Rapport n° 589 (2017-2018) de Mme Marie MERCIER , fait au nom de la commission des lois, déposé le 20 juin 2018

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N° 589

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 juin 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ,

Par Mme Marie MERCIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

778 , 938 et T.A. 115

Sénat :

487 , 574 et 590 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes, le 11 juin 2018 1 ( * ) , la commission des lois, réunie le mercredi 20 juin 2018, sous la présidence de M. Philippe Bas , a examiné le rapport de Mme Marie Mercier, rapporteur , et établi son texte sur le projet de loi n° 487 (2017-2018), adopté le 16 mai 2018 par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Après avoir entendu l' avis de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes , le rapporteur a observé que les violences sexuelles et sexistes concernaient en majorité les femmes. Elle a ensuite souligné le fait que la commission des lois partageait le même objectif que le Gouvernement de lutte contre toutes les violences sexuelles et sexistes, même s'il existait des divergences sur les moyens. Elle a insisté sur la nécessité pour le Gouvernement d'accompagner les réformes législatives d'un véritable plan de prévention et de sensibilisation aux violences sexuelles et sexistes.

Elle a regretté que le Gouvernement n'ait pas véritablement associé le Sénat à l'élaboration de son projet de loi, alors même que la commission des lois avait constitué un groupe de travail pluraliste sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

La commission des lois a approuvé l'allongement du délai de prescription pour les seuls crimes mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale (article 1 er ), la création d'une disposition interprétative concernant les viols sur mineurs de 15 ans (article 2), l'élargissement des éléments constitutifs des infractions de harcèlement sexuel et moral (article 3), ou encore la création de nouvelles circonstances aggravantes (article 3 bis ). Elle a également approuvé la création d'une infraction spécifique d'outrage sexiste, tout en la transformant en délit afin de la rendre plus effective (article 4).

Afin de faciliter les poursuites criminelles en matière de viol commis à l'encontre de mineurs, et après un débat nourri, la commission a choisi de protéger tous les mineurs, sans distinction d'âge, en inversant la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs lorsque ceux-ci sont incapables de discernement ou en cas de différence d'âge significative entre l'auteur et la victime mineure (article 2).

La commission des lois a adopté le projet de loi ainsi modifié.

EXPOSE GENERAL

« Et je serais tenté de vous dire que nous luttons justement pour des nuances, mais des nuances qui ont l'importance de l'homme même. »

Albert Camus, Lettres à un ami allemand , 1943

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes n° 487 (2017-2018), adopté par l'Assemblée nationale le 16 avril 2018, après engagement de la procédure accélérée.

Ce projet de loi a pour objectif louable de mieux lutter contre les violences sexuelles et sexistes : il propose à cette fin d'allonger certains délais de prescription (article 1 er ), de mieux sanctionner les viols commis à l'encontre des mineurs (article 2), de mieux réprimer les faits de harcèlement sexuel ou moral, notamment lorsqu'ils sont commis en ligne (article 3) et de verbaliser les outrages sexistes (article 4).

Hélas, le texte adopté par l'Assemblée nationale ne reprend que trop partiellement les orientations du rapport d'information 2 ( * ) du groupe de travail pluraliste 3 ( * ) de votre commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, publié au début du mois de février 2018, qui ont reçu une traduction législative avec l'adoption par le Sénat, le 27 mars dernier, de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018), présentée par notre collègue Philippe Bas, votre rapporteur, nos collègues François-Noël Buffet, Maryse Carrère, Françoise Gatel et plusieurs de nos collègues.

Ce travail approfondi réalisé par votre commission des lois contraste avec la précipitation qui a caractérisé l'élaboration de ce projet de loi, annoncé en réaction à deux affaires judiciaires médiatisées ayant suscité une émotion légitime dans l'opinion publique. Au lieu de procéder à une évaluation approfondie de l'arsenal pénal existant et de s'interroger sur les causes des dysfonctionnements du service public de la justice, le Gouvernement a considéré que ces affaires appelaient, non pas un renforcement des moyens de la justice, non pas une meilleure formation des professionnels, non pas une véritable politique de prévention, d'éducation et de sensibilisation, mais la création de nouvelles dispositions de nature pénale.

S'il est indéniable qu'un projet de loi constitue l'occasion, trop rare, d'un débat sur les violences sexuelles et sexistes, votre rapporteur regrette néanmoins cette focalisation de la réflexion et de l'action publique sur la réponse pénale, qui a pour conséquence d'occulter la nécessité pour les pouvoirs publics de porter leurs efforts sur l'amplification des actions de prévention et sur le renforcement des moyens de la justice.

En conséquence, tout en approuvant les objectifs du projet de loi, votre commission s'est attachée à améliorer l'effectivité et la clarté des mesures proposées.

I. LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES : DES RÉALITÉS À DÉNONCER POUR MIEUX LES COMBATTRE

A. LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES, UN FLÉAU INSUFFISAMMENT DÉNONCÉ

Peu visibles, trop souvent banalisées, les violences sexuelles et sexistes touchent en majorité les femmes.

1. Des violences physiques et sexuelles qui touchent majoritairement les femmes

Alors que les violences physiques ou les menaces concernent autant les hommes que les femmes 4 ( * ) , ces dernières sont davantage exposées aux violences à caractère sexuel .

Selon les enquêtes « Cadre de vie et sécurité » (CVS) réalisées entre 2008 et 2016, en moyenne chaque année, 1,7 million de femmes de 18 à 75 ans se sont déclarées victimes d'au moins un « acte à caractère sexuel » 5 ( * ) au cours des deux années précédant l'enquête et plus de 2 millions au moins une fois de violences physiques ou menaces. 74 % des victimes d'un acte à caractère sexuel sont des femmes . Selon l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), le taux de victimation (sur deux ans) des femmes pour des actes à caractère sexuel est presque trois fois supérieur à celui des hommes 6 ( * ) .

Selon les enquêtes CVS, le nombre de victimes de violences sexuelles (hors ménage) en 2015-2016 est estimé à 466 000, soit 1 % des personnes âgées de 18 à 75 ans. 81 % des victimes sont des femmes .

Selon une étude réalisée sur les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et déclarés aux autorités 7 ( * ) , 92,5 % des victimes majeures d'un viol sont des femmes âgées en moyenne de 30 ans. 100 % des mis en cause pour viol commis sur majeur sont des hommes .

Par ailleurs, les femmes sont également les premières victimes des violences conjugales .

Selon l'ONDRP, en 2016, plus de 85 400 victimes ont porté plainte pour violences physiques de la part de leur conjoint ou ex-conjoint 8 ( * ) . Près de 9 victimes sur 10 sont des femmes (87 %).

En 2015 comme en 2016, 99 % des victimes ayant porté plainte pour viol par un conjoint sont des femmes (2 074 victimes femmes pour 2 096 plaintes pour viol par un conjoint en 2016). Entre 2015 et 2016, le nombre de plaintes a augmenté de 16 %.

2. Les mineurs, premières victimes des infractions sexuelles

Comme le soulignait déjà le rapport d'information « Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles 9 ( * ) » du groupe de travail créé par votre commission, les mineurs représentent la classe d'âge la plus exposée aux violences sexuelles , même si les données statistiques restent très parcellaires 10 ( * ) .

Selon les résultats de l'étude de l'Institut national des études démographiques (Ined) « Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes » (Virage), 38,3 % des actes de viol ou de tentative de viol déclarés par les femmes et 59,2 % de ceux déclarés par les hommes surviennent avant l'âge de 15 ans. Plus d'un quart des femmes et un tiers des hommes interrogés déclarent que les faits de viol et de tentative de viol ont débuté avant l'âge de 11 ans.

Les viols commis à l'encontre des mineurs présentent des caractéristiques très particulières : selon une étude réalisée sur les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et déclarés aux autorités 11 ( * ) , 87 % des mis en cause connaissaient la victime, 44 % des mis en cause étaient mineurs et 80 % des victimes étaient de sexe féminin.

3. Des violences sexuelles peu dénoncées et donc peu condamnées

Le constat d'une condamnation insuffisante des viols et autres agressions sexuelles est unanimement partagé.

En effet, selon les études de victimation, seulement 11 % des femmes porteraient plainte.

Or, sous-entendre ou affirmer, de manière très contestable, que seulement 1 % des viols sont effectivement condamnés par la justice n'incite pas les victimes à dénoncer davantage les viols subis 12 ( * ) . C'est avant tout parce que les violences sexuelles restent insuffisamment dénoncées, et souvent trop tard, qu'elles sont insuffisamment condamnées.

Structure de la réponse pénale pour les affaires de viol sur majeur

Viol sur majeur

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires poursuivables

1 981

1 933

1 937

1 859

2 015

Part des mineurs dans les auteurs des affaires poursuivables

6,2%

7,2%

6,9%

6,2%

9,0%

Classement sans suite inopportunité

345

317

344

301

398

Réponse pénale

1 636

1 616

1 593

1 558

1 617

Taux de réponse pénale

82,6%

83,6%

82,2%

83,8%

80,2%

Procédures alternatives

114

101

105

115

123

Taux de procédures alternatives

7,0%

6,3%

6,6%

7,4%

7,6%

dont composition pénale

6

10

7

5

7

Poursuites

1 522

1 515

1 488

1 443

1 494

Taux de poursuites

93,0%

93,8%

93,4%

92,6%

92,4%

Source : Ministère de la justice/SG-SDSE - SID-Cassiopée - Traitement DACG-PEPP

En matière de viol, le taux de poursuites est très élevé : il était de 92,4 % en 2016 alors que le taux de poursuites, en général, était de 43,6 % 13 ( * ) .

Les viols sont les crimes les plus jugés en cours d'assises : ils représentent près de 41 % des condamnations criminelles prononcées chaque année par les cours d'assises ; en 2016, sur 2 432 condamnations criminelles, 1 012 ont été prononcées pour viol.

Parmi ces 1 012 condamnations, 396 concernaient la qualification criminelle de viols sur mineurs de 15 ans : près de la moitié de ces condamnations étaient le fait de mineurs auteurs.

Néanmoins, la réponse pénale n'est pas exempte de toute critique . En 2016, pour 3 776 auteurs de viol poursuivis, seulement 1 013 ont été condamnés pour crime. Outre les acquittements, cette différence statistique s'explique par la fréquente requalification de ces faits criminels en faits correctionnels d'agression sexuelle : ce phénomène de « correctionnalisation » , décrié par certaines victimes, peut être décidé en opportunité, afin d'obtenir plus rapidement un procès et une sanction pénale.

Condamnations en infraction principale pour agression sexuelle, viol, exhibition, harcèlement sexuel et atteinte sexuelle

Infraction

Juridiction

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016*

Agression sexuelle

Toutes juridictions

5 614

5 526

5 496

4 907

4 761

4 838

4 422

4 159

4 232

4 260

dont juridictions pour mineurs

1 427

1 455

1 487

1 278

1 237

1 299

1 185

1 129

1 186

1 105

Part des juridictions pour mineurs

25,4%

26,3%

27,1%

26,0%

26,0%

26,8%

26,8%

27,1%

28,0%

25,9%

Viol

Toutes juridictions

1 668

1 496

1 412

1 361

1 258

1 275

1 196

1 078

1 027

1 012

dont juridictions pour mineurs

505

467

411

389

414

388

357

327

320

319

Part des juridictions pour mineurs

30,3%

31,2%

29,1%

28,6%

32,9%

30,4%

29,8%

30,3%

31,2%

31,5%

Exhibition

Toutes juridictions

1 948

1 935

1 634

1 511

1 485

1 543

1 430

1 374

1 402

1 365

dont juridictions pour mineurs

79

89

62

55

68

52

48

51

44

42

Part des juridictions pour mineurs

4,1%

4,6%

3,8%

3,6%

4,6%

3,4%

3,4%

3,7%

3,1%

3,1%

Harcèlement sexuel

Toutes juridictions

56

53

54

48

42

22

16

48

69

88

dont juridictions pour mineurs

1

1

2

1

6

4

Part des juridictions pour mineurs

1,8%

1,9%

3,7%

2,1%

8,7%

4,5%

Atteinte sexuelle

Toutes juridictions

427

458

455

429

418

393

377

322

344

323

dont juridictions pour mineurs

10

15

9

14

12

5

8

17

4

3

Part des juridictions pour mineurs

2,3%

3,3%

2,0%

3,3%

2,9%

1,3%

2,1%

5,3%

1,2%

0,9%

*2016 : données provisoires.

Source : Casier judiciaire national - Traitement DACG-PEPP

B. LES INJURES ET LES VIOLENCES DANS L'ESPACE PUBLIC, UNE RÉALITÉ BANALISÉE

Dans l'espace public, que ce soit dans la rue ou sur Internet, les femmes sont les premières victimes des comportements de violences ou de harcèlement sexiste.

1. Les violences sexistes dans l'espace public

Les comportements sexistes ou sexuels subis par les femmes et les hommes dans l'espace public sont pour la plupart d'entre eux susceptibles de revêtir une qualification pénale : celle d'injure sexiste, d'agression sexuelle ou encore de harcèlement sexuel.

a) Les injures sexistes « de rue »

Selon l'enquête « CVS » de 2016 14 ( * ) , 2,6 % des personnes interrogées déclarent avoir été victimes d'injures jugées sexistes, au cours de l'année précédente. 49 % des injures sexistes ont lieu dans la rue et 8 % dans les transports en commun .

Les femmes les plus jeunes sont davantage exposées à ces comportements : le taux de victimation des femmes est de 4,7 % en 2016 (0,4 % pour les hommes) et même de 9 % pour les femmes de moins de 30 ans .

Les injures sexistes de rue ont tendance à viser l'apparence physique (43 % d'entre elles, contre 35 % pour les injures sexistes ayant lieu hors de la voie publique), à être le fait d'un ou plusieurs hommes (90 %) et à se dérouler de nuit ou le week-end. Seulement 1,1 % des victimes portent plainte pour une injure sexiste de rue, soit un taux moindre que pour les autres injures sexistes (1,8 %).

Caractéristiques des injures sexistes de rue

Source : enquêtes « Cadre de vie et sécurité », Insee-ONDRP-SSMSI, 2007-2017.
Champ : personnes âgées de 14 ans ou plus et résidant en France métropolitaine.

D'après les enquêtes, les injures sexistes de rue mobilisent principalement des termes anatomiques, renvoyant au physique, ou des synonymes de prostituées, associés à des verbes désignant des actes sexuels. Entrent également dans cette catégorie les compliments dits astreignants, supposément élogieux (« belle, bonne ») mais qui appellent en retour une obligation pour la victime (un remerciement, un sourire, etc. ) sous peine d'une interpellation virulente. Le champ terminologique des injures évolue avec l'âge de la victime, tout en ayant toujours trait au physique ou à la sexualité de la personne.

Vocabulaire caractéristique des injures selon l'âge de la victime

Source : enquêtes « Cadre de vie et sécurité », Insee-ONDRP-SSMSI, 2007-2017.
Champ : personnes âgées de 14 ans ou plus et résidant en France métropolitaine.

Le cadre répressif actuel

L' injure publique est un délit défini à l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse , selon lequel « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure », puni de 12 000 euros d'amende.

Sont publics les informations, propos ou idées mis à disposition d'un groupe indéterminé de personnes. L'article 23 de la loi de 1881 énumère l'ensemble des moyens de cette publicité : « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, [...] des écrits, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, [...] tout moyen de communication au public par voie électronique ».

L'injure non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe est une contravention de cinquième classe prévue par l'article R. 625-8-1 du code pénal. Outre l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, cette infraction peut également être sanctionnée par l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général ou un stage de citoyenneté.

b) Le « harcèlement de rue »

Si le phénomène est ancien, le terme de « harcèlement de rue » est apparu dans les années 2010, notamment grâce au documentaire de Mme Sofie Peteers.

Il désigne l'ensemble des interpellations ou des comportements non sollicités adressés à des personnes, majoritairement des femmes, dans l'espace public. Plus généralement, ce sont l'ensemble des propos et des comportements qui empêchent les femmes et les hommes de circuler librement dans l'espace public : des regards insistants, des sifflements, des commentaires sur l'apparence physique, etc. Imposés et non consentis, ils se distinguent ainsi de la « drague », qui suppose une interaction mutuellement acceptée.

Ces comportements, qui ne sont pas nouveaux, sont trop souvent banalisés, tolérés, voire intégrés par les femmes elles-mêmes, qui ont tendance à adapter leurs comportements et leurs déplacements en fonction de ce risque.

Exemples de législations étrangères en matière de harcèlement de rue

En Belgique, depuis la loi du 22 mai 2014, toute personne qui exprime par son comportement « un mépris à l'égard d'une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou [la considère] comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle [entraînant] une atteinte grave à sa dignité » est punie d'une peine d'emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 50 à 1 000 euros.

Depuis 2015, au Portugal, tout « comportement non désiré à connotation sexuelle, sous forme verbale, non-verbale ou physique, avec pour but ou pour effet de violer la dignité d'une personne, en particulier lorsqu'il crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » est passible d'une peine d'emprisonnement d'un à trois ans.

2. Les violences sexistes et le harcèlement sexiste en ligne

Les violences sur Internet ne sont pas virtuelles. Bien que peu médiatisées, elles n'en restent pas moins réelles et aux conséquences psychiques et physiques tout aussi dramatiques.

Selon l'avis du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), « En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes 15 ( * ) » , les violences faites aux femmes en ligne sont des comportements connus , qui s'inscrivent dans le « continuum des violences faites aux femmes » (dévalorisation, humiliation, intimidation, sollicitation, etc.). Néanmoins, ces violences en ligne présentent des spécificités propres : la possibilité d'anonymat sur Internet, qui renforce le sentiment d'impunité des « agresseurs », peut souvent conduire à la désinhibition de ceux-ci. De plus, la « capacité de dissémination d'un contenu » est susceptible de décupler les effets négatifs sur les victimes.

Ces comportements de violences en ligne confèrent parfois au véritable harcèlement d'une personne : les affaires récentes concernant Marion Séclin ou Nadia Daam ont illustré cette problématique et ont mis en lumière la faible réactivité des intermédiaires techniques (éditeurs, hébergeurs, etc.) pour contrer la propagation de ces stratégies de harcèlement.

Marion Séclin, « championne de France du cyber-harcèlement 16 ( * ) »

En mai 2016, Marion Séclin, scénariste, comédienne et vidéaste, publie sur Youtube une vidéo dénonçant le harcèlement de rue intitulée « #TasÉtéHarceléeMais... t'as vu comment t'étais habillée ? ».

En réaction à sa vidéo, plus de 40 000 commentaires insultants ou menaçants lui seront adressés, et notamment des appels au viol, au suicide. Au fil des mois, toutes ses vidéos font l'objet de tels commentaires.

Une campagne de dénigrement de tous ses contenus est ainsi organisée par plusieurs dizaines d'internautes à partir d'autres plateformes que Youtube.

Aucune procédure judiciaire n'a été engagée au regard de la complexité à engager une action contre chaque commentaire individuel.

Après ce « raid numérique » visant Marion Séclin, Youtube a mis en ligne de nouveaux outils de modération des commentaires, notamment en permettant des filtres par mots-clés ou en permettant, à titre expérimental, une détection automatique, par algorithme, des commentaires « inappropriés ».

II. UN PROJET DE LOI AUX OBJECTIFS LOUABLES MAIS À L'EFFICACITÉ DISCUTABLE

Votre rapporteur salue la volonté du Gouvernement de lutter contre les violences sexuelles et sexistes : incontestablement, il est nécessaire de sensibiliser davantage la société à cette problématique croissante.

L'examen au Parlement d'un tel projet de loi est l'occasion d'un débat sociétal afin de sensibiliser et d'éduquer les citoyens, les justiciables, les professionnels, et notamment les professionnels du droit aux problématiques des violences sexuelles et sexistes.

1. Les mesures en matière de répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs

Les dispositions du projet de loi relatives à la répression des viols sur mineurs (article 2) ont été annoncées par le Gouvernement en réponse à deux affaires judiciaires très largement médiatisées, qui ont particulièrement ému l'opinion publique. L'étude d'impact du projet de loi justifie d'ailleurs la « nécessité de légiférer » au regard de « plusieurs affaires judiciaires récentes, fortement médiatisées 17 ( * ) ».

Or comme le relève le Défenseur des droits 18 ( * ) , « une réponse législative à l'actualité judiciaire et à l'emballement médiatique récents, dans un contexte très émotionnel , n'est pas la plus adaptée pour faire face aux enjeux majeurs d'effectivité des dispositions existantes et de prévention ». Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants du Conseil national des barreaux, de la conférence des bâtonniers et de l'Ordre des avocats au barreau de Paris ont fait observer que la loi n'a pas pour vocation de répondre instantanément à l'émotion publique .

a) Une réponse hâtive à un problème complexe

À l'automne 2017, le Gouvernement avait annoncé la création d'une présomption irréfragable de non-consentement attachée à un seuil d'âge pour les mineurs, afin de limiter la « subjectivité judiciaire ». Une telle annonce précipitée faisait fi d'une évaluation de l'arsenal pénal existant et d'une réflexion sur les pratiques judiciaires, notamment sur les pratiques de requalification de faits criminels en faits délictuels.

Contrairement au Gouvernement, votre commission des lois a souhaité prendre le temps de réflexion avec la création d'un groupe de travail pluraliste sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

Votre rapporteur regrette que, moins d'une semaine après la publication du rapport d'information de ce groupe de travail, le Gouvernement ait annoncé, le 12 février 2018, la création d'une mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs chargée de rendre ses conclusions « sur la détermination d'un seuil d'âge en dessous duquel un mineur ne saurait être considéré comme consentant à une relation sexuelle avec un majeur » avant le 1 er mars 2018, soit en seulement trois semaines.

Sur le fondement de ce rapport, le Gouvernement a, dans un premier temps, proposé la création de deux nouvelles infractions dont l'une qualifiait de viol tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de quinze ans dès lors que l'auteur « connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime ».

À l'instar du groupe de travail de votre commission sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, le Conseil d'État a considéré que de telles dispositions seraient contraires à plusieurs exigences constitutionnelles .

En conséquence, le Gouvernement a renoncé à son projet initial pour proposer la création d'une nouvelle disposition interprétative concernant la contrainte morale ou la surprise pour les viols commis sur les mineurs de moins de 15 ans, ainsi que la création d'une circonstance aggravante pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans en cas d'acte de pénétration sexuelle.

Le cadre constitutionnel et conventionnel des présomptions de culpabilité

En application du principe constitutionnel de présomption d'innocence, la charge de la preuve appartient toujours à l'accusation .

Principe directeur du procès pénal, la présomption d'innocence est un droit constitutionnel consacré par l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ».

La jurisprudence constitutionnelle 19 ( * ) accepte les présomptions de culpabilité ou de responsabilité, qui renversent partiellement la charge de la preuve, à la seule condition qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, que le respect des droits de la défense soit assuré, que les faits permettent d'induire raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité et qu'en outre, s'agissant de crimes et de délits, « la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ».

Par ailleurs, la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales interdit les présomptions irréfragables .

Si la Cour européenne des droits de l'homme a admis, sous certaines conditions dont elle contrôle concrètement l'application, l'existence de présomptions dans les droits internes, c'est sous réserve qu'elles soient compatibles avec la présomption d'innocence , c'est-à-dire qu'elles soient réfragables, et que la personne poursuivie puisse apporter la preuve contraire 20 ( * ) .

b) L'article 2 du projet de loi : des dispositions aux finalités contradictoires

Les dispositions du projet de loi étant motivées par la nécessité de répondre médiatiquement à deux affaires judiciaires aux logiques contraires, les finalités du projet de loi apparaissent dès lors contradictoires.

Dans le premier cas médiatisé, il y a eu une requalification ab initio de faits susceptibles de revêtir une qualification criminelle de viol sous la qualification délictuelle « d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans ». Afin de réduire cet aléa judiciaire, le projet de loi propose une disposition interprétative afin d'inciter les parquets à conserver une qualification criminelle .

Dans le deuxième cas, il y a eu effectivement des poursuites pour « viol sur mineur de 15 ans » devant la cour d'assises mais un acquittement a été prononcé : de surcroît, aucune condamnation subsidiaire pour atteinte sexuelle sur mineur de 15 n'a été prononcée. Afin d'éviter cette dernière hypothèse, le projet de loi propose de rendre systématique, lors des procès pour viol de mineurs de 15 ans, la question subsidiaire d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans . Afin d'obtenir une condamnation subsidiaire assez élevée, le projet de loi propose également d'aggraver les peines de l'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans en cas de pénétration sexuelle. Peut-être une telle disposition aurait-elle permis, dans le cas d'espèce, d'éviter une absence de condamnation, elle n'en crée pas moins une possibilité supplémentaire de requalification du viol en atteinte sexuelle et donc accroît le risque de correctionnalisation.

2. Un projet de loi d'affichage au détriment de la qualité de la loi

Votre rapporteur déplore la dérive consistant à considérer les projets de loi comme un outil de communication politique et non comme un texte à visée normative .

Lors de l'échange de voeux avec le président de la République en janvier 2005, M. Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, dénonçait l'existence de « neutrons législatifs », en soulignant que « La loi n'est pas faite pour affirmer des évidences, émettre des voeux ou dessiner l'état idéal du monde (en espérant sans doute le transformer par la seule grâce du verbe législatif ?). La loi ne doit pas être un rite incantatoire. Elle est faite pour fixer des obligations et ouvrir des droits. En allant au-delà, elle se discrédite. Mais, pour s'en tenir au rôle qui est le sien, tout son rôle et rien que son rôle, le législateur doit apprendre à résister à la « demande de loi » et s'interdire de faire de la loi un instrument de communication. »

Force est de constater que le présent projet de loi a succombé à toutes ces tentations.

Votre rapporteur regrette que le Gouvernement ait tenu à inclure dans le projet de loi la création d'une contravention d'outrage sexiste visant à réprimer le « harcèlement de rue », en dépit de l'avis négatif du Conseil d'État. Ce dernier avait souligné que « la détermination des contraventions ainsi que des peines qui leur sont applicables relève, en application des articles 34 et 37 de la Constitution, de la compétence du pouvoir règlementaire. »

En conséquence, le Conseil d'État avait écarté la disposition législative soumise à son examen et suggéré « au Gouvernement de lui présenter pour avis un projet de décret créant cette nouvelle contravention. »

Cette volonté du Gouvernement est d'autant plus incompréhensible que l'article 3 du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace , déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale par le Gouvernent le 9 mai dernier, vise à rendre systématiquement irrecevable les propositions de loi ou les amendements qui ne relèvent pas du domaine de la loi.

Extrait de l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace

« À cette fin, il importe de mieux disposer du temps éminemment précieux du Parlement et de faire de la loi une norme de qualité, lisible et claire, conformément à sa vocation et à son objet.

[...]

« Mieux légiférer c'est tout d'abord mieux faire respecter les règles constitutionnelles . C'est pourquoi il est proposé de rendre plus effectives les dispositions de l'article 41 de la Constitution relatives à l'irrecevabilité des propositions de loi ou des amendements qui méconnaissent le domaine législatif en introduisant dans la loi des dispositions de nature réglementaire. L'irrecevabilité de ces propositions ou de ces amendements sera systématiquement relevée comme, désormais, pour les propositions et amendements dépourvus de caractère normatif ou pour les amendements sans lien direct avec le texte en discussion (article 3). Le texte propose de mieux définir la notion de « cavalier législatif » afin que le débat législatif se tienne sur le projet ou la proposition en discussion et non sur des éléments périphériques. Ce faisant, le Parlement pourra débattre de manière plus approfondie sur les amendements qui ont une réelle portée et la loi adoptée sera de meilleure qualité.

« Il faut insister sur le fait que cette irrecevabilité sera opposable aussi bien aux amendements parlementaires qu'à ceux du Gouvernement. Chacun devra donc faire oeuvre de rigueur pour améliorer la qualité de la loi. »

Si votre rapporteur partage la volonté du Gouvernement de lutter contre les comportements de « harcèlement de rue », elle s'interroge néanmoins sur l'application d'une telle disposition et l'effectivité de la sanction. Or une loi inappliquée est un très mauvais signal envoyé aux victimes mais surtout aux harceleurs.

De plus, votre rapporteur juge que la modification, à quelques mois d'intervalle, des mêmes dispositions pénales est une mauvaise pratique législative qu'il convient d'éviter .

L'article 4 du projet de loi entend ainsi créer une nouvelle peine de stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les hommes et les femmes.

Pourtant, la multiplicité des peines spécifiques de stage a été récemment dénoncée dans le rapport de M. Bruno Cotte et Me Julia Minkowski sur le sens et l'efficacité des peines, le cinquième chantier de la justice ouvert par Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice : « La diversité des peines de stages existantes et l'absence de réelle cohérence qui régit cette matière devrait conduire à la rédaction d'un texte plus général que les textes spécifiques actuellement en vigueur. »

Suivant ce rapport qui proposait de fusionner l'ensemble des peines de stage en unifiant leur régime, l'article 43 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice , déposé le 20 avril 2018 au Sénat, vise ainsi à créer une peine unique de stage à l'article 131-5-1 du code pénal, se substituant à l'ensemble des peines de stage existantes.

Enfin, votre rapporteur déplore l'inscription dans la loi de « neutrons législatifs », qu'il s'agisse d'une mesure infra-réglementaire comme la désignation des référents « intégrité physique » (article 2 bis B), d'une disposition sur la formation des professionnels de santé dépourvue d'élément normatif nouveau (article 2 bis A), de demandes de rapport du Gouvernement au Parlement (articles 2 bis E et 2 bis ), ou encore de l'inscription dans la loi du principe d'évaluation de l'impact des mesures prises en application de ladite loi (article 4 quater ).

3. Des évolutions majeures à la rédaction perfectible et aux effets incertains

Votre rapporteur relève enfin que le projet de loi propose, sur certains sujets, des évolutions majeures du code pénal, sans que leur impact n'ait été réellement anticipé ou évalué.

a) L'allongement du délai de prescription de l'action publique pour certaines infractions (article 1er)

À l'instar de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018), adoptée par le Sénat le 27 mars dernier, l'article 1 er du projet de loi vise à allonger le délai de prescription de l'action publique applicable aux crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, de vingt à trente ans, après la majorité de la victime.

En mars dernier, votre commission estimait néanmoins nécessaire « de ne pas se satisfaire de cette mesure législative pour mieux lutter contre « l'impunité » des auteurs d'infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ». Cette mesure symbolique doit en effet être « accompagnée d'une politique active permettant aux victimes et à leurs proches de signaler ces faits à la justice le plus tôt possible. » Or une telle campagne de sensibilisation ne semble pas avoir été envisagée par le Gouvernement.

Surtout, lors de l'examen à l'Assemblée nationale, l'article 1 er a été modifié afin d'étendre l'application du délai de prescription de trente ans également aux crimes de meurtre commis à l'encontre des mineurs. Votre rapporteur s'interroge sur la nécessité d'une telle extension qui va à l'encontre de l'intention du projet de loi initial de redonner une spécificité aux crimes sexuels. Surtout, alors que les crimes de meurtre sont assez facilement constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, l'allongement du délai de prescription applicables aux meurtres risque davantage de ne plus inciter les enquêteurs à faire progresser rapidement l'enquête que de permettre la poursuite de nouvelles infractions.

b) Une redéfinition des éléments constitutifs du viol (article 2)

Lors de l'examen à l'Assemblée nationale, la définition des éléments constitutifs du viol a été élargie afin de réprimer désormais, en tant que viols et non agressions sexuelles, les actes de pénétration sexuelle imposés et réalisés sur la personne de l'auteur . Il s'agit par exemple d'une fellation forcée, imposée par exemple à un jeune mineur.

Votre rapporteur approuve cette modification substantielle de la qualification légale du viol tout en regrettant qu'une telle disposition n'ait pas fait l'objet d'une évaluation préalable. Selon les magistrats entendus par votre commission, cela pourrait concerner annuellement près d'un millier de faits d'agressions sexuelles.

c) Un élargissement substantiel du harcèlement sexuel ou moral

La définition du harcèlement sexuel ou moral est également modifiée par l'article 3 du projet de loi, par ailleurs enrichi à l'Assemblée nationale, afin de contourner l'exigence de répétition qui caractérisait jusque-là cette définition. Parallèlement, l'article 4 du projet de loi crée une nouvelle infraction d'outrage sexiste qui reprend les éléments constitutifs du harcèlement sexuel sans le caractère de répétition.

Votre rapporteur s'est interrogée sur la constitutionnalité de telles dispositions au regard de l'obligation constitutionnelle pour le législateur de « fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis », mais également au regard du principe d'égalité devant la loi pénale : des dispositions législatives qualifiant des faits identiques en faisant encourir à leur auteur des peines de nature différente ont en effet déjà été censurées par le Conseil constitutionnel 21 ( * ) .

Considérant la censure en 2012 du délit de harcèlement sexuel par le Conseil constitutionnel 22 ( * ) , votre rapporteur invite à la plus grande prudence avant toute extension substantielle des éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement sexuel ou moral.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : PRÉVENIR ET LUTTER EFFECTIVEMENT CONTRE TOUTES LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES

Votre commission souscrit sans ambiguïté aux objectifs poursuivis par le projet de loi : toutes les violences sexuelles et sexistes, qu'elles concernent les mineurs ou les majeurs, qu'elles aient lieu dans la rue ou sur Internet, doivent être combattues. Soucieuse d'améliorer l'effectivité de certaines dispositions, votre commission a adopté plusieurs amendements afin de compléter, de manière constructive, ce projet de loi.

