leur offrir des conditions d'exercice à la hauteur de leurs responsabilités. Près de 10 000 professionnels assurent chaque année plus de 530 000 mesures de protection.

Le Gouvernement est conscient des attentes en matière de rémunération. Les travaux en cours doivent aboutir d'ici à la fin de l'année pour mieux évaluer la charge de travail et le modèle économique des mandataires individuels comme des services mandataires.

Toute évolution de la tarification devra s'inscrire dans une approche globale, équilibrée et soutenable, et concilier reconnaissance du travail accompli et viabilité du dispositif à moyen terme, car le nombre de personnes à protéger augmentera dans les années à venir, compte tenu du vieillissement de la population.

Enfin, une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale pour moderniser et simplifier la protection juridique des majeurs traite du remplacement des mandataires.

M. Hugues Saury.  - Les mandataires judiciaires exerçant à titre individuel attendent des engagements concrets et un calendrier clair. Leur rôle mérite une reconnaissance à la hauteur de leur mission d'intérêt public.

Présence d'hexane dans les denrées alimentaires

Mme Anne Souyris .  - Il y a de l'essence dans nos assiettes : de l'hexane, solvant dérivé de la pétrochimie. L'ouvrage de Guillaume Coudray et l'enquête de Greenpeace ont révélé sa présence dans les huiles de colza et de tournesol, dans le poulet, voire dans le lait infantile ? pas moins de 64 % de nos assiettes sont contaminées.

Pourtant, cette substance, reconnue neurotoxique et classée cancérogène par l'Agence européenne des produits chimiques, n'est pas considérée comme ingrédient alimentaire ; sa présence n'est donc pas notifiée. Les limites maximales de résidus ont été fixées en 1996 à partir de données industrielles. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a reconnu l'insuffisance de ses propres données. Aussi, ces limites maximales ne protègent pas des risques sanitaires.

En France, aucune valeur toxicologique de référence n'existe pour l'ingestion d'hexane, scandale ! Construisons une politique de santé environnementale ambitieuse : l'hexane est le symptôme d'un système malade où la santé humaine et la terre sont toutes deux contaminées.

Qu'attendez-vous pour saisir la Commission européenne, établir une valeur toxicologique claire et informer les consommateurs de façon transparente, voire interdire cette substance ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Les ministères de la santé et de l'agriculture suivent ce dossier depuis plusieurs années. L'hexane est effectivement un solvant potentiellement nocif, pouvant provoquer des troubles neurologiques ou de la fertilité. Son utilisation, notamment pour l'extraction des huiles végétales, est autorisée par la réglementation européenne, qui fixe des seuils stricts de résidus dans les aliments. La responsabilité première revient aux industriels, garants de la sécurité des aliments, conformément au paquet Hygiène. En 2013, l'Anses a évalué les risques liés à l'inhalation d'hexane, mais aucune évaluation n'a encore été menée sur la présence d'hexane dans les aliments. En 2024, l'Efsa a demandé une nouvelle évaluation. La Commission européenne a mandaté une expertise en 2025. L'Efsa a lancé un appel à données ouvert jusqu'au 12 décembre 2025. Nous suivrons de près ces travaux.

Remboursement des cures thermales

M. Jean-Claude Anglars .  - Dans le cadre du plan d'économies présenté en juillet 2025, est prévu un projet de décret visant à limiter à 65 % le remboursement des cures thermales pour les patients atteints d'affections de longue durée (ALD), contre 100 % aujourd'hui.

Cette mesure, si elle entrait en vigueur au 1er février 2026, ferait peser un reste à charge d'environ 200 euros sur des patients déjà vulnérables. C'est une atteinte grave à une médecine préventive reconnue.

Or le coût annuel des cures - environ 350 millions d'euros - ne représente que 0,1 % du budget de l'assurance maladie. Or le thermalisme, ce sont 25 000 emplois et 4,5 milliards d'euros de retombées économiques.

À Cransac-les-Thermes, en Aveyron, 4 000 curistes sont accueillis chaque année, pour des pathologies chroniques. L'établissement emploie 36 salariés permanents et plus de 15 saisonniers.

Cette mesure mettrait en péril une activité essentielle pour l'économie locale. Quelle est la position du Gouvernement ? Allez-vous maintenir le remboursement intégral des cures pour les patients en ALD ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - La France est l'un des derniers pays de l'OCDE à rembourser les cures thermales. Compte tenu des contraintes qui pèsent sur la sécurité sociale et du dérapage des dépenses constaté cette année, le Gouvernement s'interroge sur la pertinence du maintien intégral de ce financement.

La Cour des comptes a recommandé le déremboursement, en soulignant l'absence d'évaluation scientifique. Mais ce n'est pas ce que nous proposons. Deux mesures sont envisagées : ramener le remboursement des patients en ALD à 65 %, comme les autres patients, et abaisser à 50 % le taux de prise en charge des forfaits thermaux. Cela entraînerait 200 millions d'euros d'économies.

Ce n'est pas un déremboursement, mais une révision du niveau de remboursement. Le reste pourra être pris en charge par les complémentaires santé. Nous savons aussi que cette question touche à la vitalité des territoires thermaux, qui devront être accompagnés.

M. Jean-Claude Anglars.  - Je vous invite à mesurer les effets budgétaires de cette économie de court terme et à venir à Cransac-les-Thermes pour comprendre la situation.

Désertification pharmaceutique

M. Christophe Chaillou .  - L'arrêté du 4 août 2025 prévoyait une baisse progressive du plafond des remises commerciales accordées aux pharmaciens sur les médicaments génériques, passant de 40 % à 30 % au 1er septembre, puis à 25 % en 2026 et à 20 % en 2027.

Cette mesure, très contestée, aurait fragilisé l'équilibre économique de nombreuses officines, notamment en zones rurales et périurbaines. Élu du Loiret, je suis interpellé par de nombreux maires à ce sujet.

Les syndicats estiment que ces ristournes représentent jusqu'à 30 % de l'excédent brut d'exploitation des pharmacies. Leur diminution brutale aurait pu provoquer la fermeture de 3 000 à 4 000 officines.

Face à la mobilisation, le Gouvernement a suspendu la mesure pour trois mois par arrêté du 7 octobre, rétablissant temporairement le plafond à 40 %. Ce premier pas ne suffit pas. Une reprise de la baisse au 1er janvier 2026, même différée, fragiliserait de nouveau les officines.

Allez-vous pérenniser cette suspension pour garantir la stabilité économique des pharmacies, maintenir leur présence sur tout le territoire et préserver la dynamique de promotion du médicament générique ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Fin septembre, le Premier ministre s'est engagé à suspendre l'arrêté pour une durée minimale de trois mois. Il s'est aussi engagé à poursuivre le déploiement des nouvelles missions de santé publique confiées aux pharmaciens et à lancer une mission d'inspection sur les flux financiers de la chaîne du médicament, pour plus de transparence.

Les conclusions de cette mission, déjà engagée, nourriront le dialogue avec la profession sur l'évolution de ses compétences et de son modèle économique. Si cette mission devait se prolonger, un nouvel arrêté serait pris : la ministre Stéphanie Rist s'y engage.

D'autres mesures sont prévues dans le PLFSS 2026 : soutien aux biosimilaires, création de pharmacies dans les communes de moins de 2 500 habitants. La réforme du troisième cycle des études de pharmacie renforcera l'attractivité de la profession. Le Gouvernement maintiendra un dialogue soutenu avec les pharmaciens.

M. Christophe Chaillou.  - Nous y veillerons. La mission d'inspection soulève des interrogations : parfois les propositions sont peu adaptées aux territoires. Nous avons besoin de pharmacies de proximité. Je ne doute pas que M. Saury s'associe à ma question et que Mme Rist, élue du Loiret, y sera attentive.

Traitement de l'hypercholestérolémie

M. Jean-François Longeot .  - J'appelle votre attention sur les conséquences pour les patients de la pénurie du Repatha et du Praluent, médicaments utilisés dans le traitement de l'hypercholestérolémie et de pathologies cardiovasculaires graves. De nombreux patients ne peuvent plus suivre leur traitement, faute de disponibilité en pharmacie. Cette situation crée une grande inquiétude. Certains, dans le Doubs, se voient contraints d'aller en Suisse pour se procurer ce traitement vital !

Quelles mesures sont prévues pour garantir leur approvisionnement rapide et sécurisé ? Existe-t-il des alternatives efficaces ? Les traitements achetés à l'étranger sont-ils remboursables ? Quelles actions durables envisagez-vous pour prévenir ces pénuries ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Ces médicaments font effectivement l'objet de tensions d'approvisionnement. La situation s'est améliorée depuis le printemps, grâce à nos échanges avec les acteurs concernés. Dans 80 % des cas, des alternatives thérapeutiques efficaces, disponibles et remboursées existent. Nous suivons de près les 20 % des patients restant sans solution.

Une négociation avec les industriels a permis de sécuriser 20 % de produits supplémentaires d'ici à la fin de l'année.

Deux causes principales expliquent cette pénurie : une production mondiale insuffisante et une baisse des volumes livrés à la France, malgré un accord passé. Ce choix économique est inacceptable. Nous avons engagé de nouvelles discussions pour sécuriser l'approvisionnement.

La prise en charge par l'assurance maladie des traitements achetés à l'étranger est possible, dans les conditions de prescription et de remboursement françaises, ce qui peut entraîner un reste à charge pour les patients.

M. Jean-François Longeot.  - Votre réponse va dans le bon sens, mais je reste inquiet. On a compensé la rupture du Praluent par le Repatha, qui est désormais lui aussi en rupture. Si mes informations sont exactes, c'est bien le prix plus élevé en Suisse - 770 francs suisses contre 250 euros en France - qui pousse les laboratoires à privilégier ce marché, au détriment des patients français ; ils se moquent du monde !

Consultations bucco-dentaires des personnes en situation de handicap

Mme Jocelyne Guidez .  - Signée en juillet 2023, la convention nationale des chirurgiens-dentistes libéraux 2023-2028 vise à améliorer l'accès aux soins des publics les plus fragiles. Elle prévoit notamment la création d'un acte remboursé de séances d'habituation pour familiariser les patients handicapés à l'environnement du cabinet dentaire, la valorisation du bilan bucco-dentaire à l'entrée en établissement médico-social, et la reconnaissance des actes réalisés hors les murs.

Ces mesures répondent aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), qui insiste sur la nécessité d'un suivi régulier. Pourtant, certaines structures limitent les consultations à une tous les deux ans, même en cas de besoin identifié, contraignant les familles à solliciter des prescriptions médicales intermédiaires.

Quelles sont les modalités de mise en oeuvre de ces dispositions ? Quelles consignes ont été données aux structures et aux caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) pour garantir leur effectivité sur l'ensemble du territoire, notamment dans les centres dentaires ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées .  - L'accès aux soins des personnes en situation de handicap reste trop souvent difficile. De trop nombreux patients renoncent encore aux soins bucco-dentaires, pourtant essentiels.

Depuis la signature de la convention signée par l'assurance maladie et les représentants des chirurgiens-dentistes, les CPAM en accompagnent la mise en oeuvre via des campagnes de communication, des webinaires, des visites individuelles menées par les délégués de l'assurance maladie pour faire connaître ces nouveaux dispositifs.

En mai dernier, avec l'ancien ministre de la santé Yannick Neuder, nous avons lancé une mission sur la santé des personnes en situation de handicap. Ses conclusions, attendues prochainement, permettront d'améliorer l'accessibilité de notre système de santé. Il faut souligner qu'une multitude d'initiatives existent dans nos territoires ; elles méritent d'essaimer. Avec Mme Rist, nous serons attentives aux conclusions de la mission.

Le prochain comité interministériel du handicap traitera justement de l'accès à la santé des personnes en situation de handicap.

Mme Jocelyne Guidez.  - J'attends ces conclusions avec impatience, car les soins bucco-dentaires pour les personnes handicapées ne sont pas à la hauteur.

Instabilité de la politique de rénovation énergétique

M. Guislain Cambier .  - La cohérence et la stabilité de la politique de rénovation énergétique interrogent, notamment en matière d'isolation.

Un décret du 8 septembre dernier relatif à MaPrimeRénov' prévoit la suppression, au 1er janvier prochain, de l'aide à l'isolation des murs dans le parcours par geste. Pourtant, l'Ademe évalue les déperditions thermiques par les murs à 25 %. En outre, cette décision a été prise contre l'avis du Conseil national de l'habitat.

Le message économique est préoccupant : le stop and go des aides publiques, avec notamment une reprise timide du parcours « rénovation d'ampleur » jusqu'à la fin de l'année, met en péril de nombreuses entreprises. Quant au message politique, il est dangereux : en décrédibilisant l'isolation au profit d'une électrification massive, vous ne réduisez pas les factures énergétiques et pérennisez des logements insalubres.

Pouvez-vous clarifier votre vision de la rénovation énergétique et nous indiquer quelles mesures immédiates vont être prises pour réintégrer l'isolation des murs dans le dispositif MaPrimeRénov' ?

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement .  - Oui, les acteurs économiques ont besoin de stabilité et de visibilité. Le stop and go subi cette année ne doit en aucun cas se reproduire.

La modification du coefficient de conversion d'énergie primaire pour l'électricité dans le DPE était nécessaire. Il n'était pas cohérent, alors que nous avons une production électrique décarbonée, de ne pas renforcer le vecteur électrique dans ce calcul : nos radiateurs électriques n'ont pas la même incidence sur le climat que ceux utilisés dans d'autres pays.

La réouverture du guichet pour les rénovations d'ampleur est un vrai succès, avec 6 000 dossiers déposés en quelques jours, signe d'une attente forte. Elle s'accompagne de nouvelles modalités visant à mieux cibler les aides, désormais concentrées sur les passoires thermiques et les gestes les plus efficaces. Par ailleurs, les plafonds de travaux sont adaptés pour correspondre aux besoins des professionnels.

L'isolation des murs peut être prise en compte dans le cadre d'une rénovation d'ampleur. En revanche, elle n'est plus comprise dans le parcours par geste, en tout cas pour les deux mois prévus pour la réouverture. La discussion avec l'Agence nationale de l'habitat sera rouverte pour 2026. Nous devons veiller à la fois à l'efficacité de nos politiques publiques et à l'efficience de l'accompagnement des ménages.

Nous maintiendrons les moyens consacrés à la rénovation énergétique des logements à un niveau élevé.

M. Guislain Cambier.  - Je me réjouis que la discussion soit remise sur le métier. Les modalités doivent être les plus logiques possible. Or la meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas : mieux vaut isoler que produire !

Entretien du viaduc de Morlaix

M. Jean-Luc Fichet .  - Le viaduc ferroviaire de Morlaix, propriété de SNCF Réseau, est inscrit à l'inventaire des monuments historiques depuis 1975. Symbole de la « cité du viaduc », son encrassement altère fortement l'image du centre-ville et dégrade la valeur patrimoniale de ce site emblématique du Finistère.

Si la responsabilité de SNCF Réseau en matière de sécurité et de maintenance structurelle ne fait aucun doute, l'entreprise estime ne pas être tenue à un entretien esthétique. Alors que le dernier nettoyage du viaduc remonte à 1989, la Ville de Morlaix s'est déclarée prête à assumer la maîtrise d'ouvrage déléguée pour une telle opération. Hélas, les discussions sont dans l'impasse.

Au regard de l'article L. 621-29-1 du code du patrimoine, quelles sont les obligations de SNCF Réseau en tant que propriétaire d'un monument historique inscrit ? Peut-on lui imposer un nettoyage ou un ravalement lorsque l'apparence du monument est manifestement dégradée et porte atteinte à sa valeur patrimoniale ainsi qu'à la perception du public ? S'agissant du viaduc de Morlaix, l'État compte-t-il demander à SNCF Réseau de nettoyer et vérifier la totalité du système, ainsi que la sécurité de l'édifice, notamment pour les passants du centre-ville ?

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement .  - Philippe Tabarot m'a chargé de vous répondre.

Le viaduc ferroviaire de Morlaix est en effet inscrit au titre des monuments historiques depuis 1975. À la demande de la mairie, SNCF Réseau a mené sur fonds propres une évaluation du coût d'un nettoyage, qui se monterait à 600 000 euros.

SNCF Réseau ne dispose pas d'une enveloppe spécifique pour traiter les aspects esthétiques de son patrimoine, et l'inscription d'un ouvrage n'impose pas au propriétaire des travaux esthétiques. Aucune obligation légale ne pèse donc sur SNCF Réseau en la matière.

Toutefois, les services de l'État et de SNCF Réseau seront facilitateurs pour réaliser le nettoyage de cet ouvrage dans le cadre du bouclage de financement d'une opération dont la maîtrise d'ouvrage pourrait être assurée par la mairie de Morlaix, dans le respect des conditions de sécurité et d'intervention des entreprises ferroviaires.

M. Jean-Luc Fichet.  - Au-delà de son apparence, c'est l'état général du viaduc qui est en cause. Un monument de ce type qui n'est pas régulièrement entretenu se dégrade, et les réparations nécessaires deviennent de plus en plus coûteuses. Voyez le pont de Laroche-Tolay : faute d'entretien, il n'était pas réparable. À Morlaix, il faut agir rapidement et massivement !

Simplification de la réglementation sur l'entretien des cours d'eau

Mme Elsa Schalck .  - La réglementation relative à l'entretien des cours d'eau pose des difficultés à nombre de communes.

L'entretien régulier des cours d'eau réduit la gravité des crues. Face au changement climatique, la prévention des inondations est un défi auquel les communes seront de plus en plus confrontées. Nous le savons, la responsabilité de la collectivité, voire du maire, peut être engagée.

En 2024, la mission d'information du Sénat sur l'adaptation des territoires face aux inondations a dressé un constat implacable : la complexité des règles de prévention des inondations et de gestion des cours d'eau est excessive. Les élus sont soumis à des prescriptions trop nombreuses, relevant de différents régimes juridiques. Ils ne sont pas incités à agir, par peur de commettre une infraction.

Les élus attendent une meilleure information, un conseil éclairé et, surtout, une simplification. Comment comptez-vous les accompagner ?

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique .  - C'est vrai, les communes sont en première ligne pour la gestion des inondations.

La réglementation impose aux riverains un entretien régulier des cours d'eau non soumis à une procédure au titre de la loi sur l'eau. L'État encadre par une procédure d'autorisation ou de déclaration les interventions plus lourdes. Quant aux collectivités, compétentes en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, elles peuvent mener des opérations groupées, notamment en cas de défaut d'entretien.

Simplifier les règles pour les collectivités, mon ministère y est tout disposé. Il propose depuis fin 2024 une feuille de route pour clarifier la réglementation. Un guide pédagogique sur l'entretien des cours d'eau est en cours d'élaboration : vous pourrez faire partie du groupe de travail, si vous le souhaitez.

Enfin, dans le cadre de la proposition de loi de MM. Rapin et Roux visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations, adoptée par votre assemblée, le Gouvernement a proposé des simplifications procédurales en matière de déclaration d'intérêt général.

Ventilation du fonds friches

M. Christian Redon-Sarrazy .  - Le fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, dit fonds vert, a été créé en 2022 pour soutenir des investissements locaux favorisant la performance environnementale, l'adaptation au changement climatique et l'amélioration du cadre de vie. Sa gestion est aux mains des préfets et ses enveloppes sont fongibles entre les différentes mesures proposées. Il est salué par les acteurs locaux comme un outil très performant.

Un quota de financements est destiné à la réhabilitation des friches industrielles, une démarche souvent onéreuse pour les communes. Mais la ventilation de ces fonds manque de clarté. Les critères d'attribution et le pouvoir discrétionnaire des préfets contribuent à l'opacité. En outre, les délais d'attente sont souvent longs pour les collectivités.

À combien se montent les crédits consacrés à la réhabilitation des friches au sein du fonds vert ? Quelle part est-elle fléchée vers les projets des communes ?

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique .  - Merci de saluer cet outil destiné à financer des projets de transition écologique menés par les acteurs locaux.

Les fonds sont répartis entre préfectures de région en vue d'une gestion déconcentrée. Les projets sont sélectionnés au niveau local et les préfectures peuvent répartir les crédits par mesures en fonction des besoins, une fongibilité qui permet de la souplesse.

En effet, le fonds vert finance depuis 2023 les projets de recyclage foncier, en cohérence avec nos objectifs de sobriété foncière. Il s'agit, concrètement, d'équilibrer des projets de réhabilitation de friches.

L'instruction ministérielle du 28 février dernier fait de la sobriété foncière une priorité du fonds. Cela représente une part importante des crédits accordés : en 2023, 703 projets ont été financés, pour 370 millions d'euros, soit 19 % des crédits du fonds. L'année suivante, 683 projets ont été financés à hauteur de 328 millions d'euros, soit 21 % des crédits. Sur 1 386 projets financés au total, 494 l'ont été dans des communes rurales, pour 146 millions d'euros.

Le Gouvernement prévoit de maintenir cette priorité l'année prochaine. Le montant affecté dépendra des moyens que vous voudrez bien ouvrir, dans le débat budgétaire, au titre du programme concerné.

M. Christian Redon-Sarrazy.  - Bien que perfectible, cet outil a fait la preuve de son efficacité pour la reconquête du foncier dégradé et la lutte contre l'artificialisation. L'Association des maires de France et de nombreux établissements publics fonciers, dont celui de Nouvelle-Aquitaine, alertent sur les effets négatifs pour le développement des territoires qu'entraînerait sa suppression. Nous défendrons sa préservation dans le débat budgétaire.

Projet de décret sur la police résiduelle au titre de l'article L. 163-9 du code minier

M. Daniel Gremillet .  - Suivant la recommandation de la commission d'enquête sénatoriale sur la pollution des sols, la loi Climat et résilience a étendu à trente ans après l'arrêt des travaux la durée d'exercice de la police résiduelle des mines. L'objectif : permettre à l'État de rechercher la responsabilité des exploitants si de nouveaux désordres ou dommages se font jour. Cette mesure a été encadrée par un décret en Conseil d'État.

Alors que ce dispositif était considéré comme équilibré, un projet de décret mis en consultation publique il y a quelques mois reviendrait sur la prescription trentenaire en instituant une police résiduelle chaque fois que des risques graves ont été identifiés. Un exploitant pourrait donc rester sous le régime de la police des mines pour une durée supérieure à trente ans.

La filière s'inquiète du manque de sécurité juridique et de visibilité économique qui en résulterait. Les investissements dans l'activité minière, essentiels pour notre autonomie stratégique, pourraient en pâtir.

Quelles sont les motivations de ce projet de décret ? Quelles situations seraient concernées ? Allez-vous publier ce décret et, si oui, quand ?

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique .  - La police résiduelle des mines est essentielle pour garantir la sécurité des populations et de l'environnement. La loi Climat et résilience a permis aux préfets d'imposer, jusqu'à trente ans après la cessation de l'activité, toute mesure nécessaire pour faire face à des dangers ou des risques graves. Idem pour des installations classées depuis plus de vingt ans.

Le décret du 28 novembre 2022 est imparfait : bien que les risques aient été connus au moment de l'arrêt des travaux, ils peuvent demeurer graves du fait de l'insuffisance des mesures prescrites.

Le projet de décret en cours de discussion vise à couvrir des risques et dangers identifiés dans la déclaration d'arrêt de travaux, mais qui demeurent graves en dépit des mesures mises en oeuvre. Il paraît conforme à la loi, qui prévoit la prise en compte des analyses menées au moment de l'arrêt des travaux. Le Conseil d'État a confirmé ce point tout en suggérant au Gouvernement des améliorations destinées à assurer la confiance des opérateurs dans le respect du principe pollueur-payeur.

Je suis conscient des inquiétudes. Une réunion se tiendra prochainement avec la Compagnie des salins du Midi, je vous propose d'y participer. L'attractivité du cadre juridique français est une priorité.

M. Daniel Gremillet.  - Il est essentiel de rassurer les populations, mais aussi les industriels à l'heure de la relance minière. Une concertation s'impose.

Permis de conduire ukrainien

M. Bernard Buis .  - Les réfugiés ukrainiens rencontrent des difficultés pour faire reconnaître leur permis de conduire.

Le code de la route prévoit que les permis de conduire hors Union européenne ou Espace économique européen (EEE) ne sont reconnus que pendant un an après l'acquisition d'une résidence normale en France, sauf accord de réciprocité - qui n'existe pas entre la France et l'Ukraine. Les Ukrainiens réfugiés chez nous sont donc contraints d'obtenir un permis français, une démarche particulièrement difficile alors qu'ils sont en cours d'intégration. C'est d'autant plus injuste que les ressortissants russes peuvent échanger leur permis de conduire en vertu d'un accord bilatéral toujours en vigueur.

En mars dernier, le ministère de l'intérieur s'est engagé à évaluer les modalités de délivrance du permis de conduire en Ukraine. Quelles en sont les conclusions ? Un accord avec l'Ukraine est-il envisageable, comme avec la Moldavie ? Quelles mesures transitoires pourraient être instaurées ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur .  - C'est un sujet important de coopération en matière de sécurité routière.

Les Ukrainiens qui bénéficient de la protection temporaire peuvent conduire sur le territoire français avec leur permis ukrainien. Ce régime a été prolongé jusqu'en mars 2027.

Les autres, s'ils sont en situation régulière, peuvent conduire en France avec leur permis pendant un an. Au-delà, ils doivent se présenter aux épreuves du permis de conduire français, mais sont dispensés des vingt heures de formation obligatoire.

Pour les exempter de passer les épreuves, il convient de s'assurer que les conditions d'obtention du permis en Ukraine répondent à nos exigences de sécurité routière. Des progrès ont été accomplis sur l'organisation des épreuves et la lutte contre la fraude, et les travaux se poursuivent. Un projet d'accord est en cours d'élaboration pour permettre l'échange des permis entre nos deux pays, avec une déclaration d'intention signée en juin dernier.

M. Bernard Buis.  - Merci pour ces réponses précises. Nous attendons ces accords.

Incendies dans l'Aude

M. Sebastien Pla .  - Les Corbières, chez moi, ont subi cet été le plus grand incendie que la France ait connu. Dix-sept communes touchées, un mort, vingt-trois blessés, soixante-trois maisons détruites, 17 000 hectares partis en fumée. Plus de faune, plus de flore. Un paysage lunaire. Grâce à la bravoure des sapeurs-pompiers, de l'armée, de la gendarmerie, des services forestiers, des habitants et des élus locaux, nous en sommes venus à bout, après vingt-trois jours de lutte.

À événement exceptionnel, reconnaissance exceptionnelle. Je demande donc la création d'une médaille d'or pour les sapeurs-pompiers qui ont sauvé les habitants au péril de leur vie et d'une croix de la valeur pour tous ceux qui se sont engagés. La nation le leur doit, à l'heure où le volontariat, clé de voûte de notre sécurité civile, est menacé par la directive sur le temps de travail.

Le Parlement a prévu de bonifier la retraite des sapeurs-pompiers ayant accompli plus de dix ans de service, mais les annonces gouvernementales diffèrent... Qu'en est-il ?

Enfin, je vous demande de réviser la clé de financement des départements de la zone sud, dont les budgets consacrés aux feux de forêt explosent, et de mettre en place un fonds d'urgence exceptionnel pour le conseil départemental de l'Aude, auquel l'incendie des Corbières a coûté 1,5 million d'euros !

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur .  - Le Gouvernement est très attaché à la singularité du modèle français de sécurité civile, fondé sur la complémentarité des statuts - professionnels, militaires et volontaires. Les acteurs de la sécurité civile méritent une reconnaissance forte de l'État.

Les attributions de médailles pour actes de courage et de dévouement sont une prérogative des préfets. Celui de l'Aude examine actuellement l'attribution de telles médailles. Nous avons toutefois une réserve sur l'échelon or, attribué à titre posthume. La proposition de loi visant à créer une croix de la valeur des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels a été transmise au Sénat le 15 mai dernier.

Un travail est en cours pour réduire certaines fragilités de notre modèle de volontariat au regard des jurisprudences européennes. Il est également envisagé de revaloriser le taux de l'indemnité horaire, et un nouveau plan d'action est en cours de finalisation.

L'attribution de trimestres supplémentaires pour la retraite des sapeurs-pompiers volontaires, prévue par la loi du 15 avril 2023, a été confirmée par le Premier ministre. À partir de l'année prochaine, ceux qui auront servi au moins quinze ans bénéficieront d'un trimestre supplémentaire, puis d'un trimestre par tranche de cinq ans, dans la limite de trois trimestres.

M. le président.  - Ces questions intéressent tous les départements.

Police municipale

Mme Nathalie Goulet .  - À l'approche des élections municipales, ma question porte sur la police municipale et ses 28 000 agents, son articulation avec la police nationale, sa formation, son équipement.

En mai dernier, la commission des lois du Sénat a suggéré plusieurs pistes : mutualisation, adaptation des prérogatives judiciaires, renforcement du contrôle national, amélioration des formations. Le projet de loi annoncé n'étant pas inscrit à l'ordre du jour, certaines dispositions peuvent-elles être mises en oeuvre sans attendre ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur .  - La dernière grande réforme date de la loi Chevènement de 1999. À l'issue du Beauvau des polices municipales, un projet de loi a été présenté en Conseil des ministres, le 29 octobre dernier.

Les policiers municipaux sont déjà autorisés à accéder à certains fichiers - immatriculations, permis de conduire -, mais il n'existe pas d'outil de consultation unifié ni de répertoire national des policiers municipaux : la sécurité et la traçabilité des connexions ne sont pas assurées. Le Gouvernement propose donc la création d'un registre national avec un numéro unique pour les agents.

S'agissant de la verbalisation des infractions aux arrêtés de police du maire, certaines infractions pourraient être créées, mais devraient être très strictement encadrées. Un projet de décret en Conseil d'État en matière de police de la baignade est ainsi à l'étude. Pour les autres arrêtés pris par le maire, il ne peut y avoir d'infraction générique. Il faut a minima que l'arrêté puisse être communiqué à l'officier du ministère public.

L'article 2 du projet de loi, qui vise à étendre les prérogatives de police judiciaire à des agents de police municipale lorsque les communes en font le choix, permettra de constater neuf délits, sans acte d'enquête : vente à la sauvette, occupation illicite de hall d'immeuble, vente d'alcool aux mineurs, notamment.

Les types d'armes des policiers municipaux sont proportionnés à leurs missions. Le maire décide, ou non, d'armer ses agents et détermine leur dotation. Mais les polices municipales n'ont pas à être dotées d'armes longues - il s'agit d'une police de proximité et de tranquillité publique.

M. le président.  - Madame la ministre, vos réponses auraient pu être plus synthétiques...

Mme Nathalie Goulet.  - L'unité de la police républicaine est essentielle. Dans certaines collectivités - par exemple Argentan, dans l'Orne -, les coopérations sont bonnes. Mettons à profit le temps d'attente du projet de loi pour consulter les élus. Gare aux mutualisations au sein des intercommunalités : comment le maire gardera-t-il la main sur sa police municipale ?

Obligations légales de débroussaillement

M. Jean-Yves Roux .  - Le respect des obligations légales de débroussaillement (OLD) est indispensable à la prévention des incendies de forêt. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, l'arrêté préfectoral du 1er octobre qui applique la loi du 10 juillet 2023 se heurte toutefois aux réalités du terrain.

Dans les communes forestières, le taux de conformité spontanée des propriétaires est faible. Or les maires manquent cruellement de moyens humains et financiers pour contrôler le respect des OLD. De plus, les règles relatives à la biodiversité rendent le débroussaillement techniquement complexe pour les petites communes. Enfin, les travaux sont coûteux.

