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Table des matières
Exposition excessive et précoce aux écrans et méfaits des réseaux sociaux (Procédure accélérée)
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale
Intitulé de la proposition de loi
Simplifier la sortie de l'indivision successorale
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la commission des lois
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Avant l'article 1er (Supprimé)
Continuité des revenus des artistes-auteurs
Mme Monique de Marco, auteure de la proposition de loi
Mme Anne Souyris, rapporteure de la commission des affaires sociales
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Mise au point au sujet d'un vote
Exposition aux pesticides de synthèse
M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi
M. Pierre Cuypers, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique
Modification de l'ordre du jour
Ordre du jour du mardi 23 décembre 2025
SÉANCE
du jeudi 18 décembre 2025
43e séance de la session ordinaire 2025-2026
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
La séance est ouverte à 10 h 30.
Exposition excessive et précoce aux écrans et méfaits des réseaux sociaux (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe UC.
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - Cette proposition de loi marque une étape importante dans un long processus auquel de nombreuses volontés ont contribué. Je les remercie. Je pense en particulier à l'ancienne députée Caroline Janvier.
Il y a urgence à légiférer : les usages non raisonnés des écrans sont désormais bien identifiés. Selon les données de la cohorte Elfe, les enfants de 2 ans regardent les écrans en moyenne une heure par jour ; c'est deux heures pour les 7-9 ans. Selon une étude Ipsos-Centre national du livre de 2024, les 16-19 ans y passent plus de cinq heures par jour. C'est considérable.
Les risques sanitaires sont établis : troubles du sommeil, affections des yeux, surpoids... Les écrans peuvent provoquer des troubles de l'apprentissage, avec des problèmes de mémoire, d'acquisition de l'écriture, notamment du geste scripteur. Le rapport d'Amnesty International intitulé Poussé.e.s vers les ténèbres montre comment certains algorithmes de TikTok augmentent l'anxiété et la dépression.
À cela s'ajoute le phénomène de la technoférence. Chez les enfants de 0 à 3 ans, l'interposition systématique d'un écran dans la relation parent-enfant les prive d'échanges directs nécessaires à leur développement. S'ajoutent les expositions à l'IA, à la désinformation, aux trucages. Près de deux tiers des enfants américains échangeraient quotidiennement avec un prétendu compagnon numérique. Le phénomène risque de gagner la France.
Les risques dépassent les seuls aspects sanitaires. Une étude de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) identifie les risques, à commencer par l'hyperconnexion, à laquelle près de 88 % des adolescents sont exposés. S'ajoutent les contenus dégradants, haineux, violents, les incitations aux troubles alimentaires ou à des défis dangereux, le cyberharcèlement, les interactions avec des adultes mal intentionnés - je parle du fléau de la cyberpédopornographie - et les arnaques en ligne.
Malgré les alertes, le problème persiste. J'y vois deux causes principales. Premièrement, tel le pharmakon de Platon, le numérique fait partie de notre existence et apporte des progrès indéniables. Les écrans sont utilisés pour faire les devoirs, accéder à la culture, à leurs proches et à leurs pairs. Le numérique a permis aussi de renforcer l'inclusion, avec des applications pour les personnes en situation de handicap.
Deuxièmement, la responsabilité des plateformes est évidente et massive. Elles ne cessent de développer leurs modèles fondés sur l'économie de l'attention. Les réseaux sociaux évoluent vers les médias sociaux, avec un fil de vidéos incessant, fondé sur des algorithmes gavés de données personnelles. Comme nous l'avons vu lors de la commission d'enquête TikTok, les plateformes tiennent un discours schizophrénique : d'un côté elles font des efforts pour rendre leurs réseaux moins addictifs, de l'autre les algorithmes sont élaborés pour ne jamais lâcher les utilisateurs.
Nous avons été précurseurs. Dès 2018, dans un rapport d'information de la commission de la culture, j'évoquais la nécessité d'apprendre à se servir des écrans et à s'en passer.
Depuis, nous avons construit un édifice juridique pour protéger les adolescents.
J'ai introduit, dans la loi de 2019 pour une école de la confiance, l'obligation pour les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) de former étudiants et enseignants à la maîtrise des outils numériques.
Dans le rapport de 2021 sur le DSA, nous plaidions avec Florence Blatrix Contat pour un renforcement des exigences européennes. Cette bataille a été gagnée.
La loi de 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique a constitué une autre avancée.
Je salue aussi les efforts du monde de la santé pour ne pas laisser notre jeunesse à la dérive. Tous les acteurs de l'éducation nationale, de la PMI, des collectivités territoriales sont mobilisés et nous ont soutenus. Les initiatives sont nombreuses et souvent remarquables.
Nous pouvons donc proposer une approche plus systémique. L'essentiel de la réglementation relève du règlement général sur la protection des données (RGPD) et du DSA - c'est le fameux article 28 -, qui obligent à réglementer les plateformes.
L'Arcom vérifie que la mise en place d'environnements dédiés aux mineurs est effective. La Commission européenne a ouvert des enquêtes. Contraintes et forcées, les plateformes commencent à évoluer.
En juin dernier, sur mon initiative, nous avons adopté une proposition de résolution européenne appelant l'Union européenne à accentuer la pression sur les plateformes pour la protection des mineurs.
La loi de 2023, dite loi Marcangeli, n'a jamais été appliquée en raison de l'opposition de l'Union européenne. Cela a changé, avec la publication des lignes directrices du RSN (règlement sur les services numériques, ou DSA) en juillet dernier par la Commission européenne : chaque État membre peut fixer un âge minimal d'accès aux réseaux sociaux. Elle a publié un référentiel pour vérifier l'âge des utilisateurs.
Le Parlement européen a pris position le 26 novembre dernier, et des initiatives se sont multipliées, nous incitant à proposer aujourd'hui un amendement sur le seuil minimal d'accès aux réseaux sociaux. Cet amendement prévoit la possibilité de fixer une limite d'âge harmonisée au niveau européen, pour éviter tout risque de cacophonie. Il est conforme à la position du Parlement européen, avec une vérification de l'autorisation entre 13 et 16 ans. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
La proposition de loi promeut une approche plus systémique du sujet, pour une culture numérique partagée par tous les acteurs. Nous avons ajouté aux actions de prévention des risques la promotion d'un usage raisonné du numérique et de solutions alternatives aux écrans.
Le texte prévoit d'intégrer dans les règlements intérieurs des structures d'accueil des enfants de moins de 6 ans des règles sur l'usage des écrans, ainsi que l'ajout de la prévention des risques liés aux écrans dans les missions des PMI. Tous les professionnels voyant des enfants seront aussi sensibilisés.
Nous avons modifié la rédaction du texte, pour parler plutôt d'usage « non raisonné » que d'usage « excessif ». Nous nous focalisons ainsi moins sur la durée d'exposition des écrans que sur leur mauvais usage, car certains effets négatifs peuvent intervenir rapidement.
Il faut traiter la question de l'accès différencié selon les âges. La règle « 3-6-9-12 » de Serge Tisseron demeure une référence. Certains pédiatres demandent une exposition quasi nulle avant 6 ans. Il faudra prendre en compte cela dans la formation des professionnels.
La deuxième partie de la proposition de loi concerne l'éducation nationale. Il faut adapter la formation des enseignants, qui doit être effective dans les Inspé. Certes, il peut être tentant de déléguer la formation à des entreprises privées, qui connaissent mieux les outils, mais les pouvoirs publics ne peuvent se dessaisir de la question.
L'article 4 s'intéresse à la place des écrans dans tous les temps de l'enfant. Il prévoit une démarche cohérente entre tous les acteurs intervenant auprès d'enfants.
L'article 5 prévoit de fédérer toute la collectivité éducative, ainsi que les collectivités territoriales, autour d'une vision partagée du numérique. Les collectivités territoriales, impliquées dans l'environnement numérique des collèges et lycées, doivent comprendre que ce n'est pas un équipement anodin. Le choix du tout numérique pour les manuels scolaires implique la présence d'un écran dans la chambre des jeunes ; certaines collectivités territoriales ont même donné des tablettes aux enfants.
L'éducation nationale doit clarifier sa doctrine sur l'utilisation des outils et des technologies numériques. D'un côté, on donne des tablettes, de l'autre, les agendas papier disparaissent. Par ailleurs, nous avons étendu les dispositions du texte au privé sous contrat.
L'article 6 ancre dans la loi les campagnes de sensibilisation organisées chaque année par l'Arcom et y associe la Cnil et les ministères de l'éducation nationale et de la santé.
Nous devons combattre les effets négatifs de ces technologies sur les enfants. Nous sommes passés d'une attitude émerveillée, naïve, à une attitude plus exigeante.
Surtout, soyons intransigeants avec les fournisseurs de contenus, responsables des méfaits de ces réseaux dits sociaux. (Applaudissements)
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées . - Je me réjouis de cette proposition de loi, qui soulève des enjeux bien documentés. Les retours de terrain et les données scientifiques sont unanimes : l'exposition précoce et excessive des enfants et adolescents aux écrans fragilise le lien social, altère leur santé mentale et peut peser durablement sur leur développement. Dans cette mobilisation collective, je salue le rôle du Parlement, et particulièrement du Sénat, dès 2018.
Le Gouvernement agit clairement, pour mieux accompagner les professionnels et les familles, à trois niveaux : information et prévention, environnement des enfants et capacité à agir.
La prévention passe par des repères simples et partagés : le carnet de santé recommande aucun écran avant 3 ans, un usage occasionnel et encadré avant 6 ans, et une attention particulière au sommeil, aux interactions sociales et à l'activité physique. Des fiches pratiques et des messages pédagogiques sont envoyés aux enfants et aux parents.
Les CAF, avec le label « Parents, parlons numérique », agissent sur le terrain. Avec Santé publique France, nous préparons une campagne pour les 6-12 ans.
Second axe, l'environnement direct des enfants. L'exposition des moins de 3 ans aux écrans est interdite. Le téléphone portable est interdit au collège depuis la rentrée 2025. Des travaux scientifiques sont menés sur la question de la majorité numérique. En témoignent le rapport Écrans et enfants de Servane Mouton et Amine Benyamina de 2024 et les réflexions engagées par nos voisins européens et internationaux.
Troisième axe, la capacité d'agir des professionnels : nous lancerons une formation structurée des professionnels de santé non médicaux. Cette prévention des addictions permet de repérer les situations à risque et d'orienter les publics notamment jeunes. Ces actions sont menées en lien étroit avec le ministère de l'éducation nationale, central pour l'éducation aux médias.
Cette proposition de loi mérite d'être saluée, dès lors qu'elle vise à consolider, structurer et rendre lisibles des actions déjà engagées. Elle affirme une idée simple : l'exposition aux écrans est un déterminant de santé à part entière. C'est dans cet esprit que ce texte a toute sa place dans notre arsenal de prévention en santé publique.
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale . - Madame la rapporteure, je vous remercie de votre mobilisation sur ce sujet.
Cette proposition de loi prolonge des réflexions déjà engagées. Nous partageons pleinement votre diagnostic : l'exposition excessive aux écrans peut affecter durablement la santé des enfants et leurs apprentissages. Un temps d'écran supérieur à quatre heures à 3 ans détériore de 56 % le taux d'attention des enfants. S'y ajoutent les risques de comportement, notamment le cyberharcèlement et l'exposition aux contenus non adaptés.
Nous avons donc souhaité inscrire notre action dans une vision claire et cohérente. L'école ne peut tout faire toute seule. Il faut aider les familles, démunies, mobiliser les acteurs numériques, qui ne le sont pas suffisamment... et accompagner les professionnels de santé et les collectivités territoriales. L'Arcom et la Cnil jouent un rôle essentiel.
Il faut limiter l'exposition, éduquer aux bons usages et proposer des solutions alternatives aux écrans.
Pour limiter l'exposition, notre doctrine doit être claire : proscription de tout écran individuel à l'école maternelle, hors situation particulière d'enfant en situation de handicap. À l'école et au collège, les usages sont encadrés. L'interdiction du téléphone portable a été généralisée. Nous souhaitons engager un travail sur la limitation des usages des téléphones au lycée pour protéger les jeunes. C'est le souhait du Président de la République.