A. APPROUVER L'ENSEMBLE DES MESURES PERMETTANT DE MIEUX LUTTER CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES

1. Affirmer la spécificité des violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs (article 1er)

Pour les raisons précédemment évoquées, votre rapporteur a approuvé l'allongement à trente ans du délai de prescription de l'action publique pour les seuls crimes sexuels et violents commis à l'encontre des mineurs mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale, à l'exclusion d'autres crimes comme le meurtre.

Votre commission a également affirmé le caractère continu de l'infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où la situation illicite prend fin . L'affirmation du caractère continu de l'infraction est indispensable pour assurer l'effectivité de cette incrimination qui oblige tout particulier à signaler les faits de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur.

2. Aménager la charge de la preuve en matière de viols commis à l'encontre de mineurs tout en évitant les correctionnalisations excessives (article 2)

Votre commission a approuvé le souhait du Gouvernement d'introduire une disposition interprétative concernant les viols commis à l'encontre des mineurs, afin de guider les pratiques judiciaires.

Poursuivant le même objectif de faciliter les poursuites criminelles en matière de viol commis à l'encontre de mineurs, elle a choisi de protéger tous les mineurs, en inversant la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs lorsque ceux-ci sont incapables de discernement ou en cas de différence d'âge significative entre l'auteur et la victime mineure.

3. Lever les ambiguïtés d'interprétation (article 2, 3 et 4)

Votre commission a approuvé, à l'article 2, l'extension de la qualification criminelle de viol, et non délictuelle d'agression sexuelle, aux actes de pénétration sexuels forcés mais réalisés sur la personne de l'auteur 23 ( * ) , tout en précisant la rédaction afin de lever toute ambiguïté.

À l'article 2, elle a également modifié la disposition interprétative, prévue à l'article 222-22-1 du code pénal concernant la contrainte morale en matière de viol pour préciser que la contrainte morale pouvait résulter soit d'une différence d'âge, soit d'une autorité de droit ou de fait. Elle a également complété cette disposition afin de prévoir une troisième hypothèse pour les mineurs de 15 ans ne disposant pas de la maturité sexuelle nécessaire.

À l'article 3, votre commission est revenue sur une modification de l'Assemblée nationale qui introduisait une confusion entre le harcèlement sexuel et l'outrage sexiste, en réprimant de harcèlement les propos ou comportements sexistes répétés. Or comme l'a souligné le Défenseur des droits, cette confusion entre le harcèlement sexuel et l'outrage sexiste pourrait créer un risque de « contraventionnalisation » du harcèlement sexuel, en raison de la création d'une contravention d'outrage sexiste.

Afin d'assurer l'efficacité du dispositif de répression de l'outrage sexiste, votre commission a également restreint l'infraction aux faits commis dans l'espace public et, au regard de la complexité des éléments constitutifs de l'infraction et de sa proximité avec d'autres infractions délictuelles, a affirmé le caractère délictuel, et non contraventionnel, de cette infraction. Néanmoins, votre commission a prévu l'application de la procédure de l'amende forfaitaire en matière délictuelle pour cette infraction.

4. La confirmation de dispositions déjà adoptées par le Sénat

Enfin, votre commission a adopté, à nouveau, plusieurs dispositions, issues de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018) de M. Philippe Bas, votre rapporteur, M. François-Noël Buffet, Mmes Maryse Carrère, Françoise Gatel et plusieurs de nos collègues, adoptée par le Sénat le 27 mars dernier.

Plusieurs d'entre elles avaient déjà été intégrées au projet de loi par l'Assemblée nationale.

Ainsi, l'article 2 du projet de loi, dans sa rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, tend désormais à aggraver les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans (comme le prévoit l'article 5 de la proposition de loi adoptée par le Sénat traduisant la proposition n° 15 du rapport d'information du groupe de travail de votre commission).

Le même article 2 a également été modifié à l'Assemblée nationale afin d'étendre la surqualification pénale de l'inceste aux viols et autres agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs (article 4 de la proposition de loi adoptée par le Sénat traduisant la proposition n° 14 du rapport d'information du groupe de travail de votre commission). Sur ce point, l'Assemblée nationale a également étendu la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre d'un cousin germain : afin de ne pas dissocier l'inceste pénal de l'inceste civil , et alors qu'il n'y a pas de prohibition à mariage entre cousins germains, votre commission des lois a supprimé cette extension.

De même, l'Assemblée nationale a adopté, à l'article 2 bis C, l' aggravation des peines en cas de non-assistance ou non-dénonciation d'actes de mauvais traitements (article 6 bis de la proposition de loi adoptée par le Sénat).

Votre commission a naturellement approuvé ces ajouts.

B. RÉPARER LES OUBLIS DU PROJET DE LOI

1. Lutter effectivement contre les actes de cyber violences sexistes

Si votre commission a approuvé les modifications visant à mieux réprimer le harcèlement en ligne, elle a également souhaité une plus grande vigilance des intermédiaires techniques de l'Internet, notamment des hébergeurs de contenus.

À cette fin, votre commission a élargi le devoir de coopération des intermédiaires techniques , défini par l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique à la lutte contre les contenus susceptibles de qualifier des faits de harcèlement sexuel ( article 3 ).

2. Affirmer la nécessité d'une véritable politique de prévention

Texte de nature pénale, ce projet de loi n'affirme pas la nécessité d'une véritable politique de prévention ambitieuse de toutes les violences sexuelles ou sexistes.

Comme l'a souligné le groupe de travail de votre commission sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, si des évolutions législatives peuvent être utiles pour renforcer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, avec la préoccupation de parvenir à un équilibre entre les attentes légitimes des victimes et les principes essentiels de la justice pénale, il convient avant tout de mobiliser davantage de moyens pour une politique de prévention plus efficace, une répression pénale plus opérante et un meilleur accompagnement des victimes.

Comme l'a relevé Mme Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, entendue par votre commission, le chantier prioritaire est avant tout sociétal : « il engage les représentations communes - sur les rapports de genre, le consentement, l'attitude face « aux secrets de famille » - et les dispositifs d'aide et d'accompagnement à l'école, au travail, dans les services médicaux et sociaux puis dans les commissariats ou les gendarmes et en justice. »

En conséquence, conformément à l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et aux termes de laquelle : « Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État », votre commission a prévu l'approbation d'un rapport annexé ( article 1 er A ) définissant les orientations de la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, singulièrement celles commises à l'encontre des mineurs. En conséquence, elle a modifié l' intitulé du projet de loi.

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié, en retenant l'intitulé suivant : « projet de loi d'orientation et de programmation renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ».

EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER -
DISPOSITIONS RENFORÇANT LA PROTECTION DES MINEURS CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES

CHAPITRE IER A (NOUVEAU) - DISPOSITIONS RELATIVES AUX ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES

Article 1er A (nouveau) -
Approbation des orientations de la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes présentées dans le rapport annexé au projet de loi

Introduit par votre commission, par l'adoption d'un amendement COM-55 de votre rapporteur, l'article 1 er A du projet de loi tend à approuver les orientations de la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, figurant dans un rapport annexé.

Ce rapport annexé, qui s'inspire largement du rapport adopté par le Sénat dans le cadre de l'examen de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018), présente la stratégie globale de lutte contre les violences sexuelles et sexistes , les moyens à mobiliser et les pratiques administratives à réformer.

Il mentionne en particulier les réformes qui ne relèvent pas de l'intervention du législateur , par exemple le renforcement de la politique de sensibilisation aux violences sexuelles , la création d'outils formalisés et de protocoles pour aider les professionnels à détecter et à signaler les situations de maltraitance , l'affirmation du droit à voir sa plainte enregistrée à tout moment, la généralisation des psychologues et des assistantes sociales dans les unités de police ou de gendarmerie, le renforcement significatif des moyens des juridictions, ou encore la création d'une offre institutionnelle de parcours de résilience pour les victimes d'infractions sexuelles.

Votre commission a également adopté un sous-amendement COM-76 de notre collègue François-Noël Buffet afin d'encourager les recherches scientifiques sur les psycho-traumatismes et les mécanismes mémoriels consécutifs à un fait traumatique.

Votre commission a adopté l'article 1 er A ainsi rédigé .

CHAPITRE IER - DISPOSITIONS RELATIVES À LA PRESCRIPTION

Article 1er
(art. 7 et 9-1 du code de procédure pénale ; art. 434-3 du code pénal)
Allongement du délai de prescription de l'action publique
de certains crimes commis à l'encontre des mineurs

L'article 1 er du projet de loi vise à allonger le délai de prescription de l'action publique de certains crimes, lorsqu'ils sont commis à l'encontre de mineurs.

Initialement limité aux crimes sexuels et violents mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale, cet allongement a été étendu, lors de l'examen du projet de loi en première lecture par l'Assemblée nationale, aux crimes de meurtre et d'assassinat.

• Un régime dérogatoire de prescription de l'action publique pour les crimes commis à l'encontre des mineurs

Les crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs se prescrivent par vingt ans à compter de la majorité de la victime.

Ce report du point de départ de la prescription à la majorité de la victime, également applicable à certains délits, est destiné à prendre en compte la particulière vulnérabilité des mineurs victimes de violences sexuelles et les difficultés, voire l'impossibilité, rencontrées par la victime pour dénoncer les faits commis sur sa personne. Le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter de la majorité des victimes : ces dernières peuvent ainsi engager l'action publique jusqu'à leur 38 ans.

Les modifications du régime de prescription des crimes commis sur les mineurs

La prescription de l'action publique des crimes commis sur les mineurs a été modifiée une première fois en 1989 24 ( * ) afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour de la majorité des victimes lorsque les crimes étaient commis par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime.

En 1995 25 ( * ) , le point de départ du délai de prescription des délits commis sur une victime mineure par un ascendant a été reporté à la majorité de la victime.

Puis, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs a reporté à la majorité de la victime le point de départ du délai de prescription de tous les crimes commis à l'encontre des mineurs.

En 2003 26 ( * ) , puis en 2004 27 ( * ) , la liste des délits commis à l'encontre des mineurs concernés par le délai de prescription dérogatoire de 10 ans a été élargie. Le délai de prescription de certains délits a ensuite été fixé à vingt ans par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

• L'allongement des délais de prescription de l'action publique prévu par l'article 1 er du projet de loi

Depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale , le délai de droit commun de prescription de l'action publique en matière criminelle est désormais de vingt ans. Il n'y a donc plus de délai de prescription spécifique pour les crimes sexuels et violents commis à l'encontre des mineurs définis à l'article 706-47 du code de procédure pénale.

Afin de rétablir une distinction pour ces crimes justifiée par le traumatisme qu'elles ont subi pendant leur minorité, l'article 1 er du projet de loi tend à allonger à trente ans le délai de prescription de l'action publique applicable aux crimes sexuels et violents commis à l'encontre des mineurs, mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale.

Ce délai de prescription serait identique à celui prévu pour les crimes de guerre, d'eugénisme, de clonage reproductif, de disparition forcée, de trafic de stupéfiants, de nature terroriste, ou encore ceux relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive.

Lors de l'examen du projet de loi, l'Assemblée nationale a adopté, en séance publique, un amendement de notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, visant à appliquer l'allongement de ce délai de prescription à tous les crimes de meurtre et d'assassinat, y compris lorsqu'ils ne sont pas précédés ou accompagnés d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou lorsqu'ils ne sont pas commis en état de récidive légale 28 ( * ) .

• La position de votre commission : accepter l'allongement du délai de prescription tout en soulignant la faible portée de cette disposition

Votre rapporteur ne surestime pas les effets de cet allongement à trente ans du délai de prescription de l'action publique applicable aux crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs : en raison de la très grande difficulté qui existe à prouver des faits commis plusieurs décennies avant le début d'une enquête, il n'est pas certain que l'allongement du délai de prescription soit de nature à augmenter les condamnations en matière de crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs.

Néanmoins, votre rapporteur a pu constater les très grandes difficultés rencontrées par les victimes pour dénoncer les violences sexuelles subies 29 ( * ) , qui peuvent justifier un allongement du délai de prescription. De plus, elle estime que l'allongement de vingt à trente ans du délai de prescription de l'action publique pour les faits de viol commis à l'encontre des mineurs est une exigence symbolique pour les victimes. Tout en approuvant cette évolution, elle incite néanmoins le Gouvernement à ne pas se satisfaire de cette mesure mais de l'accompagner par une campagne de sensibilisation auprès des victimes et de leurs proches sur la nécessité de signaler ces faits à la justice le plus tôt possible et sur l'obligation pour les institutions policières, judiciaires mais également médicales de mieux recueillir la parole des victimes.

En revanche, votre rapporteur s'est interrogée sur la pertinence de l'allongement à 30 ans du délai de prescription de l'action publique pour les crimes de meurtre et d'assassinat .

Une telle disposition aurait à nouveau pour effet d'effacer la spécificité des crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs.

De surcroît, contrairement aux crimes sexuels, aucun phénomène particulier n'empêche la dénonciation de ces infractions qui sont, très majoritairement, révélés très rapidement après les faits dans des conditions permettant la mise en mouvement de l'action publique.

Enfin, cet allongement de la prescription pour les crimes de meurtre pourrait avoir un effet contre-productif sur la célérité des enquêtes : en effet, la prescription a pour fonction de sanctionner « la négligence » des autorités de poursuite, traduisant ainsi le droit à être jugé dans un délai raisonnable. Or chaque acte d'enquête est « interruptif de la prescription », c'est-à-dire que chaque acte efface le délai de prescription écoulé et fait courir un nouveau délai identique au délai initial. En allongeant à trente ans le délai de prescription, un seul acte d'enquête ou d'instruction réalisé tous les 30 ans suffirait à maintenir la possibilité d'une mise en mouvement de l'action publique. Par l'adoption de l' amendement COM-56 de votre rapporteur, votre commission a considéré que, pour des faits révélés à la justice généralement très rapidement, une telle disposition présentait davantage d'effets négatifs que d'intérêt et l'a, en conséquence, supprimée .

Par le même amendement, votre commission est également revenue sur certaines modifications apportées par l'Assemblée nationale. En effet, il ne paraît pas opportun de déplacer de l'article 9-1 vers l'article 7 du code de procédure pénale les dispositions selon lesquelles le délai de prescription de l'action publique du crime de clonage reproductif, prévu à l'article 214-2 du code pénal, court à compter de la majorité de l'enfant né du clonage car l'article 7 du code de procédure pénale traite de la durée du délai de prescription pour les crimes alors que l'article 9-1 rassemble les dispositions concernant les points de départs dérogatoires des délais de prescription.

Enfin, votre commission a également souhaité modifier le régime de prescription de l'infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où la situation illicite prend fin.

Ainsi la prescription ne court pas tant que la personne elle-même n'a pas dénoncé les faits, par exemple d'agressions sexuelles, aux autorités administratives ou judiciaires (voir schéma ci-dessous).

Si la personne dénonce les faits dont elle a connaissance, ce qui constitue une cause exonératoire de responsabilité, l'infraction cesse d'exister et elle n'encourt aucune sanction.

En revanche, tant qu'elle n'a pas dénoncée les faits visés aux autorités, la personne est susceptible de poursuites.

En conséquence, un tel régime constitue une incitation forte à dénoncer les faits de mauvais traitements et d'atteintes sexuelles sur mineurs .

Personne ayant dénoncé les faits de mauvais traitements dont elle avait connaissance

Personne n'ayant pas dénoncé les faits de mauvais traitements
dont elle avait connaissance

Infraction instantanée et infraction continue

Les règles de détermination du point de départ du délai de prescription d'une infraction dépendent de son caractère : la prescription d'une infraction instantanée commence à courir au jour de la commission des faits alors que la prescription d'une infraction continue commence à courir à partir du jour où l'infraction a cessé, où l'état délictueux a pris fin dans ses actes constitutifs et dans ses effets.

Selon la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, une infraction continue se caractérise par la prolongation des effets de l'infraction dans le temps, par un « renouvellement constant de la volonté de leur auteur ». Les délits de recel, de défaut de permis de construire ou de participation à une association de malfaiteurs sont des infractions continues 30 ( * ) .

D'autres infractions d'omission sont considérées par la jurisprudence comme des infractions continues : c'est notamment le cas pour le délit d'altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité 31 ( * ) (article 434-3 du code pénal), qui constitue comme le délit de non-dénonciation une infraction d'entrave à la saisine de la justice (section 1 du chapitre IV du titre III du livre IV du code pénal).

Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 1er bis (nouveau) (art. 706-48 du code de procédure pénale) - Expertise médico-psychologique pour apprécier l'existence d'un obstacle de fait insurmontable

Introduit par votre commission, par l'adoption de trois amendements identiques COM-17, COM-22 et COM-25 de nos collègues Annick Billon, François-Noel Buffet, Françoise Laborde, l'article 1 er bis du projet de loi a pour objet de faciliter la constatation d'un « obstacle de fait insurmontable » qui a pour effet de suspendre le cours de la prescription de l'action publique en matière pénale.

Depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, l'article 9-3 du code de procédure pénale dispose que la prescription de l'action publique est suspendue par « tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique ». Cette disposition consacre ainsi explicitement l'adage civiliste « contra non valentem agere non currit praescriptio 32 ( * ) », selon lequel la prescription ne peut courir contre celui qui ne peut valablement agir 33 ( * ) . La suspension a pour effet d'arrêter temporairement le cours du délai de prescription , qui reprend dès lors que disparaît l'obstacle qui s'y opposait.

Il est possible d'envisager que certaines maladies ou symptômes puissent, sur ce fondement, être considérés comme des obstacles de fait qui empêchent manifestement la victime de révéler les faits à la justice.

Afin de faciliter l'application de l'article 9-3, l'article 1 er bis du projet de loi vise à compléter l'article 706-48 du code de procédure pénale, qui prévoit actuellement la possibilité d'une expertise médico-psychologique pour apprécier la nature et l'importance du préjudice subi par les mineurs victimes d'une infraction mentionnée à l'article 706-47 du code de procédure pénale, afin de permettre aux juridictions d'ordonner une telle expertise pour apprécier, non un préjudice, mais l'existence éventuelle d'un « obstacle de fait insurmontable » ayant pour conséquence la suspension du délai de prescription de l'action publique en matière pénale.

Votre commission a adopté l'article 1 er bis ainsi rédigé .

CHAPITRE II - DISPOSITIONS RELATIVES À LA RÉPRESSION DES INFRACTIONS SEXUELLES SUR LES MINEURS

Article 2 (art. 222-22-1, 222-23, 222-31-1 et 227-25 du code pénal ; art. 351 du code de procédure pénale) - Répression des infractions sexuelles

L'article 2 du projet de loi vise à renforcer la répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, qu'il s'agisse de viol ou d'agression sexuelle. Il a également pour objet d'élargir la définition du viol, qui s'applique tant aux viols concernant les majeurs qu'aux viols concernant les mineurs. Enfin, il tend à élargir la surqualification pénale d'inceste.

1. La répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs

• L'état actuel du droit

Comme souligné dans le rapport d'information du groupe de travail pluraliste de votre commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 34 ( * ) , la France dispose d'un important arsenal législatif pour réprimer les infractions sexuelles dont sont victimes les mineurs.

Le code pénal réprime tout acte de nature sexuelle commis par un majeur à l'encontre d'un mineur de quinze ans au motif qu'un mineur de moins de quinze ans est incapable d'y consentir librement : cette protection est assurée par le délit dit de « l'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans » 35 ( * ) . Une « atteinte sexuelle » commise par un majeur à l'encontre d'un mineur de moins de quinze ans, « sans violence, contrainte, menace ni surprise » constitue un délit puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (article 227-25 du code pénal).

Ces peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende pour un certain nombre de circonstances aggravantes, notamment lorsque les faits ont été commis par une personne ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime (article 227-26 du code pénal).

En incriminant de la sorte, même sans violence, sans contrainte, sans menace, sans surprise, tout acte de nature sexuelle entre un majeur et un mineur de moins de quinze ans, le législateur a ainsi fixé dans la loi à quinze ans l'âge du consentement sexuel, qui définit en creux la « majorité sexuelle ». Avant quinze ans, un mineur est réputé ne pas pouvoir consentir librement à un rapport sexuel avec un adulte : ces faits sont donc toujours incriminés.

La définition de l'atteinte sexuelle, qui n'exige qu'un contact physique de nature sexuelle 36 ( * ) , permet de réprimer très largement tous les comportements. Elle intervient de manière subsidiaire aux infractions d'agressions sexuelles ou de viol, en cas de pénétration.

Infractions d'atteintes sexuelles

Articles du code pénal

Qualification pénale

Peines encourues

227-25

Atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans

5 ans d'emprisonnement
et 75 000 euros d'amende

227-26

Atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans aggravée (par exemple en cas d'infraction commise par un ascendant ou en cas d'utilisation préalable d'un réseau de communication électronique)

10 ans d'emprisonnement
et 150 000 euros d'amende

227-27

Atteinte sexuelle sur mineur de plus de 15 ans par un ascendant, une personne ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime ou par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions

3 ans d'emprisonnement
et 45 000 euros d'amende

Les agressions sexuelles sont quant à elles réprimées sur le fondement de l'article 222-22 du code pénal qui définit une agression sexuelle comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ».

Le code pénal distingue le viol (articles 222-23 et suivants) des autres agressions sexuelles (articles 222-27 et suivants) : est qualifié de viol « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » .

Les éléments constitutifs des agressions sexuelles (y compris le viol)

Trois éléments sont nécessaires pour constituer ces infractions pénales :

- un élément légal : en l'espèce, les faits sont réprimés par les articles 222-22 et 222-23 du code pénal ;

- un élément matériel : un contact physique à caractère sexuel ou, pour le viol, un acte de pénétration sexuelle ;

- un élément intentionnel : la conscience de l'auteur de l'infraction d'exercer une coercition (une contrainte, une violence, une menace ou une surprise) sur la victime. Cet élément intentionnel est indispensable pour ne pas pénaliser les relations sexuelles consenties.

L'infraction est donc caractérisée, non pas par rapport au comportement ou au consentement de la victime, mais bien par rapport aux faits et à l'intention de leur auteur, sur lequel pèse la responsabilité pénale de l'acte .

Le consentement, ou plutôt l'absence de consentement, n'est pas explicitement mentionné par le code pénal . Considérant qu'il est extrêmement difficile de rapporter la preuve d'une absence et conformément au principe de présomption d'innocence, le code pénal fait en effet reposer les qualifications pénales d'agression sexuelle et de viol sur la caractérisation d'un élément positif : l'existence d'une violence, d'une contrainte, d'une menace ou d'une surprise.

Comme le soulignait le rapport d'information précité, l'interprétation jurisprudentielle, parfois complétée par le législateur, de ces notions est abondante . S'agissant des viols sur mineurs, ce sont les notions de contrainte morale ou de surprise qui sont le plus fréquemment mobilisées .

Infractions sexuelles

Article du code pénal

Qualification pénale

Peines encourues

222-22 et
222-27

Agression sexuelle

5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende

222-28

Agression sexuelle commise par un ascendant, par une personne ayant autorité de droit ou de fait sur la victime, par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions

7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende

222-29

Agression sexuelle imposée à une personne particulièrement vulnérable à raison de son âge

7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende

222-29-1

Agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans

10 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende

222-23

Viol

15 ans de réclusion criminelle

222-24

Viol aggravé lorsqu'il est commis sur un mineur de 15 ans ou sur une personne particulièrement vulnérable à raison de son âge ou commis par une personne ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime

20 ans de réclusion criminelle

• La modification proposée par l'article 2 du projet de loi

En réponse à deux affaires judiciaires très largement médiatisées, qui ont particulièrement ému l'opinion publique, le Gouvernement a annoncé son intention de renforcer l'arsenal pénal existant par la création d'une présomption irréfragable de non-consentement attachée à un seuil d'âge pour les mineurs, puis par la création de nouvelles infractions dont l'une qualifiait de viol tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de quinze ans dès lors que l'auteur « connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime ».

De telles modifications ont néanmoins été jugées contraires aux exigences constitutionnelles par le Conseil d'État .

En conséquence, le Gouvernement a renoncé à son projet initial pour proposer :

- la création d'une nouvelle disposition interprétative concernant la contrainte morale ou la surprise pour les viols commis sur les mineurs de moins de 15 ans ;

- la création d'une circonstance aggravante pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans en cas d'acte de pénétration sexuelle, permettant de prononcer une peine de dix ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende ;

- l'obligation pour le président d'une cour d'assises, lors d'un procès pour viol de mineur de 15 ans au cours duquel la qualification pénale est contestée, de poser la question subsidiaire du délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans.

Initialement, la disposition interprétative applicable aux mineurs de moins de 15 ans avait pour objectif de déduire la surprise ou la contrainte morale « de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Clarifié lors de son examen à l'Assemblée nationale, cette disposition prévoit désormais la caractérisation de la surprise ou de la contrainte morale « par l'abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».

Enfin, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de notre collègue député Xavier Breton visant à aggraver, de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende à sept ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende, les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans.

• La position de votre commission : protéger tous les mineurs

- Les atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans

Concernant les atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans, votre commission a naturellement approuvé l'aggravation des peines pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur. Cette disposition reprend en effet fidèlement la rédaction de l'article 5 de proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018) de M. Philippe Bas, votre rapporteur, M. François-Noël Buffet, Mmes Maryse Carrère, Françoise Gatel et plusieurs de nos collègues.

En revanche, par l'adoption de quatre amendements identiques de votre rapporteur et de nos collègues Annick Billon, Françoise Laborde et Marie-Pierre de la Gontrie, votre commission a supprimé la création d'une circonstance aggravante permettant de réprimer de dix ans d'emprisonnement les « atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans » lorsque les faits s'accompagnent d'un acte de pénétration sexuelle ( amendements COM-1, COM-28, COM-37 et COM-60 ).

Votre rapporteur partage la volonté du Gouvernement et de l'Assemblée nationale d'aggraver la répression des actes de nature sexuelle entre un majeur et un mineur. Néanmoins, il semble préférable d'aménager la charge de la preuve en matière de viol sur mineur car l'aggravation des peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans aurait pour conséquence d'accentuer la propension des juridictions à « correctionnaliser » ces viols . En effet, dès lors que l'écart de peines encourues se réduit entre le crime de viol sur mineur de 15 ans et le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans, les juridictions seront davantage incitées à retenir la voie procédurale la plus rapide, a fortiori lorsque la peine moyenne d'emprisonnement prononcée par les cours d'assises est de cinq ans 37 ( * ) , soit un niveau inférieur au maximum encouru devant le tribunal correctionnel.

Si la correctionnalisation n'est pas nécessairement une mauvaise pratique judiciaire, elle ne doit pas pour autant être excessivement encouragée. Or, selon l'ensemble des magistrats entendus par votre rapporteur, la création d'une telle circonstance aggravante, sans renforcement significatif des moyens de la justice, et notamment des chambres de l'instruction et des cours d'assises, aurait très probablement pour conséquence une correctionnalisation massive des viols sur mineur de 15 ans en atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans .

- Les viols commis à l'encontre des mineurs

Votre commission a approuvé le souhait du Gouvernement d'introduire une disposition interprétative concernant les viols commis à l'encontre des mineurs, afin de guider les pratiques judiciaires. Néanmoins, comme l'a observé le président de votre commission lors de l'audition de Mmes Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes 38 ( * ) , une telle disposition aurait pu relever d'une circulaire du garde des sceaux ou d'une directive de la direction des affaires criminelles et des grâces adressées aux parquets.

Les magistrats entendus par votre rapporteur estiment qu'une telle précision peut cependant davantage aider les juridictions à retenir cette qualification. Dès lors, dans le même objectif de faciliter les poursuites criminelles en matière de viols commis à l'encontre de mineurs, votre rapporteur a également précisé la disposition interprétative de l'article 222-22-1 du code pénal en permettant de déduire la contrainte morale pour les victimes mineures de 15 ans de l'absence de maturité sexuelle suffisante ( amendement COM-58 ). En effet, les pédiatres et les pédopsychiatres entendus en audition insistent sur la nécessité de prendre en compte non seulement l'absence de discernement du mineur victime mais également son absence de maturité sexuelle.

La position du Défenseur des droits sur une présomption de non-consentement liée à un seuil d'âge

« D'une manière générale, le Défenseur des droits, et la Défenseure des enfants avant lui, ne se sont jamais montrés très favorable à l'introduction de seuils d'âge dans la loi. Il convient d'être extrêmement prudent sur toute disposition qui introduirait une certaine automaticité dans l'application de la loi pénale. Il favorise de manière constante l'appréciation concrète du discernement du mineur. Par exemple, lorsque la question du seuil d'âge de responsabilité pénale a été soulevée dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante envisagée par Madame TAUBIRA, le Défenseur des droits s'était prononcé en faveur de l'appréciation du discernement par le juge pour permettre une appréciation concrète de la situation, et non en faveur d'un âge en particulier.

« Pour autant, s'agissant de la présomption de non-consentement en matière d'infractions sexuelles, le Défenseur des droits émet à ce stade des réserves sur la fixation d'un seuil d'âge à 15 ans en-deça duquel le mineur serait présumé non-consentant, le considérant excessif. En effet, il conduirait à qualifier de viol, puni de 20 ans de réclusion criminelle, toute relation sexuelle entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur, y compris un très jeune majeur, quelles que soient les circonstances, ce qui ne paraît pas tenir compte de l'évolution de notre société et des pratiques sexuelles chez les jeunes ».

Source : extrait de l'avis du Défenseur des droits n° 17-13 du 30 novembre 2017,
pour le groupe de travail de la commission des lois du Sénat
sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 39 ( * ) .

De surcroît, votre commission des lois a souhaité aller plus loin que la disposition interprétative du Gouvernement. Par l'adoption de l' amendement COM-58 de votre rapporteur, votre commission a choisi de protéger tous les mineurs , en inversant la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs lorsque ceux-ci sont incapables de discernement ou en cas de différence d'âge significative entre l'auteur et la victime mineure.

Cette disposition avait déjà été adoptée, le 27 mars dernier, lors de l'examen de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018) de M. Philippe Bas, votre rapporteur, M. François-Noël Buffet, Mmes Maryse Carrère, Françoise Gatel et plusieurs de nos collègues.

Cette disposition, plus souple que l'instauration d'une présomption simple reposant sur un seuil d'âge des victimes, permet de s'adapter à la diversité des situations. En effet, la maturité sexuelle n'a pas d'âge . Selon M. Philippe Duverger, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service au CHU d'Anger, le discernement, la maturité sexuelle, ou la capacité à consentir à un acte sexuel et à en comprendre les conséquences varient énormément d'un enfant à l'autre.

Contrairement à l'introduction d'un seuil d'âge qui ne protègerait qu'une partie d'entre elles, cette présomption simple de contrainte permettrait de protéger toutes les victimes mineures, quel que soit leur âge . Selon votre commission, la protection accordée à un mineur ne peut pas dépendre de sa date d'anniversaire. Il est injuste et inefficace de prévoir une protection accrue de certaines victimes en fonction seulement d'un seuil d'âge. Une victime de 13 ans et 4 mois ne doit pas être moins protégée qu'une victime de 12 ans et 11 mois.

Comme l'avait souligné le représentant de la chambre criminelle de la Cour de cassation, l'introduction d'une « âge-seuil » risque d'être interprétée également par les juridictions comme une limite 40 ( * ) , par exemple pour l'application de la notion de contrainte morale : la création d'une telle présomption ferait ainsi courir le risque que les juridictions ne reconnaissent plus l'existence d'une contrainte morale pour les victimes mineures de plus de 13 ou 15 ans . L'instauration d'une présomption de non-consentement en deçà de 13 ans instaurerait une zone « grise » quant à la répression pénale de ces comportements qui pourraient inciter à se reposer exclusivement sur la qualification pénale d'atteinte sexuelle et donc mobiliser insuffisamment la qualification pénale de viol. Or telle n'est pas l'intention recherchée.

Après un long débat et afin de ne pas fragmenter le régime de protection des mineurs, qui repose déjà sur l'âge de la majorité sexuelle fixé à 15 ans, votre commission n'a pas adopté les amendements visant à créer une nouvelle infraction criminelle en cas d'acte de pénétration sexuelle commis sur un mineur de 13 ans.

Comme l'avis du Conseil d'État 41 ( * ) l'a souligné, la création d'une telle infraction, qui reviendrait à créer une présomption irréfragable de culpabilité pour tout majeur ayant une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans , porterait une atteinte disproportionnée au principe de la présomption d'innocence et aux droits de la défense. Il a également rappelé la nécessité pour les infractions, a fortiori criminelles, de caractériser un élément intentionnel précis (avoir conscience d'accomplir un acte illicite), qui ne saurait se déduire du seul âge de la victime, a fortiori si l'auteur ne le connaissait pas, ou du seul acte matériel de la pénétration sexuelle. Comme l'a rappelé le Conseil d'État, la seule circonstance que l'auteur « ne pouvait ignorer l'âge de la victime » ne répond pas à l'exigence constitutionnelle relative à l'élément intentionnel en matière criminelle.

La jurisprudence constitutionnelle sur les présomptions irréfragables

En application de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi . »

Sur ce fondement, la jurisprudence constitutionnelle accepte les présomptions de culpabilité ou de responsabilité, qui renversent partiellement la charge de la preuve , à la seule condition qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable , que le respect des droits de la défense soit assuré, que les faits permettent d'induire raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité et qu'en outre, s'agissant de crimes et de délits, « la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ».

Cette présomption de contrainte présenterait l'avantage d'être cohérent avec le régime de responsabilité pénale des mineurs auteurs. En l'état actuel du droit 42 ( * ) , la responsabilité pénale des mineurs est retenue en fonction de leur discernement et non de leur âge . En application de l'article 122-8 du code pénal, « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans les conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation ». Selon la jurisprudence 43 ( * ) , le discernement est établi lorsque le mineur « a compris et voulu » un acte et qu'il a agi « avec intelligence et volonté ». Tous les mineurs capables de discernement sont ainsi pénalement responsables mais encourent des mesures différentes. À partir de 13 ans, ils peuvent être condamnés à une peine d'emprisonnement 44 ( * ) .

