Le défi alimentaire à l'horizon 2050
- Par M. Yvon COLLIN
au nom de la Délégation à la prospective - Notice du document
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N° 504
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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 avril 2012 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) sur le défi alimentaire à l'horizon 2050,
Par M. Yvon COLLIN,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; Mmes Natacha Bouchart, Bernadette Bourzai, MM. Vincent Capo-Canellas, Yvon Collin, Mme Évelyne Didier, M. Alain Fouché, Mme Fabienne Keller, MM. Ronan Kerdraon et Yannick Vaugrenard, vice-présidents ; MM. Gérard Bailly et Jean Desessard, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Gérard Bailly, Claude Bérit-Débat, Pierre Bernard-Reymond, Mme Natacha Bouchart, MM. Joël Bourdin, François Calvet, Vincent Capo-Canellas, Gérard César, Alain Chatillon, Jean-Pierre Chevènement, Yvon Collin, Mme Cécile Cukierman, M. Jean Desessard, Mme Évelyne Didier, MM. Claude Dilain, Philippe Esnol, Alain Fouché, Mmes Samia Ghali, Fabienne Keller, M. Ronan Kerdraon, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. Philippe Leroy, Michel Magras, Jean-Jacques Mirassou, Aymeri de Montesquiou, Robert Navarro, Mme Renée Nicoux, MM. Philippe Paul, Jean-Pierre Plancade, Jean-Pierre Sueur, Yannick Vaugrenard, René Vestri et André Villiers. |
INTRODUCTION
« Il ne faut pas faire des enfants quand on ne peut pas les nourrir. » Pardonnez-moi, madame, la nature veut qu'on en fasse puisque la terre produit de quoi nourrir tout le monde; mais c'est l'état des riches, c'est votre état qui vole au mien le pain de mes enfants.
Lettre de Jean-Jacques Rousseau à Madame de Franceuil - 20 avril 1751
Aujourd'hui encore c'est un devoir d'être un abolitionniste de la faim. C'est de ce devoir que votre rapporteur est parti et c'est ce devoir qui le conduit à affirmer que la priorité des priorités, quand on s'occupe du défi alimentaire, c'est de réfléchir aux conditions d'une mise en oeuvre effective du droit à l'alimentation.
Le « défi alimentaire » occupe de plus en plus le monde. Les sommets internationaux, les ouvrages, l'émotion de l'opinion publique face aux famines, aux crises chroniques, la persistance endémique de la faim dans le Monde... tout témoigne que ce défi existe dès aujourd'hui.
Mais, avec le défi alimentaire, de quoi parle-t-on au juste ?
Très souvent, la question posée est celle des capacités du Monde à produire les ressources nutritives nécessaires pour alimenter correctement 9 milliards d'individus, nombre des terriens prévu généralement pour 2050. Elle renvoie à une estimation du potentiel agricole. Il faudra produire entre, 2010 et 2060, 733 exacal1(*) de nourriture, soit plus qu'entre l'an 1500 et 2010 (630 exacal).Le pourra-t-on ?
Sur ce point, les prospectives du défi alimentaire donnent des images des tensions physiques qui s'exerceront sur le système alimentaire. Elles montrent, qu'à technologies inchangées, ces tensions se renforceront. Face à des besoins alimentaires croissants, l'offre sera fortement sollicitée alors que ses conditions actuelles de soutenabilité sont remises en cause et que, dans le futur, de nouvelles contraintes devraient apparaître (conflits d'usage, nouvelles conditions environnementales...).
Cette contrainte d'objectif, les prospectives la décrivent comme plus ou moins critique. Elles convergent vers l'idée que le chemin pour obtenir l'autosuffisance alimentaire du Monde se rétrécira.
Elles suggèrent aussi qu'il n'existe pas un seul chemin mais plusieurs, avec chacun ses avantages et ses risques, chacun ses limites de soutenabilité.
Cette pluralité des options techniques pose un problème, difficile, de choix. Mais là ne réside sans doute pas la plus lourde des difficultés qu'il faut surmonter pour relever le défi alimentaire.
C'est quand on élargit le raisonnement, comme il faut le faire, aux questions économiques, sociales, juridiques, politiques qu'apparaît vraiment l'ampleur du problème.