Il faut ensuite éduquer aux écrans, pour apprendre à ne pas les subir. Ne pensons pas que le numérique soit par nature nocif. Le coeur du sujet est moins technologique qu'éducatif. Il faut pousser nos élèves à faire usage de leur esprit critique, à lire, comprendre, interroger les contenus, développer leur capacité de doute, de manière technologiquement neutre. Car nous ne savons pas ce que seront les écrans demain. Préparons nos jeunes à faire face à cette déferlante et aux nouveaux outils affectant leur vie future.
Enfin, il faut créer des alternatives aux écrans en recréant des espaces de sociabilité normaux, physiques. Voyez une sortie de collège : les élèves passent plus de temps sur les écrans qu'à discuter entre eux. Avec Ma classe au cinéma, nous voulons par exemple transformer l'égoïsme du petit écran en expérience sociale et esthétique du grand écran. Le dispositif Pix, avec un parcours progressif, dès le primaire, permet d'obtenir une certification en troisième et terminale. Le contrôle parental a été renforcé en 2022 pour lutter contre l'exposition aux contenus inappropriés.
L'enjeu, au-delà de cette proposition de loi, est de s'assurer que sa mise en oeuvre trouve le degré de normativité approprié dans les projets éducatifs territoriaux et les projets d'établissement.
Nous partageons les objectifs et ambitions de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Martin Lévrier . - Pour certains jeunes, écrans et réseaux sociaux sont devenus un environnement total, parfois un enfermement avec des conséquences qu'on ne peut plus ignorer et minimiser. Conçues pour retenir l'attention, les plateformes poussent les jeunes à des comportements obsessionnels.
Les études et les témoignages convergent : comportements addictifs, troubles de l'attention, altération du sommeil, anxiété, et parfois, chez des préadolescents fragiles, des passages à l'acte, jusqu'au suicide.
L'exposition non raisonnée aux écrans peut perturber aussi le développement du langage, la relation à l'autre, avec parfois des troubles proches du spectre autistique, même si les médecins restent prudents. S'ajoutent les risques d'ingérence, de radicalisation politique ou religieuse.
Dans le cadre du PLFSS, j'avais défendu un amendement visant à interdire la détention d'un smartphone par les moins de 16 ans. Sans discernement, cet outil peut devenir une arme, contre les autres ou contre soi-même. Cette proposition radicale est à la hauteur de ce qui est en jeu. Devons-nous combattre toutes les applications ou plateformes qui enfreignent la loi, ou leur support ? Les munitions ou les armes ?
Je salue la qualité du travail accompli. Il s'inscrit dans un continuum d'initiatives, de lois et de réflexions européennes en cours. Il fait écho aussi à la mobilisation de l'exécutif. Le Président de la République a souligné sa volonté de durcir les règles, en évoquant un projet de loi interdisant l'accès aux réseaux sociaux avant 15 ou 16 ans.
Le dispositif proposé, équilibré, renforce la formation de tous les acteurs ; il encadre l'usage des appareils numériques dans les structures de la petite enfance et les établissements scolaires publics et privés sous contrat ; il organise aussi une campagne nationale de sensibilisation structurée, associant l'Arcom, la Cnil et les ministères concernés.
Nos enfants sont notre avenir. La France ne peut pas être timide.
Alors que les plateformes structurent le temps, l'attention, les émotions de nos adolescents, nous avons la responsabilité de fixer des limites, de dire ce qui est acceptable ou non.
Le RDPI votera pour ce texte.
M. David Ros . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Alexandre Basquin applaudit également.) Je remercie Catherine Morin-Desailly de ce texte, qui fait suite à de multiples travaux précurseurs, menés depuis 2018.
Les récentes prises de position médiatiques du Président de la République ou des ministres chargés du numérique et de l'IA, de l'éducation nationale et de la santé montrent la pertinence de nos travaux. Les auditions menées ont montré combien l'attente des acteurs concernés était grande.
Le double intérêt de ce texte est de protéger nos plus jeunes quant à l'usage excessif des écrans et des réseaux sociaux et de nous interroger, nous adultes, sur nos propres pratiques.
Il faut protéger les jeunes, futurs citoyens, de l'exposition excessive au numérique. Les articles du texte jonglent entre intervention, prévention et formation, car il serait inefficace d'ériger un texte uniquement marqué d'interdits.
Vouloir bannir l'usage des nouvelles technologies dans l'apprentissage serait illusoire, et erroné, car des développements stimulants sont aussi infinis. Comme à chaque nouvelle révolution technologique majeure, nous sommes confrontés au débat entre lumière et ombre, séparation du bon grain de l'ivraie.
M. Stéphane Piednoir. - Quel poète...
M. David Ros. - Un consensus scientifique net se dégage sur les effets néfastes des écrans : troubles du sommeil, anxiété, obésité...
L'article 1er, sur les règlements intérieurs des structures d'accueil des enfants de moins de 6 ans, est bienvenu, tout comme l'article 2, sur les actions de prévention dans les structures de PMI.
La sensibilisation de toute une classe d'âge - c'est l'article 3 - est aussi étendue aux activités périscolaires par l'article 4. Des formations sont prévues pour tous les enseignants.
Ces éléments d'acculturation conduisent à envisager l'appropriation de ces éléments au sein de l'enseignement scolaire, via les règlements intérieurs, à l'article 5.
Enfin, l'article 6 invite les ministères de l'éducation nationale, de la santé et du numérique à organiser, chaque année, une campagne de sensibilisation. Je défendrai un amendement portant article additionnel pour appuyer le rôle fédérateur du ministère de l'éducation nationale en la matière.
Ce texte est équilibré, cohérent et applicable. Bien sûr, il ne fera pas disparaître les dangers des réseaux sociaux ni les risques de cyberharcèlement, mais il complète utilement notre arsenal législatif.
En cette période de fin d'année, c'est un joli cadeau sous le sapin... (Mme Catherine Morin-Desailly et M. Laurent Lafon apprécient.)
Il faut savoir se protéger des sollicitations numériques. Savoir se servir du numérique, c'est aussi savoir s'en passer. Ce texte aidera notre jeunesse à se guider avec maîtrise dans le monde numérique, et non à être maîtrisée par un monde numérique qui serait son nouveau guide.
Trêve de suspens addictif...
M. Stéphane Piednoir. - Insoutenable...
M. David Ros. - ... le groupe SER donnera à son vote une exposition maximale, mûrie et non précoce : un vote pour unanime ! (« Bravo ! » au banc des commissions ; applaudissements sur les travées des groupes SER et UC et sur quelques travées du GEST)
M. Alexandre Basquin . - Depuis un an, onze familles françaises ont assigné TikTok en justice, l'accusant d'exposer leurs enfants à des vidéos promouvant suicide, automutilation, troubles alimentaires. Marie, Emma, Charline, Pénélope, Lilou en sont mortes. Je ne les connaissais pas, mais je leur rends hommage. C'est dire l'ampleur de notre responsabilité collective face à un monde numérique devenu un monstre.
Nous voterons ce texte à l'unanimité.
Il faut miser sur la formation des professionnels de santé et de l'enseignement et sur la prévention auprès des familles, sans culpabilisation aucune, en pointant toujours du doigt la responsabilité des plateformes.
Les ravages des réseaux sociaux et des agents conversationnels se multiplient. Une étude a montré en octobre que l'usage des réseaux sociaux était associé à 600 000 cas de dépression supplémentaires chez les jeunes Français. Les plateformes sont prêtes à tout pour capter notre attention - TikTok, YouTube, X, sans oublier ChatGPT.
Derrière les réseaux sociaux et l'IA générative ne se trouve qu'une poignée de milliardaires qui ne cherchent qu'à maximiser ses profits en monétisant notre attention.
Nos enfants sont une cible privilégiée.
Tout cela a été dénoncé par le Président de la République dans son tour de France sur le thème de la démocratie et des réseaux sociaux. Pourtant c'est ce même président qui a grand ouvert les portes aux géants de la Tech, qui n'a pas donné suite aux recommandations émises par une commission qu'il a lui-même instituée et qui a inauguré en mai dernier les bureaux parisiens de Snapchat !
Nous ne pouvons plus nous satisfaire des doubles discours.
Il faut aller plus loin pour la sécurité de nos enfants. Je salue le courage du Gouvernement australien qui a interdit les réseaux sociaux aux moins de 16 ans.
Les géants de la Tech nous racontent que leurs avancées technologiques sont forcément source de bien-être social. Je n'en crois pas un mot. C'est digne du Meilleur des mondes d'Huxley...
J'ose le dire, je n'ai pas de réseaux sociaux, ne les utilise pas. Il nous faut arrêter cette machine infernale qui déshumanise. Il faut avoir le courage de remettre de l'humain et du sens, notamment dans les services publics, notamment dans ceux qui interviennent auprès des enfants et adolescents. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER et du GEST)
Mme Mathilde Ollivier . - Ce texte intervient à un moment décisif : notre société prend la mesure de l'impact massif des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement de nos enfants.
Depuis vingt ans, l'exposition des plus jeunes ne cesse de croître. Elle atteint aujourd'hui 1 h 30 dès 3 ans, et un enfant de moins de 3 ans sur trois mange devant un écran... Les études convergent sur les risques qui en résultent : surpoids, perte d'attention, addiction et altération de la santé mentale, notamment.
Cette proposition de loi met enfin la prévention au coeur du débat public. Oui, il est de notre responsabilité de donner des repères aux parents, aux professionnels et aux enfants eux-mêmes. C'est aussi un enjeu de réduction des inégalités, car l'exposition aux écrans varie selon le niveau d'études des parents.
Madame la rapporteure, je salue votre engagement constant et votre travail de fond sur ce sujet. Vous avez apporté au texte des améliorations utiles à la suite des auditions, notamment en remplaçant e la notion « d'usage excessif » par celle « d'usage non raisonné » et en renforçant les obligations dans les structures d'accueil des jeunes enfants.
Le GEST partage vos intentions et vos objectifs. Nous proposerons d'enrichir le texte, notamment pour limiter strictement l'exposition aux écrans jusqu'à 6 ans et mettre en place une véritable éducation aux usages pour les adolescents.
Plus largement, nous avons besoin d'une politique globale et lisible sur le numérique et les réseaux sociaux ; elle aurait dû être impulsée par le gouvernement de la start-up nation...
Les travaux de la commission d'enquête TikTok ont montré que les enjeux sont systémiques. Hélas, le Président de la République multiplie les effets d'annonce, sans véritable stratégie à la hauteur des risques. Il faut un projet de loi transversal et ambitieux traitant de la régulation des plateformes, de l'addiction, des données personnelles et des droits numériques des citoyens. Ces ambitions doivent être défendues avec force au niveau européen, contre les pressions extérieures.
Nous voterons ce texte utile et nécessaire. (Applaudissements à gauche ; Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
M. Ahmed Laouedj . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) En Seine-Saint-Denis, département le plus jeune de France, les écrans sont omniprésents, non par choix, mais par contrainte sociale et manque d'alternatives. Les effets d'une exposition non maîtrisée s'y font sentir plus tôt et plus durement.
Les travaux scientifiques convergent sur les risques liés à une exposition précoce et excessive : altération du développement cognitif et émotionnel, perturbation du sommeil, fragilisation de l'attention. Une hausse des demandes de prise en charge en résulte, alors que les structures médicopsychologiques sont déjà fortement sollicitées.
La situation est d'autant plus préoccupante que les usages numériques s'installent très tôt, dans un environnement où la technologie évolue plus vite que les capacités d'adaptation des familles. De fait, les plateformes reposent sur des mécanismes algorithmiques destinés à prolonger le temps d'exposition. Résultat : des usages répétitifs difficilement maîtrisables et des risques de cyberharcèlement et d'exposition à des contenus inadaptés.
La prévention ne peut reposer uniquement sur les familles, qui, bien souvent, ne maîtrisent pas les mécanismes techniques structurant les usages. Nous ne devons pas les laisser seules face à des acteurs économiques puissants.
Il ne s'agit pas d'interdire et de moraliser, mais de mettre en place une réponse publique cohérente. Dans cet esprit, ce texte renforce la formation des enseignants et professionnels et améliore les capacités de repérage, sans créer des contraintes excessives. L'introduction de ces enjeux dans les règlements intérieurs contribuera à une culture partagée de prudence numérique. Le renforcement de l'information du public rééquilibrera des messages dominés par le discours commercial.