Pourquoi ne pas imaginer une récupération du FCTVA dès la première année, une éligibilité au fonds vert ou un crédit d'impôt dédié ? Comment soutenir les maires, désarmés face à l'ampleur de la tâche ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur .  - Oui, le débroussaillement est efficace pour prévenir les incendies et protéger tant les personnes et les biens que la forêt et la biodiversité.

En application de la loi du 10 juillet 2023, l'arrêté du 29 mars 2024 a sécurisé l'articulation entre OLD et espaces protégés. D'où l'actualisation des arrêtés préfectoraux.

Le ministère de l'écologie soutient la Fédération nationale des communes forestières : formation, mise à disposition de documents, assistance téléphonique, chantiers-pilotes, et les moyens de l'Office national des forêts (ONF) ont été renforcés ? 118 ETP en 2023-2024 ? pour mieux accompagner les maires.

À l'écoute, ma collègue Monique Barbut a demandé que chaque arrêté soit accompagné d'une notice pédagogique sur les modalités concrètes du débroussaillement attendu. Un retour d'expérience est attendu, et un groupe de travail composé notamment de parlementaires a été mis en place. Sur la base de ce retour d'expérience, de nouvelles mesures seront proposées.

M. Jean-Yves Roux.  - Le coût pour les collectivités est très important. Pourquoi pas un acompte ou une récupération du FCTVA ?

Sapeurs-pompiers volontaires

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - Les sapeurs-pompiers volontaires ne perçoivent pas de salaire, mais des indemnités liées à leurs interventions.

Leur engagement, souvent en parallèle d'une activité professionnelle, mérite d'être reconnu à la hauteur de leur abnégation. Or la bonification de trimestres prévue par la loi du 14 avril 2023 est une avancée encore insuffisante. Le Parlement avait prévu son bénéfice dès dix années de service, mais le Gouvernement a retenu quinze ans.

Allez-vous réexaminer cette question, afin de ne pas exclure des sapeurs-pompiers au parcours plus court, mais tout aussi exemplaire ? Comment garantir la pérennité financière de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR), dont les équilibres financiers sont bien fragiles ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur .  - Le Gouvernement est particulièrement attaché à la valorisation de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires, à la hauteur du sacrifice qu'ils consentent sur leurs vies personnelle et professionnelle. Leur fidélisation est un enjeu de pérennité de notre modèle.

Le Gouvernement entend rendre effective la bonification de retraite - le Premier ministre l'a redit. Le seuil de quinze ans a été retenu par cohérence avec le premier seuil de la NPFR, certains rompant malheureusement leur engagement au bout de douze ans. Une réévaluation sera possible après bilan. La NPFR porte ses fruits : la durée d'engagement moyenne est passée de onze ans et neuf mois à douze ans et cinq mois en deux ans. Le Gouvernement n'entend pas supprimer cette bonification.

Il n'entend pas davantage revenir sur les 50 % qu'il finance dans la NPFR. Mais le financement de cette prestation doit être examiné au regard de la trajectoire budgétaire, avec les collectivités qui cofinancent et l'association qui pilote, afin de trouver le bon équilibre budgétaire.

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Nous faisons tous le même constat. Un syndicat de sapeurs-pompiers volontaires vient de déposer plainte. La balle est dans le camp du Gouvernement. Des actes !

Élections complémentaires des conseils municipaux

M. Cédric Chevalier .  - Dans une commune de 100 à 499 habitants, il peut arriver que le conseil municipal ne soit composé que de neuf membres, au lieu des onze prévus par le code électoral. Comment, dans ce cas, apprécier la perte du tiers des membres, qui déclenche, suivant l'article L. 258 du code électoral, l'obligation d'organiser des élections complémentaires, sachant que l'article L. 2121-2-1 du code général des collectivités territoriales, issu de la loi du 21 mai 2025, indique que le conseil municipal est réputé complet dès lors qu'il compte au moins neuf membres à l'issue d'une élection ?

Faut-il considérer que le conseil a perdu le tiers de ses membres lorsqu'il ne reste plus que six élus, soit le tiers de neuf, ou lorsqu'il n'en reste que sept, soit le tiers de onze ? Cette précision est essentielle pour sécuriser juridiquement l'organisation des élections complémentaires dans les communes concernées. Vous avez deux minutes ! (Sourires)

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur .  - À compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux des 15 et 22 mars 2026, ceux-ci seront réputés complets s'ils comptent jusqu'à deux personnes de moins que leur effectif légal. Les élections partielles complémentaires devront se tenir dans deux cas de figure : la perte du tiers ou plus des membres du conseil municipal - ou de la moitié ou plus dans l'année qui précède un renouvellement général - ou lorsqu'un conseil municipal incomplet doit élire le maire ou les adjoints.

Dans le premier cas de figure, je vous confirme que l'effectif à prendre en compte est l'effectif légal théorique et non l'effectif réel : pour les communes de moins de 100 habitants, quatre sur un effectif théorique de sept ; pour les communes de 100 à 499 habitants, sept sur onze ; pour les communes de 500 à 999 habitants, dix sur quinze.

La circulaire du 19 septembre 2016 rappelle ces seuils en son annexe 2. Ces règles ont d'ores et déjà été diffusées aux associations d'élus. Plusieurs séminaires et webinaires ont été organisés avec les maires afin d'expliciter les conséquences de la réforme. La communication se poursuivra et le futur salon des maires sera également l'occasion d'aborder ce sujet.

M. Cédric Chevalier.  - Merci : c'est très clair !

Maison d'arrêt d'Angers

M. Grégory Blanc .  - La situation qui règne à la maison d'arrêt du Pré-Pigeon à Angers est inquiétante. Cet établissement construit en 1856, conçu pour 216 détenus, 12 arrivants et 38 personnes en semi-liberté, accueillait à l'été 2025 près de trois fois plus de détenus. Le report permanent du projet de nouveau centre pénitentiaire à Loire-Authion ne peut justifier l'absence d'investissement. Les conditions sanitaires y sont déplorables et les tribunaux administratifs ont d'ailleurs condamné l'État en août dernier.

Faute de modulaire sanitaire supplémentaire installé dans la cour, le nombre de prisonniers entrant pour des faits liés à des addictions et sortant sans avoir vu un seul soignant ne cesse de croître, en raison de la surpopulation carcérale, mais aussi de l'augmentation des courtes peines. Dans cet établissement de 216 places, 99 détenus sont sortis sans avoir rencontré le moindre médecin, et le nombre de détenus sans suivi a doublé entre 2021 et 2024. Quand l'État compte-t-il enfin installer un modulaire supplémentaire ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur .  - La situation de surpopulation carcérale est avérée à Angers : au 1er septembre 2025, 503 personnes étaient écrouées, pour 266 places. La direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp) de Rennes a procédé depuis septembre au transfert d'une trentaine de détenus et sensibilise les services judiciaires à la possibilité de recourir aux placements extérieurs.

L'absence de module sanitaire suffisant n'a été mentionnée, ni par les associations requérantes ni par le juge administratif : l'ordonnance de référé du 12 septembre 2025 enjoint l'administration de renforcer le cloisonnement sanitaire - ce qu'elle a fait - mais précise que l'accès aux soins à la maison d'arrêt est assuré de façon satisfaisante.

Il est vrai que l'unité sanitaire de l'établissement manque de locaux. C'est pourquoi l'administration pénitentiaire, en partenariat avec la direction générale de l'offre de soins et la délégation au numérique en santé, a lancé un appel à projets en avril 2025. Un projet de nouveau modulaire sanitaire est présenté par la Disp, l'ARS et le centre hospitalier d'Angers. Par ailleurs, l'Association ligérienne d'addictologie a recruté un nouvel intervenant, ce qui réduira les délais de prise en charge.

M. Grégory Blanc.  - Il est paradoxal d'entendre le ministre de la justice plaider pour des courtes peines, alors que notre appareil pénitentiaire n'y est pas prêt.

Congé maladie des agents territoriaux

M. Philippe Grosvalet .  - Sans doute par souci d'équité entre agents de l'État et fonctionnaires territoriaux, le gouvernement précédent a réduit l'indemnisation des trois premiers mois de congé de maladie ordinaire de ces derniers à 90 % de leur traitement. Les représentants des collectivités locales au sein du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale ont sonné l'alarme : moins d'indemnités, c'est moins de pouvoir d'achat, en particulier pour les agents de catégorie C, et cette nouvelle règle aggrave les problèmes d'attractivité de la fonction publique territoriale.

Ces représentants proposent que les collectivités qui le souhaitent soient autorisées à maintenir une indemnisation à 100 % du traitement principal et des primes de leurs agents. Cela respecte la parité avec les fonctionnaires de l'État, en l'absence de complément de rémunération.

Le 15 octobre dernier, le Premier ministre affirmait ici : « Il faut que l'intelligence locale nous inspire nationalement ». Qu'envisagez-vous pour encadrer les indemnités des agents territoriaux en arrêt maladie tout en respectant le principe de libre administration des collectivités ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Depuis le 1er mars 2025, la rémunération des agents publics est effectivement de 90 % pendant les trois premiers mois de congé de maladie ordinaire, puis de 50 % les neuf mois suivants, quel que soit l'employeur.

Le principe de libre administration des collectivités territoriales ne permet pas de déroger à cette règle, ce que les tribunaux administratifs ont confirmé en suspendant des délibérations en ce sens.

Cela traduit un choix de responsabilité face à un absentéisme durablement plus élevé qu'avant la crise sanitaire : en 2024, le nombre moyen de jours d'absence était de 11,1 dans la fonction publique, contre 9,5 en 2019 ; de 13,3 contre 11 dans la fonction publique territoriale.

Le Gouvernement reste pleinement mobilisé aux côtés des collectivités pour réduire l'absentéisme, améliorer les conditions de travail et renforcer la protection sociale des agents. Prévenir, protéger, accompagner, telle est notre ligne de conduite.

Taxe d'aménagement (I)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Les difficultés des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE) ont mis en lumière les conséquences du transfert de la gestion de la taxe d'aménagement des directions départementales des territoires à la DGFiP. L'objectif était de centraliser pour simplifier - une rengaine hélas bien connue.

Au regard des nombreuses remontées de terrain et de la profusion de questions au Gouvernement, la réforme n'a pas atteint son but. Les communes, déjà pénalisées par une énième déconnexion avec le contribuable, se retrouvent lésées sur le montant restant à percevoir ; s'y ajoute une complexification de la déclaration pour l'usager. Résultat, une incertitude supplémentaire pour les maires dans l'élaboration de leurs budgets. Qu'entendez-vous faire pour que la taxe d'aménagement aussi bien recouvrée que lorsqu'elle l'était directement par les communes ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - En tant qu'élu local, je mesure la portée de vos propos.

La réforme visait à rendre la taxe d'aménagement exigible à l'achèvement des travaux, et non plus au dépôt du permis de construire, afin d'éviter aux collectivités d'avoir à rembourser une partie de l'avance à la fin du chantier - exception faite des projets de plus de 5 000 mètres carrés, conformément à la demande des associations d'élus.

Ce nouveau dispositif a rencontré des difficultés de mise en oeuvre qui ont conduit à un retard dans la collecte, que la DGFiP s'efforce de rattraper. En lien avec les élus, des relances ont été effectuées auprès des contribuables en retard ; un point a été fait avec l'Association des maires de France.

La diminution du produit est également liée à la baisse des mises en chantier et à la réduction de la surface moyenne des constructions. L'État met tout en oeuvre pour améliorer le rendement de cette taxe et simplifier son recouvrement. La DGFiP a d'ailleurs engagé une réflexion à laquelle les élus et les sénateurs seront associés.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - La DGFiP a du mal à reconnaître ses torts. Indépendamment de la technique, cette réforme éloigne le contribuable de la commune. Merci de partager le sentiment du terrain.

Taxe d'aménagement (II)

Mme Sylviane Noël .  - Depuis janvier 2022, les communes rencontrent les pires difficultés dans le recouvrement de la taxe d'aménagement, jusque-là automatique mais désormais sujet à des retards. Le manque à gagner est colossal. En 2025, sur 300 000 euros, la commune de Marignier, en Haute-Savoie, n'a perçu que 10 000 euros à la mi-année ; la commune des Houches attend toujours 216 000 euros au titre des permis délivrés en 2021 et 2022.

Cela affecte également les départements, dont la part finance notamment les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), qui ont vu leurs ressources chuter de 40 %, au point de devoir licencier. Depuis deux ans, je multiplie les alertes, en vain. Monsieur le ministre, je vous en conjure : revenons au dispositif antérieur pour mettre fin à ce bazar !

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Le montant des taxes d'aménagement a fortement baissé, de 2,2 milliards d'euros en 2023 à 1,5 milliard en 2024, et une nouvelle baisse est attendue en 2025. Cela s'explique notamment par la chute du nombre de permis de construire - moins 31 % entre 2022 et 2024 - et par la réduction de la surface moyenne autorisée.

Le nouveau dispositif évite de devoir rembourser plus du quart des sommes collectées - mais sa mise en oeuvre a entraîné un retard important dans la collecte. La DGFiP a engagé de gros efforts de rattrapage ; des échanges récents avec l'Association des maires de France et de nombreux élus ont permis de faire le point. Des montants significatifs seront liquidés dans les prochains mois, avant expiration des délais de prescription.

Enfin, la DGFiP travaille à améliorer la gestion et la lisibilité de ces taxes. Le Premier ministre nous a appelés - élus locaux, membres du Gouvernement, parlementaires - à engager une réflexion sur la décentralisation et la déconcentration. Vos propositions viendront nourrir ce débat, nous les examinerons avec la plus grande attention.

Mme Sylviane Noël.  - Cessez de dire que la baisse du montant recouvré est due à une baisse des mises en chantier ! Les élus savent parfaitement ce qu'ils ont à recouvrer.

Dans mon département, la DGFiP a refusé la taxation d'office, car elle « ne dispose pas encore des instructions qui permettent de le faire et l'applicatif actuel n'est pas encore adapté ».

Le Gouvernement porte une lourde responsabilité. Nous pouvons même craindre de voir des contribuables se prévaloir de la prescription fiscale ! Il y a urgence à revenir au dispositif initial.

Taxe d'aménagement (III)

M. Didier Rambaud .  - M. Julien Polat, maire de Voiron, dans l'Isère, m'a également alerté sur les difficultés de recouvrement de la taxe d'aménagement. Depuis la loi de finances initiale pour 2025, la DGFiP recouvre la taxe d'aménagement sur la base des déclarations effectuées par les propriétaires à l'achèvement des travaux. Or de nombreuses collectivités constatent des retards considérables dans les encaissements, une grande incertitude sur les montants réellement dus et un défaut de visibilité sur les échéances de perception, qui fragilisent les budgets communaux.

Ainsi, les recettes encaissées au 1er septembre 2025 à Voiron ne représentent que 15 % des prévisions budgétaires initiales, soit 90 000 euros encaissés pour 600 000 euros attendus.

Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour rétablir la fiabilité et la transparence du dispositif ? Les collectivités locales pourraient-elles reporter, à titre transitoire, les produits attendus dans leur compte financier unique pour 2025 dès la transmission valable d'une déclaration d'achèvement ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Le nouveau dispositif de collecte de la taxe d'aménagement évite que plus d'un quart des montants perçus ne soient restitués par les collectivités aux usagers. En effet, l'alignement de la taxation sur la réalité des constructions achevées évite l'émission de taxes sur des projets finalement abandonnés, donc des annulations de taxation a posteriori. Ce dispositif a toutefois rencontré des difficultés importantes à son démarrage. Je mesure les questionnements des élus locaux face aux retards. La DGFiP a engagé des efforts importants et échangé avec l'Association des maires de France (AMF) pour faire un point complet sur la situation.

Cette question fait l'unanimité sur les bancs du Sénat. Nous devons pouvoir examiner les situations précises que vous avez évoquées, avec les services de Bercy. S'il y a des améliorations à apporter dans le cadre de la réforme de la décentralisation proposée par le Premier ministre, nous y répondrons avec pragmatisme et sens des responsabilités.

M. Didier Rambaud.  - Je vous remercie de votre réponse, mais faisons vite, car les retards compromettent tant l'équilibre des budgets locaux que les investissements publics prévus avant la fin des mandats municipaux.

Conséquences du Dilico en Seine-Maritime

Mme Céline Brulin .  - Le Gouvernement prévoit de doubler le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) en 2026. Il serait porté à 2 milliards d'euros, dont plus de 1,2 milliard d'euros à la charge des communes et des intercommunalités. Autant de moins pour les services publics et les investissements locaux !

Le Dilico ne tient compte ni des projets des collectivités, ni de la situation sociale de leur population, ni des efforts qu'elles doivent produire, par exemple pour construire des infrastructures afin de faire face à la fermeture d'une usine. Les modalités de remboursement s'apparentent à une punition collective. C'est pire qu'un retour des contrats de Cahors ! Plus l'État déserte les territoires, plus il accentue le contrôle sur les collectivités. Qui peut croire que le fait de transférer l'endettement national vers les territoires sortira la France du déficit ?

À quelques mois des élections municipales, alors qu'il devient de plus en plus difficile de s'engager comme élu local, quel effet pourrait avoir une nouvelle réduction des leviers d'intervention des équipes communales ? Est-ce votre vision de la décentralisation : décentraliser l'austérité ? Abandonnerez-vous ce dispositif ou vous entêterez-vous ?

M. Lucien Stanzione.  - Bravo !

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - La position du Gouvernement n'est pas l'entêtement, mais la discussion, l'écoute et le dialogue avec le Parlement. Les modalités de prélèvement du Dilico resteraient identiques à celles de 2025. Le prélèvement serait réparti sur un plus grand nombre de contributeurs, lissé et mensualisé. Le PLF prévoit d'étaler la restitution du Dilico sur cinq ans à partir de 2027 pour l'aligner sur le rythme des cycles électoraux. Une part du reversement, portée à 20 %, continuerait d'abonder un fonds de péréquation pour les collectivités les plus fragiles. Le solde de 80 % serait reversé selon l'évolution des dépenses réelles de fonctionnement et d'investissement de chaque catégorie de contributeur, notamment au regard de l'évolution du PIB.

L'effort serait réparti entre les communes, les intercommunalités, les départements et les régions.

Telle est la proposition du Gouvernement. Au vu de l'attachement du Sénat - et de plusieurs membres du Gouvernement qui sont élus locaux - aux collectivités locales, je ne doute pas qu'elle fera l'objet d'un débat riche, approfondi, susceptible de l'améliorer.

Mme Céline Brulin.  - J'entends votre volonté de dialogue. Mais vous n'avez fait que décrire l'état actuel du dispositif, que nous contestons. Corrigeons-le !

Avenir du pacte Dutreil

M. Cyril Pellevat .  - La Cour des comptes propose une réforme profonde du pacte Dutreil ? dont elle estime qu'il coûterait 4 milliards d'euros par an, bien plus que les 800 millions d'euros annuels estimés par Bercy ? consistant à restreindre voire plafonner les avantages fiscaux accordés.

Or ce dispositif est un levier crucial de pérennité pour les entreprises familiales. Seules 14 % à 20 % des entreprises françaises sont transmises dans un cadre familial, contre plus de 60 % en Italie et 50 % en Allemagne. Ne cassons pas la chaîne qui fait vivre nos territoires. Une telle réforme favoriserait en outre la vente à de grands groupes ou des groupes étrangers au détriment de l'ancrage local.

Alors que la réindustrialisation est affichée comme une priorité nationale, le Gouvernement entend-il suivre l'avis de la Cour des comptes ? Peut-il s'engager à préserver le coeur du pacte Dutreil pour ne pas compromettre la transmission d'entreprises, l'emploi local et notre souveraineté économique, alors même qu'il est considéré comme une potentielle cible de rabotage dans les dernières discussions budgétaires ?

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Nous partageons votre attachement au pacte Dutreil, en vigueur depuis plus de vingt ans. Sa longévité même montre bien que sa conservation fait consensus. Sans ce dispositif, nombre de transmissions n'auraient pas eu lieu. En limiter la portée en le restreignant aux seules TPE et PME n'est donc pas souhaitable, la pérennité d'une société ne dépendant ni de sa taille ni de sa valeur. Les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises sont en outre plus exposées aux risques de démantèlement ou de prise de contrôle étrangère.

Plusieurs amendements au PLF pour 2025 visaient à éviter que cet avantage fiscal ne soit étendu à la transmission de biens étrangers. Le Gouvernement veille à prévenir tout abus. D'autres amendements ont d'ailleurs été adoptés en ce sens hier à l'Assemblée nationale.

Nous devons conforter ce dispositif, tout en corrigeant d'éventuels errements. Nous y reviendrons lors de l'examen du PLF pour 2026.

M. Cyril Pellevat.  - Les dernières déclarations entendues et amendements déposés à ce sujet nous inquiètent. Merci de vos réponses qui sont de nature à rassurer les entrepreneurs. Nous avons besoin d'un système fiscal clair et lisible.

Avenir de la PAC

M. Olivier Bitz .  - Les premières orientations du futur cadre pluriannuel de l'Union européenne pour la période 2028-2034, présentées par la présidente de la Commission européenne le 16 juillet dernier, risquent d'avoir des conséquences importantes pour la politique agricole commune (PAC), dont les crédits baisseraient de 20 %, de 386 à 300 milliards d'euros. La PAC serait en outre intégrée dans un grand fonds comportant d'autres programmes. Cette diminution des aides frapperait plus de la moitié des agriculteurs français.

Depuis ces annonces, les syndicats agricoles, notamment ceux des filières bovine et laitière, expriment leurs vives préoccupations.

Madame la ministre, lors du conseil européen Agripêche du 27 octobre dernier, vous avez déclaré que le budget dévolu à la PAC était, en l'état, insuffisant et compromettait le succès d'une politique faisant la fierté de l'Union européenne. Le lendemain, le Premier ministre s'est entretenu avec Christophe Hansen, commissaire européen à l'agriculture et à l'alimentation, puis a déclaré que les enveloppes de la PAC devaient être intégralement maintenues.

Le Gouvernement est-il pleinement mobilisé pour que la PAC demeure une politique commune d'avenir, pour soutenir le développement de l'agriculture française ? Comment rassurer nos agriculteurs ?

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire .  - Il est indispensable que l'Union européenne continue de se doter d'une PAC robuste, pour garantir notre souveraineté alimentaire, les revenus des agriculteurs et faciliter le renouvellement des générations. La vive inquiétude des milieux agricoles doit être entendue, je la partage.

La proposition d'enveloppe nationale PAC allouée à la France qui découle des dernières déclarations de la Commission européenne suscite une profonde incompréhension.

Nous n'avons jamais eu autant de besoins pour relever les immenses défis agricoles du XXIe siècle. Une clarification rapide de la part de la Commission sur les évolutions budgétaires de la PAC s'impose. La demande initiale de la France et de nombreux États était que la PAC demeure une politique commune à part entière, dotée d'un budget dédié, séparé d'un éventuel fonds unique. Je l'ai redit la semaine dernière lors du conseil Agripêche.

Plus que jamais, nous avons besoin des agriculteurs pour garantir notre souveraineté alimentaire. La nécessaire simplification de la PAC ne saurait constituer un prétexte pour gommer son caractère commun. Le Gouvernement, le Premier ministre et moi-même sommes très déterminés à nous faire entendre à ce sujet.

Renouvellement du certificat médical pour la pratique de la danse

Mme Pascale Gruny .  - Si la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France a assoupli le contrôle médical préalable à la pratique sportive, la danse demeure régie par la loi de juillet 1989. Les élèves doivent donc être munis d'un certificat médical renouvelé tous les ans, contre tous les trois ans pour la pratique du sport. Cette différence de traitement est incompréhensible. Il est de plus en plus difficile d'obtenir un certificat médical, du fait de la pénurie croissante de médecins généralistes dans les territoires.

Le ministère de la culture avait souligné, en réponse à une question écrite posée en 2024, qu'il travaillait à une évolution réglementaire sur ce point. Envisagez-vous d'assouplir la loi de 1989 pour la rapprocher des mesures inscrites dans le code du sport en 2022 ?

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire .  - Les dispositions du code de l'éducation relatives à la danse paraissent datées, au vu des nouvelles mesures contenues dans la loi de 2022. Une évolution réglementaire est envisagée à court terme afin d'harmoniser les pratiques avec celles du sport, tout en tenant compte des spécificités de la danse.

Dans l'attente de cette révision et pour simplifier les démarches des familles et des établissements, le ministère de la culture recommande, en cas d'impossibilité d'obtenir un certificat médical, d'utiliser le questionnaire de santé prévu par le code du sport. Toutefois, certaines contraintes physiques spécifiques, comme la pratique des pointes, n'étant pas forcément prises en compte, l'expertise de l'Ordre des médecins a été sollicitée afin d'élaborer un questionnaire adapté. Le ministère de la culture attend sa réponse avant de finaliser l'évolution du dispositif, l'enjeu étant de concilier simplification administrative, prévention médicale et promotion de la pratique de la danse dans des conditions de sécurité optimales.

Mme Pascale Gruny.  - Nous attendons depuis longtemps, cela devient urgent. Le conseil départemental de l'Ordre des médecins de l'Aisne affirme qu'aucun certificat n'est nécessaire. La responsabilité des écoles de danse risque d'être engagée en cas d'accident. Les textes ne sont pas adaptés.

Panthéonisation de Camille Claudel

M. Lucien Stanzione .  - Camille Claudel a révolutionné son art à une époque où les femmes n'étaient pas reconnues comme créatrices. Collaboratrice de Rodin, mais surtout artiste à part entière, elle a donné à la sculpture une émotion et une liberté nouvelles. La Valse ou L'Âge mûr sont des symboles qui parlent d'amour, de douleur, mais aussi de résistance et d'émancipation.

Pourtant, la société de son temps ne lui a pas pardonné son indépendance. Internée contre son gré en 1913, elle passa plus de trente ans à l'asile des aliénés de Montdevergues, à Montfavet, dans le Vaucluse, avant d'y mourir seule en 1943. Son destin raconte une double injustice : celle faite à une femme artiste, et celle faite à des milliers de malades mentaux abandonnés sous Vichy.

Lui rendre hommage, c'est reconnaître ce que la République a parfois refusé de voir : le génie des femmes, la dignité des fragilités, la mémoire des oubliés. Lui ouvrir les portes du Panthéon serait un geste de réparation, de reconnaissance et de fidélité à nos valeurs républicaines. Une démarche a été entreprise en ce sens auprès du Président de la République. Le Gouvernement entend-il la soutenir, pour que Camille Claudel rejoigne enfin celles et ceux qui ont fait la grandeur et la conscience de notre nation ?

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire .  - J'avais lu avec émotion la biographie d'Anne Delbée sur Camille Claudel, retraçant le destin tragique de cette femme, qui a créé dans l'ombre de Rodin - lequel s'est largement inspiré de son oeuvre - puis a été abandonnée à la solitude et au dénuement.

Camille Claudel est une immense artiste, au rayonnement national et international - l'histoire lui rend justice. Elle symbolise aussi le combat des femmes pour voir reconnaître l'importance de leurs oeuvres.

La panthéonisation ne se justifie pas seulement par la valeur d'une oeuvre, mais par un engagement, un symbole lié aux valeurs de la nation ou de la République. Hugo, Zola, André Malraux, Marie Curie ou Alexandre Dumas sont de grands écrivains ou scientifiques, mais ont été honorés aussi et surtout pour leurs combats civiques ou humanistes. Idem pour les récentes panthéonisations de Missak et Mélinée Manouchian et de Robert Badinter.

L'entrée au Panthéon relève d'un décret du Président de la République. La prochaine cérémonie sera dédiée à Marc Bloch, grand historien et martyr de la Résistance. Au Président de réserver la suite qu'il jugera pertinente à la proposition de transfert des cendres de Camille Claudel, d'autres pouvant également prétendre à cet hommage national.

Programme « Notre école, faisons-la ensemble »

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure .  - En 2022, dans le cadre du Conseil national de la refondation, le programme « Notre école, faisons-la ensemble » a fait l'objet d'une large campagne de communication. L'État invitait les établissements scolaires et les élus locaux à se saisir du dispositif pour bénéficier de financements et mettre en oeuvre leurs projets.

Or, si certains projets ont été concrétisés, de nombreux établissements candidats n'ont jamais été informés des suites données à leur dossier. D'autres ont reçu une réponse favorable, mais n'ont toujours pas obtenu les financements afférents. Dans le Lot, des établissements attendent toujours une réponse à leur candidature. On mesure la déception des personnels éducatifs, au regard du travail fourni pour bâtir les projets et des attentes suscitées.

En 2022, 500 millions d'euros avaient été annoncés sur cinq ans ; en février 2024, seuls 95 millions d'euros avaient été alloués. Où en est-on ? Les aides annoncées par l'État seront-elles, oui ou non, versées aux écoles lauréates ? Vous engagez-vous à apporter une réponse transparente à l'intégralité des établissements ayant sollicité un accompagnement ?

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale .  - Ce programme a été lancé en 2022 pour « faire école » différemment, de manière partenariale, avec les parents d'élèves, la communauté éducative et les collectivités territoriales. Il a suscité une forte dynamique, avec à ce jour 8 600 projets validés. Citons, entre autres : une méthode d'enseignement des mathématiques à La Roche-Posay, qui se traduit par une amélioration des résultats au brevet ; un passeport maritime à Terre-de-Haut en Guadeloupe, qui lutte contre le décrochage scolaire ; une classe opéra à Aix-en-Provence, avec un travail sur l'oral et un projet linguistique.

Les lignes budgétaires dédiées se sont élevées à 123 millions d'euros entre 2022 et 2024.

Deux éléments sont venus modifier le paysage : la contrainte budgétaire, et le fait que, la phase d'initiation passée, la démarche a vocation à s'intégrer dans le fonctionnement normal et à « faire école » sur l'ensemble du territoire.

Malgré le contexte budgétaire, nous avons débloqué cet été une nouvelle enveloppe de 13,4 millions d'euros pour soutenir prioritairement les projets déjà engagés.

J'ai entendu votre alerte. Je veillerai à ce qu'une réponse soit apportée à tous les établissements qui ont déposé une demande. Nous poursuivons bien cette démarche, dans un contexte budgétaire néanmoins contraint.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure.  - Merci pour cette transparence et cet effort. Nous le devons à nos écoles de proximité, à nos collèges et à nos lycées.

Financement par les communes des frais de scolarité

Mme Annie Le Houerou .  - Selon la loi Carle du 28 octobre 2009, les communes de résidence des élèves ont l'obligation de participer aux dépenses de fonctionnement des classes sous contrat d'association pour les élèves scolarisés dans une autre commune, lorsqu'elles ne disposent pas des capacités d'accueil dans leurs propres écoles publiques.

Dans le cadre d'un regroupement pédagogique intercommunal (RPI) porté par un EPCI, si l'ensemble des niveaux d'enseignement du premier degré est proposé et accessible, les communes membres ne sont pas tenues de contribuer financièrement à la scolarisation dans une école privée extérieure. L'offre d'accueil de l'enseignement public est alors appréciée à l'échelle du RPI.

En revanche, lorsque ce RPI est porté par une convention associative entre des communes, l'offre d'accueil est appréciée commune par commune. L'obligation financière s'impose alors pour les classes qui ne sont pas assurées dans la commune de résidence. Ainsi, deux communes dans une situation identique sur le plan de l'offre scolaire se voient appliquer des règles différentes, selon le seul critère du statut de l'organisation de leur RPI.

