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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Allocution de M. Ruslan Stefantchuk, Président de la Verkhovna Rada, Parlement de l'Ukraine

M. Gérard Larcher, président du Sénat

M. Ruslan Stefantchuk, président de la Verkhovna Rada de l'Ukraine

Salut à une délégation saoudienne

Questions d'actualité

Droit international et refus de la loi du plus fort

M. Guillaume Gontard

M. François Bayrou, Premier ministre

Loi de programmation militaire

M. Dominique de Legge

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants

Régulation du loup

M. Bernard Buis

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Assistance aux Français en Israël et en Iran (I)

M. Cédric Chevalier

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Assistance aux Français en Israël et en Iran (II)

Mme Sophie Briante Guillemont

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Situation au Proche-Orient (I)

M. Jérôme Darras

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Conclave sur les retraites (I)

Mme Céline Brulin

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles

Défense du pavillon aérien français

M. Daniel Fargeot

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation

Situation au Proche-Orient (II)

M. Pascal Allizard

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Conclave sur les retraites (II)

Mme Monique Lubin

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles

Non-remplacement des enseignants dans les collèges et lycées

M. Olivier Paccaud

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux

M. Patrick Chauvet

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique

Accueil des gens du voyage

Mme Catherine Belrhiti

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur

Ligne nouvelle Paris-Normandie

M. Sébastien Fagnen

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation

Numéro unique d'appel d'urgence

Mme Françoise Dumont

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins

Filière acier française

M. Stéphane Demilly

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics

Accès aux soins

Discussion générale

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Khalifé Khalifé, rapporteur

Mme Céline Brulin

Mme Anne Souyris

Mme Émilienne Poumirol

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Corinne Imbert

M. Frédéric Buval

M. Michel Masset

Mme Nadia Sollogoub

Mme Patricia Demas

M. Jean Sol

Discussion des articles

Après l'article 1er

Après l'article 3

Sécurité des professionnels de santé (Conclusions de la CMP)

Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure pour le Sénat de la CMP

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins

Mme Anne Souyris

M. Hussein Bourgi

M. Cyril Pellevat

Mme Muriel Jourda

Mme Salama Ramia

Mme Véronique Guillotin

Mme Dominique Vérien

Mme Silvana Silvani

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations

Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Corinne Bourcier

Mme Catherine Belrhiti

M. Bernard Buis

Mme Véronique Guillotin

Mme Olivia Richard

Mme Silvana Silvani

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Laurence Rossignol

M. Stéphane Le Rudulier

Discussion des articles

Article 1er

Après l'article 1er

Vote sur l'ensemble

M. Yan Chantrel

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Silvana Silvani

M. Guillaume Gontard

Mme Véronique Guillotin

Recours des collectivités territoriales au modèle de la société portuaire (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi

Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports

M. Pierre Jean Rochette

Mme Muriel Jourda

M. Bernard Buis

Mme Véronique Guillotin

M. Pascal Martin

M. Gérard Lahellec

M. Jacques Fernique

M. Sébastien Fagnen

M. Alain Cadec

Discussion de l'article unique

Article unique

Mise au point au sujet d'un vote

Ordre du jour du jeudi 19 juin 2025




SÉANCE

du mercredi 18 juin 2025

104e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Guy Benarroche, M. François Bonhomme.

La séance est ouverte à 14 heures.

Allocution de M. Ruslan Stefantchuk, Président de la Verkhovna Rada, Parlement de l'Ukraine

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - Monsieur le président de la Rada suprême d'Ukraine, monsieur le ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères en charge de la francophonie et des partenariats internationaux, monsieur l'ambassadeur d'Ukraine en France, mes chers collègues, juin 1940, mémoire douloureuse pour les Français : la France envahie et en partie occupée. Sur les routes, c'est l'exode. La supériorité de l'armée allemande est sans appel. Si l'on compare les forces en présence, la guerre est perdue.

Et pourtant, en ce 18 juin 1940, la voix du général de Gaulle retentit depuis Londres. Elle demande aux Français de poursuivre le combat. Elle insuffle l'esprit de résistance. Elle refuse un armistice qui dissimule une capitulation et annonce de nouvelles conquêtes.

S'il faut se garder de lire le présent à l'aune du passé, l'appel du 18 juin 1940 résonne singulièrement dans le contexte de l'agression de l'Ukraine par la Russie.

Hier comme aujourd'hui, les conquêtes territoriales, l'occupation, les exactions et des crimes qui ne devront pas rester impunis ! Mais en face, une volonté ukrainienne de résister et de refuser les conditions d'une paix au coût exorbitant, qui signerait la disparition d'une Ukraine indépendante et libre.

Du sommet de l'État au simple citoyen, l'Ukraine résiste.

Je propose que nous nous levions pour rendre hommage, par nos applaudissements, au courage et à la détermination du peuple ukrainien. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le président de la Rada, se lèvent ; applaudissements nourris et prolongés ; M. le président de la Rada remercie.)

Le général de Gaulle, dans son appel du 18 juin, l'a répété : « La France n'est pas seule. » Aujourd'hui, l'Ukraine n'est pas seule, monsieur le président de la Rada. Et, à vos côtés, notre responsabilité est grande.

Face à des autorités russes qui font le pari de la force, de la résignation ou de la lassitude, nous vous démontrons que notre détermination à vous aider n'est en rien entamée.

Continuer à vous fournir des armes, en particulier des missiles et des moyens de défense aériens, et aider votre industrie d'armement, qui accomplit des prouesses d'innovation : le chemin est tracé. Ce n'est pas choisir l'escalade militaire, c'est donner une possibilité d'en finir plus vite avec le fracas des armes.

De toute évidence, hésiter serait prolonger la guerre et éloigner la paix. Notre devoir est de soutenir l'Ukraine par conviction et par principe.

L'Ukraine continue de vivre en démocratie en temps de guerre, et le travail législatif de la Rada en est l'illustration éclatante. Ceux d'entre nous qui se sont rendus à Kiev savent dans quelles conditions travaillent nos collègues ukrainiens : des sessions maintenues secrètes, des sacs de sable pour protéger le Parlement, des fenêtres partout obstruées. Imaginons de telles conditions ici et nous en éprouverons tout l'effroi.

Alors que nous célébrons cette année le 150e anniversaire du Sénat de la République française, vous offrez, monsieur le président de la Rada, un bel exemple de la vitalité du parlementarisme et de la force des démocraties, face à des régimes autoritaires qui ne reculent devant rien, ni la terreur ni l'enlèvement des enfants.

Mais si nous imaginons qu'agir en vertu de nos principes serait faire preuve d'idéalisme et que l'idéalisme n'a pas sa place dans le choix des États, alors soyons collectivement convaincus au moins d'agir par intérêt ! L'Ukraine est notre rempart. Elle se bat pour notre sécurité et notre liberté. Il n'est pas d'empires qui aient mis un frein à leur appétit de conquêtes. Peut-on rassasier le Léviathan ?

La sécurité de l'Europe, aujourd'hui et non seulement demain, est intrinsèquement liée à la victoire de l'Ukraine.

Monsieur le président de la Rada, l'Ukraine n'est pas seule. Elle n'est pas seule parce qu'elle est accompagnée par la France, le Royaume-Uni et les États de l'Union européenne et, nous en formons l'espoir encore, par les États-Unis d'Amérique.

Ce 4 juin, j'étais à Varsovie, avec la présidente du Bundesrat et la présidente du Sénat polonais. Vous étiez avec nous, monsieur le président, par visioconférence.

Nous sommes convenus d'adresser la déclaration que nous avons adoptée aux sénateurs américains, républicains et démocrates, qui se sont prononcés pour un renforcement des sanctions américaines à l'encontre de la Russie. N'en déplaise aux Cassandre, plus les sanctions sont coordonnées, plus elles sont efficaces. Nous avons, mes chers collègues, un rôle de persuasion à accomplir auprès des sénateurs américains pour préserver, autant que faire se peut, l'engagement des États-Unis en Ukraine.

L'Ukraine n'est pas seule. Elle n'est pas seule parce qu'elle est accompagnée par les États membres de l'Union européenne, et que les portes de l'Union européenne lui sont ouvertes. Voilà aussi une garantie de sécurité pour l'Ukraine de demain !

Le chemin de l'adhésion sera nécessairement progressif. Au nom de cette progressivité, nous invitons instamment le dernier État membre récalcitrant à vaincre ses réticences ; nous lui demandons d'accepter l'ouverture du premier bloc des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.

La Russie a fait le choix de tourner le dos à son horizon européen. La laisserons-nous dicter par oukase quels États doivent rejoindre ou non l'Union européenne ? « L'Europe de l'Atlantique à l'Oural » s'est rapprochée de nous. Elle s'interrompt désormais aux frontières internationalement reconnues de l'Ukraine !

Mes chers collègues, dans le message du 18 juin, qui fut ensuite placardé sur un certain nombre de murs de villes et de villages, le général de Gaulle écrivait : « La France a perdu une bataille, mais elle n'a pas perdu la guerre. » Les Ukrainiens ont gagné des batailles, ils en ont aussi perdu. Nous sommes avec eux. La guerre reste à gagner pour que demain s'établisse une paix durable.

À travers vous, monsieur le président de la Rada, je voudrais dire au peuple ukrainien, aujourd'hui en deuil après les terribles attaques qu'il a vécues, que nous partageons ses souffrances et son deuil. Nous vous accueillons avec espérance et dans la solidarité avec le peuple ukrainien. Oui, c'est dans le souffle d'espérance que porte l'appel du 18 juin que nous vous accueillons, parce que, aujourd'hui, ce sont les Ukrainiens et l'Ukraine qui l'incarnent le mieux.

Vive l'Ukraine, vive la République et vive la France ! (Vifs applaudissements)

M. Ruslan Stefantchuk, président de la Verkhovna Rada de l'Ukraine .  - (Applaudissements) Monsieur le président du Sénat, cher Gérard, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je suis particulièrement honoré de m'adresser à vous aujourd'hui, dans le berceau de la démocratie française, là où bat le coeur institutionnel de la République.

Permettez-moi de vous féliciter sincèrement à l'occasion du 150e anniversaire du Sénat de la République.

L'histoire de votre glorieuse institution fait non seulement partie intégrante de l'histoire de France, mais elle est aussi l'un des fondements puissants de la démocratie française et des principes républicains inviolables. On sent ici, dans ces murs, la continuité politique, préservée par de nombreuses générations de Français, qui incarne la sagesse, la cohérence et la dignité nationale de la France.

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous. J'y vois la manifestation d'un respect profond et sincère pour le peuple ukrainien.

J'ai le privilège d'être ici pour la deuxième fois. J'ai pris la parole pour la première fois devant le Sénat de la République française au tout début du mois de février 2023. À l'époque, l'Ukraine traversait l'un des hivers les plus difficiles de son histoire moderne.

Ici même, je vous ai demandé d'entendre la voix du peuple ukrainien qui se levait pour défendre sa terre et qui avait besoin d'aide. Et vous l'avez entendue, dès le premier jour de cette guerre insensée et cruelle que la Russie a engagée contre l'Ukraine, contre mon peuple. Vous avez entendu cette voix, à des milliers de kilomètres. Vous l'avez comprise, même sans connaître notre langue. Et vous êtes venus à la rescousse.

Aujourd'hui, la France joue -  je le dis sans exagération  - un rôle historique dans la vie de l'Ukraine. Votre leadership politique a donné un élan puissant à tous les autres partenaires pour soutenir l'Ukraine.

Vous préservez soigneusement l'unité européenne et euro-atlantique. Vous démontrez la cohérence des actions de tout le gouvernement français, en prenant des décisions responsables. Vous avez fait partie des premiers à comprendre et à convaincre les autres partenaires qu'il ne devait pas y avoir de limite à la défense et à la protection de notre patrie, ni dans les armes, ni dans son volume, ni dans sa portée.

Merci d'avoir protégé notre ciel. Merci pour ces ailes qui le protègent. Merci aussi d'avoir formé nos soldats.

Je remercie le grand peuple français, qui a abrité nos citoyens ukrainiens, pour sa solidarité et son empathie, pour ses fantastiques actes d'humanisme, que nous, Ukrainiens, n'oublierons jamais.

Au nom de la Verkhovna Rada d'Ukraine et de l'ensemble du peuple ukrainien, permettez-moi de remercier sincèrement le Sénat, chacun d'entre vous et la France tout entière pour votre soutien inestimable, qui nous permet de continuer à nous battre.

Cher Sénat, il y a quelques heures, avec un grand ami de l'Ukraine, le président Gérard Larcher, nous avons rendu hommage à la mémoire du célèbre général de Gaulle, en déposant des fleurs au pied de son monument.

Je m'adresse à vous en ce jour où la France se souvient de lui comme d'un grand fils du peuple français, comme d'une des plus grandes figures de son histoire et de celle du monde.

Dans son appel radiophonique à la nation, « À tous les Français », il a lancé le mouvement de la Résistance française, mais il a aussi donné de l'espoir à l'Europe, occupée par les Nazis. Cet espoir deviendra par la suite la foi, qui se transformera elle-même en victoire, après de nombreuses années de guerre.

Lorsque je parle du général de Gaulle, je comprends que son appel du 18 juin aux Français et aux Alliés soit toujours d'actualité, quatre-vingt-cinq ans plus tard. Aujourd'hui, ce serait un appel à la résilience, à l'unité et à la détermination. Je parle de Charles de Gaulle et je pense à l'Ukraine.

Depuis près de trois ans et demi, ma patrie résiste à une agression brutale et non provoquée. Elle résiste à ce nouveau fléau du XXIe siècle qui vient de l'Est pour tuer, conquérir et piller.

Nous avons relevé ce défi avec dignité, face à un ennemi beaucoup plus grand et puissant que nous. Parce qu'il n'y a pas de valeur supérieure à la liberté. Parce qu'il n'y a de rien de plus cher que sa propre terre et son propre peuple. Parce que nous voulons faire partie d'une grande famille européenne et non d'une dictature russo-soviétique impitoyable, à laquelle le régime de Poutine a cyniquement arraché les derniers vestiges de la démocratie.

Alors que l'Ukraine traverse aujourd'hui la phase peut-être la plus dramatique de la guerre, l'aide et le soutien de la communauté internationale sont essentiels à la résolution du conflit.

Votre histoire et la nôtre nous enseignent que la capitulation n'est jamais une option. L'agresseur doit être arrêté par la force des armes, par le pouvoir de l'unité européenne et euro-atlantique, par le biais de sanctions impitoyables qui devraient enfin répondre à l'impitoyabilité de la Russie. Sinon l'agresseur ira plus loin encore, comme il y a quatre-vingt-cinq ans.

« Cette guerre n'est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. » Ces mots du sage et invincible Charles de Gaulle nous parviennent comme s'ils étaient prononcés aujourd'hui.

Seule une pression conjointe sur l'agresseur conduira à une paix juste et durable, à laquelle les Ukrainiens aspirent plus que quiconque. Cette pression empêchera la Russie de poursuivre son agression, d'accumuler des ressources humaines et des armes, de retarder le processus de négociation, de mentir et de manipuler.

La Russie doit être châtiée pour tous ses crimes. En tant qu'agresseur, elle doit payer intégralement le prix de cette guerre via les avoirs russes gelés. Cela ne serait que justice.

Je suis venu vous demander votre aide et votre soutien sur des questions d'une importance vitale pour l'Ukraine : il s'agit de notre défense contre l'agression, mais aussi notre chemin vers l'Union européenne et le système de sécurité collective euro-atlantique.

Ce choix, comme celui de défendre notre patrie, est un choix conscient et civilisationnel du peuple ukrainien. Un choix pour la paix, le développement et la sécurité, que je vous demande de continuer à soutenir. Nous avons clairement fait ce choix civilisationnel, comme tous les membres de l'Union européenne et de l'Otan.

Permettez-moi de vous assurer que le président de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky, le Parlement et le gouvernement de l'Ukraine, ont été et restent des garants fiables de notre orientation inébranlable vers l'intégration européenne et euro-atlantique.

Hier, en venant ici, j'ai appris le brutal bombardement nocturne sur Kiev : vingt-huit morts - des civils innocents - et 150 blessés, en une seule nuit, dans une seule ville. Je me suis alors demandé quelle était la chose la plus importante que je devais vous dire, quand tout a déjà été dit et que tout est clair depuis longtemps.

Il faut juste prendre une décision, peut-être la plus difficile, mais aussi la plus importante : nos partenaires doivent défendre l'Ukraine avec autant d'acharnement que la Russie veut détruire l'Ukraine. C'est sans demi-teintes, sans demi-actions, sans demi-décisions, tous les jours, jusqu'au bout.

Si la démocratie mondiale l'emporte, la paix et la prospérité attendent l'Ukraine et l'Europe. Mais si c'est la tyrannie russe -  que Dieu nous en préserve  - , c'est la ruine et la mort.

C'est pour cela que je suis ici. C'est pourquoi je vous demande davantage d'aide. C'est pourquoi je crois fermement à la force de l'esprit français et de ce que Napoléon avait formulé : rien n'est impossible. La détermination de la France nous aide aujourd'hui à survivre ; demain, j'en suis sûr, elle nous aidera à gagner.

Le Sénat est le haut lieu de la démocratie, là où réside la force vive de la nation. La France est attachée à la liberté, fidèle à la démocratie et aux idéaux européens.

Comme le disait le général de Gaulle, la grandeur d'une nation n'est pas dans son territoire, mais dans son idée. La France a cette grandiose idée. L'Ukraine a cette grandiose détermination. Et cette grande synergie peut rendre l'Europe plus forte, plus solidaire et plus sûre.

Ensemble, nous atteindrons certainement cet objectif commun. J'y crois sincèrement.

Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent ; applaudissements nourris et prolongés)

M. Gérard Larcher, président.  - Merci, monsieur le président de la Rada.

Je vais maintenant raccompagner notre hôte et lui dis : « à bientôt ». (Les applaudissements reprennent.)

La séance, suspendue à 14 h 30, reprend à 15 heures.

Salut à une délégation saoudienne

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.) J'ai le plaisir de saluer la présence en tribune d'honneur d'une délégation du Majilis al Shoura d'Arabie saoudite, conduite par Son Excellence M. Mohammad Al Humeidi, président du groupe d'amitié Arabie saoudite-France. (Applaudissements) La délégation est accompagnée par notre collègue Olivier Cadic, président du groupe d'amitié France-Pays du Golfe, ainsi que par Mme Mireille Conte-Jaubert, présidente déléguée pour l'Arabie saoudite.

La délégation s'est entretenue ce midi avec le groupe sénatorial d'amitié.

En votre nom à tous, je souhaite une cordiale bienvenue à la délégation saoudienne au Sénat de la République et un excellent séjour en France en ces temps troublés au Moyen-Orient. (Applaudissements)

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.

J'excuse le Premier ministre qui devra quitter l'hémicycle à 15 h 15 en raison d'une réunion du Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN).

Droit international et refus de la loi du plus fort

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) À Kiev, à Gaza, à Téhéran et à Tel-Aviv, le fracas des bombes résonne et le sang coule. Depuis 2022, sous la pression des empires, des nationalistes et des fous de Dieu, l'horreur de la guerre a ressurgi dans toute l'Eurasie. Dans ce chaos mondial, la France et l'Union européenne doivent avoir un seul cap : la défense du droit international, la souveraineté des peuples et l'équilibre entre les puissances.

Au nom du droit, nous dénonçons l'agression russe et réaffirmons notre soutien plein et entier à l'Ukraine. Au nom du droit, nous dénonçons la détention d'otages par le Hamas et les mollahs. Au nom du droit, nous dénonçons le génocide à Gaza et la colonisation de la Cisjordanie. Au nom du droit, nous dénonçons le non-respect par l'Iran du traité de non-prolifération nucléaire. Au nom du droit, nous dénonçons la guerre préventive d'Israël contre le régime des mollahs.

Comme en 2003, la France doit affirmer son refus du manichéisme et de la loi du plus fort.

Face à l'impunité de Benyamin Netanyahu, nous devons sortir de l'inaction et prendre des sanctions économiques, appliquer les sanctions de la Cour pénale internationale (CPI), reconnaître enfin l'État de Palestine, ...

M. Roger Karoutchi.  - Cela ne sert à rien !

M. Guillaume Gontard.  - ... appeler au cessez-le-feu, à des négociations pour une solution à deux États et à un nouvel accord sur le nucléaire iranien.

Le « en même temps » diplomatique de la France est insupportable. Nous exigeons la tenue d'un débat en application de l'article 50-1 de la Constitution sur la situation au Moyen-Orient. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)

M. François Bayrou, Premier ministre .  - Avant tout, je tiens à vous présenter mes excuses : je devrai quitter le Sénat rapidement, le Président de la République ayant convoqué un CDSN sur les événements que vous évoquez.

La France est attachée au droit, aux principes humanitaires, et au bon sens.

Nous sommes dans un monde où la force de la loi a été remplacée par la loi de la force. Cela a commencé en Ukraine, avec une guerre qui est nourrie par certains États, dont l'Iran, qui arme la Russie avec des drones semant la mort et le malheur.

Autre source d'inquiétude : le Proche et le Moyen-Orient. La France a exprimé sa position : la situation à Gaza est inacceptable, avec une population soumise à la famine, à l'absence de ravitaillement médical et à des contraintes inacceptables d'un point de vue humanitaire.

Ce qui se passe en Iran est totalement différent. Toutes les organisations internationales chargées de la surveillance contre la prolifération nucléaire nous alertent : l'Iran est à quelques semaines, voire quelques jours, d'avoir enrichi suffisamment de matière fissile pour construire une bombe nucléaire. (MM. Guillaume Gontard et Yannick Jadot en doutent.) Or l'Iran a affirmé à d'innombrables reprises que le but de son armement nucléaire est de détruire Israël. Si on se met à la place du gouvernement israélien, je comprends qu'il ait un souci énorme d'avoir à ses portes un risque si important qui menace sa survie. (M. Akli Mellouli s'exclame.)

Que dit la France ? (M. Pascal Savoldelli proteste.) Qu'il ne faut pas aller plus loin à Gaza : il faut y rétablir la liberté de circulation et d'approvisionnement.

En Iran, la France, selon la formule consacrée, appelle à la retenue, alors que la paix du monde est menacée par des risques immenses.

À l'instar du Président de la République, nous joignons nos efforts à ceux de tous les pays du monde qui souhaitent que l'équilibre et le calme reviennent.

La politique française respecte les principes et les lois internationales, sans fermer les yeux sur ceux qui ne les respectent pas. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP et UC ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

Loi de programmation militaire

M. Dominique de Legge .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Selon les récentes déclarations du Président de la République, la France souhaiterait affecter entre 3 et 3,5 % de son PIB à la défense. Madame la ministre, comment comptez-vous faire ? À quelle échéance entendez-vous atteindre cet objectif ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Olivier Henno et Franck Menonville applaudissent également.)

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants .  - Je vous prie d'excuser le ministre des armées, retenu au salon du Bourget.

En 2024, 47,2 milliards d'euros de crédits étaient prévus, finalement ce sont 49,3 milliards d'euros qui ont été engagés ; pour 2025, ce sont 50,5 milliards d'euros.

La motion de censure et la mise en oeuvre des services votés ont retardé certaines commandes. La direction générale de l'armement (DGA) a dû attendre début mars pour engager des dépenses.

Ce retard est en passe d'être rattrapé. Les crédits ont été consommés pour moitié en avril, l'autre le sera fin juin. Les commandes représentent 3,2 milliards d'euros, contre 4 milliards d'euros à la même époque l'an dernier. Pour les paiements, nous en sommes à 10 milliards, contre 9 milliards en 2024. Les équipements militaires prévus sont livrés, c'est l'essentiel.

Il est évident que la loi de programmation militaire sera respectée et que les déséquilibres du monde s'accentuent. Le Gouvernement travaille à adapter encore plus l'outil de défense aux menaces. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Dominique de Legge.  - Je crains que vous n'ayez pas répondu à la question : quand et comment atteindrons-nous les 3 % ? Vous évoquez l'exécution du budget. J'en conclus que cette perspective deviendrait un secret-défense ; dommage.

Vous ne m'avez pas non plus répondu sur les crédits reportés, passés de 3,8 à plus de 8 milliards d'euros en deux ans. Vous pratiquez la cavalerie budgétaire, qui relève de la fuite en avant, plutôt que la cavalerie militaire, qui est l'art de la manoeuvre. (Rires à droite)

Le Premier ministre l'a dit en conférence de presse : la vérité permet d'agir. Il est temps de dire la vérité au Parlement et de prendre les bonnes décisions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MmeMarie-Arlette Carlotti, Hélène Conway-Mouret et MM. Cédric Chevalier et Emmanuel Capus applaudissent également.)

Régulation du loup

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le 5 juin dernier, le Conseil de l'Union européenne a entériné le déclassement du loup, qui passe du statut d'espèce strictement protégée à celui d'espèce protégée.

Cette décision a été accueillie avec satisfaction par les associations d'élus de montagne et par les éleveurs. Les États membres disposeront de plus de marges de manoeuvre.

La loi d'orientation agricole prévoit des dérogations encadrées pour les tirs de défense.

Cette évolution du droit européen doit désormais être transposée dans notre droit. Quelles sont les intentions du Gouvernement, avec quel calendrier et quels moyens ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Frédérique Puissat et M. Jean-Marc Boyer applaudissent également.)

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - J'ai toujours suivi ce dossier, enjeu majeur pour le maintien de l'élevage.

L'an dernier, quelque 11 000 bêtes ont été tuées ou blessées lors de 4 000 attaques. Vous soulignez à juste titre le préjudice économique et moral insupportable subi par les éleveurs ; n'oublions pas aussi le préjudice moral.

Nous leur avons apporté un soutien financier de 52 millions d'euros.

Nous avons abouti au déclassement du loup, avancée soutenue par la France.

En application de la loi d'orientation agricole, un arrêté sera signé dans les prochaines heures et permettra de procéder à des tirs de défense, même sans attaque sur le troupeau.

Dans les prochains mois, nous devrons modifier la doctrine à l'égard du loup, conséquence de la directive.

Un point précis : le comptage des loups. L'Office français de la biodiversité (OFB) a mis au point une méthode de relève d'indices génétiques permettant de déterminer les prélèvements de loups à opérer. Je suis inquiète : ces six derniers mois, le nombre de prélèvements a été très élevé, en raison des nombreuses prédations. J'espère que les prélèvements autorisés nous permettront de tenir jusqu'à la fin de l'année.