Le RDSE votera ce texte qui n'est pas un aboutissement, mais une étape utile. Nous devrons poursuivre les travaux à l'échelle nationale et européenne, en interrogeant les conditions mêmes de l'offre numérique. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue l'implication constante de Catherine Morin-Desailly.
L'hyperconnexion subie des enfants et ses conséquences sur leur santé et leur avenir sont démontrées. Selon Santé publique France, en 2022, les enfants de 3 à 5 ans passaient en moyenne 1 h 22 par jour devant les écrans ; la moitié des enfants avaient un smartphone avant le collège ; la moitié utilisaient les réseaux sociaux avant 13 ans. Les disparités sociales sont marquées : les enfants des familles moins diplômées passent plus de temps devant les écrans.
Plusieurs initiatives parlementaires ont été adoptées pour lutter contre ce danger. La loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique en fait partie, mais n'est pas appliquée faute de décret d'application et d'aval de la Commission européenne.
Ce texte est un impératif de santé publique. Former les professionnels, informer les parents, notamment via les PMI, sensibiliser les consommateurs par des campagnes de communication : ces pistes sont à privilégier, au même titre que l'interdiction quand il est possible de la mettre en oeuvre.
Nous serons attentifs à ce qui se passe en Australie, où les réseaux sociaux viennent d'être interdits aux moins de 16 ans. (M. Laurent Lafon acquiesce.) Il peut paraître difficile d'interdire les écrans, qui sont au coeur de nos vies, mais cela ne doit pas nous amener à renoncer.
La rapporteure dresse à juste titre un parallèle avec le rapport Porno : l'enfer du décor de la délégation aux droits des femmes. Selon un sondage d'avril 2018, deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans étaient déjà exposés à des contenus pornographiques. Pas moins de 2,3 millions de mineurs fréquentaient chaque mois des sites pour adultes. Nous ne pouvons pas interdire ces sites pornographiques, malgré l'image dégradante de la femme qu'ils véhiculent, mais nous devons restreindre leur accès au public adulte.
La loi Sren impose le contrôle de l'âge des visiteurs via le système protecteur du double anonymat. Elle gagnera en efficacité avec l'application effective du programme de l'éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité (Evars). Hélas, ces journées sont encore trop peu dispensées.
Protéger les jeunes de l'exposition excessive aux écrans s'impose à tous. De notre capacité collective à former, informer et protéger dépendra notre capacité à privilégier les relations sociales sur les réseaux sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Laure Darcos . - Ce texte est l'aboutissement d'un travail de fond de Catherine Morin-Desailly, dont je salue la ténacité. Il comporte des solutions concrètes et pertinentes pour lutter contre l'usage non raisonné des écrans, qui peut avoir des conséquences dévastatrices pour l'équilibre psychique des plus jeunes : la vie sociale se réduit parfois à sa plus simple expression, la culture et le sport sont délaissés, la sédentarité s'accentue.
La commission d'enquête TikTok, présidée par Claude Malhuret, a mis en évidence un algorithme addictif. Pire, l'accès à des contenus prohibés peut avoir des conséquences sur le développement social, affectif et sexuel des enfants. Je rappelle que deux tiers des enfants de moins de 15 ans ont été exposés à des contenus pornographiques.
Face au fléau des réseaux sociaux et des écrans, il y a urgence à agir. Cette proposition de loi prévoit une formation spécifique pour tous les professionnels de santé, ainsi qu'un renforcement de la formation initiale et continue des personnels de l'éducation nationale. Les conditions d'utilisation des outils numériques devront être encadrées par les règlements intérieurs des établissements. Des messages informatifs seront apposés sur les emballages des téléphones portables et tablettes, à des fins de sensibilisation et de prévention.
Nous devons protéger les plus jeunes et mieux réguler l'espace numérique, qui doit devenir un espace de confiance. Dans cette perspective, le texte de Catherine Morin-Desailly est d'une grande utilité.
Dans ses lignes directrices sur la protection des mineurs, la Commission européenne propose d'éviter les effets néfastes des algorithmes et d'instaurer un contrôle de l'âge pour l'accès aux plateformes en ligne.
Il appartient aussi au Gouvernement d'agir avec diligence sur le plan réglementaire. S'agissant en particulier de la majorité numérique, la loi du 7 juillet 2023 n'a pas pu être appliquée, faute de décret d'application ; ce principe doit être traduit dans la réalité.
Faut-il aller aussi loin que l'Australie, qui interdit l'accès aux réseaux sociaux avant 16 ans ? Débattons-en.
Pour l'heure, Les Indépendants voteront ce texte avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Agnès Evren . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC) Entre 7 et 19 ans, nos jeunes consacrent dix fois plus de temps aux écrans qu'à la lecture ; dès 2 ans, les enfants passent en moyenne 56 minutes par jour devant un écran ; les adolescents passent plus de 15 heures par semaine en ligne et 2 heures par jour sur TikTok.
Si les écrans sont porteurs de progrès et d'opportunités, l'hyperconnexion a des effets délétères : troubles de l'apprentissage, du comportement, du sommeil, myopie, obésité, notamment. Elle creuse en outre les inégalités sociales.
Les auditions de la rapporteure l'ont montré, les enjeux sont systémiques ; ils portent sur l'âge, mais aussi les types d'usage et l'accompagnement proposé.
Ce qui est néfaste, c'est l'exposition d'enfants très jeunes, longue et inadaptée. Notre responsabilité collective est d'éduquer à un usage raisonné et intelligent. Il faut en particulier accompagner les parents pour leur faire prendre conscience des risques. Pas d'écran avant 3 ans, pas de console avant 6 ans, pas d'internet avant 9 ans, utilisation autonome à partir de 12 ans, rappelle le psychiatre Serge Tisseron.
Cette proposition de loi prévoit une stratégie globale de protection et de prévention. Les professionnels de la petite enfance seront formés pour prendre le relais de parents parfois démunis. Les règlements intérieurs des établissements prévoiront des mesures encadrant l'usage des outils numériques.
Il appartient au législateur de mettre en place des outils complémentaires à la régulation par la Commission européenne. Le Sénat s'y attelle depuis 2018 et je salue l'engagement de la rapporteure sur le sujet. Le Danemark et l'Australie ont interdit les réseaux sociaux pour les moins de 16 ans. La Suède remplace les écrans par les manuels scolaires, alors qu'elle était à la pointe de l'éducation numérique.
C'est un enjeu de société et de civilisation : mettons la technologie au service de l'humain, et non l'inverse ! Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
Mme Marie-Do Aeschlimann . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La surexposition des jeunes aux écrans est un fléau. Nous avons laissé les écrans coloniser le quotidien de nos enfants. Ayons l'honnêteté de reconnaître notre responsabilité d'adultes : c'est parfois nous qui sommes les plus accros. Un parent absorbé par son téléphone transmet à son enfant ce message : la connexion prime la présence.
En France, de nombreuses initiatives ont visé à encadrer les usages numériques sans y parvenir. Cette problématique épineuse doit être envisagée sous l'angle éducatif, sociétal et sanitaire.
L'exposition précoce et prolongée aux écrans perturbe le développement psychomoteur, favorise la sédentarité, exacerbe les comportements problématiques. Le nouveau carnet de santé intègre la question des écrans, mais de manière superficielle ; et certains signaux faibles peuvent passer inaperçus lors d'une consultation pédiatrique.
Face à ce nouvel enjeu de santé publique, des mesures de prévention s'imposent. Il ne s'agit pas de diaboliser le numérique, mais d'en favoriser un usage éclairé et équilibré. Le groupe Les Républicains fera des propositions en ce sens dans les prochaines semaines.
Il faudra intégrer l'enjeu de l'IA générative, qui occupe une place grandissante dans notre quotidien. Elle est même parfois intégrée à certains jouets, tendant à brouiller la frontière entre réel et artificiel, avec des conséquences sur la socialisation et le développement cognitif des enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
Mme Marie Mercier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est souvent avec bonheur que l'usage des écrans s'est introduit dans notre vie quotidienne, mais il a pris trop de place, et trop tôt. La commission d'enquête TikTok a mis en évidence la logique qui sous-tend l'algorithme : capter et maintenir l'attention, jusqu'à l'addiction et l'abrutissement.
Un constat glaçant : l'application propose davantage de contenus dangereux aux personnes vulnérables, comme des vidéos sur le suicide aux personnes recherchant des informations sur la santé mentale... Pas de limites, pas d'humanité !
Comment protéger les jeunes ? L'interdiction est inefficace : TikTok est interdit aux moins de 13 ans, mais 45 % des 11-12 ans y sont inscrits. Et rappelez-vous les difficultés pour interdire l'accès des mineurs aux sites pornographiques gratuits. Il faut donc faire autrement, et c'est le sens de cette proposition de loi : miser sur la prévention et l'éducation.
Nous souscrivons aux mesures proposées, dans la continuité de celles prises par le Sénat pour protéger les enfants : lutte contre la pornographie, contre la prostitution des mineurs - et, demain, contre la prostitution en ligne. La loi sera toujours en retard par rapport aux innovations technologiques, car elle n'a pas la souplesse de la vie. Il faut donc sans cesse l'adapter.
Le numérique ne doit pas être un royaume sans loi. Protégeons nos jeunes, qui évoluent dans un univers virtuel, mais dont la réalité peut être cruelle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Laure Darcos et M. Jacques Fernique applaudissent également.)
Discussion des articles
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°26 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
M. Alexandre Basquin. - Nous proposons de rendre obligatoire la formation aux risques liés aux écrans pour les professionnels de santé, médico-sociaux et de la petite enfance.
Mme la présidente. - Amendement n°13 de Mme Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Cette formation devrait être élargie aux usages des dispositifs intégrant l'IA conversationnelle, afin de tenir compte de l'évolution rapide de ces outils, dont le caractère immersif et la capacité à interagir peuvent influencer le développement cognitif.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Les formations devront faire l'objet d'une actualisation régulière pour tenir compte des évolutions technologiques. Il y a cinq ans, TikTok ne faisait pas partie de la vie de nos enfants...
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement n°26 est satisfait : avis défavorable.
L'amendement n°13 est pertinent : avis favorable. En revanche, dans la suite des dispositions, il n'y aura pas lieu de mentionner systématiquement l'IA.
Avis favorable également à l'amendement n°2 rectifié.
Mme Stéphanie Rist, ministre. - Retrait. L'adoption de ces amendements entraînerait un risque d'obligation immédiate de formation. Ces formations seront mises en place fin 2026-début 2027. Par ailleurs, j'ai lancé en novembre la stratégie nationale sur l'IA en santé, qui comprend un module de formation.
L'amendement n°26 est retiré.
Les amendements nos13 et 2 rectifié sont adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°22 de Mme Ollivier et alii.
Mme Mathilde Ollivier. - Prévoyons une sanction en cas de non-respect de l'obligation d'apposition d'un message de prévention sur les emballages, afin de garantir la pleine effectivité de cette mesure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Avis favorable.
Mme Stéphanie Rist, ministre. - Retrait, sinon avis défavorable. L'obligation est insuffisamment précise juridiquement : nous craignons une atteinte aux principes de légalité et de proportionnalité des peines.
L'amendement n°22 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié bis de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Les messages de prévention doivent être visibles sur les lieux de vente, afin de renforcer la capacité des parents à arbitrer de manière informée.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - En effet, les produits ne sont pas toujours présentés dans leur emballage, en sorte que l'acheteur pourrait manquer le message de prévention. Avis favorable.
Mme Stéphanie Rist, ministre. - Le dispositif présente un risque sérieux d'inconstitutionnalité : encadrement insuffisant, atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, insécurité juridique sur les modalités d'affichage, rupture d'égalité entre opérateurs. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Cette mesure a été votée à l'unanimité au Sénat en 2019, ainsi qu'à la quasi-unanimité à l'Assemblée nationale. Le Parlement réaffirme sa position.
Mme Dominique Vérien. - On généralise le Nutri-score, mais on ne pourrait pas faire de même pour protéger nos enfants des écrans ?
L'amendement n°3 rectifié bis est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Défendu.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Le code de la santé publique interdit déjà la vente et l'usage d'un téléphone mobile par les enfants de moins de 14 ans. Nous proposerons dans quelques instants de compléter cette interdiction en visant tous les appareils numériques. Retrait ?