Pourquoi cette différence de traitement, alors que l'offre d'enseignement public est identique dans les deux situations ? Une évolution de la réglementation est-elle envisageable afin d'assurer une égalité de traitement ?

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale .  - Merci d'attirer mon attention sur ce sujet. Par principe, la commune de résidence est responsable de l'organisation scolaire, sauf lorsqu'elle a explicitement transféré cette compétence à une intercommunalité.

Dans le cadre d'un RPI conventionnel, chaque commune demeure compétente et la capacité d'accueil de l'école publique est appréciée à l'échelle communale. À l'inverse, lorsque l'EPCI assume la compétence scolaire, la capacité d'accueil est appréciée à l'échelle du territoire intercommunal, avec des conséquences sur la prise en charge du forfait pour les élèves scolarisés dans un établissement privé sous contrat.

Cette distinction est liée au degré d'intégration scolaire souhaité au sein des intercommunalités. Pour autant, j'entends qu'elle peut prêter à confusion. Il nous faut mieux communiquer et nous assurer que les communes, lorsqu'elles envisagent de transférer leurs compétences scolaires à des EPCI, soient informées des conséquences.

Je vais par ailleurs demander à mes services de dresser un panorama complet de la situation. Sur cette base, j'examinerai avec la plus grande bienveillance une éventuelle modification des règles en la matière.

Blocages administratifs et pénurie de main d'oeuvre agricole

M. Laurent Burgoa, en remplacement de Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - Situation ubuesque dans le Lot-et-Garonne, ou d'autres territoires agricoles : alors que la récolte approche, les producteurs attendent les visas de leurs saisonniers étrangers. Ces derniers ont beau revenir chaque année, avoir des autorisations de travail en règle, les réponses tardent, les refus s'accumulent, l'opacité règne. Pendant ce temps, les fruits restent aux arbres. En 2024, de nombreux arboriculteurs ont perdu une partie de leur récolte. En 2025, le drame se répète.

Nos frontières sont poreuses ? mais on bloque ces quelques dizaines de travailleurs réguliers, identifiés, nécessaires à la survie de nos exploitations ! Ce deux poids, deux mesures alimente la colère et le sentiment d'injustice. Nos producteurs se sentent abandonnés, sacrifiés sur l'autel d'une bureaucratie absurde.

Quelles instructions comptez-vous donner à vos services consulaires et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) pour que ces blocages cessent enfin ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe .  - La réforme de la main-d'oeuvre étrangère, entrée en vigueur en avril 2021, a simplifié la procédure. L'employeur saisit une plateforme nationale pour obtenir une autorisation de travail, transmise à l'Ofii au Maroc, qui organise les rendez-vous auprès de notre prestataire TLScontact. En bout de chaîne, le consulat général de France à Casablanca instruit les demandes de visa.

Le nombre de visas délivrés tend à baisser, tandis que les titres de séjour pluriannuels augmentent : plus de 10 000 titres « travailleurs saisonniers » en 2024, signe d'une fidélisation croissante des salariés.

Les refus résultent principalement d'un état de santé incompatible avec les travaux agricoles, d'une méconnaissance de l'employeur, d'un recours à des intermédiaires rémunérés, de la présentation de documents douteux ou de taux de retour insuffisants : en deçà de 80 %, une entreprise ne peut plus se faire accorder de nouveaux visas.

Ces garde-fous sont indispensables, mais ne doivent pas fragiliser nos filières agricoles. Un travail interministériel est en cours, en lien avec les organisations professionnelles, pour améliorer la lisibilité et la prévisibilité de la procédure. Il faut concilier les besoins des exploitants avec la maîtrise des flux migratoires.

Comptez sur notre mobilisation pour que l'agriculture française continue à s'appuyer sur une main-d'oeuvre saisonnière encadrée, régulière et respectueuse de nos règles.

M. Laurent Burgoa.  - J'entends ? mais entendez que, pendant que nous sommes ici, les fruits pourrissent et les producteurs s'épuisent ! Nos agriculteurs ne demandent pas une faveur, mais du bon sens.

Enseignement français en Espagne

Mme Évelyne Renaud-Garabedian .  - Quelle ne fut pas la stupeur des enseignants, des familles et des élus des Français de l'étranger en apprenant que la Mission laïque française (MLF) cherchait un repreneur privé pour tout son réseau en Espagne !

Ce n'est que grâce à l'insistance d'une association de parents d'élèves auprès de la direction de la MLF que la manoeuvre a été rendue publique. Pourtant, la MLF se désengage de ses neuf établissements en Espagne, décision lourde prise sans concertation, qui intervient après des années de hausse régulière de frais d'écolage, le déconventionnement de deux lycées et la vente de l'établissement de Séville au groupe Odyssey.

La MLF est sur le point de céder des établissements et du foncier dont la valeur a été construite par les familles et le soutien public.

Pourquoi ce retrait ? Quand aura-t-il lieu ? Comment expliquer cette opacité ? Comment s'assurer que cette cession ne conduise ni à une captation de la valeur par des opérateurs privés, ni à une baisse du niveau de l'enseignement, ni à une hausse des frais de scolarité, ni à des licenciements ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe .  - Nous suivons la situation avec la plus grande attention. La MLF est une association de droit privé indépendante de l'État. Ses décisions relèvent de son conseil d'administration, dans lequel le ministère siège à titre consultatif. Ses établissements ne perçoivent pas de subventions publiques, hormis les bourses attribuées aux élèves français éligibles, comme dans tout établissement homologué.

Le 16 octobre, la MLF a annoncé ce désengagement, invoquant des difficultés financières importantes, une perte cumulée de 18,2 millions d'euros en dix ans et un déficit annuel estimé à 2,5 millions d'euros. Malgré une hausse de 19 % des frais de scolarité en deux ans, la perte de 630 élèves a fragilisé sa trésorerie. C'est pourquoi elle cherche un repreneur unique avant la fin de l'année scolaire 2025-2026.

Le ministère a regretté de ne pas avoir été informé plus en amont et a appelé à la concertation. La MLF s'est engagée à garantir la continuité pédagogique, la reprise des personnels et le maintien de l'homologation des établissements.

Un point d'étape sur les offres reçues aura lieu le 4 décembre, le choix de l'offre ferme le 19 février et le vote définitif ainsi que la signature des actes de cession en avril, pour un transfert effectif à la rentrée de septembre.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian.  - Vous dites que la seule aide de l'État porte sur les bourses scolaires mais c'est l'État qui rémunère le personnel mis à disposition des établissements de la MLF.

Dotation de solidarité rurale (DSR)

M. Patrick Chaize .  - Je déplore l'opacité des critères de répartition de la DSR, avec des écarts importants entre communes similaires. Ainsi, Polliat, commune de l'Ain de 2 700 habitants, perçoit un montant de DSR inférieur de moitié à la moyenne de treize communes de 2 500 à 3 000 habitants.

Si Polliat n'est pas reconnue comme bourg-centre - critère par ailleurs contestable - elle est néanmoins la deuxième commune la plus peuplée du canton, avec une croissance de 10 % en dix ans ; elle doit faire l'objet d'une reconnaissance en tant que pôle structurant et dispose de nombreux équipements et services.

Dès lors que les critères d'attribution de la DSR ne reflètent plus la réalité du terrain, une réévaluation serait opportune.

Le Gouvernement envisage-t-il de réformer le mécanisme de la DSR afin d'assurer un financement plus équitable et plus en adéquation avec les réalités et besoins de nos communes ?

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité .  - Je comprends le sentiment d'injustice de nombreux maires ruraux face à des différences qu'ils jugent difficiles à expliquer.

L'attribution de la DSR repose sur un ensemble de critères prévus par la loi, visant à garantir une répartition équitable. Polliat n'est pas éligible à deux des trois fractions de la DSR : la fraction cible et la fraction bourg-centre.

Je partage votre constat : il faut sans doute faire évoluer la fraction bourg-centre, dont les critères ne correspondent pas toujours aux réalités locales. Cette réflexion est engagée dans le cadre des travaux de réforme des dotations, en lien étroit avec les élus.

Le Gouvernement reste pleinement mobilisé pour rendre ces dotations plus lisibles, justes et cohérentes.

M. Patrick Chaize.  - Merci pour cette réponse positive. Nous sommes à votre disposition pour y travailler. Il faut plus de transparence sur les différents critères.

Paiement par le pétitionnaire de l'instruction des permis de construire

M. Laurent Burgoa .  - J'attire votre attention sur les difficultés financières des communes face au coût de l'instruction des permis de construire et autres documents d'urbanisme. Depuis le désengagement des services de l'État, la facture pèse sur les communes, surtout les plus petites qui sont exposées à une forte pression foncière aux abords des grandes agglomérations.

Le coût pour la commune s'élève bien souvent à 10 000 euros par an, soit 500 euros par dossier. De plus, certains pétitionnaires déposent des dossiers mal préparés qui demandent beaucoup de temps d'étude.

Auparavant, la direction départementale de l'équipement (DDE) réalisait cette instruction gratuitement pour les communes.

Il semble légitime que le demandeur d'un permis de construire paie le coût de son instruction.

Quelles modalités le Gouvernement envisage-t-il pour soutenir financièrement les communes confrontées à ce surcoût ?

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité .  - Depuis le retrait progressif de l'État, beaucoup d'élus ressentent le poids de cette charge nouvelle, souvent disproportionnée. Instruire un permis de construire n'est pas un acte administratif mais relève d'enjeux d'aménagement, de sécurité et de responsabilité.

La loi a posé un cadre clair : ces compétences sont décentralisées. Néanmoins, l'État reste présent pour les communes de moins de 10 000 habitants ne relevant pas d'un grand EPCI ; il peut assurer gratuitement l'étude technique des dossiers.

En outre, la mutualisation entre communes, par des services communs d'instruction, est encouragée. Depuis la loi Elan de 2018, il est également possible de recourir à un prestataire privé.

La loi a exclu de faire porter le coût sur le pétitionnaire. C'est une question de principe. Un permis de construire reste un acte public dont l'instruction relève de la puissance publique.

Pour autant, le Gouvernement n'ignore pas la tension financière. La dotation générale de décentralisation, d'un montant de 26 millions d'euros en 2025, soutient les communes dans l'élaboration de leurs documents d'urbanisme. Il n'est pas question de laisser les maires seuls.

M. Laurent Burgoa.  - Je sais que vous connaissez bien le sujet. Je crois néanmoins qu'il faudrait faire payer davantage l'usager que le contribuable.

Constat d'insalubrité d'un logement

Mme Laurence Garnier .  - J'ai été alertée par le maire de La Chapelle-Glain, petite commune rurale de Loire-Atlantique, qui était sollicité pour réaliser un constat d'insalubrité d'un logement. Effectivement, le maire a la responsabilité de contrôler les règles d'hygiène et de sécurité des logements. Cela signifie visiter le logement, entreprendre une médiation avec le propriétaire ou le locataire, rédiger un courrier ou un arrêté enjoignant d'effectuer les travaux nécessaires, réaliser une visite de contrôle, et signer, le cas échéant, un procès-verbal d'infraction au règlement sanitaire départemental (RSD).

Si la commune dispose d'un service communal d'hygiène et de santé (SCHS), tout se passe bien, en lien avec la préfecture et l'agence régionale de santé (ARS). Mais si la commune est trop petite pour disposer d'un tel service, le maire est souvent mis en difficulté. Pouvez-vous confirmer que le constat d'insalubrité doit être réalisé par l'ARS et non le maire, dans ce dernier cas ?

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité .  - La salubrité des logements est une question de santé publique, de sécurité et de dignité des habitants. En la matière, la répartition des compétences peut sembler complexe. Le pouvoir de police spécial en matière d'insalubrité relève du préfet, sur le fondement du code de la construction et de l'habitation. Néanmoins, le maire reste toujours en première ligne. C'est lui qui alerte, constate et transmet le signalement.

Lorsque la commune ne dispose pas d'un SCHS, c'est bien à l'ARS de réaliser le rapport.

Les maires ne doivent jamais être seuls. L'État les accompagne systématiquement. Je sais que ces situations sont souvent lourdes. Les maires doivent faire face à la détresse des familles tout en appliquant la loi.

Vous pouvez compter sur les préfets comme sur les ARS.

Mme Laurence Garnier.  - Merci pour cette clarification bienvenue. Je transmettrai cette réponse au maire de La Chapelle-Glain.

Loi SRU et perception des DMTO

M. Max Brisson .  - Les communes de plus de 3 500 habitants sont soumises aux obligations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui leur impose la mise en conformité de leurs politiques en matière de logements sociaux et d'aménagement, alors que le code général des impôts dispose que seules les communes de 5 000 habitants et plus perçoivent directement les droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

De ce fait, les communes de 3 500 et 4 999 habitants doivent assumer les charges et contraintes fixées par la loi SRU, sans bénéficier en retour du levier financier de la perception directe des DMTO, précieux pour assumer des obligations souvent très coûteuses.

Comment expliquer un tel traitement différencié ? Le Gouvernement compte-t-il autoriser la perception directe des DMTO pour ces communes ?

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité .  - En effet, la situation peut sembler incohérente.

Le régime actuel distingue deux cas. Les communes de plus de 5 000 habitants et celles classées stations de tourisme perçoivent directement les DMTO. Les communes de moins de 5 000 habitants bénéficient d'une attribution via le fonds départemental de péréquation, alimenté par le produit de cette taxe. Ce fonds est réparti par le conseil départemental selon des critères précis et permet à toutes les communes, même les plus petites, de bénéficier d'un levier financier.

Les communes de 3 500 à 5 000 habitants ne sont donc pas privées de tout soutien. Toutefois, certains effets de seuil semblent injustes dès lors que ces communes supportent des obligations nouvelles, notamment au titre de la loi SRU.

Le Gouvernement est attentif à l'équité de ce dispositif et à sa possible évolution. Une réflexion sera menée dans le cadre des discussions sur les dotations locales.

M. Max Brisson.  - Merci pour votre ouverture. Beaucoup de maires de la côte basque seront très heureux de travailler sur une évolution de la législation. Les communes concernées ne sont pas les plus favorisées par le fonds départemental de péréquation.

Recensement de la voirie communale pour le calcul de la DSR

M. Jean-Michel Arnaud .  - La loi de finances (LFI) pour 2025 a modifié le mode de calcul de la voirie communale pour le calcul de la dotation de solidarité rurale (DSR), avec un recensement basé sur la typologie de la voirie et non plus sur sa domanialité. C'est l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) qui produit désormais les données de référence, à partir de données topographiques, excluant de fait les chemins et les routes non revêtues.

Les territoires ruraux de montagne disposent d'un grand réseau de voirie non revêtue, et la minoration du linéaire de voirie communale y est importante. Dans les Hautes-Alpes, la longueur de voirie est passée de 2 838 à 2 520 km, soit une baisse de 11 % depuis 2024, avec un effet significatif sur la DSR. C'est le maire de Molines-en-Queyras qui m'a signalé le problème.

Comment éviter que ces modalités de calculs ne se traduisent par une minoration de la DSR pour les communes de montagne ?

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité .  - Depuis la LFI de 2025, les données de voirie utilisées pour la répartition de la DSR ne proviennent plus des délibérations communales, mais des bases de données de l'IGN. L'objectif est d'alléger le travail administratif des mairies et des préfectures, de fiabiliser les données et de garantir une égalité de traitement.

Les chemins non revêtus ne sont pas intégrés dans ce nouveau mode de calcul - ils ne l'étaient pas davantage dans l'ancienne méthode - et la longueur de voirie n'intervient qu'à hauteur de 30 % dans le calcul de la DSR.

Je partage toutefois votre inquiétude pour les communes qui ont un habitat dispersé, et donc une voirie communale très étendue.

Dans les Hautes-Alpes, la longueur de voirie recensée par l'IGN n'a finalement baissé que de 1,9 %, tandis que 81 % des communes ont vu leur DSR augmenter entre 2024 et 2025, avec une hausse moyenne de plus de 10 %.

Le Gouvernement restera attentif. Si nécessaire, nous ajusterons les dispositifs, toujours en concertation avec les élus.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Ces chiffres ne sont pas ceux de l'AMF. La voirie non bitumée est spécifique à la montagne, car elle évite les problèmes liés au gel et au dégel. Il faudra vérifier les chiffres et veiller à ne pas pénaliser les communes de montagne.

Arrêté de péril imminent

M. Bruno Rojouan .  - Quand un bâtiment menace de tomber en ruine, l'arrêté de péril imminent permet aux maires de mettre en demeure un propriétaire de réaliser les travaux de sécurisation et autorise la commune à se substituer à lui en cas de carence. La commune doit alors avancer les fonds, avec la possibilité de recouvrer les sommes auprès du propriétaire.

Or, dans la pratique, le recouvrement des sommes est souvent très long, incertain, voire impossible - propriétaires insolvables, domiciliés à l'étranger ou introuvables, biens en indivision, successions non réglées.

En outre, les aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ne financent pas les travaux liés à un arrêté de péril imminent, laissant les communes sans soutien financier immédiat.

Résultat, des communes doivent engager des dizaines, voire des centaines de milliers d'euros sans garantie de recouvrement, au détriment du budget communal.

Le Gouvernement envisage-t-il de sécuriser juridiquement et financièrement les maires ?

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité .  - Face à ces situations, les maires sont souvent au pied du mur. Protéger les habitants demande d'engager des travaux d'urgence très coûteux, sans garantie de récupérer les sommes engagées.

L'État a agi pour sécuriser juridiquement et financièrement les élus. Depuis l'ordonnance du 16 septembre 2020, le cadre a été simplifié et renforcé. Le comptable public peut être mobilisé pour assurer le recouvrement des créances et les maires bénéficient désormais de garanties légales : la solidarité entre vendeurs et acquéreurs d'un bien ayant fait l'objet de travaux d'office, la solidarité entre co-indivisaires pour éviter qu'une succession bloquée n'empêche le recouvrement. Par ailleurs, l'hypothèque légale garantit la créance de la commune en cas de défaillance du propriétaire.

S'agissant du financement, le fonds d'aide au relogement d'urgence peut être mobilisé, non seulement pour l'hébergement temporaire des occupants évacués, mais aussi pour les travaux d'urgence et de sécurisation. Enfin, dans les cas de mise en sécurité ordinaire, l'Anah peut intervenir jusqu'à 50 % du coût des travaux prescrits.

Le maire n'est pas seul. L'État lui donne les leviers, les garanties et les soutiens financiers nécessaires pour agir sans crainte de mettre en péril les finances de sa commune. Souvent, le problème reste cependant entier.

Vétusté des piscines municipales

M. Fabien Genet .  - La noyade demeure la première cause de mortalité accidentelle chez les moins de 25 ans. L'apprentissage de la natation est donc essentiel et les piscines publiques sont des infrastructures indispensables à la vie de nos territoires. Nombre d'entre elles datent du plan « Mille piscines » des années 1970. Étant vétustes et coûteuses, beaucoup de collectivités envisagent de les fermer ou de réduire leurs heures d'ouverture, notamment dans les territoires ruraux.

En Saône-et-Loire, plusieurs communes, comme Digoin, peinent à maintenir leurs piscines en fonctionnement. Il est urgent de rénover ces équipements, or cofinancer ces travaux est difficile.

Le Gouvernement envisage-t-il un plan de soutien aux équipements de natation en milieu rural, afin de garantir l'égalité d'accès à l'apprentissage de la natation, renforcer la prévention des noyades et accompagner la rénovation énergétique des infrastructures ?

M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité .  - Depuis 2017, l'État s'est mobilisé aux côtés des collectivités pour créer et rénover des équipements sportifs, en particulier à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques. La mobilisation se poursuit. Les piscines municipales peuvent bénéficier de plusieurs leviers de financement : DSIL, DETR, dotation politique de la ville (DPV).

En 2024, plus de 80 projets de piscines dans les quartiers prioritaires ont été soutenus, pour environ 18 millions d'euros, dont 49 projets via la DETR. Dans votre département, le chauffage de la piscine de La Clayette a été rénové grâce à une subvention de 21 000 euros.

L'État agit également à travers le plan « 5 000 équipements - Génération 2024 » porté par l'Agence nationale du sport (ANS). Doté de près de 100 millions d'euros en 2025, ce plan vise à créer ou rénover 5 000 équipements sportifs entre 2024 et 2026, en ciblant particulièrement les territoires carencés. Environ 25 % des crédits iront à la construction et à la rénovation de piscines, afin de favoriser la transition énergétique, la sobriété foncière et la réduction des coûts d'exploitation.

M. Fabien Genet.  - Vous avez cité la DSIL ou la DETR. Je ne doute pas que vous serez à nos côtés au cours des débats budgétaires, monsieur le ministre, pour défendre leur maintien.

La séance, suspendue à midi quarante, reprend à 14 h 30.

Situation des finances publiques locales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances, à la demande de la commission des finances.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) À rebours de l'allégation parfois entendue dans le débat public et répandue par plusieurs ministres des gouvernements précédents, je le dis avec force : les collectivités territoriales ne sont pas responsables de la situation calamiteuse des finances publiques de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. André Guiol applaudit également.)

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Elles sont trop souvent apparues comme les boucs émissaires de la crise, alors que la responsabilité de la dégradation de nos comptes publics relève principalement de l'État. En 2024, sur les 5,8 points de PIB que représente le déficit public, 5,3 points étaient imputables à l'État. Pour 40 euros de hausse de la dette publique depuis 2019, 1,1 euro seulement est imputable à la dette des collectivités territoriales ; et pour cause : elles sont soumises à la règle d'or budgétaire.

Certes, le solde des administrations publiques locales (Apul) a atteint 0,6 % du PIB en 2024, soit le niveau le plus bas depuis 1985, mais cela ne représentait qu'un neuvième du déficit public total. Surtout, les prévisions du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 montrent que ce déficit se résorberait en 2025 et s'établirait à 0,3 % en 2026.

Par ailleurs, si les dépenses des collectivités locales ont augmenté de façon dynamique en 2024 selon la Cour des comptes -  4,1 % de hausse en fonctionnement, 6,8 % en investissement  - , cette dynamique serait plus modeste en 2025. Ainsi, les dépenses réelles de fonctionnement progresseraient de 1,9 % en septembre 2025 par rapport à septembre 2024, selon la DGFiP. En cause : les dépenses sociales des départements -  entièrement contraintes, vous en conviendrez.

Les dépenses d'investissement sont portées par le cycle électoral du bloc communal ; elles diminueront à l'approche de la prochaine échéance électorale.

À l'inverse, l'État, Léviathan impuissant, est soumis à une cure d'amaigrissement après avoir trop longtemps festoyé à crédit - cela fait peine à voir. Ce serait presque drôle si nous ne parlions pas des services publics et des services rendus aux Français qui pâtissent de l'échec des politiques budgétaires et fiscales menées depuis 2017...

Heureusement, nous avons un modèle à opposer à cet État omniprésent mais incapable : celui d'un État pleinement décentralisé, qui réduit son champ d'intervention et confie davantage de responsabilités aux collectivités, qui ont prouvé leur capacité à faire et leur pouvoir d'agir. À cet égard, le projet décentralisateur du Premier ministre serait pertinent s'il aboutissait.

Pour autant, faut-il exonérer les collectivités territoriales de toute participation à l'effort collectif de redressement des comptes publics ? Non, mais cette participation doit être proportionnée, conforme aux responsabilités de chacun et équitable. Comme en 2025, la contribution des collectivités territoriales ne devra pas dépasser 2 milliards d'euros. J'y insiste.

Nous avions trouvé cet équilibre l'an passé, alors que le déficit atteignait des niveaux record. Les collectivités territoriales ont alors démontré leur sens des responsabilités. Toute contribution supérieure à 2 milliards d'euros serait superflue et injuste.

Pour y parvenir, le Sénat propose plusieurs mesures, notamment la diminution des compensations figées de fiscalités mortes liées à des réformes antédiluviennes. L'an dernier, nous avions montré notre sens des responsabilités en étant moteurs. Pourquoi ne pas poursuivre une telle démarche partenariale, respectueuse de chacun ?

Les collectivités territoriales ne constituent pas un tout homogène. Les départements, affaiblis, doivent faire l'objet d'un traitement particulier. Selon l'Assemblée des départements de France (ADF), une soixantaine de départements seront dans une situation critique en 2026, contre quatorze en 2024. Leur contribution doit donc être réduite et le montant de l'abondement du fonds de sauvegarde prévu dans le prochain budget, à la hauteur des besoins.

Le Sénat, comme à son habitude, sera un partenaire loyal et exigeant, avec deux objectifs : contribution juste des collectivités territoriales à l'effort commun et protection des plus fragiles d'entre elles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation .  - Le niveau d'endettement de la France est considérable : chaque heure, 12 millions d'euros s'y ajoutent.

Que les choses soient claires : les collectivités territoriales ne sont pas à l'origine de cette dette. Aucun membre de ce gouvernement ne les en accuse.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Elles sont soumises à des contraintes, des normes, des dépenses incompressibles - notamment les départements. Pourtant, elles réalisent la majorité de l'investissement public, dans le respect du principe de libre administration et de l'exigence d'équilibre de leur budget de fonctionnement.

Les services publics doivent être garantis à nos concitoyens, c'est notre promesse d'avenir. Pour ce faire, il faut redresser nos comptes. C'est pourquoi le Premier ministre a fait de la réduction du déficit -  de 5,4 % du PIB à 3 % du PIB d'ici à 2029  - la boussole du Gouvernement. Redresser le bateau France relève d'une responsabilité collective dont chacun doit prendre sa part : État, ménages, entreprises, et collectivités territoriales, lesquelles représentent 8 % de la dette, 20 % de la dépense publique mais plus de la moitié de l'investissement public du pays.

En quarante ans, leurs compétences se sont élargies. Elles ont trouvé un équilibre subtil entre autonomie locale et solidarité nationale. Cet équilibre a été secoué par des crises successives, mais il a tenu, preuve de la résilience des élus locaux. Les budgets des collectivités locales ont tenu bon, notamment en raison de la dynamique de la TVA, de la gestion rigoureuse des élus et d'une solidarité nationale constante.

L'année 2024 a été un tournant : l'épargne brute des départements s'est contractée, en raison du recul des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). L'État a tenu ses engagements : stabilisation de la DGF à hauteur de 27 millions d'euros, renforcement de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR), respectivement de 140 et 150 millions d'euros.

Les enveloppes d'investissement sont maintenues et tiennent compte des élections à venir. De plus, la dotation pour aménités rurales a atteint 110 millions d'euros en 2025. Les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales s'élèvent à 55 milliards d'euros -  104 milliards d'euros au total si l'on inclut la fiscalité transférée et les programmes d'accompagnement : politique de la ville, Petites villes de demain, Villages d'avenir.

Les finances des communes et intercommunalités sont solides. Les régions ont retrouvé un équilibre, après la crise sanitaire. En revanche, les départements souffrent de la baisse des DMTO - un quart de leurs recettes - tandis que leurs dépenses sociales continuent de croître. Ainsi, une vingtaine de départements frôlent la tutelle budgétaire.

Face à ces écarts, la péréquation reste un pilier du modèle de solidarité nationale : la péréquation verticale représente 35 % de la DGF contre 15 % en 2007. La solidarité a plus que doublé en vingt ans et cet effort sera renforcé en 2026 : 290 millions d'euros supplémentaires pour les communes, 90 millions d'euros pour les intercommunalités et 10 millions d'euros pour les départements. La péréquation horizontale, elle, représente 2 % des recettes des collectivités territoriales.

Je le dis au rapporteur général, auteur d'une proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance aux collectivités territoriales : nous augmenterons la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des évènements climatiques ou géologiques (DSECG). En outre, un plan d'action a été lancé à l'issue du Roquelaure de l'assurabilité des territoires conduit par mon prédécesseur, François Rebsamen. Je pense aussi au guide pratique de la passation des marchés publics en matière d'assurance et à la mobilisation inédite des préfets. Vous pouvez compter sur moi pour déployer ces mesures.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Très bien ! Nous comptons sur vous !

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Nous le ferons ensemble, monsieur le rapporteur général.

Le projet de budget pour 2026 reconnaît le rôle essentiel des collectivités territoriales. Nous vous proposons une copie...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Il faut la corriger.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - ... dont vous débattrez. Il pourra même vous arriver de décider !

Nous entreprendrons un effort de simplification pour faciliter l'action publique et éviter certaines dépenses superfétatoires. Je ferai une proposition de méthode au Premier ministre dans les jours à venir.

La décentralisation fait aussi partie des ambitions du Premier ministre, appuyées sur les excellents travaux conduits au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Ça fait plaisir à entendre, mais ne coûte pas cher...

Mme Françoise Gatel, ministre.  - La vérité n'a pas de prix. (Sourires)

Mme Mireille Jouve .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Quel sens donner à notre débat ? Les collectivités territoriales ont un réel souci de bonne gestion. Depuis la crise du covid, elles ont fait face à la hausse des coûts de l'énergie et de l'inflation. Malgré la suppression de la taxe d'habitation - plus de 21 milliards d'euros de recettes - et la disparition de la CVAE, elles ont tenu.

Nous devons engager une discussion sans oeillère sur les transferts de compétences, notamment les transferts rampants, si peu ou si mal compensés, dont la multiplication met à mal l'idée même de décentralisation.

Le premier président de la Cour des comptes pointe le rôle des collectivités territoriales dans la dégradation des finances publiques. Je lui rétorque : si leur part dans le déficit a crû de 10 milliards d'euros depuis 2017, celle de l'État a bondi de 880 milliards d'euros ! La contribution des collectivités territoriales dépassera 15 % de l'effort global du budget 2026. Or notre dette ne représente que 262 milliards d'euros sur un total de 3 305 milliards d'euros...

En quoi les collectivités territoriales, soumises à une règle d'or, sont-elles responsables du déficit ? Monsieur Moscovici, osez désigner les vrais responsables, sans transformer les collectivités territoriales en boucs émissaires ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je transmettrai votre message à M. Moscovici... Aucun membre de ce gouvernement ni du précédent n'a dit que les collectivités territoriales étaient responsables du déficit.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Du précédent, si !

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je sais que les gouvernements se succèdent rapidement, mais le dernier n'a pas eu le temps de dire ce qu'il pouvait penser...

Le budget de la France n'est pas équilibré depuis plus de cinquante ans. L'État, on l'a dit, s'est montré cigale. Le budget des collectivités territoriales a été diminué, notamment du fait de la baisse de la DGF. Il est fait d'aléas.

Nous voulons collectivement redresser nos finances et demandons aux collectivités de participer à cet effort. Quand l'État dépense pour les forces de police, de gendarmerie, ou pour aider les entreprises durant la crise du covid, cet argent sert l'ensemble des Français.

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le soutien de l'État à l'investissement local est essentiel. Je salue la prise en compte par le Gouvernement de notre proposition de sauver le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT).

Je vous alerte sur les risques posés par la suppression de la DETR, que le Gouvernement propose de diluer dans un fonds unique regroupant l'ancienne DSIL et l'ancienne dotation de la politique de la ville. Il s'agit d'un outil financier au service des territoires ruraux, simple, connu, apprécié des élus. Pourquoi casser ce qui fonctionne bien ? Nous comptons sur vous pour ne pas envoyer un mauvais message. Ne prétendez pas qu'il s'agit de simplification ! On peut simplifier la vie des élus en maintenant la DETR. Acceptez-vous de le faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, ainsi que sur les travées des groupes SER et INDEP et du GEST)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Oui !