Enfin, votre commission a approuvé la systématisation de la question subsidiaire de l'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en cas de faits jugés sous la qualification criminelle de viol sur mineur de quinze ans.

Néanmoins, afin de garantir les droits de la défense et pour prévenir tout risque de cassation, la jurisprudence de la Cour de cassation prévoit que le président de la cour d'assises doit poser cette question avant la fin des débats, et au plus tard avant le réquisitoire et donc les plaidoiries, pour permettre à l'accusé et à son avocat de faire valoir toutes les observations utiles à sa défense 45 ( * ) .

Afin d'éviter toute cassation sur ce motif, ?a fortiori ?si les questions subsidiaires étaient plus régulièrement posées, votre commission a adopté l' amendement COM-62 rect . de votre rapporteur, qui tend à inscrire cette jurisprudence dans la loi.

2. L'extension de la surqualification pénale d'inceste

L'article 2 du projet de loi a également été modifié à l'Assemblée nationale afin d'étendre la surqualification pénale de l'inceste aux viols et autres agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs . Cette disposition reproduit ainsi l'article 4 de la proposition de loi adoptée par le Sénat 46 ( * ) .

• La surqualification pénale d'inceste

Depuis la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, il existe une surqualification pénale d'inceste, obligatoirement retenue par les juridictions lorsque les conditions sont réunies, applicable aux infractions d'agression sexuelle et « d'atteinte sexuelle sur mineurs ».

En application de l'article 222-31-1 du code pénal, les viols et les autres agressions sexuelles « sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis sur la personne d'un mineur » par un ascendant, un frère, une soeur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce de la victime ou le conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité de l'une de ces personnes, s'il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

Entre le 16 mars 2016 et le 31 décembre 2016, 393 infractions sexuelles (dont 86 viols) ont été qualifiées d'incestueuses.

• L'extension du champ d'application de la surqualification pénale d'inceste prévue par l'article 2 du projet de loi

Par l'adoption de deux amendements identiques de nos collègues députés Dimitri Houbron et Xavier Breton, l'article 2 du projet de loi tend à modifier l'article 222-31-1 du code pénal afin d'étendre la surqualification pénale d'inceste aux agressions sexuelles commises à l'encontre des majeurs .

Cette surqualification pénale s'appliquerait aux faits commis par l'ascendant, le frère, la soeur, l'oncle, la tante, le neveu ou la nièce de la victime ainsi qu'au conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité de ces personnes, s'il a sur la victime une autorité de droit ou de fait.

En effet, l'inceste ne disparaît pas à la majorité de la victime, a fortiori si l'auteur de l'infraction autonome (qu'il s'agisse d'un viol ou d'une autre agression sexuelle) continue d'exercer une autorité de fait ou de droit sur la victime, susceptible de caractériser une contrainte morale.

À l'initiative de notre collègue députée Annie Chapelier, l'Assemblée nationale, en commission, a également étendu la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre d'un cousin germain. En séance publique, à l'initiative de notre collègue députée Annie Chapelier, l'Assemblée nationale a également étendu l'application de la surqualification pénale de l'inceste aux atteintes sexuelles, ainsi qu'aux actes d'atteintes sexuelles commis par des cousins germains.

• La position de votre commission

Votre commission approuve naturellement l'extension de la surqualification pénale de l'inceste, comme le Sénat l'avait approuvé le 27 mars dernier lors de l'adoption de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018) de M. Philippe Bas, votre rapporteur, M. François-Noël Buffet, Mmes Maryse Carrère, Françoise Gatel et plusieurs de nos collègues.

Toutefois, votre commission souhaite conserver une définition pénale de l'inceste cohérente avec la définition de l'inceste en matière civile , qui se déduit des prohibitions à mariage (articles 161 à 164 du code civil), de l'interdiction de conclusion d'un pacte civil de solidarité (article 515-2 du code civil), et des prohibitions de filiation incestueuse (article 310-2 du code civil). Or nul mariage, et donc nulle filiation, ne sont interdits entre cousins germains. En conséquence, afin de ne pas dissocier l'inceste pénal de l'inceste civil , et alors qu'il n'y a pas de prohibition à mariage entre cousins germains, votre commission des lois a supprimé cette extension par l'adoption de l' amendement COM-59 de votre rapporteur.

Enfin, par l'adoption de l' amendement COM-61 de votre rapporteur, votre commission est revenue sur l'extension aux majeurs de la surqualification pénale incestueuse pour les délits d'atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise commises à l'encontre de mineurs de 15 ans ou de mineurs de 18 ans. En effet, il apparaît incohérent d'étendre, pour les majeurs victimes, la possibilité de « sur-qualifier » d'incestueuses certaines infractions lorsque lesdites infractions ne peuvent être constituées qu'à l'égard de mineurs .

3. La répression du viol

Lors de l'examen à l'Assemblée nationale, à l'initiative de notre collègue député Erwan Balanant, la définition des éléments constitutifs du viol a été élargie afin de réprimer désormais, en tant que viols , les actes de pénétration sexuelle imposés et réalisés sur la personne de l'auteur . Il s'agit par exemple d'une fellation forcée, imposée par exemple à un jeune mineur.

L'interprétation stricte de la loi pénale imposait, jusqu'alors, de poursuivre ces faits de pénétration sexuelle commis sur l'auteur, et non sur la victime, comme des agressions sexuelles et non comme des viols.

Comparaison des rédactions de l'article 222-23 du code pénal

Texte en vigueur

Texte adopté par l'Assemblée nationale

Texte adopté par votre commission des lois

Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur ou avec la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Votre rapporteur approuve cette modification substantielle de la qualification légale du viol tout en regrettant qu'une telle disposition n'ait pas fait l'objet d'une évaluation préalable. Selon les magistrats entendus par votre commission, cela pourrait concerner annuellement près d'un millier de faits d'agressions sexuelles.

Si l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur approuve cet élargissement de la définition du viol, nombre d'entre elles ont émis des doutes sur l'intelligibilité de la rédaction retenue . Certains interprétaient cette modification comme ayant pour effet de prendre en considération les cas dans lesquels la victime pourrait être utilisée pour porter atteinte à l'intégrité sexuelle d'une tierce personne.

En conséquence, par l'adoption de l' amendement COM-58 de votre rapporteur, votre commission a clarifié cette rédaction.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .

Article 2 bis A (art. L. 114-3 du code de l'action sociale et des familles) -
Sensibilisation et prévention des violences sexuelles

Introduit par l'Assemblée nationale, en séance publique, à l'initiative de notre collègue député Adrien Taquet malgré un avis défavorable du Gouvernement et de la commission des lois, l'article 2 bis A du projet de loi a pour objet de préciser que la politique de prévention du handicap, prévue à l'article L. 114-3 du code de l'action sociale et des familles, inclut des actions de sensibilisation, de prévention et de formation concernant les violences sexuelles à destination des professionnels et des personnes en situation de handicap.

Cette précision est de nature à renforcer les plans de prévention des violences sexuelles. Elle prend en compte la proposition n° 5 du rapport d'information du groupe de travail pluraliste sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs de votre commission : « Former les professionnels au contact des enfants, en particulier les enfants handicapés, au repérage des signaux faibles associés aux violences sexuelles afin d'augmenter les signalements . »

Votre commission a adopté l'article 2 bis A sans modification .

Article 2 bis B (supprimé) (art. L. 311-4-2 [nouveau] du code de l'action sociale et des familles) - Création de référents intégrité physiques dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux

Introduit par l'Assemblée nationale, en séance publique, à l'initiative de notre collègue député Adrien Taquet malgré un avis défavorable du Gouvernement et de la commission des lois, l'article 2 bis B du projet de loi a pour objet de prévoir la désignation, dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, d'un référent intégrité physique.

Ce référent aurait pour mission de témoigner, orienter ou soutenir toute personne signalant qu'elle a été victime d'atteinte à son intégrité physique.

Sans remettre en cause la légitimité d'une telle proposition, votre commission a observé qu'une telle disposition ne relevait pas du niveau législatif, mais infra-réglementaire : la désignation de référents au sein d'administrations publiques ou parapubliques relève d'une circulaire ou d'une instruction ministérielle. Par exemple, la circulaire n° DGOS/R2/MIPROF/2015/345 du 25 novembre 2015 relative à la mise en place, dans les services d'urgences, de référents sur les violences faites aux femmes a défini les missions des référents « violences faites aux femmes » identifiés dans chaque établissement autorisé en médecine d'urgences.

En conséquence, par l'adoption de l' amendement COM-63 de votre rapporteur, votre commission a supprimé l'article 2 bis B.

Article 2 bis C (art. 223-6 et 434-3 du code pénal) - Aggravation des peines en cas d'omission de porter secours ou de non-dénonciation d'actes de mauvais traitements, d'agressions ou d'atteintes sexuelles sur un mineur

Introduit par l'Assemblée nationale, en séance publique, par un amendement de notre collègue député Dimitri Houbron, sous-amendé par Alexandra Louis, rapporteure de la commission des lois, l'article 2 bis B du projet de loi a pour objet de renforcer les peines encourues pour omission de porter secours (article 223-6 du code pénal) ou non-dénonciation auprès des autorités judiciaires des faits de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles (article 434-3 du code pénal), lorsque les faits concernent des mineurs de 15 ans.

Comparaison des peines encourues

Peines encourues

Droit en vigueur

Texte adopté par la commission

Omission de porter secours (article 223-6 du code pénal)

Victime majeure et mineur de plus de 15 ans

5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende

5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende

Mineur de 15 ans

7 ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende

Non-dénonciation auprès des autorités judiciaires de faits de privations, mauvais traitements, agression ou atteinte sexuelle (article 434-3 du code pénal)

Victime majeure et mineur de plus de 15 ans

3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende

3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende

Mineur de 15 ans

5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende

Votre commission ne peut qu'approuver ces dispositions puisqu'elles avaient été adoptées par le Sénat, lors de l'examen de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018) présentée par M. Philippe Bas, votre rapporteur, M. François-Noël Buffet, Mmes Maryse Carrère, Françoise Gatel et plusieurs de nos collègues, adoptée par le Sénat le 27 mars dernier.

Votre commission a adopté l'article 2 bis C sans modification .

Article 2 bis D (art. 706-53-7 du code de procédure pénale) - Accès indirect au fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV)

Introduit par l'Assemblée nationale, en séance publique, à l'initiative de notre collègue député Sébastien Huyghe, l'article 2 bis D du projet de loi a un double objet.

En premier lieu, il vise à inclure les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), au même titre que les maires, les présidents de conseil départemental ou régional, parmi les personnes destinataires, par l'intermédiaire des préfets, des informations contenues dans le fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) .

Le fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes

Institué par la loi du 9 mars 2004, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) vise à prévenir la réitération d'infractions à caractère sexuel ou violent et à faciliter l'identification de leurs auteurs.

L'article 706-53-2 du code de procédure pénale prévoit l'enregistrement de l'identité et du domicile de toutes les personnes condamnées ayant fait l'objet d'une mesure de composition pénale, d'une décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou, pour certains cas, d'une mise en examen pour une infraction mentionnée à l'article 706-47 du code de procédure pénale. Cette inscription peut être obligatoire, sauf décision spécialement motivée, ou facultative.

L'inscription dans ce fichier entraîne l'obligation de justifier régulièrement de son domicile, de déclarer tout changement d'adresse et peut être accompagnée de l'obligation de se présenter mensuellement aux forces de sécurité intérieure. Ce fichier peut être consulté par les autorités judiciaires, les officiers de police judiciaires et les services de l'État. Les informations peuvent en outre être transmises, par les préfets, aux maires et aux présidents des conseils départementaux et régionaux pour les décisions administratives de recrutement, d'affectation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation concernant des activités ou des professions impliquant un contact avec des mineurs.

En second lieu, il vise à opérer une coordination en remplaçant les termes de « conseil général » par ceux de « conseil départemental, qui aurait pourtant dû être effectuée en application de l'article 1 er de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 47 ( * ) .

Les personnels des EPCI pouvant travailler au contact des mineurs, il apparaît légitime que leurs employeurs puissent s'assurer au préalable de leur absence d'inscription au FIJASIV.

Par conséquent, votre commission a adopté l'article 2 bis D sans modification .

Article 2 bis E (supprimé) - Rapport du Gouvernement au Parlement sur les dispositifs locaux d'aide
aux victimes d'agressions sexuelles

Introduit par l'Assemblée nationale, en séance publique, à l'initiative de notre collègue députée Bérengère Couillard, l'article 2 bis E du projet de loi tend à prévoir la remise au Parlement, dans les six mois de la promulgation de la loi, d'un rapport du Gouvernement sur « les dispositifs locaux d'aide aux victimes d'agressions sexuelles, leur permettant d'être accompagnées et de réaliser les démarches judiciaires au sein même des centres hospitaliers universitaires. »

Une telle disposition ne semble pas utile à votre commission dès lors que le Parlement dispose de moyens de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, qui lui permettent de ne pas avoir à s'en remettre à un rapport du Gouvernement pour évaluer les dispositifs locaux d'aide aux victimes d'agressions sexuelles.

Votre commission relève qu'aucun des 17 rapports que le Gouvernement aurait dû remettre au Parlement en application des lois promulguées et envoyées au fond à la commission des lois au cours de l'année parlementaire 2016-2017 n'a été remis dans le délai imparti, ce qui témoigne de l'inanité des dispositions tendant à prévoir la remise de tels rapports.

Aussi votre commission a-t-elle adopté un amendement COM-64 de suppression présenté par son rapporteur.

Votre commission a supprimé l'article 2 bis E.

Article 2 bis (supprimé) - Rapport du Gouvernement au Parlement sur les dispositifs locaux d'aide à la mobilité des victimes de violences sexuelles

Introduit par l'Assemblée nationale, en commission, à l'initiative de notre collègue député Damien Pichereau, l'article 2 bis du projet de loi tend à prévoir la remise au Parlement, dans les six mois de la promulgation de la loi, d'un rapport du Gouvernement sur « les dispositifs locaux d'aide à la mobilité des victimes de violences sexuelles destinés à leur permettre de se déplacer, notamment pour un examen auprès d'un médecin légiste ou une audience, et de poursuivre leurs démarches de judiciarisation. »

Pour les mêmes raisons évoquées précédemment, une telle disposition n'apparaît pas utile.

Aussi votre commission a-t-elle, adopté à l'initiative de son rapporteur, un amendement COM-65 de suppression de cet article.

Votre commission a supprimé l'article 2 bis .

TITRE II - DISPOSITIONS RELATIVES AUX DÉLITS DE HARCÈLEMENT SEXUEL ET HARCÈLEMENT MORAL

Article 3 - (art. 222-33 et 222-33-2-2 du code pénal ; art. 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique) - Répression du harcèlement sexuel et moral

L'article 3 du projet de loi tend à modifier la définition des qualifications pénales de harcèlement sexuel et de harcèlement moral afin de mieux réprimer les faits de harcèlement collectif, notamment en ligne.

• La répression actuelle du harcèlement sexuel et moral

Plusieurs qualifications pénales permettent de réprimer les faits de harcèlement.

En application de l'article 222-33 du code pénal, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » .

Est également puni, en tant que fait assimilé au harcèlement sexuel, l'usage « de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers ».

Défini par l'article 222-33-2 du code pénal, le délit de harcèlement moral réprime « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Sont alors encourues deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende.

Depuis la loi du 4 aout 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, l'article 222-33-2-2 punit en outre d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » .

• L'évolution proposée de ces qualifications pénales par l'article 3 du projet de loi afin de réprimer les « raids numériques »

Dans son avis de novembre 2017, intitulé « En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes 48 ( * ) » , le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a appelé à lutter contre les « raids numériques », c'est-à-dire la « publication par plusieurs auteurs différents de propos sexistes et violents proférés une seule fois à l'encontre d'une même cible ».

Ce phénomène n'est que très difficilement réprimé sur le fondement des qualifications actuelles puisque les auteurs des raids réitèrent rarement les mêmes propos. En revanche, ils se coordonnent afin de cibler, de manière collective, la même personne.

En conséquence, l'article 3 du projet de loi vise donc à compléter les dispositions relatives aux délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral afin de considérer comme un harcèlement le fait individuel d'une personne, qui agit de façon concertée avec d'autres auteurs, contre une personne afin que celle-ci subisse des propos ou comportements répétés.

En commission des lois, notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, a distingué clairement deux hypothèses de « concertation », l'une tacite, l'autre expresse.

Ainsi, constitueraient un harcèlement sexuel ou moral :

- le fait, pour plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles , alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée, d'imposer des propos ou comportements visés par la qualification de harcèlement sexuel ou moral à une même victime ;

- le fait, pour plusieurs personnes, qui même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition, d'imposer successivement des propos ou comportements visés par la qualification de harcèlement sexuel ou moral à une même victime . »

En séance publique à l'Assemblée nationale, à l'initiative de notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, a modifié la qualification légale du harcèlement sexuel afin d'inclure les propos ou les comportements à connotation « sexiste » afin « d'aligner, hors la répétition, la définition du harcèlement sexuel telle qu'elle figure à l'article 222-33 du code pénal et la définition de l'outrage sexiste ».

• La position de votre commission

Votre commission a souhaité revenir sur l'ajout introduit à l'Assemblée nationale en première lecture, tendant à modifier les éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement sexuel pour y inclure les propos ou comportements à connotation sexiste imposés à une personne de façon répétée.

Comme l'ont souligné le Défenseur des droits ainsi que plusieurs magistrats et universitaires entendus par votre rapporteur, cette extension entraîne une confusion entre le harcèlement sexuel et l'outrage sexiste , créé par l'article 4 du projet de loi, alors que la notion de harcèlement sexuel doit rester clairement distinguée des autres infractions.

Par l'adoption de l'amendement COM-66 de votre rapporteur, votre commission a supprimé cette mention.

Sous cette réserve, votre commission des lois partage la volonté du Gouvernement de faire évoluer les définitions du harcèlement sexuel et moral pour mieux réprimer les raids numériques et approuve dès lors l'extension proposée par le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale .

Afin de renforcer effectivement la lutte contre les violences en ligne et mieux lutter contre la propagation de contenus « harceleurs », votre commission a adopté, à l'initiative de votre rapporteur et de notre collègue Marie-Pierre de la Gontrie, les amendements identiques COM-67 et COM-12 qui incluent, dans le devoir de coopération des intermédiaires techniques, la lutte contre le harcèlement sexuel.

Le régime de responsabilité et les devoirs des intermédiaires techniques

Transposant en droit français les dispositions de la directive 2000/31 du 8 juin 2000, dite directive « commerce électronique », l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique prévoit un régime de responsabilité limitée pour les fournisseurs d'accès 49 ( * ) et les hébergeurs de contenus 50 ( * ) .

S'ils ne sont pas responsables a priori des contenus qu'ils « stockent » et donc ne sont pas astreints à un devoir de surveillance de ces contenus, ces intermédiaires techniques ont néanmoins pour obligation d'agir promptement pour retirer toute donnée dont le contenu serait manifestement illicite.

Pour certains délits spécifiques, les intermédiaires techniques doivent également :

- mettre en place un dispositif « facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance » les contenus jugés contraires à l'intérêt général ;

- informer promptement les autorités publiques compétentes des signalements reçus par le biais des dispositifs de signalement ; ces signalements sont traités par la plate-forme (PHAROS) ;

- rendre publics les moyens qu'ils consacrent à la lutte contre les activités illicites.

Parmi ces délits, figurent notamment l'apologie de crimes contre l'humanité, la discrimination, l'incitation à la haine ou à la violence, la pédopornographie ou encore le proxénétisme.

Possibilités de signalement d'une vidéo de cyber-harcèlement sur Youtube

Source : captures d'écran de l'écran de signalement d'une vidéo sur Youtube

Votre commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 3 bis (art. 132-80, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13, 222-24, 222-28, 222-33, 222-33-2-1, 222-33-2-2 du code pénal) - Circonstances aggravantes

Introduit par l'Assemblée nationale en commission, par l'adoption de deux amendements identiques de notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, et de notre collègue député Dimitri Houbron, l'article 3 bis du projet de loi a pour objet de préciser ou de créer plusieurs circonstances aggravantes.

• L'absence d'exigence de cohabitation pour la circonstance aggravante d'infractions commises par le conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité

Les violences sexuelles subies par les femmes dans la sphère privée ont lieu le plus souvent au sein du couple ; en 2016, 45 % des femmes âgées de 18 à 75 ans, déclarant avoir été victimes d'un viol, étaient victimes de leur conjoint ou de leur ex-conjoint 51 ( * ) .

Afin de réprimer ces comportements, le code pénal prévoit, pour certaines infractions, une circonstance aggravante « lorsque l'infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité . »

L' article 132-80 du code pénal précise que la circonstance aggravante est également constituée « lorsque les faits sont commis par l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ».

L'exigence de communauté de vie en matière civile

L'article 215 du code civil énonce, en matière conjugale, que « les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie » et que « la résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord . »

L'article 515-4 du même code dispose que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s'engagent à une vie commune ».

Enfin, selon l'article 515-8 du code civil, « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

Afin d'éviter certaines applications jurisprudentielles de cette circonstance aggravante qui impose une cohabitation, et pas seulement une communauté de vie et d'intérêts, l'article 3 bis du projet de loi a pour objet de préciser que la circonstance aggravante « d'infraction commise au sein du couple » s'applique même aux couples non-cohabitants .

Votre commission approuve cette précision, qui peut être utile.

• La circonstance aggravante de l'infraction de harcèlement sexuel lorsque ce dernier est le fait d'un conjoint, d'un concubin ou d'un partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité

L'article 3 bis du projet de loi tend également à compléter la liste des circonstances aggravantes prévues pour le harcèlement sexuel à trois hypothèses :

- alors qu'un mineur de quinze ans était présent au moment des faits et y a assisté ;

- lorsque les faits ont été commis par un ascendant ou par tout autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

- lorsque les faits sont commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un PACS.

Les peines encourues seraient alors de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende.

Votre rapporteur comprend la volonté de l'Assemblée nationale mais estime néanmoins que la circonstance aggravante liée au fait que l'auteur est le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un PACS pourrait engendrer une confusion avec le délit de harcèlement au sein du couple (prévu par l'article 222-33-2-1 du code pénal) alors même que les peines encourues pour ce dernier délit peuvent être supérieures (jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, en cas de circonstances aggravantes).

Le harcèlement sexuel (article 222-33 du code pénal)

« I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

III. - Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. »

Le harcèlement moral au sein du couple (article 222-33-2-1 du code pénal)

« Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail et de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende lorsqu'ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours. »

De plus, comme l'ont relevé plusieurs universitaires entendus par votre rapporteur, il semble préférable de sanctionner le harcèlement « moral » au sein du couple, plutôt que le harcèlement sexuel ; cette dernière qualification pénale serait susceptible d'entraîner des débats judiciaires délicats autour des éléments constitutifs du harcèlement sexuel alors même que les éléments constitutifs de l'article 222-33-2-1 du code pénal semblent plus larges.

En conséquence, par l'amendement COM-68 rect . de votre rapporteur, votre commission a supprimé cette précision.

En revanche, votre commission a conservé l'ajout des deux autres circonstances aggravantes au délit de harcèlement sexuel.

• La présence d'un mineur de 15 ans ayant assisté aux faits comme circonstance aggravante

Pour certaines infractions limitativement énumérées, l'article 3 bis du projet de loi vise à créer une nouvelle circonstance aggravante en cas de présence d'un mineur de 15 ans lors de la commission des faits réprimés à titre principal.

Infractions concernées par la circonstance aggravante de présence d'un mineur de 15 ans

Articles
du code pénal

Qualification pénale

Peines encourues

Article 222-8

Violences mortelles avec circonstances aggravantes

20 ans de réclusion criminelle

Article 222-10

Violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente avec circonstances aggravantes

15 ans de réclusion criminelle

Article 222-12

Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, avec circonstances aggravantes

5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende

Article 222-13

Violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail

3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende

Article 222-24

Viol, avec circonstances aggravantes

20 ans de réclusion criminelle

Article 222-28

Agression sexuelle, avec circonstances aggravantes

7 ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende

Article 222-33

Harcèlement sexuel

2 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende

Article 222-33-2-1

Harcèlement au sein du couple

5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende

Article 222-33-2-2

Harcèlement moral, avec circonstances aggravantes

2 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende

Selon les auteurs des amendements à l'origine de cet article, il s'agit de mieux prendre en compte l'impact des violences conjugales sur les mineurs qui y assistent, conformément à l'article 46 de la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, ratifiée en 2014.

Votre rapporteur souscrit à la volonté des députés de mieux protéger les mineurs qui assistent à des faits de violences conjugales : en 2014, 143 000 enfants vivaient dans un foyer où une femme a déclaré être victime de violences physiques et/ou sexuelles de la part de son conjoint ou ex-conjoint. 42 % de ces enfants avaient moins de six ans 52 ( * ) . Or cette exposition à la violence conjugale a de graves conséquences sur le développement physique et psychique de l'enfant.

Néanmoins, votre rapporteur relève que la rédaction retenue n'a pas réservé l'application de la circonstance aggravante à la sphère privée. Par conséquent, une telle rédaction porterait à pouvoir considérer comme témoins tous les mineurs de quinze ans présents lors d'actes de violences survenus sur la voie publique et donc incriminer les auteurs de ces actes d'une peine aggravée, y compris lorsque les auteurs de ces actes sont mineurs. Or il serait paradoxal de condamner plus sévèrement un mineur s'étant battu sur la voie publique en raison de la présence de mineurs à ses côtés . Votre rapporteur s'est interrogée sur la pertinence d'une restriction de l'application de cette circonstance aggravante aux lieux privés. Néanmoins, une telle limitation ne semble pas justifiée pour tous les crimes (par exemple, les viols, où la présence d'un mineur à proximité, même accidentelle, peut néanmoins constituer une circonstance aggravante) et délits (le harcèlement sexuel peut avoir lieu dans l'espace public).

Surtout, la rédaction retenue par l'Assemblée nationale pose une difficulté dans la mesure où elle ne répond qu'imparfaitement à l'objectif initial de l'amendement qui visait à prendre en compte les enfants victimes d'un cadre familial perturbé par des violences conjugales. En effet, la rédaction de l'article 3 bis du projet de loi vise à créer une circonstance aggravante alternative, et non cumulative, à la circonstance aggravante de violences commises par un conjoint, partenaire de PACS ou concubin .

Afin de répondre à l'objectif recherché de mieux réprimer les violences conjugales commises en présence d'un mineur de quinze ans, par le même amendement COM-68 rect ., votre commission a prévu de créer une nouvelle circonstance aggravante de présence d'un mineur de 15 ans, qui peut se cumuler aux circonstances aggravantes existantes .

Ainsi, les peines seraient désormais plus élevées en cas de combinaison de ces deux circonstances aggravantes pour les infractions de violences mortelles (article 222-8 du code pénal), violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-10 du code pénal), violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours (article 222-12 du code pénal) ou violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail (article 222-13 du code pénal).

Dans les autres hypothèses d'infractions, votre commission a conservé la rédaction issue de l'Assemblée nationale.

Votre commission a adopté l'article 3 bis ainsi modifié .

TITRE III - DISPOSITIONS RÉPRIMANT L'OUTRAGE SEXISTE

Article 4 (art. 131-3, 131-5-1, 225-4-11, 225-19 du code pénal ; art. 41-2 du code de procédure pénale) - Répression de l'outrage sexiste

L'article 4 du projet de loi tend à créer une nouvelle infraction contraventionnelle d'outrage sexiste pour sanctionner les comportements communément appelés « harcèlement de rue ».

• La volonté du Gouvernement de réprimer les comportements dits de « harcèlement de rue »

Afin de lutter contre les violences sexistes dans l'espace public, le Gouvernement a annoncé, en septembre 2017, la création d'un groupe de travail, composé uniquement de députés, ayant pour objectif de proposer une définition du harcèlement de rue et de proposer les moyens permettant la verbalisation de cette infraction.

Le harcèlement de rue désigne l'ensemble des interpellations ou des comportements non sollicités adressés à des personnes, majoritairement des femmes, dans l'espace public. Comme le souligne l'association « Stop au harcèlement de rue », dont des représentants ont été entendus par votre rapporteur, « la drague est une main tendue, le harcèlement est une main qui s'abat ».

Remis le 28 février 2018 à Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre femmes et homme, le rapport du groupe de travail « Verbalisation du harcèlement de rue » a considéré nécessaire de définir une nouvelle infraction visant à « sanctionner cette zone grise que sont, entre autres, les gestes déplacés, les sifflements, les regards insistants ou remarques obscènes, le fait de suivre volontairement à distance une personne » afin de poser un interdit social .

Le groupe de travail a retenu la qualification « d'outrage sexiste » afin d'utiliser « une sémantique différente, décorrélée du délit de harcèlement moral ou sexuel, pour empêcher toute confusion dommageable relative aux faits poursuivis ».

Afin que la nouvelle infraction soit « opérationnelle » et considérant que seules les contraventions pouvaient être constatées en « flagrance » et sans dépôt de plainte préalable, le groupe de travail a proposé que l'outrage sexiste soit une contravention de quatrième classe.

Comparaison des qualifications

Fondement légal

Qualification

Définition

Article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Injure sexiste publique

« Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent [six mois d'emprisonnement et 22 500 € d'amende] l'injure commise [...] envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.

Article L. 1142-2-2-1 du code du travail

Agissement sexiste

« Nul ne doit subir d'agissement sexiste défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Article 222-33 du code pénal

Harcèlement sexuel

« le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante »

« le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers »

Texte du projet de loi transmis au Sénat

Outrage sexiste

« le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13, 222-32, 222-33 et 222-33-2-2, d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste ou à raison de son sexe, de son identité de genre ou de son orientation sexuelle, réelle ou supposée, qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. »

• L'infraction contraventionnelle créé par le projet de loi

L'article 4 du projet de loi tend à traduire dans la loi la recommandation du groupe de travail précité , malgré l'avis négatif du Conseil d'État. Lors de l'examen de l'avant-projet de loi, au regard des articles 34 et 37 de la Constitution, le Conseil d'État avait estimé que la création d'une telle contravention ne relevait pas de la loi, avait écarté la disposition et invité le Gouvernement à lui présenter pour avis un projet de décret.

Le Gouvernement a cependant maintenu sa disposition à l'article 4 du projet de loi présenté à l'Assemblée nationale.

Cette nouvelle infraction tend à reprendre tous les éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement sexuel, défini à l'article 222-33 du code pénal, sans l'exigence de répétition des faits. De plus, contrairement au harcèlement sexuel, en sus des propos ou comportements sexuels, les propos ou comportements sexistes seraient explicitement réprimés par cette infraction.

Ces faits seraient sanctionnés d'une contravention de la 4 e classe, soit une amende de 750 euros susceptible de faire l'objet de la procédure simplifiée de l'amende forfaitaire.

Ces faits seraient punis d'une contravention de la 5e classe , soit une amende 1 500 euros, lorsque les faits seraient commis :

- par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

- sur un mineur de 15 ans ;

- sur une personne vulnérable à raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse ;

- sur une personne vulnérable ou dépendante en raison de la précarité de sa situation économie ou sociale ;

- par plusieurs personnes co-auteurs ou complices ;

- dans les transports publics.

L'article 4 du projet de loi vise également à créer une nouvelle peine de stage : le stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes. Outre ce stage, les personnes coupables d'outrage sexiste pourraient également être condamnées aux peines complémentaires de stages existantes (stage de citoyenneté, stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, etc.) ou à un travail d'intérêt général pour une durée de 20 à 120 heures.

Le choix de la contravention de la 4 e classe a été justifié afin de permettre une verbalisation immédiate par procès-verbal.

La procédure de l'amende forfaitaire

L'amende forfaitaire est une procédure ancienne en matière contraventionnelle 53 ( * ) , qui permet au justiciable de s'acquitter sur-le-champ, auprès de l'agent verbalisateur ou dans un court délai d'une amende pénale fixe, en cas d'infraction flagrante. Cette procédure simplifiée permet un meilleur recouvrement des amendes et ne recourt au juge qu'en cas de contestation. Le paiement de l'amende forfaitaire éteint l'action publique et n'est pas assimilé à une condamnation.

En application de l'article 529 du code de procédure pénale, la procédure d'amende forfaitaire est applicable à toutes les contraventions des quatre premières classes dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État. Une procédure spécifique de l'amende forfaitaire , spécifique aux contraventions des quatre premières classes à la police des services de transport terrestre, permet également à la fois le paiement d'une indemnité forfaitaire, la somme due au titre du transport, au titre de péage et, le cas échéant, du droit départemental de passage.

Créée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle , la procédure de l'amende forfaitaire en matière délictuelle est prévue par les articles 495-17 et suivants du code de procédure pénale.

Comme en matière contraventionnelle, cette procédure permet de sanctionner immédiatement la personne en faute qui doit s'acquitter sur-le-champ, ou dans un délai maximal de 45 jours, d'une amende forfaitaire dont le montant est fixé par la loi . Le paiement de l'amende forfaitaire éteint l'action publique.

Cette procédure est une faculté et ne peut s'appliquer en cas de récidive légale. En cas de circonstances particulières qui peuvent justifier des réquisitions à des fins d'emprisonnement par exemple, le ministère public conserve la possibilité de poursuivre cette infraction devant le tribunal correctionnel.