L'amendement n°6 rectifié est retiré.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°35 de Mme Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Cet amendement corrige une erreur d'insertion et précise que les actions de sensibilisation de la PMI intégreront, de manière plus positive, des informations sur les alternatives aux écrans. Nous reprenons ainsi des propositions de Mmes Ollivier et de Marco dans leur amendement n°23.
Mme Stéphanie Rist, ministre. - Lors des débats sur le PLFSS, madame Vérien, j'ai souligné les risques d'inconstitutionnalité liés au Nutri-score.
Cet amendement est satisfait : la PMI contribue à l'information sur les environnements et comportements favorables à la santé. Retrait.
L'amendement n°35 est adopté et l'article 2 est ainsi rédigé.
Les amendements nos14, 23 et 4 rectifié n'ont plus d'objet.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°24 de Mme Ollivier et alii.
Mme Mathilde Ollivier. - Nous complétons l'action de prévention prévue pour les moins de 18 ans afin qu'elle comporte une éducation aux usages en fonction des âges. Il s'agit d'accompagner progressivement les mineurs vers une pratique éclairée et raisonnée des outils numériques : gestion du temps d'écran, protection de la vie privée, risques de dépendance... Étant entendu que, avant 6 ans, la priorité est de prévenir l'exposition elle-même.
Mme Catherine Morin-Desailly. - L'article 3 fixe un cadre ; le contenu de la formation sera précisé par voie réglementaire. Ces sujets doivent être pris en compte, mais n'alourdissons pas trop l'article.
Mme Stéphanie Rist, ministre. - Avis défavorable. L'éducation graduée en fonction de l'âge est essentielle, en effet, mais les examens de santé ne sont pas le cadre adapté pour dispenser cet enseignement.
Mme Mathilde Ollivier. - Les personnes auditionnées ont beaucoup insisté sur l'éducation aux usages raisonnés des outils.
L'amendement n°24 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°19 rectifié de Mme Martin et alii.
Mme Pauline Martin. - Cet amendement, travaillé avec des psychologues scolaires, vise à intégrer les jeux vidéo multi-joueurs dans la formation prévue.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Avis défavorable.
Mme Stéphanie Rist, ministre. - Vous avez raison sur la nécessaire prévention des jeux vidéo. Le carnet de santé contient des messages de suivi de l'exposition aux écrans depuis 2025. Nous avons mis en place un plan sur l'usage raisonné des écrans et une campagne de parentalité numérique avec le site jeprotegemonenfant.gouv.fr. Retrait, sinon avis défavorable.
L'amendement n°19 rectifié n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°10 de M. Ros et du groupe SER.
M. David Ros. - Sans alourdir le texte, je propose un focus sur le cyberharcèlement lors des visites médicales. Lorsqu'on s'en aperçoit, il est souvent trop tard.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Avis défavorable.
Mme Stéphanie Rist, ministre. - Même avis.
L'amendement n°10 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°15 de Mme Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - La sensibilisation des enfants est une disposition puissante. J'apprécie que l'IA générative soit incluse désormais dans l'article 1er. Merci à Mme la rapporteure pour son attention. Je retire donc mon amendement.
L'amendement n°15 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°5 rectifié de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Effectivement, moins on est précis, plus on est sûr de couvrir largement. Je souhaitais une sensibilisation à la vérification des sources et à la compréhension des mécanismes.
Monsieur le ministre de l'éducation nationale, les futurs professionnels des écoles doivent être formés dans les Inspé, mais aucun taux horaire n'est défini... Formons les formateurs, avant tout.
L'amendement n°5 rectifié est retiré.
L'article 3 est adopté.
Après l'article 3
Mme la présidente. - Amendement n°25 de Mme Ollivier et alii.
Mme Mathilde Ollivier. - Nous élargissons l'interdiction la publicité pour les téléphones portables à destination des moins de 14 ans à l'ensemble des écrans : téléphones, tablettes, ordinateurs, télévisions, montres connectées. Les enfants sont exposés à un environnement commercial qui valorise l'accès précoce aux écrans, en contradiction avec les messages de santé publique.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Avis favorable.
Mme Stéphanie Rist, ministre. - L'ensemble des terminaux numériques présentent effectivement les mêmes risques que les téléphones, mais les publicités étant rarement ciblées pour un âge précis, je ne vois pas comment appliquer votre amendement... Avis défavorable.
L'amendement n°25 est adopté et devient un article additionnel.
Article 4
Mme la présidente. - Amendement n°20 rectifié de Mme Martin et alii.
L'amendement n°20 rectifié est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°16 de Mme Aeschlimann.
L'amendement n°16 est retiré.
L'article 4 est adopté.
Article 5
Mme la présidente. - Amendement n°37 de Mme Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Amendement de précision. La référence aux technologies numériques est plus englobante, et inclut l'IA.
Par ailleurs, le terme de « volet » numérique me paraît plus pertinent que celui de politique numérique. Le législateur avait eu recours à cette notion dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) pour introduire, à mon initiative, un volet culture dans les projets d'établissement des CHU.
M. Edouard Geffray, ministre. - Nous aurions pu apporter ce niveau de précision au niveau réglementaire. Avis favorable néanmoins.
M. Max Brisson. - Je voterai cet amendement, même s'il relève du champ réglementaire.
Les projets d'établissement scolaire finissent par être tous identiques, car il leur faut reprendre la totalité des directives, des circulaires, des injonctions que nous insérons dans le code de l'éducation. Pour ma part, je prône une école adaptée à la réalité des territoires, des élèves, du terrain, car je fais toute confiance aux professeurs.
Néanmoins, je voterai l'amendement pour saluer le travail de la rapporteure.
M. Laurent Somon. - Très bien.
L'amendement n°37 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°21 rectifié de Mme Martin et alii.
L'amendement n°21 rectifié est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°8 de M. Ros et du groupe SER.
M. David Ros. - Les usurpations d'identité, les faux profils, les détournements de données des enfants augmentent. Intégrons la prise en compte du cyberharcèlement dans les projets d'établissement.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je partage l'intention, mais l'amendement est satisfait. Plusieurs articles du code de l'éducation nationale font référence au harcèlement et au cyberharcèlement. Le ministère déploie le programme pHARe, et les programmes contiennent un volet relatif à l'utilisation des outils et ressources numériques, qui inclut la prévention de la vie privée, le risque d'escroquerie et l'apprentissage de la citoyenneté numérique. Retrait sinon avis défavorable.
M. Edouard Geffray, ministre. - L'article L. 111-6 du code de l'éducation prévoit déjà une information annuelle des parents et des élèves sur le cyberharcèlement. Ce type de disposition miroir risque de créer plus de confusion que de clarté dans l'esprit des chefs d'établissement et des équipes. Avis défavorable.
L'amendement n°8 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°17 de Mme Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - L'amendement n°37 de la rapporteure prend pleinement en compte ma préoccupation.
L'amendement n°17 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°11 de M. Ros et du groupe SER.
M. David Ros. - Nous souhaitons mieux encadrer la nouvelle obligation de prévoir dans les règlements intérieurs les modalités d'utilisation des outils numériques par la communauté éducative et les parents d'élèves. Il faut éviter des excès de zèle...
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'article L.112-8 du code des relations entre le public et l'administration permet à tout usager de contacter l'administration par voie électronique. Un établissement ne peut donc interdire le recours à ce moyen.
S'agissant de la possibilité pour les agents publics d'utiliser leurs appareils numériques sur leur lieu de travail, les principes généraux de la fonction publique prévoient déjà que les restrictions aux libertés individuelles doivent être justifiées par les nécessités de service.
Demande de retrait, car l'amendement est satisfait.
M. Edouard Geffray, ministre. - Le règlement intérieur est tenu de respecter toutes les normes de niveau supérieur, dont les droits et devoirs des fonctionnaires. Dès lors, avis défavorable.
M. David Ros. - Il était important de le rappeler, au moment où l'on vote les règlements intérieurs.
L'amendement n°11 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°29 rectifié bis de Mme Evren et alii.
Mme Agnès Evren. - Dans les faits, la loi de 2018 interdisant le portable à l'école et au collège n'est pas respectée, pour des raisons pratiques. À la rentrée 2025, seuls 9 % des collèges appliquaient le dispositif « portable en pause ». Ma proposition de loi déposée en avril 2024 vise à rendre l'interdiction effective en imposant le dépôt ou la consignation des téléphones dans les établissements. Intégrons dans les règlements intérieurs les modalités d'organisation de cette interdiction.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je sais que ce sujet vous tient à coeur, et c'est un amendement de bon sens. Avis favorable.
M. Edouard Geffray, ministre. - Il y a une interdiction, à faire respecter. Au feu rouge, on s'arrête. L'interdiction est confortée avec le dispositif « portable en pause », avec les casiers, mais c'est un peu comme mettre une barrière devant le feu rouge. Le droit a plus de force quand il pose l'interdiction que quand il précise les modalités de son respect. Avis défavorable, même si je vous rejoins sur le fond.
Mme Agnès Evren. - Je maintiens mon amendement. La loi de 2018 est contournée : le portable, censé être éteint et rangé dans le cartable, est en réalité dans la poche arrière, avec les notifications qui tombent... La captation de l'attention continue. Il faut une règle de bon sens, concrète : on dépose le téléphone en arrivant à l'école.
Vous ne réalisez pas à quel point la loi n'est pas appliquée.
L'amendement n°29 rectifié bis est adopté.
Mme Laure Darcos. - Il faudrait surtout sensibiliser les parents lors des réunions d'information à la rentrée scolaire, plus que via les messageries qui ne sont pas toujours consultées.
L'article 5, modifié, est adopté.
Après l'article 5
Mme la présidente. - Amendement n°30 rectifié bis de Mme Evren et alii.
Mme Agnès Evren. - L'éducation aux écrans relève avant tout des parents, mais la responsabilité est collective. Il faut aussi prendre en compte les accueils de loisir où les écrans occupent une place considérable, au détriment du sport, du jeu, de la culture, des interactions sociales. Cet amendement fixe un cadre pour définir l'usage des téléphones dans les accueils collectifs de mineurs, avec un objectif de prévention.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Cet amendement offre une approche systémique englobant tous les temps de l'enfant - centres de loisirs, colonies de vacances, etc.
La formation des animateurs aux risques d'une exposition non raisonnée aux écrans est essentielle. Peut-être faudrait-il modifier la formation délivrée dans le cadre du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa) ? Je laisse M. le ministre évoquer ce sujet avec la ministre Ferrari. Avis favorable.
M. Edouard Geffray, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°30 rectifié bis est adopté, et devient un article additionnel.
Article 5 bis
Mme la présidente. - Amendement n°9 de M. Ros et du groupe SER.
L'amendement n°9 est retiré.
L'article 5 bis est adopté.
Après l'article 5 bis
Mme la présidente. - Amendement n°12 de M. Ros et du groupe SER.
M. David Ros. - Il s'agit de renforcer le rôle fédérateur de l'éducation nationale en prévoyant un rendez-vous tous les trois ans pour définir un protocole d'action avec l'ensemble des partenaires.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Avis favorable. Merci d'avoir pensé à cette évaluation.
M. Edouard Geffray, ministre. - Oui, il faut évaluer périodiquement. Nous y travaillons avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), et des travaux d'évaluation périodique sont menés par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp). Sagesse.
L'amendement n°12 est adopté, et devient un article additionnel.
Article 6
Mme la présidente. - Amendement n°27 de Mme Corbière Naminzo et du groupe CRCE-K.
M. Alexandre Basquin. - N'oublions pas les approches individualisées et préventives. Cet amendement instaure des visites médicales obligatoires à deux étapes clés de la scolarité, dans le premier et second degré, pour un suivi minimal de tous les élèves intégrant un volet consacré à la prévention et au repérage des conduites addictives, dont les usages numériques et l'exposition aux écrans.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Le code de l'éducation prévoit déjà ces visites médicales. Le problème tient au manque de moyens de la médecine scolaire.
Ce n'est pas à la loi de définir le contenu de la visite médicale. En revanche, il faudrait un rapprochement entre les ministères de la santé, de l'éducation nationale et du numérique pour définir des axes d'action adaptés aux différents âges. Retrait sinon avis défavorable.