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Ce fonds d'investissement pour les territoires (FIT) a été proposé, sans diminution des enveloppes, pour répondre à une demande de simplification des élus et des préfets. La DETR vise une catégorie de communes et un montant défini, tout comme la DSIL. Les préfets, à l'écoute des territoires, soutiennent des projets communaux avec l'une ou l'autre dotation et parfois même avec du fonds vert. Nous souhaitons faciliter la consommation de tous les crédits avant la fin d'année. Dans le cadre de cette enveloppe globale, nous avons isolé la DETR, en précisant les critères d'éligibilité.

Je le sais, les sigles peuvent être des symboles : mais même sous un autre nom, elle n'a pas disparu !

M. Bernard Delcros.  - Je vois votre réponse comme une ouverture. Rien ne peut justifier la suppression de la DETR : nous la sauverons ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, des groupes INDEP et SER, ainsi que sur les travées du GEST)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Nos collectivités ont du talent, qui trop souvent manque à l'État. Quand elles ne sont pas maltraitées, elles font les bons choix. Un seul critère en témoigne : l'investissement. Les investissements des communes ont ainsi augmenté de 10 % en 2024, après avoir progressé de 8 % en 2023. C'est le bon sens communal !

Les dépenses d'investissement des régions ont également augmenté. En revanche, les finances et la liberté d'action des départements sont malmenées depuis longtemps. Ils n'ont d'autre choix que de ralentir leur investissement, qui se situe à 3,7 % en 2024.

Quand nous laissons liberté et marge de manoeuvre aux collectivités territoriales, elles privilégient l'investissement au fonctionnement. Comment l'État compte-t-il s'en inspirer ? Il s'agit de préparer l'avenir.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - La dépense d'investissement prépare l'avenir, oui. Mais les collectivités ne peuvent investir que si elles dégagent des excédents de fonctionnement. L'État propose donc de préserver leurs capacités de fonctionnement - l'augmentation de la DSR et de la DSU en témoigne - tout en prenant en compte le cycle électoral.

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Nous comptons sur vous. Les bons gestionnaires sont du côté des collectivités territoriales, l'État devrait s'inspirer de leur saine gestion.

M. Jean-Claude Anglars .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La fiscalité locale doit servir à financer les services publics locaux. Depuis la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, les communes sont privées d'un outil essentiel dont elles avaient la maîtrise.

Le coefficient correcteur, dit coco (sourires), est entré en vigueur en 2021, pour que le produit du foncier bâti par commune corresponde à l'euro près à ce que la commune percevait précédemment. Ce dispositif a été vivement critiqué, car il désavantage les communes rurales et supprime le lien entre l'impôt local et le territoire concerné. De plus, son effet sur la dynamique des assiettes inflige une double peine aux communes rurales et trompe leurs contribuables. Les collectivités qui investissent pour le développement économique de leur territoire doivent partager la croissance du produit foncier de nouveaux logements ou entreprises. Ce n'est plus de la compensation, mais de la confiscation.

Comment envisagez-vous de neutraliser l'impact du coco sur la dynamique de l'assiette foncière des communes ?

Mme Françoise Gatel, ministre.  - La suppression de la taxe d'habitation a en effet fait disparaître le lien entre commune et habitants.

Le coefficient correcteur a été créé pour stabiliser la compensation de cette perte pour les communes. Nous sommes en désaccord : le système est fiable, car stable, contrôlé annuellement et garanti par l'État qui prend en charge tout écart éventuel, soit 728 millions d'euros en 2023 pour les communes sous-compensées. Il n'y a pas de perte structurelle ni de fragilisation durable. En outre, le Conseil constitutionnel a déclaré le coefficient correcteur conforme à l'objectif d'équité territoriale.

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE) Notre assemblée plaide depuis des années pour plus d'autonomie fiscale des élus locaux. Or celle-ci se réduit comme peau de chagrin.

J'assume mon soutien à la suppression de la taxe d'habitation, qui a renforcé le pouvoir d'achat de nombreux foyers. Néanmoins, je reconnais qu'elle a eu des conséquences contre-productives.

Dans le moment crucial que nous connaissons, où le besoin de décentralisation est patent, le temps est venu de réformer le schéma des finances locales.

M. Didier Rambaud a souligné à plusieurs reprises en 2023 l'intérêt du lien fiscal entre un habitant et sa commune. Pour que chaque strate puisse avoir un impôt clairement identifié, que pense le Gouvernement de la création d'un nouveau lien fiscal ? Il ne s'agit pas d'ajouter une taxe à la taxe foncière, mais de tout repenser. Beaucoup de foyers ne comprennent plus où va leur impôt. Il est urgent de redonner de la lisibilité, pour l'intérêt des élus locaux et le renforcement du consentement à l'impôt. (Mme Mireille Jouve applaudit.)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Cette question dépasse le strict cadre du PLF. À quel moment entreprendra-t-on la mise à jour du système de financement des collectivités territoriales ? Régulièrement, le Sénat appelle à l'ouverture de ce grand chantier.

Nous ne cessons de réformer partiellement, impôt par impôt, moyennant compensations. Nous avons un système de rustines unique au monde ! Et nous sommes parfois un peu perdus. C'est pourquoi je partage le souhait d'une grande réforme des finances locales. Cela demande du courage.

Nous devrions démarrer par la question : « qui fait quoi ? ». Ainsi, nous pourrons définir les recettes, en conservant des dotations à partir d'impôts nationaux, comme en Allemagne. Les communes devraient sans doute être dotées de leviers fiscaux pour assurer la part politique relevant de leur libre administration.

Éric Woerth estime que les départements, qui ont essentiellement des dépenses sociales et des DMTO comme recettes, subissent une incohérence, entre compétences et ressources. Il demande une part de la CSG nationale pour les départements.

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La situation financière des départements devient critique. Il y a trois ans, 15 d'entre eux étaient en difficulté. Ils sont désormais 35. Certains affichent une épargne nette, voire brute, négative. Cette dégradation est due à un effet ciseau, entre dépenses sociales en forte hausse et recettes figées.

Les départements subissent les conséquences sociales des difficultés économiques de notre pays. Ils ne peuvent plus être la variable d'ajustement d'une politique d'austérité qui les prive de moyens tout en leur transférant toujours plus de charges.

Quid de la prise en compte particulière de leur situation qui avait été annoncée ? Le PLF 2026 ajoute de nouvelles ponctions, notamment 280 millions d'euros au titre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico). Le fonds de sauvegarde est insuffisant. Le pérenniserez-vous et le ciblerez-vous vers les départements les plus en difficulté ? L'État ne peut laisser les départements affronter seuls la tempête sociale. Le redressement des finances publiques est nécessaire, mais doit être proportionné.

Les départements demandent à l'État de compenser intégralement les charges qu'il décide, sans quoi la décentralisation perdra son sens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Merci de rappeler que notre déficit national a des effets sur les services publics, y compris ceux qui sont assurés par les collectivités.

Le Sénat l'a beaucoup dit : quand il y a transfert de compétences, il doit y avoir une clause de revoyure.

Prenons garde à la surenchère des normes. Nous devons éviter d'en créer et rationaliser leur stock.

Il s'agit d'un budget non pas d'austérité, mais frugal pour engager le redressement. Il prend en compte la particularité des départements en alimentant le fonds de sauvegarde, à hauteur de 300 millions d'euros, pour aider la trentaine de départements en difficulté. Ce fonds est conjoncturel en raison de l'évolution possible à la hausse des DMTO.

M. Pascal Savoldelli .  - Le Gouvernement ne réduit pas seulement les budgets des communes, il nuit à la démocratie. À quelques mois des élections municipales, c'est une affaire non seulement de chiffres, mais de signal politique. On bride l'action locale, on place les scrutins sous tutelle budgétaire.

Après une contribution de 5,7 milliards d'euros en 2025, le budget pour 2026 prévoit 8 milliards supplémentaires de contributions directes ou indirectes imposées aux collectivités territoriales. C'est colossal, l'équivalent du quart de leur épargne brute.

Une philosophie de gouvernement se dévoile : la décentralisation devient non plus un partage de responsabilités publiques, mais une chaîne hiérarchique de la rigueur. Le Dilico 2 double, à 2 milliards d'euros, et touchera trois fois plus de municipalités que l'an dernier. De plus, si les dépenses locales dépassent 1 % de croissance du PIB, les sommes en réserve ne seront pas restituées.

Les collectivités territoriales assurent 70 % de l'investissement public, on le sait, tout en maîtrisant une dette à 8 % du PIB. Madame la ministre, quelle place reste-t-il à leur initiative ? Peut-on encore parler de décentralisation quand la libre administration devient à ce point conditionnelle ?

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je ne partage pas tout à fait votre analyse.

M. Pascal Savoldelli.  - Ce n'est pas nouveau.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Le Gouvernement fait une proposition de budget, discutée très démocratiquement dans les assemblées. Non, le Gouvernement ne bride pas l'action locale. La proposition de budget préserve les recettes de fonctionnement des collectivités, avec l'augmentation de la DSR et de la DSU.

La France n'a pas eu de budget équilibré depuis cinquante ans. Vous ne pouvez pas parler d'un retour à la centralisation. Le premier acte du Premier ministre a été d'écrire à tous les maires de France pour leur dire sa reconnaissance. Il a ensuite sollicité l'ensemble des collectivités pour recueillir leurs suggestions sur la décentralisation.

Ce budget est un budget de redressement. La dette croît de 12 millions d'euros par heure. C'est dire l'urgence. Nous connaissons tous des pays, comme la Grèce ou le Portugal, qui ont vu leurs services publics considérablement diminuer.

C'est la dette qui est l'ennemie de la démocratie.

M. Pascal Savoldelli.  - Selon Jacques Chirac, on ne change pas la société par décret. Comptez-vous donner une certaine autonomie fiscale aux communes ?

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Très bien !

Mme Ghislaine Senée .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La DGF est la première ressource versée aux collectivités territoriales. C'est un dû qui compense les transferts de charge. Or son montant en 2026 est le même qu'en 2025, soit 27,3 milliards d'euros. Sa non-indexation asphyxie les communes et fragilise leur capacité d'action. En parallèle, la part de ressources fiscales des collectivités s'érode. De nombreux maires nous alertent sur cette situation. La DSU est attribuée de telle façon que des écarts incompréhensibles apparaissent entre des communes pourtant comparables. Ainsi, une commune dynamique démographiquement, qui construit des logements sociaux, voit sa dotation forfaitaire décroître alors qu'elle assume de nouvelles charges, notamment scolaires. L'opacité des attributions nourrit le sentiment d'injustice et complique la programmation budgétaire, alors que chaque euro non couvert en fonctionnement se traduit par des investissements différés ou annulés.

Cette situation questionne le respect du principe constitutionnel de libre administration. Quid de l'indexation de la DGF ? Que répondez-vous aux demandes de clarté et d'équité de ses critères d'attribution ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - J'ai soutenu l'augmentation de la DGF, à un moment où le montant de la dette ne menaçait pas encore les services publics. Nous menons à présent un effort de redressement et de frugalité.

On me dit que l'écart des dotations entre territoires ruraux et urbains n'est pas justifié. Ce n'est pas dans un PLF que l'on peut apposer une rustine sur un tel problème. Il faut entreprendre une réforme globale.

Les modalités de répartition de la DSU ont été réformées en 2017. Il n'est pas souhaitable de les modifier de façon conjoncturelle, dans un PLF. Je rappelle que la DSU augmente de 140 millions d'euros. (Mme Silvana Silvani proteste.)

Mme Ghislaine Senée.  - J'entends qu'il faut une réforme globale. Mais dès lors qu'il n'y a pas d'autonomie fiscale, pourquoi lancer un nouvel acte de décentralisation ?

M. Hervé Maurey .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) Il existe une différence importante entre la part forfaitaire de la DGF des communes rurales et celle des communes urbaines. Le Sénat a adopté plusieurs amendements visant à y remédier. Les gouvernements successifs ont toujours retiré cette disposition des textes budgétaires, tout en promettant une remise à plat, qui se fait toujours attendre.

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour mettre fin à cette situation inacceptable ?

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Ce sujet a fait l'objet d'une question au Gouvernement de Bruno Belin il y a 15 jours. Effectivement, il y a un écart de dotation. On m'interroge aussi sur la répartition de la DSU. Une réforme des dotations est nécessaire, à l'initiative du Parlement et des associations d'élus, pour définir qui fait quoi.

Il existe des charges de centralité, dont les territoires ruraux bénéficient. La DSR augmentera de 150 millions d'euros et les aménités rurales sont passées de 42 millions en 2023 à 110 millions en 2025.

Ayons une approche globale de tous les concours de l'État.

M. Hervé Maurey.  - Je connais votre attachement à ce sujet : vous avez été première cosignataire d'un amendement que j'avais déposé en ce sens... (Mme Françoise Gatel s'en amuse.) Vous aviez dit qu'il fallait étudier ce sujet avec courage et éviter d'inventer des usines à gaz. Vous aviez ajouté que le sénateur est endurant, persévérant et conséquent. Je vous le confirme ! (Sourires) Maintenant que vous êtes aux responsabilités, passez de la parole aux actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe INDEP)

M. Olivier Paccaud.  - Excellent !

Mme Marie-Carole Ciuntu .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'État est en manque de recettes, mais jamais à court d'inventions pour s'en procurer. (Mme Françoise Gatel s'en amuse.) L'an dernier, le Dilico a été inventé afin de retirer aux collectivités locales des recettes fiscales qui leur sont dues, à partir d'un calcul basé sur le potentiel financier par habitant et non sur la qualité de la gestion financière des collectivités.

Le Dilico est désormais bien identifié par les élus locaux. Et pour cause ! Il double en 2026. Il est prévu que davantage de communes y contribuent. Dans le Val-de-Marne, 31 communes sur 47 devront contribuer, pour 27 millions d'euros, contre 7,5 millions auparavant. L'effort total s'élève à plus de 5 milliards d'euros, selon le Gouvernement, voire 7 milliards, selon d'autres estimations.

Tout est question de proportion et d'équité, comme le souligne le rapporteur général. Les administrations locales ne sont responsables que de 3 % de la hausse de la dette depuis 2019. Pourtant, leur effort pèse à hauteur de 13 % dans le PLF 2026.

Pourquoi s'en prendre à ce qui fonctionne encore ? Comptez-vous renoncer au doublement du Dilico ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je rends à César ce qui appartient à César. (M. Jean-François Husson s'en amuse.) Le Dilico est une création intelligente et pertinente du Sénat.

Je sais l'importance du travail des collectivités en faveur de la cohésion sociale et des services publics. C'est pourquoi nous entreprenons, à regret, un budget de redressement, auquel nous devons tous contribuer.

Le Dilico a été créé pour diminuer la dépense des collectivités territoriales. Une partie de la capacité de dépense a été retenue, et sera rendue cette année par l'État à hauteur de 30 %. Nous présentons dans le PLF 2026 un Dilico 2. Il appartient au Parlement d'en débattre.

Mme Marie-Carole Ciuntu.  - Le Dilico devait être unique ; qu'un Dilico 2 soit prévu pose problème. Les choses ne sauraient rester en l'état, ce serait un trop mauvais coup porté aux collectivités !

Mme Frédérique Espagnac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le fonds d'investissement pour les territoires (FIT), présenté comme une simplification, suscite bien des inquiétudes. Comme souvent, on invoque la simplification pour baisser les crédits de 200 millions d'euros, ce qui fait craindre une dilution de la priorité rurale de la DETR.

Le signal envoyé aux élus est mauvais. Alors que nos collectivités ont besoin de stabilité et de visibilité pour investir, vous mettez à mal la décentralisation que votre Gouvernement prétend pourtant accélérer.

Comment les maires peuvent-ils bâtir une stratégie d'investissement solide si les règles changent tous les deux ans ? Entendez leur appel ! Le groupe SER se mobilisera pour le maintien de la DSIL, de la DETR et de la dotation politique de la ville, sans réduction de moyens ni plafonnement et dans le respect de la confiance envers les élus. Allez-vous sanctuariser un socle de dotation d'investissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Guislain Cambier applaudit également.)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - De nombreux projets communaux bénéficient de plusieurs dotations - 100 de DETR, 100 de DSIL, 50 du fonds vert. Les enveloppes sont donc déjà en partie mutualisées : la fusion dans le FIT officialise cette mutualisation et simplifie le système.

Mme Frédérique Espagnac.  - Mais elles sont plafonnées !

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Nous avons sacralisé la DETR...

M. Patrick Kanner.  - Sanctuarisé ! (Sourires)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Les deux ! (Nouveaux sourires)

Je connais l'attachement des territoires ruraux à cette dotation : elle ne bouge pas, ni dans son montant ni dans ses conditions. Ce n'est pas parce qu'on supprime le mot qu'on supprime l'argent !

M. Patrick Kanner.  - Rétablissons la réserve parlementaire...

Mme Frédérique Espagnac.  - Une baisse de crédits de 200 millions d'euros, ce n'est pas acceptable ! Dans les commissions, les préfets appliquent un plafonnement, alors que les collectivités ont besoin de continuer à investir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Guislain Cambier applaudit également.)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Année après année, l'examen du rapport sur la situation des finances publiques locales tient de la provocation. Pendant sept ans, nous avons subi un ministre des finances, sorte de Schubert de la banqueroute (on apprécie la formule sur de nombreuses travées), qui expliquait avec aplomb que les collectivités territoriales étaient responsables de la dérive des finances publiques. Sept ans !

Madame la ministre, vous fûtes des nôtres et avez vocation à le redevenir.

M. Patrick Kanner.  - Ça dépend de nous...

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Je vous rassurerai donc : je suis parvenu à trouver à ce rapport une vertu, celle de mettre en lumière deux mondes qui ne se comprennent plus. D'un côté, un État protéiforme et suradministré, toujours plus éloigné des réalités de terrain et noyé dans un sabir technocratique dont le Dilico est le dernier avatar. De l'autre, des élus hagards qui essaient tant bien que mal de mener les politiques dont l'État se défausse sur eux, avec de moins en moins de ressources.

Nous devons tâcher de les réconcilier. Est-ce encore possible ?

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je vous remercie par avance de l'accueil que vous me réserverez, sans doute, un jour prochain...

Vous dites avec des mots justes ce que les élus expriment et ce qu'il arrive aux ministres de ressentir. L'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre et la simplicité sont de vrais sujets.

L'État s'est ankylosé, à vouloir s'occuper de tout : aucune réforme territoriale depuis plus de dix ans n'a défini ce qui est de son ressort. La volonté du Premier ministre est d'avancer dans la décentralisation en clarifiant qui fait quoi.

L'État doit se détendre et faire confiance aux élus, car l'action locale est efficace. Il faut rendre du pouvoir au préfet de département, qui doit être le chef d'orchestre des services de l'État et des agences. Beaucoup de celles-ci sont utiles, mais il faut optimiser notre organisation. Nous souffrons d'un manque de clarté lié à un trop grand nombre d'acteurs.

Ce budget de redressement a un horizon : améliorer les services et rendre des moyens aux collectivités. Parallèlement, il faut travailler sur le désengorgement des normes et la décentralisation.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Je bois vos paroles... Sur les agences, la difficulté est dans le tri.

Tout en souhaitant vous voir revenir au bercail, nous sommes rassurés de vous savoir où vous êtes ! (Sourires ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Simon Uzenat .  - Que vaut la parole de l'État ? L'effort demandé aux collectivités devait être de 2,2 milliards d'euros. En réalité, il sera supérieur à 7 milliards d'euros. Et ce sera a priori le même niveau l'année prochaine...

Que reste-t-il de l'autonomie fiscale, quand les transferts représentent 80 % des ressources des départements et régions ?

La situation actuelle résulte d'une crise des recettes. Je pense en particulier à la suppression de la taxe d'habitation, financée par l'endettement.

Vous promettez des garanties sur le FIT, mais la parole de l'État est-elle crédible, alors que les acomptes de DSIL ne sont plus autorisés et que le fonds vert a été divisé par quatre en deux ans ?

Nous sommes opposés à la transformation de la part régionale de TVA en dotation. Êtes-vous prête à envisager, notamment pour financer les mobilités, une taxe de séjour additionnelle en remplacement du versement mobilité régional et rural ?

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je ne veux pas empêcher, par une réponse trop rapide, le Sénat de débattre du PLF.

Nous ne disons pas la même chose, sans forcément nous contredire. Les départements sont les collectivités les plus fragiles. Les régions, en comparaison, reprennent un peu de couleurs depuis la fin de la crise sanitaire.

Non, nous ne sommes pas face à une crise de recettes, mais une crise de dépenses. Pendant fort longtemps, nous avons été cigales plus que fourmis : les sommes dépensées l'ont sans doute été à bon escient, mais il arrive un moment où l'ardoise se présente. L'ardoise est là.

Pour préserver les services publics, pour préserver l'avenir, il faut nous ressaisir, aussi désagréable cela soit-il.

L'État a tenu ses engagements. Nous rembourserons le Dilico comme annoncé. Si le soutien aux investissements baisse, c'est aussi que, dans le cycle électoral, l'investissement baisse l'année de l'élection.

Je suis pour la visibilité pluriannuelle. Si l'État pouvait contractualiser avec les communes comme avec les régions, cela m'irait très bien.

Quant aux crédits de paiement qui ne seraient pas versés, je pense que les choses vont s'arranger sous peu.

Sur les régions, je ne répondrai pas aujourd'hui. Je pense que les services doivent être financés à la fois par l'impôt et les dotations. Nous verrons quelle sera la position du Sénat sur les mesures actuellement débattues à l'Assemblée nationale.

M. Simon Uzenat.  - L'ardoise est là, celle du macronisme : 60 milliards d'euros d'impôts non prélevés. Avec cet argent, nous n'en serions pas là. Oui, il y a bien une crise de recettes. Quant à l'arrêt des acomptes de DSIL, madame la ministre, c'est votre responsabilité.

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Tout le monde connaît désormais l'antienne : le Gouvernement propose, nous en débattrons, vous voterez. Mais encore faut-il que le Parlement ait la bonne information.

Or, s'agissant des 315 milliards d'euros de ressources locales, l'exercice est difficile. Et pour cause ! Pour tenter d'avoir une vision globale, il faut consulter pas moins de sept sources : prélèvement sur recettes, mission « Relations avec les collectivités territoriales », compte de concours financiers « Avance aux collectivités territoriales », fiscalité transférée et taxes affectées, dégrèvements et subventions, transferts entre sécurité sociale et administrations publiques locales inscrits au PLFSS, rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales... Que proposez-vous pour que le Parlement dispose d'une vision claire de la situation ?

Mme Françoise Gatel, ministre.  - C'est un vrai sujet. Mais, comme vous le savez, l'idée envisagée, dans le cadre du groupe de travail dit Larcher, d'une loi de finances des collectivités territoriales n'a finalement pas été retenue, par crainte qu'on invente une sorte d'Ondam des collectivités. Bref, l'ultra-simplification ne peut aller sans garanties.

Mme Christine Lavarde.  - Je poursuivrai ce combat pour la lisibilité de la maquette budgétaire. Nous ne passerions pas des heures à débattre des 5 milliards de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ? sur 315 milliards ? si nous disposions d'une vision d'ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Stéphane Sautarel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) On pourrait revenir sur les nombreuses étapes qui depuis 1982 ont rythmé les relations entre les collectivités territoriales et l'État, dans un pays qui reste jacobin ? et plus que jamais depuis 2017, à contre-courant de l'histoire. Il faudrait sans doute mentionner la triste période 2013-2017, au cours de laquelle la DGF a été baissée d'un tiers de manière aveugle : 11 milliards d'euros qui manquent aujourd'hui à nos collectivités.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est vrai ! (Mme Françoise Gatel renchérit.)

M. Stéphane Sautarel.  - Il est impossible dans le contexte actuel de dégager une véritable ambition décentralisatrice, hélas. Je parlerai donc du terrain.

Les collectivités territoriales, à commencer par les communes et départements, assurent le service public de proximité et réalisent les investissements qui font tenir le pays. Elles sont notre bien commun. Il faut donc reconstruire le pacte de confiance entre l'État et elles.

Mais l'État est enfermé dans une vision court-termiste, comme un ménage dépensier qui peine à boucler ses fins de mois et, de surcroît, impose des contraintes à ses voisins.

Les élus ont trois attentes urgentes : ne pas aller au-delà des 2 milliards d'euros de ponction ; répondre enfin aux besoins structurels des départements ; garder le cadre actuel du Dilico, alléger les normes et conserver les périmètres des aides à l'investissement.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je reconnais bien là la sagesse sénatoriale et le souci de précision. Encore une fois, il vous appartiendra de débattre et de voter.

La cohésion sociale dépend de l'engagement des collectivités et des élus locaux : je ne dirai jamais le contraire. Nous avons besoin de visibilité, mais l'annualité budgétaire la limite. La recentralisation est venue aussi du remplacement de dotations par des compensations.

Le Dilico, fruit d'une co-construction du Sénat et du Gouvernement, fait son apparition en saison 2... Nous aurons une discussion franche à ce sujet, sans oublier l'effort de redressement nécessaire.

Quant aux normes, elles doivent être utiles et non empêcher d'agir ; je souhaite qu'un travail rigoureux et pérenne d'évaluation soit mené.

M. Laurent Somon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Dilico, adopté l'an dernier sur l'initiative du Sénat, pénalise les intercommunalités les plus intégrées, dont le coefficient d'intégration fiscale est supérieur à 60 %. Le cas d'Amiens Métropole est emblématique : alors qu'elle a fait des efforts de mutualisation, donc de rationalisation, elle se voit ponctionner plus de 12 % de ses recettes de fonctionnement. Bref, on impose plus lourdement ceux qui ont fait des efforts pour réduire leurs coûts.

Nous proposons d'introduire, à enveloppe constante, une modulation favorable aux EPCI dont le coefficient d'intégration fiscale dépasse 60 %, selon un système qui existe déjà pour la Métropole de Lyon et qui vise à récompenser l'intégration. Êtes-vous prête à y réfléchir pour rétablir la cohérence économique du financement du bloc communal ?

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je sens poindre un amendement... Il vous appartiendra de débattre de la proposition de Dilico 2 et de ses conditions de restitution. Nous en discuterons, et vous ferez la loi.

M. Laurent Somon.  - Il faut récompenser les vertueux au lieu de les sanctionner !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Groupes, commission, Gouvernement : chacun a pu exprimer ses positions dans le cadre d'un exercice utile.

Le budget 2026 proposé par le Gouvernement est manifestement déséquilibré pour les collectivités territoriales. Certes, je me réjouis des 300 millions d'euros supplémentaires pour le fonds de sauvegarde des départements, un montant dont on verra s'il est suffisant.

Reste que l'addition est corsée : on demande près de 4 milliards d'euros aux collectivités territoriales, deux fois plus que l'an dernier. C'est 6 milliards si l'on tient compte de la baisse du soutien à l'investissement et jusqu'à 7 milliards avec la hausse des cotisations à la CNRACL.

Le Dilico est porté à 2 milliards d'euros dans ce budget, mais ses conditions de remboursement sont rédhibitoires.

La baisse de la compensation prévue par le PSR sur les valeurs locatives des établissements industriels s'élève à 1,2 milliard d'euros, mesure révélatrice de l'inconséquence de la politique menée.

Après avoir décidé de baisses d'impôts sans jamais les financer, le Gouvernement s'efforce de faire machine arrière au détriment des EPCI. Mais il cible les territoires industriels où le revenu par habitant est inférieur à la moyenne nationale.

Le déficit signe l'échec de la politique qui a consisté à réduire les impôts sans réduire les dépenses en l'absence d'une augmentation de la croissance. Je pense à la suppression de la taxe d'habitation, que personne ne demandait et qui a été poursuivie en période de crise, et à celle de la CVAE, pour 20 et 4 milliards d'euros annuels respectivement. Pourtant, nous vous avions mis en garde.

Le PLF marque une nouvelle volte-face en anticipant la trajectoire de suppression de la CVAE. Le Gouvernement réussit l'exploit de dégrader un peu plus le solde avec une mesure que seul le président du Medef semble encore demander - et encore : il avait déclaré qu'après une baisse de 4 milliards d'euros, une baisse supplémentaire de 1 milliard ne sert à rien, ce que je confirme.

Au total, la politique économique de cette mandature, faite de virements et de revirements, aura rompu la confiance dans la parole de l'État et désorienté collectivités et entreprises. À nous de remettre les choses en place, notamment en plaçant la participation des collectivités à son juste niveau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées au centre et à droite)

La séance est suspendue quelques instants.

Avenir de la décentralisation

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L'avenir de la décentralisation », à la demande du groupe Les Républicains.

Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.) Il y a un peu plus d'un mois, à cette tribune, le Premier ministre annonçait un énième grand acte de décentralisation engagé dans les trois mois.

Approfondir la décentralisation est un impératif. L'échelon local est plébiscité par les Français et constitue le terreau de notre démocratie.

Hélas, tous les élus constatent une perte de leurs marges d'action.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est vrai !

Mme Agnès Canayer.  - C'est l'une des causes de la crise de l'engagement local.

Le Sénat n'a pas attendu la déclaration du Premier ministre pour mener sur le sujet des travaux riches et transpartisans. Je pense aux cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales présentées en 2020 par nos anciens collègues Philippe Bas et Jean-Marie Bockel, un travail qui reste d'actualité, ou aux quinze propositions de 2023 pour rendre aux élus le pouvoir d'agir, qui ont donné lieu au dépôt de trois propositions de loi.

C'est dans la continuité de ces travaux que le groupe Les Républicains souhaite débattre de l'avenir de la décentralisation.

Plusieurs axes nous semblent devoir guider le futur acte de décentralisation.

D'abord, il faut se garder de la tentation d'un big-bang territorial, une architecture imaginée depuis Paris comme on dessine un jardin à la française. Nous n'avons pas fini de gommer les irritants de la loi NOTRe et de la réforme controversée des régions. La décentralisation doit se faire dans le cadre d'un partenariat renouvelé avec les collectivités.

Pour donner tout son sens à l'article premier de notre Constitution, qui dispose que l'organisation de la République est décentralisée, on peut : renforcer la subsidiarité et les compétences réglementaires des collectivités territoriales, ménager une plus grande flexibilité en matière d'expérimentation et de différenciation - je pense à la proposition de loi de Rémi Pointereau sur le pouvoir de dérogation préfectoral. Mais le cadre constitutionnel devra être amendé pour une différenciation durable sans multiplication des dérogations. Il faut aussi donner plus de souplesse aux élus pour l'exercice de compétences clés, comme le logement et l'urbanisme.

Les élus demandent pragmatisme et souplesse ; ils veulent aussi être associés aux réformes qui les concernent.

Si la Constitution consacre l'autonomie financière des collectivités, la réalité diverge de la théorie. La fiscalité locale n'a cessé d'être grignotée à mesure que les marges de manoeuvre se sont réduites. Pourtant, parler décentralisation sans évoquer l'autonomie fiscale et financière, c'est comme parler du Sénat sans citer les territoires...

Enfin, il faut une meilleure déconcentration et même un changement de paradigme du rôle de l'État. La loi 3DS a déçu de ce point de vue. Il faut renforcer la place du préfet de département et consolider son rôle de conseil et d'appui aux collectivités territoriales. Le décret du 30 juillet dernier va dans le bon sens.