Lors de l'examen du projet de loi par la commission des lois de l'Assemblée nationale, la définition de l'outrage sexiste a été étendue, à l'initiative de notre collègue députée Laëticia Avia, aux propos ou comportements tenus à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle, réelle ou supposée, de la victime.

À l'initiative de notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, la commission des lois de l'Assemblée nationale a également mis en cohérence les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale avec la création de la nouvelle peine de stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, par l'adoption de deux amendements identiques de la rapporteure et de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, la commission des lois de l'Assemblée nationale a élargi le champ des personnes habilitées à constater la contravention par procès-verbal aux agents de police judiciaire adjoints (agents de la police municipale, réservistes, adjoints de sécurité) ainsi qu'aux agents et fonctionnaires autorisés à constater les infractions à la police des transports ferroviaires.

En séance publique, deux amendements identiques de nos collègues députées Clémentine Autain et Dimitri Houbron ont été adoptés afin d'étendre la définition de l'outrage sexiste aux propos ou comportements imposés à une personne « à raison de son identité de genre » au motif que celle-ci serait une « source autonome de discrimination » .

• La position de votre commission : la création du délit d'outrage sexiste

Votre rapporteur partage la volonté du Gouvernement de lutter contre le harcèlement de rue : à cet égard, la création d'une infraction constitue incontestablement un symbole fort dans la lutte culturelle contre ces comportements.

Néanmoins, elle relève que la prévention de tels comportements relève plus d'une politique de sensibilisation et d'éducation que d'un changement de la loi pénale.

De surcroît, l'article 4 défend des objectifs contradictoires.

Les éléments constitutifs de l'infraction font explicitement référence au ressenti de la victime . Par définition, ce ressenti est différent : la récente tribune sur le « droit à être importunée » dans la rue a mis en lumière ces différences.

Selon le directeur régional de la police judiciaire de Paris, entendu par votre rapporteur, une telle infraction sera très difficilement constatable par les services de police sur la voie publique .

Les représentants des syndicats de policiers entendus par votre rapporteur se sont interrogés sur leur capacité à constater une infraction qui n'est constituée qu'en fonction de critères nécessairement subjectifs qui dépendent de chaque victime. Selon eux, une telle constatation, quasi-impossible, ne peut être similaire à la « verbalisation pour franchissement d'un feu rouge ».

Ce texte apparaît donc inapplicable . La complexité des éléments matériels de l'infraction, qui induit nécessairement une appréciation des faits, ne permet pas de considérer cette infraction comme une contravention. Puisque certains faits pourront être réprimés même en dehors de la flagrance (notamment grâce à la vidéo-surveillance), il apparaît plus opportun de leur conférer une qualification délictuelle qui, contrairement à ce que soulignait le rapport du groupe de travail sur la verbalisation du harcèlement de rue, n'implique pas le préalable d'une plainte de la victime. Nombre de délits sont poursuivis, même sans plainte préalable de la victime.

De même que l'injure, définie comme une expression outrageante à l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, est un délit, il convient de conférer une qualification délictuelle à cette nouvelle infraction d'outrage sexiste pour ne pas abaisser le niveau de répression. Plusieurs praticiens ont en effet évoqué le risque de contraventionnalisation d'un certain nombre d'infractions (harcèlement sexuel, etc.) Cet amendement permet d'éviter cet écueil.

Enfin, il convient de rappeler que la création d'une contravention, même symbolique, ne relève pas de la loi, selon les articles 34 et 37 de la Constitution.

Dès lors, à l'initiative de votre rapporteur, votre commission a adopté l' amendement COM-69 afin de transformer la contravention d'outrage sexiste en un délit puni d'une amende de 3 750 euros.

Par le même amendement, elle a également appliqué à l'infraction la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle, créée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle , afin de prévoir une sanction rapide et effective de ces comportements.

Par le même amendement, elle a également limité l'application de l'outrage sexiste à l'espace public. Le Défenseur des droits a recommandé la limitation de cette infraction à l'espace public, pour éviter toute confusion avec d'autres infractions et notamment le délit d'agissement sexiste. La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public définit l'espace public comme constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.

Votre rapporteur observe que le groupe de travail « Verbalisation du harcèlement de rue » relevait également qu'il était préférable de « rattacher [la répression du « harcèlement de rue »] à la formulation « espace public 54 ( * ) », notamment défini à l'article 2 de la loi du 11 octobre 2010.

Votre commission a également, par l'adoption de l' amendement COM-70 de votre rapporteur, supprimer le motif homophobe et transgenre des éléments constitutifs de l'infraction pour en faire une circonstance aggravante de l'infraction. Plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont souligné l'incohérence de la disposition adoptée par l'Assemblée nationale. Le Défenseur des droits a ainsi recommandé de supprimer cet ajout afin d'affirmer clairement l'objectif de lutter contre les propos et comportements sexistes subis, principalement, par les femmes dans l'espace public, sans créer de confusion avec les infractions, notamment en matière de discrimination, luttant contre les propos ou comportements homophobes ou transphobes.

Enfin, par l'adoption de l' amendement COM-71 de votre rapporteur, votre commission a souhaité anticiper l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice , déposé au Sénat le 20 avril dernier. Dans le même esprit de simplification de la procédure pénale que le projet de loi précité, votre commission a souhaité ne pas faire référence explicitement à une peine de stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes mais renvoyer plus largement à l'accomplissement d'une peine de stage. La détermination précise du contenu de chaque stage ne relève pas de la loi dès lors que leurs modalités correspondent à l'article 131-5-1 du code pénal. Il convient de rappeler que certains parquets ont déjà mis en place de tels stages au regard de la latitude offerte par la loi. Il apparaît contre-productif de restreindre la déclinaison locale qui peut être faite de chaque stage.

Votre commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 4 bis (supprimé) (art. 2-2 du code de procédure pénale) - Exercice des droits reconnus à la partie civile pour les associations en matière de répression de l'outrage sexiste

Introduit par l'Assemblée nationale, en commission, à l'initiative de notre collègue députée Danièle Obono, l'article 4 bis du projet de loi vise à permettre aux associations , notamment celles luttant contre les violences sexuelles, d'exercer les droits reconnus à la partie civile en matière de répression sur le fondement de la contravention de l'outrage sexiste , créée par l'article 4 du projet de loi.

Les droits reconnus à la partie civile

La constitution de partie civile permet à la personne qui en bénéficie d'avoir accès au dossier de la procédure. Comme le soulignent Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer 55 ( * ) , la partie civile dispose « de droits importants qui lui permettent d'orienter l'instruction ». À cet égard, la partie civile peut :

- demander « à ce qu'il soit procédé à tous actes qui [lui] paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité » (article 82-1 du code de procédure pénale [CPP]) ;

- lorsqu'elle demande que soit ordonnée une expertise, préciser dans sa demande les questions qu'elle voudrait voir poser à l'expert (article 156 du CPP) ;

- demander une contre-expertise (article 167 du CPP), qui est de droit lorsque les conclusions de l'expertise sont de nature à conduire le juge d'instruction à déclarer la personne mise en examen irresponsable pénalement en raison d'un trouble mental (article 167-1 du CPP) ;

- demander que certains actes soient effectués en présence de son avocat (article 82-2 du CPP).

En outre, la partie civile dispose de « la possibilité de contrôler le déroulement de l'instruction. Elle bénéficie ainsi du droit de former appel, notamment des ordonnances de refus d'informer, de non-lieu, rejetant sa demande d'un acte d'instruction ou, plus généralement, de toute ordonnance portant atteinte à ses intérêts. Elle peut, sous certaines conditions, saisir la chambre de l'instruction de requêtes en annulation de la procédure. Elle peut, enfin, demander au juge de se prononcer sur la suite à donner au dossier, en demandant par exemple à l'expiration du délai prévisible d'achèvement de la procédure, qui lui a été notifiée en début d'information, qu'une personne mise en examen soit renvoyée devant un tribunal correctionnel (article 175-1 du CPP) ».

Votre commission considère qu'une telle disposition irait à l'encontre de la volonté d'avoir une sanction rapide et effective. En effet, elle empêcherait le recours à des modes simplifiés de poursuites ou de jugement.

En conséquence, votre commission a adopté l' amendement COM-72 de votre rapporteur afin de supprimer cet article.

Votre commission a supprimé l'article 4 bis .

Article 4 ter (art. 1676 code civil) - Prescription de l'action en rescision de la vente pour cause de lésion

Introduit par l'Assemblée nationale en séance publique par l'adoption de deux amendements identiques de nos collègues députées Clémentine Autain et Ericka Bareigts, avec l'avis favorable du Gouvernement et l'avis défavorable de notre collègue députée Alexandra Louis, rapporteure pour l'Assemblée nationale, l'article 4 ter du projet de loi vise à supprimer la référence inutile aux «femmes mariées » de l'article 1676 du code civil , relatif à la prescription de l'action en rescision de la vente pour cause de lésion .

• L'article 1676 du code civil : la définition d'une prescription biennale, qui court même à l'égard des femmes mariées

L' article 1674 du code civil dispose, depuis 1804 56 ( * ) , que le vendeur lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d'un immeuble peut demander la rescision de la vente . Une prescription biennale est prévue pour une telle action, à l'article 1676 du code civil.

Le même article précise que « ce délai court contre les femmes mariées et contre les absents, les majeurs en tutelle et les mineurs venant du chef d'un majeur qui a vendu ». Cette disposition vise ainsi à écarter les causes ordinaires de suspension de la prescription, telle que celle de l'article 2236 du code civil, et prévoit un délai de deux ans, ne pouvant être suspendu même en cas d'incapacité.

La capacité civile de la femme mariée

À l'origine, le code Napoléon de 1804 soulignait, à l'article 1124, l'incapacité juridique totale de la femme mariée : sous tutelle de ses parents jusqu'à son mariage, elle passait sous celle de son mari. La loi du 18 février 1938 a mis fin au statut d'incapable civile de la femme mariée.

L'article 2236 du code civil (ancien article 2253 adopté par le code de 1804), introduit par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile , énonce le principe selon lequel la prescription « ne court ou est suspendue entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ». Par conséquent, le point de départ de la prescription en matière civile est reporté à la dissolution du mariage ou de l'union.

Bigot de Préameneu, l'un des juristes auteur du code Napoléon, expliquait ce principe en affirmant qu'en ce qui concerne les époux « il ne peut y avoir de prescription entre eux. Il serait contraire à la nature de la société du mariage que les droits de chacun ne fussent pas l'un à l'égard de l'autre respectés et conservés. L'union intime qui fait leur bonheur est en même temps si nécessaire à l'harmonie de la société que toute occasion de la troubler est écartée par la loi ».

Dès lors, l'absence de prescription entre époux peut se justifier, d'une part, par l'exigence de maintenir « la paix des ménages » : en effet, il n'apparait pas évident pour les époux de mener un autre procès que celui de leur éventuel divorce. D'autre part, par la volonté de protéger les droits du conjoint ou du partenaire contre les difficultés psychologiques ou encore contre l'impossibilité morale d'intenter une action contre la personne avec laquelle il entretient une relation affective. Attendre la rupture de ce lien semble alors une solution opportune pour déclencher le cours de la prescription entre ces individus.

Par une jurisprudence constante, la Cour de cassation a affirmé la nature de délai préfix de l'action en rescision pour lésion 57 ( * ) admettant le caractère plus radical de ce mécanisme qui permet d'effacer une prérogative juridique par l'écoulement du temps, sans pouvoir invoquer les causes ordinaires de suspension ou interruption de la prescription.

• Les conséquences engendrées par la suppression des termes « femmes mariées » prévues par l'article 4 ter du projet de loi

L'article 4 ter a été introduit dans le projet de loi par deux amendements identiques de nos collègues députées Clémentine Autain et Ericka Bareigts.

Pour les auteurs de cet amendement, il s'agissait de supprimer l'assimilation des « femmes mariées » aux êtres vulnérables, cette mention étant identifié comme « le résidu d'une époque patriarcale et sexiste ». Considérant cette mention « sexiste et datée », la secrétaire d'État chargée de l'égalité hommes femmes, Marlène Schiappa, a donné un avis favorable à cet amendement.

Votre rapporteur s'est interrogée, non sur la pertinence de cette suppression de la référence aux femmes mariées, mais sur les conséquences d'une telle suppression.

Comme précisé auparavant, le délai de deux ans prévu pour l'action en rescision pour lésion est désormais qualifié par la jurisprudence de délai préfix . Désormais, la précision de l'alinéa 2, non modifié depuis 1804, selon laquelle « ce délai court contre les femmes mariées et contre les absents, les majeurs en tutelle et les mineurs venant du chef d'un majeur qui a vendu » qui avait pour but de souligner le caractère exceptionnel du cours de la prescription dans ces cas, n'emporte plus aucune conséquence juridique, dès lors que le délai de deux ans court en toute hypothèse, sans pouvoir invoquer une cause de suspension ou d'interruption .

Dès lors, la précision prévue au deuxième alinéa de l'article 1676 du code civil selon lequel la prescription court également contre les femmes mariées n'est plus utile.

Néanmoins, elle apparaît également inutile pour les autres « personnes vulnérables ». À l'initiative de votre rapporteur, votre commission a ainsi adopté l' amendement COM-73 visant à supprimer le deuxième alinéa de l'article 1676 du code civil. Une telle suppression permettrait, d'une part, d'effacer toute marque de sexisme dans le code et, d'autre part, de renforcer la cohérence juridique et rédactionnelle du texte.

Votre commission a adopté l'article 4 ter ainsi modifié.

TITRE III BIS - ÉVALUATION

Article 4 quater - Évaluation de la loi et annexe budgétaire

Introduit par l'Assemblée nationale en séance publique par l'adoption d'un amendement de notre collègue députée Valérie Petit, avec un avis de sagesse, à titre personnel 58 ( * ) , de notre collègue députée Alexandra Louis, rapporteure pour l'Assemblée nationale et un avis de sagesse du Gouvernement, l'article 4 quater du projet de loi vise à évaluer l'impact des mesures prises sur le fondement des autres dispositions de ce texte. Cette évaluation d'impact devrait s'appuyer « sur une démarche rigoureuse et sur une multiplicité de critères ».

Votre rapporteur s'étonne de l'adoption d'une telle disposition par l'Assemblée nationale.

Elle rappelle en premier lieu que l'étude d'impact d'un projet de loi est une obligation constitutionnelle d'information du Parlement à la charge du Gouvernement , en application de l'article 39 de la Constitution. En principe, cette étude d'impact est censée présenter les effets attendus des dispositions présentées, et notamment des évaluations chiffrées. Il est vrai que la qualité et l'utilité de telles études est régulièrement débattue au sein de votre commission des lois 59 ( * ) .

En second lieu, votre rapporteur regrette le caractère incantatoire d'une telle disposition. Nul n'empêche le Parlement ou le Gouvernement de décider d'évaluer les effets d'une loi, en s'appuyant « sur une démarche rigoureuse et sur une multiplicité de critères ». La mission constitutionnelle du Parlement d'évaluation des politiques publiques n'a aucun besoin de transposition législative.

Si votre rapporteur n'approuve pas de telles pétitions de principe sans portée normative, en revanche, elle estime nécessaire de renforcer l'information du Parlement afin que le législateur dispose d'une vision globale des crédits consacrés à une politique publique lors de l'examen de la loi de finances. C'est pourquoi, à son initiative, votre commission a adopté un amendement COM-20 qui tend à créer une nouvelle annexe budgétaire générale (ou « jaune budgétaire ») visant à présenter, de façon consolidée, les crédits affectés par l'État, les collectivités territoriales et les organismes sociaux à la politique publique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dont sont victimes les enfants, les femmes et les hommes

Votre commission a adopté l'article 4 quater ainsi modifié.

TITRE IV - DISPOSITIONS RELATIVES À L'OUTRE-MER

Article 5 (art. 804 du code de procédure pénale et art. 711-1 du code pénal) - Application outre-mer

L'article 5 du projet de loi a pour objet de le rendre applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, collectivités ultramarines sur le territoire desquelles une mention expresse d'application est nécessaire 60 ( * ) .

Il procède, à cet effet, à l'actualisation des « compteurs outre-mer », cette technique du « compteur » consistant à indiquer qu'une disposition est applicable dans une collectivité régie par le principe de spécialité législative dans sa rédaction résultant d'une loi déterminée, ce qui permet de savoir si les modifications ultérieures de cette disposition ont été ou non étendues.

En conséquence du changement de l'intitulé du projet de loi, votre commission a modifié les références à la présente loi introduites aux articles 804 du code de procédure pénale et 711-1 du code pénal.

Votre commission a adopté l'article 5 ainsi modifié.

Intitulé du projet de loi

Votre commission a adopté un amendement COM-75 de son rapporteur modifiant l'intitulé du projet de loi, par coordination avec l'introduction en annexe d'un rapport sur les orientations de la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes : il s'agirait désormais du projet de loi d'orientation et de programmation renforçant la lutte contre les violences sexuelles.

Votre commission a adopté l'intitulé du projet de loi ainsi modifié .

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié, en retenant l'intitulé suivant : « projet de loi d'orientation et de programmation renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ».

EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 20 JUIN 2018

Mme Marie Mercier , rapporteur . - La commission des lois est appelée aujourd'hui à se prononcer sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adopté par l'Assemblée nationale le 16 avril dernier.

Ce sujet n'est pas nouveau. Le groupe de travail de notre commission sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur et qui comprenait en outre un représentant par groupe, a travaillé sur le sujet pendant quatre mois, en étroite collaboration avec la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Ce projet de loi a pour objet louable de mieux lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Il propose à cette fin d'allonger certains délais de prescription à l'article 1 er , de mieux réprimer les viols commis à l'encontre des mineurs à l'article 2, ou encore de mieux réprimer les faits de harcèlement sexuel, ou moral notamment lorsqu'ils sont commis en ligne, à l'article 3. Si nous partageons les grandes lignes et les intentions de ce projet de loi, nous restons néanmoins perplexes sur l'effectivité de certaines mesures.

En effet, nous partageons le constat qui a motivé la présentation du projet de loi : les violences sexuelles et sexistes sont un fléau qu'il faut dénoncer et combattre. Le problème est qu'elles sont trop souvent banalisées. Selon les enquêtes « Cadre de vie et sécurité » réalisées entre 2008 et 2016, en moyenne chaque année, 1,7 million de femmes de dix-huit à soixante-quinze ans se déclarent victimes d'au moins un acte à caractère sexuel au cours des deux années précédant l'enquête. 74 % des victimes d'un acte à caractère sexuel sont des femmes.

Comme le soulignait déjà le rapport de notre groupe de travail, les mineurs représentent la classe d'âge la plus exposée aux violences sexuelles, même si les données restent très parcellaires. Les viols commis à l'encontre des mineurs présentent des caractéristiques très particulières. En 2013 et 2014 à Paris, 87 % des mis en cause connaissaient la victime et 44 % étaient mineurs, tandis que 80 % des victimes étaient des femmes.

S'il est très contestable d'un point de vue méthodologique d'affirmer, comme la secrétaire d'État, que seulement 1 % des viols sont condamnés, le constat d'une insuffisante condamnation des viols et autres agressions sexuelles est unanimement partagé. La secrétaire d'État semble comparer un stock avec un flux.

De même, nous partageons la volonté du Gouvernement de mieux lutter contre les comportements sexistes dont les femmes sont victimes dans l'espace public, et notamment le harcèlement de rue. Ce phénomène désigne l'ensemble des interpellations ou des comportements non sollicités adressés à des personnes - majoritairement des femmes - dans l'espace public : des regards insistants, des sifflements, des commentaires sur l'apparence physique, etc. Ces comportements anciens sont trop souvent banalisés, tolérés, voire intégrés, par les femmes elles-mêmes, qui ont tendance à adapter leur comportement et leurs déplacements en fonction de ce risque : « Cela s'est toujours fait, ce n'est pas si grave, finalement, on est contente d'être sifflée dans la rue... »

Je voudrais souligner un point très important : sur internet comme ailleurs, les femmes sont particulièrement victimes d'injures sexistes et de harcèlement. Or les violences sur internet ne sont pas virtuelles - ce n'est pas parce que c'est sur écran que ce n'est pas choquant. Bien que peu médiatisées, elles n'en restent pas moins réelles et ont des conséquences dramatiques. Tout le monde se souvient de l'affaire Marion Séclin ou Nadia Daam, mais beaucoup de jeunes filles peuvent en être victimes.

Si je partage les objectifs du Gouvernement de lutter contre tous ces comportements, comme vous tous, nous ne partageons pas la méthode.

Nous regrettons profondément que le Gouvernement n'ait pas jugé utile d'associer les sénateurs à l'élaboration de ce projet de loi. Il est très regrettable que le groupe de travail sur la verbalisation du harcèlement de rue, mis en place par la secrétaire d'État, n'ait été composé d'aucun sénateur. Il est tout aussi regrettable que, moins d'une semaine après la publication de notre rapport d'information sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, après quatre mois de travaux, le Gouvernement ait annoncé, le 12 février dernier, la création d'une mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs chargée de rendre ses conclusions « sur la détermination d'un seuil d'âge en dessous duquel un mineur ne saurait être considéré comme consentant à une relation sexuelle avec un majeur » avant le 1 er mars 2018, soit trois semaines plus tard. Seules trois réunions ont été organisées, la première pour se dire : « bonjour », la deuxième : « comment ça va ? » et la troisième : « au revoir » ! Cette précipitation n'a pas été sans conséquence puisqu'aucune des conclusions de cette mission pluridisciplinaire ne se retrouve dans le projet de loi présenté par Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est normal : en trois semaines, il est impossible de mener un travail si difficile, si lourd.

Il est d'autant plus regrettable que le Gouvernement n'ait pas associé le Sénat ou discuté avec lui que le texte adopté par l'Assemblée nationale reprend, presque mot pour mot, plusieurs dispositions adoptées par le Sénat le 27 mars dernier. Ainsi, l'article 2 du projet de loi a été modifié par l'Assemblée nationale afin d'étendre la surqualification pénale de l'inceste aux viols et autres agressions sexuelles commis à l'encontre des majeurs ; il s'agissait de l'article 4 de notre proposition de loi traduisant la proposition n° 14 de notre rapport d'information.

De même, l'article 2 du projet de loi, dans sa rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, tend désormais à aggraver les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans ; il s'agissait de l'article 5 de la proposition de loi et de la proposition n° 15 du rapport d'information. Enfin, l'aggravation des peines en cas de non-assistance ou non-dénonciation d'actes de mauvais traitements a également été adoptée ; il s'agissait de la proposition de loi de Mme Isabelle Debré reprise par Mme Laure Darcos à l'article 6 bis de notre proposition de loi. Évidemment, nous nous en félicitons, tout en regrettant très fermement que nos travaux n'aient pas été cités. On est censé citer ses sources.

Ensuite, je ne partage pas du tout cette méthode qui consiste à utiliser l'évolution de la loi pénale comme un outil de communication politique. En 2005, le président du Conseil constitutionnel, M. Pierre Mazeaud, dénonçait une dérive législative qu'il appelait les « neutrons législatifs ». Il soulignait que « la loi n'est pas faite pour affirmer des évidences, émettre des voeux ou dessiner l'état idéal du monde » - ce n'est pas la seule grâce du verbe législatif qui rend le monde meilleur. Il ajoutait : « La loi ne doit pas être un rite incantatoire. Elle est faite pour fixer des obligations et ouvrir des droits. En allant au-delà, elle se discrédite. Mais, pour s'en tenir au rôle qui est le sien, tout son rôle et rien que son rôle, le législateur doit apprendre à résister à la “demande de loi” et s'interdire de faire de la loi un instrument de communication. » Force est de constater que le projet de loi a succombé à toutes ces tentations.

Je rappelle que les dispositions du projet de loi relatives à la répression des viols sur mineur ont été annoncées de manière précipitée par le Gouvernement en réponse à deux affaires judiciaires très largement médiatisées. Cette précipitation était telle que le Gouvernement est finalement revenu sur ses premières déclarations. Initialement, il avait annoncé la création d'une présomption irréfragable de non-consentement attachée à un seuil d'âge pour les mineurs. Une telle annonce se dispensait ainsi d'une réflexion sur les pratiques judiciaires et d'une évaluation de l'arsenal pénal existant.

À l'inverse, notre commission des lois a choisi de prendre le temps de la réflexion avant d'annoncer une évolution de la loi. Par la création d'un groupe de travail pluraliste, elle a analysé les défaillances actuelles dans la répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs. Nous nous sommes interrogés : pourquoi un arsenal pénal si vaste est-il aussi peu connu et si mal mobilisé ? Pourquoi les crimes sexuels font-ils l'objet d'une correctionnalisation ? Au lieu de s'interroger sur les causes de pratiques judiciaires défaillantes, le Gouvernement a considéré que toute défaillance judiciaire appelait non pas des moyens, non pas un renforcement de la formation des professionnels, non pas une véritable politique de prévention, d'éducation et de sensibilisation, mais tout simplement la création de nouvelles dispositions de nature pénale.

Dans l'avant-projet de loi soumis pour avis au Conseil d'État, le Gouvernement proposait la création de deux nouvelles infractions dont l'une qualifiait de viol tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de quinze ans dès lors que l'auteur « connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime ». Évidemment, comme l'avait déjà souligné notre rapport, le Conseil d'État a considéré que de telles dispositions apparaissaient contraires à plusieurs dispositions constitutionnelles. En conséquence, le Gouvernement a renoncé à son projet initial pour proposer la création d'une disposition interprétative, donc applicable immédiatement, concernant la contrainte morale ou la surprise pour les viols commis sur les mineurs de quinze ans et la création d'une circonstance aggravante pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en cas d'acte de pénétration sexuelle. Signe de cette précipitation, ces deux dispositions poursuivent des finalités contradictoires : en effet, chacune à sa manière vise à répondre aux deux affaires judiciaires médiatisées à l'automne 2017.

Dans le cas de la première affaire, il y a eu une requalification ab initio de faits susceptibles de revêtir une qualification criminelle de viol sous la qualification délictuelle d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. En conséquence, le projet de loi prévoit une disposition interprétative, afin d'inciter les parquets à conserver une qualification criminelle. Cette disposition répond à un fait médiatisé.

Dans le cas de la seconde affaire qui a aussi ému l'opinion publique, il y a eu effectivement des poursuites pour viol sur mineur de quinze ans devant la cour d'assises, mais un acquittement a été prononcé - on ne dicte pas à un jury populaire ce qu'il doit faire par une loi. De surcroît, aucune condamnation subsidiaire pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans n'a été prononcée. Le violeur présumé a bénéficié d'un acquittement « sec ». Afin d'éviter cette dernière hypothèse, le projet de loi prévoit de rendre systématique, lors des procès pour viol de mineur de quinze ans, la question subsidiaire d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Afin d'obtenir une condamnation subsidiaire assez élevée, le projet de loi prévoit également d'aggraver les peines de l'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en cas de pénétration sexuelle. Cette disposition crée ainsi une possibilité supplémentaire de requalification du viol en atteinte sexuelle. Tout cela provoque des interrogations légitimes : quel est l'objectif poursuivi par le Gouvernement ? Protéger les mineurs en facilitant l'établissement de l'absence de consentement d'un mineur ou obtenir une condamnation à tout prix, même correctionnelle ? Vous avez bien compris que le Gouvernement poursuivait le second objectif.

Ce texte d'affichage privilégie des mesures symboliques au détriment de règles constitutionnelles et peut-être même de l'efficacité de la loi. C'est très grave.

Malgré l'avis négatif du Conseil d'État, le Gouvernement a persisté à inclure dans le projet de loi la création d'une contravention d'outrage sexiste visant à réprimer le « harcèlement de rue ». Or, en application des articles 34 et 37 de la Constitution, la création d'une contravention relève du pouvoir réglementaire. C'est pourquoi le Conseil d'État avait écarté la disposition législative soumise à son examen et avait suggéré « au Gouvernement de lui présenter pour avis un projet de décret créant cette nouvelle contravention ».

Cette volonté du Gouvernement est d'autant plus incompréhensible que l'article 3 du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace vise à rendre systématiquement irrecevables les propositions de loi ou les amendements qui ne relèvent pas du domaine de la loi.

Je comprends la volonté du Gouvernement de sanctionner ces comportements intolérables, et la création d'une infraction constitue incontestablement un symbole fort dans cette lutte culturelle. Néanmoins, il semble que la prévention de tels comportements relève plus d'une politique de sensibilisation et d'éducation que d'un changement de la loi pénale.

Nous avons bien peur que la création d'une nouvelle infraction pénale ne soit qu'une pétition de principe. En l'état, cette loi est inapplicable. Or une loi inappliquée est un très mauvais signal envoyé aux victimes, mais surtout aux harceleurs.

Concernant l'outrage sexiste, je vous proposerai une refonte substantielle du dispositif afin d'assurer à la fois l'effectivité de cette mesure et le respect de nos normes constitutionnelles.

Ce texte ne concerne pas seulement les viols sur mineurs ou l'outrage sexiste. Le délit de harcèlement sexuel ou moral y est également profondément modifié. De même, la définition du viol a été profondément modifiée à l'Assemblée nationale sans que l'impact d'une telle évolution ait réellement été évalué.

Si nous approuvons ces évolutions, je vous proposerai quelques amendements afin d'améliorer la rédaction de ces dispositions. Je pense notamment à la disposition qui vise à criminaliser les actes de pénétration sexuelle forcés commis, non pas sur la victime, mais sur l'auteur du viol.

Enfin, je regrette l'inscription dans la loi de ce que Pierre Mazeaud appelait les « neutrons législatifs » : mesure infraréglementaire sur la désignation des référents « intégrité physique », à l'article 2 bis B ; disposition sur la formation des professionnels de santé dépourvue d'élément normatif nouveau, à l'article 2 bis A ; demandes de rapports du Gouvernement au Parlement, aux articles 2 bis E et 2 bis ; inscription dans la loi du principe d'évaluation de l'impact des mesures prises en application de ladite loi, à l'article 4 quater . Sur ces points, sans surprise, je vous proposerai une suppression.

Enfin, je vous proposerai de réparer les oublis du projet de loi.

S'il est indéniable qu'un projet de loi constitue l'occasion d'un débat public, trop rare, sur les violences sexuelles et sexistes, cette focalisation de la réflexion et de l'action publique sur la réponse pénale est regrettable, car elle a pour conséquence d'occulter la nécessité pour les pouvoirs publics de porter leurs efforts sur l'amplification des actions de prévention.

C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter un rapport annexé au projet de loi définissant les orientations de la politique publique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Je vous proposerai également de reprendre plusieurs dispositions adoptées en mars dernier, notamment sur le régime de prescription de l'infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où la situation illicite prend fin, mais également la présomption de contrainte pour faciliter les poursuites criminelles en matière de viol commis à l'encontre de mineurs - cette présomption simple de culpabilité permettra de protéger toutes les victimes et s'appliquera jusqu'aux dix-huit ans du mineur concerné.

Cette disposition, à la fois souple et répressive, est la plus à même de protéger tous les mineurs, malgré sa complexité. « La réalité réclame l'inconfort de la souplesse », nous a dit un philosophe que nous avons auditionné.

Toujours en matière de répression des viols sur mineurs, je vous proposerai d'améliorer la disposition interprétative proposée par le Gouvernement.

Je vous proposerai également de mieux lutter contre le cyberharcèlement, en conférant de nouvelles obligations aux plateformes et hébergeurs sur internet.

Sous réserve de l'adoption de mes amendements destinés à le rendre applicable et compréhensible, je vous proposerai d'adopter le projet de loi de Mmes Belloubet et Schiappa.

Il serait cependant illusoire de croire que cette loi, même amendée, réglera le problème des violences sexuelles et sexistes en France. N'attendons pas tout de la loi. Nous disposons déjà d'un arsenal juridique important et nous ne le modifions finalement qu'à la marge.

Les enjeux essentiels en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes sont en réalité dans l'éducation et la sensibilisation de l'ensemble de la société à cette réalité. Ce chantier sociétal est gigantesque, mais je vous engage tous à l'expliquer dans vos départements. « Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles », disait Sénèque. Il faut oser parler de tout cela, car notre objectif est la protection de tous les mineurs.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Je vais exposer la position du groupe socialiste et républicain sur ce texte et présenterai en même temps les amendements que nous avons déposés. Nous avons tous les mêmes objectifs, avons tous cherché la meilleure formule, et pensons à peu près tous grand bien de ce projet de loi...

Je ne reviendrai pas sur la genèse de ce texte - affaire Weinstein, #BalanceTonPorc, #MeToo, etc. Les deux instances judiciaires de Pontoise et de Seine-et-Marne sont intéressantes, car à front renversé dans des situations un peu analogues - âge de la victime et de l'auteur, dans un cas poursuites correctionnelles, dans l'autre cas acquittement. Lorsque nous avons demandé à la garde des sceaux ce que ce projet de loi aurait changé, elle a assez habilement répondu qu'elle ne pouvait pas s'exprimer sur ces deux affaires en cours, mais on sentait bien qu'elle ne pouvait nous donner aucune assurance.

L'article 2 dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale ne répond toujours pas à notre souci, rappelé par Marie Mercier. Par ailleurs, le fait de créer une circonstance aggravante en cas d'atteinte sexuelle avec acte de pénétration sexuelle sur mineur de quinze ans a suscité les craintes compréhensibles d'un grand nombre d'associations et instruit un procès en encouragement à la correctionnalisation. C'est ce que l'on a vu avec le cas jugé à Pontoise : quand une infraction semble plus facile à poursuivre, on peut être tenté par la correctionnalisation plutôt que d'avoir recours à la procédure criminelle.