M. Edouard Geffray, ministre. - Il y a deux visites médicales, à 6 et 12 ans, qui durent environ une heure, ce qui permet de passer en revue plusieurs sujets : alimentation, mode de vie, sommeil, conduites addictives... Mettre l'accent dans la loi sur un volet plutôt qu'un autre pourrait avoir un effet d'éviction. Avis défavorable.
M. Alexandre Basquin. - C'était aussi un amendement d'appel pour alerter sur le manque criant de moyens de la santé scolaire.
L'amendement n°27 n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
Après l'article 6
Mme la présidente. - Amendement n°36 de Mme Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - En 2023, le législateur a instauré une majorité numérique, mais le décret n'a jamais été pris, à la suite des observations de la Commission européenne. Toutefois, le 14 juillet 2025, celle-ci a ouvert la possibilité pour chaque État membre de fixer un âge minimum pour accéder à une plateforme.
La résolution européenne adoptée par le Sénat en juin dernier, à mon initiative, préconisait déjà cette mesure. Nous avons échangé avec l'Arcom et la Cnil et examiné toutes les options, avant d'opter pour cet amendement, qui traduit dans le texte une position ancienne du Sénat.
Il prévoit que les mineurs entre 13 et 16 ans devront recueillir l'autorisation parentale pour s'inscrire sur un réseau social. Il s'agit de responsabiliser les parents, afin qu'ils engagent un dialogue avec leurs enfants sur leurs usages numériques. Une telle mesure sera, selon nous, plus efficace qu'une interdiction pure et simple.
Nous obligeons les plateformes à bloquer l'accès des réseaux sociaux aux mineurs de 13 ans, âge minimal qui fait consensus, avec un système de vérification d'âge robuste. Cette proposition est conforme à la proposition exprimée le 26 novembre 2025 par le Parlement européen dans son rapport d'initiative sur la protection des mineurs. Une position européenne commune favoriserait l'application du dispositif.
M. Edouard Geffray, ministre. - Nous partageons l'objectif. Le Gouvernement travaille avec les partenaires européens pour limiter l'accès des jeunes mineurs aux réseaux sociaux. Le seuil de 13 ans nous paraît insuffisant pour protéger la santé physique et psychique des jeunes : il y a un consensus européen autour de 15 ou 16 ans - âge retenu récemment par l'Australie. Le RGPD et la loi Informatique et liberté retiennent également l'âge de 15 ans.
D'autre part, votre amendement présente risque d'inconventionnalité, le dispositif étant assez proche de la loi Marcangeli qui a rencontré des obstacles juridiques au niveau européen, avec le RSN.
Nous souhaitons avancer rapidement sur la majorité numérique, et travaillons à une rédaction juridiquement conforme. Le Gouvernement déposera un projet de loi en janvier, dans le prolongement des annonces du Président de la République, qui sera pleinement opérant et conforme au droit européen. Retrait sinon avis défavorable.
M. Max Brisson. - C'est un sujet sur lequel notre commission travaille depuis longtemps ; Catherine Morin-Desailly a réalisé un travail remarquable, qui a donné lieu à de nombreux échanges.
Certes, cet amendement, qui donne une ossature plus forte à la proposition de loi, mérite d'être précisé dans la navette. Nous travaillions sur ce sujet bien avant que le Président de la République n'ait l'idée de faire une annonce supplémentaire ! Le Gouvernement s'honorerait à donner un avis favorable à cet amendement. Cela n'enlève rien au travail qui pourra être réalisé ensuite pour améliorer la rédaction - mais à partir du travail du Sénat. Je redis à Catherine Morin-Desailly toute la gratitude de mon groupe pour son travail sur ce sujet.
Mme Agnès Evren. - Bravo !
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je m'associe à ce soutien. Ce problème n'est pas si simple à régler, d'ailleurs la proposition de loi Marcangeli s'est cassé le nez... Toutefois, ce n'est pas une raison pour abandonner les efforts.
Des stratégies de contournement, bien connues des jeunes, permettent de se connecter à distance, via les réseaux privés virtuels (VPN). Néanmoins, cet amendement symbolique a le mérite de proposer des solutions et d'établir un dialogue entre l'enfant et le parent.
Nous n'arriverons à rien en tablant uniquement sur les interdictions. Il faut de l'information, de la formation, et un partage de responsabilités entre parents, enfants et acteurs du numérique.
Je voterai cet amendement.
Mme Sylvie Robert. - Je le voterai aussi. Cette proposition de loi entre en résonance avec la décision australienne et les annonces du Président de la République.
Cet amendement témoigne d'un engagement du Sénat.
Proposition de loi à l'Assemblée nationale, projet de loi à venir, j'entends tout cela. Mais le Gouvernement serait vraiment à la hauteur des enjeux s'il reprenait ce véhicule législatif.
Bien sûr, compte tenu des difficultés juridiques - que nous pourrons évaluer en cours de navette - cet amendement n'est pas une réponse toute faite. Mais responsabiliser les parents d'enfants entre 13 et 16 ans ouvre la voie à une position unanime sur ce sujet, en cohérence avec les évolutions européennes. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Cet amendement ne tombe pas du ciel : il découle des travaux de la commission de la culture et de celle des affaires européennes, dont je suis membre - et je connais bien les contraintes du droit européen.
Ainsi, ma proposition, qui s'inscrit dans le prolongement de la résolution européenne, est conforme à ce qui a été voté par le Parlement européen, tous groupes politiques confondus, en novembre dernier.
J'ai entendu le Premier ministre reconnaître que nous étions dans un régime parlementaire...
M. Max Brisson. - Très bien.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Nous voulons transcrire les travaux déjà engagés et souhaitons que notre point de vue soit reconnu.
L'amendement n°36 est adopté et devient un article additionnel.
L'article 7 est adopté.
Après l'article 7
Mme la présidente. - Amendement n°32 de Mme Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Nous voulons étendre le champ d'application de la proposition de loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. (M. Georges Naturel opine du chef.) La protection des mineurs face aux risques d'exposition aux écrans et aux réseaux sociaux doit être homogène sur tout le territoire de la République, car les risques ne connaissent pas de frontières. Les modalités d'application de ces dispositions pourraient être précisées dans le cadre de la navette, après consultation des assemblées locales.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - La commission est favorable au principe : tous les enfants de la République doivent avoir le droit à la même protection. Mais il faudra un travail fin, article par article, pour une adaptation à chaque territoire ultramarin concerné.
M. Edouard Geffray, ministre. - Avis favorable, sous réserve de la consultation des assemblées locales et du respect des compétences propres des collectivités.
L'amendement n°32 est adopté et devient un article additionnel.
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. - Amendement n°18 rectifié de Mme Martin et alii.
Mme Pauline Martin. - J'avais un rêve : que le titre de la proposition de loi mentionne les jeux vidéo multi-joueurs... Pour l'OMS, le gaming disorder est une maladie. Des mécanismes addictifs sont présents dans des jeux comme Brawl Stars, Roblox, Fortnite, qui touchent surtout les garçons. Près de 70 % des demandes de consultation adressées aux centres de santé mentale concernent des garçons de 10 à 16 ans addicts à ces jeux.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Retrait, pour les raisons exposées précédemment.
M. Edouard Geffray, ministre. - Même avis.
L'amendement n°18 rectifié est retiré.
Vote sur l'ensemble
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - Je remercie l'auteure et rapporteure du texte, qui porte ce combat depuis de nombreuses années. Je me félicite de l'unanimité qui se dégage.
Cette proposition de loi a une approche complète : prévention et interdiction. De plus, le Gouvernement ayant déclaré la procédure accélérée, il ne restera plus qu'une lecture à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a annoncé un projet de loi, mais il vaut mieux reprendre le présent texte qui a déjà fait une partie du parcours législatif. Si j'étais taquin, je dirais qu'alors que nous nous demandons s'il y aura ou non une loi spéciale, mieux vaut se saisir des textes déjà dans les circuits, plutôt que d'en présenter de nouveaux, car nous risquons d'avoir moins de temps législatif disponible.
M. Max Brisson . - Le Sénat, la commission et Catherine Morin-Desailly ont travaillé sur un sujet important, qui nous rassemble.
Je le dis solennellement : que le Gouvernement en fasse le meilleur usage. Le travail de Catherine Morin-Desailly le mérite.
Mme Marie-Do Aeschlimann . - Je salue le travail de Catherine Morin-Desailly, dont l'expertise est reconnue.
La commission des affaires sociales a également beaucoup travaillé sur l'impact délétère des réseaux sociaux et des écrans pour les jeunes. Nous nous associons donc aux avancées de cette proposition de loi, afin de mieux réguler. Nous n'avons pas fini de parler de ce problème.
Mme Annick Billon . - Je félicite Catherine Morin-Desailly, le président de la commission et le groupe UC qui a eu l'excellente idée d'inscrire ce texte à l'ordre du jour.
Mme Sylvie Robert . - Derrière tout cela, il y a l'éducation à l'information, aux médias, aux écrans au sens large du terme, pour former des citoyens critiques.
Mme Mathilde Ollivier . - Merci à Catherine Morin-Desailly pour son travail et les passionnantes auditions qu'elle a organisées. Le législateur doit se saisir de ce sujet. Ce texte est une première pierre. Il faudra poursuivre le travail dans la navette.
M. Alexandre Basquin . - Je salue également l'auteure du texte et le travail de la commission. Les plateformes numériques sont devenues de grands donneurs d'ordres qui, en manipulant l'attention et en jouant d'algorithmes puissants, deviennent les grands marionnettistes du débat... Méfiance !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - Je remercie tous mes compagnons de route de la commission de la culture, ainsi que les trois ministres pour leur écoute et le travail fructueux mené ces dernières semaines.
La proposition de loi est adoptée.
Mme la présidente. - À l'unanimité ! (Applaudissements)
Simplifier la sortie de l'indivision successorale
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale, à la demande du groupe UC.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ce texte concerne les familles françaises et toutes nos communes. Élus locaux, nous connaissons les situations dramatiques d'un urbanisme délaissé : une maison aux volets clos en centre-bourg, un terrain en friche qui gèle un projet d'urbanisme, des fratries qui se déchirent parfois pendant des décennies.
L'indivision successorale, quand elle se grippe, paralyse le patrimoine, nourrit des rancoeurs, entrave l'action publique et crée de l'insécurité. Elle fait le lit du moche du non-développement économique.
Les députés Louise Morel et Nicolas Turquois ont porté la voix d'élus locaux exaspérés par la vacance immobilière et de familles épuisées par les procédures. Je salue leur travail de défricheurs.
Une bonne intuition politique appelle une expertise juridique exigeante, que la Chancellerie s'est engagée à conduire. Je salue également le travail remarquable de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur Jean-Baptiste Blanc, grâce à son expertise d'élu local.
Le texte issu de l'Assemblée nationale comportait des fragilités techniques, d'où le choix de l'expérimentation. Votre commission a su écarter les fausses bonnes idées qui auraient fragilisé le droit de propriété. Monsieur le rapporteur, vous avez fait oeuvre de législateur, en transformant des intentions louables en dispositif législatif.
Nous nous inspirons de ce qui fonctionne : le modèle d'Alsace-Moselle, où le partage judiciaire est plus rapide et plus fluide. Le juge et le notaire y coopèrent, immédiatement. D'où l'idée de l'étendre à l'ensemble du territoire national.
Mais pourquoi n'avoir pas transposé le droit local, tout simplement ? Parce que l'organisation judiciaire d'Alsace-Moselle est spécifique, avec un statut particulier du notariat, non transposable tel quel au reste de la France, où le notaire est un officier public libéral et non un rouage organique du tribunal. Une transposition pure aurait donc été inconstitutionnelle et juridiquement inopérante. La Chancellerie a donc préparé une réforme réglementaire, qui s'articule avec le présent texte.
L'article 4 ne prévoit plus une simple expérimentation locale, mais une réforme systémique, avec une nouvelle procédure de partage judiciaire inspirée du modèle alsacien-mosellan, autour de trois axes.
Premièrement, la fin du séquençage inefficace. Alors qu'on attend trop souvent l'échec du notaire pour saisir le juge, demain le binôme juge-notaire sera désigné dès le début de la procédure.
Deuxièmement, un pilotage actif par le juge. Celui-ci tranchera les difficultés au fil de l'eau, sans attendre la fin du processus pour constater un blocage. Ce sont des années de gagnées !