Ce problème est majeur pour les éleveurs, vous avez raison d'y revenir. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Bernard Buis.  - Nous attendons tous une transposition rapide et efficace de la directive, tout comme la publication de l'arrêté relatif au statut du chien de protection. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Frédérique Puissat et M. Franck Menonville applaudissent également.)

Assistance aux Français en Israël et en Iran (I)

M. Cédric Chevalier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Dans le contexte de tension extrême entre Israël et l'Iran, je souhaite attirer solennellement votre attention sur nos concitoyens bloqués dans ces deux pays. J'associe à ma question Laure Darcos et le député Xavier Albertini.

Plusieurs de nos compatriotes originaires de la Marne nous ont interpellés ; ils ont du mal à regagner notre pays. (Mme Nathalie Goulet s'exclame.) Comment ne pas évoquer aussi le sort de Cécile Kohler et de Jacques Paris, détenus en Iran depuis mai 2022 ?

Les risques pour nos compatriotes sont réels et immédiats. Faute d'instruction claire du Quai d'Orsay, quelques-uns envisagent des initiatives périlleuses. Certes, la situation est complexe, mais notre diplomatie doit agir concrètement, par la mise en place de couloirs d'évacuation sécurisés en vue d'assurer le rapatriement rapide de nos compatriotes. Plusieurs voisins européens ont évacué leurs ressortissants. L'inaction française serait incompréhensible. Il n'a fallu que trois jours pour rapatrier les croisiéristes du Madleen...

Je tiens à rendre hommage au professionnalisme et à l'engagement de notre corps diplomatique.

Quelles mesures prévoyez-vous pour un rapatriement rapide et sûr de nos compatriotes ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)

M. Pierre Jean Rochette.  - Excellent !

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Merci pour l'hommage aux agents du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, qui, à Tel-Aviv, à Jérusalem et à Téhéran, assurent leurs missions dans des conditions parfois difficiles et dangereuses. (M. Akli Mellouli hoche la tête.)

Certains pays ont décidé d'évacuer tous leurs agents. Nous n'avons pas retenu ce choix ; c'est l'honneur de notre diplomatie de se tenir aux côtés des communautés françaises à l'étranger, quelles que soient les circonstances.

Dès vendredi dernier, nous avons pris l'attache de nos ressortissants inscrits au registre pour les appeler à respecter les consignes de sécurité. Nous avons invité les Français de passage à s'inscrire sur le fil d'Ariane. Nous avons mis en place une ligne téléphonique joignable en permanence et alerté nos chefs d'îlots - ces représentants des Français de l'étranger chargés de la sécurité d'un secteur.

Nous allons renforcer le dispositif d'écoute pour faciliter la prise en charge de nos compatriotes, prendre contact avec les compagnies aériennes pour vérifier la disponibilité des places, faciliter les voies de sortie d'Iran et d'Israël. Toutes ces solutions seront présentées dans quelques minutes lors du Conseil de défense et de la sécurité nationale que le Président de la République a convoqué.

C'est malheureusement une situation que nous avons précédemment connue par le passé, mais nous sommes mobilisés.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - J'invite quiconque se déplaçant à l'étranger à regarder la page « Conseil aux voyageurs » sur le site du ministère : celle-ci recommande formellement à nos compatriotes de ne jamais se rendre en Iran et de ne pas aller en Israël, sauf raisons impératives. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pascal Savoldelli proteste.)

M. Cédric Chevalier.  - Notre République a le devoir d'assurer la protection de tous les citoyens. Faites honneur à la France : assurez leur retour à la maison. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Assistance aux Français en Israël et en Iran (II)

Mme Sophie Briante Guillemont .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis vendredi dernier, la situation au Moyen-Orient s'est lourdement détériorée : le conflit larvé entre Israël et l'Iran s'est transformé en guerre ouverte.

Au milieu de la guerre, il y a des civils, dont des Français. En Iran, où deux otages, Cécile Kohler et Jacques Paris, sont retenus par le régime, un millier de nos compatriotes vivent dans l'angoisse. Certains peuvent fuir Téhéran et se mettre à l'abri, mais ce n'est pas le cas pour tous.

Sortir du pays via des frontières terrestres n'est pas aisé ; cela pose des problèmes de sécurité et il faut éviter les pénuries de carburant.

Comment la France peut-elle protéger les Français d'Iran ? Ne pourrait-on pas ouvrir l'école française pour nos compatriotes souhaitant s'y réfugier ?

En Israël, la vie est ponctuée par des alertes ; heureusement, des abris existent. Il y a quelques jours, un quartier où vivent des Français a été ravagé et l'immeuble de l'ancien consulat a été détruit. Des milliers de touristes sont bloqués en Israël ; ils attendent la réouverture de l'espace aérien. Est-il possible d'organiser des vols de rapatriement ?

Monsieur le ministre, les conflits se multiplient. Partout, le réseau diplomatique français répond présent. Mais les crises deviennent plus violentes et plus longues. À l'heure où l'état de nature prend le dessus sur l'état de paix, n'est-il pas le moment de repenser le système français de gestion de crise ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Akli Mellouli, Patrick Kanner et Mme Isabelle Briquet applaudissent également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Vous aussi, vous avez salué le courage de nos agents. À Tel-Aviv, certains de leurs logements ont été touchés, c'est dire combien leur métier n'est pas dépourvu de dangers. Ne pas fuir devant le danger, voilà l'une des particularités de la diplomatie française.

Le centre de crise a élaboré des solutions pour les Français présents en Israël et en Iran ; le Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) tranchera d'ici à quelques minutes.

Nous avons indiqué aux autorités iraniennes et israéliennes la présence de nos deux otages, Cécile Kohler et Jacques Paris, dans la prison d'Evin et appelé les autorités iraniennes à les libérer.

Vous élargissez la focale : comment mieux protéger nos ressortissants dans un monde devenu plus brutal ?

Je veux lancer un appel à nos compatriotes, qui doivent se tenir à l'écart des zones de conflits pour éviter de se retrouver en danger.

Nous aurons dans quelques heures un dispositif qui répondra aux inquiétudes soulevées. Je salue les sénatrices et sénateurs des Français établis hors de France, qui se sont fait les interprètes des inquiétudes de nos compatriotes. (Mmes Patricia Schillinger, Denise Saint-Pé et Olivia Richard applaudissent.)

Situation au Proche-Orient (I)

M. Jérôme Darras .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis le 13 juin, Israël mène une vaste offensive contre l'Iran, ses sites nucléaires et ses centres de commandement, faisant écho à la vive inquiétude exprimée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur l'accumulation rapide d'uranium hautement enrichi. En riposte, l'Iran bombarde les villes israéliennes.

Le bilan humain s'alourdit de jour en jour. Je pense aux morts et aux blessés dans les deux pays, ainsi qu'à nos compatriotes.

Au-delà de l'avenir de la région, c'est l'équilibre du monde qui se joue. Celui-ci est de plus en plus instable depuis l'investiture du président Trump le 20 janvier dernier. Ce même président qui, en se retirant de l'accord de Vienne, est le premier responsable de l'escalade actuelle. (M. Olivier Paccaud lève les bras au ciel.)

Le régime iranien est une source d'instabilité régionale et une menace pour la paix du monde. Nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, otages d'État, sont toujours enfermés dans les geôles iraniennes.

J'ai signé la proposition de résolution relative à l'inscription des Pasdaran sur la liste des organisations terroristes.

L'Iran ne pourra jamais disposer de l'arme nucléaire.

S'il est incontestable qu'Israël a le droit de se défendre, est-elle fondée à mener une guerre préventive ?

Monsieur le ministre, comment la France, partie à l'accord de Vienne, vieux pays d'un vieux continent (exclamations sur quelques travées à droite), à un moment où l'histoire bascule, comme en 2003, peut-elle agir ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K et du GEST)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - La France refuse depuis longtemps que l'Iran accède à l'arme nucléaire : cela soulèverait des risques insupportables pour Israël, la région, l'Europe et l'ordre international.

Mais la France considère depuis longtemps que la résolution du problème nucléaire iranien ne passe pas par une solution militaire ; c'est pourquoi nous appelons à la désescalade et à l'arrêt des frappes. Toute nouvelle frappe soulèverait des risques substantiels sans mettre un terme définitif au programme iranien.

Nous appelons l'Iran à se rendre disponible pour des négociations, que nous conduisions il y a dix ans. Alors que l'accord était sur le point d'expirer, nous avons réamorcé ce travail avec les Britanniques et les Allemands. Nous avons les idées très claires sur la manière d'obtenir des engagements de la part de l'Iran.

La France dénonce l'attitude du régime iranien : programmes nucléaire et balistique, livraison de drones à la Russie, répression des militants du mouvement « Femme, vie, liberté » et détention arbitraire des otages français.

La France défend et promeut le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Elle considère qu'on ne provoque pas de changement de régime par la force et fait confiance au peuple iranien pour se libérer de ce régime contre lequel il a héroïquement résisté.

Conclave sur les retraites (I)

Mme Céline Brulin .  - Le conclave sur les retraites a vu le nombre de ses participants se réduire à mesure que le Gouvernement multipliait les lignes rouges, empêchant toute évolution sur l'âge de départ et sur de nouvelles pistes de financement.

Les Français ont le droit de savoir. Ce conclave a-t-il été autre chose qu'une assurance vie du Gouvernement, qui pouvait durer tant qu'il se réunissait ? A-t-il vocation à préparer les esprits à une retraite par capitalisation ?

Les partisans d'une telle logique se dévoilent. Le conclave est-il la toile de fond de nouveaux coups durs, comme la TVA prétendument sociale, qui pénalisera nos concitoyens et exonérera toujours plus les entreprises et la finance de leurs contributions à la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles .  - Vous avez raison de parler d'assurance vie : si nous lisons les rapports de la Cour des comptes et du Conseil d'orientation des retraites (COR), oui, il y a nécessité de trouver une assurance vie pour nos retraites.

M. Jean-François Husson.  - Très bien !

Mme Catherine Vautrin, ministre.  - Nous le savons tous : notre système de retraites n'est pas totalement financé. Voilà la question. C'est dans cet esprit que le Premier ministre a proposé aux partenaires sociaux de se réunir. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K) Il leur a proposé de travailler sans tabou ni totem pour assurer le financement structurel des retraites.

Certes, hier soir, les partenaires sociaux ont constaté que tous les points de convergence n'étaient pas réunis. Ils ont encore quelques jours pour travailler sur l'usure professionnelle, sur la situation des femmes, qui peinent à avoir des carrières complètes.

Faisons confiance aux partenaires sociaux pour avancer. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Jean-François Husson.  - Très bien ! Bravo, madame la ministre !

Mme Céline Brulin.  - Malgré les arguments que vous nous resservez très régulièrement, vous n'avez convaincu aucun de nos concitoyens, qui sont réfractaires à cette réforme. Et il n'y a pas davantage de majorité au Parlement.

Votre acharnement à refuser toute autre piste de financement durable de notre système de retraites par répartition explique la crise politique et le blocage institutionnel. Vous vous grandiriez et vous apaiseriez le pays à rouvrir le débat. Nous ne lâcherons rien. Les Français nous le demandent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Défense du pavillon aérien français

M. Daniel Fargeot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il se murmure dans les allées du salon du Bourget de belles perspectives de commandes d'Airbus par les pays du Golfe. Voilà qui témoigne de l'excellence et du rayonnement international de notre industrie.

Mais la réindustrialisation doit prendre en compte toute la chaîne de valeur - une vision à 360 degrés - particulièrement pour le secteur aérien, filière stratégique de notre souveraineté.

Toutefois, les ventes d'avions pourraient s'accompagner de nouvelles autorisations de vol pour les compagnies du Golfe. Or une ligne du Golfe, c'est 200 emplois en France, contre 800 pour une ligne Air France. Le secteur aérien français souffre déjà de distorsions importantes de concurrence. Chaque ligne perdue renforce directement les hubs du Moyen-Orient.

Air France et Airbus vont ensemble ; ce sont deux contributeurs de poids à notre balance commerciale. Les droits de trafic ne doivent pas devenir une variable d'ajustement diplomatique.

Le Gouvernement peut-il garantir que les décisions prises avec les pays du Moyen-Orient ne se feront ni au détriment de l'emploi aérien français ni de notre souveraineté industrielle ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation .  - Veuillez excuser M. Tabarot, qui est en ce moment au Bourget. Ce 55e salon de l'aéronautique et de l'espace est une fierté française. Ce secteur est un pilier stratégique de notre économie et nos compagnies sont indissociables de cet écosystème - 1 000 entreprises, comme Airbus, Safran, Thalès et toutes les PME, 80 milliards de chiffre d'affaires, 100 000 emplois. Défendre notre pavillon, c'est défendre notre souveraineté industrielle. Chaque avion construit en France implique toute une chaîne de valeur.

L'État est au rendez-vous. Nous avons la chance de compter sur une grande compagnie aérienne. Avec Philippe Tabarot, nous sommes attentifs à ce que toute négociation avec les Émirats arabes unis ne fragilise pas nos compagnies aériennes. Mais il faut être attentif aux équilibres de marché, à des conditions équitables de concurrence et à la nécessité d'adopter des clauses environnementales entre compagnies françaises et étrangères. (M. Bernard Buis applaudit.)

Situation au Proche-Orient (II)

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis près d'un demi-siècle, le régime théocratique de Téhéran prêche la destruction d'Israël et a tissé un réseau d'affidés grâce auquel il déstabilise le Moyen-Orient, menaçant l'ensemble de la communauté internationale. Les pogroms du 7 octobre 2023 n'auraient jamais été possibles sans le soutien de l'Iran.

L'Iran, qui est sur le point de se doter de l'arme atomique, fait peser une menace existentielle sur Israël.

Les déclarations du Président de la République sont peu claires. Quelle est la position de la France sur ce conflit ? Quels sont nos soutiens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Notre position est très claire : le programme nucléaire et balistique est une menace pour Israël, pour la région, mais aussi pour nos propres intérêts -  européens et nationaux.

L'Iran, qui soutient les groupes terroristes, s'est félicité du massacre antisémite du 7 octobre, durant lequel 50 de nos compatriotes ont perdu la vie. Je dénonce aussi le soutien désinhibé de l'Iran à la Russie. Enfin, l'Iran détient arbitrairement deux de nos compatriotes, Jacques Paris et Cécile Kohler, dans des conditions assimilables à de la torture.

La France veut la paix et la sécurité pour tous dans la région. Pour y parvenir, nous refusons deux choses : que l'Iran se dote de l'arme nucléaire ; que Gaza soit occupée et la Cisjordanie colonisée, mais aussi que le Hamas détienne des otages.

Nous défendons la solution à deux États.

Concernant la crise actuelle, nous prônons la désescalade et la réouverture des négociations, seule voie pour mettre fin au programme nucléaire iranien.

Hier encore, 51 Palestiniens affamés sont morts en allant chercher des vivres à une distribution alimentaire. La conférence que nous avons activement préparée a enclenché une dynamique inarrêtable ; c'est la seule solution alternative à un état de guerre permanent.

M. Pascal Allizard.  - Et quels sont les soutiens de la France ? Vous m'avez présenté ceux de l'Iran...

Les positions du Président de la République ont souvent varié sur la crise régionale, et l'influence de la France a considérablement fléchi. C'est factuel. La ligne du « pour autant » est peu lisible. Notre capacité à peser sur le cours des événements est faible.

Évitons les erreurs du passé. Ne laissons subsister aucune perspective d'un Iran nucléaire. Malgré les négociations, le régime iranien poursuit son programme nucléaire et menace sa population. Et il détient arbitrairement deux Français dans des situations inacceptables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Conclave sur les retraites (II)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les négociations entre les partenaires sociaux sur les retraites patinent depuis le début, car certaines organisations syndicales et patronales ont quitté la table, estimant que des conditions de négociation sereines n'étaient pas réunies.

Les syndicats qui sont restés travaillent, mais ils se heurtent au mur du Medef, qui ne veut rien entendre. À entendre son président ce matin, on peut sérieusement douter de l'issue de ces négociations : le Medef a-t-il jamais eu l'intention de négocier ?

Le Premier ministre va-t-il tenir son engagement de revenir devant le Parlement pour présenter un nouveau projet de loi s'appuyant sur les propositions des partenaires sociaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Silvana Silvani applaudit également.)

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles .  - Un certain nombre de partenaires sociaux continuent à travailler. Je leur rends hommage. Six réunions ont eu lieu entre eux, sans compter des groupes informels.

J'ai sous les yeux ce que le président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale a cité (Mme la ministre brandit un papier) : « Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global, nous présenterons néanmoins les avancées issues des travaux des partenaires sociaux. Sous réserve d'un accord politique et d'un équilibre financier global maintenu, nous présenterons sur cette base un nouveau projet de loi. Ainsi, l'impératif de réforme pourra être satisfait dans une démarche de justice. »

C'est le courrier que le Premier ministre a adressé aux partis politiques au moment du conclave. (M. Patrick Kanner lève les yeux au ciel.)

Mme Monique Lubin.  - Le Gouvernement reviendra-t-il devant le Parlement ? Personne n'a compris. Quand on parle d'accord politique, c'est au Parlement de décider. Vous n'avez pas répondu à ma question. Nous attendons que tout ce que proposeront les partenaires sociaux soit discuté devant le Parlement.

Respectez les partenaires sociaux : le rapport du comité d'orientation des retraites (COR), tel qu'il a fuité - et à qui cela profite-t-il ? - n'a pas été approuvé par les partenaires sociaux. Il faudrait parler du rapport approuvé par les partenaires sociaux... (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K et du GEST)

Non-remplacement des enseignants dans les collèges et lycées

M. Olivier Paccaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Un professeur devant chaque classe à la rentrée » - c'était la promesse martiale du Président de la République à la rentrée 2023. Un professeur devant chaque classe toute l'année, c'est encore plus rare. Le nombre d'heures non remplacées a augmenté de 2018 à 2024 : plus 49 % dans le primaire, plus 93 % dans le secondaire.

J'ai présenté cette semaine un rapport qui autopsie la profondeur du malaise. Le système ne fonctionne plus. Le vivier de remplaçants est insuffisant, l'attractivité de ce métier est en berne. Plus d'un professeur remplaçant sur deux est un contractuel dans le secondaire ; la formation est quasi inexistante, l'organisation est sclérosée...

Le mécontentement des parents aboutit à une fuite vers le privé ou à des recours devant le tribunal administratif.

Conscients du problème, vous avez pris des mesures : le financement des heures de remplacement de courte durée, le fléchage des jeunes professeurs vers le vivier de remplaçants.

Qu'allez-vous mettre en place à la rentrée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pascal Martin applaudit également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Je vous remercie pour votre question et pour les travaux que vous avez conduits. Mes équipes sont en train d'analyser les données très riches que vous mettez en avant dans votre rapport.

Le remplacement est un enjeu majeur et une source de préoccupation pour tous. Je peux vous l'assurer, mon ministère est pleinement mobilisé sur le sujet. De nombreuses actions ont été menées pour le remplacement de courte durée ; dans le pacte enseignant, la moitié des missions y sont consacrées.

Nous avons cherché à limiter les absences générées par l'institution elle-même. Je me suis appuyée sur la baisse démographique pour reconstituer les brigades de remplacement : 900 postes supplémentaires seront déployés à la rentrée 2025.

Face aux difficultés de recrutement dans certaines disciplines et dans certains territoires, j'ai lancé une réforme du recrutement et de la formation initiale des enseignants. Enfin, je présenterai des mesures complémentaires dans le cadre d'un plan dédié au remplacement des enseignants, qui prend parfaitement en compte vos propositions. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Bernard Fialaire applaudissent.)

M. Olivier Paccaud.  - L'absence des professeurs est souvent due à des conditions de travail dégradées.

M. Max Brisson.  - Merci !

M. Olivier Paccaud.  - Mais finissons par un mot que tous partagent ici : vive l'école ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux

M. Patrick Chauvet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'associe à cette question ma collègue Catherine Morin-Desailly, qui travaille beaucoup sur la régulation des grandes plateformes numériques.

Il y a quelques jours, le tribunal pour enfants de Nanterre a condamné deux garçons de 14 ans pour le viol à caractère antisémite d'une jeune fille de 12 ans. Le procès a révélé, sans surprise, qu'ils avaient été abreuvés de haine sur les réseaux sociaux.

De fait, les agressions et harcèlements en ligne se multiplient. Le Président de la République propose d'interdire l'accès aux réseaux sociaux aux jeunes de moins de 15 ans. Plus globalement, pourquoi ne pas interdire l'anonymat sur ces réseaux ? En donnant l'illusion de l'immunité, celui-ci permet le déchaînement des pulsions les plus violentes.

La liberté d'expression va de pair avec la responsabilité. Or l'anonymat en ligne permet trop souvent d'échapper à toute forme de responsabilité. Au reste, il est largement illusoire, l'identification étant possible via l'adresse IP. Mais, actuellement, on agit trop tard, alors que le mal est fait. Supprimer l'anonymat, c'est agir en amont pour prévenir les violences et contribuer à une société plus sereine.

Combien de drames supplémentaires faudra-t-il pour que nous agissions ? L'interdiction de l'anonymat sur les réseaux fait-elle partie des pistes que vous envisagez ? Allez-vous interroger la Commission européenne sur sa compatibilité avec le droit européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; Mme Catherine Conconne applaudit également.)

M. Pierre Jean Rochette.  - Bravo !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique .  - Le déversement de haine en ligne est une réalité qui touche nombre de nos concitoyens ; en tant que personnalités publiques, vous y êtes directement confrontés. Les conséquences peuvent être graves : isolement, détresse. Certains, notamment parmi les plus jeunes, en viennent à commettre l'irréparable.

Oui, le pseudonymat peut donner un sentiment d'impunité à ceux qui sont mus par la haine. Dans d'autres cas, il est utile pour amener certains à s'exprimer.

Vous l'avez dit, il n'y a pas d'anonymat en ligne : les plateformes sont responsables de collecter les informations de connexion et d'en faire bon usage quand il y a lieu. Il n'y a pas d'impunité. Ainsi, à la suite du cyberharcèlement de Thomas Jolly, sept personnes ont été condamnées.

Reste que nombre de concitoyens victimes de cette haine sont dans la détresse. Nous avons fait beaucoup : Pharos, ...

M. Alexandre Basquin.  - Qui manque de moyens !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - ... parquet numérique, loi Sren, règlement DSA. Mais nous devons aller plus loin en envisageant toutes les options, à commencer par l'interdiction des réseaux aux moins de 15 ans. La protection des plus jeunes contre la haine en ligne est un combat que je compte mener, avec tout le Gouvernement.

Accueil des gens du voyage

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous sommes nombreux à avoir interrogé les précédents gouvernements sur les gens du voyage, sans aucun résultat probant.

Stationnements illégaux, installations massives sur des terrains communaux, des stades ou des zones d'activités, parfois en pleine saison touristique ou économique : toutes les communes sont confrontées à ces situations, qui entraînent dégradations, tensions et un sentiment d'abandon parmi les habitants et les élus, qui ont rempli leurs obligations en matière d'aires d'accueil. Le dispositif juridique opérationnel en vigueur montre ses limites.

En Moselle, nous avons subi à plusieurs reprises, la dernière fois en 2023, un rassemblement évangélique de 40 000 gens du voyage. Cette manifestation semble se reprofiler pour cette année. Les troubles causés touchent autant à la sécurité qu'à la salubrité et la tranquillité publiques.

Comment comptez-vous régler ces situations ? Concrètement, empêcherez-vous ce nouveau rassemblement évangélique en Moselle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Loïc Hervé, Pierre Jean Rochette, Hussein Bourgi et Lucien Stanzione applaudissent également.)

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - L'année dernière, 1 328 grands déplacements ont été organisés par les gens du voyage, dont 569 illégaux, un sur trois.

Face aux difficultés juridiques et administratives auxquelles se heurtent les évacuations, nous avons mis en place une commission de travail, à laquelle plusieurs de vos collègues participent. Plus d'une vingtaine de mesures ont déjà été actées pour lutter fermement contre ces situations. Une dernière réunion se tiendra le 7 juillet, après quoi nous déposerons un texte au Parlement d'ici à la fin de juillet.

Aujourd'hui même, à Toulouges, dans les Pyrénées-Orientales, le stade de rugby a été occupé ; l'expulsion a eu lieu immédiatement, avec une efficacité qu'il faut saluer. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

M. Loïc Hervé.  - Bravo !

M. André Reichardt.  - C'est rare...

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Dans les jours qui viennent, une circulaire sera adressée aux préfets pour attirer leur attention sur certaines occupations.

Enfin, l'association Vie et Lumière organise tous les deux ans un grand rassemblement. Elle s'est réunie à Nevoy le mois dernier. Les services de l'État se sont fortement mobilisés, et tout s'est globalement bien passé.

Nous ne savons pas où sera organisé le prochain rassemblement. Les discussions sont en cours, mais nous sommes déterminés à faire preuve de fermeté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP)

Mme Catherine Belrhiti.  - Il faut établir un équilibre juste entre liberté de circulation et ordre public. Avec André Reichardt, nous avons déposé des propositions de loi qui, hélas, n'ont pas prospéré au-delà de notre assemblée. (M. Olivier Paccaud le déplore.) Il faut des réponses concrètes et des actes forts. Nous comptons sur vous pour faire évoluer le cadre en vigueur avec fermeté et équité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Ligne nouvelle Paris-Normandie

M. Sébastien Fagnen .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'associe à cette question mes collègues normands, Corinne Féret et Didier Marie.

« La SNCF a une dette vis-à-vis de la Normandie » : ces mots sont de Guillaume Pepy, en 2010. Quinze ans plus tard, la situation n'a que peu changé. Pis, elle s'aggrave : le Conseil d'État vient de valider le schéma directeur de la région d'Île-de-France (Sdrif), qui ne fait aucune mention de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPM), compromettant ainsi sa réalisation.

Et pour cause : la présidente du conseil régional d'Île-de-France est hostile à cette infrastructure pourtant vitale pour nos deux régions. Son opposition s'apparente à un insupportable mépris envers notre région, ses habitants, ses entreprises et ses élus. C'est un déni d'aménagement du territoire, mais aussi de transition écologique, dans la mesure où la séparation des flux normands et franciliens entre Paris et Mantes favorisera le fret ferroviaire.