Le groupe socialiste et républicain, tout comme Mme la rapporteur et la délégation aux droits des femmes, proposera la suppression de cette circonstance aggravante.

Par ailleurs, ce texte ne parle que de répression et non pas de prévention, d'accompagnement, de moyens, d'organisation des politiques publiques, de contrats locaux de prévention, de lutte contre la récidive, etc. Nous approuvons l'allongement du délai de prescription à trente ans, comme nous l'avions fait lors de la discussion de la proposition de loi Bas-Mercier.

Au-delà, nous partageons le souhait de la rapporteur et d'autres que soit annexé à ce texte le rapport très complet sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles, annexé à la proposition de loi Bas-Mercier, dont les propositions étaient excellentes. Nous avons déposé un amendement en ce sens.

Nous proposons également la coordination des politiques publiques et affirmons la nécessité de rapports d'évaluation - même si nous n'avons pas convaincu - : nous devons avoir un retour de la part du Gouvernement sur l'utilité de cette législation.

Quand bien même il y aurait une possibilité de prescription, nous proposons que l'enquête soit possible. C'est ce que fait le parquet de Paris.

Nous proposons à l'article 2 la création d'un crime de violence sexuelle sur enfant dès lors qu'il y a pénétration sexuelle d'une personne mineure de treize ans par une personne majeure, en corrélation avec la suppression des alinéas 14 et 15, qui créent les circonstances aggravantes du délit d'atteinte sexuelle dès lors qu'il y a pénétration sur mineur de moins de quinze ans. Nous proposons que les auditions de toutes les victimes d'agression sexuelle soient enregistrées, non pas seulement celle des mineurs. Nous proposons d'obliger les médecins à faire un signalement dès lors qu'il y a violence physique ou psychique. Actuellement, on compte assez peu de signalements dans la mesure où les dispositions législatives en la matière sont assez complexes. Nous proposons une modification de la prescription concernant le délit de non-dénonciation de mauvais traitements, de sorte que le délai coure à compter non pas de la commission de l'infraction, mais de la majorité. Enfin, nous avons déposé des amendements portés, notamment, par Victoire Jasmin sur le cyberharcèlement et le cybersexisme.

M. Philippe Bas , président . - Je me réjouis que vous rejoigniez notre rapporteur sur de nombreux points.

Mme Sophie Joissains . - Je salue le travail de Marie Mercier. En revanche, il subsiste sinon un vide juridique, du moins un vide moral : l'idée qu'on puisse analyser le consentement d'un enfant à la suite d'une atteinte sexuelle révulse. J'ai bien entendu Marie Mercier, qui nous expliquait tout à l'heure que fixer un seuil d'âge représentait un risque pour la tranche d'âge supérieure jusqu'à la majorité. Mais ne serait-il pas possible malgré tout de porter un regard particulier sur les mineurs jusqu'à l'âge de dix-huit ans??

Mme Muriel Jourda . - Si j'ai bien saisi la philosophie de ce projet loi, il s'agit, à la suite de deux affaires judiciaires largement médiatisées et qui ont choqué l'opinion publique, de se protéger contre la subjectivité judiciaire. D'une part, c'est toujours une mauvaise chose que de réagir à l'actualité. Cela fait des années que des affaires de violence sexuelle ou sexiste passent en jugement et elles ont toujours été jugées d'une manière convenable. D'autre part, on pourrait penser que la subjectivité judiciaire est un défaut ; mais c'est une qualité. Son avantage, c'est qu'elle s'adapte à la réalité, qui est multiforme : il n'existe pas un seul type de violence sexiste. C'est pourquoi l'idée même de présomption irréfragable ne me paraît pas adaptée à la réalité. En revanche, l'idée d'une présomption de contrainte avancée par Mme Mercier permettrait de défendre et de protéger tous les mineurs. Ensuite, elle est conforme au droit en vigueur et à la définition pénale actuelle du viol. Enfin, elle paraît pouvoir recouvrir la réalité de toutes les infractions qui peuvent être commises.

Puisqu'on parlait d'« inconfort de la souplesse », il est exact qu'il est beaucoup plus inconfortable de ne pas fixer une limite d'âge, mais la souplesse, c'est ce qui nous permet de faire face au mieux à la réalité.

Pour conclure, je partage totalement la conclusion de Mme Mercier : la mère de toutes les politiques, c'est l'éducation et c'est grâce à elle que nous lutterons contre ces délits. Mais le chemin est encore long.

Mme Maryse Carrère . - Marie Mercier s'est investie sur ce projet de loi autant qu'elle s'est investie dans le groupe de travail.

J'ai deux regrets. D'une part, le Gouvernement n'a pas pris en compte dans ce projet de loi le travail mené par ce groupe de travail. Auquel cas, cela aurait épargné très certainement quelques désagréments à Mme la garde des sceaux. D'autre part, je regrette la précipitation avec laquelle ce projet de loi a été rédigé, à tel point qu'il donne l'impression d'avoir été bricolé et d'être inabouti.

Le groupe du RDSE approuve globalement la réintégration d'un grand nombre des mesures adoptées dans le cadre de la proposition de loi Bas-Mercier. Il est important d'insister sur la prévention. Sur la fixation d'un seuil à treize ans, je partage la position de Marie Mercier, mais les différents membres de mon groupe n'adopteront pas tous une position commune.

Mme Esther Benbassa . - J'espère obtenir des éléments d'information supplémentaires sur le seuil de treize ans et sur la question de l'irréfragabilité. Notre groupe est divisé sur nombre de points contenus dans ce projet de loi. Au départ, j'étais opposée à la limite d'âge. La présomption simple n'aurait-elle pas pu être une voie ? Je ne sais pas s'il est possible d'inscrire dans la loi des solutions éducatives ; toutefois, je veux insister sur le rôle des livres scolaires. Ceux-ci abordent la sexualité de manière abstraite, non identifiée ; il est temps qu'ils traitent cette question de l'éducation sexuelle, ce qu'ils ne font pas par conformisme, contrairement à ce que l'on observe dans nombre de pays nordiques, où les livres scolaires abordent les questions de sexualité, les relations sexuelles entre personnes homosexuelles, etc. Le respect du corps des femmes, des mineurs entre ainsi dans les mentalités. Sans ce travail, on n'arrivera à aucun résultat tangible.

Mme Brigitte Lherbier . - L'intime conviction est au coeur de la décision des jurés et il est impossible, dans une démocratie, de les pousser à s'orienter dans un sens ou dans l'autre. C'est ce qui fait la noblesse de notre pouvoir judiciaire.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Madame de la Gontrie, aucune loi n'empêchera jamais un jury de prononcer un acquittement.

Instaurer une présomption irréfragable reviendrait à retirer à un accusé la possibilité de se défendre, ce qui n'est pas possible dans le droit français, qui protège la présomption d'innocence. C'est pour cette raison que nous avons créé cette présomption simple de contrainte, qui permet de combler ce vide moral évoqué par Sophie Joissains. Sur un nourrisson s'exerce forcément une contrainte, de même que peut être à l'évidence contrainte une jeune fille de onze ans et demi ou de treize ans et demi. Mais pourquoi une jeune fille de seize ans et demi devrait-elle être présumée consentante du fait de son âge ? Cette présomption de contrainte permet d'apporter une protection jusqu'à l'âge de dix-huit ans, comme nous l'avons longuement expliqué en mars dernier.

Mettre l'accent sur les moins de treize ans mettrait en danger les mineurs de plus de treize ans. C'est bien pour cette raison que le Gouvernement a renoncé à cette présomption de non-consentement. Il faut pouvoir s'adapter à ce clair-obscur de la réalité.

EXAMEN DES ARTICLES

Article additionnel avant le chapitre I er

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-55 rectifié vise à inclure un volet prévention dans ce projet de loi, qui manque. Ces dispositions s'inspirent très largement du rapport annexé à la proposition de loi adoptée par le Sénat le 27 mars 2018. C'est par la prévention et l'éducation que l'on éradiquera ces violences. Il faut aussi mieux accompagner les victimes. La sensibilisation de chacun, c'est l'affaire de tous.

Le sous-amendement COM-76 vise à encourager la diffusion des connaissances scientifiques sur les psychotraumatismes et les mécanismes mémoriels consécutifs à un fait traumatique. Beaucoup a été écrit sur les symptômes psychotraumatiques, notamment sur les amnésies. Ce sujet reste soumis à de nombreuses controverses dans la communauté scientifique. Mais seul le développement de la recherche scientifique permettra de mieux connaître la possibilité d'une restauration de la mémoire et d'en savoir plus sur la fabrication de faux souvenirs à la suite de manipulations. Avis favorable.

Le sous-amendement COM-76 est adopté. L'amendement COM-55 rectifié, ainsi modifié, est adopté.

Articles additionnels avant l'article 1 er

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Les amendements COM-16 , COM-24 , COM-52 , COM-33 sont devenus sans objet à la suite de l'adoption du sous-amendement COM-76 et de l'amendement COM-55 rectifié.

Avis défavorable sur l'amendement COM-34 .

Les amendements COM-16 , COM-24 , COM-52 et COM-33 sont devenus sans objet. L'amendement COM-34 n'est pas adopté.

Article 1 er

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Même si nous approuvons l'allongement à trente ans du délai de prescription de l'action publique pour les crimes sexuels et violents commis à l'encontre des mineurs, par l'amendement COM-56 , nous proposons d'en revenir à l'objectif initial du projet de loi, c'est-à-dire affirmer la spécificité des crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs.

M. François Pillet . - C'est un amendement de bons sens. Ce qui justifie l'allongement des délais de prescription des crimes et délits sexuels, c'est qu'ils peuvent difficilement être révélés, contrairement à un homicide.

L'amendement COM-56 est adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-15 prévoit l'imprescriptibilité des crimes sexuels commis contre les mineurs. Cela ne constitue pas en soi une réponse efficace. Nous nous étions déjà prononcés en mars.

L'amendement COM-15 n'est pas adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-57 vise à changer le régime de prescription du délit de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Cet amendement me laisse perplexe. Je ne saisis pas quel cas de figure est visé. Qu'entend-on par « tous les éléments constitutifs de l'infraction réprimée par le présent article ont cessé » ? Mon propos ne se veut aucunement polémique.

M. Philippe Bas , président . - Notre rapporteur a voulu faire en sorte qu'il n'y ait pas de prescription possible s'agissant de la non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles. Le délai de prescription, tel que l'amendement est rédigé, courrait à compter du jour ou « tous les éléments constitutifs de l'infraction » de non-dénonciation auraient cessé.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Pouvez-vous donner une illustration ?

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Tant que le fait n'est pas dénoncé, le délai de prescription ne court pas. C'est une infraction continue.

M. Alain Richard . - Vous créez une imprescriptibilité !

M. Philippe Bas , président . - Si vous considérez que ce point doive être revu, vous pourrez le faire en séance publique, madame de la Gontrie. Si l'on veut pouvoir poursuivre la non-dénonciation de ce type de crime ou de délit, il faut qu'elle puisse l'être durablement. C'est en effet une forme d'imprescriptibilité.

Mme Muriel Jourda . - Si je comprends bien, la prescription commencerait à courir le jour où est dénoncé le crime ou le délit, quand les éléments constitutifs de l'infraction ont cessé.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Le jour de la révélation.

Mme Muriel Jourda . - On poursuivrait la personne qui savait pour avoir gardé le silence pendant des années.

M. Jean-Pierre Sueur . - Il faudrait quand même prendre le temps de la réflexion. Le délai de prescription courrait à compter du jour de la révélation d'un fait jusqu'alors non dénoncé. L'imprescriptibilité ne concerne que quelques rares crimes, comme les génocides.

M. Philippe Bas , président . - Nous ne disposons pas de tous les éléments qui nous permettraient de porter une appréciation complète sur cet amendement, comment il se « branche » sur l'article 434-3 du code pénal. Ce sujet a néanmoins déjà été étudié par la commission, et il ne s'agit ici que de voter une disposition que nous avons déjà adoptée en mars dernier, à la fois en commission et en séance. Votons donc cet amendement, en nous réservant la possibilité de modifier ses dispositions en séance. Mme la rapporteur pourra nous faire des propositions à cette fin.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Nous nous abstenons.

L'amendement COM-57 est adopté.

Articles additionnels après l'article 1 er

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Les amendements identiques COM-22 , COM-17 et COM-25 ont pour objet de faciliter l'utilisation d'une disposition récente, relative à la suspension de la prescription pour obstacle de fait insurmontable - en particulier l'amnésie. Cette disposition a déjà été votée par le Sénat le 27 mars dernier. Avis favorable.

M. François-Noël Buffet . - Nous profitons de ce texte pour réintroduire cette disposition que le Sénat a déjà votée.

M. Jacques Bigot . - Je m'abstiendrai, pour ne pas voter contre cet amendement. Considérer, sur la base d'une expertise, l'existence d'un fait insurmontable me paraît très dangereux sur le plan pénal, d'autant que les experts auront des avis très divergents. Un obstacle de fait insurmontable doit pouvoir être objectivement constaté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Cela restera à l'appréciation du juge.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Cet amendement ne vise pas à suspendre la prescription ; il prévoit une expertise pour apprécier l'éventuelle existence d'un fait insurmontable. Pour autant, il me laisse perplexe.

M. François Pillet . - Il n'est pas prévu que l'avis de l'expert s'impose au juge. À charge pour celui-ci de décider si un quelconque fait justifie que soit suspendu le délai de prescription.

M. François-Noël Buffet . - Le magistrat demandera à des médecins d'expertiser la victime. S'ils estiment qu'il existe un trouble psychotraumatique, singulièrement un trouble amnésique, le juge gardera sa liberté d'appréciation. Cette amnésie peut constituer un obstacle insurmontable justifiant la suspension du délai de prescription, conformément à la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

M. Philippe Bas , président . - Cette disposition est favorable à la victime en ce qu'elle lui permettra d'échapper à la prescription si l'expert mandaté par le tribunal reconnaît l'existence de ce fait insurmontable et si celui-ci est suivi par le tribunal. Il n'est pas envisagé d'aller jusqu'à l'imprescriptibilité des viols ; il est proposé de prolonger la période pendant laquelle une plainte peut être déposée dans le cas d'une amnésie reconnue.

Mme Esther Benbassa . - Cette théorie de l'amnésie post-traumatique, diffusée par Mme Salmona lors de son audition, n'est pas reconnue par nombre de psychiatres. C'est elle-même qui a inventé ces termes. Cela pose problème.

M. Pierre-Yves Collombat . - Je me demande ce qu'est une amnésie avérée. Sa matérialité repose-t-elle uniquement sur les dires de la personne concernée ?

M. Philippe Bas , rapporteur . - Je partage votre relative méconnaissance des données de la psychiatrie moderne, qui est aussi celle des juges. C'est pour cette raison que l'idée d'une expertise prend toute sa valeur.

Mme Esther Benbassa . - Sur quoi reposera-t-elle ?

M. Philippe Bas , président . - Sur les connaissances de l'expert !

M. André Reichardt . - Je doute moi aussi de la nécessité d'introduire cet élément supplémentaire. Je m'abstiendrai.

M. Alain Richard . - Cette disposition ne fait que reprendre l'existant. Si le juge a un doute sur l'existence de ce phénomène psychologique, il a toute faculté d'ordonner une expertise. Une fois que celle-ci sera rendue, il dispose de sa liberté de juge pour en apprécier les conséquences. À partir du moment où l'on entre dans de la législation d'exception pour une catégorie de victime, on sort quelque peu du droit pénal.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Ces amendements permettent d'ordonner une expertise. Jusqu'à présent, les expertises concernant les victimes ne pouvaient concerner que l'appréciation d'un dommage. Surtout, cette inscription dans la loi permettra de prendre en charge cette expertise en tant que frais de justice. Cette disposition n'a pas pour objectif de « reconnaître » l'amnésie post-traumatique, car celle-ci ne fait pas consensus. Des faits sexuels « avoués » par une victime après un long délai de latence le sont toujours après intervention d'un psychothérapeute. Les faits ne reviennent jamais de façon spontanée, ce qui explique les discordances entre Brigitte Axelrad et Muriel Salmona. La communauté scientifique s'inquiète de la restitution de faux souvenirs chez des patients par des manipulateurs ou des soi-disant psychothérapeutes.

Les amendements identiques COM-22 , COM-17 et COM-25 sont adoptés.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Les amendements COM-4 , COM-18 , COM-26 , COM-31 et COM-36 permettent au procureur de diligenter des enquêtes sur des faits d'infractions sexuelles prescrits. Je comprends la volonté des auteurs de ces amendements. Néanmoins, c'est déjà la pratique dans nombre de parquets, notamment à Paris. Le rapport d'information du groupe de travail de la commission des lois prévoyait d'ailleurs que tous les parquets suivent ce même protocole. Cela prouve bien qu'il n'y a pas besoin d'amendement pour le prévoir. Il y a une confusion sur les conséquences de la prescription : elle n'empêche pas une victime de déposer plainte ni les enquêteurs et le parquet d'enquêter. La prescription, en matière pénale, est une prescription de l'action publique : elle s'oppose seulement aux poursuites.

Dès lors, il n'est pas utile d'inscrire dans le code de procédure pénale une telle disposition. Surtout, elle serait contre-productive puisque cet amendement créerait un effet a contrario : cela sous-entendrait qu'il n'est pas possible de diligenter des enquêtes en cas de prescription. Or, tous les jours, des enquêteurs diligentent des actes d'enquête sur des faits prescrits, pour vérifier que d'autres faits, eux, ne le sont pas. Comme ces amendements limitent l'application de cette possibilité aux infractions sexuelles, ils enverraient vraiment un signal contre-productif. Avis défavorable.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - L'amendement COM-36 n'est pas identique aux autres puisqu'il y est écrit « des faits seraient constitutifs » et non « semblant ». C'est plus objectif.

Ensuite, tout le débat est de savoir s'il est utile qu'une enquête ait lieu alors même que les faits sont prescrits. Certains estiment que cela permet aux victimes de s'exprimer et d'autres rappellent que la victime croit qu'elle va être entendue alors même qu'il n'y aura pas de jugement. Il est difficile de trancher entre ces deux écoles. Enfin, ce n'est pas parce que certains pratiquent ainsi qu'il faut généraliser ce protocole.

Les amendements COM-4 , COM-18 , COM-26 , COM-31 et COM-36 ne sont pas adoptés.

Article 2

Mme Esther Benbassa . - L'article 222-22 du code pénal dispose que le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime, quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage. L'amendement COM-48 a pour objet d'élargir les liens matrimoniaux aux autres formes de vie commune : concubinage, Pacs...

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Cet amendement apporte une précision à un article qui n'a actuellement aucune utilité. Comme je l'ai dit, ne laissons pas les neutrons législatifs proliférer ! Or, le deuxième alinéa de l'article 222-22 est dans ce cas : d'un point de vue normatif, il ne sert à rien ; il n'a qu'une portée symbolique. Il vise à rappeler que le viol reste un viol même quand l'auteur est marié à la victime. Même si l'on sait que cette question a fait débat il y a cinquante ans, ce n'est plus le cas depuis longtemps, en tout cas pas depuis 1994 et l'introduction du nouveau code pénal. Cet amendement précise le deuxième alinéa de l'article 222-22 afin d'affirmer que le viol reste un viol même quand la victime et l'auteur sont pacsés. Mais c'est déjà le cas.

Il existe une circonstance aggravante pour les viols et les agressions sexuelles lorsqu'elles sont commises « par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité » : ces faits sont donc bien réprimés. Plutôt que de compléter le deuxième alinéa de l'article 222-22, je serais plutôt tentée de le supprimer.

Mme Esther Benbassa . - J'ai du mal à comprendre.

M. Philippe Bas , président . - Notre rapporteur nous dit que le deuxième alinéa de l'article 222-22 est sans portée normative. Votre amendement serait donc également dans ce cas.

Mme Esther Benbassa . - Pourquoi travailler sur des articles inutiles ?

M. Philippe Bas , président . - J'étais tout prêt à me rallier à votre amendement dans un premier temps, mais j'ignorais que cet alinéa fût non normatif.

Mme Brigitte Lherbier . - Il n'est pas possible de supprimer le deuxième alinéa de l'article 222-22 ?...

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Si, bien sûr.

L'amendement COM-48 n'est pas adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Les amendements COM-58 , COM-5 , COM-19 , COM-27 et COM-49 sont en discussion commune.

L'amendement COM-58 est très important : en premier lieu, il aménage la charge de la preuve en cas de viol commis à l'encontre d'un mineur. À cette fin, il institue une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur dans deux hypothèses : l'incapacité de discernement du mineur ou l'existence d'une différence d'âge significative entre l'auteur majeur et le mineur.

Cette disposition reprend l'article 3 de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles adoptée par le Sénat le 27 mars.

Dans le même objectif de faciliter les poursuites criminelles en matière de viols commis à l'encontre de mineurs, cet amendement approuve la disposition interprétative proposée par le Gouvernement à l'article 222-22-1 du code pénal, tout en améliorant sa rédaction.

Surtout, cet amendement clarifie la modification des éléments constitutifs du viol, commis à l'encontre d'un majeur comme d'un mineur, afin de réprimer les actes de pénétration sexuels forcés, mais réalisés sur la personne de l'auteur. En effet, jusqu'à présent, l'interprétation stricte de la loi pénale imposait de poursuivre ces faits de pénétration sexuelle commis sur l'auteur, et non sur la victime, comme des agressions sexuelles et non comme des viols. Désormais, tout acte forcé de pénétration sexuelle, qu'il ait été réalisé sur la victime ou non, serait considéré comme un viol. Le cas pratique est celui du jeune garçon qui subit une fellation.

M. Philippe Bas , président . - Notre rapporteur est constante : elle propose d'adopter le dispositif adopté par le Sénat à l'unanimité moins trois voix par le Sénat en mars dernier, à savoir la présomption simple de contrainte morale et la prise en compte du discernement de la victime et de la différence d'âge entre l'agresseur et la victime. Il est légitime que la réflexion se poursuive, d'autant que nous sommes saisis d'un projet de loi. Mme Mercier estime que notre proposition protège tous les enfants et qu'elle est conforme à notre ordre juridique, qui reconnait les droits de la défense. On ne doit pas pouvoir emprisonner pendant vingt ans des personnes qui n'auraient pu se défendre devant un juge.

Les autres amendements sont d'une même famille qui consiste à dire qu'il faut créer, à côté de l'atteinte sexuelle qui est un délit et du viol qui est un crime, une troisième catégorie qui s'appellerait « violences sexuelles sur enfant » punie de vingt ans de réclusion criminelle. Ce crime serait caractérisé par l'acte de pénétration sexuelle imposée par une personne majeure à un mineur de treize ans.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - J'ai parlé de cet amendement tout à l'heure, comme l'ont fait les représentants de la délégation aux droits des femmes.

Le débat est de savoir si nous devons ou non considérer comme opportun de fixer un seuil d'âge afin d'interdire une bonne fois pour toutes des relations sexuelles avec pénétration entre majeurs et mineurs de treize ans, que l'on pourrait qualifier de « crime de violence sexuelle sur enfant ». Cette proposition a été faite par un grand nombre d'autorités, à commencer par le Conseil national de la protection de l'enfance, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et le Président de la République.

M. Philippe Bas , président . - Ces amendements peuvent se cumuler.

M. Jacques Bigot . - Depuis le début, nous nous sommes focalisés, comme la ministre, le Président de la République et le Conseil d'État, sur la notion de viol. Or, sommes-nous capables d'affirmer qu'une relation sexuelle avec un enfant mineur non pubère constitue un crime ? Nous posons l'interdit de la relation sexuelle avec un mineur. L'amendement COM-46 fixe le seuil à treize ans. Ensuite, le mineur dont l'âge est compris entre treize et dix-huit ans peut avoir une sexualité et une présomption de contrainte peut être envisagée. En dessous de treize ans, cette présomption ne peut exister. Lors des procès pour inceste aux assises, il est parfois dit que la petite fille a provoqué son père. Or c'est à l'adulte de dire non. Notre amendement peut parfaitement compléter celui de Mme Mercier.

M. Philippe Bas , président . - La notion de consentement n'est pas reconnue par le droit pénal, et c'est tant mieux. Pour caractériser le viol, c'est la contrainte exercée par l'agresseur que l'on recherche. Le débat judiciaire porte alors sur le comportement de l'agresseur et pas sur celui de la victime.

M. François Pillet . - Ce projet de loi ne peut en rester à de l'affichage pour donner bonne conscience. L'âge n'est pas le bon critère ; la rédaction de notre rapporteur est bien meilleure, car elle couvre toutes les hypothèses, mais certains trouvent qu'elle laisse trop de latitude aux juges. De grâce, hormis quelques affaires qui ont été médiatisées - mais personne ne connaît les dossiers puisque les affaires ont été jugées à huis clos -, les juges rendent bien la justice. Ici, nous proposons un texte qui les guide, mais qui ne les commande pas. Faisons confiance aux juges ! Que faisons-nous du jeune de dix-sept ans qui a une relation avec une adolescente de moins de treize ans et qui serait poursuivi pour crime dès lors qu'à dix-huit ans et deux mois il poursuivrait sa relation ? Éliminons le critère de l'âge pour éviter au juge de rendre une justice qui ne soit pas adaptée.

Enfin, nous ne réglerons le problème que lorsque nous aurons aidé les victimes à parler : le doublement des peines et des prescriptions ne sert à rien.

M. Philippe Bas , président . - Les juges ne sont bien sûr pas des machines à prononcer des peines automatiques, sans que la défense puisse être entendue. Tout accusé doit pouvoir se défendre devant un juge.

M. Jacques Bigot . - Bon nombre de juges demandent l'instauration d'un seuil. La justice ne doit pas débattre du non-consentement. Si vous ne voulez pas instaurer un seuil d'âge, prévoyez une expertise pour savoir si la victime est pubère ou non. Nous avons eu le même débat sur des pédophiles français qui allaient à l'étranger et qui considéraient qu'il n'y avait pas crime puisque les enfants y étaient mis à disposition. Il faut affirmer que les relations sexuelles entre un adulte et un mineur de treize ans sont interdites. C'est du même ressort que l'interdiction de l'inceste.

M. Philippe Bas , président . - N'oublions pas que notre droit pénal interdit toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de quinze ans. Le délit d'atteinte sexuelle figure dans notre droit depuis le XIX e siècle.

J'attire votre attention sur le nombre de plaintes déposées par les parents dans des relations homosexuelles lorsque l'amant de leur fils franchit le seuil de dix-huit ans : il risque alors cinq ans de prison. En outre, nos magistrats ne sont pas tous complaisants et indulgents pour les actes d'agression sexuelle à l'égard des mineurs. Ce n'est pas parce qu'il y a eu des dysfonctionnements au parquet de Pontoise ou à la cour d'assises de Seine-et-Marne, et qui ont été heureusement corrigés depuis, qu'il faut réécrire notre code pénal. Ne remettons pas en cause les fondamentaux de la justice : nous devons respecter les droits reconnus par la Constitution.

L'amendement COM-58 est adopté.

Les amendements COM-5 , COM-19 , COM-27 et COM-49 ne sont pas adoptés.

M. Philippe Bas , président . - Nous en arrivons à l'amendement COM-46 rectifié qui crée une nouvelle catégorie de crimes : « violences sexuelles sur enfant » de moins de treize ans commises par un majeur de dix-huit ans. Nous en avons déjà beaucoup parlé.

L'amendement COM-46 rectifié n'est pas adopté.

Les amendements identiques COM-2 et COM-29 ne sont pas adoptés.

Les amendements identiques COM-3 et COM-30 ne sont pas adoptés.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-59 supprime l'extension, adoptée par l'Assemblée nationale, du champ d'application de la surqualification pénale d'inceste aux infractions commises par des cousins germains. En effet, il convient de conserver une définition pénale de l'inceste cohérente avec la définition de l'inceste en matière civile. Or nul mariage, et donc nulle filiation, ne sont interdits entre cousins germains.

M. François Pillet . - C'est un excellent amendement : le mariage entre cousins étant permis, il ne saurait exister d'inceste.

M. Philippe Bas , président . - Cela n'empêche bien sûr pas qu'il puisse y avoir atteinte sexuelle ou viol entre cousins.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Bien sûr : le viol entre cousins existe et doit être réprimé.

Mme Esther Benbassa . - Dans certaines cultures, le mariage entre cousins est permis.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Dont la nôtre. Mais il s'agit ici de relations consenties.

L'amendement COM-59 est adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-60 , identique aux amendements COM-1 , COM-28 et COM-37 , supprime la création d'une circonstance aggravante permettant de réprimer de dix ans d'emprisonnement les « atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans » lorsque les faits s'accompagnent d'un acte de pénétration sexuelle. L'enfer est pavé de bonnes intentions : même si l'intention du Gouvernement de renforcer les peines délictuelles encourues est louable, cette disposition incite incontestablement à la correctionnalisation.

Les amendements identiques COM-60 , COM-1 , COM-28 et COM-37 sont adoptés.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement de cohérence COM-61 répare une erreur de l'Assemblée nationale, qui a étendu aux majeurs les surqualifications pénales en matière d'inceste : si cela était légitime pour les crimes de viol ou les délits d'agression sexuelle, c'est inutile pour les atteintes sexuelles. Par définition, ces infractions ne concernent que des mineurs.

L'amendement COM-61 est adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-62 rectifié est de clarification concernant l'obligation pour le président de la cour d'assises de poser certaines questions subsidiaires.

L'amendement COM-62 rectifié est adopté.

Article additionnel après l'article 2

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - L'amendement COM-44 prévoit d'étendre l'obligation de l'enregistrement audiovisuel des auditions à toutes les victimes d'infractions sexuelles.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'enregistrement audiovisuel de l'audition des victimes au cours d'une enquête est une excellente idée, pour toutes les victimes. Mais la police n'aurait pas les moyens de cette obligation. La faculté est déjà prévue : quand cela est possible, cela est pratiqué.

L'adoption d'un tel amendement risquerait de multiplier les risques de nullité. En effet, il faudrait que les policiers justifient chaque impossibilité matérielle avec un procès-verbal décrivant la situation : alors que l'on essaye de réduire les tâches des policiers, pourquoi leur en créer une nouvelle ? L'enregistrement audiovisuel est une excellente faculté que permet déjà le code de procédure pénale, mais nous n'avons pas les moyens d'en faire une obligation.

L'amendement COM-44 n'est pas adopté.

Article 2 bis B

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-63 supprime cet article dont l'objet est de créer des référents intégrité physique parmi les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Une telle disposition ne relève pas du niveau législatif, mais du niveau infraréglementaire.

L'amendement COM-63 est adopté.

Les amendements COM-50 et COM-51 deviennent sans objet.

Article additionnel après l'article 2 bis B

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Les médecins et les professionnels de santé sont souvent les premiers à être au courant des violences sur mineurs. Les professionnels de santé ne sont plus liés par leur obligation de secret depuis quelques années, mais, pour autant, dans les pays où le signalement n'est pas obligatoire, le taux de signalement est faible alors que tel n'est pas le cas pour les pays européens qui l'ont rendu obligatoire. En outre, le citoyen lambda a l'obligation de dénoncer. Les médecins doivent révéler les faits qu'ils constatent.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Les textes sont déjà très clairs : le code de la santé publique impose aux médecins de dénoncer toute situation, sauf en cas d'opposition des personnes majeures, et le code pénal autorise cette dérogation au secret médical. Je ne vois pas la pertinence ou l'aspect normatif nouveau d'écrire que le signalement est obligatoire dans l'article du code pénal relatif aux immunités en matière de violation du secret professionnel.

De surcroît, tous les policiers entendus lors des auditions nous ont dit être thrombosés par l'abondance des signalements, dont plus de 90 % sont infondés sans qu'aucune vérification préalable n'ait été effectuée avant de transmettre l'information à la police. Les services enquêteurs sont aujourd'hui noyés et ne peuvent plus prioriser les cas urgents. Selon eux, il ne faut pas encourager les signalements d'informations préoccupantes : il conviendrait plutôt de renforcer l'analyse des médecins en amont. Je suis donc défavorable à cet amendement.

Mme Brigitte Lherbier . - Je voterai cet amendement. J'ai déposé une proposition de loi sur cette question : il n'est pas normal que chaque citoyen soit obligé de signaler et pas les médecins.

M. François Pillet . - Ce sujet a déjà été tranché par le Sénat. Je vous invite à relire mon rapport à la suite d'une proposition de loi de notre collègue Giudicelli, qui s'était émue des non-dénonciations de toutes formes de violences faites sur mineurs. Les médecins se réfugiaient derrière le secret professionnel, tandis que d'autres étaient poursuivis par les malades, mais aussi par les procureurs pour avoir violé le secret professionnel. À l'époque, il avait été dit que cette obligation amènerait les professionnels de santé à ne plus prendre aucun risque : à la première trace, le signalement serait fait. Les procureurs nous ont dit qu'ils ne pourraient faire face à l'ensemble des signalements. Rappelez-vous cet enfant signalé alors que sa maladie des os de verre n'avait pas été diagnostiquée.

Dans les faits, les médecins, les assistantes sociales, les infirmières et les enseignantes opèrent des signalements. Ne bouleversons pas l'équilibre auquel nous sommes parvenus.

Mme Brigitte Lherbier . - Il existe aussi des cas de violence qui n'ont pas été dénoncés. Tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes. Je voterai l'amendement.

L'amendement COM-35 n'est pas adopté.

Article additionnel après l'article 2 bis C

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - L'amendement COM-43 modifie les règles de prescription pour le délit de non-dénonciation de certaines infractions.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'inclusion de ce délit dans le champ d'application de l'article 706-47 du code de procédure pénale, qui fixe plusieurs obligations procédurales, pose de nombreuses difficultés. De plus, certaines finalités recherchées par cet amendement sont satisfaites. Ainsi, l'allongement du délai de prescription du délit de non-dénonciation est déjà satisfait par l'amendement COM-57 .