Troisièmement, le traitement de l'inertie. Alors que nombre de dossiers sont bloqués parce qu'un héritier « fait le mort », le silence ne vaudra plus blocage et le système complexe du mandataire ad hoc sera supprimé. La représentation par avocat sera obligatoire dès le début : si un héritier dûment convoqué refuse de prendre un avocat, la justice ne l'attendra plus. Cette mesure de fermeté civile s'impose, face à ceux qui jouent la montre.
La souplesse du règlement, ancré dans la loi votée par le Parlement, voilà notre méthode. Cette réponse pragmatique respecte nos traditions juridiques, en les modernisant, et le droit de propriété. Nous devons savoir trancher des litiges plus rapidement, en travaillant avec des professions reconnues pour leur sérieux comme les notaires.
Ainsi nos communes retrouveront le beau et pourront se développer. Chacun doit pouvoir vivre de sa propriété, de son héritage, sans embêter ses voisins. Comme maire de Tourcoing, j'ai trop vu d'indivisions bloquer des projets de plusieurs dizaines de millions d'euros. Surtout, je l'ai vu en outre-mer - et que dire de la Corse !
Je vous invite donc à adopter ce texte, enrichi par la commission, qui modernise cette justice essentielle dont on parle trop peu : la justice civile. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE, ainsi que sur celles des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la commission des lois . - Ce texte repose sur un constat unanimement partagé : le droit de l'indivision, et en particulier le partage judiciaire, se caractérise par une grande complexité qui freine le partage des biens.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale mobilisait des leviers variés afin de faciliter la sortie de l'indivision. La commission partage pleinement l'objectif.
Toutefois, plutôt que d'introduire des modifications ponctuelles et disparates du droit de l'indivision ou de recourir à une expérimentation aux effets incertains, la commission a préféré une réforme de fond du partage judiciaire, à l'issue d'échanges approfondis avec le ministère.
Plusieurs dispositifs du texte initial visaient en effet à contourner la procédure du partage judiciaire, jugée insatisfaisante ou insuffisamment comprise, notamment à travers les articles 2 et 3. Cette approche soulevait plusieurs difficultés.
D'une part, elle méconnaissait la spécificité du droit de l'indivision, issu de la loi du 31 décembre 1976 inspirée par le doyen Carbonnier. L'indivision repose sur la cotitularité d'un droit abstrait sur un bien ; or on ne peut disposer du bien d'autrui sans son consentement. C'est ce qui justifie historiquement la règle de l'unanimité et les seuils de majorité applicables, garants de l'égalité entre indivisaires.
D'autre part, le droit de l'indivision constitue un bloc : toute modification produit des effets au-delà des seules indivisions successorales - sur les indivisions entre époux, concubins ou sur des fonds de commerce, etc. Ne bouleversons pas les équilibres du droit positif, alors même que le partage judiciaire demeure la voie normale de sortie de l'indivision en cas de désaccord, garantissant à chaque indivisaire l'accès à un juge impartial. Voilà pourquoi la commission des lois a profondément modifié le texte.
Par ailleurs, la proposition de loi comporte plusieurs dispositifs utiles pour fluidifier la gestion des indivisions et des successions vacantes.
À l'article 1er, nous avons substitué à la base de données initialement prévue un dispositif proposé par Mme Dominique Vérien, améliorant l'information des communes et des EPCI sur les biens sans maître.
L'article 1er bis facilite l'action de l'administration du domaine lorsqu'elle est désignée curatrice d'une succession vacante, en autorisant la publicité par voie numérique, en complément de la presse.
L'article 1er ter assouplit la règle imposant de vendre les biens meubles avant les biens immeubles : sous le contrôle du juge, le curateur pourra décider de l'ordre de vente.
L'article 2 consacre une solution jurisprudentielle permettant au juge d'autoriser un indivisaire à vendre seul un bien indivis en cas d'urgence et d'intérêt commun.
L'article 3 maintient les seuils de majorité pour la saisine du juge, afin de ne pas désinciter le recours au partage judiciaire, tout en consolidant la procédure dérogatoire applicable en Corse pour en favoriser l'appropriation locale.
La commission a ainsi fait évoluer le texte de manière constructive. Elle partage les objectifs des auteurs de la proposition de loi, mais estime que la rédaction proposée permettra de les atteindre de façon plus efficace. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
La séance est suspendue à 13 h 05.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 35.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Trois millions de logements vacants, quatre millions de personnes mal logées, 350 000 personnes sans domicile : derrière, une réalité en apparence marginale, les indivisions successorales enlisées pendant des décennies, parfois un siècle en Corse ou dans les outre-mer. Des biens qui se dégradent, des projets d'urbanisme reportés, des héritiers prisonniers d'indivisions dont ils ne peuvent s'extraire.
S'attaquer au problème suppose de concilier deux impératifs : la protection du droit de propriété, pilier du contrat social, et la mobilisation du foncier nécessaire aux politiques d'aménagement et de revitalisation.
L'assouplissement de la gestion des successions vacantes apporte une réelle avancée. La direction nationale d'interventions domaniales (DNID) ne sera plus contrainte de vendre les biens meubles avant les immeubles, ce qui préservera la valeur du patrimoine et limitera les pertes pour les héritiers ou pour l'État. Le texte codifie la jurisprudence dite du quai de l'Horloge, en permettant à toute personne concernée de demander au juge la vente d'un bien en cas d'urgence. Il préserve l'égalité de traitement entre co-indivisaires.
Nous regrettons néanmoins sa portée limitée. S'agissant du seuil des deux tiers des droits indivis pour vendre un bien, nous entendons le risque d'atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le droit actuel prévoit toutefois des garanties importantes. Ce seuil doit être équilibré, à l'instar de ce qui se fait en outre-mer depuis la loi Letchimy.
Nous aurions aimé plus de garanties sociales : notifications renforcées des héritiers vulnérables, délai raisonnable de réponse, priorité aux bailleurs sociaux en cas de vente. La simplification des procédures ne doit pas aboutir à l'éviction d'héritiers modestes ou à une spéculation accrue.
L'article 4, qui prévoyait l'expérimentation d'une procédure accélérée de partage judiciaire, est supprimé, au motif que la Chancellerie prépare une réforme d'ampleur : nous aimerions en connaître le calendrier et le contenu. Une réforme ambitieuse est nécessaire, nous serons vigilants.
Malgré ces quelques réserves, le groupe socialiste votera ce texte modeste mais utile, qui rendra notre droit des successions plus opérationnel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, INDEP et du GEST ; M. Claude Kern applaudit également.)
Mme Marianne Margaté . - La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame que nous naissons et demeurons libres et égaux en droits. Cela reste à construire, tant nous sommes inégaux dès la naissance, mais aussi devant la mort. Le livre Les Charognards dénonce un quasi-monopole sur les funérailles. À la peine s'ajoutent les soucis financiers et les questions de succession.
Tout le monde n'a pas la chance d'hériter d'un patrimoine. Seuls 13 % des héritiers toucheront plus de 100 000 euros, et 1 %, plus de 4 millions ; 39 % des héritages sont d'un montant inférieur à 8 000 euros. Ce n'est pas pour autant un problème de riche. Il peut y avoir des indivisions successorales sur des biens sans grande valeur.
Ce texte aborde la complexité administrative liée à l'indivision, alors que le nombre de biens immobiliers en succession vacante a augmenté de 58 % en trois ans, soit 8 733 biens immobiliers en 2025.
La proposition de loi issue de l'Assemblée nationale a été fortement restreinte en commission. Malgré quelques avancées ponctuelles, comme la saisine facilitée du juge pour des actes de gestion ou de vente, son ambition a été largement réduite. Les dispositions visant les indivisions les plus dégradées, les biens à l'abandon et les successions durablement bloquées ont été supprimées, or ce sont ces situations qui alimentent la hausse des successions vacantes, donc la vacance.
En espérant qu'il constituera néanmoins un petit levier face à l'immense crise du logement, mon groupe votera ce texte.
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Lors de successions, des situations de blocage peuvent apparaître en cas de désaccords entre héritiers. Des procédures à rallonge maintiennent ces biens hors du marché immobilier et contribuent ainsi en partie à la crise du logement. On recense plus de 1,3 million de logements structurellement vacants, c'est-à-dire inoccupés depuis plus de deux ans, soit 4 % du parc privé. Selon la DNID, 22 % de ces logements indisponibles, parfois depuis vingt à quarante ans, seraient des biens en indivision successorale ou en succession vacante.
Nous voterons ce texte qui facilite le règlement des contentieux liés à la succession, car nous avons besoin de fluidifier le marché immobilier pour faire baisser les prix. Néanmoins sa portée sera relative.
Tout d'abord, la portée du texte a été fortement réduite en commission. Ensuite, le texte ne concerne que 20 % de logements inutilisés. Enfin, il ne s'attaque pas au problème du mal-logement. Pour cela, il faut lutter contre la spéculation immobilière, contre la flambée des loyers, les abus des plateformes du type Airbnb, soutenir l'accession à la propriété, mener une politique de rénovation et de réhabilitation.
Il nous faut répondre aux 2,7 millions de ménages en attente de logement social et plus largement, donner aux gens les moyens de bien se loger, sachant que les Français consacrent en moyenne 27 % de leurs revenus au logement, et 40 % en dessous du seuil de pauvreté. Il nous faut faire de l'accès au logement un droit, à rebours des choix politiques comme la loi Kasbarian qui accélère les expulsions.
Nous voterons ce texte qui apporte une solution à une partie du problème. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Dominique Vérien et M. Claude Kern applaudissent également.)
M. Henri Cabanel . - (Mme Dominique Vérien applaudit.) Je remplace au pied levé M. Masset. L'indivision successorale est un sujet discret du droit civil, mais ses effets sont tout sauf abstraits. Derrière, il y a des maisons qui se dégradent, des familles enfermées dans des successions inextricables, des retards et annulations de projets locaux, de la vacance, des élus locaux démunis face à des biens à l'abandon.
Certaines indivisions, loin d'être transitoires, deviennent des situations figées. Toute évolution doit préserver l'équilibre entre le droit de ne pas demeurer dans l'indivision et celui de ne pas être contraint à céder sa propriété.
Le texte de l'Assemblée nationale exigeait un travail de clarification. Merci au rapporteur de l'avoir conduit. Je salue les avancées concrètes retenues, comme la modernisation de la publicité des actes liés aux successions vacantes, ou l'assouplissement des règles de gestion par la DNID.
À l'inverse, la commission a écarté certains dispositifs, comme l'abaissement généralisé des seuils de majorité pour la vente judiciaire des biens indivis ou l'expérimentation d'un partage judiciaire accéléré. Une telle réforme appelle une approche globale.
Nous voterons le texte, mais il ne saurait à lui seul apporter une réponse structurelle à la crise du logement.
L'expérience des outre-mer montre que des mécanismes dérogatoires ciblés produisent des effets utiles. Cela pourrait nourrir une réflexion plus large sur l'évolution du droit commun, dans le respect des équilibres du droit de la propriété.
Le texte issu des travaux de la commission apporte des outils ciblés, améliore l'existant tout en préservant les principes fondamentaux. C'est dans cet esprit de responsabilité et de mesure que le RDSE le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Qui n'a pas connu de problème de succession bloquée ou de maison abandonnée ? Cette proposition de loi visait à apporter des réponses concrètes à ces situations de blocage et à redonner de la fluidité à des situations humaines et patrimoniales figées.
Ce sujet, qui touche au coeur du droit civil, repose sur un équilibre exigeant : permettre à chacun de sortir de l'indivision tout en respectant le droit de propriété. La loi du 23 juin 2006 a assoupli l'indivision pour faciliter la gestion des biens, mais cela n'a pas suffi à résorber les situations de blocages. Héritiers introuvables, conflits familiaux anciens, procédures coûteuses et longues ; ces difficultés se conjuguent avec l'augmentation du nombre de successions vacantes liée aux évolutions démographiques et sociales.
Cette proposition de loi prévoyait initialement une expérimentation sur le modèle du droit alsacien-mosellan.