La concrétisation de la LNPM est essentielle au développement économique de la vallée de la Seine et à la réussite de Haropa Port et du projet Aval du futur d'Orano. La Normandie a toujours eu la volonté, unanime, de trouver un consensus, en respectant les interrogations d'une partie des Yvelinois, auxquelles il faut apporter des réponses concrètes.

Ce projet d'intérêt national symbolise la planification écologique et les mobilités décarbonées. Il faut le soutenir fermement. Le Sdrif ne doit pas sonner le glas ferroviaire de la Normandie !

Lors du prochain comité de pilotage, allez-vous réaffirmer le soutien résolu de l'État à ce projet ? En écho aux travaux menés dans le cadre de la conférence Ambition France Transports, les 3 millions de Normands attendent des engagements et des garanties de l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation .  - Je vous réponds à la place de Philippe Tabarot, en visite au Salon du Bourget.

La LNPM est espérée par les Normands depuis longtemps - pour eux, mais aussi pour d'autres, elle n'est pas « nouvelle ».

Ce projet est d'intérêt national. Il s'agit de répondre aux besoins de mobilité croissants entre l'Île-de-France et la Normandie en améliorant la régularité, la rapidité et la capacité des liaisons.

De nouvelles modalités de financement ont été évoquées à Bercy la semaine dernière. Une nouvelle méthode de travail a également été lancée : une concertation s'est engagée autour du Premier ministre et le préfet Castel a été nommé délégué interministériel, ce qui constitue un premier jalon.

Le 1er juillet, mon collègue chargé des transports présidera à Giverny un comité de pilotage élargi à l'ensemble des parties prenantes des deux régions. Ce rendez-vous constituera un deuxième jalon du nouveau départ que vous comme nous souhaitons pour la LNPM : il faut redonner au projet un sens partagé, et privilégier des tracés de moindre impact et une adéquation aux besoins actualisés des territoires.

M. le président. - Monsieur Fagnen, vous avez quelques secondes pour arriver à l'heure en gare... (Sourires)

M. Sébastien Fagnen.  - Le temps des bonnes intentions est révolu : celui de la concrétisation est venu ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Franck Dhersin applaudit également.)

Numéro unique d'appel d'urgence

Mme Françoise Dumont .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans le cadre du récent congrès Urgences 2025, monsieur le ministre de la santé, vous avez déclaré que le numéro unique d'urgence, séduisant sur le papier, impose une rupture organisationnelle majeure. Selon vous, il devrait être mis en place uniquement là où il y a des volontés et lorsque cette mesure est pertinente et efficiente. Vous avez ajouté que les conditions ne seraient pas réunies pour aller beaucoup plus loin dans ce domaine.

La loi Matras, de 2021, prévoyait trois degrés d'expérimentations sur une zone donnée pendant deux ans ; cette expérimentation n'est toujours pas lancée. Sur le terrain, pourtant, des rapprochements, voire des centres uniques, donnent de bons résultats, sans remise en cause de la régulation médicale.

La panne du réseau SFR survenue avant-hier a montré les limites des différents numéros d'urgence. Dans le Var, seul le 112 permettait de joindre les secours.

Pouvez-vous préciser votre position sur la mise en place d'un numéro unique d'urgence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - Je vous sais attachée à cette question, comme ancienne présidente du Sdis du Var.

La loi Matras prévoyait une expérimentation. Dans ma région, la Savoie, la Haute-Savoie, l'Ain, le Rhône et le Puy-de-Dôme étaient concernés. En dépit de réserves de fond, le ministère de la santé a pleinement participé à ces expérimentations. Des difficultés sont apparues dans certains Sdis, par exemple en Savoie, où l'expérimentation a été ralentie.

Nous sommes favorables à une coopération renforcée, mais l'obligation d'un numéro unique poserait des difficultés et mettrait en cause la sécurité de la prise en charge. Les services d'accès aux soins (SAS) se développent partout, pour limiter l'afflux de patients aux urgences. Quelque 75 millions d'appels sont traités chaque année : le risque de désorganisation est donc réel. Certains pays, dont le Royaume-Uni, le Canada et la Suisse, ont abandonné le numéro unique.

Nous devons avancer sur d'autres pistes, dont nous connaissons l'opportunité : plateformes communes colocalisées là où il y a des volontés locales et que c'est pertinent et efficient, interconnexion des systèmes d'appels. Il convient d'évaluer les plateformes existantes sans attendre la fin de l'expérimentation, afin de garantir une réponse rapide et sécurisée à tous les appels. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)

Mme Françoise Dumont.  - En matière de secours aux personnes, chaque seconde compte. Or les Français sont confrontés à une dizaine de numéros et, en composant le 15, ils ne sont pas certains d'obtenir une réponse rapide. Notre seule boussole doit être la sécurité des personnes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Filière acier française

M. Stéphane Demilly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) On parle souvent de notre indépendance énergétique ou alimentaire. Lors du covid, nous avons beaucoup parlé d'indépendance sanitaire. Mais une autre nécessité se fait jour : notre indépendance vis-à-vis du métal le plus utilisé au monde.

L'acier est partout : nos maisons, nos usines, nos infrastructures, nos moyens de transport - 10 % d'un avion. Il est au coeur de notre économie.

Or nous n'en produisons pas assez pour nos propres besoins, de sorte que nous dépendons de pays comme la Chine, l'Inde et la Turquie. En 2023, nous avons importé 70 % de notre consommation. Le moins que l'on puisse dire, c'est que nos pays fournisseurs ne sont pas forcément les plus vertueux en matière environnementale et sociale.

Pendant ce temps, les grands aciéristes européens, comme ThyssenKrupp et ArcelorMittal, enchaînent les plans de restructuration. La production européenne d'acier a diminué de 30 % depuis 2008, et plus de 100 000 emplois ont été perdus.

Quelle est la stratégie du Gouvernement pour endiguer le déclin de l'aciérie française, qui fragilise notre économie nationale et européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - Oui, l'acier est partout ; mais il n'est pas très présent dans nos débats, alors que l'enjeu est stratégique. L'acier entre dans de très nombreuses chaînes de valeur : c'est un facteur essentiel de notre souveraineté.

Surcapacités, concurrence internationale déloyale, hausse des prix de l'énergie, contraction de la demande, processus de décarbonation : ce secteur est fragilisé. Nous devons trouver un meilleur équilibre en France, en Europe et dans le monde pour préserver des capacités industrielles.

Il nous faut retrouver de la compétitivité, avec des prix de l'énergie plus adaptés, une stratégie de décarbonation financée - l'État lance pour 1,6 milliard d'euros d'appels à projets cette année - et une protection commerciale contre la concurrence déloyale.

Sur ce dernier point, nous avons gagné une grande bataille : la clause de sauvegarde sur l'importation d'acier est activée, agissant comme un quota européen au-delà duquel une taxe de 25 % s'applique. Nous voulons aller plus loin et souhaitons une mise en oeuvre totale au 1er janvier prochain. L'objectif est de fixer un quota maximal de 15 % d'acier plat chinois dans la consommation européenne.

Nous voulons continuer à construire l'avenir de la sidérurgie en France. Voyez GravitHy et Marcegaglia : deux entreprises qui investissent massivement en Europe pour produire l'acier de demain chez nous. (Applaudissements sur des travées du groupe UC)

La séance est suspendue à 16 h 20.

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 35.

Accès aux soins

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation.

Discussion générale

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - C'est avec émotion que je présente cette proposition de loi, que j'ai portée comme député. La version issue de votre commission est conforme à celle adoptée par l'Assemblée nationale en décembre 2023. Je remercie le rapporteur Khalifé Khalifé, le président Mouiller et l'ensemble des sénateurs investis sur ce sujet.

Émotion, mais aussi détermination, car les mesures prévues sont urgentes et nécessaires. Nous manquons de médecins, c'est un fait. Cette crise démographique est la principale cause de la désertification médicale, premier sujet sur lequel m'alertent citoyens et parlementaires.

Le défi est immense. Nous payons le prix des politiques du passé, quand on a rationné le nombre de médecins pour réduire les dépenses de santé. Or les besoins de santé ne cessent d'augmenter, sous l'effet du vieillissement, de la hausse des maladies chroniques et de la dépendance. Nous formons autant de médecins qu'en 1970, alors que la population a augmenté de 15 millions d'habitants et qu'il faut désormais deux à trois jeunes praticiens pour compenser un départ à la retraite !

Selon la Constitution, la nation garantit la protection de la santé. Cela nous impose d'agir, en adoptant une vision de long terme.

Une seule nécessité s'impose : former. En 2019, la suppression du numerus clausus a réparé une erreur historique, mais la capacité d'accueil des universités reste limitée. Le nombre d'étudiants en santé a augmenté d'environ 15 % ; c'est un premier pas. Pour assurer l'avenir, il nous faut un choc de formation, et même un électrochoc. Il faut former mieux, former plus, dans tous les territoires et tout au long de la carrière.

Depuis que je suis ministre, je fais tout pour renforcer l'accès immédiat aux soins. C'est l'objectif du pacte de lutte contre les déserts médicaux, et de la proposition de loi de Philippe Mouiller. Il faut tirer parti des compétences existantes et mettre en place des mécanismes de solidarité. Les mesures relatives aux praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) et la mise en oeuvre, dès novembre 2026, de la quatrième année d'internat de médecine générale augmenteront rapidement le nombre de professionnels au chevet des patients - mais cela ne sera durable que si nous renforçons structurellement les effectifs.

La première mesure de cette proposition de loi est de nous libérer définitivement de la contrainte du numerus apertus. Je le dis depuis longtemps, il faut nous débarrasser de toute forme de numerus et inverser la logique : partir des besoins de santé localement identifiés pour adapter nos capacités de formation. Ces besoins seront définis en concertation avec les élus, les doyens, les ARS, les préfets, les collectivités - c'est ma méthode.

Il faut également poursuivre le mouvement d'universitarisation des territoires en ouvrant davantage de terrains de stage, y compris hors les murs des CHU.

L'article 2 combat la fuite des futurs soignants vers l'étranger : selon la Cour des comptes, 1 600 étudiants par an partent se former en Roumanie, en Espagne, en Belgique, au Portugal, faute de places en France. Nous devons faire revenir les 5 000 médecins en formation à l'étranger, à travers des dispositifs d'évaluation et d'accompagnement. Cette proposition de loi facilite leur réintégration dans le cursus français.

Enfin, face à la pénurie de médecins, il faut reconnaître la pleine compétence des professionnels paramédicaux - infirmiers spécialisés ou en pratique avancée, kinésithérapeutes, sages-femmes... L'article 3 leur ouvre un accès direct au deuxième cycle des études de médecine, après évaluation. Appuyons-nous sur nos forces vives ! C'est l'une des mesures de notre pacte de lutte contre les déserts médicaux.

La formation est la mère des batailles, le socle de toute politique de santé. Rien ne se fera sans les professionnels.

Notre action ne s'arrête pas à ce texte. Je travaille avec Philippe Baptiste à la réforme des voies d'accès aux études de santé, pour simplifier et ouvrir. Je me bats pour que nos universités aient les moyens nécessaires au maintien de la qualité et de l'excellence de la formation médicale française, avec lesquelles je ne transigerai pas. Je soutiendrai les doyens pour concrétiser sur le terrain ces réformes ambitieuses - j'en ai assuré Mme la présidente de la Conférence des doyens de médecine.

Des centaines d'étudiants en médecine et leurs familles nous regardent, ai-je dit lors de l'adoption de ce texte à l'Assemblée nationale. Je suis heureux que nous fassions de ses promesses une réalité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Khalifé Khalifé, rapporteur .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Khalifé Khalifé, au nom duquel je m'exprime, vous prie d'excuser son absence.

Cette proposition de loi vient un mois après celle visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires. Les deux sont complémentaires. Son examen nous donne une occasion d'avancer en agissant à la racine, sur la formation. Ce texte, déposé en octobre 2023, a été adopté par les députés le 8 décembre de la même année ; un an et demi après, il nous appartient de permettre son entrée en vigueur rapide.

Plusieurs mesures correspondent à des engagements inscrits dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux : desserrement du numerus apertus, réintégration des étudiants français partis faire leurs études dans d'autres pays européens, facilitation des reconversions des professionnels paramédicaux. Pourriez-vous nous rassurer sur le calendrier de mise en oeuvre, monsieur le ministre ?

L'article 1er revient sur le numerus apertus. Instauré en 1971 pour la médecine et l'odontologie, le numerus clausus a été progressivement étendu à la maïeutique et à la pharmacie ; il a été abaissé dans les années 1980 dans le but de maîtriser les dépenses de santé et de protéger l'activité des professionnels installés, sans tenir compte de la hausse pourtant prévisible des besoins de santé due à l'augmentation de la population et à son vieillissement.

En 2019, le numerus clausus a été remplacé par un numerus apertus, fondé sur de larges concertations nationales et régionales. Désormais, les capacités d'accueil sont déterminées annuellement par les universités elles-mêmes, en tenant compte des objectifs d'admission en deuxième cycle et des objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels à former. Le recrutement a augmenté de 11 %, mais avec d'importantes disparités, entre filières - hausse de 18 % en médecine, de 14 % en odontologie, mais baisse en maïeutique et en pharmacie - et entre universités, d'un territoire à l'autre.

L'article 1er permet aux ARS et aux conseils territoriaux de santé (CTS) d'appeler une université à accroître ses capacités d'accueil, lorsque celles-ci ne correspondent pas aux objectifs pluriannuels fixés, et soumet la définition des objectifs à l'avis conforme des CTS, pour mieux tenir compte des besoins de santé de chaque territoire. La commission des affaires sociales a soutenu ces mesures, qui impliquent davantage les élus locaux et responsabilisent les universités. Mais la réforme ne réussira que si l'État donne aux universités les moyens d'accueillir ces nouveaux étudiants dans de bonnes conditions.

L'article 2 facilite la réintégration des étudiants français partis à l'étranger. La très forte sélectivité de l'accès au premier cycle de médecine, la complexité du système Pass-LAS, pointée par la Cour des comptes, favorisent ces expatriations. Le nombre d'étudiants français étudiant la médecine ou l'odontologie en Espagne a augmenté de 30 % entre 2019 et 2022, et ils seraient 1 600 à partir chaque année en Espagne, en Roumanie, en Belgique ou au Portugal. Après l'obtention d'un diplôme européen, ces étudiants peuvent exercer en France dans les mêmes conditions que ceux qui y ont fait tout leur cursus - or, malgré le principe d'équivalence, la qualité de la formation est inégale. Nous avons donc intérêt à favoriser la réintégration précoce de ces étudiants au cursus français. Cette mesure n'est pas pérenne, pour éviter d'organiser un contournement permanent de la sélection à l'entrée dans les études de médecine.

L'article 3 vise à favoriser les reconversions des professionnels paramédicaux en consolidant les passerelles vers les études de médecine, qui souffrent de plusieurs insuffisances. Le quota minimal de places dédiées, actuellement de 5 %, devrait être relevé. La concurrence des profils ne favorise pas les paramédicaux qui, malgré leur expérience du soin, réussissent moins bien que des ingénieurs ou des normaliens. La reprise d'études expose enfin à une précarité financière. Le texte adapte le format des dispositifs existants et renforce l'accompagnement à la reprise des études. Nous y souscrivons.

Cette proposition de loi ne résoudra pas tout mais sera utile pour augmenter le nombre d'étudiants et l'adapter aux besoins constatés. Pour ne pas retarder sa mise en oeuvre, la commission propose une adoption conforme. Le texte renvoie aussi au domaine réglementaire ; sa réussite dépendra des moyens mis en oeuvre pour augmenter les capacités d'accueil des étudiants.

Enfin, notre commission se penche actuellement sur l'accès aux études de santé, et fera prochainement des propositions, notamment pour faire évoluer le système Pass-LAS.

Nous aurions préféré un projet de loi global, mais il faut aller vite : nous saisissons donc l'opportunité et soutiendrons cette initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Céline Brulin .  - (Mme Émilienne Poumirol applaudit.) La succession de textes sur l'accès aux soins pourrait laisser croire que notre pays se mobilise enfin au bon niveau sur ce sujet. Hélas, nous sommes loin de la stratégie globale, cohérente et financée dont la France aurait besoin.

Je salue la suppression par le député Neuder du numerus apertus, qui n'a pas mis fin à la situation de pénurie ayant découlé du numerus clausus - mesure visionnaire portée dans les années 1970 par les obsédés de la réduction des dépenses de santé... Le nombre d'étudiants formé a augmenté de 11 %, loin des besoins, et a baissé en maïeutique et en pharmacie. C'est bien pourquoi nous proposons, à chaque PLFSS, que seuls les besoins en santé déterminent l'offre de formation !

Le ministre Neuder peut-il s'en tenir à cette intention, sans prévoir les moyens afférents ? Selon l'Académie de médecine, il manque 5 000 places chaque année pour remédier à la pénurie de médecins. Que comptez-vous faire pour initier ce grand effort de formation ? Quels financements pour nos universités ? Combien de chefs de clinique, de PU-PH recrutés ? Quels terrains de stage pour faire découvrir l'exercice dans nos villes moyennes, nos territoires ruraux, nos quartiers populaires ? Inutile de dire qu'on risque de se heurter à la volonté du Gouvernement de trouver 40 milliards d'euros d'économies... Dans ce contexte, comment entendez-vous élargir la prime de 800 euros aux maîtres de stages dans les quartiers prioritaires de la ville ? Ces mesures ne sauraient s'accompagner d'une moindre prise en charge des patients.

Vous voulez favoriser la reprise d'études en France - mais les démarches sont encore trop exigeantes pour entraîner un véritable retour des étudiants français partis se former à l'étranger.

Vous simplifiez les passerelles pour les professionnels paramédicaux - mais gare à ne pas déplacer la pénurie de médecins vers ces professions ! Nous avons aussi besoin de former plus d'infirmiers, de psychothérapeutes, d'orthoptistes, de psychomotriciens, etc. Cela doit aussi s'accompagner d'une universitarisation des formations, notamment pour les masseurs-kinésithérapeutes - notre amendement en ce sens a hélas été déclaré irrecevable.

Nous ne pourrons pas faire l'économie de mesures de régulation à l'installation des médecins, car les inégalités entre territoires se creusent.

Enfin, il faut revoir les conditions d'études, alors que 37 % des étudiants en médecine songent à tout arrêter pour des raisons financières, et que, parmi ceux qui échouent en première année, trois sur cinq s'éloignent du secteur de la santé.

Bref, je crains que ce texte ne supprime pas réellement le numerus apertus. Nous le voterons néanmoins, tout en continuant à plaider pour un grand plan de financement dans les prochains PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Anne Souyris .  - Certains regrettent que nous examinions encore une proposition de loi, et non un projet de loi. Pas moi, car ce texte engage le Gouvernement : la proposition de loi du député Neuder engage le ministre Neuder ! Nous veillerons tout particulièrement à son application rapide.

Six millions de Français n'ont pas de médecin traitant, en raison de la mise en place en 1971 du numerus clausus dispositif inique révisé en 2019 seulement, grâce à Agnès Buzyn. Monsieur le ministre, vous avez annoncé la suppression du numerus apertus. Nous vous prenons au mot et attendons une mobilisation exceptionnelle pour augmenter les capacités de formation. Les écologistes proposent de créer des antennes universitaires des UFR en santé dans chaque département. Reprendrez-vous cette proposition ?

Nous voterons les mesures visant à réintégrer dans le système français les étudiants partis à l'étranger. Encore faudra-t-il que le décret d'application sorte rapidement... Commençons par la prévention ! Ces départs massifs sont symptomatiques d'un système élitiste qui échoue à intégrer des étudiants pourtant brillants. Les études de santé sont jugées élitistes et trop difficiles, d'où un effet repoussoir ; il faudrait revoir le programme du premier cycle pour les rendre plus attractives. En 2023, seuls 36 % des inscrits ont réussi leur première année du premier coup. Il faudrait prévoir une remise à niveau en biologie, physique-chimie et mathématiques, notamment pour ceux qui se réorientent depuis d'autres filières - c'est le principe de la LAS.

Nous soutenons le renforcement des passerelles pour les professionnels paramédicaux. J'avais fait rédiger une note de législation comparée sur ce sujet. Il faudrait renforcer la validation des acquis de l'expérience et financer les parcours de reconversion.

Nous soutenons l'esprit de ce texte, mais en appelant à l'assortir des moyens nécessaires. Les cartes sont dans votre main, monsieur le ministre ; nous espérons une concrétisation dès le prochain PLFSS.

Mme Émilienne Poumirol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé ; par l'engagement territorial des professionnels ; dans les territoires ; et maintenant, par la formation et la territorialisation  : les textes se succèdent pour tenter de répondre à l'enjeu, alors que 6 millions de Français sont sans médecin traitant et que 87 % du territoire est classé comme désert médical.

Ce n'est pas en réformant ainsi à la marge que l'on rétablira l'effectivité du droit à la santé. Votre proposition de loi, monsieur le ministre, n'aborde qu'un petit bout du problème. À quand un projet de loi pour revoir l'organisation générale de notre système de santé ?

Nous regrettons que le périmètre retenu au titre de l'article 45 nous interdise d'aborder la question des stages, déterminants pour le choix du lieu d'installation.

L'article 1er, réformant le numerus apertus, prévoit de solliciter l'avis des CTS pour déterminer les objectifs pluriannuels d'admission en second cycle. L'échelle départementale est effectivement la plus pertinente pour définir les besoins de santé ; c'est au niveau des territoires que doit se construire la réponse à ces besoins, nous l'avions redit lors du récent débat sur le sujet, à l'initiative du groupe CRCE-K.

Les effets de la réforme du numerus apertus ne seront pas sensibles avant une dizaine d'années. Des mesures d'urgence s'imposent donc pour surmonter les années difficiles à venir, d'ici à 2030.

L'article 1er prévoit également de prioriser les besoins de santé par rapport aux capacités de formation - disposition satisfaite par la loi Valletoux de 2023. Si nous sommes favorables à ce que les universités adaptent leurs capacités d'accueil aux besoins de santé du territoire et non l'inverse, nous ne nous faisons pas d'illusions : les universités ne pourront former plus d'étudiants que leurs capacités d'accueil, sauf à dégrader la qualité des enseignements. Pour former plus, il faut leur donner des moyens financiers et humains, dès le premier cycle.

En médecine générale, la situation est critique : en 2024, un enseignant pour quatre-vingt-deux étudiants, contre un pour dix dans les autres spécialités ; à Toulouse, sept titulaires pour cinq cents internes ! Comment former correctement des généralistes dans de telles conditions ? Il faudrait également augmenter significativement le nombre de maîtres de stage universitaires pour encadrer les docteurs juniors pendant la quatrième année d'internat - or le texte ne prévoit rien pour rendre ce statut plus attractif. L'attribuer aux maisons de santé serait une piste, pour favoriser l'exercice pluriprofessionnel.

Enfin, il faut préparer aux études de santé dès le lycée. Selon la Cour des comptes, 62 % des étudiants en médecine, maïeutique ou odontologie et pharmacie (MMOP) sont passés par une préparation privée. C'est une rupture de l'égalité des chances. Des contre-modèles existent pourtant : en Occitanie, dix-sept lycées proposent une option santé en première et en terminale. La loi Valletoux prévoyait une expérimentation de ces options dans trois académies. On lutte ainsi contre l'autocensure et on diversifie le recrutement en santé.

L'article 2 facilite la réintégration dans le cursus français des étudiants partis dans un pays européen. Ceux que j'ai rencontrés, en Espagne et en Roumanie, sont freinés par les difficultés administratives, et peinent à accéder aux outils pour se préparer aux épreuves dématérialisées nationales. Cela explique sans doute leur faible taux de succès. Des solutions sont à trouver peut-être au niveau réglementaire.

L'article 3 améliore les passerelles à destination des professionnels paramédicaux, qui ne représentent actuellement qu'un quart des effectifs. Il faut un accompagnement renforcé pour faciliter la reprise d'études, assorti d'un accompagnement financier, pour éviter que certains ne renoncent faute de pouvoir financer six ou sept ans d'études.

Malgré sa faible portée, ce texte comporte quelques mesures de bon sens. Nous le voterons donc. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Un an et demi pour examiner à notre tour ce texte après son adoption à l'Assemblée nationale, c'est trop long.

La pénurie de médecins n'est pas le fruit du hasard, mais de mauvais choix politiques et d'un rattrapage trop tardif. En 1971, le numerus clausus avait été jugé préférable à une baisse des remboursements pour réguler les dépenses de santé. On est passé de neuf mille médecins formés au milieu des années 1970 à quatre mille dans les années 1990. Aujourd'hui, la moitié des généralistes a plus de 60 ans - et il faut 2,3 médecins pour compenser un départ...

Les effets du remplacement du numerus clausus par un numerus apertus en 2019 ne se feront pas sentir avant 2030.

Ce texte revient sur cette réforme en fixant un nombre de places en fonction des besoins du territoire, et non plus des moyens disponibles. Il soumet à l'avis des élus locaux la définition des objectifs de formation. Les universités devront avoir les moyens d'augmenter les places : laissons-les innover, par exemple en développant les cours en visio.

C'est donc une première réponse à la pénurie, en complément des mesures de régulation à l'installation que nous avons adoptées il y a peu.

Le texte traite également des étudiants partis dans d'autres pays européens pour contourner la sélection à l'entrée en médecine. Ces derniers peuvent réintégrer le cursus en troisième cycle, mais leur taux de réussite est très faible, signe d'un écart de niveau. La proposition de loi propose donc de les réintégrer avant ce stade, pour assurer la qualité de leur formation - tout en se prémunissant contre tout contournement.

Enfin, le texte améliore les passerelles vers les études de médecine à destination des personnels paramédicaux, vivier essentiel.

Cette proposition de loi ne réglera pas tout, mais identifie trois problèmes, auxquels elle apporte trois réponses. Le groupe Les Indépendants la soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. François Bonneau applaudit également.) Je salue le travail de Khalifé Khalifé, auquel je pense particulièrement.

Monsieur le ministre, votre proposition de loi a un point commun avec celle de Philippe Mouiller : l'approche territoriale, qui nous parle.