En revanche, les conséquences collatérales de l'inscription de ce délit à l'article 706-47 du code de procédure pénale ne peuvent pas être acceptées : voulez-vous que les auteurs de ce délit figurent en tant que délinquants sexuels dans le fichier des infractions sexuelles ou violentes ? Voulez-vous les soumettre, sauf décision spécialement motivée, à un suivi sociojudiciaire de plusieurs années ? J'estime que nous ne pouvons pas assimiler une personne qui sait, mais qui ne dénonce pas un mauvais traitement ou une agression sexuelle à un violeur.

L'amendement COM-43 n'est pas adopté.

Articles additionnels après l'article 2 bis D

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-11 prévoit l'inclusion d'un volet relatif à la prévention des violences sexuelles et à l'accès aux soins des victimes de ces violences dans les projets régionaux de santé. Je ne suis pas sûre du caractère normatif d'un tel amendement. J'aimerais consulter au préalable la commission des affaires sociales sur cette question. Retrait ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Il faut que cet amendement vive le temps que la commission des affaires sociales se prononce.

L'amendement COM-11 n'est pas adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-38 inclut les personnels de l'éducation dans les contrats locaux de prévention contre les violences sexistes et sexuelles. Une telle précision quant à la composition des contrats locaux de prévention relève non pas de la loi, mais du niveau infraréglementaire.

L'amendement COM-38 n'est pas adopté.

Article 2 bis E

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-64 supprime l'article 2 bis E qui prévoit la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur « les dispositifs locaux d'aide aux victimes d'agressions sexuelles, permettant à ces victimes d'être accompagnées et de réaliser les démarches judiciaires au sein même des centres hospitaliers universitaires ».

Le Parlement dispose de moyens de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, qui lui permettent de ne pas avoir à s'en remettre à un rapport du Gouvernement pour évaluer les dispositifs locaux d'aide aux victimes d'agressions sexuelles. En outre, aucun des dix-sept rapports que le Gouvernement aurait dû remettre au Parlement en application des lois promulguées et envoyées au fond à la commission des lois au cours de l'année parlementaire 2016-2017 n'a été remis dans le délai imparti, ce qui témoigne de l'inanité des dispositions tendant à prévoir la remise de tels rapports.

M. Jean-Pierre Sueur . - Ce sont plutôt les rédacteurs de ces rapports qu'il convient de blâmer.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Nous allons examiner plusieurs demandes de rapports, certains sur l'initiative de mon groupe, d'autres prévues par l'Assemblée nationale. Mais quand on est parlementaire, il est difficile d'obliger le Gouvernement à rendre compte une fois la loi adoptée. Ainsi, personne ne sait quelle sera l'utilité du texte dont nous débattons. Il est paradoxal de partir battu d'avance alors que vous voulez, monsieur le président, suivre l'application des lois, notamment celles qui sont relatives au terrorisme.

M. Philippe Bas , président . - Ces accumulations de rapports demandés par le législateur sont des coups d'épée dans l'eau et témoignent de la frustration que nous éprouvons parfois dans notre travail de législateur. Ils viennent prendre la place de dispositions législatives que nous n'avons pas obtenues et traduisent souvent la transaction entre le Gouvernement et des parlementaires auteurs d'amendements dont le Gouvernement ne veut pas. Ils constituent une injonction du pouvoir législatif au pouvoir exécutif contraire à la séparation des pouvoirs. Il sera plus fécond d'aborder ces problématiques à l'occasion de la révision constitutionnelle.

L'amendement COM-64 est adopté.

Article 2 bis

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-65 supprime l'article 2 bis relatif à la remise d'un autre rapport.

L'amendement COM-65 est adopté.

Articles additionnels après l'article 2 bis

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - L'amendement COM-39 demande un rapport sur la corrélation entre violences sexuelles ou autres et les suicides. Des associations souhaiteraient pouvoir mener ces études, mais n'en ont pas les moyens.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Cette question est importante, mais je reste défavorable aux demandes de rapports.

M. Jacques Bigot . - Je partage votre sentiment à l'égard de ces demandes de rapports. Mais en ce qui concerne ce projet de loi dont la finalité est incertaine, comme l'a dit notre rapporteur, pourquoi ne pas forcer le Gouvernement à dire quelles sont ses intentions réelles, grâce à de tels rapports ? Présentons ces amendements en séance pour que la ministre nous dévoile sa politique en la matière.

M. Jean-Pierre Sueur . - Lors de l'examen de la proposition de loi de M. Montaugé, nous avions dit que les rapporteurs des textes devraient le rester jusqu'à la fin de leur mandat pour présenter, chaque année, un rapport sur l'application de la loi votée. La commission se réserverait le droit d'inviter le ministre pour qu'il s'explique. Aujourd'hui, les ministres peuvent ne pas appliquer la loi : c'est une réelle incongruité.

Nos demandes de rapports traduisent notre attente d'un suivi effectif de la loi.

M. Alain Marc . - Pourquoi demander au Gouvernement un rapport sur les liens entre les violences et les suicides ? Nous pourrions parfaitement créer une mission d'information sur le sujet.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Il faut forcément la coopération du ministère de l'intérieur pour obtenir les chiffres.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - À chaque fois que nous avons demandé des informations au ministère de l'intérieur, nous les avons obtenues.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Mais les études sur cette problématique n'existent pas.

M. Jean-Pierre Sueur . - Il est difficile de savoir pourquoi les gens se suicident.

Mme Brigitte Lherbier . - La commission d'enquête sur les suicides des policiers a obtenu toutes les informations qu'elle avait demandées.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Mais il n'existe aucune étude sur la corrélation entre les violences et les suicides. Ce travail de recherche sera sans doute assez lourd.

L'amendement COM-39 n'est pas adopté.

L'amendement COM-40 n'est pas adopté.

Article 3

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-66 revient sur un ajout introduit par l'Assemblée nationale en première lecture, tendant à modifier les éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement sexuel. Actuellement, la définition de ce délit inclut notamment le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle. L'Assemblée y a ajouté les propos ou comportements à connotation sexiste. Or, comme l'ont souligné le Défenseur des droits ainsi que plusieurs magistrats et universitaires que j'ai entendus, cette extension entraîne une confusion entre le harcèlement sexuel et l'outrage sexiste, créé par l'article 4 du projet de loi, alors que la notion de harcèlement sexuel doit rester clairement distinguée des autres infractions. De plus, l'absence de clarté entre les deux définitions pourrait créer un risque de « contraventionnalisation » du harcèlement sexuel en raison de la création d'une contravention d'outrage sexiste.

En conséquence, je vous propose de supprimer l'ajout des propos ou comportements à connotation sexiste dans la définition du harcèlement sexuel afin de conserver la spécificité de cette infraction et d'éviter toute confusion avec l'outrage sexiste.

L'amendement COM-66 est adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Les amendements identiques COM-67 et COM-12 visent à inclure la lutte contre le harcèlement sexuel en ligne dans le devoir de coopération des intermédiaires techniques.

Les amendements COM-67 et COM-12 sont adoptés.

Articles additionnels après l'article 3

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-14 prévoit qu'en cas de signalement sur un contenu des alertes soient envoyées à tous les « abonnés » pour leur rappeler les risques encourus en cas de diffusion. Je rappelle qu'un signalement effectué par un internaute ne suffit pas à en caractériser son caractère illicite et donc l'interdiction de sa diffusion : cela relève des enquêteurs.

Je ne suis pas certaine de l'intérêt de cet amendement d'autant qu'il présente plusieurs difficultés : il est indéniable qu'il risque de « spammer » beaucoup d'internautes. De plus, je ne suis pas sûre de la faisabilité technique d'un tel dispositif : toutes les plateformes ne pourront pas le mettre en place.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Il faudrait en séance un propos un peu plus robuste pour justifier ces rejets.

M. Philippe Bas , président . - Je le trouve robuste. Nous sommes en train d'adopter le texte de la commission. Ensuite, nous donnerons notre avis sur les amendements de séance.

L'amendement COM-14 n'est pas adopté.

L'amendement COM-13 n'est pas adopté.

Article 3 bis

M. Philippe Bas , président . - L'amendement COM-68 rectifié clarifie la nouvelle circonstance aggravante créée par l'Assemblée nationale pour plusieurs infractions, dont les viols, « lorsqu'un mineur de quinze ans était présent au moment des faits ».

Mme Marie Mercier , rapporteur . - La rédaction de l'Assemblée nationale ne permettait pas le cumul entre la circonstance aggravante d'infraction commise par conjoint et celle qui est relative aux mineurs. Cet amendement résout cette difficulté.

L'amendement COM-68 rectifié est adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Je suis défavorable aux amendements identiques COM-20 , COM-23 et COM-32 , qui créent une nouvelle circonstance aggravante pour les agressions sexuelles.

Les amendements COM-20 , COM-23 et COM-32 ne sont pas adoptés.

Article 4

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Les amendements identiques COM-7 et COM-47 créent un délit d'agissement sexiste. La nouvelle infraction d'outrage sexiste présente plusieurs inconvénients, que je compte corriger avec l'amendement COM-69 . Ces amendements poseraient encore plus de difficultés : peut-on imaginer réprimer d'une peine d'emprisonnement un simple propos sexiste ? Avis défavorable.

Les amendements identiques COM-7 et COM-47 ne sont pas adoptés.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Mon amendement COM-69 vise à faire de l'outrage sexiste un délit.

L'amendement COM-69 est adopté. L'amendement COM-42 devient sans objet.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Mon amendement COM-70 fait du motif homophobe une circonstance aggravante et non un élément constitutif de la nouvelle infraction d'outrage sexiste.

L'amendement COM-70 est adopté.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Mon amendement COM-71 tire les conséquences du caractère délictuel de l'infraction d'outrage sexiste sur les peines complémentaires encourues, qu'il s'agisse du travail d'intérêt général ou de la peine de stage.

L'amendement COM-71 est adopté.

Articles additionnels après l'article 4

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Avis défavorable aux amendements identiques COM-10 et COM-54 .

Les amendements identiques COM-10 et COM-54 ne sont pas adoptés.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - L'amendement COM-45 , qui prévoit une signalisation apparente de l'interdiction de l'outrage sexiste et sexuel dans les moyens de transport collectif, ne relève manifestement pas de la loi.

L'amendement COM-45 n'est pas adopté.

Article 4 bis

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Mon amendement COM-72 supprime l'article 4 bis, qui permet aux associations d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour la poursuite de l'infraction d'outrage sexiste. On ne peut pas à la fois vouloir la verbalisation en flagrant délit et la constitution en partie civile d'associations.

L'amendement COM-72 est adopté.

Article 4 ter

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Mon amendement COM-73 est de clarification.

L'amendement COM-73 est adopté.

Articles additionnels après l'article 4 ter

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Les amendements COM-9 , COM-21 et COM-53 empiètent sur la liberté de l'enseignement et ne relèvent pas de la loi. Avis défavorable.

Les amendements COM-9 , COM-21 et COM-53 ne sont pas adoptés.

Article 4 quater

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Mon amendement COM-74 supprime l'évaluation prévue par cet article. En revanche, il semble pertinent de créer une nouvelle annexe générale au projet de loi de finances - un jaune budgétaire - afin d'évaluer la politique publique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dont sont victimes les enfants, les femmes et les hommes.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Donc vous proposez un rapport...

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Un jaune.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Je sais, mais c'est amusant !

M. Jean-Pierre Sueur . - Vous avez bien parlé d'un rapport...

M. François Pillet . - Cette demande répond au voeu de tous.

L'amendement COM-74 est adopté.

Intitulé du projet de loi

L'amendement de coordination COM-75 est adopté.

Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article additionnel avant le chapitre I er
Dispositions relatives à la prescription

Mme Marie MERCIER, rapporteur

55 rect.

Rapport annexé sur les orientations de la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Adopté

M. BUFFET

76

Développement de la recherche pour les symptômes psycho-traumatiques

Adopté

Articles additionnels avant l'article 1 er

Mme BILLON

16

Approbation du rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles adopté par le Sénat

Satisfait
ou sans objet

Mme LABORDE

24

Approbation du rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles adopté par le Sénat

Satisfait
ou sans objet

Mme Laure DARCOS

52

Approbation du rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles adopté par le Sénat

Satisfait
ou sans objet

Mme de la GONTRIE

33

Approbation du rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles adopté par le Sénat

Satisfait
ou sans objet

Mme de la GONTRIE

34

Conduite, par l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, d'une politique active de lutte contre les violences sexistes et sexuelles

Rejeté

Article 1 er
Allongement du délai de prescription de l'action publique
de certains crimes commis à l'encontre des mineurs

Mme Marie MERCIER, rapporteur

56

Allongement à trente ans du délai de prescription de l'action publique pour les crimes sexuels et violents

Adopté

Mme MEUNIER

15

Imprescriptibilité des crimes sexuels et violents commis sur les mineurs

Rejeté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

57

Régime de prescription de l'infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs

Adopté

Articles additionnels après l'article 1 er

M. BUFFET

22

Expertise pour appréciation de l'existence d'un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique

Adopté

Mme BILLON

17

Expertise pour appréciation de l'existence d'un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique

Adopté

Mme LABORDE

25

Expertise pour appréciation de l'existence d'un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique

Adopté

Mme COHEN

4

Possibilité d'ouverture d'enquête en cas d'infraction sexuelle, même en cas de prescription

Rejeté

Mme BILLON

18

Possibilité d'ouverture d'enquête en cas d'infraction sexuelle, même en cas de prescription

Rejeté

Mme LABORDE

26

Possibilité d'ouverture d'enquête en cas d'infraction sexuelle, même en cas de prescription

Rejeté

Mme Laure DARCOS

31

Possibilité d'ouverture d'enquête en cas d'infraction sexuelle, même en cas de prescription

Rejeté

Mme de la GONTRIE

36

Possibilité d'ouverture d'enquête en cas d'infraction sexuelle, même en cas de prescription

Rejeté

Article 2
Répression des infractions sexuelles

Mme BENBASSA

48

Disposition interprétative concernant les viols entre époux ou partenaires d'un PACS

Rejeté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

58

Éléments constitutifs du viol

Adopté

Mme COHEN

5

Définition des conditions de la contrainte morale pour les agressions sexuelles

Satisfait
ou sans objet

Mme BILLON

19

Définition des conditions de la contrainte morale pour les agressions sexuelles

Satisfait
ou sans objet

Mme LABORDE

27

Définition des conditions de la contrainte morale pour les agressions sexuelles

Satisfait
ou sans objet

Mme BENBASSA

49

Définition des conditions de la contrainte morale pour les agressions sexuelles

Satisfait
ou sans objet

Mme de la GONTRIE

46 rect.

Criminalisation de l'acte de pénétration sexuelle imposé par un majeur à un mineur de treize ans

Rejeté

Mme BILLON

2

Criminalisation de l'acte de pénétration sexuelle imposé par un majeur à un mineur de treize ans

Rejeté

Mme LABORDE

29

Criminalisation de l'acte de pénétration sexuelle imposé par un majeur à un mineur de treize ans

Rejeté

Mme BILLON

3

Caractérisation de la contrainte morale en cas d'acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de treize ans

Rejeté

Mme LABORDE

30

Caractérisation de la contrainte morale en cas d'acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de treize ans

Rejeté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

59

Mise en cohérence de l'inceste pénal avec l'inceste civil

Adopté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

60

Suppression de la création d'une circonstance aggravante pour atteinte sexuelle avec pénétration sur mineur de quinze ans

Adopté

Mme BILLON

1

Suppression de la création d'une circonstance aggravante pour atteinte sexuelle avec pénétration sur mineur de quinze ans

Adopté

Mme LABORDE

28

Suppression de la création d'une circonstance aggravante pour atteinte sexuelle avec pénétration sur mineur de quinze ans

Adopté

Mme de la GONTRIE

37

Suppression de la création d'une circonstance aggravante pour atteinte sexuelle avec pénétration sur mineur de quinze ans

Adopté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

61

Champ d'application de la surqualification pénale d'inceste pour les atteintes sexuelles

Adopté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

62

Obligation, pour le président de la cour d'assises, de poser certaines questions subsidiaires.

Adopté

Article additionnel après l'article 2

Mme de la GONTRIE

44

Extension de l'enregistrement audiovisuel aux auditions de toutes les victimes d'infractions sexuelles

Rejeté

Article 2 bis B (nouveau)
Création de référents « intégrité physique »

Mme Marie MERCIER, rapporteur

63

Suppression

Adopté

Mme BENBASSA

50

Précision concernant le référent intégrité physique

Satisfait
ou sans objet

Mme BENBASSA

51

Précision concernant le référent intégrité physique

Satisfait
ou sans objet

Article additionnel après l'article 2 bis B (nouveau)

Mme de la GONTRIE

35

Caractère obligatoire du signalement en cas de présomption de violences physiques, sexuelles ou psychiques sur un mineur ou un majeur en incapacité de se protéger

Rejeté

Article additionnel après l'article 2 bis C (nouveau)

Mme de la GONTRIE

43

Inclusion du délit de non dénonciation de privations, mauvais traitements ou d'agressions ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur ou un majeur dans l'incapacité de se protéger dans le champ d'application de l'article 706-47 du code de procédure pénale

Rejeté

Articles additionnels après l'article 2 bis D (nouveau)

Mme de la GONTRIE

11

Inclusion d'un volet relatif à la prévention des violences sexuelles et à l'accès au soin des victimes de ces violences dans les projets régionaux de santé

Rejeté

Mme de la GONTRIE

38

Inclusion de personnels de l'éducation dans les contrats locaux de prévention contre les violences sexistes et sexuelles

Rejeté

Article 2 bis E (nouveau)
Rapport du Gouvernement au Parlement sur les dispositifs locaux d'aide aux victimes

Mme Marie MERCIER, rapporteur

64

Suppression

Adopté

Article 2 bis (nouveau)
Rapport du Gouvernement au Parlement sur les dispositifs locaux d'aide à la mobilité des victimes

Mme Marie MERCIER, rapporteur

65

Suppression

Adopté

Articles additionnels après l'article 2 bis (nouveau)

Mme de la GONTRIE

39

Rapport du Gouvernement au Parlement sur la part des violences sexuelles et sexistes sur les suicides ou tentatives de suicide

Rejeté

Mme de la GONTRIE

40

Rapport du Gouvernement au Parlement sur la nouvelle contravention d'outrage sexiste

Rejeté

Article 3
Répression du harcèlement sexuel

Mme Marie MERCIER, rapporteur

66

Définition du délit de harcèlement sexuel

Adopté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

67

Devoir de coopération des intermédiaires techniques contre le harcèlement sexuel en ligne

Adopté

Mme de la GONTRIE

12

Devoir de coopération des intermédiaires techniques contre le harcèlement sexuel en ligne

Adopté

Articles additionnels après l'article 3

Mme de la GONTRIE

14

Envoi d'une alerte aux abonnés du service public en ligne lors du signalement de données jugées illicites

Rejeté

Mme de la GONTRIE

13

Suspension automatique des contenus signalés comme illicites par les prestataires de service de communication public en ligne

Rejeté

Article 3 bis (nouveau)
Circonstances aggravantes

Mme Marie MERCIER, rapporteur

68

Clarification de la nouvelle circonstance aggravante créée par l'Assemblée nationale, pour plusieurs infractions (violences, viols, agressions sexuelles, harcèlement sexuel, harcèlement moral), « lorsqu'un mineur de quinze ans était présent au moment des faits ».

Adopté

Mme BILLON

20

Création d'une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles autres que le viol ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours

Rejeté

Mme Laure DARCOS

23

Création d'une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles autres que le viol ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours

Rejeté

Mme LABORDE

32

Création d'une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles autres que le viol ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours

Rejeté

Article 4
Outrages sexistes

Mme COHEN

7

Création du délit d'agissement sexiste

Rejeté

Mme LABORDE

47

Création du délit d'agissement sexiste

Rejeté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

69

Définition de l'outrage sexiste

Adopté

Mme de la GONTRIE

42

Peines encourues pour l'outrage sexiste

Satisfait
ou sans objet

Mme Marie MERCIER, rapporteur

70

Circonstance aggravante de l'outrage sexiste.

Adopté

Mme Marie MERCIER, rapporteur

71

Peine complémentaire de stage

Adopté

Articles additionnels après l'article 4

Mme COHEN

10

Inclusion de la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe dans les motifs permettant la dissolution des associations ou groupements de fait

Rejeté

Mme LABORDE

54

Inclusion de la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe dans les motifs permettant la dissolution des associations ou groupements de fait

Rejeté

Mme de la GONTRIE

45

Signalisation apparente de l'interdiction de l'outrage sexiste et sexuel dans les moyens de transport collectif

Rejeté

Article 4 bis (nouveau)
Exercice des droits reconnus à la partie civile pour les associations
en matière de répression de l'outrage sexiste

Mme Marie MERCIER, rapporteur

72

Suppression

Adopté

Article 4 ter (nouveau)
Prescription de l'action en rescision de la vente pour cause de lésion

Mme Marie MERCIER, rapporteur

73

Clarification

Adopté

Articles additionnels après l'article 4 ter (nouveau)

Mme COHEN

9

Définition du cadre de l'éducation à l'égalité femmes-hommes et à la sexualité

Rejeté

M. BRISSON

21

Définition du cadre de l'éducation à l'égalité femmes-hommes et à la sexualité

Rejeté

Mme LABORDE

53

Définition du cadre de l'éducation à l'égalité femmes-hommes et à la sexualité

Rejeté

Article 4 quater
Évaluation de la loi et annexe budgétaire

Mme Marie MERCIER, rapporteur

74

Création d'une annexe budgétaire

Adopté

Intitulé du projet de loi

Mme Marie MERCIER, rapporteur

75

Coordination

Adopté

compte rendu de l'audition de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

_______

LUNDI 11 JUIN 2018

M. Philippe Bas , président . - Avec Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous sommes heureux d'accueillir Mmes Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, pour cette audition sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dont Marie Mercier, qui était déjà rapporteur de la proposition de loi d'orientation et de programmation du Sénat pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, sera rapporteur. Je tiens à dire d'emblée qu'il n'y a pas d'opposition, entre le Gouvernement et le Sénat, sur les objectifs poursuivis. Chacun est convaincu de la nécessité d'une prise de conscience collective et il convient de donner un coup d'arrêt à un certain nombre de comportements qui ne devraient plus avoir cours à notre époque. Être d'accord sur les fins toutefois n'empêche pas de discuter des moyens ; ce n'est pas parce que les objectifs poursuivis sont d'une légitimité incontestable que les moyens le sont aussi.

Grâce aux échanges entre la commission des lois et la délégation aux droits des femmes, et à la réflexion menée dans le cadre d'un groupe de travail pluraliste constitué par la commission des lois à l'automne dernier, le Sénat a formulé des propositions. Cela ne fut pas en vain : non seulement nous sommes déjà d'accord sur l'allongement du délai de prescription à trente ans pour les crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, mais en plus, nous avons eu le bonheur de constater que les députés de la majorité parlementaire ont su faire usage de nos travaux, les reprenant parfois mot pour mot dans leurs amendements, même dans leurs objets : ainsi des dispositions qui s'étaient vu opposer un avis défavorable du Gouvernement au Sénat ont été adoptées par l'Assemblée nationale avec un avis favorable du Gouvernement... C'est le cas pour l'extension de la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs, de l'aggravation des peines encourues pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et de l'aggravation des peines pour non-assistance ou pour non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs. En quelque sorte, le Sénat sert ainsi de bureau législatif aux députés de la majorité parlementaire, et nous aurions pu y voir une sorte d'hommage, si notre travail avait été cité... Hélas, cela n'a pas été le cas.

Nous avons aussi noté un progrès important sur le fond : le Gouvernement a clairement renoncé à un dispositif de nature inconstitutionnelle en abandonnant l'idée de créer une situation dans laquelle un agresseur aurait pu être condamné à vingt ans de prison sans avoir la possibilité de se disculper ; c'est ce qu'on appelle une présomption irréfragable de culpabilité. Celle-ci figurait dans le projet initial du Gouvernement, qui voulait certainement réagir à l'actualité. Mais après avoir pris le temps de la réflexion, et après avoir consulté le Conseil d'État, il a admis qu'une telle disposition était impossible dans un État de droit. En tant que président de la commission des lois, il m'appartient aussi, au risque d'apparaître parfois sans doute ringard, de veiller au respect des droits de la défense et de l'État de droit.

Nous nous demandons aussi pourquoi le Gouvernement a inscrit dans ce texte des dispositions qui relèvent du pouvoir réglementaire. La Chancellerie considère-t-elle désormais que les contraventions relèvent du domaine législatif ? Il faudrait dans ce cas modifier l'article 34 de la Constitution à l'occasion de la prochaine révision constitutionnelle ! D'autres dispositions relèvent aussi plutôt d'une circulaire ou d'une directive aux parquets de la direction des affaires criminelles et des grâces : c'est le cas, par exemple, d'une disposition précisant comment interpréter la notion de contrainte, qui est l'un des éléments constitutifs du viol. Nous devons aussi à cet égard être cohérents avec le travail que le Gouvernement a engagé, dans son projet de révision de la Constitution, en matière d'irrecevabilité des amendements dépourvus de portée normative ou qui relèvent du domaine réglementaire.

Mme Annick Billon , présidente . - Je tiens tout d'abord à remercier le président de la commission des lois d'avoir bien voulu associer la délégation aux droits des femmes à cette audition. Les violences faites aux femmes constituent pour nous une préoccupation constante. Ce projet de loi était très attendu depuis les annonces de Mme Schiappa au mois d'octobre dernier. Nous l'examinons désormais selon la procédure accélérée. Notre délégation a mis à profit les cinq mois entre l'annonce du projet de loi et sa présentation au conseil des ministres en mars pour mener une série d'auditions sur la problématique globale des violences faites aux femmes, qu'il s'agisse des violences sexuelles, intrafamiliales, conjugales, du harcèlement sexuel, des violences en ligne, etc. Certaines des conclusions de nos travaux se traduiront sous forme d'amendements au projet de loi. Celui-ci suscite d'énormes attentes de la part des associations de protection de l'enfance et de lutte contre les violences faites aux femmes, plus particulièrement des associations de victimes, notamment sur la question de la protection des mineurs. Je veux, à cet égard, souligner l'intérêt de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, présentée par nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier, et adoptée par le Sénat le 27 mars dernier. Ce texte constituera certainement une source d'inspiration dans le cadre de nos débats à venir. Notre objectif est de trouver la solution la plus protectrice pour les victimes et plus particulièrement pour les plus jeunes. Je tiens enfin, mesdames les ministres, à vous remercier de votre présence. Les membres de la délégation aux droits des femmes, en particulier, sont très heureux d'accueillir ce soir Mme Marlène Schiappa, puisque nous n'avons pas pu l'entendre au sein de notre délégation depuis le 20 juillet 2017.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ce projet de loi est le fruit de la volonté forte exprimée par le Président de la République lors de son discours du 25 novembre 2017, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination des violences à l'égard des femmes, de lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Ses dispositions s'inspirent des nombreux rapports relatifs à l'amélioration du droit des femmes et à la défense des enfants victimes. Je pense ici, entre autres, à l'excellent rapport de la Mission de consensus Flament-Calmettes, qui a travaillé sur la délicate question de l'adaptation de notre droit de la prescription en matière de crimes sexuels commis sur les mineurs.

Ce texte permet aussi de répondre à l'incompréhension suscitée par des affaires judiciaires récentes, dans lesquelles des fillettes de onze ans ont pu être considérées comme ayant consenti à des rapports sexuels avec des hommes majeurs. Ce projet de loi permet enfin, dans le contexte, qui a suivi l'affaire Weinstein, de libération de la parole, d'améliorer notre législation pour lutter contre toutes les formes de harcèlement, qu'il soit commis sur internet ou dans la rue.

Je sais que le Sénat a mené un travail de réflexion sur le sujet, qui a abouti à l'adoption d'une proposition de loi en mars dernier. Sur certains points, nos deux textes présentent des différences, notamment sur le recours à la notion de présomption de contrainte qui figure dans la proposition sénatoriale, là où le Gouvernement a fait le choix d'une disposition de nature interprétative. Mais les deux textes présentent également un certain nombre de similitudes : l'allongement de la prescription à trente ans, l'extension de la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs, l'aggravation - de cinq à sept ans - de la peine d'emprisonnement encourue en matière d'atteinte sexuelle, l'aggravation des peines d'emprisonnement pour les délits de non-assistance à personne en danger ou de non-dénonciation de mauvais traitements, lorsque ces délits sont commis sur des mineurs de quinze ans. Il m'apparaît donc que, au-delà de nos divergences sur la présomption, qui semblent difficilement surmontables d'un point de vue juridique, nous devrions pouvoir nous rejoindre sur certains points.

Ce projet de loi renforce de façon significative notre arsenal législatif répressif en matière de lutte contre les violences sexuelles, d'une part, et de lutte contre toutes les formes de harcèlement, d'autre part. Je présenterai le premier point et Marlène Schiappa vous présentera le second.

L'article 1 er allonge le délai de prescription de l'action publique pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, le portant de vingt à trente ans à compter de la majorité de ces derniers. Cette modification est apparue indispensable afin de laisser davantage de temps aux victimes pour porter plainte et de faciliter la répression de tels actes, notamment lorsqu'ils sont incestueux. Cet allongement de la prescription est cohérent avec l'augmentation générale des délais de prescription opérée par la loi du 27 février 2017. Avant cette réforme, qui a porté la prescription de dix à vingt ans pour l'ensemble des crimes, la prescription des crimes sexuels sur mineurs était déjà de vingt ans, donc plus longue que la prescription de droit commun. Il n'est donc pas absurde de rétablir la différence qui préexistait entre la prescription des crimes de droit commun et celle des crimes sexuels sur mineurs. Cet allongement est ensuite utile pour donner aux victimes le temps nécessaire pour dénoncer les faits, en prenant notamment en compte les mécanismes de la mémoire traumatique, et éviter ainsi l'impunité de leurs auteurs. Le délai de trente ans commençant à courir à compter de la majorité de la victime, celle-ci pourra porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans, au lieu de trente-huit ans actuellement. À l'Assemblée nationale, plusieurs amendements visant à rendre imprescriptibles les crimes sexuels commis sur des mineurs ont été repoussés. En effet, il apparaît que l'imprescriptibilité doit être limitée aux crimes qui, par nature, sont imprescriptibles, à savoir les crimes contre l'humanité, notamment le crime de génocide. Par ailleurs, le délai de trente ans que nous avons retenu est celui qui est déjà prévu par notre droit pour les crimes les plus graves autres que les crimes contre l'humanité, comme les crimes de guerre, d'eugénisme et de terrorisme. Enfin, une imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs serait très vraisemblablement censurée par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 22 janvier 1999 sur le traité portant statut de la Cour pénale internationale, le Conseil n'a admis, en effet, l'imprescriptibilité que pour les crimes « touchant l'ensemble de la communauté internationale », ce qui n'est pas le cas des crimes commis à l'encontre des mineurs, en dépit de leur extrême gravité. C'est notamment pour ces raisons que le rapport Flament-Calmettes n'avait pas préconisé l'imprescriptibilité, mais plutôt un allongement de la prescription à trente ans. En revanche, le Gouvernement a donné un avis favorable sur un amendement des députés visant à compléter la liste des crimes pour lesquels la prescription est trentenaire, en y ajoutant le meurtre et l'assassinat en toutes circonstances, et pas seulement lorsque les faits sont accompagnés de tortures, dès lors que ces crimes sont commis sur des mineurs.

L'article 2, qui comprend trois mesures, est celui qui suscite le plus de débats. Tout d'abord, en matière de viol et d'agression sexuelle, il complète l'article 222-22-1 du code pénal : lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. Ensuite, en matière d'atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans, le texte double les peines encourues, à hauteur de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, lorsqu'un acte de pénétration sexuelle a été commis par le majeur. Enfin, en cas de comparution devant la cour d'assises pour des faits de viol sur mineur de quinze ans, la question subsidiaire sur la qualification d'atteintes sexuelles devra obligatoirement être soulevée par le président de la cour d'assises si l'existence d'une violence, contrainte, menace ou surprise est contestée. Lors de la discussion à l'Assemblée nationale, l'esprit des dispositions contenues dans cet article a été préservé ; en revanche, tous les amendements qui tendaient à créer une présomption légale ou à retenir un seuil spécifique de treize ans ont reçu un avis défavorable du Gouvernement et ils n'ont pas été adoptés. Pour quelles raisons avons-nous agi ainsi ? Éclairé par l'avis très précis et très ferme du Conseil d'État, le Gouvernement a retenu la seule solution juridique possible pour améliorer la lutte contre les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Je le répète, notre volonté ferme est que l'ensemble de ces crimes soient effectivement punis. Cette solution juridiquement acceptable consiste à préciser la notion de contrainte morale ou de surprise lorsqu'une atteinte sexuelle est commise sur un mineur de quinze ans. Dans cette hypothèse, l'objectif est de favoriser le recours à la qualification de viol ou d'agression sexuelle. En outre, l'objectif est d'aggraver la répression des pénétrations sexuelles sur mineur lorsque celles-ci ne constituent pas un viol. Il n'est pas possible de prévoir des règles spécifiques pour les mineurs de treize ans, car il nous a semblé que la fixation d'un double seuil d'âge à quinze ans, pour préciser les notions de contrainte et de surprise, et à treize ans, dans d'autres cas, aboutirait à une réforme particulièrement complexe, illisible et incompréhensible pour l'opinion publique. Surtout la fixation d'un seuil de treize ans donnerait, à tort, l'impression qu'une atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur plus âgé, ayant entre treize et quinze ans, serait licite, voire tolérable, ce qui n'est évidemment pas acceptable. C'est pourquoi nous avons jugé préférable que le code pénal ne fixe qu'un seul et unique seuil, celui de quinze ans.