Des simplifications normatives sont indispensables, notamment pour les plus petites communes. Les études d'impact des textes sur les collectivités restent trop souvent insuffisantes. Le Conseil constitutionnel n'opère d'ailleurs qu'un contrôle limité. L'exécutif doit s'y astreindre, afin d'éviter les normes décalées de la réalité locale. Le cadre constitutionnel pourrait être ajusté afin de donner plus de substances à cette règle.

Les travaux du Sénat, faute d'avoir été repris par l'Assemblée nationale, restent au milieu du gué. Puisse le Gouvernement s'en saisir, pour que le nouvel acte de décentralisation annoncé ne soit pas un coup d'épée dans l'eau ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - On ne peut inventer la décentralisation boulevard Saint-Germain. Au reste, il ne s'agit pas d'inventer la décentralisation, mais de définir une méthode qui garantisse l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre, dans une France une et indivisible mais composée de territoires variés.

Des réflexions de grande qualité ont été menées sur ces sujets, en particulier au Sénat, mais aussi, par exemple, par Éric Woerth.

Je ne crois pas au grand soir - généralement suivi d'un petit matin blême. Nous avons trop subi de grandes lois de réforme territoriale pensées de manière uniforme. Vous l'avez dit : nous sommes encore en train de corriger certains effets de la loi NOTRe.

L'État doit définir, avec vous et les associations d'élus, ce qui relève de sa compétence. L'État doit se détendre, s'occuper de ce qu'il sait faire et laisser les collectivités agir.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Tout à fait !

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Nous y reviendrons dans ce débat, de même que sur la simplification, la déconcentration et l'autonomie fiscale et financière.

Mme Annick Girardin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis plus de quarante ans, la décentralisation cherche à rapprocher la décision publique du citoyen.

Le Premier ministre a annoncé une clarification des compétences et des responsabilités de chacun. Le RDSE y réfléchit depuis longtemps suet. En 2019, nous avons été à l'initiative de la création de l'ANCT, dont les postes, hélas, sont en réduction. Dernièrement, la présidente Carrère a publié un rapport appelant à un apaisement législatif. Je pense aussi aux travaux de Jean-Yves Roux sur la compétence eau et assainissement et de Guylène Pantel, avec MM. Pointereau et Delcros, sur le pouvoir de dérogation des préfets.

Il faut s'adapter aux territoires et simplifier, au lieu d'empiler des normes qui étouffent les collectivités. Les élus peuvent compter sur nous pour porter la voix de l'efficacité et de la proximité.

La France doit être repensée dans son organisation. Pendant un an, en position d'observatrice, je me suis appliquée à écouter les attentes de nos concitoyens dans l'Hexagone et en outre-mer. Ils demandent proximité et efficacité sur la santé, l'éducation, la mobilité, les services publics essentiels.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, au coeur du bassin nord-américain, je suis immergée dans un environnement fédéral : et si la France de demain s'inspirait de ce modèle ? Ce n'est pas une provocation, mais la conviction qu'un nouveau souffle est nécessaire. Nous devons à la fois renforcer ce qui fait Nation et conforter les territoires dans leur liberté.

Des entités fortes et responsables, disposant d'une plus grande liberté d'organisation, auraient des compétences constitutionnelles selon le principe de subsidiarité. Je les appelle provinces, non par nostalgie mais parce que ce terme est porteur d'une identité, d'une histoire et d'une géographie. À chaque province de choisir son organisation : conserver ou non les départements, fusionner ou non des communes, et pourquoi pas un exécutif élu ?

Inspirons-nous de ce que nous avons su faire dans les territoires ultramarins, parfaits exemples de différenciation. Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe, la Guyane ou encore la Polynésie montrent que la diversité statutaire n'empêche ni la cohésion ni la solidarité.

Cette provincialisation devrait déboucher sur un maillage cohérent, durable, respectueux des identités et des transitions à venir. La France provinciale ne serait pas une rupture, mais une fidélité à notre histoire et à la volonté de bâtir une République vivante et proche, qui retrouvera la confiance de nos concitoyens.

Quelles sont les réflexions du Gouvernement qui iraient dans ce sens ? (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Sans doute sommes-nous dans une période de transition, où notre organisation territoriale doit s'adapter. Le mot « territoire » est presque clinique ; celui de « province », en effet, comporte une dimension culturelle, géographique et historique.

En effet, redonner de la liberté d'agir aux territoires, ce n'est pas rompre l'unité de la République. Pour que la promesse d'égalité soit tenue, il faut mettre en oeuvre selon les territoires des moyens différents. Les territoires d'outre-mer sont l'exemple même d'une appartenance à la République selon des organisations différentes. Dans l'Hexagone, nous avons reconnu la différenciation en adoptant des dispositions pour les communes du littoral ou de montagne.

Nous avons à définir ce qu'est le rôle de l'État au-delà des fonctions régaliennes, dans la concertation. Le Premier ministre a écrit à l'ensemble des élus locaux pour leur proposer de lui adresser des suggestions. C'est avec eux et avec vous que nous construirons une nouvelle promesse républicaine, fondée sur le souci d'efficacité.

M. Daniel Fargeot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Premier ministre a voulu mettre la décentralisation à la table du dîner politique. Mais j'ai l'impression qu'il nous l'a servie comme un digestif, après un budget indigeste qui va exactement dans le sens inverse... Suppression d'un quart de la compensation de la TFPB et de la CFE, pérennisation d'un Dilico aggravé : où est la volonté de décentraliser ?

Pourtant, la décentralisation est le remède évident à la crise profonde que nous vivons : crise de gouvernance, crise de confiance, crise financière. Nous sommes au bout d'un système où l'État, voulant s'occuper de tout, perd la main sur tout et oublie l'essentiel.

Une vraie décentralisation, c'est celle qui donne la main et les moyens, pas seulement les missions ; au coeur du sujet, la responsabilité. Depuis quarante ans, on confond faire confiance et se désengager. Les gouvernants, nos chefs étoilés, disent : Je fais confiance aux territoires ; mais en cuisine, les commis, les territoires, répondent : je fais ce que je peux avec ce qui me reste... La décentralisation doit être un transfert de confiance !

Or la confiance suppose la clarté : des compétences nettes, des moyens adaptés et la fin du fameux coco - coconstruction, cofinancement, confusion. Et si, au passage, on supprimait le Dilico, on se serait compris...

Tout le monde rend des comptes à tout le monde, sauf aux électeurs. La France est devenue la championne du monde de la désorganisation systémique. L'enlisement est devenu la norme, et quand on veut vraiment faire avancer les choses, on crée une loi d'exception, comme pour Notre-Dame de Paris.

Selon Tocqueville, la décentralisation n'est pas un transfert, mais un retour de responsabilité, qui fait vivre la démocratie. Pourtant on nous sert souvent une décentralisation managériale pilotée par des tableaux Excel où les élus sont sous tutelle. Les maires ne sont pas les sous-traitants de la République ! Il leur faut une autonomie de décision.

Le couple maire-préfet reste l'un des rares qui fonctionnent encore. C'est cette articulation qu'il faut renforcer plutôt que de multiplier les agences. Jean-Louis Borloo appelle à une République fédérale à la française. Mieux, je demande une République des responsabilités locales assumées.

Rendons à chaque échelon l'entière responsabilité qui lui revient. À l'État la stratégie et le régalien, aux collectivités la proximité, l'action et la redevabilité devant leurs électeurs. La République veut rester indivisible, et la responsabilité ne se divise pas. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; M. André Guiol applaudit également.)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Certes, les élus locaux ne sont pas des commis de l'État. L'action publique est menée par l'État et par les collectivités : à chacun ses responsabilités et à chacun ses compétences.

On n'a pas transféré des compétences aux départements ; on leur a donné un rôle d'exécution, avec les moyens accordés par l'État. Il faut retravailler la chaîne d'ordonnancement et la chaîne de commandement. C'est le « qui fait quoi ».

Vous parlez de différenciation. N'assimilons pas égalité et uniformité. Cette dernière est souvent la garante de l'inégalité ! Et en matière de déconcentration, c'est au préfet d'harmoniser les choses.

Enfin, pour ce qui est des financements, travaillons sur les dotations et les leviers fiscaux, à définir en fonction des compétences de chacun.

M. Daniel Fargeot.  - Merci à Mme la ministre. Oui, l'État doit se détendre. Il faut du bon sens et du pragmatisme. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; marques d'ironie sur quelques travées du groupe SER)

Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Faites-nous confiance : c'est le cri du coeur de la maire d'une commune de 1 500 habitants que j'étais avant de rejoindre le Sénat. Il est partagé par nombre d'élus.

Il y a quelques années, on m'a demandé de réaliser des travaux de voirie coûteux qui posaient des problèmes de sécurité routière. En tant que maire, j'ai proposé un autre chemin plus sécurisé qui ne demandait que de petits aménagements à la marge. Il a fallu deux ans de négociations pour que cette solution pragmatique soit retenue. Nous aurions gagné du temps si nous avions été entendus d'emblée.

Cet exemple illustre le quotidien des élus locaux en France et combien il faut remettre la confiance au coeur de nos territoires. L'avenir de la décentralisation passe par la confiance envers les élus locaux et les instances de proximité.

Depuis plus de quarante ans, plusieurs vagues de décentralisation se sont succédé. Or elles s'articulent mal entre elles. Le cadre juridique actuel manque de cohérence et de souplesse ; il est illisible.

Il faut réformer ce cadre, c'est une évidence. Sur le plan constitutionnel, nous devons sanctuariser les principes de subsidiarité et de différenciation. La répartition des compétences doit aussi être simplifiée et rationalisée, tout en renforçant les leviers de coopération.

La commune doit être au coeur de l'organisation territoriale française. Le département reste indéniablement pertinent, surtout dans les territoires ruraux. Les Indépendants soutiennent une réforme large de la décentralisation, avec une gouvernance fondée sur la proximité.

Faut-il rappeler la crise des vocations ? En 2025, plus de 6 % des maires élus en 2020 ont déjà démissionné. Le nombre de démissions volontaires a été multiplié par quatre par rapport à la précédente mandature. Je viens de quitter mon mandat de maire : aucun candidat ne s'est présenté à ma succession. Les difficultés rebutent. C'est un véritable gâchis pour notre République.

Il faut donner aux élus de proximité les moyens d'agir. Les finances publiques locales doivent être au coeur des réflexions. Le budget des collectivités territoriales n'est pas une variable d'ajustement - quand je vois se profiler la baisse de la DETR, je m'inquiète.

Chaque compétence dévolue à une collectivité doit être compensée justement. Que le décideur soit celui qui paie. Les communes ne doivent plus financer des décisions prises à un autre échelon sans leur accord. En matière budgétaire, la prévisibilité doit être le maître mot. Certaines communes attendent des mois durant le versement de sommes promises par un autre échelon.

L'avenir de la décentralisation se résume à un mot : confiance. Faisons confiance aux élus de proximité. Notre République s'honorerait à leur accorder la place qu'ils méritent. Comment le Gouvernement compte-t-il les accompagner ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je crois beaucoup à la proximité et au circuit court dans l'action publique, qui permet d'identifier les responsabilités. Le Sénat a beaucoup travaillé sur la sécurisation de l'engagement des élus locaux. C'est ici qu'est née une proposition de loi transpartisane sur le sujet - espérons qu'elle soit adoptée très rapidement.

M. François Bonhomme.  - Il y a intérêt !

Mme Françoise Gatel, ministre.  - L'enveloppe de DETR ne baisse pas en 2026.

Madame la sénatrice, vous avez déjà une culture sénatoriale ancrée... Oui, qui décide paie ! Comme le rappelait Daniel Fargeot, les collectivités territoriales et les élus locaux ne sont pas les commis de l'État, mais des gens responsables qu'il faut associer aux décisions.

M. Jean-Claude Anglars .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dès sa nomination, le Premier ministre a souhaité des consultations sur un nouvel acte de décentralisation. En France, celle-ci repose sur la répartition des compétences, la libre administration, la responsabilité des élus locaux et la fiscalité directe locale. À l'heure de l'examen du budget, alors que le Gouvernement compte faire fortement contribuer les collectivités territoriales au redressement des comptes publics, il est bon de le rappeler.

Le choix de la suppression de la taxe d'habitation est confiscatoire. Il faudra avoir le courage d'évaluer cette mesure, qui est une atteinte à la liberté locale et qui creuse le déficit de la nation.

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Jean-Claude Anglars.  - L'acte III de la décentralisation a été mis en oeuvre à marche forcée. Le principe de subsidiarité doit rester notre boussole. Chaque compétence doit être exercée par l'échelon le plus à même d'agir.

La loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement » adoptée le 11 avril dernier va dans ce sens. L'intercommunalité doit être choisie, et non plus subie. Les maires doivent pouvoir décider de tout ce qui concerne leur commune.

Grâce à la loi 3DS, les collectivités volontaires peuvent reprendre la gestion des routes nationales non concédées depuis le 1er janvier 2024. Ainsi, l'Aveyron a fait le choix courageux d'obtenir le transfert de la RN 88, afin de mener sa mise en deux fois deux voies. La décentralisation doit être une réponse sur mesure à des besoins locaux.

La décentralisation ne se décrète pas, elle se construit. Plus qu'un nouvel acte de décentralisation imposé, les élus locaux veulent plus de liberté d'action. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Burgoa.  - Bravo !

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Nous avons surtout transféré de l'exécution de compétences, sans clause de revoyure. Or la confiance passe par la contractualisation.

Oui, la liberté va de pair avec la responsabilité.

Certaines compétences ne peuvent pas s'exercer seules, comme le tourisme. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.) Il faut un chef de file...

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est dommage, ça commençait bien.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - ... qui ait des capacités à s'organiser ensuite avec le bon niveau de collectivité.

L'eau et l'assainissement : voilà un bon exemple d'intercommunalité utile, pertinente, non imposée.

La loi 3DS permet de mener des expérimentations ; ainsi, on évite des irritants. Il faut modifier l'article 72 de la Constitution pour que l'expérimentation puisse conduire à différenciation. N'imposons pas aux collectivités territoriales ce que d'autres auront choisi.

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Ce débat vient à point nommé. Le Premier ministre a en effet annoncé vouloir un grand acte de décentralisation. Mais avant tout nouvel acte de décentralisation, il est impératif de faire le bilan des précédents. Or l'enfer est pavé de bonnes intentions. (Mme Françoise Gatel approuve.)

Certains objectifs peuvent sembler séduisants, mais ils pourraient se révéler irritants. Ainsi, il est question de rationaliser des actions en matière de tourisme, culture ou sport. Or ce sont des compétences où les actions conjointes s'additionnent, fort heureusement. Imposer un chef de file serait en réalité soustraire des moyens en faveur de politiques contribuant à l'attractivité de nos territoires.

Interrogez un maire, un président d'EPCI ou un président de conseil départemental ou régional : tous vous le diront, le système est au bout du rouleau.

Saluons l'acte de Gaston Defferre qui a libéré des énergies. En revanche, la soi-disant stricte compensation des charges s'est révélée hélas destructrice.

L'acte II porté par Jean-Pierre Raffarin était sans doute louable, mais la loi relative aux libertés et responsabilités locales a aussi procédé à des transferts de charges non compensés. Texte mal né, par un 49.3, il a mal vieilli.

Les départements sont asphyxiés par le RSA. Dans l'Yonne, c'est 60 millions d'euros ; l'État en donne royalement 27 millions.

Le Sénat a été la vigie de l'autonomie financière des collectivités. Hommage soit rendu à Daniel Hoeffel.

Christian Poncelet soulignait « l'absolue nécessité de veiller à ne pas transformer les élus locaux en gestionnaires démotivés de ressources au sein desquelles les dotations préétablies occuperaient une part trop nettement prépondérante ». Pierre Mauroy le disait : « Un élu vote l'impôt. Sinon, c'est lui retirer sa liberté. »

Depuis quarante ans, tous les gouvernements ont péché. Les prélèvements sur recettes et les dotations de compensation sont illisibles. Les lois NOTRe et Maptam n'ont pas laissé que de bons souvenirs. Nous devons vivre avec des régions XXL. Et le Président de la République de dire crûment, en novembre 2023, que la décentralisation était cul par-dessus tête.

Il faut tout revoir, de la cave au grenier. Tout d'abord, l'État doit se concentrer sur le régalien, la jeunesse, l'innovation. Pourquoi ne pas faire passer les ARS dans le giron des régions ? Ensuite, nos concitoyens ont trop souvent le sentiment de ne plus avoir prise sur le cours des choses. Voyez la vitalité démocratique de nos voisins suisses. Enfin, nous devons répondre au besoin de réenracinement. Les territoires doivent garder leur identité, et nos outre-mer montrent utilement le chemin. Faisons du sur-mesure partout. La subsidiarité doit aller du bas vers le haut, depuis la commune.

Jean-Louis Borloo tiendra ici une causerie sur le fédéralisme à la française. Le principe fédératif de Proudhon doit être étudié de près.

Le temps n'est plus aux rustines, mais à la révolution territoriale. Alexandre Marc voulait qu'« au sein de l'Europe, la France renouvelée reprenne la route royale de la nation créatrice et libératrice ». (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Si l'on veut une clarification des compétences, il faut désigner un responsable. On l'a vu avec l'eau et l'assainissement. Les communes, je le rappelle, ont la clause de compétence générale.

La décentralisation va de pair avec la déconcentration. C'est en cours, et c'est une profonde révolution. Le préfet pourra décider du blocage d'une norme inadaptée à un territoire.

Ensuite, il faut donner du pouvoir normatif aux élus locaux. Il y a néanmoins un enjeu de judiciarisation : certaines collectivités ne souhaitent pas de pouvoir normatif, car elles ne peuvent pas en assumer les risques juridiques. La loi se devra dans doute d'être moins bavarde.

Oui pour l'autonomie fiscale et financière, mais je ne crois pas qu'on puisse se dispenser de dotations. Les grands pays fédéralistes comme l'Allemagne fonctionnent avec des dotations définies par région. Il faut ensuite un levier fiscal pour établir une égalité au regard du service rendu. À nous de trouver l'équilibre entre dotation et levier fiscal.

M. Pierre-Alain Roiron .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Lucidité oblige, quarante ans après les lois de décentralisation, nous sommes au seuil d'un nouveau modèle à inventer. Le partage du pouvoir est devenu une dilution du pouvoir.

Le Premier ministre annonce un grand acte de décentralisation, mais le PLF 2026 propose une trajectoire inverse. Or la décentralisation repose sur un triptyque : compétences, moyens, autonomie fiscale. Cette autonomie s'étiole, la dépendance aux dotations de l'État grandit, fragilisant la prévisibilité nécessaire aux investissements de long terme.

Au moment des débats sur la loi Defferre, le Premier ministre Pierre Mauroy disait déjà : « Aucun nouvel acte de la décentralisation ne pourra désormais se passer d'une réforme en profondeur de l'État central lui-même. » (M. Patrick Kanner acquiesce.) Le droit à la différenciation territoriale et l'affirmation du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales sont l'aboutissement logique de la décentralisation.

Une telle réforme appelle des moyens financiers. L'autonomie budgétaire et fiscale reste une condition sine qua non de toute décentralisation pérenne. C'est aussi toute l'architecture de nos compétences qu'il faut repenser.

Les doublons sont source de confusion. L'État définit les normes relatives à l'apprentissage et à la formation professionnelle, les régions gèrent l'orientation et le développement territorial. Voilà la dilution du pouvoir que nous dénonçons.

Même incohérence pour la politique du logement social : l'État fixe les quotas, les intercommunalités planifient, les départements financent. Cette fragmentation engendre lenteur et inefficacité, alors que des familles attendent un toit.

Il nous faut un principe simple : une compétence, un échelon, des moyens adaptés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Vous confondez les temps. Jusqu'en 2029, c'est celui du redressement budgétaire. Il n'est pas donc contradictoire d'affirmer une ambition décentralisatrice et, à court terme, un budget de redressement des comptes publics.

Je suis d'accord avec M. Mauroy : commençons par définir ce que fait l'État !

Sur les financements, un mix entre dotations et capacité fiscale est une bonne solution, avec une clause de revoyure.

Il y a des problèmes de cohérence : en matière de formation professionnelle, la répartition des compétences n'est pas optimale ; pour le logement social, ce n'est pas depuis Paris que nous allons définir des zonages efficaces.

M. Lemoyne a raison : il faut évaluer l'efficacité de ce qui existe avant d'inventer de nouveaux dispositifs.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

Mme Céline Brulin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Merci pour ce débat qui touche au coeur de notre République. Mais regardons la réalité en face : nos territoires subissent un affaiblissement de la présence de l'État déconcentré et un recul continu des services publics : sous-préfectures exsangues, trésoreries amoindries, permanences de la CAF disparues, bureaux de poste devenus des agences postales communales à la charge des mairies... et j'en passe !

Les collectivités territoriales ont subi les mêmes coups de rabot. Elles assument de nouvelles missions et voient leurs ressources diminuer.

Les élus - les premiers à affronter les difficultés - le disent : la République s'éloigne quand le service public recule. Diminution de la DGF, réforme de la fiscalité locale sans concertation, manque d'ingénierie publique : les élus doivent faire plus avec moins. Et que dire de la multiplication des agences : sous couvert de concepts libéraux et technocratiques, les décisions s'éloignent encore davantage du terrain.

Un nouvel acte de décentralisation doit se traduire par plus de confiance envers les territoires, sans que l'État se désengage. Il faut un État partenaire, accompagnateur, aménageur du territoire... et pas un censeur de décisions prises en vertu de la libre administration des collectivités.

Nous défendons un modèle de coopération et plaidons pour la restauration de la clause générale de compétences pour toutes les collectivités territoriales, et pas seulement pour les communes. C'est ainsi que nous répondrons aux besoins des habitants.

Nous devons tirer les leçons d'une organisation territoriale où quelques métropoles devaient ruisseler en « mode gagnant-gagnant » sur l'ensemble de leur région. Or des territoires fragiles dévissent, les citoyens se sentent abandonnés. Il faut qu'aucun bassin de vie ne soit considéré comme une seconde zone. Rousseau disait : « C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir. »

Notre ambition, c'est une décentralisation solidaire, grâce à une péréquation renforcée pour réduire les écarts entre territoires riches et territoires pauvres. Aucune compétence ne peut être transférée sans compensation pérenne.

« Dangereux », « indigeste », « une saignée sans précédent », « une purge massive », « une punition collective » : voilà un florilège des qualificatifs qu'attribuent les associations d'élus à votre budget. L'austérité est la seule chose que vous décentralisez !

Au contraire, les collectivités territoriales doivent devenir les fabriques du changement. Donnons-leur du souffle et des moyens ; ainsi, nous oeuvrerons pour notre économie, pour la cohésion sociale, pour la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Je ne regrette pas d'être venue... Ne feriez-vous pas un procès en excès ?

J'ai visité cinquante départements, je n'y ai pas vu les mêmes difficultés que vous. Je ne puis pas laisser dire que l'État aurait disparu des radars : six nouvelles sous-préfectures ont été créées. Les préfets et sous-préfets sont dans un rôle d'accompagnement et de facilitateur, non plus de censeurs.

Quand vous parlez des bureaux de Poste, vous êtes trop sérieuse pour que je vous croie. Parfois, le bureau était vide et fermé dès quinze heures. Les communes ont donc créé des zones multiservices. Le monde change, acceptons de nous transformer.

Notre budget n'est pas un budget d'austérité, c'est un budget de redressement : la nuance est nécessaire et juste.

Mme Céline Brulin.  - Il y a désormais autant d'agences postales que de bureaux de poste, et nombre de missions sont aujourd'hui passées à la charge des collectivités territoriales. On peut se contenter de ce budget, mais il réunit l'unanimité des collectivités territoriales contre lui.

L'heure est au dialogue ? Ce n'est pas ce que j'entends dans vos propos. On transfère aux collectivités non seulement l'austérité, mais aussi l'endettement de l'État. Nous aurons abîmé encore davantage notre cohésion nationale. Nous ne souhaitons pas emprunter ce chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Ghislaine Senée .  - Le Premier ministre nous invite à définir un nouveau projet pour les territoires.

Or l'État est aujourd'hui dans une situation de fragilité politique extrême : absence de majorité stable, menace de dissolution, défiance généralisée envers les élus, mais aussi embouteillage électoral à venir - municipales, présidentielles, législatives. Annoncer un nouvel acte de décentralisation dans ces conditions crée au mieux de la défiance, au pire de la colère. Les élus sont agacés ; ils n'ont pas besoin d'un grand soir institutionnel, mais de visibilité, de moyens humains et d'outils juridiques clairs.

Depuis dix ans, la décentralisation est moins en panne qu'en recul. Une recentralisation silencieuse et profonde s'opère.

Le PLF prévoit une ponction de 6 à 7 milliards d'euros sur les budgets locaux. Ces coupes signifient moins de rénovations d'écoles, moins de réseaux de bus, moins de transition écologique.

Pour notre groupe, la décentralisation ne se limite pas à une simple répartition des compétences. Je me méfie de votre prétendu pragmatisme et bon sens, madame la ministre. Pour nous, la décentralisation est un projet politique fondé sur la subsidiarité et la confiance. Nous défendons un fédéralisme différencié, avec des régions autonomes, et un bloc communal fort, car c'est là que tout se joue : rénovation des logements, circuits alimentaires, tissus associatifs...

Les communes et intercommunalités doivent composer avec des appels à projets illisibles et des injonctions contradictoires, soit l'inverse de la subsidiarité.

Parlons transition écologique. Sans investissement local, la France ne tiendra pas sa trajectoire climatique. Il faut changer de méthode. La décentralisation n'existe pas sans autonomie fiscale et financière. Il faut garantir aux départements des ressources stables et compenser les transferts de charges, condition de l'efficacité locale.

La décentralisation doit être un progrès démocratique, non une régression. On ne redonne pas du pouvoir aux territoires en reconcentrant le pouvoir dans les mains de quelques-uns. Le retour du cumul des mandats serait un contresens. La transition écologique exige de la proximité et de l'écoute et ne se pilote pas à temps partiel.

Nous demandons l'arrêt des ponctions sur les collectivités territoriales, un fonds dédié à la transition écologique territoriale, avec une réelle trajectoire pluriannuelle, et plus d'autonomie financière locale.

La transition écologique ne peut se faire sous tutelle ; elle exige de la confiance. Que l'État desserre le garrot.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Devons-nous rester immobiles, au risque de chuter, comme le cycliste qui ne pédale plus ? Il faut se fixer un horizon pour améliorer le pays et redresser nos finances publiques.

Les paroles du Premier ministre engendreraient de la colère et de l'incompréhension... pour certains, elles suscitent aussi de l'envie !

Je n'ai jamais promis de grand soir ! Je déteste cela, car on risque les petits matins blêmes.

Il faut définir ce que nous faisons avec quels moyens. L'État a largement supprimé les appels à projets.

J'ai moi-même été confrontée à ces injonctions contradictoires quand, maire de ma commune, je devais défendre un projet : je poussais la porte de six bureaux et revenais avec cinq injonctions contradictoires et une migraine. Aussi, quand on renforce le pouvoir du préfet, on simplifie et on accompagne.

Et je vous rappelle que l'État a mis en place les contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE).

Mme Ghislaine Senée.  - La question n'est pas de rester immobile ou non : dans les collectivités, il n'y a même plus de vélo ! Sans autonomie financière des collectivités territoriales, rien n'est possible.

Avec ce débat, le Premier ministre occupe le terrain ; mais nous, nous devons avoir les moyens d'agir ; nous en débattrons lors de l'examen du PLF.

M. Jean-François Longeot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Décentraliser est nécessaire, souhaitable et attendu, mais comment y parvenir quand tout le monde fait tout sans savoir qui est responsable de quoi ? Ce millefeuille administratif coûte 7,5 milliards d'euros par an. Le réduire, c'est trancher le noeud gordien qui entrave toute décentralisation.

Appliquons le principe suivant : une norme créée, une norme supprimée. Et surtout, n'ajoutons pas de la complexité à la complexité ! Comment le Gouvernement entend-il désembrouiller ce millefeuille ?

Les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) sont victimes de la réglementation. Jacques Fernique et Marta de Cidrac, dans leur rapport d'information sur l'application de la loi Agec, demandent une stratégie industrielle interministérielle claire et déclinée au niveau régional.

Le fonds Économie circulaire pourrait être le bras armé des régions, cogéré avec l'Ademe : à l'État la stratégie, aux territoires l'action. La décentralisation doit s'accompagner de la confiance, et des moyens nécessaires pour les administrations compétentes.

La décentralisation des financements de l'économie circulaire aux régions fera-t-elle partie de l'acte de décentralisation voulu par le Premier ministre ?

Enfin, décentraliser, c'est rapprocher le pouvoir du citoyen, principe fondateur de la décentralisation, qui doit s'accompagner du plein exercice des libertés locales ; or elles ont été réduites, comme en témoigne la suppression de la taxe d'habitation, qui a distendu le lien civique entre le citoyen et la collectivité et a réduit l'autonomie financière des communes.

Il est temps de resserrer ce lien. Il faut faire confiance à l'expertise des élus locaux, ce qui passe par la réaffirmation de l'autonomie fiscale comme pilier de notre République. Pourquoi ne pas l'ériger en principe constitutionnel ? Ce serait un signal fort.

Comment le Gouvernement entend-il redonner aux collectivités les moyens réels de leur autonomie fiscale ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Nous construirons cette décentralisation ensemble. Ce n'est pas au travers d'un PLF que nous réformerons avec pertinence le financement des collectivités territoriales. Nous réfléchirons aux compétences en matière d'économie circulaire. Il faut de la cohérence : une collectivité s'occupant d'économie ne devrait-elle pas s'occuper également de formation et d'emploi ?

Nous devons partir des services à rendre pour définir le niveau pertinent et les moyens associés.

Les avis diffèrent : certains suggèrent de doter toutes les collectivités territoriales de la clause de compétence générale ; d'autres veulent des collectivités territoriales cheffes de file.

J'ai proposé au Premier ministre une démarche d'évaluation des normes. Il faut guérir de l'excès de normes et en alléger le flux, car elles sont contradictoires, coûteuses et nous empêchent d'agir.

Tout projet de loi mériterait d'être précédé d'une étude d'option, ainsi que nous l'avions recommandé avec M. Pointereau : un texte est-il vraiment nécessaire ? Et dans chaque texte, il faudrait une clause guillotine, comme en Angleterre.

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LR) Nous constatons tous les difficultés quotidiennes des collectivités territoriales, en particulier les plus modestes, ainsi que l'affaiblissement des services déconcentrés de l'État, faute de moyens.

Les finances du pays sont fortement dégradées et doivent être redressées. Mais en fragilisant l'investissement des collectivités territoriales, on affecte des pans entiers de l'économie. N'assistons-nous pas à une recentralisation financière ?

Les normes entravent l'action des collectivités. L'État leur dit quoi faire et comment le faire : cela n'est plus possible ! La mise en oeuvre de la garantie communale d'un hectare, dans le cadre du ZAN, l'illustre. Les interprétations de l'administration varient d'un département à l'autre et d'une administration à une autre. La réponse à ma question écrite est totalement décourageante... Ne faisons pas des territoires ruraux une réserve naturelle pour urbains en mal de campagne !

L'échelon local a vécu des évolutions positives en quarante ans, mais les difficultés s'accumulent. Comment lever les irritants et donner un nouvel élan à la décentralisation, clarifier les compétences et restaurer la confiance entre l'État et les collectivités territoriales ?