Prendre en compte les besoins des territoires et augmenter le nombre de médecins formés sont des objectifs indispensables. Développer les passerelles et favoriser le retour des étudiants sont des propositions pertinentes.

La mission d'information de la commission des affaires sociales n'a pas encore rendu ses conclusions, mais le rapport de la Cour des comptes de décembre 2024 nous a tous interpellés. Il dénonce les défaillances de la réforme supprimant la Paces (première année commune aux études de santé) et déplore une répartition des places disparate entre les régions et les universités. Il constate que l'Observatoire national de la démographie des professions de santé n'est pas assez armé. La loi de 2019 qui a remplacé le numerus clausus par un système de concertation régional et national est insatisfaisante.

La réforme Pass-LAS a été entravée par la crise sanitaire, le calendrier serré et la diversité des modèles - le choix du « tout LAS » de certaines universités a été incompris. La hausse du nombre d'admis reste insuffisante pour répondre pleinement aux besoins de santé.

L'instauration du numerus apertus sans augmentation des capacités d'accueil et du nombre de stages condamnait la réforme. Nous saluons sa suppression.

D'autres pistes sont à envisager : revenir rapidement sur la réforme Pass-LAS en première année ; expérimenter l'inscription directe en première année de pharmacie ; permettre l'inscription en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) sans passer par Parcoursup ; créer un statut de maître de stage universitaire pour les pharmaciens d'officine... Les idées ne manquent pas.

Je vous félicite, monsieur le ministre, d'avoir été à l'origine de ce texte. Vous connaissez les problèmes de l'intérieur.

Le groupe Les Républicains votera ce texte conforme : il apporte des solutions concrètes et pragmatiques à une situation urgente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. Frédéric Buval .  - Ce sujet nous est familier : la mission d'information de la commission des affaires sociales remettra prochainement ses conclusions. Les initiatives parlementaires n'ont pas manqué depuis la loi de 2019 : loi du 6 avril 2021, du 19 mai 2023, du 27 décembre 2023. Elles ont ouvert la voie à des avancées importantes pour répondre au problème de la démographie médicale.

La loi du 24 juillet 2019 qui a traduit l'ambition de « Ma santé 2022 » a supprimé le numerus clausus. Cette mesure était attendue de longue date. Depuis 2017, le nombre d'étudiants en MMOP a augmenté de 11 % et de 18 % en médecine - mais il s'agit d'une moyenne, qui masque une grande inégalité entre les territoires et les filières.

Le numerus apertus permet aux universités de fixer elles-mêmes leurs capacités d'accueil en deuxième et troisième années, au regard d'objectifs nationaux pluriannuels établis par l'État, et de ses propres objectifs d'admission, sur avis des ARS.

Cette proposition de loi en amplifie la portée. L'article 1er permet aux ARS et aux CTS, donc aux élus, d'appeler une université à augmenter ses capacités d'accueil. Nous saluons la mesure mais restons circonspects quant aux capacités d'accueil effectives.

Cette question se pose aussi à l'article 2, qui porte sur les étudiants français partis étudier en Roumanie ou en Espagne. Cette mesure, heureusement temporaire, devra être suffisamment cadrée et ne saurait être qu'une solution de court terme, au regard du principe d'égalité.

Quelques mots sur les étudiants martiniquais : les travaux de la faculté de médecine ne sont toujours pas terminés, et les étudiants doivent suivre leurs cursus en Guadeloupe. Seront-ils terminés à la rentrée prochaine ? Il faut livrer les infrastructures les plus élémentaires.

Notre groupe votera cette proposition de loi conforme, pour qu'elle entre en vigueur au plus vite. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Michel Masset .  - Toutes les propositions de loi qui se succèdent ont le même objectif : répondre au besoin d'accès aux soins de nos concitoyens. La fracture sanitaire actuelle mine la confiance des Français dans notre système de santé.

Nous connaissons tous cette réalité, particulièrement dans le Lot-et-Garonne, deuxième plus important désert médical de la région Nouvelle-Aquitaine : le nombre de généralistes y est passé de 293 à 208 entre 2008 et 2024.

Ce texte va dans le bon sens : il propose de mieux articuler le nombre de places en médecine avec les besoins locaux. Pour cela, il réintroduit du dialogue entre l'université et le territoire et renforce le rôle des CTS.

Autre point à saluer : la facilitation du retour en France des étudiants partis dans un autre pays européen à cause de la forte sélectivité de l'accès au premier cycle. C'est déjà possible, mais difficile et tardif - seuls 8 % parviennent à revenir en troisième cycle. Faciliter leur retour avant l'internat est une mesure pragmatique.

Autre mesure pragmatique : la facilitation des passerelles pour les personnels paramédicaux, actuellement peu utilisées.

Nous avons cependant deux réserves. La première est relative au choix d'une adoption conforme, pour une entrée en vigueur rapide, alors que ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale il y a un an et demi...

Nous avons déposé un amendement issu d'une proposition transpartisane du député Guillaume Garot, pour que chaque département soit doté d'une formation équivalente à la première année d'études en santé.

Autre regret : l'accumulation de textes, tous bien intentionnés, mais dont l'impact est limité. Pendant ce temps, sur le terrain, les difficultés s'aggravent. Monsieur le ministre, nos concitoyens attendent une réforme structurelle et ambitieuse.

Le RDSE votera ce texte, à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue le travail de Yannick Neuder, auteur du texte, rapporteur en première lecture à l'Assemblée nationale et désormais ministre, ainsi que celui de notre rapporteur Khalifé Khalifé.

Ce texte s'inscrit pleinement dans nos combats. Partout, les déserts médicaux s'étendent et la pénurie de professionnels de santé mine le droit fondamental à la santé, fragilise nos services publics et affaiblit notre cohésion nationale.

En 2019, la fin du numerus clausus a fait naître de grands espoirs, mais le numerus apertus n'a pas tenu ses promesses, trop déconnecté des besoins des territoires. En zone rurale, nous en payons chaque jour le prix, avec des pertes de chances avérées.

Cette proposition de loi réoriente l'offre de formation en santé selon une logique moins comptable et moins descendante, via deux leviers : augmenter l'offre et mieux la répartir sur le territoire, enfin ! N'utilisons pas la contrainte là où elle n'est pas efficace et desserrons plutôt cet incompréhensible carcan.

L'article 1er propose une rupture avec la gestion technocratique, au profit d'une démocratie sanitaire territoriale, que nous soutenons. Une meilleure répartition passe par un recrutement dans les territoires les plus ruraux, car les étudiants en santé s'installeront dans ces territoires d'autant plus volontiers qu'ils en seront originaires.

L'exemple remarqué du campus connecté de Nevers mérite d'être généralisé et ses crédits d'être pérennisés, car nos tristement célèbres déserts médicaux sont aussi des déserts de formation.

Le texte invite aussi les universités à adapter leur pédagogie, les stages, l'internat et à nouer des partenariats en dehors des grands pôles urbains. Mais les moyens humains seront-ils à la hauteur ?

Cette proposition de loi est à la croisée de deux ministères : santé et enseignement supérieur. Chaque année, 1 600 étudiants partent à l'étranger et très peu réintègrent le système français. Certains pays leur font des offres alléchantes : des Français ayant étudié en Roumanie partent exercer en Allemagne. Si nous simplifiions leur retour, ils pourraient renforcer l'offre de soins.

Le texte ouvre aussi les portes à d'autres profils - soignants ou personnes en reconversion. C'est un assouplissement bienvenu, qui nécessite cependant des moyens.

Territorialiser, c'est aussi adapter les contenus pédagogiques aux spécificités locales - médecine rurale, télémédecine, santé communautaire - et créer des pôles de recherche sur la santé locale.

Il faut susciter les vocations, et pas seulement dans les villes universitaires. Cela suppose une évaluation rigoureuse avec des indicateurs : pourcentage d'étudiants issus des zones rurales ou de l'aide sociale à l'enfance (ASE), d'étudiants partis à l'étranger réintégrés, d'installations post-stage en zone sous dotée...

Le groupe UC votera ce texte clair, courageux et nécessaire, avec exigence. La territorialisation devra se traduire par des moyens différenciés, une gouvernance partagée et une évaluation continue.

Ce texte donne un cap : favoriser les études en santé au bénéfice de tous les patients, en actionnant le seul levier efficace, la formation. Il apportera des perspectives à court terme, car plus personne ne peut demander aux patients d'attendre encore dix ans. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du RDSE)

Mme Patricia Demas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'évolution vers un numerus apertus territorialisé illustre notre rôle de dirigeants politiques, car les Français nous délèguent la responsabilité de dessiner le futur de leur bien-être collectif.

Cette proposition de loi, comme celle de Philippe Mouiller, ainsi que le pacte gouvernemental de lutte contre les déserts médicaux, montrent qu'il est encore possible de corriger le tir.

Je salue votre volonté, monsieur le ministre, et l'implication du Sénat.

Pour la première fois en 2024, le nombre d'étudiants en médecine a cessé de baisser. Mais il faudra encore une décennie pour inverser la tendance. Il faut donner plus d'autonomie aux UFR ou aux centres hospitaliers.

Il est essentiel que le calcul des effectifs à former s'appuie sur les spécificités locales. Aujourd'hui, il se base sur le nombre de professionnels de santé inscrits aux ordres, à l'échelle de la commune, faisant fi des spécificités infracommunales dans les grosses villes. Nous devons agir sur le nombre de professionnels formés et sur leurs spécialités. Notamment, il faut plus de médecins formés là où le taux de médicalisation est élevé et prendre en compte des indicateurs comme l'âge moyen des médecins en exercice, leur type d'activité et leurs perspectives de départ en retraite.

Il faudrait aussi évaluer l'impact du manque d'internes. Nice, cinquième ville de France, est à la 26e place pour le nombre d'internes formés. Les internes sont concentrés dans certains hôpitaux, on ne forme pas suffisamment de spécialistes sur place et on a recours à des faisant fonction d'internes, ainsi qu'à de coûteuses consultations transfrontalières.

Nous devons également veiller à ce que les étudiants formés hors de l'Union européenne atteignent des standards de connaissances et de compétences permettant d'exercer en France.

La territorialisation de notre système de santé doit être synonyme de décentralisation et s'appuyer sur l'expertise des élus locaux et des acteurs de santé. Ce n'est qu'en reconnaissant une autonomie locale que cette proposition de loi pourra déployer sa pleine et entière efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean Sol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale en octobre 2023 par le député Neuder, aujourd'hui ministre, va dans le bon sens, en répondant en partie aux besoins de santé de nos territoires.

La commission des affaires sociales l'a adoptée sans modification, car nos concitoyens attendent des réponses rapides. Un trop grand nombre d'entre eux - 11 % de la population - n'a pas de médecin traitant et ces pertes de chances créent un climat anxiogène.

Cette proposition de loi permettra aux ARS et aux CTS de demander aux universités d'accroître leurs capacités d'accueil. Elle précise la définition des objectifs pluriannuels, en les soumettant à un avis conforme des CTS, ce qui devrait améliorer l'implication des élus locaux.

Elle vise aussi à augmenter le nombre des étudiants en MMOP en favorisant le retour de ceux partis étudier ailleurs en Europe. Nous devrions être peut-être plus offensifs sur le sujet.

Enfin, il est question de développer les passerelles pour favoriser la diversité des parcours et permettre à des étudiants motivés de rejoindre ces études.

Je salue aussi les avancées sur les Padhue, grâce à la publication de deux décrets. En 2024, 4 000 postes ont été ouverts. Les modalités d'accès ont été simplifiées.

Certains autres sujets me semblent fondamentaux. La territorialisation d'abord, de la formation comme de la recherche. Dans les Pyrénées-Orientales, ce processus arrive à maturité, avec l'appui du centre hospitalier de Perpignan, de la faculté de médecine de Montpellier et de l'ARS Occitanie. C'est une démarche d'avenir, qui attire les étudiants dans les territoires sous-dotés.

Mais certains sujets restent en suspens : la charge administrative qui pèse sur les personnels médicaux, le serpent de mer du dossier médical partagé (DMP) et la proposition de la Cour des comptes de supprimer le Pass-LAS pour revenir à une voie unique d'accès à la formation. Ce texte est aussi l'occasion de s'interroger sur les milliers de praticiens partis se former à l'étranger. J'espère que cela fera l'objet d'autres propositions législatives ou réglementaires.

Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion des articles

L'article 1er est adopté.

Après l'article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°3 de Mme Brulin et du groupe CRCE-K.

Mme Céline Brulin.  - Nous voulons promouvoir les études de médecine dans les lycées publics et privés situés dans les déserts médicaux : c'est un enjeu de démocratisation des études de santé.

Une étude de la Drees note que les facteurs personnels pèsent fortement dans les choix d'installation. L'origine rurale d'un médecin, par exemple, déterminera son installation en zone rurale.

Cela permettra aussi de lutter contre l'autocensure des jeunes issus de zones rurales, de villes moyennes ou de milieu populaire qui croient que ces études ne sont pas pour eux.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Oui, il y a intérêt à promouvoir ces études dans tous les lycées, à la ville comme à la campagne.

Il n'est pas nécessaire de l'écrire dans la loi, mais votre amendement met le doigt sur cette question - ce dont je vous remercie.

Avis défavorable, car nous souhaitons un vote conforme.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Je souscris totalement à votre idée.

De nombreuses régions, compétentes en matière de formation, ont déjà prévu de telles actions de sensibilisation dans des lycées.

Je fais partie des 3 % qui auraient dû s'autocensurer, selon la Drees : je vous suis donc sur la mixité sociale.

Mais, pour les mêmes raisons que le rapporteur, retrait sinon rejet.

Mme Émilienne Poumirol.  - J'ai du mal à comprendre pourquoi notre amendement n°7 sera examiné ultérieurement, alors qu'il s'agit du même sujet.

La région Occitanie a développé de telles formations dans de nombreux lycées. Le besoin en infirmiers et en aides-soignants est aussi criant, avec le vieillissement de la population.

Je comprends la motivation de voter conforme, mais le groupe SER insiste : il faut orienter les gamins, avant Parcoursup, vers les métiers de la santé. Évitons que la médecine soit accaparée par les super prépas de boîtes privées, à l'origine d'inégalités criantes.

Il faut aider les régions à mettre en place ces formations.

Mme Céline Brulin.  - Les inégalités entre régions sont fortes : l'État doit jouer son rôle d'aménageur du territoire et de correcteur des inégalités sociales et territoriales.

J'aimerais entendre qu'il y a un effort national du ministre de l'éducation nationale, soutenu par le ministre de la santé, pour corriger ces inégalités.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Je partage cette idée d'engagement total. Nous y travaillons, par exemple avec le plan sur la santé mentale, élaboré avec Élisabeth Borne. De nombreux postes en santé scolaire ne sont pas pourvus, or le ministère de l'éducation nationale souhaite conforter la médecine scolaire. Nous partageons la volonté de rendre ces filières attractives pour que l'ensemble des postes de soignants soit pourvu, afin de repérer les enfants qui ont besoin de soins.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié de Mme Jouve et alii.

M. Michel Masset.  - Nous souhaitons offrir dans chaque département des formations équivalentes à la première année de médecine. Il existe une forte corrélation entre le lieu de formation initiale et le lieu d'installation. Cette mesure d'équité permettra de lutter contre l'autocensure et de répondre à la désertification médicale. Redonnons l'espérance d'un égal accès aux soins dans les territoires.

Mme la présidente.  - Amendement n°9 de Mme Poumirol et du groupe SER.

Mme Émilienne Poumirol.  - Nous devons permettre à chaque département, ou chaque ville moyenne, d'accueillir des premières années Pass-LAS.

Avec quelques collègues, nous avons tenté d'en ouvrir à Albi et à Foix, mais nous nous sommes heurtés au refus de la présidente de l'université Paul Sabatier qui prétend attendre la réforme du Pass-LAS pour le mettre en place...

Cela limiterait l'autocensure et remédierait aux difficultés liées à un déménagement vers la métropole dès 18 ans.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Sur la forme, voter l'amendement entraînerait une deuxième lecture, alors que nous avons l'opportunité d'accélérer l'entrée en vigueur de ce texte.

Sur le fond, la mesure est intéressante. Mais faut-il obliger ou seulement favoriser ? La Cour des comptes a montré que la qualité des formations dans les antennes départementales était disparate.

Quand l'université n'y est pas favorable, cela pose problème.

Implanter des formations au plus près des citoyens est une bonne chose. Mais quand il reste sept à huit ans à étudier ailleurs, je ne suis pas sûr que cela ait un impact. Il faut repenser la régionalisation de l'internat. (Mme Émilienne Poumirol acquiesce.)

Je m'engage à faire travailler la commission sur la première année et sur l'internat.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Le Gouvernement partage cette volonté de faire en sorte qu'un maximum de départements soient dotés de ces unités de proximité. La formation peut se faire aussi en visioconférence.

Je remercie le Sénat d'être sensible à l'objectif d'un vote conforme.

M. Jomier souhaitait aussi que sa proposition de loi fasse l'objet d'un vote conforme, alors que je voulais que le Parlement précise certains points. Sachez que j'ai saisi la Haute Autorité de santé (HAS) pour y travailler : la psychiatrie, les soins palliatifs et la gériatrie seront prioritaires, ainsi que les infirmiers et les aides-soignants.

Mme Émilienne Poumirol.  - Je vous remercie de faire avancer le texte de M. Jomier.

À Nevers, les résultats sont très intéressants, mais ce n'est pas le cas dans le Morbihan - je ne sais pas l'expliquer.

On peut faire des cours en visioconférence, car de toute façon les bancs des amphithéâtres de première année sont vides. Les conditions de réussite sont donc identiques. La seule différence entre Foix et Toulouse, c'est qu'à Toulouse il y a des centres d'entraînement privés.

M. Michel Masset.  - Je retire l'amendement n°1 rectifié, au vu des arguments du rapporteur et du ministre. J'espère être associé aux travaux annoncés.

L'amendement n°1 rectifié est retiré.

Mme Émilienne Poumirol.  - Je fais confiance au ministre et au rapporteur.

L'amendement n°9 est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°4 rectifié de Mme Brulin et du groupe CRCE-K.

Mme Céline Brulin.  - Dans la même logique, cet amendement vise à instaurer une année préparatoire publique aux études de médecine pour les lycéens des déserts médicaux. Mieux vaut un soutien public, plutôt qu'un soutien par d'onéreuses officines privées. C'est une piste à creuser, même si je n'ai pas beaucoup d'illusions sur le sort de cet amendement, s'agissant d'une demande de rapport...

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Merci d'avoir déposé cet amendement qui traite d'un sujet important. La mission de Véronique Guillotin, Khalifé Khalifé, Corinne Imbert et moi-même nous permettra d'avoir une vision globale. Avis défavorable.

M. Yannick Neuder, ministre.  - On peut aussi réussir sans les boîtes à khôlles que fréquentent bon nombre d'étudiants...

Cela dit, cette classe prépa ne devrait pas être une année supplémentaire, car les études de médecine sont longues : il faut désormais dix ans d'études pour médecine générale, contre huit à mon époque...

Retrait, sinon rejet.

Mme Émilienne Poumirol.  - Il ne s'agit pas d'une année supplémentaire, mais d'un accompagnement à la première année, par exemple le soir. Et cet accompagnement doit être public, car l'inégalité pointée par la Cour des comptes est scandaleuse : près de 62 % des étudiants font des classes prépas privées. Il faut avoir des parents qui aient des moyens suffisants pour payer ces 8 000 à 10 000 euros. C'est une véritable injustice.

Mme Anne Souyris.  - La plupart des LAS, avec des mineures santé pour des élèves ayant peu d'acquis scientifiques, sont en visioconférence. À la Sorbonne, les Pass sont en présentiel, tandis que les LAS sont en visioconférence ; c'est problématique, car cela accroît les inégalités.

L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°12 de Mme Souyris et alii.

Mme Anne Souyris.  - Cet amendement prévoit une formation par département, comme le préconisait la Cour des comptes. Mais j'ai entendu vos réponses : je le retire donc.

L'amendement n°12 est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°13 de Mme Souyris et alii.

Mme Anne Souyris.  - Certains jeunes s'estiment insuffisamment formés en matière scientifique pour faire médecine. D'où une reproduction sociale des enfants de médecins. D'autres choisissent d'étudier à l'étranger ou de suivre des cours privés, ce qui renforce l'élitisme. Il faut remettre à niveau scientifique les jeunes qui se sentent moins forts dans ces disciplines.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Retrait, sinon avis défavorable à cette demande de rapport. Cela fera partie de notre réflexion, comme le tutorat, pour démocratiser les études de médecine.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Même avis. En Auvergne-Rhône-Alpes, j'ai ouvert des formations de première année dans certains départements, ce qui a permis de diversifier les profils sociaux, en éliminant les difficultés de logement et les frais de transport.

En LAS, vous n'avez pas l'environnement scientifique. Se retrouver dans une filière de droit avec une mineure santé pose question. Par exemple, imposerait-on à un étudiant qui voudrait faire du droit de faire médecine avec une mineure en droit ? Nous travaillons avec Philippe Baptiste sur la réforme du système Pass-LAS.

Mme Émilienne Poumirol.  - Il faut réformer ce premier cycle en santé.

Deux de mes amendements ont été jugés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution, car en augmentant le nombre d'étudiants, ils augmentaient les dépenses des facultés. Or la proposition de loi vise justement à former plus de médecins. C'est cocasse...

L'amendement n°13 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté, de même que l'article 3.

Après l'article 3

Mme la présidente.  - Amendement n°7 de Mme Poumirol et du groupe SER.

Mme Émilienne Poumirol.  - Défendu.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - C'est une demande de rapport, donc avis défavorable.

La loi Valletoux permet l'expérimentation. Je propose qu'on évalue les deux expérimentations de l'option santé, pour éventuellement les généraliser. Nous avions soutenu cette démarche au Sénat.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Je souscris à la proposition de Philippe Mouiller.

L'option santé, c'était quatre académies initialement : Bordeaux, Metz-Nancy, Toulouse et Montpellier. Puis sept autres : Amiens, La Guyane, Lille, Mayotte, Nantes, Orléans-Tours et Rennes.

Nous sommes favorables à une évaluation, à laquelle mon ministère contribuera rapidement. Retrait, sinon rejet.

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°14 de Mme Souyris et alii.

Mme Anne Souyris.  - Créons de véritables passerelles entre professions de santé. Cet amendement s'inspire d'une note de législation comparée entre six pays européens qui a mis en lumière tout l'intérêt d'un tel système. Il faudrait soutenir financièrement une telle mesure, grâce à différents fonds.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Malgré l'intérêt du sujet, il s'agit d'une demande de rapport. Retrait.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Nous pourrions aller plus loin en matière de passerelles. J'ai vu des ingénieurs diplômés de Centrale devenir médecin. En tant que vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, j'ai créé un double cursus entre Centrale et les études de médecine. Alors que les jeunes souhaitent donner du sens à leur métier, il faut par exemple aider les ingénieurs à se réorienter vers les métiers médicaux - leurs compétences scientifiques peuvent être notamment utiles en intelligence artificielle, en radiologie ou en recherche.

Retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement n°14 n'est pas adopté.

L'article 3 bis est adopté, de même que l'article 4.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements)

M. Philippe Mouiller, président de la commission.  - Je regrette une nouvelle fois l'absence de Khalifé Khalifé. Le député Neuder est satisfait, il finit son travail ; mais le ministre Neuder ne fait que le commencer ! (Sourires) Sans moyens, un tel texte ne pourra être mis en oeuvre. Le député Neuder aurait été heureux d'entendre le ministre Neuder prendre des engagements. (M. Yannick Neuder sourit.)

M. Yannick Neuder, ministre.  - Je me félicite du vote de cette proposition de loi, et je remercie le président Mouiller et le rapporteur Khalifé Khalifé. Les déserts médicaux s'expliquent notamment par le manque de médecins formés. Nous venons de voter un électrochoc en faveur de la formation : la suppression du numerus apertus, qui n'était pas à la hauteur de nos attentes.

Nous ne réussirons pas sans les universités - c'est grâce à la Conférence des doyens que nous pourrons mettre en place ces mesures concrètement. Nous travaillerons avec Philippe Baptiste pour ancrer cette réforme, tout comme nous travaillons sur la réforme Pass-LAS.

J'imagine que les étudiants français en Roumanie ou en Espagne sont heureux d'apprendre qu'ils pourront être réintégrés dans le cursus national. Plus de 1 600 étudiants partent étudier à l'étranger chaque année et quelque 5 000 à 15 000 étudient à l'étranger. Si ces jeunes sont capables de partir au Maroc ou en Suisse à l'âge de 18 ans, la France doit leur offrir des conditions attractives pour revenir.

Ce n'est pas une rupture du principe de l'égalité des chances entre étudiants ; nous devons simplement affirmer qu'un concours trop sélectif ne doit pas décourager notre jeunesse de s'engager dans des études en santé. La France, septième puissance mondiale, ne peut pas se satisfaire que 50 % de ses dentistes soient formés à l'étranger.

Nous devons améliorer la formation initiale et continue - au moyen des passerelles - pour rendre ces études accessibles à tous, quel que soit le niveau social, et partout. Ainsi nous diversifierons les profils des professionnels de santé.

La séance est suspendue quelques instants.

Sécurité des professionnels de santé (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure pour le Sénat de la CMP .  - Je me réjouis que cette proposition de loi de Philippe Pradal arrive au terme de son parcours législatif. Elle répond à des attentes fortes - un cri d'alerte - de nos professionnels de santé.

La reconnaissance de la société à ceux qui se dévouent pour les autres est l'un des piliers du vivre ensemble. C'est pourquoi la banalisation de la violence contre le personnel soignant doit être jugulée.

La commission des lois a été particulièrement attentive à la qualité juridique des mesures. Certaines d'entre elles, consensuelles mais déjà satisfaites, ont été remaniées voire supprimées, afin d'éviter une loi bavarde.

Le texte issu de la CMP est proche de la version adoptée par le Sénat. Malgré un regret à l'article 2, la version est respectueuse du vote des deux chambres.

Je vous présente les modifications issues de la CMP.

À l'article 1er, qui étend la protection accordée aux professionnels de santé depuis 2003 à l'ensemble des personnels travaillant dans les établissements de santé, nous avons précisé deux dispositifs introduits au Sénat. Ainsi, cet article limite les circonstances aggravantes pour les agressions sexuelles aux faits dont les soignants sont victimes et les rétablit pour les vols dans les établissements de santé.