M. Claude Kern. - Très bien !
Mme Dominique Vérien. - Je salue le travail du rapporteur Jean-Baptiste Blanc, des députés Louise Morel et Nicolas Turquois, et la participation active de la Chancellerie à la discussion parlementaire. Les ajustements opérés renforcent la solidité du texte. La commission s'est appuyée sur des mécanismes ancrés dans le droit commun afin de garantir la proportionnalité des mesures et leur sécurité juridique. Les moyens d'action de l'administration du domaine en matière de successions vacantes ont été confortés par une modernisation des modalités de publicité, dans un souci de transparence. La gestion des biens gagne également en souplesse, sous le contrôle du juge.
Pour la vente des biens indivis, le choix a été fait de s'inscrire dans le cadre du droit commun, en confortant le rôle du juge. Pour les situations de désordre foncier, notamment en Corse, les procédures existantes seront clarifiées grâce à un amendement de Jean-Jacques Panunzi.
Fort d'un travail de concertation avec notaires et avocats, le Gouvernement proposera, par amendement, de généraliser des mesures qui devaient initialement n'être qu'expérimentales.
Nous attendons que la Chancellerie agisse par la voie réglementaire pour une entrée en vigueur rapide. Issu d'un travail partenarial, ce texte apporte une réponse concrète à un sujet réel. Le groupe UC vous invite à l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du GEST ; M. Jean-Baptiste Blanc applaudit également.)
M. Louis Vogel . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le secteur du logement souffre d'un déficit de construction qui s'aggrave. À cela s'ajoute la recomposition des familles. Résultat, le nombre de logements disponibles ne correspond plus aux besoins.
Cette proposition de loi ne résoudra pas la crise du logement, mais aidera à sortir de certaines situations difficiles. L'article 815 du code civil dispose que nul ne peut être contraint de demeurer dans l'indivision. Économiquement peu efficace, l'indivision successorale n'a pas vocation à durer ; comme le souligne le doyen Carbonnier, c'est « un passage temporaire vers la division et la propriété individuelle ».
Toutefois, il existe des situations compliquées, par exemple quand un héritier n'est pas identifié, ou quand un indivisaire ne veut pas sortir de l'indivision. L'impasse naît de l'opposition entre le droit inviolable de propriété et la liberté reconnue de sortie de l'indivision.
Le juge pourra décider plus facilement, au bénéfice de l'intérêt général. Le texte, utilement réécrit par le rapporteur, résoudra des situations de blocage précises, comme les successions vacantes. Dans certains cas spécifiques, un indivisaire pourra conclure seul un acte de vente d'un bien indivis, lorsque l'urgence ou l'intérêt commun le justifient. La procédure dérogatoire applicable en Corse sera mise à jour.
Autant de raisons d'adopter ce texte, même s'il ne résout pas toutes les questions. Il faudra sans doute y revenir à brève échéance. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Catherine Di Folco . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) En 2024, près de 7 800 biens immobiliers étaient encore administrés par l'État au titre de successions vacantes. Derrière, des logements fermés, des immeubles qui se dégradent, des territoires pénalisés. En voulant protéger chacun, on finit par ne protéger personne et par nourrir l'immobilisme.
Toute réforme du droit de l'indivision doit rechercher un équilibre entre efficacité et respect du droit de propriété. À ce titre, la position du rapporteur est la bonne : simplifier sans fragiliser, accélérer sans déposséder, adapter sans déséquilibrer l'architecture du droit civil.
La commission a refusé la logique de facilité consistant à abaisser indistinctement les seuils de majorité ou à multiplier les dérogations.
Perte de valeur patrimoniale, impossibilité d'aménagement local, charges supportées par la collectivité : le statu quo n'est pas neutre et porte atteinte tant aux droits des indivisaires qu'à l'intérêt général.
La commission a revu les règles de gestion patrimoniale pour permettre au curateur de préserver la valeur des biens et d'apurer les dettes, sous le contrôle du juge. C'est une réponse concrète aux attentes des territoires et des contribuables.
La création d'une base de données des biens abandonnés n'aurait pas de valeur ajoutée, les procédures visées étant déjà connues. Sa suppression traduit un souci de cohérence normative et de bonne utilisation des deniers publics.
Le droit de l'indivision irrigue le droit des affaires et des sociétés. L'abaissement général du seuil des deux tiers pour la vente des biens indivis aurait produit des effets systémiques imprévisibles.
Des régimes spécifiques existent pour certains territoires confrontés à des situations foncières exceptionnelles - nous soutenons à ce titre l'actualisation du dispositif applicable en Corse.
La commission n'a pas manqué d'audace. En matière de droit de propriété, l'audace mal maîtrisée se transforme vite en fragilité juridique. Toute atteinte excessive exposerait à un risque constitutionnel et créerait une insécurité durable pour les indivisaires. Le droit des successions exige stabilité et prévisibilité. Le Sénat doit, comme de coutume, privilégier la réforme durable au service des familles, des territoires et de la crédibilité de la loi, plutôt que l'affichage politique.
L'accélération du partage judiciaire exige une réforme globale, sur la base des travaux engagés par la Chancellerie.
Nous suivrons la position du rapporteur, dont je salue la rigueur, et voterons ce texte modifié en commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Depuis 1990, le nombre de logements vacants a augmenté de près de 60 %, alors que quatre millions de nos concitoyens sont mal logés. Parmi les causes de cette vacance durable, il y a les indivisions successorales bloquées, souvent sous-estimées, dont certaines s'éternisent pendant des années, voire des décennies. C'est une perte de foncier et un fardeau pour les maires, démunis face à des biens sans propriétaires identifiés.
Pour l'élu ultramarin que je suis, ce constat n'est pas nouveau. Dès 2016, notre délégation aux outre-mer qualifiait l'indivision de « fléau endémique ». Notre diagnostic a conduit à l'adoption de la loi Letchimy - dont il serait utile de faire un bilan. Le rapport d'information de juin 2023 sur le foncier agricole outre-mer que j'ai signé avec Vivette Lopez faisait apparaître que les notaires ne s'étaient pas pleinement saisis des outils.
Nos spécificités justifient la recherche de solutions efficaces - toujours dans le respect du droit de propriété. C'est dans cet esprit que j'ai abordé cette proposition de loi. Je salue l'excellent travail du rapporteur. La mesure centrale visant à abaisser les seuils de décision en indivision a été supprimée car elle portrait une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Cette sécurisation était nécessaire. Reste qu'outre-mer, une telle mesure aurait pu constituer une réponse utile.
Je comprends la suppression de la base de données prévue à l'article 1er, même si les maires étaient demandeurs d'un outil permettant d'identifier la situation juridique des biens dégradés. Le besoin demeure.
Nous voterons ce texte, qui constitue une étape utile. Il faudra cependant agir pour éviter que la situation que nous connaissons outre-mer ne gagne pas tout le territoire. L'amendement du Gouvernement est une première étape vers la réforme bienvenue du partage judiciaire en matière successorale. (M. Claude Kern applaudit.)
Discussion des articles
Avant l'article 1er (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié quater de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Le maire de Châtel-Censoir, dans l'Yonne, a sur son territoire une propriété dégradée. Il consulte le cadastre et constate que le dernier propriétaire connu est né en 1870. On pressent qu'il est décédé... (Sourires) Le maire demande à l'administration fiscale si quelqu'un paye encore des impôts sur cette propriété : secret fiscal, lui répond-on.
Cet amendement, voté dans la loi Simplification du droit de l'urbanisme mais censuré en tant que cavalier, autorise l'administration fiscale à répondre, de façon cadrée, aux communes concernées par ce type de problèmes.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis favorable. Il faudra assurer le suivi de cette mesure.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°1 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Article 1er (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié de M. Canévet et alii.
M. Michel Canévet. - Nous proposons de réintroduire la base de données à destination des élus, s'agissant notamment des biens sans maître, afin qu'ils aient connaissance des surfaces sans propriétaire et qu'une destination puisse leur être trouvée.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis défavorable. L'amendement précédent est plus efficace.
Ce fichier est très attendu des élus, mais les deux premières procédures ciblées sont déjà connues de la puissance publique et les deux autres ne concernent pas des biens à proprement parler abandonnés. Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis. La création de ce fichier, outre qu'elle relève du pouvoir réglementaire, représenterait une charge et une responsabilité supplémentaires pour les collectivités.
L'amendement n°6 rectifié est retiré.
L'article 1er bis est adopté.
Après l'article 1er bis
Mme la présidente. - Amendement n°18 du Gouvernement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Cet amendement permet aux agents des domaines de donner mandat à des tiers pour la mission de curateur à succession vacante.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°19 de M. Jean-Baptiste Blanc.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - L'amendement du Gouvernement ayant été déposé tardivement, la commission n'a pu l'examiner. Avis favorable à titre personnel, sous réserve de l'adoption de notre sous-amendement, qui rend le dispositif plus direct et moins sujet à interprétation en le recentrant sur la signature des actes de vente.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable au sous-amendement.
Le sous-amendement n°19 est adopté.
L'amendement n°18, sous-amendé, est adopté et devient un article additionnel.
L'article 1er ter est adopté.
L'article 2 est adopté.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié quinquies de M. Panunzi et alii.
Mme Pauline Martin. - M. Panunzi propose de compléter l'article 2 de la loi du 6 mars 2017 visant à faciliter la sortie de l'indivision afin d'encourager les partages familiaux.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis favorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis, mais cela ne réglera pas en profondeur les difficultés successorales en Corse... Nous aurons l'occasion d'en reparler.
L'amendement n°3 rectifié quinquies est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°17 de M. Jean-Baptiste Blanc, au nom de la commission des lois.
L'amendement rédactionnel n°17, accepté par le Gouvernement, est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié bis de Mme Martin et alii.
Mme Pauline Martin. - Nous assouplissons le régime de l'indivision en abaissant le seuil de majorité requis pour la réalisation des actes d'administration et de gestion des deux tiers à la moitié des indivisaires. Les décisions en seront facilitées, par exemple en cas de travaux.
Mme la présidente. - Amendement n°14 rectifié de Mme Vérien et alii.
Mme Dominique Vérien. - Nous proposons également d'abaisser cette majorité, mais seulement à 60 %.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis défavorable. Le droit de l'indivision est fondé sur l'égalité entre indivisaires. En cas de conflit, le recours est possible au partage judiciaire, dont une réforme d'ampleur est prévue. Nul n'est contraint à rester dans l'indivision. Toute la doctrine universitaire fait état des dangers d'un abaissement de seuil - rappelons que le droit de l'indivision prévoyait au départ l'unanimité. J'ajoute que des effets de bord nous ont été signalés, en particulier des risques d'inégalité pour les pacsés et concubins.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Pauline Martin. - Compte tenu de l'engorgement de la justice, j'ai des doutes sur le fait que le recours à une procédure judiciaire règle les problèmes...
Les amendements nos4 rectifié bis et 14 rectifié sont retirés.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié bis de Mme Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - L'article 2 a été réécrit en commission des lois afin de s'aligner sur une jurisprudence de la Cour de cassation autorisant la vente par un seul indivisaire lorsque l'urgence et l'intérêt commun le commandent. Nous proposons d'instaurer une présomption d'accord afin de limiter les risques d'abus de minorité. Le droit d'opposition serait subordonné à la détention d'au moins 10 % de l'indivision, par analogie avec le droit boursier.
Cet amendement prévoit une présomption d'accord en faveur de l'aliénation de manifestation des indivisaires minoritaires et de limiter les risques d'abus de minorité, en conditionnant le droit d'opposition à la détention d'un pourcentage minimum de l'indivision.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis défavorable. Il me semble périlleux de mêler droit des sociétés et droit de l'indivision.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis défavorable.
Ce n'est pas la justice qui bloque, madame Martin, le juge arrive bien trop tard dans les indivisions successorales. C'est d'ailleurs tout l'enjeu du travail mené par les auteurs du texte et le rapporteur.
Il faut que le juge intervienne dès le début du processus. D'où l'article 4, qui s'inspire du droit local mosellan et alsacien, lequel prévoit le couple juge-notaire dès le début.
Mme de La Gontrie disait qu'en outre-mer certaines successions duraient parfois cent ans. À Pointe-à-Pitre, l'autre jour, une succession de 162 ans a été soldée !
Je ne suis pas responsable des 162 ans, sauf aux yeux de Mme de La Gontrie, peut-être... (Sourires)
Les notaires ne sont pas assez accompagnés, il est parfois difficile de retrouver des héritiers.
La justice a certes de graves lenteurs, mais en l'occurrence ce n'est pas le problème.