Comme l'a relevé le Conseil d'État, l'institution d'une présomption irréfragable en matière criminelle serait contraire aux exigences constitutionnelles de respect de la présomption d'innocence. Si un tel mécanisme est acceptable en matière contraventionnelle, voire pour certains délits, il ne peut s'appliquer à des crimes. Ont également été rejetés les amendements visant à faire de l'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans un viol ou une agression sexuelle, sans condition de violence, menace, contrainte ou surprise, en raison des réserves appuyées du Conseil d'État sur la constitutionnalité d'une telle disposition.

Les députés ont utilement amélioré la rédaction de la disposition interprétative relative aux notions de contrainte et de surprise en préférant l'abus de la vulnérabilité à l'abus d'ignorance et en supprimant la référence trop incertaine à la maturité. Lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans, la contrainte morale et la surprise sont effectivement caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. L'article 2 a, en outre, été complété par plusieurs dispositions. La définition du viol a tout d'abord été revue, afin que tout acte de pénétration permette de caractériser l'infraction, qu'il soit commis sur la personne de la victime ou sur l'auteur. Le viol sera ainsi constitué par un acte de pénétration de toute nature, commis sur ou avec la personne d'autrui. La notion d'inceste a, par ailleurs, été étendue aux victimes majeures, comme le prévoyait votre proposition de loi, ainsi qu'aux faits commis par un cousin germain, lorsque celui-ci a autorité sur la victime. En outre, les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans sans pénétration - soit en pratique des attouchements - ont été portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende. La définition du délit a été reformulée pour préciser que l'incrimination s'applique hors les cas de viol ou d'agression sexuelle. Il s'agit, là encore, d'une reprise de la proposition sénatoriale.

Plusieurs amendements ont, par ailleurs, permis d'enrichir utilement le cadre juridique en matière de répression des infractions sexuelles ou violentes. Les articles 2 bis et 2 bis B modifient le code de l'action sociale et des familles pour préciser que la politique de prévention du handicap mise en oeuvre par l'État, les collectivités territoriales et les organismes de protection sociale doit comprendre des actions de sensibilisation, de prévention et de formation concernant les violences, notamment sexuelles, à destination des professionnels et des personnes en situation de handicap. L'article 2 bis C aggrave les peines encourues à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende pour le délit de non-assistance à personne en danger et à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour celui de non-dénonciation de mauvais traitement ou d'infraction sexuelle lorsque la victime est un mineur de quinze ans, comme le prévoyait le texte sénatorial. L'article 2 bis D étend la communication d'informations issues du fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes aux présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), par l'intermédiaire des préfets, comme cela se fait pour les maires. Enfin, l'article 2 bis E prévoit, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, la remise d'un rapport du Gouvernement sur les dispositifs locaux d'aide aux victimes d'infractions sexuelles et d'un rapport sur les dispositifs locaux d'aide à la mobilité de ces mêmes victimes.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes . - Je suis heureuse de présenter notre projet de loi devant le Sénat, dont l'approche s'avère toujours précieuse. Il représente le fruit d'un travail engagé avant même l'élection du Président de la République, qui a qualifié l'égalité entre les femmes et les hommes de grande cause du quinquennat. Les attentes exprimées cet automne par les 55 000 participants au Tour de France de l'égalité ont confirmé notre ressenti : l'égalité réelle entre les femmes et les hommes est un voeu pieux si la société tolère que s'exercent massivement des violences sexistes et sexuelles. Le présent projet de loi constitue une réponse efficace et concrète à l'exigence de mieux condamner les infractions sexuelles, de mieux sanctionner les auteurs des violences et, ainsi, de mieux protéger les victimes, notamment mineures. Nous partageons tous le même objectif ! Ce consensus s'est exprimé dans les différents travaux dont le Gouvernement s'est inspiré pour élaborer le texte : la Mission de consensus menée l'an passé par Flavie Flament et Jacques Calmettes sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs ; les travaux parlementaires réalisés par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité de l'Assemblée nationale, par les députés du groupe de travail sur la verbalisation du harcèlement de rue, ainsi que par le groupe de travail sénatorial sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ; enfin, la mission pluridisciplinaire d'experts installée par le Premier ministre.

Ces travaux ont mis en évidence un même constat : trop peu d'agresseurs sont poursuivis et donc punis pour leurs actes. Seulement 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte et seulement 10 % des plaintes aboutissent à des condamnations : 1 % des violeurs sont donc condamnés. Le projet de loi vise en conséquence à améliorer la sanction des violences sexistes et sexuelles, conformément à l'engagement pris par le Président de la République le 25 novembre 2017. Il représente ainsi un pilier de l'édifice que nous avons commencé à bâtir pour répondre à un triple objectif : mieux prévenir les violences, mieux accompagner les victimes et mieux sanctionner les agresseurs. D'autres mesures fortes le complètent, dont certaines correspondent à des préconisations de votre rapport sur les infractions sexuelles sur mineurs : l'ouverture, d'ici à la fin de l'année 2018, à titre expérimental, de dix centres de soins de psychotraumatismes pour les victimes de violences ; le lancement avant l'été d'une plateforme de signalement en ligne gérée par les forces de l'ordre pour informer et orienter les victimes ; le déploiement d'un plan de formation initiale et continue des professionnels du secteur public - forces de l'ordre, personnel soignant, magistrats, enseignants - conformément aux objectifs de la circulaire du 9 mars 2018 ; enfin, des dispositifs inscrits dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et élaborés en concertation avec les partenaires sociaux et les organisations patronales pour faire reculer les violences sexistes et sexuelles au travail. Cette dernière initiative se double d'un appel à projets d'un montant d'un million d'euros, financé sur le budget de mon secrétariat d'État, pour soutenir les initiatives locales de prévention des violences sexistes et sexuelles au travail et d'accompagnement des victimes. À cet égard, je souhaite rappeler fermement que nous n'avons pas diminué d'un seul centime les subventions allouées aux associations nationales de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ; plusieurs ont même été augmentées, comme l'aide dont bénéficie le Collectif féministe contre le viol. En outre, le Gouvernement finance, à hauteur de 4 millions d'euros, une ambitieuse campagne de communication visant à sensibiliser et à responsabiliser nos concitoyens aux violences sexistes et sexuelles. Jamais un gouvernement n'a consacré autant de moyens au combat culturel contre les agissements sexistes, terreau de toutes les violences de notre société !

Nous avons trop longtemps fermé les yeux, nourrissant ainsi le sentiment d'impunité des agresseurs. Notre projet de loi porte l'ambition de mettre un terme à une situation indigne en améliorant le traitement judiciaire et sociétal des viols et des violences sexistes et sexuelles, notamment commis sur mineurs. Outre notre ambition de condamner davantage d'auteurs d'infractions sexuelles, nous souhaitons élargir la définition du harcèlement pour pénaliser les « raids numériques ». Les ateliers du Tour de France de l'égalité ont mis en exergue l'exposition des jeunes à de nouvelles formes de violence sexiste et sexuelle en ligne. Insultes, harcèlement moral et sexuel, menaces de viol ou de mort : les violences commises dans l'espace virtuel ont les mêmes conséquences sur la santé, comme sur la vie sociale et intime des victimes. L'article 3 du projet de loi adapte notre droit à la lutte contre les raids numériques. La définition du harcèlement ne le considère constitué que lorsque les propos ou les comportements sont répétés par une même personne. Désormais, la répétition pourra résulter de l'action unique mais concertée de plusieurs auteurs à l'encontre d'une même victime. Les plaintes en seront facilitées et internet cessera de représenter un espace de non-droit pour les harceleurs.

Le projet de loi sanctionne enfin, avec l'article 4, le harcèlement dit « de rue » en créant l'infraction d'outrage sexiste, conformément à l'engagement du Président de la République. Angle mort de notre droit positif, le harcèlement de rue entrave pourtant gravement la liberté des femmes. Imaginez que près de huit femmes sur dix déclarent craindre de sortir seule le soir dans la rue, d'après une récente étude de l'Institut français d'opinion publique (IFOP) et de la Fondation Jean Jaurès. Les femmes qui, dans leur trajet quotidien pour aller travailler, doivent se préoccuper de leur sécurité et élaborer des stratégies d'évitement, ne peuvent avoir l'état d'esprit de conquête nécessaire à leur réussite professionnelle ! Les jeunes femmes qui se rendent à l'université ne peuvent réussir sereinement leurs examens si, chaque jour, elles s'inquiètent de leur sécurité dans les transports en commun ! La vie quotidienne des femmes est gravement affectée par le harcèlement de rue. Pour mieux les protéger, le texte permet, avec l'infraction d'outrage sexiste, de réprimer les propos ou comportement à connotation sexiste ou sexuelle imposés à une personne, portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. L'amende maximale, s'agissant d'une contravention de quatrième classe, est fixée à 750 euros, pouvant faire l'objet de la procédure simplifiée de l'amende forfaitaire à 90 euros si elle est réglée immédiatement. Lorsque les faits seront commis avec circonstances aggravantes - sur un mineur de quinze ans ou dans les transports en commun par exemple -, la contravention sera de cinquième classe, punie d'une amende maximale de 1 500 euros ou de 3 000 euros en cas de récidive. Par ailleurs, les auteurs des faits pourront être condamnés à des peines complémentaires, comme l'obligation de suivre un stage contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ces comportements pourront être verbalisés en flagrant délit par les forces de police, notamment par la police de la sécurité du quotidien formée à cet effet. La reconnaissance de cette infraction permet de poser un interdit social clair : il est interdit d'intimider des femmes. Il s'agit non pas d'une incivilité trop longtemps tolérée, mais d'un comportement pénalement répréhensible !

Le Gouvernement a fait le choix de la responsabilité en s'engageant avec une détermination absolue dans la lutte contre les violences, notamment lorsqu'elles sont commises à l'encontre des plus fragiles. Notre projet de loi constitue une avancée essentielle pour répondre à cette exigence. Il sera complété des mesures précédemment évoquées et des dispositifs annoncés par le Premier ministre lors du comité interministériel pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, le 8 mars dernier. Nos concitoyens attendent que nous combattions avec la plus grande fermeté ceux qui portent atteinte à leur dignité, à leur sécurité et à leur liberté. Nous devons collectivement nous montrer à la hauteur de cette attente.

M. Philippe Bas , président . - Un chiffre m'effraie et me laisse stupéfait : seul 1 % des viols, dites-vous, donnerait lieu à une condamnation. De quelle étude est tirée cette conclusion ? Les magistrats seraient-ils, selon vous, trop laxistes ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État . - Je laisserai la garde des sceaux répondre à votre seconde interrogation. Le chiffre officiel de 1 % a été établi sur le fondement d'une estimation : 10 % des viols donneraient lieu à des plaintes, dont 10 % se concluraient par une condamnation. Des freins expliquent ce faible résultat. L'accès à la plainte n'est d'abord pas toujours aisé, bien que le mouvement #MeToo ait entraîné une libération de la parole et, partant, un accroissement de 34 % du nombre de plaintes en zone de police et davantage encore en zone de gendarmerie, au cours du dernier trimestre de l'année 2017. L'accès à la plainte sera notamment facilité par la plateforme que j'évoquais précédemment. Quant à la proportion de condamnations, elle pourrait croître grâce aux nouveaux outils mis à la disposition des magistrats par le projet de loi. Enfin, le plan de formation que j'ai présenté avec Olivier Dussopt, secrétaire d'État en charge de la fonction publique, devrait également participer de l'évolution des comportements au sein des forces de l'ordre comme de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Les magistrats, bien entendu, ne sont pas laxistes. Par ailleurs, il convient de rappeler que le chiffre de 1 % représente une estimation. Peut-être faudrait-il réaliser des études plus approfondies pour s'assurer de sa réalité. Mais n'oublions pas dans une querelle de chiffres une situation juridique insatisfaisante. Plusieurs raisons expliquent le faible nombre de condamnations. D'abord, comme l'indiquait Marlène Schiappa, de nombreuses victimes de viols ou d'agressions sexuelles ne déposent pas plainte, raison pour laquelle nous avons souhaité développer un mécanisme de pré-plainte en ligne. Il ne s'agit aucunement d'une déshumanisation ou d'une robotisation de la justice, mais d'une possibilité offerte aux victimes de ne pas immédiatement se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie. La pré-plainte permettra évidemment de convenir ensuite d'un entretien avec un enquêteur. Ensuite, la qualité d'écoute n'est vraisemblablement pas assez développée chez les forces de l'ordre, comme chez les magistrats. Des formations seront renforcées à cet effet. Par ailleurs, la preuve - je rappelle que le viol est caractérisé par quatre éléments : la violence, la menace, la surprise et la contrainte - est parfois délicate à établir ou à reconstituer. Enfin, il existe une tendance à la correctionnalisation des viols parce que le tribunal correctionnel va statuer plus rapidement qu'une cour d'assises, d'autant que les jurés parfois preuve d'une attitude plus sévère que les magistrats professionnels. L'ensemble de ces paramètres, qu'il faudrait plus finement analyser, aboutit au résultat que nous constatons en matière de condamnation.

M. Philippe Bas , président . - Notre groupe de travail a procédé à une analyse similaire.

Mme Marie Mercier , rapporteur . - Nous partageons bien entendu avec le Président de la République et le Gouvernement le désir de lutter contre les violences sexuelles et sexistes, notamment à l'encontre des mineurs de moins de quinze ans. Je dois pourtant vous avouer que je n'avais pas conscience de ce combat commun lorsque nous avons débattu de notre proposition de loi le 27 mars dernier... Vous aviez alors rejeté les amendements que nous proposions. Nous sommes certes ravis de constater qu'ils ont finalement été repris par l'Assemblée nationale lors de l'examen du présent projet de loi, mais quelque peu étonnés de vos revirements... Vous avez nommé une mission pluridisciplinaire au mois de février dernier, qui s'est peu réunie. Notre groupe de travail, sous la présidence de Philippe Bas, a auditionné, pendant cinq mois, plus de 120 personnes... Je regrette que nous n'ayons pas été associés à cette mission, afin d'oeuvrer en collaboration au bénéfice de la prévention des plus vulnérables. Vous auriez pu davantage nous associer ! Nous n'avons malheureusement pas pu prendre connaissance des conclusions de la mission pluridisciplinaire. Sans douter de leur intérêt, nous serions heureux d'en disposer.

Des interrogations demeurent à l'issue de vos propos liminaires. Je ne comprends ainsi guère la différence entre l'outrage sexiste et l'injure sexiste, déjà réprimée. Une contravention pour outrage sexiste pourra-t-elle, par ailleurs, être infligée à un mineur ? Le jeune âge est sans pitié et, trop souvent, les relations entre mineurs peuvent s'avérer d'une grande violence. Enfin, des moyens supplémentaires seront-ils alloués à la justice pour éviter le recours trop fréquent à la correctionnalisation de ces dossiers ? Pensez-vous que la création de tribunaux criminels réponde à la demande des victimes, qui ont grand besoin d'être entendues dans le cadre d'un véritable procès avec un jury populaire ? Dans notre proposition de loi, nous insistions, autour de trente-quatre propositions, sur la formation à l'écoute et au recueil averti de la parole des victimes.

Par ailleurs, j'ai cru comprendre que vous procéderiez à une simplification des stages dans le futur projet de loi. Dès lors, est-il de bon augure de créer un nouveau stage pour six mois ?

Nous partageons, je n'en doute pas, le même objectif, mais tout passe d'abord par l'éducation et le respect. D'ailleurs, les lycées et les collèges ne nous ont pas attendus pour travailler autour du harcèlement. Nous ne pourrons jamais tout écrire dans la loi. Il importe de prévenir, afin de protéger au mieux toutes les personnes vulnérables et nos enfants. Finalement, la réalité n'est qu'un clair-obscur.

M. François Pillet . - Personne ne pourra jamais soutenir - je l'espère en tout cas - que nous ne partageons pas avec fermeté le même objectif, surtout pas le Sénat, qui, historiquement et chronologiquement, a commis de nombreux rapports sur ce point, y compris sur le thème des violences en général. Ainsi a-t-il régulièrement contribué à améliorer la législation sur les violences intrafamiliales. Pour autant, je formulerai deux observations.

J'adhérerai certainement à la nouvelle définition du viol, qui permettra de mettre fin à quelques curieuses décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Toutefois, quand viendra l'heure du bilan, dans quelques années, il ne faudrait pas que notre combat semble avoir été engagé pour satisfaire notre bonne conscience. Le projet de loi apportera-t-il réellement des progrès aux victimes ?

Concernant l'allongement du délai de prescription, comme vous l'avez indiqué à juste titre, madame la garde des sceaux, dans tous les cas, le problème, c'est la preuve. Quand les témoins ont oublié, ou ont voulu oublier, quand ils sont morts, quand il n'y a plus aucune trace matérielle de l'agression, donnerons-nous vraiment une arme supérieure aux victimes en faisant passer le délai à trente ans ? Pour ma part, je ne le pense pas. Il y a là un risque supérieur, celui du dépérissement de la preuve, avec deux conséquences : la première au détriment des victimes qui, après avoir rouvert leurs blessures, risquent de s'entendre dire que la preuve n'est pas rapportée, et se retrouveront victimes une seconde fois ; la seconde au détriment des innocents, qui, en dépit du non-lieu ou de l'acquittement, ne pourront démontrer leur innocence puisque les preuves auront été effacées, et l'opprobre demeurera. Cette disposition ne me semble donc pas constituer un progrès. Il importe que les victimes libèrent leur parole le plus rapidement possible. Récemment, mon collègue François-Noël Buffet a envisagé la possibilité de faire en sorte que le traumatisme qui vous fait oublier pendant une certaine période de votre vie ce dont vous avez été victime conduise à une interruption de prescription, ce qui serait de nature à favoriser plus l'intérêt des victimes. Veillons à ce que l'allongement du délai n'ait pas pour conséquence d'aggraver les choses.

Par ailleurs, le Gouvernement aurait pu prendre la responsabilité de créer la contravention sans en passer par la loi, d'autant que, dans un avenir prochain, il nous sera proposé de faire en sorte que ce type d'amendements soient irrecevables d'office. Mais surtout, cette contravention existe déjà. L'injure sexiste, c'est une expression outrageante. S'il faut faire un peu d'orfèvrerie juridique et rédactionnelle, pourquoi pas ? Mais ne disons pas à tout-va que l'on va régler le problème, alors que tous les policiers affirment que cette disposition serait absolument inapplicable. Évitons de nous donner un peu trop bonne conscience en donnant l'illusion aux victimes que l'on va mieux traiter leur situation ! La situation catastrophique qu'elles connaissent ne se résoudra qu'en leur permettant, nous en sommes tous d'accord, psychologiquement et sociologiquement, de libérer leurs paroles. Encore faudrait-il plus de moyens budgétaires que prévu dans les lois de programmation.

M. Philippe Bas , président . - In cauda venenum .

Mme Laurence Rossignol . - Merci, mesdames les ministres, pour vos exposés fournis.

Je veux vous dire ma satisfaction que soit allongé le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineurs. Les divers inconvénients présentés par notre collègue François Pillet ont déjà été évalués et pesés ; on peut d'ailleurs presque avoir les mêmes interrogations avec la prescription à vingt ans, notamment concernant la conservation des preuves. La pluralité de victimes et la répétition du même scénario permettent justement d'apporter des preuves. Dans l'affaire Flavie Flament, l'allongement de la prescription aurait permis de qualifier de viol ce qu'avaient subi toutes ces jeunes femmes victimes du même homme et de poursuivre celui-ci. Il faut prendre le risque, parce que les victimes demandent et attendent cette mesure. On répond là à une demande de la société, à faible coût juridique, à mon sens. Du reste, les victimes ne sont pas naïves, elles savent à quel point il va leur être difficile d'apporter la preuve, parole contre parole.

Introduire l'outrage sexiste dans la loi revient à poser des interdits. Il s'agit d'une sorte de cliquet civilisationnel. Le décret n'aurait pas eu le même impact. Le Gouvernement a souhaité que ce soit dit clairement après les campagnes contre le harcèlement. Je rappelle la campagne très réussie conduite par ma prédécesseure Pascale Boistard sur le harcèlement dans les transports en Île-de-France.

En revanche, il n'a échappé à personne que l'article 2 est déceptif : il a créé beaucoup de déception chez tous les parlementaires, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, et dans tous les groupes, si j'ai bien compris. La déception est également large dans les milieux associatifs. Vous-même, Marlène Schiappa, avez annoncé au mois de novembre dernier vouloir fixer un seuil de présomption de non-consentement irréfragable. Les diverses péripéties entre vos annonces et le texte présenté aujourd'hui constituent probablement pour vous une petite déception. C'est la vie d'un ministre : il n'y a pas de honte à dire que l'on n'a pas obtenu ce que l'on voulait.

Par cet article, trois objectifs étaient visés, à mon sens : poser un interdit clair quant à toute relation sexuelle avec pénétration entre un majeur et un mineur ; poser le postulat qu'il ne saurait y avoir de consentement de la part d'un enfant lors d'une relation sexuelle avec un majeur - c'est la base - et, enfin, poursuivre cette relation sexuelle comme un viol s'entendant par en tant que et autant que. Nous avons fait l'erreur - j'y prends ma part - de chercher à étendre la définition du viol pour viser les relations sexuelles avec pénétration entre un majeur et un mineur. Or c'est impossible. Le viol a quatre caractéristiques : violence, contrainte, surprise ou menace, la contrainte pouvant être morale. On ne peut pas tordre la définition du viol pour arriver à y inclure une relation sexuelle dans laquelle la seule contrainte puisse être une contrainte morale, qui prête lieu à discussion devant les tribunaux. S'il n'y avait pas de discussion sur la contrainte morale, il n'y aurait pas de discussion sur le consentement de l'enfant. Vous avez fait le choix de rester dans le domaine délictuel, en créant une atteinte sexuelle avec pénétration, plus sévèrement punie que l'atteinte sexuelle, mais moins punie qu'un viol sur mineur : dix ans contre vingt ans. Cet écart trouble et on reste dans le délictuel et non pas dans le criminel. Or pour nous, il s'agit d'un crime et il n'y a pas de consentement possible. On nous oppose l'inconstitutionnalité, mais j'ai pour principe de penser que seul le Conseil constitutionnel sait ce qui est inconstitutionnel ou pas. Je le dis en connaissance de cause : pour avoir porté une loi dont tout le monde avait pensé qu'elle serait inconstitutionnelle, je constate qu'elle l'a été moins que prévu. Aussi, je vous propose de changer d'angle de vue.

Il est incontestable que la présomption irréfragable n'est pas acceptable en droit pénal, a fortiori en matière criminelle. En revanche, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà jugé que, en deçà d'un jeune âge - en l'occurrence six ans -, un enfant ne peut pas avoir consenti aux actes sexuels dont il est victime. La chambre criminelle de la Cour de cassation prendrait-elle des décisions anticonstitutionnelles ? La discussion porte donc bien sur l'âge, pas sur un principe juridique. Dès lors, à partir de quel âge considérons-nous que l'enfant n'a pas conscience de ce qu'il fait et qu'il ne peut donc pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur ? Après réflexions, études et discussions, nous sommes nombreux à considérer que l'âge est de treize ans. À douze ans, nous avons affaire à des enfants. Nous sommes un certain nombre ici à être parents. Personne n'irait imaginer qu'un enfant de douze ans peut consentir à une relation sexuelle avec un adulte. Avec un mineur, c'est une autre affaire. Madame la garde des sceaux, qu'est-ce qui nous empêche de prévoir qu'une relation sexuelle entre un majeur et un mineur de treize ans est un crime puni d'une peine de vingt ans ? Le parquet conservera toute opportunité des poursuites et pourra évaluer les situations spécifiques. La défense pourra présenter les mêmes arguments qu'aujourd'hui ; par exemple, que l'auteur des faits ne pouvait connaître l'âge de la personne ; les droits de la défense seraient ainsi respectés. Qualifier de crime une relation sexuelle entre un majeur et un mineur de treize ans me semble parfaitement conforme au droit constitutionnel.

Mme Annick Billon , présidente . - Merci, mesdames les ministres, pour vos exposés. Je rejoins totalement les propos de Laurence Rossignol. La délégation aux droits des femmes travaille depuis quelques semaines sur ce sujet et est arrivée à la conclusion qu'il était possible de créer cette nouvelle infraction qui ne reposerait pas sur la menace, la violence, la contrainte et la surprise, qui sont les critères du viol.

Je partage la proposition du Gouvernement d'allonger le délai de prescription de vingt ans à trente ans. Ce qui est valable pour vingt ans l'est aussi pour trente. Par nos auditions, nous avons compris l'attente de nombreuses victimes.

Je poserai une question concernant les moyens, madame la secrétaire d'État. Vous avez annoncé la création d'un numéro national dédié aux victimes de harcèlement sexuel. Il semblerait que coexistent plusieurs numéros pour les victimes de violences. Toutefois, n'est-il pas paradoxal de créer un nouveau numéro, alors que des dispositifs existent déjà et sont connus ? Dans un contexte budgétairement contraint, n'aurait-il pas été préférable d'allouer plus de moyens à des personnes déjà formées pour répondre aux attentes ? La multiplication des dispositifs de signalement ne risque-t-elle pas de compliquer la tâche des victimes pour identifier l'interlocuteur le mieux adapté ? À l'heure de la simplification, simplifions les choses pour les victimes ! Quelle sera la coordination entre le numéro national dédié aux victimes de harcèlement sexuel dont vous avez annoncé la création et le numéro d'écoute national destiné aux femmes victimes de violences ? Enfin, vous avez indiqué que les moyens dévolus aux associations étaient maintenus. Compte tenu de la libération de la parole et de la complexité à ester en justice, les associations que nous avons auditionnées ne peuvent pas répondre, à moyens constants, aux attentes des victimes. Que proposez-vous ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Monsieur le président Bas, permettez-moi auparavant de répondre aux deux observations que vous avez formulées dans votre propos liminaire.

Vous avez critiqué le Gouvernement, qui prend parfois des dispositions législatives que vous estimez de nature réglementaire, évoquant la question des contraventions, qui relèverait du domaine réglementaire. Ce processus s'est déjà produit, et vous avez vous-même, me semble-t-il, voté l'interdiction du voile intégral.

M. Philippe Bas , président . - Je n'avais pas la chance d'être parlementaire à cette époque !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Par ailleurs, de telles dispositions ne sont pas censurées par le Conseil constitutionnel. Nous avons souhaité introduire la contravention pour outrage sexiste, considérant que cela revêtait une dimension puissante. J'ajoute de manière plus juridique que nous avons introduit à l'article 4 une nouvelle peine à titre complémentaire, celle de stage : un stage de lutte contre le sexisme et pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Comme vous le savez, toute nouvelle peine doit être créée par la loi. Dès lors, il nous a semblé difficile de décorréler ces deux notions. C'est la raison pour laquelle nous avons utilisé cet instrument juridique. Évidemment, lorsque vous aurez adopté les nouvelles dispositions de la future Constitution, nous veillerons à ce qu'il n'y ait pas de dispositions réglementaires dans les dispositions législatives...

Vous avez également souligné qu'un certain nombre de dispositions, que nous qualifions nous-mêmes d'interprétatives, relèveraient de la circulaire. Certes, mais là encore, ce n'est pas la première fois que de telles dispositions sont ainsi introduites. J'en veux pour preuve l'article 222-22-1 du code pénal, qui est une disposition interprétative.

Madame le rapporteur, vous vous interrogez sur la pertinence de la création du tribunal criminel. Dans le projet de réforme de la justice que j'aurai l'occasion de vous présenter au mois d'octobre prochain, nous proposerons la création, à titre expérimental, du tribunal criminel, qui pourrait juger les questions de viol. Vous soulignez que les victimes attendent des procès avec jury populaire. Il y aura bien un procès, avec audition de témoins, avec la possibilité de s'exprimer aussi longuement que le président du tribunal le jugera nécessaire à l'établissement de la vérité, mais le jury sera composé de cinq magistrats. J'entends bien votre observation, que j'ai déjà entendue, mais on ne saurait affirmer de manière absolue que toutes les victimes veulent des procès avec jury populaire et on ne saurait généraliser cette demande. En tout cas, l'instauration des tribunaux criminels permettra de juger des viols en tant que crimes et plus rapidement que ne le fait la cour d'assises, non pas parce que la procédure sera plus légère, mais parce que le procès pourra avoir lieu dans des délais plus rapprochés.

Vous craignez que la future loi de réforme de la justice ne mette fin au stage prévu comme peine complémentaire pour l'outrage sexiste. Pas du tout, par souci de clarté, nous proposons de regrouper l'ensemble des stages.

Monsieur Pillet, vous vous demandez si ce projet de loi apportera réellement des progrès aux victimes, insistant sur cet adverbe. Vous avez même dit qu'il fallait éviter que nous ne nous donnions bonne conscience à peu de frais.

L'allongement du délai de prescription à trente ans poserait, selon vous, des problèmes de preuves. Bien évidemment, de ce point de vue, je ne peux que vous rejoindre. Pour autant, nous pensons que les phénomènes d'amnésie traumatique, qui ont été mis en évidence, pourront peut-être permettre de reconstituer des vérités sur la base de témoignages, voire de faits, lesquels seront de nature à apporter des éléments de preuve. N'oublions pas que les éléments de preuves scientifiques ont progressé. La méthode du faisceau d'indices que les enquêteurs et les juges pourront mettre en exergue pourra peut-être permettre la reconstitution d'éléments de preuve. Je ne pense donc pas que cette disposition soit totalement inutile, ni nécessairement contre-productive.

Par ailleurs, il me semble que certaines victimes auront besoin de dire ce qu'elles ont vécu. On ne peut pas adopter sur ces questions-là une position générale. Ce que nous proposons pour toutes ces personnes victimes de crimes pendant leur minorité me semble quand même un progrès.

Sur la distinction entre injure et outrage, il existe bien une distinction. Marlène Schiappa va y revenir.

Enfin, je m'étonne, monsieur le sénateur, que vous doutiez des moyens de la justice, qui seront considérablement accrus par la loi de programmation (1,7 milliard d'euros en cinq ans et 6 500 emplois, plus que tout ce qui a été fait auparavant).

M. Philippe Bas , président . - Nous sommes heureux que vous fassiez progresser le budget de la justice, mais je vous renvoie à la loi de programmation pour la justice de septembre 2002 : vous constaterez que l'effort budgétaire de cette période était nettement supérieur.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Madame Rossignol, vous soulevez un problème difficile : la rédaction de l'article 2, dont vous dites qu'il est déceptif. Je le comprends, compte tenu des attentes formulées par les uns ou les autres. Moi-même, j'avais évoqué une présomption à treize ans. Ce n'est pas que nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions ; ce que nous voulions, nous l'avons obtenu, à savoir mieux combattre le crime de viol avec des instruments juridiques adaptés.

Vous dites que nous avons fait le choix de rester dans le domaine délictuel en créant l'atteinte sexuelle avec pénétration. Je ne suis pas d'accord : nous avons fait le choix de combattre le crime de viol en assouplissant considérablement la question centrale de la preuve pour la rendre quasi automatique pour les mineurs de quinze ans puisque, pour eux, la contrainte résultera de leur vulnérabilité par absence de discernement nécessaire. Ce faisant, les magistrats pourront, lorsque la situation se présentera à eux, décider que la contrainte découlera de la question du discernement et de la vulnérabilité : la violence est toujours établie. Nous nous donnons ainsi les moyens de combattre très efficacement les crimes de viol.

Par ailleurs, dans la situation actuelle, les atteintes sexuelles, donc délictuelles, sont envisagées sans distinguer s'il y a ou non pénétration. Cela me semble dangereux dans la mesure où le code pénal interdit déjà toute relation sexuelle entre un mineur de quinze ans et un majeur. Il me semble curieux de ne pas aggraver l'atteinte sexuelle lorsqu'il y a pénétration. Ce faisant, nous n'avons pas la volonté de correctionnaliser les crimes de viol. Au contraire puisque nous donnons au juge les moyens d'assouplir considérablement la charge de la preuve pour les mineurs de quinze ans.

Votre proposition reprend celle de M. Rosenczveig, à savoir la criminalisation de toute relation avec un mineur de moins de treize ans. Je pense que cette proposition est doublement dangereuse : d'une part, je ne suis pas sûre de sa constitutionnalité ; d'autre part, s'agissant d'une nouvelle peine, elle ne s'appliquerait que pour le futur et non aux plaintes actuellement instruites puisque la loi pénale n'est pas rétroactive.