L'article 2 relatif au délit d'outrage est maintenu dans sa rédaction issue du Gouvernement et du groupe RDSE. Mais j'aurai deux réserves. Premièrement, l'outrage est lié à l'exercice d'une mission de service public - or tout n'est pas service public. Deuxièmement, la rédaction est imparfaite, car elle ne protégera pas de la même manière tous les personnels de soins.

Nous avons remanié l'article 2 bis A : tous les ordres pourront se constituer partie civile, et non pas seulement l'ordre des pharmaciens, comme l'avait proposé Mme Imbert.

Les articles 2 bis et 3 facilitent les dépôts de plainte pour le compte d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel. L'article 3 n'a fait l'objet que de légères modifications rédactionnelles. Nous avons trouvé une rédaction de compromis sur l'article 2 bis. Les libéraux pourront déclarer leur adresse professionnelle lors d'un dépôt de plainte, ce qui met fin à une inégalité.

Nous avons maintenu la suppression de l'article 3 bis. La présentation devant le conseil d'administration d'un bilan des actes de violence commis au sein de l'établissement représentait une charge administrative trop importante.

L'article 3 bis A rétablit la plénitude du régime de la protection fonctionnelle des agents publics -  les remarques du Conseil constitutionnel ont été prises en compte.

Adoptons ce texte de compromis qui - je l'espère - répondra aux attentes des soignants.

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - Je rends hommage à l'engagement des parlementaires de tous horizons qui se sont investis sur ce sujet, notamment Philippe Pradal, à l'origine de ce texte.

Le plus grand danger pour une société est de s'habituer à la violence. Nous la refusons fermement. Ce texte proclame haut et fort qu'il n'y a pas de petite violence, de violence banale. Tout coup, toute menace, toute blessure envers un professionnel de santé est une attaque en règle envers notre système de santé.

Cette proposition de loi envoie un message fort adressé à nos soignants et à ceux qui concourent aux soins : l'État est à vos côtés ; nous serons intransigeants. Aux agresseurs, nous leur disons : nous ne laisserons rien passer. Ainsi, nous protégeons ceux qui protègent, ceux qui prennent soin de notre santé.

Chaque jour, soixante-cinq professionnels de santé sont agressés dans notre pays. Médecin, chef de pôle, j'étais inquiet pour mes équipes ; élu local, j'ai vu la détresse de certains professionnels de santé ; député, j'ai porté des propositions législatives à ce sujet. Pour le ministre de la santé que je suis, c'est une priorité incontournable.

En janvier, je me suis rendu à Annemasse aux côtés d'une communauté bouleversée, où quatorze soignants ont été agressés : j'y ai pris l'engagement solennel que de nouvelles mesures seraient prises d'ici à septembre 2025. (M. Cyril Pellevat le confirme.) C'est aussi un engagement fort du pacte de lutte contre les déserts médicaux.

Je souhaite marquer un tournant décisif dans la lutte contre ces violences, avec pour seul mot d'ordre : tolérance zéro.

L'enveloppe de 25 millions d'euros pour la sécurisation des établissements de santé est reconduite en 2025. Nous poursuivrons les campagnes de communication et de sensibilisation, dans la continuité du plan pour la sécurité des professionnels de santé, lancé en septembre 2023 par Mme Firmin Le Bodo.

En ville ou à l'hôpital, médecins, étudiants, infirmiers, paramédicaux se sont engagés à ce sujet.

L'Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) 2.0 sera non pas une chambre d'enregistrement, mais une instance de suivi, d'écoute et d'orientation. Il intégrera les violences sexistes et sexuelles (VSS), qui ont longtemps fait l'objet d'une certaine omerta dans le monde de la santé.

Je pense aussi aux soignants en exercice libéral, qui doivent bénéficier de dispositifs de protection efficaces. Je pense à l'engagement des élus locaux, qui jouent un rôle important grâce à la police municipale et à la vidéosurveillance. Les boutons d'alerte, qui permettent aux soignants de donner l'alerte, fonctionnent bien ; ils se développent en Haute-Vienne et en Guyane.

Prévenir est indispensable, mais il faut aussi durcir notre réponse pénale lorsque les violences surviennent. Tolérance zéro, oui, mais aussi zéro impunité. Le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice partagent cet objectif. Ce texte traduit ce principe dans notre droit.

Afin de ne laisser aucun répit aux auteurs de violence, nous renforçons notre réponse pénale selon trois axes : peines aggravées en cas de violence ou de vol en milieu de santé ; répression des violences contre tous les personnels, à l'hôpital comme en ville ; répression plus ferme des violences verbales ou insultes contre les soignants ou envers des personnels des structures médicales.

Une insulte n'est jamais anodine. Il faut briser la spirale de la violence très rapidement. C'est pourquoi je salue la création d'un délit d'outrage élargi à l'ensemble des professionnels.

Enfin, nous facilitons le dépôt de plainte. Pour les professionnels victimes de violence, c'est une épreuve difficile ; certains craignent des représailles. Le texte ouvre la possibilité à l'employeur de déposer plainte à la place du soignant pour certaines infractions. Hôpitaux, cliniques, Ehpad, mais aussi laboratoires, pharmacies et cabinets sont concernés.

Pour les libéraux, les organismes représentatifs autorisés à porter plainte seront précisés par décret - il sera publié rapidement.

Le dépôt de plainte doit être un réflexe en cas d'agression. Je travaille avec le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux pour mettre en place un dispositif de visioplainte pour les soignants victimes d'agression.

Vous l'aurez compris, face aux violences physiques, verbales ou numériques, je n'ai qu'une seule ligne - la fermeté - et un mot d'ordre - tolérance zéro.

Ce texte apporte une réponse à la hauteur de l'engagement de nos soignants et de ce que nous leur devons.

Mme Anne Souyris .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Nous nous exprimons sur cette proposition de loi dans sa version issue de la CMP. Depuis avril dernier, le GEST a porté une ligne claire.

La sécurité des professionnels de santé est un enjeu majeur. Toute violence contre les soignants est un acte inacceptable. Ils méritent la reconnaissance de la nation au regard de leurs conditions de travail, difficiles.

Mais cette proposition de loi n'est pas à la hauteur, car elle ne prévoit aucune mesure de prévention.

Le rapport Masseron-Nion de 2023 prévoit quarante mesures en la matière, notamment pour accompagner et soutenir les victimes, préparer les futurs professionnels et avoir une meilleure information. Mais aucune ne figure dans ce texte.

M. le ministre a annoncé une enveloppe budgétaire pour sécuriser les établissements. Venez nous présenter en commission l'utilisation de cette enveloppe !

L'aggravation des peines dissuadera-t-elle les auteurs de violences ? Je ne le crois pas. Quelque 22 % des signalements concernent la psychiatrie, 12 % les services d'urgence ; ce sont des services en forte tension en raison de l'activité soutenue et de la présence de patients souvent anxieux, dépressifs ou suicidaires.

Pour prévenir les violences contre les soignants, une des clés est d'améliorer la santé mentale des patients.

Il faut aussi distinguer les violences préméditées. Je pense aux menaces de mort, en particulier celles proférées vraisemblablement par des personnes d'extrême droite contre des soignants d'un Caarud (centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) dans le centre de Paris. Finalement, le centre a fermé, car l'État ne pouvait assurer la protection des soignants. Le soin a plié devant la violence. L'État doit protéger les soignants et les soignantes. Là encore, cette proposition de loi n'y fera pas grand-chose.

Le GEST partage l'objectif, mais regrette le manque d'ambition de ce texte. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Hussein Bourgi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER salue l'accord obtenu en CMP et votera ce texte.

Les personnels de santé, à l'hôpital, dans leur cabinet médical, chez leurs patients ou sur la voie publique, subissent des violences intolérables. Je salue les échanges avec la rapporteure et le ministre.

Des mesures sont positives, comme le dépôt de plainte au nom du professionnel victime, l'aggravation du quantum de peine ou encore la création d'un délit d'outrage. Toutefois, nous dénonçons la logique quasi exclusivement répressive de ce texte.

Ne nous méprenons pas, la réponse pénale est un outil utile, mais cela ne masque pas le manque criant de moyens, source des tensions que subissent les soignants. Quand les services d'urgence sont saturés, que les conditions de travail se dégradent, il est inévitable d'avoir des situations d'exaspération débouchant sur des faits de violence. Ce contexte anxiogène ne justifie en rien ces violences, mais il constitue un facteur aggravant que nous devons prendre en compte.

Ce texte reste silencieux sur les moyens accordés aux hôpitaux publics, notamment aux hôpitaux psychiatriques et aux urgences. Monsieur le ministre, chaque année, un pic estival de tensions est observé dans les services hospitaliers, notamment aux urgences. Nous réaffirmons donc avec force la nécessité d'un investissement important en faveur des hôpitaux.

La réponse répressive doit s'inscrire dans une politique plus large fondée sur la prévention et le soutien humain et financier.

Nous vous donnons rendez-vous lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Vous connaissez très bien les besoins de l'hôpital public. Beaucoup d'espoirs se portent sur vous qui êtes issu de la profession. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Ce texte est d'une importance capitale pour la protection de nos soignants ; nous nous réjouissons de l'accord en CMP.

En moyenne, soixante-cinq professionnels de santé sont victimes chaque jour d'agressions physiques et verbales. Le groupe Les Indépendants les assure de tout son soutien. Ces agressions sont des atteintes à notre pacte social. Le 12 mars dernier, journée européenne contre les violences faites aux soignants, un mouvement d'ampleur est venu dénoncer ces agressions.

Le pays fait face à une pénurie de soignants, aussi devons-nous améliorer leurs conditions de travail. Je leur rends hommage et les assure de notre mobilisation.

Ce texte s'inscrit dans la suite du plan présenté par Agnès Firmin Le Bodo en 2023. Je la salue, tout comme Philippe Pradal et Anne-Sophie Patru, ainsi que Corinne Bourcier, Daniel Chasseing et Vincent Louault, qui ont déposé des amendements.

L'aggravation des peines encourues pour des faits de violence est une des mesures phares du texte. Le dépôt de plainte est facilité. C'est essentiel pour poursuivre les auteurs de violences et protéger les professionnels. L'extension du délit d'outrage était aussi nécessaire.

Le groupe INDEP soutient cette proposition de loi. Nous veillerons à l'application des mesures. Il en va de la sécurité des soignants. Une société qui ne protège pas ceux qui s'engagent pour le bien commun n'est pas une société fonctionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)

Mme Muriel Jourda .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.) Nous nous faisons souvent reprocher de légiférer en réaction à des faits divers. Ce n'est pas le cas en l'espèce ; les agressions envers les soignants sont nombreuses et caractérisées. Il est normal que la représentation nationale s'empare du sujet.

Que faire ? D'abord faciliter le dépôt de plainte : les libéraux pourront donner leur adresse professionnelle, et l'employeur, l'Ordre ou les unions régionales des professionnels de santé (URPS) pourront porter plainte pour la victime ; l'Ordre pourra aussi se constituer partie civile.

Un regret : nous préférions le délit d'injure à celui d'outrage.

Avec l'aggravation des peines, nous envoyons un signal fort de solidarité aux personnels de santé, mais aussi à la justice. Nos textes n'ont de sens que s'ils sont mis en oeuvre. La représentation nationale et à travers elle le peuple français ne supportent plus ces agressions répétées ; il convient de rendre réelles et dissuasives les sanctions prévues. Ce texte répond à ces attentes, aussi le groupe Les Républicains votera ces conclusions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)

Mme Salama Ramia .  - Protéger ceux qui nous soignent quand ils craignent pour leur sécurité est l'exigence minimale d'une société digne. L'objet de la proposition de loi est louable : protéger les professionnels de santé et l'ensemble des personnes qui travaillent dans les établissements de santé.

Le rapport de l'ONVS de 2022 dresse un bilan alarmant pour 2021 : 19 328 actes de violence ont été recensés, dont plus de 50 % pour des violences physiques et menaces avec une arme et près de 30 % pour insultes et injures. Il fallait se doter d'un cadre efficace et dissuasif en renforçant l'arsenal répressif.

Ce travail initié par les députés Horizons est complémentaire du plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé de 2023.

La CMP a été conclusive et a maintenu une grande part du travail du Sénat.

L'article 1er maintient l'aggravation des peines pour les vols et violences commis dans les établissements de santé. Il en est de même pour l'extension du délit d'outrage à l'article 2. Nous saluons le compromis de l'article 2 bis A, qui permet à tous les ordres professionnels de se porter partie civile, tout comme nous saluons les ajustements sur l'article 3.

Nous saluons ce travail pragmatique et équilibré. Nous devons garantir la protection des soignants dans l'exercice de leurs fonctions ; nous leur devons ce soutien, dans l'Hexagone et en outre-mer.

Le RDPI votera ce texte. (Mme Corinne Bourcier applaudit.)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Voilà deux ans, l'assassinat de Carène Mézino dans le Grand Reims nous alertait avec horreur. Il y a trois mois, à Strasbourg, un homme a agressé un psychiatre et trois infirmières. Il y a deux mois, un médecin généraliste a été menacé de mort et a vu son cabinet dégradé. Cette violence est quotidienne et s'inscrit partout, elle est devenue une réalité que nous ne pouvons plus ignorer.

Nous saluons l'initiative de M. Pradal et le travail de Mme Patru.

Ce travail s'inscrit dans la continuité du plan du Gouvernement pour la sécurité des soignants. La prise de conscience est désormais partagée, la parole se libère ; ce travail a permis de nommer ce que beaucoup taisaient.

L'article 1er étend la protection prévue depuis 2003 pour les professionnels de santé à l'ensemble des personnes travaillant dans les établissements de santé. Cette clarification indispensable a permis d'identifier la diversité des personnes touchées.

Sur l'article 2, nous avions défendu la réintroduction du délit d'outrage, que nous préférions à celui d'injure. Les insultes ne relèvent plus de l'anecdote, mais sont sanctionnées. C'est un signal fort.

L'article 2 bis A permet aux ordres de se porter partie civile. Cela rappelle la disposition proposée par Nathalie Delattre afin de soutenir les élus victimes d'agression. Ce mécanisme est bienvenu dans un contexte de sous-signalement des agressions.

L'article 3 élargit le dépôt de plainte par les employeurs, les ordres ou les URPS. J'espère que nous pourrons rompre cette spirale de silence et d'impunité. C'est un appel lancé aux ordres : la responsabilité de la protection ne peut reposer sur les seules épaules de la victime.

Ce texte est le fruit d'un échange constant entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Ce n'est pas un remède miraculeux, mais une réponse concrète et légitime. Le RDSE le votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) C'est avec une véritable satisfaction que nous arrivons au terme de l'examen de cette proposition de loi.

Anne-Sophie Patru a veillé au maintien des mesures essentielles, en les sécurisant juridiquement.

Trop de professionnels de santé sont victimes d'insultes, de menaces : c'est inacceptable. Le soutien aux soignants durant le covid semble bien loin. Selon l'ONVS, 21 000 actes ont été recensés en 2024, soit 55 par jour. Les signalements augmentent de 6,6 % en 2024 par rapport à 2023 et de plus de 27 % pour les seuls médecins. Ces chiffres suffisent à montrer l'ampleur du phénomène pour les soignants, qui ne font que servir les autres.

Le drame du décès de Carène Mézino et l'agression de quatorze soignants en Haute-Savoie rappellent les conséquences dramatiques de ces actes. Comment ne pas faire le lien avec les violences faites aux élus, aux forces de l'ordre et aux pompiers ? Nous devons y répondre.

Extension du délit d'outrage, circonstance aggravante en cas d'agression sexuelle sur un professionnel de santé, dépôt de plainte par l'employeur avec l'accord de la victime sont autant de mesures utiles.

Nous garantissons le même niveau de protection pour tous les professionnels, qu'ils travaillent dans un hôpital public ou en libéral. Tous les lieux de soins sont concernés.

J'espère que la prise en charge des signalements des violences sera améliorée, tout comme la sécurité des personnels.

Le texte ne réglera pas tout. Nous devons apporter une réponse plus globale et appliquer rigoureusement les lois existantes. Nous devons continuer à prévenir la violence dès l'enfance et travailler sur les conditions d'exercice, notamment à l'hôpital.

Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE)

Mme Silvana Silvani .  - Selon le baromètre 2025 de la Mutuelle nationale des hospitaliers, la santé psychologique des soignants est des plus préoccupantes. Ils sont exposés à des situations de stress spécifiques entraînant souvent un sentiment de ne pas faire convenablement son travail. Les incivilités et, parfois, les violences physiques constituent un facteur important de tensions, notamment parmi les femmes.

Les trois quarts des soignants estiment avoir un volume de travail trop important, 59 % estimant même ne pas être en mesure de tout faire convenablement. Des facteurs de stress organisationnel jouent également, sans parler de la violence physique : 54 % des soignants sont confrontés à des violences au travail et 30 % à l'agressivité physique de certains patients. La violence au travail qu'ils subissent est supérieure de vingt points à celle à laquelle les autres salariés sont confrontés. Les deux tiers rencontrent au moins une situation de violence dans le cadre de leur pratique.

Nous espérons que le texte sur lequel s'est accordée la CMP apportera une réponse à l'insécurité des professionnels de santé, mais restons sceptiques sur l'efficacité de la surenchère répressive.

Les patients sont souvent juridiquement irresponsables : aggraver les sanctions n'aura aucun effet dans ces cas. Il faut s'attaquer aux racines du problème : les dysfonctionnements, qui ne sont pas nouveaux, du système de santé - c'est le sens du rapport Masseron-Nion. Face aux insultes, outrages, dégradations et agressions physiques, nous devons nous assurer que les directions d'établissement soutiennent et protègent les victimes.

L'article 3 bis A tire les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel en rétablissant intégralement la protection fonctionnelle des agents. En première lecture, notre amendement visant le même objet avait été déclaré irrecevable. Nous nous félicitons de cette base légale redonnée à la protection fonctionnelle des agents de la fonction publique hospitalière.

Le groupe CRCE-K votera en faveur de ce texte.

Mme la présidente.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

La proposition de loi est adoptée.

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Le cheminement parlementaire qui s'achève sur cette proposition de loi importante honore l'Assemblée nationale et le Sénat. Je mesure la portée de l'acte législatif : il s'agit d'inscrire la notion de consentement dans la définition pénale du viol. C'est un texte de civilisation, d'humanité et d'espoir.

La justice française s'est construite par de tels moments où la loi s'élève pour faire cesser l'intolérable. Cette proposition de loi brise un tabou et nomme ce que des victimes ont vécu dans l'incompréhension et la solitude.

À la faveur de drames récents, la société française a ouvert les yeux sur l'ampleur et la banalité de certaines violences. Le courage de Gisèle Pelicot, la mobilisation des associations, la parole libérée invitent la représentation nationale à légiférer.

Ce texte est le fruit d'un travail parlementaire exemplaire, transpartisan et rigoureux. Je salue les deux rapporteurs, qui ont mené ce combat sans esprit partisan, ainsi que la commission des lois et la délégation sénatoriale aux droits des femmes.

Le viol est aujourd'hui défini par quatre critères : violence, contrainte, menace, surprise. La notion de consentement est absente de cette définition - certaines associations étaient d'ailleurs défavorables à son introduction. Cette proposition de loi fait du consentement la pierre angulaire de la liberté sexuelle. Il devra être libre, spécifique, préalable et révocable. Il ne pourra être déduit du silence ou de l'absence de résistance.

C'est un changement de paradigme décisif : jusqu'ici, la victime devait prouver qu'elle avait suffisamment résisté ; désormais, la volonté ou non d'obtenir l'accord éclairé de la personne aidera la justice.

Il faut rassurer les professionnels du droit, magistrats et enquêteurs : ce texte ne contractualise pas la sexualité ni ne remet en cause la présomption d'innocence. Il s'agira d'apprécier au cas par cas la réalité du consentement, en tenant compte du contexte - le Gouvernement a émis un avis de sagesse sur l'amendement substituant la notion de « contexte » à celle de « circonstances particulières ».

Au-delà de la répression, je crois, comme la ministre Bergé, que cette proposition de loi a une vocation éducative pour la société. Il s'agit d'irriguer notre culture commune et nos moeurs de l'idée qu'aucun acte sexuel ne peut être imposé et que le consentement ne se présume pas, mais se recherche et se respecte. Il faut éduquer, en particulier les hommes. Nous devons nous interroger sur ce que nous voulons transmettre à nos enfants au sujet de la liberté, du désir, du respect de l'autre, de la beauté de l'amour et de la sexualité.

Pleinement en accord avec le cadre issu de la convention d'Istanbul, ce texte s'inscrit aussi dans la diplomatie féministe voulue par le Président de la République. Il prolonge notre engagement pour la protection des mineurs contre l'inceste, la prostitution des enfants et toutes les formes de violences sexuelles. Il permet à la France de défendre sur la scène internationale une définition exigeante du consentement.

Garde des sceaux, je sais la nécessaire prudence qu'impose toute modification du droit pénal. Il appartient désormais aux magistrats et aux enquêteurs de faire vivre ce texte et au Parlement de l'évaluer.

Je salue la détermination des parlementaires et la vigilance du Conseil d'État, ainsi que le travail des éducateurs, soignants et professionnels du droit qui, chaque jour, accompagnent les victimes, préviennent les violences et font vivre la justice.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous écrirez ce soir une page importante de notre histoire pénale. La liberté sexuelle est un droit fondamental ; le respect de l'autre, la condition de la civilisation ; et la présomption d'innocence, une garantie indispensable. Faisons triompher la liberté sur la violence, la justice sur le silence. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations .  - Le consentement est au coeur de notre combat contre les violences sexuelles. Il est à la fois une évidence et un concept souvent déformé ou caricaturé. De fait, il dérange, parce qu'il est lié à une réalité occultée : dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur - ce n'est pas un inconnu tapi dans l'ombre, mais un mari, ex-conjoint, parent, ami ou collègue.

Cette proximité nourrit des doutes insupportables : pourquoi n'a-t-elle pas crié, ne s'est-elle pas débattue, n'a-t-elle rien dit plus tôt ? Au-delà de la brutalité physique, la sidération, la honte et les abus d'autorité sont autant de chaînes qui paralysent, parfois pour longtemps.

L'absence de cri ou de résistance n'établit pas un consentement. Ne pas dire non, ce n'est pas dire oui.

Nous vivons un moment charnière dont le procès de Mazan est le symbole et Gisèle Pelicot, le visage. Droguée par son mari pendant dix ans, elle a été considérée comme une « poupée de chiffon » par ses agresseurs, cinquante et un hommes aux visages terriblement ordinaires. L'horreur a un visage familier. À leur procès, ces hommes se sont présentés masqués : avaient-ils honte d'eux-mêmes ou d'avoir été interpellés ?

Ce procès nous oblige : il doit y avoir un avant et un après. Nous devons aux victimes de nous hisser au niveau du courage de Gisèle Pelicot et de toutes les femmes qui, parfois, portent plainte et, parfois, renoncent par peur de l'épreuve d'une procédure judiciaire.

En 2021, nous avons clarifié les choses : avant 15 ans, il ne peut y avoir de consentement ; c'est toujours non - un interdit absolu.

Avec ce texte, nous affirmons que consentir, c'est dire oui, explicitement et librement, sans contrainte ni ambiguïté. Ne laissons pas caricaturer cette exigence en bureaucratisation du désir ou prétendu contrat avant chaque relation sexuelle. Il s'agit de protéger, de reconnaître, de rendre justice.

Le viol est un crime qui brise et anéantit. Ce texte, auquel le Président de la République s'était formellement engagé, marque une avancée majeure. Je remercie tous les parlementaires qui se sont engagés avec force, à commencer par les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, ainsi que les rapporteures Elsa Schalck et Dominique Vérien, votre délégation aux droits des femmes, qui a organisé un colloque sur le consentement, et votre commission des lois, qui a publié un rapport sur la récidive du viol.

Éclairés par le Conseil d'État, ces travaux aboutissent à une rédaction qui encadre et sécurise : le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Libre, parce qu'une femme qui craint de perdre son emploi ou une jeune fille face à son entraîneur est dans une position qui la contraint. Éclairé, car comment consentir quand on est droguée, ivre ou sous l'emprise d'un mari violent ? Spécifique, parce que consentir à un acte n'est pas consentir à tous les actes et que nul n'a le droit de disposer du corps d'autrui. Préalable et révocable : dire oui ne vaut pas pour toujours. Le consentement devra être apprécié dans son contexte. En mettant la lumière sur les stratégies de coercition, nous voulons dénoncer ceux qui profitent de la vulnérabilité des autres.

Le combat contre toutes les formes de violence appelle une réponse globale et structurée. Nous avons lancé un groupe de travail réunissant l'ensemble des forces politiques représentées au Parlement afin de préparer une loi-cadre sur les violences sexuelles et intrafamiliales. Pour éradiquer ces fléaux, l'unité républicaine est souhaitable et possible. Nous devons opérer collectivement un changement culturel. La culture du viol doit être combattue sans cesse, quand un agresseur est excusé, qu'un non est interprété comme un peut-être ou qu'on insinue qu'« elle l'a bien cherché ». Nous devons éradiquer les mécanismes de domination, éduquer, refuser la complaisance et le déni.

Ce texte est un pas décisif vers une véritable culture du consentement. Il ne changera pas tout, mais marquera un tournant. Le corps des femmes leur appartient. L'important n'est pas ce que l'agresseur croit, mais ce que la victime veut. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Il n'est point d'acte sexuel licite s'il n'est consenti, or céder à la menace, à la violence ou la pression n'est pas consentir. Se taire ou se laisser faire, non plus - ni se résigner lorsqu'un refus, réitéré des dizaines de fois, n'est pas entendu. C'est trop souvent être dans un état de sidération qui ne permet pas de se défendre.

Avec cette proposition de loi des députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, dont je salue la présence dans nos tribunes, il s'agit d'introduire une référence explicite à la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles au sens large, viol compris. Les acquis de notre droit et de la jurisprudence sont conservés - les quatre pivots que sont la violence, la menace, la contrainte et la surprise. Ces orientations font consensus.