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Le Sénat a dénoncé l'absence d'étude d'impact du ZAN et souligné l'incohérence d'un objectif de frugalité foncière appliqué de manière uniforme. D'où la proposition de loi Trace, qui sera examinée à l'Assemblée nationale. Je rencontrerai sénateurs et députés et espère que nous cheminerons ensemble.

Toutes les normes ne sont pas utiles, voyez le rapport de Boris Ravignon. Elles ont coûté entre 2009 et 2023 plus de 14 milliards d'euros ! Soyons dans la frugalité normative et mettons en oeuvre les préconisations du Sénat, en lien avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), pour nous attaquer au stock et retrouver du pouvoir d'agir.

M. Pascal Allizard.  - Merci d'avoir cité Honfleur et Deauville tout à l'heure ! En 2024, les nouvelles normes ont entraîné 450 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour nos collectivités. Il faut arrêter !

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La décentralisation est un pilier de notre démocratie. Elle repose sur le principe de la libre administration des collectivités territoriales. Mais celui-ci n'a de sens qu'avec une véritable autonomie financière. Or celle-ci est gravement fragilisée. En trois ans, l'épargne nette des collectivités territoriales a chuté de 40 %, alors que l'État leur demande de s'engager dans la transition écologique, la rénovation énergétique, etc.

Le Premier ministre veut renouer la confiance avec les territoires et ouvrir un nouvel acte de décentralisation ; mais le projet de budget pour 2026 consacre une logique inverse, en opérant une recentralisation financière ! Dès lors, comment parler de confiance ? Peut-il y avoir libre administration sans autonomie fiscale ?

La suppression de la taxe d'habitation et la diminution des impôts de production ont eu pour effet de nationaliser les recettes locales. Or il n'est pas d'autonomie locale si la collectivité territoriale ne peut ajuster ses ressources à ses charges.

Le Gouvernement envisage-t-il un retour de fiscalité locale adaptée à chaque strate de collectivité territoriale ? Ce n'est qu'ainsi qu'on pourra redonner sens à la libre administration.

On ne bâtit un nouvel acte de décentralisation que sur la clarté, la stabilité et la responsabilité. Les collectivités territoriales ne sont pas un appendice budgétaire de l'État, elles en sont le socle opérationnel. Le Gouvernement doit ouvrir un chantier sur la fiscalité locale, en lien avec les associations d'élus et le Parlement, afin que chaque niveau dispose de ressources propres adaptées à ses compétences. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - J'y insiste, nous devons redresser nos finances publiques afin de garantir le fonctionnement de nos services publics -  sans quoi ces derniers disparaîtront.

Les finances locales doivent être réformées, j'en conviens. Ainsi, près de 70 % des dépenses des départements sont des dépenses sociales. Quand les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) progressaient, les départements se réjouissaient, jusqu'à ce qu'avec la crise de l'immobilier leurs ressources s'évanouissent. Le rapport d'Éric Woerth l'explique très bien : les départements devraient recevoir une part de CSG.

Les collectivités territoriales ne sont ni les commis de l'État ni ses appendices ; ce sont des acteurs essentiels de la cohésion sociale.

Mme Isabelle Briquet.  - Si les collectivités territoriales n'ont plus de marges de manoeuvre, pourquoi parler de décentralisation ? Parlez plutôt de déconcentration, mais ce n'est pas ce que nous souhaitons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Patrick Chaize .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Premier ministre appelle à un acte IV, alors que le Président de la République a recentralisé l'État depuis 2017. Dans le contexte politique actuel, il serait illusoire d'attendre un grand bouleversement institutionnel. Réaffirmons plutôt des principes fondamentaux pour avancer.

D'abord, le département est un pilier de l'action publique de proximité, au même titre que la commune et l'État. Cessons d'agiter la menace de sa disparition et de sa recentralisation. Les réalités territoriales sont diverses : instaurons un droit à la différenciation. Le département ne doit pas être réduit à un rôle de guichet social.

Ensuite, la libre administration doit être pleinement respectée. Les décisions nationales affectant les finances locales doivent être concertées et compensées à l'euro près, faute de quoi il n'y aura ni autonomie ni liberté.

De même, il est temps de rétablir une véritable autonomie fiscale pour refonder le lien entre impôt, action publique et contribuable.

L'État doit se recentrer sur ses compétences régaliennes, notamment la sécurité. Pour le reste, faisons confiance aux collectivités. La question est moins celle des compétences que celle de la confiance dans l'élu local et la force du terrain. L'État veut trop en faire, alors que la réponse doit être locale, grâce à une autonomie fiscale et financière.

Nous avons besoin de proximité, de liberté et de souplesse. Redonner les moyens d'agir aux collectivités territoriales, ce n'est pas affaiblir la République, c'est la renforcer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - La confiance entre partenaires pose un enjeu d'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre. Il faut définir le rôle de l'État : régalien et péréquateur.

Réfléchissons à partir des services à rendre et voyons quelle collectivité est la plus à même d'y répondre. Par exemple, le département est bien placé en matière de très haut débit, on l'a vu.

Et pourquoi ne pas envisager de renationaliser certains dispositifs, quand les départements n'en sont que de simples exécutants ? Je pense à l'expérimentation en cours sur le RSA.

Nous sommes ici sous la protection de Portalis, qui disait que la loi doit être faite pour les hommes et non les hommes pour la loi. Les citoyens veulent des normes pour être protégés. Mais le législateur charge parfois la barque. Faisons confiance aux élus : le maire est aussi responsable qu'un parlementaire !

M. Patrick Chaize.  - Puisque le constat est partagé, il n'y a plus qu'à ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel acquiesce.)

M. Simon Uzenat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Plus que jamais, la décentralisation est l'avenir. Contre la colère ou le défaitisme de nos concitoyens, il y a le pouvoir d'agir local. Ils nous demandent plus de proximité et de différenciation. L'État doit se recentrer sur le régalien et la péréquation, en laissant aux collectivités territoriales la responsabilité de la vie quotidienne de nos forces vives -  citoyens, associations, entreprises.

La région Bretagne défend l'autonomie, notamment fiscale et financière, alors que 80 % des recettes des départements et des régions sont des transferts de l'État. Les recettes des régions sont déconnectées de leurs compétences : elles perçoivent des taxes sur les cartes grises et les carburants, alors qu'elles promeuvent les mobilités douces...

Nos territoires sont tous différents : il faut de la différenciation. Certains évoquent la notion d'autorité organisatrice ; d'autres veulent réviser l'article 72 de la Constitution. Qu'allez-vous faire concrètement pour renouer la confiance avec les élus locaux ?

Dernière question : les Bretons et les habitants de la Loire-Atlantique attendent une consultation sur le rattachement de ce département à la région Bretagne, pour reconstituer la Bretagne historique.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Ah !

M. Simon Uzenat.  - Prévoyez-vous de tenir cette consultation ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Françoise Gatel, ministre.  - Pour différencier, il faudrait réviser l'article 72 de la Constitution, mais on m'a rappelé que le Gouvernement était très précaire...

Le pouvoir réglementaire local est reconnu depuis la loi du 8 avril 1884 pour les communes - depuis 1983, pour les départements et aux régions. Il n'y a plus qu'à - ou presque, comme dirait le sénateur Chaize.

Dans le panier de ressources, il faut des dotations et un levier fiscal. L'an dernier, le Parlement a autorisé les régions à instaurer un versement mobilité additionnel ; certaines régions, dont la Bretagne, s'en sont saisies.

C'est le maréchal Pétain qui a mis fin à la Bretagne à cinq départements. Le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne est un vieux débat. Mais intéressons-nous aussi à la région qui perdrait un département.

M. Simon Uzenat.  - La confiance repose sur le respect de la parole de l'État, abîmée par la non-compensation et la modification des règles du jeu sur le FCTVA...

Oui au redressement budgétaire, mais le remède ne doit pas être pire que le mal. Or vous vous en prenez à la commande publique, moteur de la croissance.

Nous voulons offrir un bouquet de solutions aux régions, avec notamment une taxe de séjour additionnelle, comme en Île-de-France.

M. Christian Klinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La décentralisation est un serpent de mer. Le jacobinisme est tenace : Paris concentre pouvoirs et ressources. Notre complexité institutionnelle rend le système illisible.

Au plus haut niveau de l'État -  à l'Élysée  - , la décentralisation n'est pas en odeur de sainteté. Il y règne un parfum de jacobinisme avec une note florale de narcissisme persistant.

Le paquebot France prend l'eau et on s'enfonce dans les abîmes à 3 400 milliards sous les mers. Les passagers se font séduire à tribord par la sirène Marine et à bâbord par la sirène Mathilde, qui nous conduit droit dans le Panot. (Sourires à droite)

Le système est à bout de souffle et nous devons avoir le courage de faire un mini big-bang territorial.

Mon mentor en politique, Adrien Zeller, militait pour le droit à l'expérimentation en Alsace. Il faut oser ! La Collectivité européenne d'Alsace (CEA), née de la fusion des deux départements alsaciens en 2019, exerce les compétences des départements et certaines de l'État, avec la possibilité d'adapter les politiques publiques aux spécificités alsaciennes.

Nous sommes au milieu du gué. En transférant d'autres compétences, nous ferions disparaître une strate de notre millefeuille institutionnel et ferions d'importantes économies de fonctionnement - 100 millions d'euros par an avec la création de la CEA ! La solution est là : décentralisation, simplification, mise en oeuvre des politiques publiques par les élus locaux, dans le respect de l'unité républicaine.

Mme Françoise Gatel, ministre.  - L'Alsace n'est pas une collectivité à statut particulier de l'article 72 de la Constitution. C'est l'exemple même de la différenciation, compte tenu de son caractère transfrontalier. Je vous propose d'en évaluer la mise en oeuvre. Mais ne faisons pas du copier-coller.

Depuis 2017, la loi 3DS a permis des évolutions, tout comme la loi Engagement et proximité.

M. Christian Klinger.  - Un bilan d'étape serait bienvenu. Sabine Drexler le confirmera, les élus attendent de nouveaux transferts de compétences, mais avec les moyens correspondants.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation .  - Merci à tous pour ces échanges très riches. Je sais le Sénat, par ses travaux, très engagé dans la confiance entre État et territoires.

La décentralisation n'est pas une question technique, mais relève du pacte républicain. La République fonctionne sur deux piliers : l'État et les collectivités, qui doivent être responsables et capables de fournir les services attendus par nos concitoyens.

Les réformes successives ont souvent complexifié et créé des irritants - voyez la loi NOTRe avec des transferts obligatoires de compétences faisant fi de la réalité.

Depuis 2017, nous avons avancé, à petits pas : loi Engagement et proximité, loi 3DS, simplification, expérimentation.

Il nous faut réaffirmer un cadre clair de responsabilités partagées. Il n'y a pas de donneur d'ordre ni de sous-traitants, mais des partenaires.

Nous devons, toutefois, traverser le gué du déficit budgétaire.

Je souhaite, enfin, ouvrir la chasse à la norme.

Nous allons entamer ce travail, à la demande du Premier ministre, avec les parlementaires, les élus et leurs associations.

M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Voilà plus de deux siècles que notre organisation territoriale et administrative est marquée d'un côté par le centralisme jacobin et de l'autre par l'esprit des provinces. Mais si la République a consacré un État fort garant de la cohésion et de l'égalité, elle a souvent confondu unité et uniformité.

Les lois Defferre ont permis de décentraliser, de rapprocher les citoyens des centres de décision et de responsabiliser les élus ; mais la promesse n'a pas été pleinement tenue.

En 2009, le Comité Balladur dressait un bilan sévère de la décentralisation, déplorant que l'organisation locale n'ait cessé de se complexifier, entraînant perte d'efficacité, coût élevé et manque de transparence - la Cour des comptes l'a confirmé en 2023. Diverses lois ont aggravé la situation : loi de 2010, funeste loi NOTRe, loi Maptam...

Notre grave crise budgétaire doit nous conduire à repenser le rôle de l'État. Car à vouloir trop faire, il agit maladroitement : dépenses à la dérive, bureaucratie gesticulatoire et léthargique, doublons administratifs... L'État doit se recentrer sur ses missions régaliennes : sécurité, justice, défense, politique migratoire, stratégie énergétique et diplomatie. Pour tout le reste, ce sont les collectivités territoriales qui doivent agir, car c'est la proximité qui fait l'efficacité. Un maire connaît mieux qu'un préfet les besoins de sa commune. L'organisation y est claire : un responsable - le maire -, un territoire, un budget.

L'État ne doit pour autant pas être éloigné. Il faut articuler déconcentration et décentralisation, comme le recommande Éric Woerth. Mais l'État doit transférer des compétences, avec de vrais moyens.

Le Gouvernement parle de clarification des responsabilités : nous y souscrivons, mais dans une subsidiarité ascendante. On ne peut pas être plus clair que l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) : subsidiarité ascendante, autonomie financière et fiscale, pouvoir réglementaire local et redéfinition du sacro-saint principe de libre administration.

Nous devrons aussi nous attaquer à l'indigeste millefeuille territorial. L'enchevêtrement des compétences est illisible et coûteux.

La décentralisation ne saurait être un transfert des compétences sans transfert de moyens - prix de la liberté. Or c'est ce que l'État fait depuis des années... À quoi bon promettre un nouvel acte de décentralisation quand le PLF prévoit de ponctionner les finances locales : gel de la DGF, réduction du fonds vert, reconduction et augmentation du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), coup de rabot sur les prélèvements sur recettes (PSR), augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ?

La promesse d'un projet de loi de décentralisation par le Premier ministre a-t-elle de réelles chances d'aboutir dans les prochains mois ? Un peu moins de sermons, un peu plus de praxis ! Et n'attendons pas le grand rendez-vous de la présidentielle, faux-fuyant confortable de nos propres renoncements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Frédérique Puissat.  - Bravo !

Quelles réponses apporter à la crise du logement ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? », à la demande du groupe Les Républicains.

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis trois ans, notre pays s'enfonce dans une crise du logement sans précédent, aux effets dramatiques, engendrant frustration et colère.

Nous en connaissons les causes : elles sont structurelles, liées aux renoncements et aux coups de canifs depuis 2018.

La construction neuve est loin d'avoir retrouvé son niveau d'avant covid. Plus d'un Français sur deux déclare avoir des difficultés à se loger. Le taux d'effort des ménages sur le logement a atteint un niveau inégalé.

Il nous manque une action publique résolue et volontariste. Depuis un an, nous agissons par petites touches, au gré de propositions de loi sectorielles : régulation des meublés de tourisme, transformation des bureaux en logements. Ces textes sont utiles, mais ne donnent ni cap ni souffle à la politique du logement.

Nous devons honorer la promesse républicaine du droit au logement. C'est pourquoi je présenterai une proposition de loi de refondation de la politique du logement, sans écarter aucun segment.

La première pierre à l'édifice est la programmation, indispensable pour agir dans la durée : cessons de naviguer à vue. Élus et acteurs économiques ont plus que jamais besoin de visibilité.

Il faut avancer tant sur le logement privé que sur le logement social - opposer les deux est stérile.

Appuyons-nous sur les bailleurs sociaux dont le rôle contracyclique peut être déterminant si nous leur rendons des marges de manoeuvre pour relancer la production.

L'an dernier, grâce à Valérie Létard, la réduction de loyer de solidarité (RLS) avait été minorée de 200 millions d'euros. Hélas, le projet de budget pour 2026 revient en arrière, rétablissant une ponction contre-productive et augmentant la contribution des bailleurs sociaux au fonds national des aides à la pierre (Fnap).

Depuis 2018, l'État s'est totalement désengagé de ce fonds, en situation financière critique, comme l'a rappelé Jean-Baptiste Blanc en juillet dernier. Alors qu'il faudrait des mesures contracycliques pour permettre aux organismes HLM de répondre à la crise, le Gouvernement fait l'inverse...

Nous devons aussi conclure un pacte renouvelé avec les élus locaux. La planification se fait d'abord à l'échelle locale. Faisons confiance aux maires et renforçons leurs moyens d'action, notamment sur le foncier.

Je salue des avancées récentes : la transformation des bureaux en logements - même si c'est insuffisant - et l'adaptation du ZAN grâce à notre proposition de loi Trace. Nous devons assouplir encore davantage la loi SRU pour prendre en compte les spécificités de nos territoires et répondre au sentiment de dépossession des maires dans l'attribution des logements sociaux en les replaçant au coeur de la décision.

Il faut également renforcer l'investissement locatif. Les bailleurs privés ne sont pas des profiteurs, mais des contributeurs essentiels à la vie de notre pays. Appuyons-nous sur les travaux de Marc-Philippe Daubresse pour faire enfin aboutir ce statut du bailleur privé afin d'encourager l'investissement dans le neuf comme dans l'ancien.

M. Guillaume Chevrollier.  - Tout à fait !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Le statut du bailleur privé, ce n'est pas seulement un coût, comme le pense Bercy, mais aussi une source de recettes nouvelles pour l'État et les collectivités. Ne nous contentons pas d'un compromis frileux qui dénaturerait le dispositif avant même de l'avoir fait vivre.

Il faut enfin débloquer les parcours résidentiels. La relance de l'accès à la propriété est urgente. L'enfermement des classes moyennes dans le parc locatif nourrit un sentiment de déclassement, dont nous voyons les effets sur l'échiquier politique.

Outre le maintien de la généralisation du prêt à taux zéro (PTZ), il faut que les logements acquis une première fois en bail réel solidaire (BRS) en bénéficient, afin de ne pas gripper les parcours résidentiels.

Pour répondre à cette crise, aucune solution ne doit être écartée. Nous avons besoin d'un cap clair et d'une politique de moyen terme qui redonne confiance à ceux qui investissent, construisent et font vivre nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Viviane Artigalas applaudit également.)

M. Guillaume Chevrollier.  - Très bien !

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement.  - Merci madame la présidente. Les travaux de votre mission d'information m'ont été très utiles lors de ma prise de fonction.

Oui, il faut ouvrir les yeux sur la réalité de la crise du logement, véritable bombe sociale.

Beaucoup de clichés demeurent. La France des propriétaires serait dépassée ? Battons cette idée en brèche ! Il faut donner un rôle central aux familles qui souhaitent investir dans la pierre. Un quart des ménages français sont logés par de petits propriétaires.

Cette crise du logement dure depuis longtemps. La réponse devra, elle aussi, s'inscrire dans la durée. Cela passera, vous l'avez dit, par la programmation, ainsi que par une indispensable synergie public-privé. Il faut donner davantage la main au maire - c'est un ancien maire qui vous le dit - et avancer sur le statut du bailleur privé.

Mme Amel Gacquerre .  - Permettez-moi de vous faire part de mon incompréhension. Il y a quelques semaines, j'ai cosigné une tribune appelant le Gouvernement à faire du logement une grande cause nationale pour 2026. Aucune réponse.

Ce n'était pas un exercice de communication, mais un cri d'alarme : écoutez la détresse de millions de Français dans l'impossibilité de se loger dignement, ou de se loger tout court. Un pan entier de notre économie vacille. Notre appel mérite d'être entendu.

Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat.

Pas moins de 350 000 personnes sont sans domicile, deux fois plus qu'en 2012, et 2,8 millions de ménages attendent un logement social, alors que seulement 82 000 logements sociaux ont été financés en 2024. C'est le pire état des lieux depuis vingt ans. Tous les publics sont touchés : étudiants, salariés, personnes âgées... Cette crise affecte aussi le pouvoir d'achat, car le logement représente 30 % des dépenses, c'est le premier poste de dépenses, de loin.

Nous devons bâtir une politique du logement à court, moyen et long terme, car les acteurs du logement souffrent du manque de visibilité.

Nous devons mener une politique volontariste, dotée de moyens et articulée autour de quatre axes : redonner confiance aux bailleurs privés avec un statut attractif afin de relancer l'investissement locatif ; réhabiliter l'accession à la propriété, qui doit redevenir un objectif atteignable pour les classes moyennes et populaires, grâce au PTZ et au BRS ; relancer massivement la construction de logement social en rendant des capacités d'investissement aux bailleurs par le maintien de la RLS à 1,1 milliard d'euros, en sécurisant le Fnap, sacrifié dans la copie initiale du budget pour 2026, en soutenant les collectivités territoriales et en simplifiant les normes ; enfin soutenir la rénovation des logements, car les incertitudes sur MaPrimeRénov' découragent les ménages et paralysent les professionnels du bâtiment.

Quels engagements prenez-vous, monsieur le ministre ?

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Vous avez raison de pousser ce cri d'alarme. Je partage vos priorités et votre souci de sécuriser les différents outils que vous avez évoqués. Il faut d'abord redonner confiance à tous ceux qui participent à la production de logement avec l'aide à la pierre et aux bailleurs sociaux. La symbiose privé-public est fondamentale.

Votre cri d'alarme alerte sur une crise multifactorielle, économique, écologique et sociale. Je ne sais pas si nous pouvons faire du logement une grande cause nationale, mais ce doit être une grande cause. Quand on ne peut pas se loger, on ne peut pas s'insérer.

Le Premier ministre m'a demandé de construire avec vous un grand plan d'urgence pour que les Français se logent dignement.

Mme Amel Gacquerre.  - Compte tenu de la situation budgétaire, la rénovation énergétique doit aussi mobiliser des fonds privés. La banque de la rénovation est un outil mutualisé qui mérite d'être étudié de plus près.

M. Cyril Pellevat .  - L'interruption de l'examen du PLF à l'Assemblée nationale n'augure rien de bon pour le logement, qui traverse une crise inédite. Tous les indicateurs sont au rouge. Nos concitoyens n'investissent plus, l'offre se tarit, certains sont mal logés, voire pas du tout. Le logement pèse sur le pouvoir d'achat, nos entreprises souffrent, nos finances publiques sont affectées, l'équilibre des territoires est menacé. Il y a urgence à agir.

La crise, multifactorielle, ne sera pas résolue par quelques apports au PLF. Si nous saluons les avancées à l'Assemblée nationale sur le PTZ ou le statut de bailleur privé, il nous faut une vision globale et une volonté politique.

En Haute-Savoie, la production de logements neufs s'est effondrée : à peine 1 500 logements vendus en 2024, contre 4 200 en 2019, alors que la population augmente de 1 % par an depuis 2014.

Nous devons agir sur la demande en relançant l'accession à la propriété, mais aussi sur l'offre en encourageant l'investissement locatif. Cela passe par la fiscalité, afin de rendre la location de longue durée plus rentable, ainsi que par un rééquilibrage de la relation entre propriétaires et locataires, pour restaurer la confiance.

Il faut repenser l'aménagement du territoire afin de développer l'offre partout : nos territoires sont riches et variés, profitons-en !

Poursuivons la simplification ! Construire ou réhabiliter est devenu un parcours du combattant, ce qui paralyse l'action publique. Nous attendons avec impatience l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi Gacquerre sur les obligations de rénovation énergétique, ainsi que la promulgation de la loi de simplification du droit du logement et de l'urbanisme.

La politique du logement coûte chaque année 40 milliards d'euros. Ciblons mieux les besoins. Elle doit être incitative pour les particuliers bailleurs, protectrice pour les plus fragiles, cohérente avec nos objectifs de transition écologique.

Il est temps d'agir. Monsieur le ministre, nous attendons un plan d'action pour le logement.

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Oui, il faut un électrochoc, comme le recommande le rapport de MM. Daubresse et Cosson, pour inciter les investisseurs à investir à nouveau dans la pierre.

Le plan logement sera à construire ensemble. À cet égard, la crise politique est une chance, pour mettre tout le monde autour de la table. Au-delà de la question de la fiscalité, il faut rétablir la confiance. Cela passe par des garanties contre le squat et les impayés ; l'investisseur prend des risques, à nous de le rassurer.

Le logement doit s'inscrire dans la politique d'aménagement du territoire. Du logement partout et pour tous, voilà le sous-texte du plan logement. C'est pourquoi la question de la rénovation et de la réhabilitation est clé.

M. Cyril Pellevat.  - Oui, il faut redonner confiance et rétablir la stabilité. Je plaide pour une co-construction qui tienne compte des spécificités locales. Mon territoire gagne des habitants, or les entreprises coulent, faute de production de logement... J'aurais aussi pu évoquer la question du DPE, ou de la rénovation dans les stations de montagne.

Mme Martine Berthet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons récemment rédigé un rapport d'information, avec Viviane Artigalas et Yves Bleunven, sur le logement des jeunes. Apprentis, alternants, étudiants, jeunes ménages, saisonniers : toute une jeunesse qui travaille mais ne peut plus se loger.

Cumulant les obstacles, ils sont en concurrence sur le marché privé avec des ménages plus solvables. Ils peinent à se loger dans les grandes villes mais aussi dans les territoires ruraux. Or l'offre à destination des jeunes est centrée sur les étudiants ? c'est pourquoi le plan estudiantin lancé en janvier dernier doit absolument être élargi aux jeunes actifs et prolongé jusqu'en 2030.

Programmation territorialisée, plateforme nationale regroupant les logements accessibles aux jeunes : il faut dépasser la segmentation artificielle entre étudiants et jeunes actifs et expérimenter des modèles mixtes. Pour les saisonniers, nous devons développer des solutions ad hoc, comme les résidences à vocation d'emploi ou les résidences mixtes développées dans certains territoires.

Nous recommandons de mieux mobiliser le parc social classique, d'accélérer la production de logements dédiés aux jeunes et de mieux communiquer autour de la garantie Visale.

Les jeunes aspirent à l'accès à la propriété, n'alimentons pas leur sentiment de déclassement. Conservons les avancées du PLF, avec le PTZ généralisé et tâchons de redonner confiance à cette génération pessimiste qui doute de sa place dans notre société.

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Votre rapport d'information met en lumière la problématique du logement des jeunes. Le constat est alarmant. Vous avez identifié les deux moments clés que sont le départ du domicile parental et l'accès à un logement autonome, d'abord comme locataire, puis propriétaire. Je salue la rigueur de vos travaux. Ce panorama très complet sera utile pour orienter les politiques publiques.

Pour les saisonniers, il faut des offres adaptées, quasiment du sur-mesure. Il nous faudra innover...

Vous avez mis en lumière la segmentation artificielle entre jeunes étudiants et jeunes actifs, mais aussi la nécessité de rapprocher les décisions du terrain. Les maires connaissent leur territoire, les besoins des entreprises et des étudiants. Laissons-les innover et adapter.

Mme Martine Berthet.  - La précarité de la jeunesse s'est aggravée rapidement. Ne creusons pas davantage le fossé générationnel ! Nous serons heureux de vous présenter notre rapport plus en détail.

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Bien volontiers.

M. Frédéric Buval .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La crise du logement touche tout le monde, qu'on veuille construire, acheter, louer ou qu'on attende un logement social.

En 2024, à peine 300 000 logements ont été mis en chantier, contre plus de 400 000 il y a quelques années. Le logement social est saturé avec 2,8 millions de demandes en attente.

Cette crise est encore plus marquée outre-mer, où le logement contribue largement à la cherté de la vie. Trois habitants sur dix vivent dans des conditions de mal-logement. La production de logements locatifs sociaux a chuté de 29% entre 2011 et 2021, faisant grimper les prix. En Guadeloupe, les loyers du parc social atteignent 6,10 euros le mètre carré. Dans le privé, c'est pire. En Guyane, le loyer médian est de 15 euros le mètre carré ! Sachant que 80 % des demandeurs sont éligibles au logement très social, la majorité des familles n'ont pas les moyens de se loger décemment.

S'ajoutent des freins structurels : rareté du foncier, indivision, manque de cadastre à jour, spéculation, terrains protégés - la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) bloque trop souvent les projets des élus locaux. La baisse envisagée des aides fiscales à l'investissement productif pourrait freiner les opérations mixtes, pourtant essentielles à l'équilibre financier des bailleurs sociaux et à la mixité résidentielle.

Face au défi du vieillissement en Martinique et Guadeloupe, il est urgent d'étendre le crédit d'impôt pour inciter les HLM à y créer des logements destinés aux personnes âgées à faibles revenus.

Enfin, si nous saluons l'expérimentation du logement très social (LLTS) adapté en Guyane et à Mayotte, l'action de l'Anah ne concerne que les propriétaires bailleurs, alors que beaucoup de propriétaires occupants ont besoin d'aide pour rénover leur logement dégradé.

Quelles mesures comptez-vous prendre ? Quelle est votre position sur ces différents sujets ?

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - En 2025, nous avons quasiment atteint nos objectifs de production de logements sociaux neufs, avec plus de 105 000 logements construits, et dépassé nos objectifs en matière de rénovation, avec plus de 150 000 logements sociaux rénovés.

Oui, il faut encourager la production de logements intermédiaires.

Le bailleur doit pouvoir augmenter de manière raisonnée les loyers à la relocation pour favoriser la rénovation, mais une part du parc doit bien entendu rester accessible aux ménages les plus pauvres.

Une offre accessible pour les personnes âgées à faible revenu dans les outre-mer est un impératif. J'en parlerai avec Naïma Moutchou, très impliquée sur ce sujet. Je suis preneur d'échanges avec vous.

La ligne budgétaire unique (LBU) empêche de disposer d'aides complémentaires de l'Anah ; c'est là aussi un sujet à regarder de près.

Quant au dispositif LLTS, mis en place en Guyane et à Mayotte pour résorber les bidonvilles, un décret le généralisant à l'ensemble des départements et régions d'outre-mer est en cours de discussion en interministériel. Nous visons une application début 2026.

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il est temps de remettre la question du logement pour tous au coeur du débat public. Nous traversons la pire crise depuis 1945 : trois millions de ménages attendent un logement social ; 125 000 recours au titre du droit au logement opposable ont été déposés en 2024, un record ; la production de logements sociaux est au plus bas depuis cinq ans, avec 85 0000 logements agréés en 2024 contre 125 000 en 2016.

Les choix faits depuis 2017 n'y sont pas étrangers. Réduction du loyer de solidarité, gel des APL, incertitude budgétaire autour du Fnap...

Le logement est un droit inaliénable. Le logement social n'est pas une charge, c'est un investissement d'avenir. Il soutient l'emploi et l'économie locale. L'immobilier, c'est aussi 97 milliards d'euros de recettes pour l'État en 2022 !

Il faut soutenir tous les types de logement. Le statut du bailleur privé, prôné par le rapport Daubresse-Cosson, permettrait la mise en location d'environ 90 000 logements par an d'ici à 2030. Il faudrait toutefois conditionner cet avantage fiscal à des loyers abordables.

Nous croyons tout particulièrement aux vertus du modèle français de logement social. Pour les jeunes, un logement autonome est la première condition d'accès à l'indépendance. Pour économiser 4 milliards d'euros sur les APL, l'État a mis en grande difficulté des millions de jeunes. Certes, les APL coûtent 19 milliards d'euros à l'État, mais il s'agit d'un investissement dans notre jeunesse, dans l'avenir de notre pays ! Il faut aussi favoriser l'accession des jeunes à la propriété, d'où l'intérêt de proroger le PTZ dans le neuf au-delà de 2027.

Face au coût du foncier et au coût du loyer, fournissons aux élus locaux des outils pour répondre aux besoins. Nous avons défendu de nombreuses propositions en ce sens : aide aux maires bâtisseurs, expérimentation d'un fonds de réhabilitation du bâti rural, d'un dispositif de réhabilitation du parc de logement social en zone peu dense. Il faut aussi redonner une marge de manoeuvre fiscale et lutter contre la spéculation foncière, via une refonte du régime des plus-values qui favorise la détention longue. Il faut pérenniser l'encadrement des loyers que la proposition de loi Bélim a étendu aux outre-mer. Enfin, j'ai déposé une proposition de loi visant à créer une tarification spéciale de l'électricité en faveur des locataires HLM.