Mme Laurence Rossignol . - Ce que vous dites est également valable pour l'article 2.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Non, puisque c'est interprétatif. Il peut donc s'appliquer aux faits passés.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État . - Madame le rapporteur, pour élaborer ce projet de loi, au-delà du travail mené lors de la campagne présidentielle, il faut mentionner le Tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a réuni pendant près d'un an 55 000 participants, soit la plus grande consultation citoyenne jamais organisée par un gouvernement, en France métropolitaine et outre-mer, avec l'audition d'experts. Les conclusions de la mission interdisciplinaire sont disponibles en ligne sur le site de Matignon. En ce qui concerne la question de l'éducation, le Gouvernement considère que ce doit être une priorité, car c'est par l'éducation que nous pourrons faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes. Mais outre les politiques publiques et les actions menées par l'éducation nationale, une part de ce travail incombe aux familles. En tout cas, je vous renvoie à deux articles publiés dans L'Express et dans Version Fémina , dans lesquels le ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer et moi-même avons détaillé les propositions du Gouvernement et les mesures mises en oeuvre à partir de la rentrée prochaine. Ainsi, nous avons décidé de mettre en place des référents égalité dans chaque établissement scolaire, c'est-à-dire une personne formée à l'égalité entre les filles et les garçons à laquelle tout le monde pourra s'adresser. De même, une « mallette des parents » sera déployée à partir de la rentrée prochaine contenant de la documentation relative à l'égalité entre les filles et les garçons (respect des valeurs républicaines, mixité non négociable entre les filles et les garçons, respect d'autrui, lutte contre les violences sexistes et sexuelles, y compris les plus violentes, qui ont cours dès le plus jeune âge, questions liées à l'orientation pour décloisonner les filières). Enfin, nous avons décidé de mettre en oeuvre les trois séances d'éducation à la vie affective et sexuelle prévues par la loi, mais jamais appliquées jusqu'à ce jour. Le ministre de l'éducation nationale a adressé une circulaire à l'ensemble des recteurs en ce sens, avec un catalogue de toutes les associations ayant un agrément « intervention en milieu scolaire ». Souvent, l'emploi du temps chargé des chefs d'établissement ne leur permettait pas d'organiser ces séances et ils ne savaient pas à qui s'adresser en toute sécurité. La « mallette des parents » nous permettra de correspondre avec les parents, qui doivent être pleinement associés à cette démarche.

En ce qui concerne l'outrage sexiste, il faut le distinguer de l'injure sexiste. L'outrage sexiste, que les femmes ont décidé d'appeler le harcèlement de rue, ne passe pas forcément par une injure verbalisée ; cela peut être des intimidations, des menaces verbalisées ou non, une action physique qui ne va pas jusqu'à l'agression. Quand quelqu'un vous suit dans la rue, rentre dans votre espace intime (et nous savons où commence l'invasion de notre espace intime), quand quelqu'un vous demande vingt fois votre numéro de téléphone de manière intimidante ou menaçante, quand plusieurs personnes se mettent en travers de votre chemin pour vous empêcher de passer, tout cela n'est pas caractérisé actuellement et aucune femme n'ira déposer plainte parce que trois inconnus l'ont suivie dans la rue en lui demandant à plusieurs reprises son numéro de téléphone. C'est pour cette raison que nous passons par du flagrant délit, pour que les femmes n'aient pas à déposer plainte, alors que plusieurs pays ont mis en oeuvre un mécanisme avec dépôt de plainte. Dans l'immense majorité des cas, ce sont les femmes qui sont concernées, mais l'Assemblée nationale a intégré dans cette définition de l'outrage sexiste les menaces à caractère sexuel, homophobe, ou en direction des personnes LGBTQI.

Monsieur Pillet, vous avez dit que les policiers étaient réfractaires.

M. François Pillet . - Ils doutent !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État . -Dans un premier temps, certains syndicats de policiers ont effectivement fait part de leurs doutes et s'interrogeaient légitimement. Maintenant, grâce à l'impulsion du ministre d'État Gérard Collomb, les forces de l'ordre sont tout à fait partantes et ont hâte de pouvoir mettre en oeuvre la verbalisation de l'outrage sexiste. C'est la mission des forces de l'ordre que de protéger la population, notamment les femmes.

Madame la présidente, l'association qui gérait le numéro que vous évoquez a décidé de fermer son standard. Puisque nous ne pouvions pas laisser les femmes sans réponse, nous avons décidé conjointement avec ma collègue Muriel Pénicaud et la direction générale du travail de créer un numéro dédié. Nous considérons que, sur ces questions, l'État doit reprendre la main ; il n'est pas anormal qu'un service public apporte des réponses aux femmes victimes de violences sexistes et sexuelles.

Par ailleurs, les moyens de cette association sont totalement maintenus. Les subventions publiques, ce n'est pas du mécénat ; elles sont accordées en contrepartie d'une mission s'apparentant à une délégation de service public, à un service rendu au public. Puisque cette association renonce à assumer une partie de ce qui est prévu dans la convention, nous pourrions ne plus la subventionner. Or, eu égard au surcroît d'activité que vous évoquiez, nous avons maintenu cette subvention, même si elle a cessé son activité d'accueil téléphonique.

Je partage ce qui a été dit sur la variété des numéros, quelqu'un ajoutant même qu'ils étaient connus. Je ne le crois pas. Quand on demande aux femmes qui elles appellent en cas de violence sexiste ou sexuelle au travail, les numéros de téléphone arrivent en avant-dernière position après la police, les syndicats, l'inspection du travail, les amis, les proches, les collègues. Et si l'on demande le numéro de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), je ne suis pas certaine qu'il soit très connu. Nous avons eu des témoignages de ce flou lors du Tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes et dans les études que nous avons menées en ligne.

Nous avons créé une hotline à Cannes dont nous avons indiqué le numéro en direct sur Europe 1. Beaucoup de gens ont alors expliqué qu'ils pensaient que c'était la première fois qu'une ligne était créée pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, ce qui montre à quel point il est nécessaire de créer un numéro d'entrée unique avant reroutage vers les différents numéros. La spécificité de chaque numéro et la compétence de chaque association ne sont pas remises en cause.

S'agissant des moyens, 1,28 million d'euros vont au Centre d'information sur les droits des femmes, 60 000 euros supplémentaires sont attribués au collectif féministe contre le viol, tandis que l'appel à projets que nous avons lancé sur les violences sexistes et sexuelles au travail est doté de 1 million d'euros. Ce budget est complété par l'interministériel, notamment les 900 000 euros du ministère de la justice pour le « téléphone grave danger ».

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Madame la garde des sceaux, vous avez dit que votre objectif était de mieux combattre le crime de viol. Pourriez-vous nous éclairer sur les modalités de votre projet de loi : en dépit de ma formation, j'ai eu du mal à comprendre le résultat des discussions à l'Assemblée nationale.

Rappelons quelques faits. En septembre 2017, un homme de vingt-huit ans a une relation sexuelle avec une enfant de onze ans. Le parquet de Pontoise estime que la contrainte n'est pas établie de manière certaine et décide de poursuivre pour atteinte sexuelle. Émotion. En novembre 2017, la cour d'assises de Seine-et-Marne a à juger pour crime de viol un homme de trente ans ayant eu une relation sexuelle avec une enfant de onze ans, neuf ans après les faits. En raison de l'absence de contrainte démontrée, le jury prononce l'acquittement. Émotion.

Dès le 11 novembre, vous avez annoncé, madame Schiappa, un projet de loi visant à instaurer une présomption irréfragable de non-consentement. D'où cet article 2, complexe à comprendre et, comme l'a dit ma collègue Laurence Rossignol, déceptif. Lorsqu'elle dit qu'il faut parfois reconnaître que l'on n'a pas eu ce qu'on voulait obtenir, c'est une façon de vous suggérer de ne pas prétendre que ce qui est proposé aujourd'hui est ce qui avait été proposé le 11 novembre. Peu importe, nous avons tous le même but.

Avec la combinaison, à l'article 2, des modifications apportées aux articles 222-22-1 et 222-27-26 du code pénal, vous pensez pouvoir poursuivre de manière plus efficace les atteintes sexuelles avec pénétration sur mineur. En quoi ces dispositions auraient-elles permis d'éviter les situations de septembre et novembre 2017 ? Il y avait clairement une infraction pénale. Sauf preuve du contraire, c'est encourager la correctionnalisation de faits qui, pour chacun d'entre nous, sont en réalité des viols. Madame la garde des sceaux, en quoi vos dispositions permettent-elles de mieux combattre le crime de viol sur mineur ?

M. Philippe Bas , président . - On ne peut pas postuler que les deux instances qui ont à juste titre scandalisé nos concitoyens l'année dernière résultent de malfaçons de la législation. On pourrait au contraire penser que, avec une bonne législation, il peut y avoir de mauvaises pratiques et que l'essentiel de l'effort doit par conséquent porter sur les moyens des tribunaux et la pratique des magistrats. Cela étant, la différence entre le viol et l'atteinte sexuelle avec pénétration, c'est que cette dernière ne requiert pas que soient réunis les éléments constitutifs du viol : il est plus facile de caractériser une atteinte sexuelle. Mais je ne veux pas répondre à la place de Mme la garde des sceaux.

Mme Brigitte Lherbier . - Mesdames les ministres, vous avez dit que l'égalité des chances était impossible si l'on ne réglait pas ces problèmes de violences. Élus de terrain, nous avons tous été confrontés à la souffrance psychique et physique de personnes fréquentant nos permanences, et l'on garde des séquelles de ces témoignages douloureux et oppressants. Dans ma permanence, tous les mois des femmes me racontaient combien elles souffraient sous les coups de leur mari. On pourrait penser que c'est un problème de classe sociale, de mauvaise connaissance du droit, mais les témoignages se suivaient mois après mois.

Vous avez parlé des plaintes en ligne. Cela favorisera le dépôt de plainte, car il faut convaincre de faire cette démarche. De même que l'aggravation des sanctions peut être incitative. Mon état d'esprit était le suivant : si l'on fait de la pédagogie dans ces zones où les gens n'ont pas forcément accès au droit, ce sera un plus. Or samedi dernier, j'ai croisé au Touquet une femme très classe d'une soixantaine d'années - ce ne sont pas uniquement les jeunes femmes qui subissent des violences - assise sur un banc, complètement perdue et repliée sur elle-même. Elle m'a dit qu'elle ne rentrerait pas chez elle le soir parce que les coups pleuvaient, ajoutant qu'elle ne cessait d'appeler la gendarmerie et qu'elle ne savait plus où elle en était. Elle m'a dit également avoir assisté à une réunion de 300 femmes dans une ville voisine, dont elles sont toutes ressorties honteuses de ce qui leur arrivait. Le médecin qu'elle est allée voir lui a dit qu'elle était peut-être tombée dans l'escalier. Il n'y a pas de preuves.

Toutes ces femmes s'interrogent sur l'après-procès : le conjoint violent va être condamné, mais que vont-elles devenir ? Ainsi, cette dame m'a expliqué être mariée sous le régime de la séparation de biens, ne rien posséder, vivre dans une tout petite ville où la pression sociale est forte. Il faut donc aussi envisager l'après, notamment reloger ces femmes pour les éloigner de leur conjoint. L'arsenal législatif ne suffit pas ; il faut aussi développer le social.

Mme Françoise Laborde . - Il a été répondu à nombre de questions que je voulais poser. Moi aussi j'ai décortiqué l'article 2, au sujet duquel je vous fais grâce de mes réserves. Nous en reparlerons en délégation jeudi matin. Permettez-moi juste de dire que je regrette l'intitulé du chapitre II, à savoir « Dispositions relatives à la répression des infractions sexuelles sur les mineurs ». Pourquoi ne pas parler de « violences » ?

Je veux ici insister sur ce qui touche à l'inceste. Certes, la surqualification pénale d'inceste a été étendue aux actes sexuels commis par l'auteur cousin germain de la victime, mais sans que cette surqualification soit généralisée - cela reste une situation aggravante aux termes des articles 222-31-1 et 222-27-2-1 -, ce qui n'est pas satisfaisant.

La question de l'âge reste un problème majeur. Nous allons donc devoir accorder nos violons : treize ou quinze ans ?

Mme Marta de Cidrac . - J'aurais souhaité que nous puissions nous rencontrer plus en amont de ce texte important.

Juste une observation : une loi doit être à la fois simple, facile à comprendre et surtout facile à appliquer. Or il me semble que le présent texte ne présente pas toutes les garanties en termes de simplicité. Il faudrait sans doute le retravailler.

Par ailleurs, surtout avec un sujet comme celui des violences faites aux femmes, sans doute conviendrait-il de mettre un peu plus de coeur et un peu moins de technicité dans un texte de ce type. Les victimes ne sont pas forcément toujours en demande ce que la loi pourrait penser pouvoir leur donner.

M. Philippe Bas , président . - Le coeur, c'est ce qui inspire le législateur, le cas échéant, mais la règle de droit pénal doit être aussi précise et objective que possible. Il s'agit de condamner parfois à de très lourdes peines de prison des personnes qui ont commis des actes de violence. Par conséquent, la simplicité que l'on recherche pour tous les textes n'est pas toujours possible si l'on veut garantir les droits fondamentaux, à la fois ceux des victimes et ceux des agresseurs. Si l'on recherche l'expression d'une plus grande fraternité, d'une plus grande humanité, ce n'est pas forcément dans la lecture du code pénal qu'on trouvera la satisfaction de cette quête.

Mme Marta de Cidrac . - Ma question de fond était celle-ci : en quoi ce texte permettra-t-il d'éviter les situations rencontrées l'an passé ?

Mme Laure Darcos . - Ce texte ne traite pas suffisamment des victimes en situation de vulnérabilité. Certes, l'Assemblée nationale a voté un amendement relatif aux femmes atteintes d'un handicap, mais je pense aussi aux SDF, aux personnes âgées : il arrive que des abus sexuels soient commis au sein d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je ne crois pas non plus à la pénalisation du harcèlement de rue, même si cela part d'un bon sentiment. Je pense que les mesures prises contre les frotteurs dans les transports en commun, grâce à Valérie Pécresse, sont une très bonne chose. Il est beaucoup plus facile pour les policiers de prendre les auteurs de tels actes en flagrant délit. De même, permettre aux femmes qui rentrent tard le soir de descendre du bus près chez elle est une très bonne initiative. Cela se fait en Île-de-France, mais aussi dans d'autres régions. J'ai moi-même fait les frais de ce harcèlement de rue, mais il me paraît compliqué de le réprimer, d'autant que les policiers ne sont déjà pas assez nombreux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Sur les affaires de Pontoise et de Seine-et-Marne, je m'exprime avec beaucoup de prudence puisqu'elles ne sont pas closes : à Pontoise, le tribunal a renvoyé l'affaire devant un juge d'instruction et en Seine-et-Marne, un appel a été interjeté.

Les dispositions que nous vous proposons d'adopter auraient pu modifier radicalement l'approche des juges. La question de la contrainte morale et de la surprise subit une atténuation de preuves. Par conséquent, en raison de l'abus de vulnérabilité et parce que la victime n'a pas le discernement nécessaire, le juge aurait parfaitement pu statuer différemment, compte tenu des éléments dont j'ai connaissance sur ces deux dossiers.

Madame Lherbier, vous avez fait état d'une situation de souffrances. Vous pouvez mesurer également la difficulté des policiers et des magistrats, qui sont confrontés très fréquemment à ce type de dossier et la difficulté qu'ont ces derniers à rendre une décision en respectant toutes les règles du procès équitable, la présomption d'innocence, les droits de la défense, etc. C'est là une confrontation extrêmement délicate entre ces règles de notre état de droit et les souffrances auxquelles ils font face.

Madame Laborde, vous évoquez la surqualification de l'inceste. Vous jugez que les ajouts de l'Assemblée nationale ne sont pas suffisants. Nous aurons l'occasion d'en débattre en séance.

Madame de Cidrac, je partage pleinement ce que vous dites sur la nécessité d'une loi simple, facile à comprendre et à appliquer. En présentant les choses assez simplement, nous pouvons faciliter la preuve du crime de viol et faire en sorte que toute agression sexuelle soit gravement sanctionnée. C'est dans l'exposé des motifs de ce texte.

Enfin, madame Darcos, Mme Schiappa va vous répondre sur les victimes vulnérables.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État . - Je suis un peu tatillonne sur la sémantique : parler de frotteurs à la place d'agresseurs sexuels, c'est minimiser leurs actes et délégitimer les victimes dans leur capacité à porter plainte. On désigne par frotteurs les hommes qui frottent leur sexe sur les corps des femmes, et cela est caractéristique d'une agression sexuelle.

Je salue comme vous l'action menée par Valérie Pécresse en Île-de-France. Elle a choisi de faire de la lutte contre les violences sexuelles une cause importante. C'est ce que nous voulons faire au niveau national : aller vers du flagrant délit, grâce à la police de la sécurité du quotidien.

Je rejoins ce que vous dites au sujet de l'arrêt à la demande. Cela fait partie des annonces faites par le Président de la République le 25 novembre à l'occasion du lancement de la grande cause nationale du quinquennat à l'Élysée, qui ne se limite pas à ces quelques articles de loi. Si l'on reprend l'ensemble des annonces et du Président de la République et du Premier ministre, vous constaterez qu'à presque chaque fait correspond une réponse publique.

En ce qui concerne les personnes les plus fragiles, en particulier les personnes handicapées, le travail avec l'Assemblée nationale a permis d'enrichir ce projet de loi, puisque des amendements présentés à la fois par la majorité et l'opposition ont été adoptés, notamment en matière de formation.

Nous sommes en train de mettre en place, département par département, autour des préfets, une plateforme en ligne accessible aux travailleurs sociaux, aux élus, à la police, à la justice, aux professionnels de santé, pour un accès plus direct aux logements d'urgence pour reloger les femmes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales.

Je revendique d'avoir un certain nombre d'émotions et quand on recueille toute la journée les témoignages, les demandes, les attentes de ces victimes de violences sexistes et sexuelles, on est évidemment aussi guidé par l'émotion. Mais au moment d'écrire un texte de loi, on est aussi guidé par la raison, et je le revendique de la même manière. C'est un travail d'équilibre entre émotion et raison. C'est ce que nous avons essayé de faire avec la garde des sceaux et c'est ce qui explique l'adhésion forte de l'opinion à ce texte (entre 69 % et 92 % d'opinions favorables selon l'IFOP).

En matière de pédagogie, je partage ce que vous disiez, madame la sénatrice : on peut toujours faire plus clair notamment à destination des personnes les plus éloignées de nos débats.

M. Philippe Bas , président . - Merci, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues. Rendez-vous en séance publique dans quelques jours.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES, CONTRIBUTION ET DÉPLACEMENT

Ministère de l'intérieur

Direction générale de la gendarmerie nationale

Mme Sandrine Guillon , conseillère juridique et judiciaire

Mme Anna Coulon , rédactrice au bureau de la police judiciaire

Direction générale de la police nationale

Mme Stéphanie Cherbonnier , contrôleure générale

Direction régionale de la police judiciaire de Paris

M. Christian Sainte , directeur

Ministère de la justice

Direction des affaires criminelles et des grâces

M. Rémy Heitz , directeur

M. Francis Le Gunehec , chef du bureau de la législation pénale

Mme Monia Taleb , magistrate, rédactrice au bureau de la législation pénale générale

Secrétariat d'État chargé du numérique

M. Côme Berbain , conseiller transformation numérique de l'État et sécurité numérique au cabinet du secrétaire d'État chargé du numérique

Défenseur des droits

M. Jacques Toubon , défenseur des droits

Mme Sandra Bouchon , juriste au pôle emploi, biens et services privés

Mme Clothilde Maulin , juriste au pôle défense des droits de l'enfant

Mme France de Saint-Martin , attachée parlementaire

Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains

Mme Élisabeth Moiron-Baud , secrétaire générale

Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

Mme Danielle Bousquet , présidente

Mme Claire Guiraud , secrétaire générale

Facebook

Mme Ophélie Gerullis , responsable des affaires publiques

Google

M. Thibault Guiroy , responsable des relations institutionnelles

Twitter

Mme Audrey Herblin-Stoop , directrice des affaires publiques France

Magistrats

Conférence nationale des procureurs de la République

M. Christian de Rocquigny du Fayet , vice-président, procureur de la République à Colmar

Conférence nationale des procureurs généraux

Mme Jeanne-Marie Vermeulin , vice-présidente, procureur général près la cour d'appel d'Amiens

Syndicat de la magistrature

Mme Katia Dubreuil , présidente

Union syndicale des magistrats

M. Jacky Coulon , secrétaire nationale

Mme Nathalie Leclerc-Garret , trésorière nationale

Unité magistrats

M. Marc Lifchitz , secrétaire général adjoint

Mme Michelle Jouhaud , membre du conseil national

Avocats

Barreau de Paris

Me Béatrice Bruguès-Reix , membre du conseil de l'Ordre

Me Solenne Brugère , membre du conseil de l'Ordre

Me Christophe Bigot , avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit de la presse

Conférence des bâtonniers

Me Patricia Lyonnaz , membre du bureau

Conseil national des barreaux

Me Sophie Ferry-Bouillon , membre de la commission « Libertés et droits de l'homme »

Mme Corinne Méric , juriste

Mme Élisa Abhervé-Gueguen , chargé de mission relations institutionnelles

Conseil national de la protection de l'enfance

Mme Michèle Créoff , vice-présidente

Représentants de la police nationale

Alliance police nationale

M. Loïc Travers , secrétaire national adjoint Île-de-France

M. Benoît Barret , secrétaire natinoal adjoint province

M. Pascal Disant , chargé de mission

Syndicat des cadres de la sécurité intérieure

M. Guillaume Ryckewaert , délégué national des commissaires de police

Unité SGP Police FO

M. Franck Fievez , secrétaire national

Mme Linda Kebbab , déléguée nationale

Associations

Agir contre la prostitution des enfants (ACPE)

M. Arthur Melon , responsable plaidoyer

Association internationale des victimes de l'inceste (AIVI)

Mme Sylvie Benamou , responsable groupe de paroles

M. Patrick Loiseleur , responsable internet et réseaux sociaux

Mme Fannie Dubois , spécialiste des questions juridiques

Conseil français pour les associations de droits de l'enfant (COFRADE)

Mme Inès Révolat , chargée de mission plaidoyer

La voix de l'enfant

Mme Martine Brousse , présidente

L'Enfant bleu

Mme Isabelle Debré , présidente

Mme Laura Morin , directrice

Me Caroline Rémond , avocat au barreau de Paris

Stop au harcèlement de rue

M. Adrien Chaboche , Mmes Alice Theys et Tiphen Riou , membres de l'association

Professeurs de droit

Mme Sylvie Grunvald , maître de conférences à l'université de Nantes

Mme Julie Klein , professeure de droit à l'université de Rouen

Mme Véronique Tellier-Cayrol , maître de conférences à l'université de Tours

Personnalités qualifiées

Mme Nathalie Bajos , directrice de recherches à l'INSERM

M. Michel Bozon , directeur de recherches à l'INED

Mme Brigitte Axelrad , professeur honoraire de philosophie et de psychologie, membre du comité de rédaction de Science et pseudo-sciences

M. Olivier Dodier , docteur en psychologie à l'université de Toulouse

Dr Catherine Bonnet , psychiatre d'enfants et d'adolescents

Dr Jean-Louis Chabernaud , pédiatre-réanimateur, hôpitaux universitaires
Paris-Sud

M. Raphaël Enthoven , professeur de philosophie à Sciences Po et à l'École polytechnique

Mme Marion Séclin, comédienne, auteure, vidéaste

Mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs

Mme Karen Sadlier , docteur en psychologie clinique

Professeur Philippe Duverger , chef de service au CHU D'Angers

Dr Céline Greco , praticien hospitalier à l'hôpital Necker-enfants malades

Mme Cristina Mauro , professeur de droit privé, vice-procureur du TGI de Paris

Mme Catherine Mathieu , sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires au ministère de la justice

Contribution écrite :

Association Christelle d'aide aux familles victimes d'agression criminelle

Déplacement :

Mardi 19 juin 2018, visite de l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) et entretiens avec Mme Catherine Chambon , commissaire divisionnaire, sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité à la direction centrale de la police judiciaire

ANNEXE 1 : LES INFRACTIONS MENTIONNÉES À L'ARTICLE 706-47 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

• Crimes de meurtre ou d'assassinat prévus par les articles 221-1 à 221-4 du code pénal, lorsqu'ils sont commis sur un mineur et précédés ou accompagnés d'un viol, ou lorsqu'ils sont commis avec tortures ou actes de barbarie, ou lorsqu'ils sont commis en état de récidive légale ;

• Crimes de tortures ou d'actes de barbarie prévus par les articles 222-1 à 222 6 du code pénal ;

• Crimes de viol prévus par les articles 222-23 à 222-26 du code pénal ;

• Délits d'agressions sexuelles prévus par les articles 222-27 à 222-31 du code pénal ;

• Délits et crimes de traite des êtres humains à l'égard d'un mineur prévus par les articles 225-4-1 à 225-4-4 du code pénal ;

• Délit et crime de proxénétisme à l'égard d'un mineur prévus par les articles 225-7 (1°) et 225-7-1 du code pénal ;

• Délits de recours à la prostitution d'un mineur prévus par les articles 225-12-1 et 225-12-2 du code pénal ;

• Délit de corruption de mineur prévu par l'article 227-22 du code pénal ;

• Délit de proposition sexuelle faite à un mineur de 15 ans par un majeur, prévu par l'article 227-22-1 du code pénal ;

• Délits de captation, d'enregistrement, de transmission, d'offre, de mise à disposition, de diffusion, d'importation ou d'exportation, d'acquisition ou de détention d'image pornographique d'un mineur et délit de consultation habituelle ou en contrepartie d'un paiement d'un service de communication au public en ligne mettant à disposition des images pornographiques de mineurs, prévus par l'article 227-23 du code pénal ;

• Délit de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, prévu par l'article 227-24 du code pénal ;

• Délit d'incitation d'un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation, prévu par l'article 227-24-1 du code pénal ;

• Délits d'atteintes sexuelles, prévus par les articles 227-25 à 227-27 du code pénal.


* 1 Le compte rendu de cette audition est annexé au présent rapport.

* 2 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, rapport d'information n° 289 (2017-2018) de Mme Marie Mercier, fait au nom de la commission des lois du Sénat par le groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, déposé le 7 février 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/rp17-289.html

* 3 Outre votre rapporteur, qui était également le rapporteur de ce groupe de travail, celui-ci comprenait un représentant par groupe politique : nos collègues Esther Benbassa, Maryse Carrère, Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, Arnaud de Belenet, François-Noël Buffet et Dany Wattebled.

* 4 Selon l'enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS) conduite chaque année par l'Insee, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et le service statistique ministériel de sécurité intérieure (SSMSI).

* 5 Selon la méthodologie de l'enquête CVS 2008-2016, les actes à caractère sexuel regroupent les exhibitions sexuelles, les « gestes déplacés » (personne cherchant à en embrasser une autre contre sa volonté par exemple) et les violences sexuelles (viols, tentatives de viols et autres agressions sexuelles). Le harcèlement sexuel n'est pas pris en compte.

* 6 ONDRP, la note de l'ONDRP n° 12, mars 2017, « Les femmes, premières victimes déclarées de violences physiques ou sexuelles ».

* 7 ONDRP, Grand angle n° 37, « Les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et enregistrés par les services de police ».

* 8 ONDRP, la note de l'ONDRP n° 22, novembre 2017, « Éléments de mesure des violences au sein du couple » .

* 9 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, rapport d'information n° 289 (2017 2018) de Mme Marie Mercier, fait au nom de la commission des lois du Sénat par le groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, déposé le 7 février 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/rp17-289.html

* 10 Pour de plus amples développements, votre rapporteur renvoie au rapport précité, pages 14-22.

* 11 ONDRP, Grand angle n° 37, « Les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et enregistrés par les services de police ».

* 12 En effet, il n'est pas possible de comparer le nombre annuel de victimes estimé à partir des études de victimation, le nombre de plaintes annuelles qui peuvent concerner des faits s'étant réalisés il y a plusieurs années et le nombre de condamnations annuelles qui, elles aussi, peuvent concerner des faits commis il y a de nombreuses années.

* 13 Chiffres clés de la justice, 2017.

* 14 Les développements ci-dessous sont extraits de la revue « Grand angle » de l'ONDRP, n° 47, mars 2018 : « Les injures sexistes, exploitation des enquêtes Cadre de vie et sécurité ».

* 15 Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, rapport n° 2017-11-16-VIO-030 publié le 16 novembre 2017, « En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes ». Le rapport est consultable à cette adresse :

http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_violences_faites_aux_femmes_en_ligne_2018_02_07.pdf

* 16 Intervention de Marion Seclin à la soirée Equalicity organisée par TED x Champs Elysées Women.

* 17 Étude d'impact, page 32.

* 18 Avis du Défenseur des droits n° 18-17 du 8 juin 2018. Cet avis est consultable à cette adresse :

* 19 Décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, considérants n os 17 et 18 et n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011, M. Antoine J.

* 20 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, requête n° 10519/83 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, requête n° 13191/87.

* 21 Conseil constitutionnel, décision n° 2013-328 QPC du 28 juin 2013, Association Emmaüs Forbach.

* 22 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, M. Gérard D.

* 23 Par exemple, une femme qui impose une fellation à un homme, mineur ou majeur.

* 24 Loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance.

* 25 Loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social.

* 26 Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

* 27 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 28 Seules ces hypothèses de meurtre et d'assassinat sont mentionnées à l'article 706-47 du code de procédure pénale.

* 29 Sur ce point, votre rapporteur renvoie au rapport d'information précité page 64.

* 30 Cass. crim. 16 juillet 1964, n/ 63-91.919, bull. crim., 241; Cass. crim., 6 octobre 1987, n/ 86-96.174, bull. crim., 340 ; Cass. crim., 16 octobre 1979, n/ 79-90-762, bull. crim., 285.

* 31 Cass, crim., 17 décembre 2002, Bull. crim. n° 223.

* 32 Ce principe se traduisait partiellement dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui admettait depuis longtemps des obstacles de droit, mais qui n'a admis l'existence d'un obstacle de fait qu'en 2014 (Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 novembre 2014, n° 14-83.739).

* 33 Traduit par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'article 2234 du code civil prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement relevant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

* 34 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, rapport d'information n° 289 (2017-2018) de Mme Marie Mercier, fait au nom de la commission des lois du Sénat par le groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, déposé le 7 février 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/rp17-289.html

* 35 Cette infraction correspond à l'ancienne qualification (ancien article 331 du code pénal) d'attentat à la pudeur sans violence « consommé ou tenté sans violence sur la personne d'un enfant de l'un ou l'autre sexe de moins de 11 ans ».

* 36 En l'absence de contact, les infractions d'exhibition sexuelle et de corruption de mineurs peuvent être mobilisées.

* 37 Cette statistique a été calculée sur la base des extractions du casier judiciaire national pour les années 2012-2016.

* 38 Le compte-rendu est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180611/lois.html#toc2 .

* 39 Le document est consultable à l'adresse suivante :

https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/avis_17-13_du_defenseur_des_droits_sur_les_infractions_sexuelles.pdf

* 40 Actuellement, dans le code pénal ou dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, il n'existe ni seuil, ni limite d'âge permettant de déduire la contrainte ou la surprise. Comme l'a souligné le représentant de la chambre criminelle de la Cour de cassation entendu par le groupe de travail, cette absence de limite d'âge permet une appréciation in concreto par les juridictions. L'introduction d'une notion d'âge « seuil » constituerait dans le même temps, de facto , également une limite.

* 41 Selon le Conseil d'État, une telle disposition est « difficilement compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, [...] n'admet qu'à titre exceptionnel l'existence d'une présomption de culpabilité en matière répressive. Pour que celle-ci soit jugée constitutionnelle, il faut, d'une part, qu'elle ne revête pas de caractère irréfragable et, d'autre part, qu'elle assure le respect des droits de la défense, c'est-à-dire permette au mis en cause de rapporter la preuve contraire. Ces exigences sont d'autant plus fortes lorsque la présomption est instituée pour un crime ».

* 42 Commission de propositions de réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 présidée par M. André Varinard, rapport remis à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, « Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs ».

* 43 Cour de cassation, chambre criminelle, 13 décembre 1956, arrêt Laboube.

* 44 Les mesures éducatives sont les seules mesures applicables aux moins de 10 ans. Entre 10 et 13 ans, les mineurs peuvent faire à la fois l'objet de mesures et de sanctions éducatives. À partir de 13 ans, ils peuvent faire l'objet, en sus, de peines d'emprisonnement.

* 45 Cass. crim., 15 nov. 2017, n° 17-80.405. ; Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 16-81.962 ; Cass. crim., 13 févr. 2008, n° 07-84.341, Bull. crim., 2008 N° 39 p. 145. ; Cass. crim., 9 déc. 2009, n° 09-83.362.

* 46 Qui traduisait la proposition n° 14 du rapport d'information du groupe de travail de votre commission.

* 47 Loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral .

* 48 Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, rapport n° 2017-11-16-VIO-030 publié le 16 novembre 2017, « En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes ». Le rapport est consultable à cette adresse :

http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_violences_faites_aux_femmes_en_ligne_2018_02_07.pdf

* 49 Soit les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne.

* 50 Soit les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services.

* 51 Étude CVS de 2016 précitée.

* 52 INSEE- ONDRP, Enquête Cadre de vie et sécurité 2010-2015.

* 53 Elle a été créée par le décret-loi du 29 décembre 1926 concernant l'unification des compétences en matière de police de la circulation et de la conservation des voies publiques .

* 54 Rapport du groupe de travail « Verbalisation du harcèlement de rue », page 10.

* 55 Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale , Troisième édition (ouvrage à jour au 1 er septembre 2013), Economica.

* 56 L'article 1676 revient sur l'article 46 de l'ordonnance de Louis XII, de 1510, qui accordait une prescription de dix ans pour l'action en rescision pour lésion et qui avait pour inconvénient de laisser pendant longtemps la propriété incertaine des immeubles dans les mains des détenteurs.

* 57 Civ. 19 mars 1950, D. 1950. 396. - Req. 3 mai 1927, DH 1927. 302.

* 58 La commission des lois de l'Assemblée nationale avait émis un avis défavorable sur cet amendement.

* 59 Pour de plus amples développements sur le sujet, votre rapporteur renvoie au rapport n° 317 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Sueur, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l17-317/l17-3171.pdf

* 60 Loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 pour les îles Wallis et Futuna, loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 pour la Polynésie française, loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 pour la Nouvelle-Calédonie, loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton.

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