Ce texte a une portée interprétative. Il inscrit dans le code pénal les principes dégagés par la Cour de cassation, qui reconnaît la centralité du consentement depuis l'arrêt Dubas de 1857.

Enrichie par les députés à la lumière d'un avis particulièrement précis du Conseil d'État, la proposition de loi transmise au Sénat était extrêmement aboutie. La commission s'est bornée à deux modifications : unifier le périmètre matériel du viol quel que soit l'âge de la victime, pour que les mineurs ne soient pas dans une situation moins favorable que les majeurs ; préciser les conditions d'appréciation du consentement en substituant à la notion de « circonstances environnantes », issue de la Convention d'Istanbul mais inconnue en droit français, celle de « contexte », pour éviter des difficultés de mise en oeuvre et des effets de bord préjudiciables aux victimes.

Notre rédaction constitue un point d'équilibre. Le droit pénal ne doit être modifié que d'une main tremblante. Si nous commettons une erreur de droit, les victimes en feront les frais. (Applaudissements à droite, au centre et sur plusieurs travées du groupe SER)

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je souscris aux propos d'Elsa Schalck. On ne doit toucher à la loi pénale que d'une main tremblante, en en mesurant les effets. Les conséquences d'une censure prononcée dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité sont dévastatrices pour les victimes.

La commission a donc émis un avis défavorable ou une demande de retrait sur les amendements de portée juridique incertaine, sans nier l'importance des sujets soulevés - soumission chimique et prostitution des mineurs de moins de 15 ans, notamment. Il n'est pas raisonnable de modifier la loi pénale sans avoir mené l'ensemble des travaux requis.

Mme Laurence Rossignol.  - Ils sont menés depuis longtemps...

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Un travail législatif préparatoire nous permet de peser tous les arguments avec sérieux pour rester les gardiens de l'intérêt général. La présente proposition de loi est le fruit d'un rapport sur lequel Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin ont travaillé pendant plus d'un an et, malgré cela, son examen a conduit à des modifications substantielles pour en garantir la solidité. Je souhaite que le Gouvernement s'engage à laisser au Parlement le temps de mener un travail spécifique, en particulier sur la soumission chimique.

De même, nous avons émis un avis défavorable sur les amendements possiblement contraires à des principes constitutionnels, notamment visant à ériger en éléments constitutifs du viol des situations aujourd'hui constitutives de circonstances aggravantes. Ce cumul serait contraire au principe de légalité des délits et des peines. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Rossignol le contestent.) Enfin, nous avons réservé un sort identique aux amendements précisant, de bonne foi mais à l'excès, la définition du viol et des autres agressions sexuelles.

Mme Laurence Rossignol.  - Bref, à tous les amendements de l'opposition...

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - La loi pénale étant d'interprétation stricte, tout ajout est de nature à limiter les marges de manoeuvre du juge, donc à dégrader l'effectivité de la répression.

Nous avons émis un avis défavorable sur les amendements qui, ...

Mme Laurence Rossignol.  - Dites « tous les amendements », on gagnera du temps !

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - ... sans être dépourvus de lien indirect avec le texte, en dépassent largement le cadre. Je pense aux amendements remettant en cause l'équilibre de la loi du 21 avril 2021 sur les critères du viol entre majeurs et mineurs ou modifiant en profondeur le régime de la prostitution. Ces débats peuvent être rouverts, mais sur le fondement d'une évaluation du droit en vigueur.

Ce texte marque un moment charnière dans la lutte contre les violences sexuelles. Par son caractère interprétatif, il nous oblige à une forme de modestie : le législateur ne peut pas tout et les grands bouleversements ne passent pas forcément par des textes. Pour mieux réprimer les agressions sexuelles, il faut des moyens supplémentaires pour les enquêtes et des formations pour les policiers, les gendarmes et les magistrats. Surtout, il faut inciter les victimes à porter plainte sans tarder en les persuadant qu'elles seront entendues et protégées.

Mme la présidente. - Veuillez conclure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - L'incidence de la loi sur la réalité ne se mesure pas à la longueur ou à la complexité des textes. Alors que 230 000 femmes se déclarent victimes d'agressions sexuelles chaque année et que seules quelques milliers de condamnations sont prononcées, les marges de progrès sont immenses.

Mme la présidente. - Je vous demande de conclure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - C'est donc avec rigueur et la gravité que le sujet nous impose que nous avons conforté ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)

La séance est suspendue à 20 h 05.

Présidence de M. Xavier Iacovelli, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quelque 90 % des femmes violées ne déposent pas plainte ; 80 % des plaintes font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite ; 1 % des violeurs sont condamnés. Ces chiffres doivent nous obséder, pour trouver la meilleure façon d'amener les femmes à déposer plainte, les parquets à poursuivre et les juridictions de jugement à condamner.

Ce texte le permettra-t-il ? Nous ne le savons pas. Nous l'espérons. Peut-être sera-t-il historique, peut-être sera-t-il inefficace.

Regardons attentivement les modifications législatives proposées. La notion de consentement est entrée dans le débat public avant le procès Pelicot, car elle a enthousiasmé des personnalités de premier plan. Or les choses sont plus complexes qu'il n'y paraît. Aujourd'hui, le viol est caractérisé s'il y a violence, contrainte, menace ou surprise ; la jurisprudence est désormais très solide, il ne faudrait pas que la modification législative l'affaiblisse - c'est notre objectif premier.

Le travail de fabrication de la loi a été remarquable : mission d'information, proposition de loi, avis du Conseil d'État. La construction est très intelligente : d'abord, consentement ; puis, jamais de consentement possible si violence, contrainte, menace ou surprise. Sous-entendu : vous ne pourrez pas plaider le consentement.

Faire exister la notion de consentement auprès des autorités policières et des autorités de poursuite est un pas important.

Je ne partage pas l'idée qu'inscrire dans la loi la notion de consentement concentre le propos sur la victime. C'est déjà le cas : dans tous les procès pour viol, on interroge le comportement de la victime.

L'important, pour le groupe socialiste, est que la jurisprudence ne soit pas affaiblie et que la notion de consentement soit articulée dans la loi, même si nous ne croyons pas à la valeur performative de la loi : un violeur ne lit pas le code pénal avant de commettre son infraction.

C'est une loi interprétative, donc applicable à des faits antérieurs. Ce qui ne nous empêche pas de prévoir des dispositions non interprétatives, applicables ultérieurement - Laurence Rossignol y reviendra.

Pour toutes ces raisons, il convient d'être favorable à ce texte, sans illusion extrême, avec un optimisme résolu. Tous les sujets ne seront pas traités. Simplement, nous espérons que les poursuites pour viol seront plus efficaces. D'où notre demande d'évaluation a posteriori de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Véronique Guillotin et M. Bernard Buis applaudissent également.)

Mme Corinne Bourcier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Il y a des crimes que l'on crie et d'autres que l'on tait, par peur, par honte, par sidération. Or notre droit pénal ne nomme pas ce qui est au coeur de cette violence : l'absence de consentement. Le chemin vers sa reconnaissance a été long. Ce n'est que dans les années 1990 que la jurisprudence pénale considère que le mariage ne justifie pas qu'un conjoint impose à l'autre des rapports sexuels non consentis, ce n'est qu'en 2010 que la loi a supprimé ce qui restait de cette présomption de consentement liée au mariage. Cela en dit long sur les résistances autour de l'idée que l'acte sexuel, même au sein du couple, doit être librement consenti.

Depuis 1980, la définition du viol repose sur la coercition : violence, contrainte, menace ou surprise. Mais cela ne correspond pas à la réalité des violences sexuelles.

Le viol est un crime sans aveu. Dans certains cas, l'auteur ne menace pas, ne frappe ni ne crie ; il abuse d'une confiance, profite d'un moment d'inconscience, exploite une vulnérabilité ; il s'appuie sur la sidération, bien connue des professionnels, qui paralyse la victime et efface parfois même la mémoire du traumatisme. Quand l'ADN est retrouvé, l'auteur dit simplement : « elle était d'accord ». Or la preuve de l'inverse est souvent impossible à établir. Le doute s'installe, et avec lui le non-lieu, le classement sans suite, le silence.

En 2023, 270 000 personnes ont été victimes de viol, tentative de viol ou agression sexuelle mais seulement 6 % ont porté plainte ; dans 94 % des cas, l'affaire est classée sans suite. Ce n'est pas une anomalie, mais un dysfonctionnement systémique.

Rétablissons une évidence : un acte sexuel n'est licite que s'il est consenti. Ce texte définit le consentement, qui doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il ne se présume pas, ne peut être déduit du seul silence. Il ne peut être donné par une personne inconsciente, vulnérable ou sidérée.

Ce n'est pas une révolution juridique, mais de clarté. Le Conseil d'État l'a rappelé : cette réforme n'instaure aucune présomption de culpabilité, ne modifie pas l'équilibre du droit pénal, mais renforce la lisibilité et la cohérence du système. Elle invite enquêteurs et magistrats à interroger l'existence du consentement plutôt que de rechercher les traces visibles de contraintes.

Ce texte a également une vertu pédagogique : il dit à chacun que l'on ne touche pas quelqu'un sans avoir obtenu son accord explicite. Il aligne notre droit sur celui de quinze pays européens qui ont déjà reconnu l'absence de consentement comme le coeur du viol.

Le groupe Les Indépendants le votera avec conviction, mais il faudra aller plus loin. La justice doit avoir les moyens de juger vite, bien et avec humanité. On le sait, le temps judiciaire devient souvent une nouvelle violence. Nous serons attentifs au respect de la loi de programmation de la justice. Nous avons la responsabilité d'accompagner les victimes. La République leur doit protection. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe SER)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Quelle société voulons-nous ? Les moyens que nous nous donnons le montrent. Plus de 122 000 victimes de violences sexuelles en 2024, 7 % de plus qu'en 2023, 11 % de plus qu'en 2016. Combien de dégâts psychologiques ?

Cette loi pédagogique permettra la libération de la parole et augmentera la répression, alors que le taux de dépôt de plainte n'est que de 2 à 6 %, et le taux de condamnation de 10 % à 15 %.

Qu'est-ce que la notion de consentement ? Lors du procès des viols de Mazan, l'un des auteurs a déclaré : « son mari avait dit oui, je pensais qu'elle était d'accord ». Le consentement doit être au coeur de l'éducation à la sexualité, pour déconstruire l'idée selon laquelle « si on ne dit rien, c'est qu'on veut bien ».

Avant 2021, le viol était défini comme tout acte de pénétration sexuelle commis par violence, contrainte, menace ou surprise. Le non-consentement est déduit, mais non central. Depuis la loi du 21 avril 2021, qui qualifie de viol toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur, dès lors que la différence d'âge est d'au moins cinq ans, il y a présomption d'absence de consentement - c'est un premier pas.

D'autres pays écrivent dans la loi que le viol est un acte sexuel commis sans le consentement libre. Ce n'est pas simplement une absence de refus, c'est un oui actif. Le silence ne vaut pas consentement. Consentir, ce n'est pas céder - c'est choisir, c'est avoir confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe SER)

M. Bernard Buis .  - En 2022, sur 230 000 victimes, huit sur dix n'ont pas porté plainte ; lorsqu'elles le font, nombre d'affaires sont classées sans suite, fautes de preuves suffisantes.

Le temps est venu de redéfinir les notions de viol et d'agression sexuelle dans notre code pénal. D'où cette proposition de loi qui introduit la notion de consentement. Celui-ci doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il ne peut être déduit du seul silence ou absence de réaction, mais apprécié au regard du contexte.

Dans l'affaire des viols de Mazan, certains accusés ont argué du consentement supposé de Mme Pelicot.

Le temps est venu de modifier notre code pénal. Je voterai ce texte.

De nombreux juristes sont sceptiques, voire opposés. Aux critiques, je rétorque que la présomption d'innocence n'est pas remise en cause, car la charge de la preuve appartiendra toujours à l'accusation. Il n'y a pas de présomption de défaut du consentement, qui impliquerait une vérification formelle ou une contractualisation entre les personnes, mais la rédaction invite les magistrats à vérifier, au-delà de la matérialité des faits, la conscience d'avoir agi contre ou sans le consentement de l'autre.

Certains estiment qu'introduire la notion de consentement centrerait l'enquête et les débats sur le comportement de la plaignante. C'est déjà le cas, et les investigations provoquent des traumatismes secondaires. Ce texte invite les enquêteurs et les magistrats à s'intéresser davantage au comportement du mis en cause.

Le consentement figure déjà dans le code pénal ; l'ajouter sera source de sécurité juridique. Notre système juridique prévoit une interprétation stricte de la loi pénale. En ajoutant cette notion, nous permettons une meilleure appréhension des faits.

Je suis convaincu que la rédaction proposée permettra de prendre en compte, enfin, l'état de sidération. Selon le Dr Muriel Salmona, 70 % des victimes de viol ont connu un état de sidération.

Les générations futures vivront-elles dans une société où le consentement sera un principe consensuel, connu de tous ?

Loin de toute pression extérieure, je voterai ce texte, car j'ai été convaincu par les arguments juridiques. Cela dit, la loi ne changera pas tout. En écho à la pièce de Musset de 1834, On ne badine pas avec l'amour, je dirais, en 2025, ne badinons plus avec le consentement !

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) À mesure que la parole des victimes de violences sexuelles se libère, les attentes se font plus fortes. Ce courage, cette volonté nous obligent. Ainsi de l'inceste, longtemps absent du code pénal : il a fallu attendre la loi du 8 février 2010 pour que le terme y figure enfin et celle du 21 avril 2021 pour qu'il soit retenu comme une infraction autonome.

Cette proposition de loi ne crée pas de nouvelle infraction. Le droit pénal français définit le viol à partir de quatre éléments : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il n'a jamais cité explicitement l'absence de consentement. Ici, nous énonçons une évidence : un acte sexuel ne peut être licite qu'à condition d'un consentement libre, éclairé, spécifique et révocable. Ce n'est pas une révolution, c'est une clarification nécessaire.

Le Conseil d'État l'a dit, la jurisprudence actuelle permet de réprimer la quasi-totalité des situations visées. Ce texte n'est cependant pas inutile. Il dit ce que la société attend : que le consentement n'est jamais présumé, jamais déduit du silence, jamais ignoré.

Le procès des viols de Mazan a tourné autour du consentement de Gisèle Pelicot : présumé si la victime ne dit pas explicitement non, si le mari a donné son accord... L'un des accusés a déclaré qu'il aurait aimé qu'on lui explique, plus jeune, ce qu'était le consentement.

Ce texte est une étape vers un droit pénal plus lisible, plus en phase avec notre société. Nos rapporteurs ont apporté quelques correctifs pour rassurer des magistrats ou avocats inquiets : on ne touche au droit pénal que d'une main tremblante !

Le RDSE votera unanimement cette proposition de loi, même si elle ne résoudra pas tout : ni les classements sans suite ni le défaut de dépôt de plainte. Les inquiétudes exprimées ne sauraient justifier l'immobilisme. À nous de l'accompagner par une formation plus poussée des magistrats, policiers, gendarmes, professionnels de santé et travailleurs sociaux, une meilleure écoute des victimes, un effort soutenu pour améliorer le traitement judiciaire - et une éducation au consentement dès le plus jeune âge.

Pourquoi ne pas avoir intégré cette réforme à un projet de loi global sur les violences sexuelles ? C'est votre ambition, madame la ministre.

Le Parlement a adopté plusieurs lois importantes : loi du 14 juin 2024 sur l'ordonnance de protection immédiate, loi du 19 mars 2024 visant à protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales, proposition de loi de Maryse Carrère renforçant la protection judiciaire de l'enfant.

J'ai déposé plusieurs amendements issus du rapport sur la soumission chimique que j'ai rendu avec Sandrine Josso le 12 mai dernier. Ces sujets sont interconnectés et appellent une réponse globale et des moyens à la hauteur. Plutôt que des mesures éparses, nous avons besoin d'une loi-cadre ambitieuse et d'une mobilisation collective pour mettre fin au déni et à l'impunité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

Mme Olivia Richard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions) « Qui veut une petite tasse de thé ? » C'est en ces termes qu'une vidéo pédagogique explique le consentement aux jeunes - partagez-la autour de vous. Le sexe, c'est comme le thé. Il faut demander à l'autre s'il en a envie et tenir compte de la réponse, même si on a très soif. On peut refuser de boire une tasse de thé qu'on avait demandée, changer d'avis si le goût ne nous plaît pas, n'en boire qu'une et ne plus jamais en vouloir ; dans tous les cas, on ne peut vouloir boire du thé si l'on est inconscient.

Qui ne dit mot consent ? On retrouve l'expression « le silence dit oui » chez Platon : vingt-cinq siècles que l'on considère que l'absence de protestation équivaut à un consentement ! (Mme Dominique Vérien rit.) Qui ne dit mot ne consent pas, seul un oui veut dire oui.

Depuis #MeToo, j'entends beaucoup de personnes effrayées du changement de société qui se profile. « Je n'ose plus faire un compliment à une femme », « On va devoir passer un contrat avant de coucher avec quelqu'un maintenant »... Que le consentement puisse être révoqué pendant le rapport sexuel inquiète beaucoup. Que ces messieurs se rassurent, il ne s'agit pas de sanctionner une performance insuffisante (rires), mais de signifier que dire oui, ce n'est pas dire oui à tout ni à chaque fois. C'est peut-être fatigant, mais il faut que l'autre soit d'accord à chaque fois - et qu'il en ait envie, accessoirement.

Épouser quelqu'un n'en fait pas une personne sexuellement disponible en permanence : un quart des plaintes pour viol concernent des époux ou ex-époux.

Avoir provoqué une excitation sexuelle chez quelqu'un, parfois involontairement, n'oblige nullement à le satisfaire. C'est le fameux : « tu ne peux pas me laisser comme ça ! » (Rires) Les lycéennes doivent savoir que oui, elles peuvent laisser le garçon « comme ça », refuser de faire ce qu'elles n'ont pas envie de faire.

Cette proposition de loi est importante, elle explicite et consolide des acquis jurisprudentiels. Elle sera d'application immédiate et permettra une uniformisation du traitement judiciaire. L'accompagnement et le suivi judiciaire des victimes de violences sexuelles est une roulette russe. Il est urgent de former toute la chaîne judiciaire.

Cette proposition de loi a le mérite d'expliquer clairement qu'un viol est un acte sexuel non consenti. L'important n'est pas si la victime s'est défendue ou si elle a allumé un mec. Ce qui compte, c'est de s'interroger sur ce que l'autre veut, entre personnes placées sur un pied d'égalité.

Le lieu le plus dangereux, pour les femmes, pour les personnes vulnérables, n'est pas la rue, mais le foyer. Toutes les catégories sexuelles sont concernées par les violences sexuelles - les homos, les LGBTQI+, les enfants. Le viol n'est pas affaire de désir mais de pouvoir et de contrôle. Il y a une intention criminelle de faire plier l'autre à sa volonté. C'est un acte de prédation, jamais un malentendu.

Concernant les enfants, cette proposition de loi sera l'occasion d'un débat. Je salue l'engagement de la ministre dans la lutte contre le système prostitutionnel. Malgré la loi Billon, aucune poursuite n'a été engagée lorsque le rapport sexuel fait l'objet de rémunération. La plupart du temps, les clients de mineurs de 15 ans font l'objet d'une contravention - il faut les poursuivre pour viol.

Je salue le travail des députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton. Il est temps de refondre les infractions sexuelles du code pénal, qui deviennent totalement illisibles.

Elsa Schalck et Dominique Vérien n'ont eu que dix jours pour mener leurs travaux. Le train de sénatrice est plus rapide que le train de sénateur... (Sourires) Le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, SER, INDEP, du GEST et du RDPI)

Mme Silvana Silvani .  - Viols et agressions sexuelles sont un fléau lié à la société patriarcale. Si les grandes affaires Bobigny ou Mazan ont fait avancer les choses, le bilan reste très en deçà de ce qu'on peut attendre du pays des droits de l'homme, qui n'est pas celui des droits de la femme.

Chaque année, 230 000 femmes victimes de violences sexuelles, 6 % de plaintes, 0,6 % de condamnations, 94 % de classements sans suite. Pourquoi un tel bilan ? Pas parce que la définition du viol n'inclue pas la notion de consentement, mais faute de moyens. Il manque 2,5 milliards d'euros chaque année pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, pour faciliter l'accès aux soins et mettre en place des structures spécialisées ouvertes 24 heures sur 24. La formation des professionnels dans l'éducation, la santé, la police et la justice fait défaut. Il faut améliorer le parcours judiciaire avec des brigades et juridictions spécialisées. Or les pouvoirs publics ne bougent pas.

Protéger les victimes ne doit pas avoir de prix. Si modifier la loi est peu coûteux, c'est peu efficace. Avant de la modifier, faisons déjà appliquer la loi ! J'ai quelques réserves sur l'introduction de la notion de consentement dans le code pénal.

Le débat au sein du mouvement féministe est riche, mais le terme ne fait pas consensus. Je partage certaines craintes. Dans l'affaire Pelicot, certains accusés ont parlé de « viol involontaire » : ils ne savaient pas que l'acte imposé n'était pas consenti. Une femme endormie serait consentante... Ne risque-t-on pas de donner raison au violeur en légitimant son ignorance ? Le procès ne risque-t-il pas de tourner autour de l'attitude de la victime plutôt que du comportement du violeur ?

Comme l'a plaidé Gisèle Halimi au procès de Bobigny, les victimes se retrouvent contraintes de prouver qu'elles n'ont pas consenti.

Des photos de Gisèle Pelicot nue, prises à son insu, ont été utilisées pour lui attribuer des penchants exhibitionnistes.

En insérant la notion de consentement dans la loi, ne risque-t-on pas d'insister plus sur le comportement de la victime que sur celui de l'agresseur ? Toutes ces questions restent sans réponse. L'absence d'étude d'impact est regrettable. Sans moyens supplémentaires, rien ne changera. Craignant de trop nombreux effets de bord, le groupe CRCE-Kanaky, très majoritairement, ne pourra pas voter ce texte.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je vous prie d'excuser Mélanie Vogel, qui devait faire cette intervention.

Le 29 mars 2017, la Cour de cassation a confirmé un non-lieu dans une affaire de viol, estimant que l'homme a pu se méprendre sur le consentement de la victime - le doute a profité à l'accusé. S'il n'y a pas de non clair, ce serait un oui ? Une relation sexuelle serait donc permise par défaut, un homme aurait le droit de se tromper sur son droit de disposer du corps de l'autre. Il pourrait violer sans être condamné, s'il prétend avoir mal compris.

C'est pourquoi ce texte est urgent et attendu.

Quand une personne est droguée, sidérée, inconsciente, comment prétendre qu'elle aurait dit oui ? Quand une personne consent à la relation, mais pas à toutes les pratiques, comment distinguer l'acte sexuel du viol ?

Ce texte, qui répond à ces angles morts du droit, juridiquement solide, est le fruit d'un travail parlementaire de dix-huit mois et du travail d'organisations féministes, de victimes, d'avocates et de magistrates. Le Conseil d'État et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) l'ont approuvé.

La définition pénale du viol apporte un triple bénéfice. D'abord symbolique, car on sort de la culture du viol pour aller vers celle du consentement. Le corps des femmes est l'objet le plus contrôlé, fantasmé et approprié. Avec ce texte, on sort de l'objectivation.

Un bénéfice pénal, ensuite, car ce texte est un outil supplémentaire aux mains des juges, pour en finir avec l'impunité. Alors que toutes les deux minutes trente une femme est victime d'un viol ou d'une tentative, seule une sur dix-sept porte plainte et 90 % des affaires sont classées sans suite. L'auteur a-t-il activement recherché le consentement ? Ce changement de focale donne aux victimes une chance d'être reconnues.

Un bénéfice sociétal, enfin, car le droit a un effet performatif. Il dit ce qui est acceptable et l'ancre dans les habitudes. Si ne pas s'assurer d'un consentement est puni par la loi, les comportements changeront, dans une société où seulement 59 % des 18-24 ans identifient un acte sexuel non consenti comme un viol.

Si l'on supprimait les quatre critères du viol, si l'on inversait la charge de la preuve, si l'on instaurait une présomption de culpabilité, on aurait pu être contre. Mais tel n'est pas le cas.

Pour lutter contre les viols, briser l'impunité, protéger les victimes, inscrire le meilleur de la jurisprudence dans la loi, afin que les femmes n'aient plus peur de porter plainte, il n'y a qu'un chemin : voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe UC ; M Bernard Buis applaudit également.)

Mme Laurence Rossignol .  - Ce texte serait éducatif : grâce à l'introduction du consentement dans le code pénal, les hommes comprendraient enfin qu'un acte sexuel ne peut être imposé... Mais les hommes qui violent savent très bien qu'ils violent et qu'ils abusent des privilèges de leur position dominante, de leur pouvoir économique, de leur force physique ; ils ne violent pas par inadvertance, négligence ou ignorance.

Consentir, selon Larousse, c'est accepter que quelque chose se fasse. C'est différent de vouloir. Ce terme s'inscrit dans les représentations les plus archaïques de la sexualité : les hommes proposent, pénètrent, les femmes se donnent, concèdent. C'est pourquoi le Sénat est si mobilisé dans la lutte contre les représentations véhiculées par l'industrie pornographique.

Le mot consentement est méséducatif. Comme le dit la philosophe Manon Garcia, en définissant le viol par le non-consentement, on accrédite l'idée que le consentement serait l'affaire des femmes. Marianne Frison Roche ajoute : « en Occident, la liberté est dans le ?non?, le consentement est dans le ?oui?. Par la volonté, je domine ; par le consentement, je me soumets. »

Parler de consentement, c'est perpétuer une représentation des sexualités qui n'est pas fondée sur l'égalité. Si le législateur voulait vraiment l'égalité, il parlerait de volonté : un acte sexuel serait la rencontre de deux volontés, de deux désirs.

Cette modification du code pénal, qui se fera malgré moi, mériterait d'être davantage encadrée. Il y a une autonomie du droit pénal certes, mais le juge risque de raisonner en fonction de ce qu'il connaît : le consentement en droit des contrats.

Quid d'un acte sexuel obtenu par un supérieur hiérarchique en échange d'un non-licenciement ?