Bref, notre groupe ne manque pas d'idées. Qu'envisagez-vous pour relancer la construction et pour lutter contre la cherté du foncier et des loyers ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Merci pour votre esprit constructif.

Notre politique, c'est le logement pour tous, un parcours résidentiel allant de l'hébergement d'urgence à la pleine propriété.

Sans le logement social, qui m'a vu grandir, je n'aurais pas eu ce parcours : j'y suis donc très attaché.

Le bailleur privé doit être au centre de nos politiques. Le plafonnement des loyers est évoqué dans le rapport Daubresse-Cosson. En tout état de cause, c'est vous qui trancherez.

La lutte contre la cherté du foncier sera au coeur du plan logement, car un foncier cher se traduit par des loyers chers, des Français pour qui le poids du logement devient insupportable, des familles qui s'appauvrissent. Je ne saurais l'accepter.

Mme Viviane Artigalas.  - La construction de logement est cruciale : elle crée des emplois et rapporte à l'État. Il faut rattraper le retard. Votre ministère a publié une étude très intéressante sur les besoins en constructions de logement, selon les bassins de vie et d'emploi, qui doit servir de base à la réflexion.

M. Pascal Savoldelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Le logement n'est pas un bien comme les autres. C'est un droit constitutionnel, conformément au préambule de la Constitution de 1946.

Or la nation ne tient pas cet engagement. Dans le Val-de-Marne, on dénombre 110 000 demandes de logement ! Pire, la nation facilite les expulsions. J'espère que vous n'avez pas l'intention de battre le triste record de familles mises à la rue revendiqué par l'ex-ministre Kasbarian, alors que les expulsions ont bondi de 29 % en un an.

Le statut du bailleur privé va accentuer la concentration du patrimoine, alors que 3 % des propriétaires possèdent déjà 50 % du parc locatif ! (M. Daniel Salmon le confirme en levant le pouce.) Les chiffres du mal-logement montrent pourtant combien modèle est inefficace.

Sans intervention publique, pas de solution ! Or vous rétablissez la ponction de 200 millions d'euros sur les bailleurs sociaux, vous prévoyez d'augmenter la RLS, vous ne relancez pas la construction.

Attaquez-vous au moins à la spéculation qui fait exploser les prix du foncier et de la construction, et aboutit à des loyers inaccessibles !

Ceux qui font le procès du logement social commettent une erreur. En Île-de-France, les plus pauvres ne sont pas logés dans le parc social, mais dans un parc privé souvent insalubre, aux mains de marchands de sommeil. La crise vient du parc privé ! Depuis 2000, les prix du foncier ont été multipliés par quatre, les loyers ont presque doublé dans l'agglomération parisienne, on dénombre 115 000 copropriétés dégradées. Constructeurs et particuliers ont du mal à vendre. C'est un cercle vicieux. Ils achètent des logements plus chers, et répercutent les coûts exorbitants sur les loyers.

L'encadrement des loyers a fait ses preuves : allez-vous le pérenniser ? Allez-vous encadrer le prix du foncier, comme le font certaines communes ? Agirez-vous sur le parc privé, à l'origine de la crise ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Oui, le logement est un droit inaliénable, désormais opposable. J'ai été un enfant du parc HLM ; en tant que maire, pendant dix ans, je me suis attaché à créer un parcours résidentiel passant par la construction et le soutien au logement social.

Je regrette que vous opposiez propriétaire et locataire et rejetiez le statut du bailleur privé. Il ne s'agit pas d'accroître les profits des gros investisseurs multipropriétaires, mais de permettre à des familles qui ont un petit bas de laine de l'investir dans la pierre, en leur assurant une rentabilité, pour loger plus de gens. Une piste sera de plafonner le nombre de logements concernés par la défiscalisation, pour bien viser les petits investisseurs familiaux.

Sur les copropriétés dégradées, nous avons lancé une mission de préfiguration sur l'Anru III. C'est un sujet clé.

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Enfin, j'aborde sans dogmatisme le débat sur l'encadrement des loyers.

M. Pascal Savoldelli.  - Bref, vous êtes prêt à pérenniser l'encadrement des loyers ? Il faut répondre clairement.

Sur les expulsions, vous avez choisi de ne pas me répondre. Sur l'encadrement des prix du foncier, expérimenté par certaines communes, idem. Sur le parc privé, idem. Vous dites que le logement social est une bombe sociale, mais vous allumez la mèche ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Toujours dans la nuance...

Mme Antoinette Guhl .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La crise du logement est une violence quotidienne. Elle enferme, empêche, fracture. Les besoins explosent, mais la production de logement social diminue, la rénovation énergétique stagne, les prix s'envolent. Face à cela, la politique du Gouvernement est insuffisante, indifférente, ou plutôt, absente.

Depuis 2017, la macronie, soutenue par la droite, a cassé les bailleurs sociaux et laissé s'installer une spéculation débridée au profit des plus riches.

M. Daniel Salmon.  - Très bien !

Mme Antoinette Guhl.  - Pour les écologistes, il faut remettre le logement social au coeur de l'action publique ; sortir de la spirale spéculative ; garantir un droit au logement réel ; prendre soin de notre jeunesse et de notre planète.

En privant les bailleurs sociaux de plus d'1 milliard d'euros par an avec la RLS, vous blessez les plus pauvres. Le budget 2026 s'annonce catastrophique. Toute la chaîne du logement s'effondre. Vous vous dites les rois de l'économie, mais plantez tout le secteur du bâtiment !

Sortons de la spirale spéculative : 11 milliards d'euros sur douze ans en niches fiscales, voilà les cadeaux que vous faites aux plus riches. Avec cette somme, on aurait pu construire 70 000 logements sociaux. Il faut supprimer les niches qui ne font qu'enrichir les multipropriétaires, limiter drastiquement la location touristique, imposer l'encadrement des loyers dans toutes les zones tendues.

Troisième urgence : garantir un droit au logement réel. Cela passe par l'interdiction des expulsions sans relogement, par une garantie universelle des loyers, par un permis de louer renforcé pour lutter contre l'habitat indigne.

Il faut une attention particulière à la jeunesse, alors que de 70 % des moins de 25 ans se logent dans le parc privé, qui est très cher, a fortiori pour les petites surfaces. Le logement représente 60 % de leur budget. Loger la jeunesse, c'est garantir l'avenir du pays !

La rénovation énergétique doit être massive et lisible. Nous refusons tout recul sur l'interdiction progressive des passoires thermiques.

Nous ne voulons pas de rupture avec une conception républicaine du logement. Nous ne voulons pas faire du logement une récompense méritocratique réservée à quelques-uns. Nous ne voulons pas de marché sans règle, pas de jeunesse abandonnée ou de territoire oublié. La crise du logement est une bombe sociale, réagissez ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K)

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - J'entends vos alertes. Le Gouvernement agit pour loger nos concitoyens, à commencer par les jeunes et les plus vulnérables.

J'allais répondre à M. Savoldelli que j'aborde la question de l'encadrement des loyers sans dogmatisme. Laissons le débat se faire, y compris avec les élus locaux. Il y a eu des bougés, des avancées, qui dépassent les clivages. Je défendrai toujours la liberté des élus locaux.

Enfin, j'entends lutter farouchement contre les passoires thermiques ; c'est un enjeu de pouvoir d'achat et de bien vivre pour les familles, mais aussi un enjeu écologique. Merci pour les combats que vous portez.

Mme Antoinette Guhl.  - Le budget 2026 parle pour vous : vous baissez les APL de 587 millions d'euros, vous réduisez la prévention de l'exclusion en privant les associations de moyens, vous laissez s'effondrer la rénovation énergétique. Les crédits du logement social sont très insuffisants. Vos belles paroles ne sont pas suivies d'actes...

Mme Mireille Jouve .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le logement, premier poste de dépense des Français, pèse lourdement sur le pouvoir d'achat des ménages. La crise affecte tous les territoires, urbains ou semi-ruraux.

Dans les Bouches-du-Rhône, en 2024, 94 % des 150 000 demandes de logements sociaux étaient en liste d'attente. Près d'un logement sur dix est indigne. Marseille concentre 40 000 logements dégradés, parfois insalubres, voire dangereux - rappelez-vous le drame de la rue d'Aubagne.

L'accès à la propriété est difficile pour les jeunes générations. En 1975, il fallait en moyenne dix années de remboursement pour acquérir un logement, contre vingt-trois aujourd'hui. Cela nourrit un sentiment de déclassement et d'injustice.

Les réponses techniques comme l'article 55 de la loi SRU ne sont pas forcément adaptées. Dans les Bouches-du-Rhône, la rareté et le coût du foncier disponible, les contraintes environnementales, la saturation des infrastructures ou le refus de permis de construire sont sanctionnés par des pénalités allant jusqu'à 1,3 million d'euros. On se donne bonne conscience en oubliant que le logement est d'abord une question politique.

Derrière cette pénurie de l'offre se chevauchent des politiques publiques éclatées, des dispositifs mal calibrés et le funeste « zéro artificialisation nette ». Ces injonctions contradictoires incitent certains propriétaires à laisser leurs logements vacants.

L'État s'est retiré de son rôle de pilote. Or le logement exige une vision d'ensemble, une stratégie cohérente. Comment comprendre qu'en France, on puisse manquer de toit ?

Les dernières lois de finances ont donné le sentiment d'un État hésitant, qui annule puis rétablit les crédits du Fnap et de l'Anru. Ne réduisez pas les 116 millions d'euros annoncés par la ministre Létard pour 2026 à un effet d'annonce. Le gel des APL en 2026 - pour réaliser 108 millions d'euros d'économies - touchera les plus fragiles. On ne peut se contenter de tels expédients.

Dans ces conditions, comment les acteurs du logement peuvent-ils remplir leur mission ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - L'habitat indigne concerne essentiellement le parc privé, vous avez raison. Une procédure existe permettant de geler le versement des APL au propriétaire, mais il faut en réduire les délais.

La production de logements est freinée par la complexité de notre système. La proposition de loi Huwart, en cours d'examen, nous apporte des outils puissants. J'espère une mise en oeuvre fin novembre.

Vous connaissez notre méthode : le Gouvernement propose, nous débattons et, à la fin, vous tranchez. Ainsi du gel des APL. Je fais confiance à la sagesse de cette assemblée pour trouver les meilleurs équilibres.

M. Yves Bleunven .  - Je remercie Mme Gacquerre, ainsi que Mmes Berthet et Artigalas, pour leurs propos.

Il y a un grave déséquilibre entre l'offre et la demande de logement, notamment chez les jeunes actifs. La crise du logement ne se règlera pas par la réglementation ou les aides, mais par la capacité à construire davantage, plus vite et à un prix convenable.

Le parcours résidentiel n'est plus aussi binaire qu'avant. Il faut inventer les « maillons manquants », innover, multiplier l'offre de logement, encourager toutes les formes d'habitats, modulables, réversibles, adaptés à l'évolution des besoins. Les élus locaux le savent. C'est pourquoi je plaide pour davantage de confiance envers les collectivités territoriales et pour un droit à l'expérimentation en matière d'urbanisme et de logement. Nous avons besoin d'une politique du logement décentralisée.

Le coût de la construction est souvent rédhibitoire. Ces vingt dernières années, le coût du logement a plus que doublé par rapport au revenu disponible. Nous pouvons agir sur le prix du foncier d'abord, en mobilisant mieux le foncier public, en encourageant les opérations de requalification urbaine, en luttant contre la spéculation ; sur l'accumulation des normes ensuite, parfois contradictoires et souvent complexes, en distinguant la norme utile de l'inutile.

Ouvrons un débat sur la transparence des coûts de la chaîne de valeur de la construction. L'indice des coûts de matériaux, qui avait explosé avec la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l'énergie, n'a guère baissé. La concentration des opérateurs dans une forme oligopolistique peut l'expliquer. Nous en reparlerons en commission.

Pour que les choses bougent, écoutons les maires, incitons les collectivités territoriales à innover et libérons les coûts de construction ! (Mme Amel Gacquerre applaudit.)

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Vos travaux ont mis en lumière les difficultés croissantes des jeunes pour se loger. Le Gouvernement souhaite, comme vous, offrir un vrai parcours résidentiel aux jeunes. Pour cela, nous croyons à la liberté d'action des collectivités territoriales pour adapter les réponses aux réalités locales. Un étudiant à Rennes n'a pas les mêmes problèmes qu'un jeune actif à Lorient ou Vannes.

Nous soutenons l'expérimentation de nouvelles formes d'habitat à l'instar des tiny houses, auxquelles vous êtes attaché, qu'il me tarde de venir voir sur place, ou les résidences modulaires, pourvu qu'elles s'intègrent dans le paysage et s'inscrivent dans une stratégie d'aménagement local et une logique durable et encadrée.

Quant aux coûts de construction, nous en reparlerons, en effet ; c'est un sujet majeur.

Mme Sabine Drexler .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France traverse une crise du logement inédite. Dans ce contexte, le bâti patrimonial ancien, antérieur à 1948 est un gisement majeur, hélas sous-exploité. Largement présent dans nos centres-bourgs et nos villages, il offre plusieurs millions de logements vacants ou sous-occupés.

Et pourtant : tout dans notre cadre réglementaire concourt à le pénaliser, des DPE inadaptés conduisant à des refus bancaires aux normes techniques complexifiant les réhabilitations. Pire, le ZAN, qui entraîne une course au foncier constructible, pousse à sa démolition.

Bref, alors que nous disposons d'un patrimoine bâti ancien susceptible de contribuer à la production de logements et à la sobriété foncière, nous encourageons sa disparition... Sa réhabilitation serait pourtant un fantastique défi pour nos architectes : valoriser l'existant en conciliant respect de l'histoire et exigences actuelles.

C'est aussi l'attractivité touristique de notre territoire qui est en jeu. L'Alsace accueille 17 millions de touristes par an, qui y dépensent 2 milliards d'euros. Pouvons-nous nous permettre de perdre cette manne ? Cessons de nous tirer des balles dans le pied ! Les Suisses, Autrichiens et Allemands jugent nos règles d'urbanisme absurdes.

Il est urgent de réviser le DPE, qui a fait tant de dégâts sur le bâti ancien, et de favoriser les rénovations en adaptant les normes techniques. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous.

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - En effet, le patrimoine architectural de nos villes et villages est extraordinaire et doit être préservé, comme vous l'avez souligné lors de votre mission flash. Je vous propose de nous rencontrer pour en parler.

Mme Sabine Drexler.  - Je suis à votre disposition.

M. Lucien Stanzione .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Comment faire face à la crise du logement ? Beau sujet, mais question lancinante. Les réponses sont connues depuis longtemps. Ce qui fait défaut, c'est la volonté.

Chaque automne, le Gouvernement redécouvre la crise du logement, s'en émeut, la commente, promet d'y répondre, mais les réponses disparaissent avec les feuilles mortes. C'est un cycle budgétaire aussi régulier que celui des saisons...

Dans le Vaucluse, la crise se voit et se vit. Les familles attendent des années un logement social, les maires s'épuisent à relancer des projets qui n'aboutissent pas et les villages se vident. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, plus de 10 000 nouvelles demandes de logement social ont été formulées en six mois !

Ce qu'on appelle « tensions sur le marché », c'est de la détresse sur le terrain. Dirigeant d'un bailleur social pendant plusieurs années, je connais les contraintes budgétaires, les chantiers qui n'aboutissent pas ou qu'on sauve de justesse ; je sais ce que représente un logement qui ne sort pas de terre.

Or le PLF prévoit moins d'APL, moins de MaPrimeRénov', plus de RLS. L'État se désengage sur les aides à la pierre. Les décisions tombent de Paris, les projets s'enlisent, la cohésion s'effrite.

À cela s'ajoute l'audace créative de l'amendement Labaronne-Attal : sous prétexte d'accélérer le bail réel solidaire, on relève le plafond d'éligibilité jusqu'à couvrir 90 % de la population. L'intention est généreuse, mais les effets seraient ravageurs.

J'ai connu des budgets contraints, des retards et des décisions absurdes, mais jamais je n'aurais cru qu'un gouvernement considérerait qu'un budget équilibré vaut plus qu'une famille logée. Ce n'est plus là une République sociale, mais comptable.

Quelle place pour le logement social dans la politique d'aménagement du territoire ? Comment rétablir la confiance entre l'État, les bailleurs sociaux et les élus ? Quelle est votre vision du bail réel solidaire, qui ne doit pas être un simple produit d'investissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Je ne peux pas laisser dire que l'État ne serait pas aux côtés des bailleurs sociaux. On discute de la RLS, mais nous avons la volonté de soutenir la création de logements sociaux.

M. Lucien Stanzione.  - J'ai dirigé des organismes pendant des années. Cette réponse, on l'entend tous les ans ; et tous les ans, les moyens diminuent. J'espère que vous aurez la force de défendre vos intentions dans le budget. Nous verrons bien dans quelques jours... Bon courage. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Lauriane Josende .  - Dans les Pyrénées-Orientales, la crise du logement est aiguë et singulière. Raréfaction du foncier aggravée par le ZAN, grande précarité, conditions climatiques de plus en plus extrêmes pèsent lourdement dans mon territoire.

Dans ce contexte, un phénomène inquiétant s'enracine : la cabanisation. Illégales, ces constructions occupent souvent des espaces agricoles ou naturels, en général à risque. On compte une centaine de nouveaux cas chaque année, et un vrai business se développe.

Depuis 2015, les services de l'État ont mis en place un dispositif, associant maires et parquet, qui facilite le repérage des lieux et l'appui juridique aux communes. Mais seulement vingt-deux démolitions ont été réalisées, du fait d'une procédure trop lourde et inefficace.

Le sentiment d'impunité met à mal l'autorité des maires, désemparés face à des situations humaines souvent dramatiques. Les professionnels du bâtiment souffrent et les honnêtes gens, qui respectent les règles d'urbanisme, se découragent. Ce phénomène mine la cohésion territoriale, en plus de fragiliser l'agriculture et d'accroître le risque incendie.

Monsieur le ministre, nous attendons que vous fassiez respecter le droit et protégiez nos habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Je suis très sensible à ce problème, qui menace la sécurité des personnes, l'environnement et les surfaces agricoles, ainsi que nos paysages. Je suis impatient que la proposition de loi Huwart entre en vigueur, car elle renforce les pouvoirs du maire et durcit les sanctions. Dès que le Conseil constitutionnel se sera prononcé, comptez sur moi pour demander aux préfets une mise en oeuvre rapide et rigoureuse.

Mme Lauriane Josende.  - La proposition de loi Huwart apporte des réponses, mais nous devons aller plus loin afin de raccourcir les délais. Il faut éviter de passer par le juge civil lorsqu'il y a urgence, notamment en cas de risque inondation ou incendie. Inspirons-nous de certains dispositifs en vigueur outre-mer.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il n'est plus temps de dresser un constat, il faut un électrochoc. Avec Marc-Philippe Daubresse, je propose cinq mesures pragmatiques et immédiatement applicables.

D'abord, solvabiliser les primo-accédants, notamment en consolidant le PTZ élargi et en facilitant les dons familiaux.

Ensuite, développer l'accession à prix maîtrisé en établissant un cadre juridique clair, avec des prix encadrés et un taux de TVA réduit.

Il faut aussi faciliter la construction en simplifiant les normes. Appliquons les PLU adoptés, assumons la verticalité dans les constructions, encourageons les maires bâtisseurs en fléchant une part de la taxe d'aménagement vers leurs communes. Il faut aussi simplifier le droit de l'urbanisme - M. Daubresse et moi y travaillons.

En outre, il faut faciliter la reconversion des bureaux en logements ; le potentiel est immense, mais les freins demeurent. Un taux de TVA à 5,5 % sur les ventes issues de reconversion serait simple et efficace.

Enfin, il faut relancer l'investissement locatif privé. Un amortissement de 5 % est indispensable pour redonner confiance aux investisseurs.

Ce sont des mesures de bon sens. Allez-vous les intégrer à votre grand plan ? En attendant le grand soir de 2027...

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Merci pour ces propositions. Vous êtes là au coeur de ce que j'appelle le plan Logement. Avoir une loi qui porte mon nom ne m'intéresse pas ; ce qui m'importe, c'est de relancer la construction et de loger dignement les familles. Ce plan a vocation à être nourri par vos propositions. Coécrivons-le.

Mme la présidente.  - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement .  - Merci pour la qualité de nos échanges, preuve de la sagesse et de la rigueur des sénateurs - venant de l'Assemblée nationale, c'est un vrai plaisir...

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Ce n'est pas la même ambiance !

M. Vincent Jeanbrun, ministre.  - Vous n'avez pas attendu ce gouvernement pour vous saisir de la question. Deux rapports et six propositions de loi ont été adoptés par votre assemblée cette année. Nous partageons le même constat : la France et l'Europe traversent une crise du logement inédite, qui alimente un sentiment de déclassement, dont se nourrit le populisme.

Cette crise tient à des facteurs conjoncturels - inflation des matériaux, pénurie de professionnels -, mais aussi structurels - évolution des modes de vie, saturation du parc social. Nous n'avons pas le droit de nous résigner. Ma mission est claire : bâtir un plan Logement partout et pour tous. Je vous propose de le coconstruire, brique après brique, avec un objectif : construire bien et pour longtemps.

Nos riches échanges dessinent l'ambition du plan Logement. J'ai hâte d'y travailler avec vous. Certaines mesures relèvent de l'urgence ; d'autres s'inscrivent dans une vision de moyen et long terme. Nous ferons les deux.

Il faut mieux sécuriser les statuts du propriétaire et du locataire, faciliter la primoaccession, simplifier les normes, trouver un équilibre entre logement social, intermédiaire et parcours résidentiel.

Comme le dirait Jean-Louis Borloo, il ne faut pas gâcher une bonne crise. Relevons ce défi avec ambition et esprit collectif - ce qui est bien la marque du Sénat.

M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Loin du vacarme de l'Assemblée nationale, vous avez entendu, monsieur le ministre, des propos mesurés, concrets et respectueux.

Depuis quatre ans, sur toutes les travées, nous tirons la sonnette d'alarme. Les politiques des gouvernements successifs ont souvent été néfastes et irresponsables. Il a fallu attendre la nomination de Valérie Létard pour que l'on nous écoute.

J'ai connu, à votre place, une crise du logement importante. De 230 000 constructions neuves par an, nous sommes passés à 486 000 avec Jean-Louis Borloo. Preuve qu'il est possible de redresser la barre. Encore faut-il résister à l'aveuglement comptable de Bercy.

Il n'y a que 9 000 ventes dans le privé cette année, six fois moins qu'il y a cinq ans. Tous les segments sont touchés par la catastrophe. J'ai tenté d'en parler il y a trois ans au Président de la République, mais me suis heurté à un mur. Il n'aime pas les propriétaires et ne comprend pas les ressorts de cette crise.

Il faut un plan pluriannuel qui garantisse des financements dans la durée, sinon Bercy cherchera toujours à reprendre ce qui a été donné.

Le statut du bailleur privé locatif, qui a fait l'objet d'un amendement transpartisan à l'Assemblée nationale, est un sujet important. Le niveau d'amortissement doit être élevé, pour créer un choc de confiance : 5 % dans le neuf, 4 % dans l'ancien. Nos collègues socialistes ont raison de souligner qu'il ne faut pas favoriser Louis Vuitton, mais les petits bailleurs privés, qui sont les plus nombreux. Près de 75 % des propriétaires privés ont deux ou trois logements, et non pas dix ou vingt...

Dominique Estrosi Sassone l'a dit : nous manquons cruellement d'une loi de refondation avec des financements pluriannuels.

Il faut baisser, voire supprimer, la RLS et relancer l'accession à la propriété grâce à l'élargissement du PTZ - je le connais bien, j'en suis pour ainsi dire le papa ! Résistons aux tentatives de rétrécissement de Bercy, qui touchent les plus vulnérables. Il faut aussi supprimer le taux maximal d'effort et encourager la reconversion des bureaux et du foncier commercial.

Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur notre vigilance et notre soutien pour que la politique du logement soit orientée non par Bercy, mais par vous ! (M. Jean-Baptiste Blanc applaudit.)

La séance est suspendue à 20 heures.

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? », à la demande du groupe SER.

M. Thierry Cozic, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Bernard Buis applaudit également.) L'heure du bilan économique tant vanté du macronisme semble avoir sonné.

Avec 100 milliards d'euros de dividendes et de rachats d'actions en 2024 -  record historique et européen  - , il est grand temps de s'interroger sur les réformes de la fiscalité du capital depuis huit ans, dans un pays où la pauvreté touche 10 millions de personnes -  record historique là aussi... Le mandat d'Emmanuel Macron a fait plonger 1,2 million de personnes dans la pauvreté.

Depuis le milieu des années 1960, le niveau moyen de taxation des revenus du capital est resté stable, alors que celui des revenus du travail a fortement augmenté.

En France, la taxation des sociétés a fortement augmenté au cours des années 1970, puis a diminué jusqu'au milieu des années 1990, pour atteindre un niveau historiquement bas d'environ 15 %. Même évolution pour la taxation des revenus des capitaux entre les années 1970 et 1990, même si cette taxation a ensuite augmenté depuis le début des années 1990. En revanche sur la même période, la taxation des revenus du travail n'a cessé d'augmenter.

Plusieurs changements structurels expliquent ces évolutions : mondialisation, nouvelles technologies et déréglementation du marché du travail. La libéralisation financière a également réduit le taux moyen d'imposition sur les sociétés et les revenus du capital, à la faveur de la montée en puissance des investisseurs institutionnels. La fiscalité s'est donc davantage portée sur les revenus du travail, moins mobiles.

En 2007, dans le Financial Times, Alan Greenspan observait que « la part des salaires dans le revenu national aux États-Unis et dans d'autres pays développés atteint un niveau exceptionnellement bas. ». La même année, la Banque des règlements internationaux (BRI) notait que « la part des profits est inhabituellement élevée et la part des salaires inhabituellement basse. » Depuis, le phénomène s'est accentué.

La politique de l'offre devait conduire à un ruissellement ; tel ne fut pas le cas. Pourtant le Président de la République n'a eu de cesse de réduire la taxation des grands groupes, à grands frais. Le taux de l'impôt sur les sociétés est ainsi passé de 33 % à 25 % entre 2016 et 2022. Conséquence : alors que le bénéfice fiscal des redevables de l'impôt sur les sociétés a augmenté de plus de 71 %, le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté n'a augmenté que de 31 %.

Pire, les entités qui ont le plus bénéficié de cette baisse massive sont les plus grands groupes. Selon l'Insee, le montant d'impôt sur les sociétés dont ils se sont acquittés, rapporté à leur excédent net d'exploitation, a diminué de cinq points sur 2016-2022, pour atteindre 14,3 %. C'est bien plus que ce qu'ont obtenu les PME, dont le taux implicite d'impôt sur les sociétés s'établit à 21,4 % en 2022. Jamais le capital n'a été aussi gâté. Cette politique de l'offre a été inefficace et coûteuse, au point d'avoir fait dérailler notre déficit.

Mais tous n'ont pas été perdants : les 500 personnes les plus riches de France ont vu leur fortune multipliée par six au cours des seize dernières années, grâce à nos décideurs publics. Depuis que le Président Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a crû de plus de 114 % et les rachats d'action de 286 %, alors que le Smic brut n'augmentait que de 19 % et le salaire moyen brut de 15 %. Le Gouvernement s'est toujours opposé à une augmentation minime du Smic, qui aurait pourtant permis un choc de demande et des gains de productivité.

Voilà le choix économique fait depuis huit ans : une politique de l'offre -  presque de l'offrande  - qui accroît les marges des entreprises et vise un plein emploi dégradé, au prix de la baisse de la productivité, de la précarisation des travailleurs et de la destruction de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État .  - Ce débat renvoie à la question des finances publiques, mais aussi à la nature de notre contrat social. C'est certes une question budgétaire, mais d'abord économique, sociale et politique.

La première urgence est sociale : les Français ont le sentiment que le travail ne paie plus. L'écart entre salaire brut et salaire net, l'insuffisante mobilité salariale, le poids des dépenses contraintes -  logement, transport  - rognent le pouvoir d'achat et minent le contrat social.

La seconde urgence est économique, en raison de l'accélération des investissements. La Chine dégage un capital considérable qu'elle met au service d'une ambition stratégique, menaçant la souveraineté européenne. Les États-Unis mobilisent aussi massivement des capitaux pour investir en faveur de l'IA.

Le lien entre ces deux urgences, c'est la croissance. Si nous avions le taux de productivité des États-Unis ou le taux d'emploi de l'Allemagne, nous n'aurions plus de problème de finances publiques.

J'en tire quatre conclusions. La première, c'est que nous devons réduire la dépense publique pour éviter une nouvelle explosion des prélèvements obligatoires. Selon l'étude indépendante de France Stratégie, la France est championne pour la taxation du travail et du capital.

La seconde, c'est qu'il convient d'éviter la notion fourre-tout de « capital » : parlons plutôt de l'épargne des Français et de son usage. Nous devons encourager la réindustrialisation plutôt que la rente. D'où la baisse des impôts de production depuis 2018, poursuivie dans ce projet de budget.

Lutter contre les rentes, c'est lutter contre l'optimisation fiscale abusive, mais aussi le blanchiment et la fraude. (Mme Nathalie Goulet acquiesce.) D'où la contribution différentielle sur les hauts revenus, la suppression de niches fiscales et la taxe sur les rachats d'actions.

Troisième conclusion : si nous voulons éviter que le capital se joue des frontières, nous devons nous coordonner à l'échelon européen et international. L'instauration d'une imposition minimale des sociétés dans le cadre de l'OCDE montre que c'est possible. Nous devons faire la même chose pour les très grandes fortunes : la France a lancé des travaux en ce sens à l'occasion du G20 qui s'est tenu au Brésil.

Nous devons aussi réfléchir au financement de notre protection sociale, qui repose essentiellement sur le travail, en revoyant l'assiette de la protection sociale afin qu'elle n'écrase pas le pouvoir d'achat des actifs. (Exclamations sur les travées du groupe SER)

La fiscalité est avant tout affaire de confiance. L'impôt n'est accepté que s'il est compris et juste. (Mêmes mouvements) Nous devons donc rendre notre fiscalité plus juste, en demandant des efforts à ceux qui peuvent en faire. D'où la contribution différentielle sur les hauts revenus et la surtaxe de l'impôt sur les sociétés. (M. Thomas Dossus renchérit.)

Notre fiscalité doit aussi être stable, sans quoi cela crée de la méfiance et sape la confiance en l'impôt. La France a une passion fiscale, tous partis confondus, car il est plus facile d'augmenter les impôts que de s'attaquer à nos politiques publiques, ce qui devrait pourtant être notre priorité. (M. Bernard Buis applaudit.)

M. Emmanuel Capus .  - Alors que les Turcs étaient aux portes de Constantinople, les Byzantins débattaient du sexe des anges.