Ces dernières dimensions doivent impérativement être croisées avec les données physiques, que privilégient souvent trop exclusivement les prospectives, ce qui accentue la complexité du problème mais, oriente aussi utilement la réflexion par l'épreuve de la cohérence qu'elles imposent.
Certains modèles techniques envisageables sur la base de leur faisabilité agronomique deviennent fragiles dès qu'on en élucide les conditions socio-économiques.
Celles-ci, d'ores déjà, ressortent comme critiques ce qui ternit l'image rassurante d'une offre qui pourrait moyennant quelques solutions techniques bien conçues répondre aux besoins.
Or, il faut considérer que, demain plus encore qu'aujourd'hui, la mise en pratique du droit à l'alimentation pourrait être entravée par les transformations des conditions socio-économiques des agriculteurs du Monde
Manquent fondamentalement à ceux qui ont faim, les ressources financières pour se nourrir. Plus encore, comme cette pauvreté est surtout paysanne, on peut dire que, si l'agriculture ne nourrit pas le monde, c'est parce que trop souvent elle ne « nourrit pas son monde ». Ainsi va le défi alimentaire aujourd'hui.
Tout l'enjeu est d'en sortir alors que le futur pourrait aggraver les forces qui font que ce défi est, avant tout, une affaire de pauvreté et de pauvreté assez largement rurale.
Le présent rapport se situe sans hésitation dans cette vision élargie du problème alimentaire.
Ce qui est devant nous c'est un défi agricole, peut-être, mais c'est plus qu'un défi agricole, c'est, sûrement, un défi alimentaire, et un défi de l'accès à la nourriture pour les pauvres de ce monde et ainsi, fondamentalement, c'est le défi du développement.
Mesurer comment l'agriculture pourra contribuer à ce que ce défi soit relevé c'est sans doute s'interroger sur son potentiel agro-alimentaire, d'un point de vue technique, mais c'est beaucoup plus que cela. C'est examiner à quelles conditions ce potentiel sera exploité et comment faire en sorte que le développement de la production agricole s'accompagne d'un développement pour chacun de ses capacités d'accès à la nourriture, de ses revenus.
La vision de votre rapporteur s'inscrit pleinement dans la démarche popularisée par A Sen, dont il faut affirmer toute la pertinence pour comprendre les enjeux du futur et situer l'action.
Convenons-en ces interrogations sont formidables. Et elles le sont d'autant plus que, sans être peut-être tout à fait « neuves », elles sont en voie de complet renouvellement.
Comme ailleurs, la réflexion sur l'agriculture a souffert de la diffusion d'un cadre d'analyse ultra-simplificateur, celui de l'efficience des marchés. Or, la main de la semeuse n'est pas une main invisible. Les marchés peuvent ne pas apporter ce qu'on attend d'eux. Et les mêmes pays qui, dans les institutions de Bretton Woods l'oubliaient, savaient très bien s'en souvenir, qui à Genève à l'OMC, qui à Bruxelles ou à Washington, à quelques « blocs » de distance du FMI et de la Banque mondiale.
L'épreuve des faits propage aujourd'hui l'idée que l'agriculture cela compte et que l'équilibre alimentaire et l'équilibre des marchés peuvent différer.
La réflexion sur le développement agricole a donc repris. Et la Banque mondiale elle-même dans un rapport, qui est tout un symbole de ce processus a resitué en 2008 « l'agriculture au service du développement ».
Pour autant, tout est-il désormais clarifié ?
Certainement pas, et il est douteux que toute la clarté puisse être faite avant quelque temps. Il faut savoir reconnaître que le passage d'une matrice d'analyse un peu paresseuse, celle qui fait fi de la complexité du réel, à un projet plus réaliste, qui peut ne pas compter pour rien, au contraire, les mécanismes spontanés de fonctionnement de l'économie, est en soi une ambition. L'essentiel est que cette ambition ne reste pas sans effet pratique.
Il faut coupler la réflexion stratégique et l'action avec pour horizon d'inventer un système agricole mondial qui permette d'avancer, le plus rapidement possible, vers la résolution du défi alimentaire, vers la fin de la faim.
* 1 1 exacal=1 018 calories.