La justice n'est pas exempte des stéréotypes, d'où nos amendements, pour renforcer et sécuriser le texte pour les femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous sommes à un tournant de la société. Depuis trop longtemps, le viol est un fléau silencieux, qui détruit des vies et brise des familles. Les chiffres sont terribles : plus de 230 000 victimes chaque année, mais moins de 8 000 condamnations, un intolérable gouffre entre réalité et justice.

Nous devons faire évoluer notre droit et donner un signal clair : la société n'acceptera plus l'ambiguïté ni le doute envers les victimes. C'est le sens de ce texte qui propose une avancée juridique et morale.

Les quatre piliers constitutifs du viol, hérités du XIXe siècle, ont certes permis de condamner, mais parfois laissé des victimes sans réponse ; la sidération, de l'emprise, le choc n'étaient pas pris en compte, le silence, l'absence de réaction, trop souvent interprétés comme un consentement.

Ce texte change la donne : sans consentement, pas d'acte sexuel possible. Le consentement doit être apprécié selon le contexte et non déduit du silence ou de l'absence de réaction. C'est une protection pour les plus vulnérables, pour ceux qui n'ont pu dire non, crier ou fuir.

Mais le droit pénal n'est pas le terrain de l'émotion : il est le rempart de la justice, la garantie de l'équilibre. Nous devons protéger la présomption d'innocence. Il ne s'agit pas de basculer dans l'arbitraire.

Nos deux rapporteures ont fait un travail remarquable en sécurisant le texte, en précisant la notion de consentement, en remplaçant les termes « circonstances environnantes » par celui de « contexte », en élargissant la définition du viol aux pratiques bucco-annales.

La commission a supprimé les articles superflus, en gardant l'essentiel. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le conteste.)

Ce texte est non pas une fin mais un début ; il faudra aller plus loin, donner plus de moyens à la justice, mieux accompagner les victimes, accélérer les procédures. Il faudra surtout faire évoluer les mentalités pour que la honte change de camp, pour que la victime soit crue, respectée et protégée.

Le groupe Les Républicains votera ce texte avec vigilance et exigence, conscient que chaque mot, chaque virgule engage la vie de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants.

Notre devoir est de protéger les plus faibles sans céder à la facilité, sans renoncer à l'équilibre du droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°17 de Mme Vogel et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Cet amendement rétablit la formulation adoptée par l'Assemblée nationale en remplaçant la notion de contexte par celle de circonstances environnantes.

Le terme contexte renvoie au cadre immédiat et au lieu ; il ne permet pas de prendre en compte la complexité des situations. À l'inverse, celui de circonstances permet au juge un examen plus large, en prenant en compte un faisceau d'indices antérieurs.

Nous reprenons ainsi une préconisation de la délégation aux droits des femmes, conforme à la convention d'Istanbul.

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - La notion de circonstances environnantes est issue de la convention du Conseil de l'Europe. Mais rien ne nous oblige à reprendre cette notion mot à mot.

Cette notion pose en effet plusieurs difficultés : elle est d'abord redondante, car les circonstances sont toujours environnantes ; ensuite, elle est inconnue en droit pénal français ; enfin, elle est très extensive, de sorte que l'environnement de la victime - son passé, ses relations - pourra être évalué, au risque d'accentuer la pression sur la victime.

Restons-en au terme contexte : avis défavorable.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Je salue l'engagement de Mélanie Vogel sur la lutte pour les droits des femmes et contre les violences qui leur sont faites.

Nous préférons nous en remettre à l'avis du Conseil d'État : sagesse.

L'amendement n°17 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°4 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - Compte tenu des nombreuses défaillances du système judiciaire, il faut préciser exactement de quoi le consentement ne peut pas être déduit.

Prenons l'exemple d'un bailleur qui demanderait à sa locataire des services sexuels en échange d'un loyer gratuit. On me dit que cela serait déjà prévu dans la contrainte morale... Mais les condamnations n'ont pas été bien nombreuses...

Je propose donc que le consentement ne puisse pas être déduit de l'échange ou de la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - En l'état du texte, le consentement ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime, conformément à l'avis du Conseil d'État.

Nous partageons son analyse : il serait superfétatoire, voire juridiquement risqué, de trop préciser.

Le texte permet d'appréhender des situations où une personne se livrant à la prostitution reviendrait sur son consentement, car le consentement est toujours spécifique et révocable. Le proxénétisme pourrait ainsi être regardé comme constitutif d'une contrainte qui, connue de l'auteur des faits, serait susceptible de qualifier un viol.

Demande de retrait, sinon avis défavorable à cet amendement qui limite le pouvoir d'appréciation du juge et pourrait donc se retourner contre les victimes.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Madame Rossignol, je salue votre engagement sur la lutte contre le système prostitutionnel ; nous poursuivons la dynamique engagée par votre loi de 2016.

Selon le Conseil d'État, un rapport sexuel tarifé n'empêche pas de retenir la qualification de viol.

Restons-en à la position du Conseil d'État : demande de retrait, sinon avis défavorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Vous parlez de prostitution ; Mme Rossignol a évoqué un échange de services, en citant l'exemple d'une étudiante à qui l'on propose un logement en échange de faveurs sexuelles.

Nous proposons de considérer, en nous inspirant de la définition du contrat en droit civil, que ce n'est pas parce qu'il y a un avantage à la clef qu'il y a accord. Ce point mérite d'être précisé, car il s'agit de situations bien réelles.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Les critères « libre » et « éclairé » répondent aux situations que vous avez évoquées. Le consentement n'est pas libre s'il y a pression ; il n'est pas éclairé en cas de vulnérabilité.

Plutôt que d'ajouter des précisions superfétatoires qui risquent d'être défavorables aux victimes, restons-en aux mots proposés par le Conseil d'État.

Mme Laurence Rossignol.  - Je ne suis pas novice, j'ai bien compris : vous n'accepterez aucun de mes amendements. Inutile de me demander de les retirer, je ne le ferai pas. Il est pénible de voir des textes arriver tout bouclés en séance et d'entendre les rapporteurs refuser systématiquement les amendements de l'opposition, avec toujours les mêmes arguments : « superfétatoire », « déjà garanti », « alourdirait » ...

C'est parce que la justice ne fonctionne pas bien que nous avons besoin de préciser.

Les avocats présents dans l'hémicycle savent très bien qu'ils pourront retourner les arguments de la victime. Je parle des mille et une situations dans lesquelles les inégalités homme-femme mettent d'emblée les femmes en position de vulnérabilité.

M. Francis Szpiner.  - La notion de contrainte a été étendue par les magistrats de la Cour de cassation à l'emprise, ce qui n'allait pas de soi.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est de la jurisprudence !

M. Francis Szpiner.  - Oui, parce que les magistrats peuvent interpréter. À force de lister des situations précises, vous risquez d'en oublier. Les avocats de la défense vous rétorqueront : « Vous ne l'avez pas prévu dans le texte. »

Il n'y a pas de consentement libre, même en droit civil, lorsqu'on vous propose un objet illicite ou immoral.

Mme Laurence Rossignol.  - Il y a des vices du consentement.

M. Francis Szpiner.  - La situation que vous évoquez est un vice du consentement.

Une formulation plus générale permettra une répression plus efficace. Voilà pourquoi je voterai contre cet amendement. (On approuve à droite.)

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - Voilà quelques semaines, nous débattions de votre proposition de loi, madame la ministre, relative au contrôle coercitif. Un de mes amendements, qui prévoyait que l'obligation de relations sexuelles ne se déduit pas de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil, a été déclaré irrecevable au titre de l'article 45 : il relevait du code pénal et non du code civil, mais la majorité déclarait être d'accord sur le fond...

Le devoir conjugal n'existe pas et ne saurait être déduit du consentement donné au moment du mariage. Il n'y a donc pas d'obligation de relations sexuelles entre époux.

Mais ce nouvel amendement a de nouveau été rejeté en commission. Pourquoi ? Dites-moi comment rédiger cet amendement pour qu'il soit adopté. Mieux encore, donnez un avis favorable.

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - Avis défavorable.

Nous n'accepterions jamais les amendements de l'opposition ? Pourtant, lors de l'examen du texte sur le contrôle coercitif, nous avons adopté vos amendements sur les circonstances aggravantes du viol...

Mme Laurence Rossignol.  - C'était ceux du ministre Darmanin !

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - Vous les souteniez.

Votre amendement, qui limiterait l'appréciation du juge, pourrait être défavorable aux victimes. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie lève les yeux au ciel.) Cela ne préjuge en rien du consentement spécifique aux relations sexuelles. Le juge peut déjà qualifier un viol au sein d'un couple. Ce viol conjugal peut exister entre partenaires d'un Pacs et entre concubins.

Nous sommes sur un texte interprétatif, ne modifions pas les dispositions du code civil.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Même avis.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Madame la rapporteure, je n'ai rien compris à votre raisonnement.

Considérez-vous que le devoir conjugal existe ou non ? Vos refus réitérés d'acter son inexistence dans un code, civil ou pénal, laissent à penser que vous considérez qu'il existe. (Mme Muriel Jourda le conteste.) Ne confondez pas viol conjugal et devoir conjugal.

Il s'agit de dispositions interprétatives et non de loi interprétative - je l'ai dit lors de la discussion générale. Votre argument ne tient donc pas.

Au fond, le Sénat ne veut pas inscrire dans la loi que le devoir conjugal n'existe pas.

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - Cela n'a rien à voir.

M. Francis Szpiner.  - Relisez l'article 215 du code civil ; il traite de la communauté de vie et non du devoir conjugal. Ce sont les magistrats qui ont instauré le devoir conjugal par construction prétorienne. Aussi, il faudrait compléter l'article 215 en disant que la communauté de vie n'implique pas de devoir conjugal...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cela revient au même.

M. Francis Szpiner.  - ... et étendre cette disposition aux partenaires d'un Pacs, ainsi qu'aux concubins.

Cela ne me gêne pas, parce que je suis pour la suppression de cette disposition dans le cadre d'une refonte de l'article 215 du code civil, reconnaissant que la jurisprudence de la Cour de cassation est une erreur.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est pas brillant...

Mme Laurence Rossignol.  - J'ai déposé un amendement !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Assumez !

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Vous aussi !

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Soyons clairs : les amendements ont été jugés irrecevables, ils n'ont pas été rejetés. Ce n'est ni le Gouvernement ni les rapporteurs qui décident de la recevabilité.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Mais on ne parle pas de vous !

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - L'ambiguïté que vous évoquez n'est pas dans le code pénal, mais dans le code civil ; or nous modifions le code pénal. La notion de viol conjugal existe en droit : le code pénal n'est donc pas ambigu.

Que devons-nous faire pour qu'il soit clair que la France refuse tout devoir conjugal ? Ouvrons le débat, mais il excède celui que nous avons ce soir.

Mme Laurence Rossignol.  - Mais quand j'amende le code civil, on me dit que mon amendement est irrecevable !

Monsieur Szpiner, j'ai déjà eu l'occasion de déposer l'amendement que vous évoquez, mot pour mot : l'obligation de relations sexuelles ne se déduit pas de la communauté de vie. Il est prêt, mais il n'arrive pas à franchir la porte qui va de la commission à la séance publique... J'espère qu'il sera repris dans la loi intégrale préparée par la ministre.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, si vous êtes gênés d'être soupçonnés de ne pas y être favorables, et puisque nous ne légiférons plus qu'à coups de propositions de loi, déposez-en une qui reprend mon amendement, nous la soutiendrons !

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°8 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - Lorsqu'on précise le code pénal, on ne limite pas l'office du juge. (M. Francis Szpiner le conteste.) Si c'était vrai, la justice fonctionnerait parfaitement et des femmes ne se plaindraient pas de la justice !

Dans l'industrie pornographique, avec la glamourisation du BDSM (Bondage et discipline, sado-masochisme), prospèrent des contrats de soumission, par lesquels une femme s'engage à se livrer à toutes les activités sexuelles prévues dans le contrat. La cour d'appel de Nancy a jugé qu'un tel contrat valait consentement. L'affaire est en train de remonter devant la Cour européenne des droits de l'homme, mais cela fait des années que le contentieux dure.

Ces amendements aident à une plus grande rapidité de la justice. Si vous voulez aider les juges, votez cet amendement.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Plus nous détaillons le code pénal, plus il y a un risque de se dire que si ce n'est pas dans la liste, c'est permis... D'où la nécessité d'avoir une loi interprétative. Dans l'affaire de Nancy, l'accusé était poursuivi pour harcèlement sexuel et violence. Le juge ne s'est pas déterminé à l'aune de ce contrat de soumission.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Nous voilà rassurées...

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Déposons une proposition de loi transpartisane supprimant du code civil ce concept de « devoir conjugal », qui n'existe pas, mais tel qu'interprété par le juge. Il s'agit du code civil : on ne sait pas l'intégrer dans une loi traitant uniquement du code pénal. Nous ne sommes pas contre le principe, mais nos règles font que votre proposition n'est pas acceptable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ça ne l'est jamais !

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Même avis.

Le mot « révocable » résout le problème : quand bien même il y aurait eu un contrat, on peut récuser le consentement à tout moment. (Mme Laurence Rossignol manifeste son incompréhension.) Le Conseil d'État l'a très clairement précisé : la rédaction d'un contrat préalable ne permet pas de présumer l'existence d'un consentement propre à écarter la qualification d'agression ou de viol.

Mme Laurence Rossignol.  - Écrivez-le dans la loi !

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Le mot « révocable » le dit clairement. Avis défavorable.

Mme Laurence Rossignol.  - Il y a un malentendu. « Révocable » signifie que la personne peut arrêter de fournir les relations sexuelles prévues au contrat. Peut-on poursuivre pour viol les relations sexuelles ayant eu lieu avant ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Oui.

Mme Laurence Rossignol.  - Vous parlez du moment de la révocation du contrat, moi je parle de ce qui se passe avant. Ce n'est pas parce que le contrat est révoqué que les relations sexuelles avant révocation sont criminalisées.

Mme Annick Billon.  - Ce débat m'intéresse beaucoup. Lorsque nous avons travaillé sur la pornographie, nous avons été profondément marqués, choqués par les témoignages à huis clos sur l'affaire French Bukkake. L'amendement de Mme Rossignol mérite toute notre attention, car nous voulons à tout prix éviter ces contrats.

Dans les contrats de l'industrie pornographique, il y a toujours une personne vulnérable, qui ne peut renoncer au contrat, car elle a besoin d'argent. Cet amendement me semble extrêmement intéressant.

L'amendement n°8 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°9 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - « Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est obtenu dans le cadre d'une relation médicale ou thérapeutique ».

De grâce, n'allez pas m'opposer vos arguments sur l'exhaustivité. Comme les juges se réfèrent aux travaux parlementaires, nous pouvons toujours dire que ce que nous ajoutons n'est pas exhaustif. Le juge pourrait s'en servir.

La victime d'un médecin peut saisir l'Ordre et obtenir la suspension du médecin, sur le fondement du code de déontologie. En revanche, de nombreuses personnes ne relevant d'aucun ordre sont en capacité de faire valoir le consentement. La semaine passée, Le Monde a publié une enquête sur les victimes des psychothérapeutes et autres. Ces derniers arguent du consentement de la victime.

Pour les médecins, l'existence de l'Ordre règle la question ; pour les autres, c'est très trouble.

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - C'est un principe constitutionnel : un acte sexuel dans le cadre d'une relation médicale ou thérapeutique est une circonstance aggravante du code pénal. Conséquence : 20 ans.

La jurisprudence de la Cour de cassation est alors très claire : ce qui constitue une circonstance aggravante ne peut être retenu pour prouver l'absence de consentement, qui est lui un élément constitutif de l'infraction elle-même. Ce serait contraire au principe de légalité des délits et des peines.

Avis défavorable.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Même avis.

Mme Laurence Rossignol.  - Je fais confiance à votre argumentation. Je m'empresserai de la vérifier.

Une remarque, néanmoins : j'adore quand les sénateurs de la majorité sénatoriale nous disent que ce n'est pas constitutionnel. Nous avons vécu ces derniers mois tant de propositions de loi de la majorité sénatoriale dans lesquelles, face à des mesures anticonstitutionnelles, on nous disait qu'il fallait laisser le Conseil constitutionnel décider. Alors faites comme d'habitude, et laissez-le décider !

L'amendement n°9 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - On n'alourdirait pas trop le code pénal ni n'enserrerait le juge dans de trop grandes listes si l'on ajoutait que la contrainte, qui peut être morale, peut être aussi économique. La contrainte économique ne se déduit pas de la contrainte morale. En raison des inégalités entre les femmes et les hommes, précisons ce point.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Une telle évolution serait porteuse d'un risque constitutionnel. (Mme Laurence Rossignol soupire.) Un élément constitutif de l'infraction ne peut être une circonstance aggravante de la même infraction.

Soit la victime fait l'objet d'un chantage économique, ce qui est constitutif d'une contrainte et prouve donc l'absence de consentement, soit la victime est dans une situation de dépendance économique qui fonde l'aggravation de la peine encourue. Vous créeriez un troisième cas hybride.

Protégez les victimes, qui paieraient le prix d'un rejet du Conseil constitutionnel. Avis défavorable.

Mme Laurence Rossignol.  - Ça ne vous dérange pas quand il s'agit du droit des immigrés...

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Même avis.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°14 de Mme Silvani et du groupe CRCE-K.

Mme Silvana Silvani.  - Cet amendement vise à introduire l'hypothèse du contrôle coercitif dans la caractérisation du viol et de l'agression sexuelle. Le contrôle coercitif ou l'emprise n'étant pas prévus par la loi, il reste des impasses.

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - Vous priverez les magistrats de leur liberté d'appréciation. Il est difficile de caractériser le contrôle coercitif lui-même. De plus, la rédaction de l'alinéa soulève plusieurs difficultés juridiques, déjà soulevées lors de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Vous souhaitez faire entrer le terme de « contrôle coercitif » dans la législation, terme actuellement inconnu dans le droit en vigueur. Avis défavorable.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Le 3 avril dernier, à l'unanimité, le Sénat a adopté la proposition de loi dont je suis à l'origine. Nous voulons aller au bout de l'examen de ce texte, de manière générale, sur ce qu'est le contrôle coercitif, afin de prendre en compte toutes les formes de violence. Retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement n°14 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°13 de Mme Silvani et du groupe CRCE-K.

Mme Silvana Silvani.  - Nous voulons inclure dans la définition pénale de l'agression sexuelle et du viol l'état de sidération. Consacré par la jurisprudence récente de la Cour de cassation, il est désormais rattaché à la surprise. Cela assurera une sécurité juridique supplémentaire à cette consécration jurisprudentielle, facilitant la caractérisation de l'infraction sexuelle.

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - Cette proposition de loi prend en compte les cas de sidération, avec le silence et l'absence de réaction de la victime. Votre amendement n'est pas opportun : il réduit la liberté d'appréciation du juge. Cette rédaction pose aussi des problèmes juridiques : la surprise n'engendre pas systématiquement un état de sidération, elle recouvre des réalités beaucoup plus larges.

Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Même avis.

Mme Silvana Silvani.  - J'insiste. Nous cherchons à compléter, nuancer et améliorer ce qui vous semble être très précis - le consentement - mais qui ne l'est pas tant que cela...

L'amendement n°13 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°12 de Mme Rossignol.

Mme Laurence Rossignol.  - Cet amendement vise à supprimer la clause Roméo et Juliette : aujourd'hui, une relation entre une jeune femme de 14 ans et un jeune homme de presque 19 ans n'est pas considérée comme un viol, alors que c'est une enfant et un jeune adulte.

Mme Annick Billon.  - Ça peut être un viol...

Mme Laurence Rossignol.  - Oui, il faut préciser : ce n'est pas un viol en l'absence de violence, contrainte, menace, surprise.

M. le président.  - Amendement n°5 de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - Cet amendement vise à lutter contre la prostitution des mineurs : l'achat de services sexuels auprès d'une mineure de moins de 18 ans doit être considéré comme un viol.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié de Mme Rossignol et du groupe SER.

Mme Laurence Rossignol.  - Amendement de coordination.

M. le président.  - Amendement n°15 rectifié de Mme Billon.

Mme Annick Billon.  - C'est un amendement d'appel : la prostitution des mineurs progresse. En 2024, on compte 1 500 victimes de proxénétisme, dont 659 mineurs.

Ces enfants sont confrontés à des réseaux et à des clients profitant d'une interprétation erronée du code pénal, malgré la loi du 21 avril 2021 que j'ai portée : un enfant de moins de 15 ans ne peut jamais consentir à un acte sexuel.

Madame la ministre, il est urgent de clarifier l'interprétation du droit. Comptez-vous écrire cela noir sur blanc dans une circulaire ?

M. le président.  - Amendement n°16 rectifié de Mme Olivia Richard.

Mme Olivia Richard.  - On parle d'exploitation sexuelle des mineurs et donc de traite. Hier, le Parlement européen a adopté un projet de directive sur la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des mineurs. Comprenons de quoi l'on parle, et cassons les clichés : près de 87 % des victimes sont de nationalité française. L'ensemble du territoire est touché. On parle de proxénétisme de proximité, avec de petites structures faisant aussi du trafic de drogue. Toutes les catégories socioprofessionnelles sont touchées. Il y a aussi de la prostitution logée et digitalisée, dans des Airbnb : les gamines sont trimballées dans toute la France et en Europe. C'est totalement invisible et très violent.

On met des années à sortir de ce qui s'appelle des viols d'abattage. Personne n'est indemne. La réponse pénale n'est pas à la hauteur.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - La clause Roméo et Juliette a été ajoutée par l'Assemblée nationale en 2021 pour ne pas criminaliser systématiquement des relations entre un mineur et un jeune majeur. Le Conseil d'État a élaboré cette clause à l'aune de l'exemple d'une relation entre une mineure de 14 ans et d'un autre de 17,5 ans, laquelle se poursuivrait au-delà de la majorité du second. Compte tenu de ces dispositions, celui-ci serait poursuivi pour viol à sa majorité.

Or les mineurs ne peuvent ester en justice : c'est aux parents de porter plainte. Imaginez si le jeune majeur ne plaît pas aux parents...

Mme Laurence Rossignol.  - L'esprit de mai 68 souffle ici !

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Préservons les amours adolescentes d'une criminalisation automatique. Avis défavorable.

L'amendement n°5 soulève plusieurs difficultés juridiques : sur le principe, il criminaliserait le recours à la prostitution d'un mineur de plus de 15 ans de manière détournée, en l'assimilant au crime de viol. Nous risquerions la censure du Conseil constitutionnel, qui ne tolère l'existence d'une présomption de culpabilité en matière répressive qu'à titre exceptionnel. Cela tasserait les peines encourues pour des faits similaires. Cette rédaction criminaliserait aussi la relation sexuelle tarifée entre deux mineurs, car aucune condition d'âge n'est prévue. Avis défavorable.

L'amendement n°6 opère une coordination ; par cohérence, avis défavorable.

Les amendements nos15 rectifié et 16 rectifié traitent d'un problème signalé par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).

Certains parquets engagent les poursuites sur le mauvais fondement pénal. Ils poursuivent pour recours à la prostitution avec une circonstance aggravante au lieu de poursuivre pour viol. Il faut non pas modifier la loi, mais veiller à sa bonne application.

Je me fais le relais de la demande de circulaire, pour préciser les dispositions relatives à la prostitution des mineurs.

Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Travaillons sur la très mal nommée clause Roméo et Juliette dans le cadre du groupe sur les VSS. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.) Ce n'est pas lié à la question du consentement et du viol dont nous débattons actuellement.

La loi n'empêche pas d'engager des poursuites à l'encontre de ceux qui se servent de mineurs de moins de 15 ans pour des rapports tarifés - nous assistons à une explosion du recours aux adolescentes et adolescents, sous l'effet des plateformes notamment, qui font d'eux des proies encore plus vulnérables. Avec Catherine Vautrin, nous publierons bientôt un décret à ce sujet. Notre priorité est de garantir l'application de la loi de 2016 et la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel.

Avis défavorable à tous les amendements.

Mme Laurence Rossignol.  - Je regrette que mon amendement n°5 ne fasse pas l'objet d'un avis favorable du Sénat.

Vous avez dit que le Conseil constitutionnel exigeait des circonstances exceptionnelles ? La prostitution des mineures prend une ampleur telle qu'elle doit être traitée de façon exceptionnelle. C'est une catastrophe sanitaire et générationnelle. Je suis prête à défendre cette position devant le Conseil constitutionnel.

Le recrutement des mineures les plus vulnérables se fait dans les foyers de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Un éducateur peut-il faire la différence entre ceux qui sont victimes de viol et les autres en raison de leur âge ? L'enfant ne comprend pas le mot de proxénète, mais il comprend très bien celui de viol. Il faut lui parler de viol.

Mme Olivia Richard.  - Il faut sortir les mineurs de la prostitution. S'agissant d'un mineur de 15 ans, il s'agit d'un viol, que l'acte soit ou non tarifé. Il faut appliquer la loi Billon ! Il y va de l'autorité de la chose votée.

Mme Annick Billon.  - La loi de 2021 dit que toute relation entre un mineur et un adulte est un crime. Vous prétendez que la loi n'empêche pas les poursuites, madame la ministre. Aussi, nous voulons que les qualifications soient les bonnes. Certaines juridictions ne retiennent pas les qualifications de viol. Je retire mon amendement n°15 rectifié, mais je veux des garanties sur la circulaire.

L'amendement n°15 rectifié est retiré.

M. Francis Szpiner.  - En dessous de 15 ans, on ne peut pas consentir ; j'ai été l'avocat de l'association La voix de l'enfant. Mme Rossignol a soulevé un débat important, mais sa réponse n'est pas la bonne. Souvenez-vous de nos débats sur l'âge de la majorité sexuelle. Je me méfie de la criminalisation et de la lourdeur de la procédure criminelle, car vous allez engorger les tribunaux ; en revanche, je défends l'aggravation de la peine.

Mme Laurence Rossignol.  - On ne peut aggraver les peines de personnes qui ne sont pas poursuivies !

M. Francis Szpiner.  - Je suis pour une répression des clients, car elle sera plus pédagogique. La criminalisation engorgera le système. Si on correctionnalise, ce sera pire.

L'augmentation de la prostitution des mineures est considérable. Il faut l'aborder sous l'angle de la clientèle et non pas de la qualification de viol. Mais il faut une circulaire qui soit très claire sur les moins de 15 ans.