M. Olivier Paccaud.  - C'est vrai...

M. Emmanuel Capus.  - Ce soir, alors que la France craque, que l'hôpital est exsangue, que les collectivités territoriales sont à l'os, nous allons débattre des impôts que souhaitent créer les socialistes. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe SER)

Comme si la frénésie fiscale des députés ne suffisait pas et comme si nous n'étions pas déjà les champions du monde des prélèvements ! Ce débat est décalé, lunaire... (M. Thierry Cozic proteste.) Si la gauche était au pouvoir, l'alternative serait simple : augmentation des impôts ou augmentation des impôts.

Pourtant, notre seul débat devrait porter sur la baisse de la dépense publique. Pas moins de 82 % des Français préfèrent que nous baissions la dépense publique plutôt que d'augmenter à nouveau les impôts.

Quelle dépense publique le Gouvernement proposera-t-il de baisser afin de rendre leur argent aux Français ? (Mme Émilienne Poumirol lève les bras au ciel ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Delahaye applaudit également.)

M. David Amiel, ministre délégué.  - Oui, la dépense publique devrait être au coeur de nos débats. Voilà pourquoi le Gouvernement a proposé un effort inédit sur les dépenses de l'État.

Les deux postes qui ont le plus augmenté depuis trente ans sont les retraites et les dépenses d'assurance maladie, en raison du vieillissement de la population. (Mme Émilienne Poumirol renchérit.) Pour maîtriser notre trajectoire, nous devons nous attaquer à des dépenses moins prioritaires.

Si nous devons concentrer les moyens de l'assurance maladie là où nous en avons besoin -  modernisation de l'hôpital, notamment  - , d'autres dépenses médicales devront être réduites.

S'agissant des retraites, il est évident que nous devrons travailler plus longtemps.

Mme Émilienne Poumirol.  - Jusqu'à 68 ans ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Certes, il n'existe pas de consensus politique au Parlement, mais j'espère que la conférence lancée ce matin avec les partenaires sociaux permettra de dégager des scénarios sur lesquels les Français se prononceront.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.) L'an dernier, le rapport Bozio-Wasmer soulignait que la politique de réduction des cotisations sociales avait créé un mur de charges, freinant la progression salariale des classes intermédiaires. Le RSA, la prime d'activité et les aides au logement ont accentué ce phénomène. Les allègements de charges sont trop concentrés et ne montent pas assez haut.

L'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 réforme assez modestement les allègements généraux. Alors qu'il faut lutter contre la smicardisation et les trappes à bas salaire, le Gouvernement entend-il poursuivre cette réforme pour aller jusqu'à 3,5 Smic ? Cela permettrait de soutenir les salaires intermédiaires et d'améliorer la compétitivité des entreprises sur les niveaux de rémunération les plus exposés à la concurrence internationale.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Le rapport Bozio-Wasmer rappelle que les allègements de charges ont permis la création massive d'emplois.

Les allègements de charges apparaissent comme des dépenses publiques, mais c'est un artefact comptable.

Certains à gauche réfléchissent à la possibilité de rendre les cotisations sociales progressives.

La massification des allègements de charges au niveau du Smic a créé de l'emploi, mais aussi des trappes à bas salaires. Le PLFSS prévoit donc de modifier la courbe des allègements de charges.

M. Bernard Buis .  - Je profite de ce débat pour aborder une question, non pas nouvelle - le candidat Hamon l'avait proposée en 2017, afin de financer sa proposition de revenu universel -, mais peu présente dans le débat budgétaire : la taxation des robots, des applications digitales et de l'IA.

Est-il justifié que le robot ne donne lieu à aucune cotisation sociale, alors qu'il nécessitera lui aussi des soins... En mai dernier, Michel-Édouard Leclerc imaginait que ces applications paient une part de charges sociales. Il ne s'agit pas de freiner l'innovation, mais de répondre à une question éthique et de rapport au travail.

Que pensez-vous d'une telle taxation pour préserver notre modèle social ? Une telle réflexion ne mérite-t-elle pas d'être menée à l'échelon européen pour éviter tout exil fiscal ? Ma question a été travaillée avec l'aide non pas de l'IA, mais d'un collaborateur, en chair et en os.

M. Pascal Savoldelli.  - Bravo !

M. David Amiel, ministre délégué.  - Il n'y a pas de consensus économique sur l'impact de l'IA sur l'emploi.

S'agissant des robots, les travaux de Philippe Aghion montrent que la robotisation permet aux entreprises de rester compétitives et donc de créer de l'emploi - voyez l'exemple allemand.

Il faut réfléchir à l'assiette de la protection sociale sans pour autant peser trop lourdement sur l'appareil productif. Intéressons-nous plutôt aux rentes.

Nous devons travailler au niveau européen, comme pour le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) ou la taxation des géants du numérique.

Nous n'en sommes qu'aux balbutiements de l'IA. Notre fiscalité devra être refondue. De même qu'il faut encourager le capital vert au détriment du capital brun, pour tenir compte de la transition écologique.

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Gouvernement a choisi de baisser les impôts de production au nom de la compétitivité, de l'investissement et de l'emploi. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous, selon l'Institut des politiques publiques (IPP). Des milliards d'euros dépensés, sans effet ! Et pourtant, le Gouvernement poursuit dans la même voie : la baisse de la CVAE aura un coût de 1,1 milliard d'euros (M. Olivier Rietmann s'exclame), avant sa suppression d'ici à 2028.

Vous confondez politique économique et politique du chèque en blanc. À la fin, ce sont quelques actionnaires du CAC 40 qui y gagnent et non les Français, hélas ! Monsieur le ministre, croyez-vous encore sincèrement à la théorie du ruissellement ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Je crois à la politique de l'offre. Renforcer l'appareil productif français doit être une priorité transpartisane -  voyez les pays scandinaves. D'ailleurs, la politique de l'offre a commencé sous François Hollande (Mme Émilienne Poumirol le reconnaît en souriant) : rapport Gallois, loi El Khomri... (MmeFrédérique Espagnac et Annie Le Houerou protestent.) Ces politiques, qui ont permis de redresser la compétitivité française, ont été poursuivies sous les deux mandats d'Emmanuel Macron.

Citez donc intégralement les études de l'IPP : il n'y a pas eu de coût budgétaire, car l'effet d'assiette, qui a augmenté, a compensé l'effet de taux, qui a baissé. (M. Thomas Dossus s'exclame.) De plus, notre pays est encore le plus attractif d'Europe, pour la cinquième année consécutive ; le taux de chômage est historiquement bas...

M. Thierry Cozic.  - Il remonte !

Mme Isabelle Briquet.  - Selon Eurostat, le taux de chômage est de 7,6 %, en juillet 2025, contre 7,4 % un an plus tôt, alors qu'il baisse ailleurs dans la zone euro. Si la baisse des impôts de production était la solution miracle, pourquoi la France ne suit-elle pas cette tendance européenne ? C'est de l'aveuglement budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Émilienne Poumirol.  - Très bien !

M. Pascal Savoldelli .  - Monsieur le ministre, percevez-vous les déséquilibres ? Les revenus financiers ont progressé deux fois plus vite que le PIB et trois fois plus vite que les salaires depuis 2017 : pas terrible comme bilan ! Les dividendes ont atteint un record absolu en 2025. Donc les revenus du capital s'envolent, quand ceux du travail piétinent.

La fiscalité a cessé de jouer son rôle d'amortisseur, pour être transformée depuis 2018 en un instrument de reproduction des inégalités. Le taux marginal est de 30 % pour les revenus financiers, contre 45 % pour les revenus du travail.

Quelle est la stratégie de l'État face à cette dynamique ? Celle que vous défendez - la protection des grandes fortunes, assises sur le non-travail - ou le rétablissement de la progressivité de l'impôt et la protection des revenus du travail ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

M. David Amiel, ministre délégué.  - J'ai l'impression que vous décrivez les Etats-Unis, où les inégalités de revenus ont explosé.

Mme Émilienne Poumirol.  - Chez nous aussi !

M. Thierry Cozic.  - 15 % !

M. David Amiel, ministre délégué.  - Chez nous, le partage de la valeur ajoutée entre capital et travail n'a quasiment pas bougé en cinquante ans, car notre système fiscal est très redistributif. L'écart entre les plus pauvres et les plus riches est massivement réduit par notre système de prélèvements.

Nous avons cependant deux difficultés. D'une part, les plus grandes fortunes, en optimisant leur imposition au travers de holdings et grâce à la directive européenne mère-fille, se soustraient à leur taux d'impôt normal : nous souhaitons y remédier dans le PLF. D'autre part, le coeur du malheur français, c'est l'absence de mobilité sociale : il faut six générations à un enfant de classe populaire pour rejoindre les classes moyennes, une éternité ! Le malheur français, c'est aussi le chômage de masse qui frappait les classes populaires. Une politique économique de création d'emplois contribue à la justice sociale.

M. Pascal Savoldelli.  - Depuis 2017, on a supprimé l'ISF, instauré la flat tax, effacé la CVAE, réduit l'impôt sur les sociétés : tout cela sans conséquence ? En réalité, la charge fiscale a été déplacée du capital vers le travail. Montant de l'addition pour les salariés : 62 milliards !

M. Thierry Cozic.  - Très bien !

M. Thomas Dossus .  - Merci au parti socialiste pour ce débat. Au niveau mondial, sur les cinquante dernières années, la taxation des revenus du capital a baissé de 5 points quand celle sur les revenus du travail a augmenté de 10 points. S'agissant de la France, l'IPP a mis en lumière l'inégalité devant l'impôt. D'où l'article 3 du PLF sur les holdings.

À gauche, nous privilégions la fameuse taxe Zucman. On nous a rétorqué l'argument de l'exil fiscal... Mais d'après le Conseil d'analyse économique, l'exil fiscal serait relativement modeste, avec un effet marginal sur l'économie française.

Selon Tocqueville, sous l'Ancien Régime, l'impôt pesait sur ceux qui étaient les moins capables de s'y soustraire. Sommes-nous donc revenus à l'Ancien Régime ? À partir de quel niveau de capital est-il autorisé de payer moins d'impôts en menaçant de quitter le pays ? (M. Patrick Kanner et Mme Émilienne Poumirol applaudissent.)

M. David Amiel, ministre délégué.  - Lisez donc les propos du président du Conseil d'analyse économique : les effets comportementaux de la taxe Zucman seraient tels que le rendement espéré serait divisé par quatre. (M. Thomas Dossus le conteste.)

Tirons également les leçons du passé sur l'intégration des biens professionnels dans l'assiette fiscale. En 1981, l'impôt sur les grandes fortunes devait intégrer les actifs professionnels. Ce fut une telle catastrophe économique que le gouvernement de Pierre Mauroy revit sa copie.

Mme Guylène Pantel .  - (M. Bernard Buis applaudit.) Une fiscalité acceptée est une fiscalité équitable. Elle reflète notre façon de valoriser le travail, le capital et la solidarité pour tous. Selon la Fondation Jean Jaurès, 33 % des Français ne sont pas du tout d'accord -  et 32 % pas d'accord  - avec l'affirmation selon laquelle le système fiscal français est juste. Nous taxons moins le capital que le travail : notre système fiscal mérite d'être repensé, en veillant à ne pas surtaxer le travail, à ce que le capital contribue de façon juste à l'effort collectif, et que l'impôt soit considéré comme un outil de solidarité et non comme une sanction.

Épouse d'artisan, j'ai été sensibilisée à la situation de celles et ceux, artisans, commerçants, petits entrepreneurs, qui font vivre notre territoire, mais qui se heurtent à une fiscalité déconnectée de leur réalité quotidienne. Reconnaissez la contribution de ce travail indépendant !

Par ailleurs, il faut préparer l'avenir, alors que notre pays vieillit. Comment le Gouvernement compte-t-il adapter la fiscalité à la nouvelle donne démographique ? Quelles mesures envisage-t-il pour mieux accompagner artisans, commerçants et indépendants qui se heurtent à une fiscalité trop complexe ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - L'effort demandé doit se concentrer sur les plus grandes entreprises et non sur les PME ou les ETI, dont certaines sont en situation délicate. D'où les seuils de 1 et 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour la surtaxe d'impôt sur les sociétés. Des baisses d'impôts sont aussi proposées, notamment celle de la CVAE qui bénéficie aux PME et aux ETI.

Ensuite, l'opacité de notre système fiscal mine le consentement à l'impôt. Pour compenser un taux d'imposition facialement élevé, les niches sont nombreuses. Réduisons le nombre de niches et baissons les taux, pour plus de transparence.

Enfin, il faut continuer à accompagner les entreprises, en simplifiant encore, comme nous l'avons fait avec le droit à l'erreur.

M. Vincent Delahaye .  - (Mme Nathalie Goulet applaudit.) En France, les prélèvements pèseraient trop sur le travail et pas assez sur le capital ? Faux ! Selon l'OCDE, la France reste, en dépit des réformes Macron de 2018, l'un des pays qui taxent le plus le capital. Si l'on additionne les impôts touchant son stock, son rendement et ses différentes mutations, le capital n'est pas sous-taxé, mais surtaxé.

M. Emmanuel Capus.  - Très bien !

M. Vincent Delahaye.  - Et ce n'est pas le PLF 2026 qui va améliorer les choses. Le taux d'impôt sur les sociétés atteindrait 34 %, soit 13 points de plus que la moyenne de l'OCDE. La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus propulse le taux d'imposition des revenus de capitaux mobiliers à 37,2 %, deux fois le taux pratiqué par l'Espagne socialiste ! Si l'on combine les deux, un même capital est taxé à près de 60 %.

C'est suicidaire, car la surtaxation du capital dissuade la formation de capitaux nouveaux. Moins de capital, c'est une productivité du travail et des salaires réels plus faibles, ou un chômage plus élevé si les salaires sont rigides. Opposer capital et travail n'a aucun sens économique. Les pays qui traitent mieux le capital que nous, à commencer par nos voisins, l'ont bien compris, à nos dépens.

Votre gouvernement va-t-il rayer d'un trait de plume les réformes de 2018, au nom de la stabilité, mais au détriment de notre prospérité ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

M. David Amiel, ministre délégué.  - Le texte proposé par le Gouvernement ne prévoit rien de tout cela ; il poursuit la baisse des impôts de production.

La surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, instaurée par le gouvernement Barnier à un taux supérieur, doit rester temporaire. Nos entreprises industrielles sont confrontées à une concurrence asiatique féroce dans le domaine de la sidérurgie, de la chimie ou de l'automobile. Rares sont les industriels qui nous demandent d'augmenter les charges et les impôts...

Si notre débat de ce soir s'intitulait « Réindustrialisation et investissement productif », nous serions tous ici à parler de concurrence déloyale, de compétitivité... Mettons nos discours en cohérence ; sans quoi, ce sont les industriels, et donc leurs ouvriers, qui paieront l'addition.

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nos PME affrontent de nombreux défis. L'imprévisibilité fiscale étouffe la confiance et freine l'investissement. Ces entreprises, enracinées dans les territoires, sont le coeur battant de notre souveraineté économique.

La part de l'industrie dans notre richesse nationale n'est plus que de 14 %, contre près du double il y a trente ans. En cause : le découragement des entrepreneurs et la peur d'investir.

La fiscalité française demeure l'une des plus lourdes d'Europe, en particulier pour les PME. La suppression progressive de la CVAE est une avancée, mais la trajectoire doit être respectée. Nos chefs d'entreprise attendent non des faveurs, mais un cadre fiscal lisible et stable.

La transmission des entreprises constitue également un enjeu majeur. En Mayenne, nombre de PME familiales n'ont pas de successeur ; les contraintes fiscales freinent les reprises. Préserver la transmission, c'est préserver des emplois, des savoir-faire et la vitalité de nos territoires. La véritable justice est de récompenser ceux qui entreprennent et de valoriser le travail.

Comment comptez-vous garantir la stabilité du cadre fiscal, encourager le capitalisme familial et préserver la transmission des entreprises ? Quelle est la position du Gouvernement sur le pacte Dutreil, si précieux pour les entreprises ? (MM. Olivier Rietmann et Emmanuel Capus applaudissent.)

M. David Amiel, ministre délégué.  - Lutter contre la concurrence internationale, c'est agir sur les importations, mais aussi préserver notre tissu industriel de la prédation étrangère. Le pacte Dutreil a été institué pour faciliter la transmission d'une entreprise familiale aux descendants plutôt que de la livrer à l'appétit des fonds d'investissement - américains naguère, orientaux demain. Il est vital de le préserver, alors que se profile une vague de transmissions.

Réserver le pacte Dutreil aux petites entreprises serait absurde, car ce sont les ETI qui sont la cible des manoeuvres de prédation.

Au cours de nos débats, nous aurons l'occasion d'ajuster tel ou tel paramètre, mais le maintien du pacte Dutreil un enjeu de souveraineté économique et de maîtrise de nos emplois.

Mme Frédérique Espagnac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En 2023, l'OCDE notait que les revenus du capital étaient moins taxés que les revenus du travail. En France, l'écart est de quatorze points. La question de la justice fiscale se pose avec acuité.

Avec la valorisation croissante des patrimoines financiers et immobiliers, les plus-values dites latentes, c'est-à-dire non encore réalisées, mais constatables sur les actifs détenus, représentent une richesse réelle qui alimente les inégalités patrimoniales croissantes.

Plusieurs pays ont envisagé ou expérimenté une taxation partielle de ces plus-values latentes, notamment pour les plus aisés.

Seriez-vous prêt à expérimenter une taxation des plus-values latentes applicables aux très hauts patrimoines ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - La France taxe plus le travail et le capital que ses voisins européens. Nous avons la même structure de prélèvements obligatoires que les autres, à une exception près : nous taxons davantage le stock de capital que nos voisins. Les pays scandinaves ont même aboli un certain nombre d'impôts sur la fortune.

Taxer les plus-values latentes impliquerait de reconstituer l'histoire d'un bien depuis plus de trente ou quarante ans. Une personne qui léguerait un appartement acheté dans les années 1970 se verrait taxée sur la plus-value. Cela me paraît fou.

Il faut plutôt aborder la question de la taxation des très hauts patrimoines sous l'angle du contournement de l'impôt - notamment la question des holdings. C'est la meilleure façon de procéder.

Ce n'est pas un hasard si ce que vous proposez n'a été fait dans aucun autre pays. (Mme Frédérique Espagnac le conteste.) Il faut plutôt s'assurer que les impôts prévus sont effectivement payés et, sinon, corriger les dispositifs permettant d'y échapper.

Mme Frédérique Espagnac.  - Si, cela a été fait, et même expérimenté aux États-Unis. (M. David Amiel le conteste.)

Le budget 2026 est l'occasion de donner un cap pour plus de justice fiscale en dégageant de nouvelles recettes.

On estime que les plus-values latentes des 10 % des plus riches représenteraient 1 300 à 1 500 milliards d'euros. Taxer ce capital chaque année entre 1 et 2 % rapporterait 30 milliards d'euros. Songez-y !

Mme Nathalie Goulet.  - Nous aurons rétabli ce soir le clivage droite-gauche !

M. Thomas Dossus.  - C'est vrai !

Mme Nathalie Goulet .  - Ce débat nous rappelle les grands ténors d'antan qui défendaient qui le capital, qui le travail...

L'héritage est-il « ce truc qui vous tombe du ciel », comme l'a affirmé la présidente de l'Assemblée nationale ? Je ne le crois pas.

Il est faux de prétendre que le capital serait sous-taxé : seules la Corée du Sud et la Belgique taxent plus que nous les droits de succession et de donation.

Les taux appliqués aux successions et donations en ligne collatérale ou entre non-parents sont quasi confiscatoires, 55 % et 60 % respectivement, avec des abattements dérisoires. Une somme de 20 000 euros reçue d'un oncle sera taxée à 33 % ! Dans un contexte sociologique et familial profondément transformé, ne faut-il pas éradiquer ces discriminations fiscales ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Il est légitime de réfléchir à une adaptation de la fiscalité des successions et donations à l'évolution des familles. Député, j'avais déposé un amendement visant à relever l'abattement pour les beaux-enfants, qui n'est que d'environ 5 000 euros.

Plus largement, la part du patrimoine hérité est désormais supérieure à celle du patrimoine acquis par une vie de travail. C'est le reflet d'une croissance atone, de salaires nets trop faibles et de la flambée des prix de l'immobilier. Ne plus pouvoir acquérir un logement sans l'aide de ses parents est un affront à la méritocratie. Toutes nos marges de manoeuvre budgétaires doivent être consacrées à revaloriser le travail.

Mme Nathalie Goulet.  - Quid des successions agricoles, qui conditionnent les reprises d'exploitations ? Il faut y réfléchir posément.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le patrimoine est bien souvent le fruit du travail et de la transmission. Or notre fiscalité sur le capital représente 12 % du PIB, contre 9 % en moyenne dans l'Union européenne. Dans un marché unique, cette pression illustre la tension entre souveraineté fiscale nationale et liberté de circulation européenne.

Hétérogène, cette imposition varie selon la nature du capital considéré : clémente sur l'assurance vie ou les plus-values à long terme, lourde sur le capital productif et entrepreneurial. D'où des distorsions dans l'allocation de l'épargne.

Le principe de nécessité, qui veut que l'impôt soit justifié par une dépense publique utile et efficiente, est mis à mal par une fiscalité qui décourage l'investissement productif, créateur d'emplois. Le principe d'égalité vacille quand le patrimoine issu du travail est autant taxé.

Il ne faut pas opposer capital et travail, mais restaurer un équilibre qui reconnaisse la valeur du risque et oriente l'épargne vers la production.

Nous sommes champions toutes catégories en matière d'imposition, et même double médaillés d'or sur le patrimoine et la transmission. Peut-être pourrions-nous descendre du podium ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Nous sommes entrés dans une période d'ajustement budgétaire, comme après toutes les grandes crises. Selon le Conseil d'analyse économique, il nous faut dégager entre 110 et 120 milliards d'euros pour stabiliser notre dette. C'est une réalité mathématique.

La réflexion sur la fiscalité doit donc être ciblée, car nous ne pourrons pas tout faire. Votre approche est la bonne : nous devons privilégier une préférence productive.

L'urgence sociale, c'est que le travail paie. L'urgence économique, c'est défendre notre tissu productif et industriel face aux bouleversements. Il nous faut, dans le même mouvement, baisser les prélèvements sur les travailleurs - sans quoi le contrat social ne tiendra pas - et réduire la pression sur les entreprises qui produisent. Si l'on a fragilisé les actifs et laissé notre tissu industriel être balayé par les concurrents internationaux, la décennie à venir sera très difficile.

Mme Annie Le Houerou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dix millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, alors que le montant des 500 plus grandes fortunes a plus que doublé depuis 2017 pour atteindre 1 200 milliards d'euros. Une plus juste redistribution s'impose.

La fiscalité du travail vise à financer les prestations sociales contributives ; la fiscalité du capital, à taxer la rente et à limiter la concentration des richesses pour financer la solidarité nationale.

La redistribution, le financement de la protection sociale et de la dette sont assurés de manière disproportionnée par le travail. Les classes moyennes sont imposées à 50 % ; les ultra-riches, à 26 %.

Protégé de l'effort fiscal, abrité derrière des holdings, le capital ne ruisselle guère. Les 60 milliards d'euros d'allègements généraux sur le travail renforcent le sentiment que le salarié est davantage mis à contribution que celui qui possède l'outil de travail.

Pourtant, le système de sécurité sociale soutient l'activité économique : l'argent circule, est dépensé dans les biens de consommation.

Quels leviers comptez-vous actionner contre la sécession des ultrariches ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

M. David Amiel, ministre délégué.  - La fiscalité est massivement redistributive pour 99 % des Français, car l'impôt sur le revenu est très progressif. Seuls quelques-uns contournent cet impôt ou le prélèvement forfaitaire unique via les holdings - d'où notre projet de taxation, qui sera soumis à vos amendements.

La baisse du coût du travail est une politique transpartisane : commencée sous Balladur, poursuivie sous Jospin, amplifiée sous Hollande avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Le but était de lutter contre le chômage massif. Faire financer la protection sociale uniquement par le travail, c'est détruire de l'emploi et des recettes et surtout des espoirs de mobilité sociale.

Il faut réfléchir à des assiettes complémentaires pour le financement de la protection sociale si l'on veut réduire l'écart entre ce qui est versé par l'employeur et ce qui est effectivement perçu par le salarié.

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) interdit d'appliquer la CSG et la CRDS - qui financent directement notre sécurité sociale nationale - aux résidents fiscaux français non affiliés à la sécurité sociale. Ces derniers ne sont assujettis qu'au prélèvement de solidarité à 7,5 %, deux fois moins que le taux de droit commun de 17,2 %.

Avec Christine Lavarde, nous avions proposé, lors du PLF 2025, de relever ce prélèvement à 16,2 %, en contrepartie d'un abaissement de la CSG sur le capital de 9,2 % à 0,5 %. L'effet est simple : neutralité pour les résidents affiliés en France, alignement vers le droit commun pour les non-affiliés. Les recettes attendues étaient de l'ordre de 1 milliard d'euros. Le ministre de l'époque avait demandé le retrait de l'amendement pour faire une étude d'impact. Un an plus tard, aucune suite. Le Gouvernement entend-il mettre cette mesure à l'étude ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Cette question précise appelle une réponse précise. Vous déposerez sans doute cet amendement au PLF ; nous vous apporterons alors une réponse plus aboutie.

Mme Frédérique Puissat.  - Nous déposerons cet amendement, mais son sort devra être différent. Un milliard d'euros, ce n'est pas rien.

M. Olivier Rietmann .  - La part des revenus du travail dans le total des revenus des ménages recule, quand celle des prestations sociales augmente. En d'autres termes, on vit de moins en moins de son travail et de plus en plus de celui des autres. Parmi ceux qui travaillent, cette réalité suscite un sentiment d'injustice, voire de colère. Quelque 29 millions d'actifs financent notre modèle social, au bénéfice de 17 millions de retraités, 2,5 millions d'allocataires de prestations sociales et 1,5 million de chômeurs indemnisés.

Notre pays doit mieux rémunérer le travail, mais aussi travailler davantage. C'est du reste ce qui était prévu, jusqu'à la volte-face du Premier ministre. Allez-vous engager une ambitieuse refonte fiscale qui redonne toute sa place au travail et cesse de décourager ceux qui produisent ?

M. Olivier Paccaud.  - Bravo !

M. David Amiel, ministre délégué.  - C'est le paradoxe français : un taux de prélèvements obligatoires record et un déficit élevé, mais des services publics du quotidien à l'os...

La raison ? La dépense publique qui augmente, c'est surtout la dépense sociale, et d'abord celle liée aux retraites et à l'assurance maladie. Ce modèle ne peut perdurer que si nous travaillons collectivement davantage.

Faute de majorité pour la défendre à l'Assemblée nationale, la réforme des retraites sera suspendue, mais cela ne nous dispense pas de réfléchir à l'avenir, pour que le débat de 2027 parte sur de bonnes bases. Dans cet esprit, les partenaires sociaux sont convenus de travailler à l'élaboration d'un cadre de réflexion commun.

M. Jean Pierre Vogel .  - Cas unique en Europe, la France empile les impôts de production : 4,7 % du PIB, contre 2,5 % en moyenne européenne. La fiscalité assise sur le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée demeure le principal canal de financement de la protection sociale. S'y ajoutent une myriade de prélèvements sur les salaires, à hauteur de 50 milliards d'euros.

Résultat de ce millefeuille fiscal : coût du travail élevé, effets de seuil pénalisants, compétitivité et création d'emplois en berne. Nous avons besoin d'une fiscalité qui encourage l'emploi et l'investissement. Le Gouvernement va-t-il engager un mouvement structurel pour baisser et rationaliser les impôts de production ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - C'est ce qui a été fait à partir de 2021. Le PLF poursuit cette politique en ciblant la CVAE, qui frappe lourdement l'industrie. Confrontés à une concurrence internationale féroce, des secteurs entiers comme l'automobile, la chimie ou les semi-conducteurs risquent d'être balayés très vite si nous ne les défendons pas. L'Allemagne a su défendre son industrie grâce à sa politique en matière d'impôts de production.

M. Patrick Kanner, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Fin de ce premier round, à fleurets mouchetés. J'ai apprécié vos réponses structurées, monsieur le ministre, et même entendu une voix progressiste : votre passage au parti socialiste n'aura pas été inutile... (M. David Amiel sourit.)

Mme Frédérique Puissat.  - C'est donc ça...

M. Patrick Kanner.  - Ce débat touche à notre pacte républicain. Je regrette d'ailleurs que nos collègues Les Républicains soient partis.

Mme Frédérique Puissat.  - Je suis là !

M. Patrick Kanner.  - Le rapport entre travail et capital, entre valeur produite et richesse captée, n'est pas un débat technique mais de civilisation. Depuis la Révolution industrielle, l'équilibre entre ceux qui produisent et ceux qui possèdent est au fondement de notre pacte social - malgré des soubresauts, dont les gilets jaunes sont le dernier.

Mais, aujourd'hui, c'est notre modèle de société qui se fissure. La richesse ne vient plus de l'effort, mais de la rente ; ce n'est plus le travail qui élève, c'est le capital qui accumule. Pourtant, c'est encore le travail que l'on taxe et culpabilise.

On nous avait promis une France moderne, des clivages dépassés. Mais après huit ans de macronisme, la réalité s'impose : une politique de droite assumée, au service du capital protégé. Pendant qu'on supprime l'ISF et qu'on affaiblit la progressivité de l'impôt, l'ouvrier, l'infirmière, et l'enseignant paient plein tarif.

Le bon sens, cher à la droite, c'est de comprendre que la justice fiscale n'est pas une punition mais une exigence de cohésion. Qu'on ne nous parle pas de mérite : aucun millionnaire de moins de 30 ans ne s'est bâti seul ! Ce sont des héritiers ou des traders, pas des héros.

Le débat en cours à l'Assemblée nationale est l'occasion de repenser notre fiscalité. Encore un petit effort ! Nous vous souhaitons de rester ministre longtemps.

Il ne s'agit pas de punir la réussite, mais de redonner sens à l'idée même de République, dans laquelle l'impôt unit au lieu de diviser. La droite, hélas, a oublié le général de Gaulle, qui savait que la grandeur de la France ne peut reposer sur la misère de ses enfants. Renouons avec l'esprit du Conseil national de la Résistance : la prospérité ne vaut que si elle est partagée.

Le patriotisme fiscal est loin, la priorité n'est plus le bien commun mais le rendement du capital. L'économie n'est plus au service de la nation, mais la nation au service des marchés. C'est un choix de société.

On nous dit qu'il faut récompenser le risque. Mais ce qu'on appelle « modernité » est souvent la démission morale d'une époque. Des risques, il y en a d'autres : ceux que prennent les travailleurs précaires, les jeunes mal logés, les soignants à bout, les enseignants désabusés.

La justice fiscale n'est pas affaire de revanche, mais d'équité. La fiscalité dit la société que nous voulons être. Nous, socialistes, n'avons pas honte de la société française, qui redistribue et protège les plus faibles ; ce modèle coûte, il faut l'assumer. C'est pourquoi nous défendons une fiscalité plus juste, une contribution du capital plus équitable et un impôt réhabilité.

Pas de République forte sans justice fiscale, de cohésion sans redistribution, de prospérité durable sans solidarité. Redonnons au travail sa place, à l'impôt son sens, et à la République, le souffle de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Prochaine séance demain, mercredi 5 novembre 2025, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 05.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 5 novembre 2025

Séance publique

À 15 heures, 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Didier Mandelli, vice-président, M. Xavier Iacovelli, vice-président

1. Question d'actualité au Gouvernement

2. Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°95, 2025-2026) (demande du groupe UC)