Mme Olivia Richard.  - Je retire l'amendement n°16 rectifié.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je le reprends !

M. le président.  - Ce sera l'amendement n°16 rectifié bis.

L'amendement n°12 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos5, 6 rectifié et 16 rectifié bis.

L'article 1er est adopté.

Après l'article 1er

M. le président.  - Amendement n°1 de Mme Guillotin et alii.

Mme Véronique Guillotin.  - Nous avons élaboré un rapport sur la soumission chimique faisant 50 recommandations. La vulnérabilité chimique, qui doit être reconnue comme une circonstance aggravante du viol, doit être distinguée de la soumission chimique. La vulnérabilité se caractérise par la consommation volontaire de substances qui altèrent l'état de conscience.

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - Nous vous félicitons pour votre travail sur la soumission chimique, sujet sensible et complexe. L'article 222-30-1 du code pénal réprime, depuis la loi de 2018, le fait d'administrer à une personne à son insu des produits toxiques.

Dans le cas que vous soulevez, la personne est droguée ou ivre de son propre fait. Notre droit permet déjà l'aggravation du quantum de peines lorsque la personne est ivre ou sous stupéfiants.

Ensuite, votre amendement est satisfait par le droit en vigueur.

Autre élément : l'ivresse et l'emprise de stupéfiants ne sont pas des réalités biologiques ; tout dépend de la personne ; le juge apprécie l'ivresse manifeste.

La loi pénale est d'interprétation stricte. Aussi, votre amendement ne protégerait pas les victimes, car il soulèverait de nombreux débats sur l'ivresse ou non de la victime.

Enfin, un risque constitutionnel pèse sur ce dispositif, dans la mesure où le même fait pourrait être incriminé sur deux fondements différents.

Le Gouvernement peut-il s'engager sur un texte spécifique portant sur cette question importante ou sur l'intégration de ces mesures au projet de loi-cadre ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Madame Guillotin, je salue le travail que vous avez mené avec Sandrine Josso. À Nancy, chez vous, j'ai rencontré des personnes engagées sur cette question. Notre objectif est de reprendre une grande partie de vos préconisations. Le Gouvernement émet d'ailleurs un avis de sagesse sur votre amendement.

Nous considérons qu'il faut une approche globale de la soumission chimique : former les professionnels, soutenir les associations, renforcer les moyens du CRAVS - nous y travaillons avec Yannick Neuder. Nous devons également renforcer nos outils juridiques.

Votre travail est versé aux réflexions du groupe de travail sur la loi-cadre et il ne restera pas lettre morte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je dois vous faire part de ma stupéfaction. Ce rapport a été demandé par le Gouvernement à notre collègue, membre de la majorité sénatoriale, et à Sandrine Josso, dont tout le monde sait ce qu'elle a subi. Elles ont mené un travail très sérieux. Et le Sénat s'apprêterait à rejeter la première préconisation de leur rapport ? Ce serait un acte politique grave compte tenu de la situation qui concerne cet hémicycle, à ce jour non réglée. En avez-vous conscience ?

Mme Véronique Guillotin.  - Le sujet de la soumission chimique doit absolument être traité : Mme Josso et moi-même ne lâcherons rien. Je vous fais confiance, madame la ministre, et retire mon amendement comme je m'y étais engagée. J'espère ne pas me tromper.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je le reprends.

M. le président.  - Il devient l'amendement n°1 rectifié.

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 de Mme Guillotin et alii.

Mme Véronique Guillotin.  - Nous proposons la levée du secret médical en cas de soumission chimique, lorsque la victime ne souhaite pas déposer plainte.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Sans préjudice du travail législatif probablement nécessaire sur ce sujet, votre amendement s'articule difficilement avec l'article 226-14 du code pénal, qui réprime le placement ou le maintien d'une personne dans un état de sujétion. Il faudrait en retravailler la rédaction pour viser spécifiquement la soumission chimique. En outre, le dispositif que vous proposez laisse entendre que c'est le médecin qui aurait lui-même administré une substance à l'insu de la personne concernée... Enfin, le renvoi à l'article 222-30-1 du code pénal pose problème : le médecin peut constater que la victime a été droguée, mais ne peut pas savoir à quelles fins. Retrait ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Même avis.

Mme Véronique Guillotin.  - Je le retire, mais ne suis pas pleinement d'accord avec les arguments avancés. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.) Il faudra y revenir dans le groupe de travail sur la loi-cadre.

L'amendement n°2 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°10 de Mme de La Gontrie et du groupe SER.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - La proposition de loi prévoyait initialement deux évaluations. C'était pertinent, car nous ne savons pas quelles seront les conséquences de l'introduction de la notion de consentement. Je propose de rétablir une évaluation. Puisqu'on m'a opposé en commission la jurisprudence du Sénat sur les demandes de rapport au Gouvernement, je propose un rapport du Parlement. Le prévoir dans la loi aurait une visée pédagogique. Grâce à ce rapport, nous pourrons évaluer les effets du dispositif, notamment en termes de poursuites, et l'affiner au mieux.

Mme Elsa Schalck, rapporteure.  - Nous sommes évidemment favorables à l'évaluation du dispositif, mais cet amendement est un neutron législatif. En outre, sa portée exacte n'est pas claire : vise-t-il les deux chambres, un rapport commun ? Ce travail relève de nos prérogatives constitutionnelles de contrôle.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Par principe, s'agissant d'un rapport du Parlement, sagesse.

L'amendement n°10 n'est pas adopté.

Vote sur l'ensemble

M. Yan Chantrel .  - Je salue les deux députées à l'initiative de ce texte. Mettons notre situation en perspective avec les pays à système juridique comparable ayant introduit la notion de consentement dans le droit, comme le Canada, où j'ai vécu. On y remet moins en question la parole des victimes, celles-ci sont mieux protégées et le viol mieux condamné. Ce texte aura aussi une portée éducative, notamment pour les personnes chargées de collecter les plaintes. Je le voterai avec conviction pour une meilleure éducation à la vie affective et sexuelle. Passons d'une culture du viol à une culture du consentement !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - Nous regrettons que nos propositions complémentaires n'aient obtenu aucun succès sur un sujet où, pourtant, on aurait pu croire que le clivage gauche-droite s'effacerait quelque peu. Pour autant, nous soutenons ce texte par volontarisme. Nous ne savons pas quels seront ses effets, mais donnons-lui la chance de faire ses preuves, en espérant que les procédures nouvelles seront couronnées de succès.

Mme Silvana Silvani .  - Je m'interrogeais en discussion générale ; je m'interroge toujours. Nous n'avons pas parlé de l'accueil ni du traitement des plaintes. Nous sommes très en deçà du réel. La question du consentement est importante, mais celle des moyens l'est aussi, de même que celle de l'injonction à prendre en compte les plaintes. Nous sommes loin du compte.

Je ne suis pas juriste, mais pourquoi le viol est-il la seule infraction pour laquelle on s'interroge sur le consentement de la victime ? J'ai écouté des victimes, des collectifs, des juristes. Il n'y a pas consensus et tous les avis sont respectables. Or tous les points de vue n'ont pas été pris en considération.

M. le président.  - Votre temps de parole est épuisé.

M. Guillaume Gontard .  - Ce texte est l'aboutissement victorieux d'un long travail militant et parlementaire. Je pense aux auteures du texte et à notre collègue Mélanie Vogel. Inscrire la notion de consentement dans la loi est un progrès juridique, mais aura aussi un effet symbolique, culturel et éducatif, pour passer de la culture du viol à celle du consentement. Il faudra évaluer ce texte, comme tous les textes, mais il marque certainement une avancée.

Mme Véronique Guillotin .  - La notion de consentement va être inscrite dans la loi, de manière consensuelle. C'est un progrès important, même si cela ne résoudra pas tout. J'ai de petits regrets et souhaite en particulier qu'on aille plus loin sur les deux questions soulevées par mes amendements. Je fais confiance au travail du Gouvernement et de notre assemblée.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°326 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l'adoption 323
Contre     0

La proposition de loi est adoptée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.  - Je salue ce vote très clair et remercie à nouveau les députées Garin et Riotton. Notre travail se poursuit en vue de la loi intégrale contre les violences sexuelles et intrafamiliales. (Applaudissements au banc des commissions ; Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

Recours des collectivités territoriales au modèle de la société portuaire (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, présentée par Mme Nadège Havet et MM. Michel Canévet et Yves Bleunven.

Discussion générale

M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi .  - La France est un grand pays maritime. Nous devons donc prêter une attention particulière aux sujets maritimes, notamment halieutiques.

Lors des lois de décentralisation, les départements et communes se sont vu transférer la gestion de nombreux ports. En 2004, une autre vague de transferts est intervenue, au profit des départements, régions et communes. En 2006, la loi relative à la sécurité et au développement des transports a créé la société portuaire.

Hélas, notre activité maritime n'est pas assez soutenue. Nous possédons le deuxième espace maritime au monde, mais importons les trois quarts des produits de la mer que nous consommons ! La Bretagne produisait l'essentiel de la pêche fraîche française ; elle dispose toujours de ports importants, comme Lorient, Erquy et, dans le Finistère, Le Guilvinec, Douarnenez, Concarneau, Saint-Guénolé, Loctudy et Roscoff. Mais le format de la production s'est fortement réduit : en Cornouaille, on est passé de 54 000 tonnes débarquées en 2004 à 24 000 tonnes en 2024.

De nombreux ports sont gérés par les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Mais les conditions économiques ne sont plus réunies pour que ces établissements publics de l'État puissent dégager des ressources suffisantes. Les collectivités territoriales ont donc dû imaginer d'autres dispositifs.

Le modèle de la société portuaire ne sert actuellement que pour la gestion de deux ports. De fait, la loi de 2006 ne le rend applicable qu'aux ports dont la gestion a été décentralisée en 2004, et non aux nombreux ports précédemment transférés. Notre proposition de loi rectifie cette incohérence. Je remercie le Gouvernement d'avoir engagé la procédure accélérée.

La société portuaire est un outil spécialisé fort utile, et nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour le rendre rapidement opérationnel dans le plus grand nombre de ports. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Cette proposition de loi apporte une nouvelle brique au travail au long cours de notre commission sur les leviers de performance de nos ports. Pour reprendre l'intitulé d'un rapport de notre ancien collègue Michel Vaspart, nous devons réarmer nos ports dans la compétition internationale. Pour ce faire, il faut améliorer leur gouvernance, renforcer leur compétitivité et accompagner leur verdissement.

Ce texte vise à permettre aux ports décentralisés de créer des sociétés portuaires, pour une meilleure gestion de leurs infrastructures portuaires. Ce modèle renforcera l'implication des collectivités territoriales qui, par leur participation au capital, deviendront acteurs de la robustesse et de la résilience de ces structures, dont l'assise financière sera rendue plus large.

Les ports ont fait face à de nombreux chocs exogènes : Brexit, covid, hausse des prix des carburants, plan de sortie de flotte, fermeture temporaire du golfe de Gascogne pour protéger le dauphin. Des indemnisations sont envisageables, mais la fixation des montants donne lieu à des négociations fastidieuses. L'implication des collectivités territoriales mutualiserait les risques et améliorerait l'équilibre financier.

Ce modèle présente de nombreux atouts. À la différence de la société publique locale (SPL), il permet aux collectivités territoriales de participer au capital, les CCI apportant leur connaissance du tissu économique de proximité et leur capacité de projection à l'étranger. À la différence des sociétés d'économie mixte (SEM), il permet de bénéficier du statut de quasi-régie, qui s'accompagne de dérogations en matière d'ouverture à la concurrence.

Ce modèle est déjà en vigueur pour la gestion des ports de Brest et de Bayonne. Mais la loi de 2006 en limite le champ potentiel à dix-sept ports métropolitains et un port ultramarin, transférés en 2004. Faisons sauter ce verrou législatif, pour que les collectivités territoriales puissent recourir largement à cet outil polyvalent lorsqu'elles le jugent utile.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a adopté ce texte à l'unanimité, après l'avoir modifié pour le rendre compatible avec le droit européen de la commande publique en prévoyant l'appréciation au cas par cas des conditions de la quasi-régie.

La souplesse de ce dispositif répond aux attentes des acteurs, dans le Finistère comme dans les autres territoires concernés par un renouvellement prochain des concessions.

Je forme le voeu que ce texte ne reste pas en cale sèche et que l'Assemblée nationale le mène à bon port ! (Sourires et applaudissements)

M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports .  - J'ai plaisir à m'exprimer devant vous sur une proposition de loi émanant directement du terrain. Elle répond au besoin d'accéder plus largement à un outil de gouvernance portuaire performant, qui a fait ses preuves à Brest et à Bayonne. Ce modèle concilie expertise publique et efficacité économique.

En supprimant sa limitation aux ports décentralisés depuis 2004, nous l'ouvrons à de nombreux ports confrontés aux mêmes enjeux. Les ports décentralisés, 600 au total, représentent 22 % du tonnage total de marchandises échangées dans notre pays, 11 000 emplois directs et 27 000 emplois indirects.

Nous voulons développer les ports dans une vision de long terme, en associant les collectivités territoriales et en prévoyant toutes les garanties sociales nécessaires, monsieur Lahellec. Telle est notre approche : pragmatique, à l'écoute des territoires et respectueuse des équilibres sociaux.

Ce texte est consensuel, et l'amendement du Gouvernement ne vise qu'à lever le gage. Je vous remercie pour ce travail de qualité, qui élargira une gouvernance efficace et adaptée aux enjeux contemporains. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

M. Pierre Jean Rochette .  - La Loire est un département maritime important, comme chacun sait... (Sourires) Nous avons, de fait, quelques ports fluviaux, comme Roanne et le port de la Caille à Saint-Jean-Saint-Maurice.

Au reste, il s'agit d'un sujet national et d'un enjeu de souveraineté.

Nous sommes d'accord sur tous les points : élargissement de la société portuaire, participation conjointe des collectivités territoriales et des CCI au développement de ces infrastructures stratégiques, atouts d'attractivité pour notre pays.

Ce texte offre de la souplesse aux collectivités territoriales et relève d'une décentralisation efficace. Nous le voterons. (Applaudissements sur diverses travées)

Mme Muriel Jourda .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cela vient d'être dit : nous sommes d'accord pour élargir à tous les ports la possibilité de recourir à cet outil.

J'ai coutume de dire que le droit n'est qu'un outil à notre service. Et les juristes sont créatifs ! Nul n'a jamais vu de personnalité morale, mais elles existent...

Les sociétés portuaires ont de grands avantages : double financement des ports par les CCI et les collectivités territoriales, statut de quasi-régie. Mais ce modèle ne peut bénéficier qu'à quelques ports. Ce texte en élargit le champ d'application.

Les activités portuaires, à commencer par la pêche, sont un enjeu économique essentiel. Si l'extension de ce statut favorise le développement d'autres ports, notamment bretons, ne nous en privons pas !

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur diverses travées)

M. Bernard Buis .  - Notre groupe votera cette proposition de loi utile à nos ports. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

La loi du 5 janvier 2006 a permis à ces structures indispensables à la vitalité de certains territoires de se développer à travers la création des sociétés portuaires, groupement entre les ports, les collectivités territoriales et les CCI, un modèle bien plus souple que les établissements publics soumis à des règles administratives strictes.

La société portuaire fonctionne quant à elle selon un modèle de droit privé, avec sa propre personnalité juridique : elle peut embaucher sous contrat privé, signer des partenariats et fixer librement ses tarifs. Le capital peut être ouvert à des acteurs privés, les collectivités peuvent participer à la gouvernance du port. De quoi renforcer l'ancrage local du port et coordonner ses projets avec ceux du territoire - transport multimodal ou enjeux de transition énergétique.

Mais ce modèle ne concerne que dix-huit ports français, alors qu'il y a plus de cinq cents ports décentralisés - dont celui de Valence dans la Drôme. Depuis la loi NOTRe, d'autres ports ont été transférés aux collectivités. Il devient nécessaire de modifier la loi pour que toutes les collectivités puissent recourir au modèle de société portuaire.

Cette proposition de loi « bretonne » défend non pas l'indépendance de la Bretagne mais bien l'autonomie de nos élus locaux et le développement de nos ports. (Sourires) Grâce à elle, de nombreux ports bénéficieront demain de nouveaux moyens financiers : les CCI savent récupérer de l'argent au niveau national et international, alors que les finances des collectivités territoriales sont mises à rude épreuve.

Adopté à l'unanimité en commission, ce texte utile, concis, transpartisan présente des atouts indéniables pour nos collectivités. Le RDPI votera pour, en lui souhaitant bon vent ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La puissance économique de la France est intimement liée à celle de son réseau portuaire. De l'essor des grands ports commerciaux de Bordeaux et Marseille au XVIIIe siècle au développement des complexes industrialo-portuaires dans les années 1960, nos ports ont su s'adapter à toutes les grandes transformations.

La décentralisation a fait des collectivités locales un acteur incontournable de leur développement, mais l'implication est inégale. Certaines s'engagent résolument dans la modernisation de leur port, d'autres peinent à enclencher cette dynamique. Le choix du mode d'exploitation joue : les collectivités concessionnaires s'investissent davantage. Surtout, les capacités de financement des investissements et infrastructures divergent.

Les ports qui se modernisent ont eu recours au modèle de société portuaire. Ils ont bénéficié de l'expertise des CCI et des dérogations aux règles de la commande publique autorisées pour les gestions en quasi-régie. Ces avantages doivent pouvoir bénéficier à tous les ports qui le souhaitent. De nombreuses collectivités attendent que la loi vire de bord !

Ce texte supprime un verrou législatif et apporte une souplesse attendue depuis longtemps. Nous le voterons. (Applaudissements)

M. Pascal Martin .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Cette proposition de loi pourrait sembler aride. Pourtant, il est essentiel de permettre à tous les ports décentralisés de créer des sociétés portuaires. En Normandie, il existe trois types de gestion : la société publique locale dans la Manche, la société d'économie mixte à opération unique dans le Calvados, la SEM en Seine-Maritime. Ce texte ajoute une option : la société portuaire.

Je remercie les auteurs et la rapporteure.

Alors que six cents ports décentralisés pourraient être concernés, la loi a limité ce modèle aux dix-huit ports d'intérêt régional. Pourtant les avantages sont incontestables. Ce modèle renforce le rôle des collectivités territoriales concédantes dans la stratégie de développement des ports. Il est donc plébiscité par les gestionnaires, qui soutiennent massivement cette proposition de loi.

C'est de l'avenir de nos ports qu'il s'agit ici. La société portuaire simplifiera leur gestion : plus de mise en concurrence pour conclure un contrat de concession, financement des investissements facilité, développement des approches partenariales, etc.

Les ports ont besoin de simplification, d'investissement, d'une vision partagée, d'un cap, pour répondre aux défis actuels. Confrontés à des crises à répétition, contraints de se moderniser à marche forcée, ils doivent se verdir, se décarboner, participer à la préservation des écosystèmes marins. Les accompagner est d'autant plus vital qu'ils sont un atout majeur de développement et d'attractivité de nos territoires. (M. Michel Canévet renchérit.) Les ports de Seine-Maritime jouent un rôle majeur dans l'économie locale et font le charme de la côte d'Albâtre !

L'importance des ports dépasse les seuls territoires littoraux. Plaisance, transport, fret, ils irriguent toute la croissance nationale.

Le groupe Union Centriste votera ce texte des deux mains. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Nadège Havet applaudit également.)

M. Gérard Lahellec .  - (MM. Michel Canévet et Alain Cadec applaudissent.) La décentralisation place les collectivités territoriales en première ligne pour le développement des ports.

En application des lois Raffarin du 13 août 2004, la Bretagne est devenue dépositaire des ports de Brest, Lorient et Saint-Malo ; la région, autorité concédante, reçoit une dotation générale de décentralisation (DGD) annuelle de 1,5 million d'euros.

Celle-ci a été calculée sur la base des investissements réalisés au cours des dix années précédant le transfert, or peu d'investissements ayant été réalisés, il y avait peu à compenser.

L'État ne voyant que les grands ports maritimes, les collectivités étant exsangues, il nous faut les aider à relever le défi de la gestion des ports dont elles ont la compétence.

Ainsi cette proposition de loi corrige une anomalie. Elle reprend un amendement que nous avions déposé avec Alain Cadec sur la loi d'orientation agricole.

Les ports décentralisés en 2015, après la loi NOTRe, ne peuvent se constituer en société portuaire. Nous légiférons parfois un peu vite...

Il n'est pas juste de dire que cette possibilité serait une incitation à dépenser plus. C'est la loi de décentralisation qui pousse les collectivités à mettre la main au portefeuille ! La Bretagne, avec ses 2 700 km de côtes, ne peut se désintéresser de ses ports. En outre, la société portuaire présente des avantages en matière partenariale et fiscale. Enfin, les CCI peuvent devenir actionnaires de ces sociétés. C'est pourquoi j'ai contesté l'irrecevabilité au titre de l'article 40 opposée à nos amendements. Je persiste et signe : la société portuaire permet de réduire la charge supportée par la collectivité. Nous voterons ce texte. (Applaudissements)

M. Jacques Fernique .  - La proposition de loi Ollivier sur les écosystèmes marins a rappelé combien les activités des ports sont déterminantes pour l'équilibre de la biodiversité et des milieux naturels marins, essentiels pour assurer les ressources de la pêche : environnement et économie sont liés.

Nos ports ont un rôle à jouer - nos ports de mer qui entendent le rester, dirais-je en ce 18 juin. (Sourires) La loi de 2006 permet aux collectivités de recourir le modèle de la société portuaire, avec une gestion en quasi-régie et l'apport en capital de la CCI.

Les dix-huit ports concernés, comme Brest ou Bayonne, ont réalisé des investissements considérables, que les CCI n'auraient pu porter seules. L'accès à ce modèle est un enjeu majeur pour les sept ports de pêche de la Cornouaille, qui représentent 20 % de la pêche nationale. Les crises récentes imposent de pouvoir partager les risques.

Il faut faire sauter ce verrou, pour les ports de la Cornouaille et pour les autres, afin de profiter d'un capital qui reste détenu à 100 % par des personnes publiques. Mon groupe votera ce texte. (Applaudissements)

M. Sébastien Fagnen .  - (M. Michel Canévet applaudit.) Il n'y a pas que la Bretagne dans la vie, il y a aussi la Normandie ! (Sourires ; M. Pascal Martin applaudit.)

Ce texte est une opportunité pour améliorer la gouvernance et la compétitivité de nos ports. Encore faut-il que ceux-ci soient reliés à des infrastructures ferroviaires dignes de ce nom, monsieur le ministre - je fais référence à ma question d'actualité sur la ligne nouvelle Paris-Normandie. (M. Philippe Tabarot hoche la tête.)

Nos ports sont confrontés aux conséquences du Brexit, qui a eu des externalités négatives sur la pêche. Dans la Manche, le port de Granville est confronté à la raréfaction des bulots, à cause du changement climatique. La baisse de la production depuis une décennie a été telle que le label pêche durable a été perdu.

Nous voulons promouvoir la pêche artisanale française, pour défendre notre souveraineté et notre sécurité alimentaires, dans le respect des écosystèmes marins.

Ce texte permet d'inscrire les ports de pêche dans une économie mondiale. Il était temps d'adapter la loi à la réalité des territoires. Le groupe SER votera cette proposition de loi.

Des questions de gouvernance se posent néanmoins. Des outils sont d'ores et déjà mobilisables par les collectivités : SPL, syndicats mixtes, régies... Ce travail en réseau est essentiel.

Veillons à la fluidité du dialogue entre l'ancien et le nouvel exploitant dans le cadre de la mise à jour de la loi relative à la sécurité et au développement des transports, concernant les conditions de mise à disposition des agents publics.

Nous accueillons ce texte avec enthousiasme et pragmatisme. Nous le voterons. (Applaudissements)

M. Alain Cadec .  - (Applaudissements) Cette proposition de loi est une étape importante pour la modernisation de la gestion de nos ports. Elle offre de nouveaux leviers pour dynamiser les ports locaux et mieux associer les acteurs du territoire à leur développement. La gestion des ports est historiquement partagée entre l'État et les collectivités territoriales.

Le modèle de la société portuaire offre une plus grande souplesse de gestion, une capacité d'investissement renforcée et une meilleure association des acteurs publics et privés. La proposition de loi lève les restrictions existantes en permettant à toutes les collectivités de créer ou de participer à une société portuaire. Il s'agit aussi de sécuriser le recours à ce modèle, sur la sélection des actionnaires, les concessions et les obligations de service public.

Les collectivités sont consacrées comme acteurs majeurs du développement portuaire, en association avec les entreprises et les CCI.

En clarifiant le cadre juridique, le texte limitera les contentieux. Il prévoit également des procédures transparentes et des obligations de reporting.

Ce modèle a fait ses preuves. En 2018, président du département des Côtes-d'Armor, j'ai mis en place une SPL départementale, qui fonctionne très bien.

Avec Gérard Lahellec, nous avions déposé un amendement au projet de loi pour la souveraineté alimentaire, jugé irrecevable au titre de l'article 40, on ne sait pourquoi.

Les avancées de cette proposition de loi sont en phase avec ce que nous défendons, depuis longtemps. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements)

Discussion de l'article unique

Article unique

M. le président.  - Amendement n°1 du Gouvernement.

M. Philippe Tabarot, ministre.  - Au vu du consensus dans cet hémicycle, j'ai décidé de lever le gage. (Sensation et applaudissements)

Mme Nadège Havet, rapporteure.  - On ne peut qu'y être favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article unique, modifié, constituant l'ensemble de la proposition de loi, est adopté.

(Applaudissements)

Mise au point au sujet d'un vote

M. Laurent Somon.  - Lors du scrutin public n°326, Nadine Bellurot souhaitait voter pour.

Acte en est donné.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 19 juin 2025, à 10 h 30.

La séance est levée à 1 heure.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 19 juin 2025

Séance publique

À 10 h 30, l'après-midi et, éventuellement, le soir

Présidence : M. Loïc Hervé, vice-président, M. Didier Mandelli, vice-président

Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Nicole Bonnefoy

1Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l'enseignement supérieur (texte de la commission, n°657, 2024-2025)

2Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers (texte de la commission, n°726, 2024-2025)

3Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi sur la profession d'infirmier (texte de la commission, n°680, 2024-2025)

4Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail (texte de la commission, n°717, 2024-2025)