M. Francis Szpiner. - Le rapporteur a raison. Le droit de propriété est reconnu par la Constitution. Revenir sur ce droit en l'assimilant au droit foncier ou au droit commercial n'est pas acceptable.
Je rejoins l'avis du rapporteur.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Nous faisons preuve de sagesse en retirant l'amendement.
L'amendement n°2 rectifié bis est retiré.
L'article 3, modifié, est adopté.
Après l'article 3
Mme la présidente. - Amendement n°8 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Défendu.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
M. Victorin Lurel. - Quels sont les motifs de l'avis défavorable ?
Le ministre a évoqué les désordres fonciers dans les outre-mer. Des mesures ont été prises à Mayotte, comme en Corse. Mais des problèmes demeurent en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - La durée de dix ans prévue par l'amendement paraît disproportionnée.
L'amendement n°8 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°9 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Défendu.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Cet amendement est satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - La loi Letchimy n'a pas résolu le désordre foncier. L'amendement n°9 reprend quasi intégralement son article 2. Avis défavorable.
M. Victorin Lurel. - Je comprends les avis donnés. S'il est satisfait, je retire l'amendement.
L'amendement n°9 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°11 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Il s'agit du mécanisme de cantonnement. Lorsqu'on ne peut pas faire de partage, il doit être clair qu'il ne s'agit pas d'une libéralité, car la fiscalité est différente.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Satisfait : la loi Letchimy n'empêche pas l'application de ces dispositions.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Satisfait, en effet. Au demeurant, vous étendez la loi Letchimy à tout le territoire national. Retrait.
L'amendement n°11 est retiré.
Article 4 (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°16 rectifié du Gouvernement.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Il s'agit de préfigurer la réforme du partage judiciaire.
Mme la présidente. - Amendement n°5 rectifié ter de Mme Schalck et alii.
Mme Catherine Di Folco. - Mme Schalck a déposé son amendement avant celui du Gouvernement. Il s'agit d'étendre à titre expérimental le régime alsacien-mosellan aux collectivités volontaires.
Mme la présidente. - Amendement identique n°15 rectifié quater
M. Claude Kern. - Le régime local de partage judiciaire repose sur une procédure gracieuse, largement confiée aux notaires. Elle permet de raccourcir les délais, de réduire les contentieux et de faciliter la mobilisation du foncier.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement du Gouvernement, qui facilitera la procédure. Avis défavorable aux amendements identiques. Certes, l'expérience d'Alsace-Moselle est fort intéressante, mais la réforme du garde des sceaux ne l'est pas moins ! (M. Gérald Darmanin sourit.)
Les amendements identiques nos5 rectifié ter et 15 rectifié ter sont retirés.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Merci à Mme Di Folco et à M. Kern d'avoir retiré leurs amendements, qui visent le même but que la réforme que j'ai engagée.
M. Michel Canévet. - Ces sujets sont importants, notamment l'article 4. Je m'étonne qu'il ait fallu attendre quatre ans après les constats de l'inspection générale de la justice pour prendre les mesures nécessaires - ce qui n'est pas une critique contre vous, monsieur le garde des sceaux, qui êtes en fonction depuis peu. Nous devons urgemment trouver des solutions pour désengorger la justice, et nous savons que vous vous y employez.
L'amendement n°16 rectifié est adopté et l'article 4 est rétabli.
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.
Continuité des revenus des artistes-auteurs
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir la continuité des revenus des artistes-auteurs, présentée par Mme Monique de Marco et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.
Discussion générale
Mme Monique de Marco, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du GEST) C'est avec une vive émotion que je vous présente cette proposition de loi visant à instaurer une continuité de revenus pour les artistes-auteurs et autrices. J'en mesure l'importance pour les écrivains, dramaturges, musiciens, sculpteurs, scénaristes, photographes, plasticiens, commissaires d'exposition ou encore auteurs de bande dessinée.
Toutes ces créatrices et tous ces créateurs sont à l'origine de ce texte. Face à l'indifférence institutionnelle, une volonté s'est mise en mouvement ; quelle que soit l'issue de nos débats, elle ne s'arrêtera pas. À l'Assemblée nationale, une proposition de loi similaire à celle-ci a été initiée par Pierre Dharréville et cosignée par 121 députés.
Leur revendication ? Réparer une injustice sociale et obtenir la reconnaissance de leur dignité de travailleurs à travers la possibilité d'accéder à un revenu de remplacement lorsqu'ils sont temporairement privés de ressources.
De tels moments, toutes et tous en traversent, souvent dans la solitude, faute d'un dispositif adapté. Certains dépendent ponctuellement du RSA pour vivre, d'autres perçoivent l'allocation de solidarité spécifique (ASS). Nul ne peut contester la précarité du statut d'artiste-auteur. Même les plus grands génies ont connu des passages à vide, parfois la misère.
Il y a cinquante ans presque jour pour jour, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité une loi ouvrant la voie à un premier alignement des droits sociaux des artistes-auteurs sur ceux des salariés. Il est troublant que la nécessité de poursuivre cet alignement ne soit plus une évidence.
En 1975, le ministre du travail, Michel Durafour, assimilait les artistes-auteurs à des salariés : « Très souvent, en effet, par le biais des contrôles que subit l'artiste ou des commandes qu'il reçoit de la part de ceux qui diffusent ses oeuvres, son statut apparaît comme étrangement proche de celui des salariés ». Le secrétaire d'État à la culture, Michel Guy, abondait dans le même sens : « La première condition de la vie de l'artiste dans le monde où nous vivons implique le rejet de ce mythe que le siècle dernier a répandu de l'artiste libre et heureux dans la misère. L'artiste doit désormais, dans tous les domaines, jouir des mêmes droits et se soumettre aux mêmes obligations que les autres citoyens ».
Hélas, la commission des affaires sociales a rejeté les amendements de la rapporteure, Anne Souyris. La commission de la culture n'a même pas été invitée à se prononcer.
La commission des affaires sociales refuse d'intégrer les artistes-auteurs à l'Unédic, sous prétexte que d'autres réponses seraient plus adaptées. Je me demande bien lesquelles... En outre, la majorité des artistes-auteurs participent déjà à l'Unédic, soit comme salariés - 46,5 % d'entre eux le sont aussi -, soit comme intermittents du spectacle. Toutes et tous y contribuent aussi en s'acquittant de la CSG.
Nous voulons que celles et ceux qui ne disposent d'aucun revenu de remplacement bénéficient d'un filet de sécurité et éviter le coût de gestion lié à la création d'une caisse autonome. C'est la même logique de simplification et d'efficacité qui a guidé le Gouvernement dans la LFSS pour 2026, à travers le transfert des missions de sécurité sociale des artistes-auteurs à l'Urssaf après quarante ans de dysfonctionnements.
On nous oppose aussi qu'un revenu de remplacement devrait être réservé aux travailleurs involontairement privés d'emploi. Mais nous proposons que, lorsqu'ils sont privés de ressources, les bénéficiaires s'engagent dans des actions de recherche artistique, de recherche de diffuseurs ou des activités accessoires à leur activité artistique.
Cette proposition de loi n'est pas non plus une atteinte au droit d'auteur, comme on l'a prétendu. Un des amendements proposés vise justement à garantir que le revenu de remplacement ne porte pas atteinte à la rémunération des actes de création protégée par un contrat.
Je comprends les inquiétudes au sujet des prélèvements supplémentaires sur les diffuseurs, mais gardons à l'esprit que ceux-ci s'acquittent de cotisations patronales au taux dérogatoire de 1,1 %. Ils contribuent donc moins au régime social des artistes-auteurs qu'ils diffusent qu'à celui des salariés qu'ils recrutent : comment le justifier ?
L'économie de l'art et des lettres est une économie des extrêmes : la plus grande richesse y côtoie une grande précarité. Le même constat vaut pour les diffuseurs. Lorsque le texte poursuivra sa route, avec ou sans l'approbation du Sénat, la situation des petits diffuseurs devra être prise en compte.
Nous proposons deux nouvelles sources de financement : une cotisation sur les entreprises exploitant l'IA générative - j'ai pris connaissance avec intérêt de la proposition de création d'une présomption d'exploitation d'oeuvres par l'IA - et l'instauration, proposée par Victor Hugo au Congrès littéraire de 1878, d'une cotisation sur l'exploitation des oeuvres des artistes décédés, afin que les morts contribuent à aider les vivants. Nul ne suspectera Victor Hugo d'avoir voulu attenter au droit d'auteur.
Je remercie celles et ceux qui, à gauche mais aussi au centre et à droite, ont mis de côté les postures partisanes pour appuyer cette démarche. Répondons à l'immense attente des créatrices et des créateurs, qui contribuent au rayonnement culturel et économique de la France, afin qu'on ne puisse plus, comme Balzac, demander : « D'où vient donc, en un siècle aussi éclairé que le nôtre paraît l'être, le dédain avec lequel on traite les artistes, poètes, peintres, musiciens, sculpteurs, architectes ? » (Applaudissements à gauche ; Mmes Laure Darcos et Sonia de La Provôté applaudissent également.)
Mme Anne Souyris, rapporteure de la commission des affaires sociales . - Cette proposition de loi vise à créer un revenu de remplacement au bénéfice des artistes-auteurs.
La question suscite une intense activité parlementaire : plusieurs propositions de loi ont été déposées à l'Assemblée nationale, et les députées Soumya Bourouaha et Camille Galliard-Minier viennent de rendre les conclusions de leur mission flash sur la continuité de revenu pour les artistes-auteurs. Je remercie Mme de Marco de permettre au Sénat de ne pas rester en marge de ces débats importants.
Le constat fait, je pense, consensus. Si l'activité des artistes-auteurs, est très diverse, leur rémunération est toujours aléatoire. Elle ne dépend pas du travail fourni ou du temps consacré à la création, mais de la vente ou de l'exploitation de l'oeuvre. Il en découle une grande instabilité, ainsi qu'une relative imprévisibilité. En 2022, deux tiers des artistes-auteurs ont subi une variation annuelle de revenus supérieure à 25 %. Beaucoup sont contraints d'exercer un emploi alimentaire.
Les artistes auteurs bénéficient depuis 1975 d'une protection sociale, toujours en consolidation. Ce système, auquel 400 000 personnes sont affiliées, ne couvre pas les accidents du travail et maladies professionnelles et exclut du régime d'assurance chômage les artistes auteurs, qui ne peuvent bénéficier que de l'ASS ou du RSA.
L'article 1er de sa proposition de loi crée une contribution spécifique des diffuseurs d'oeuvres d'au moins 4 % pour un rendement de 120 millions d'euros par an. Nous vous proposerons d'autres sources de financement pour équilibrer ce régime nouvellement créé.
Son article 2 crée un revenu de remplacement proportionnel au revenu antérieur à partir d'un plancher fixé à 85 % du Smic et versé par France Travail. Cela répond à une attente forte d'une grande partie du secteur mais peut évoluer en suivant trois objectifs : garantir un régime protecteur, renforcer le rôle du dialogue social et renforcer l'équilibre financier du dispositif.
Un seuil d'activité fixé à 900 Smic horaires permettrait de centrer le dispositif sur les artistes-auteurs qui ne recherchent pas une autre activité. Au total, cela concernerait 20 000 personnes, pour un montant de 220 millions d'euros. Un seuil dérogatoire de 300 Smic horaires pourrait être créé pour les jeunes diplômés, qui peinent à travailler : 56 % des diplômés des beaux-arts de Paris entre 2017 et 2021 gagnent ainsi moins de 15 000 euros par an.
Nous proposons également la création d'une commission, composée de représentants des artistes-auteurs, chargée d'attester de l'éligibilité au revenu de remplacement, inspirée du modèle belge, issu d'une réforme de 2022 qui tient ses promesses.
Les bénéficiaires du revenu de remplacement devront justifier d'actes positifs et répétés de développement, de diffusion ou d'exploitation de leurs oeuvres auprès de France Travail pour les responsabiliser.
Il faut renvoyer davantage au dialogue social la détermination du régime, puisque le revenu serait versé par l'Unédic. Un accord entre les organisations représentatives des artistes-auteurs et des diffuseurs en résulterait et serait annexé à la convention d'assurance chômage.
Enfin, le financement est une question centrale. Afin d'équilibrer les dépenses, plus élevées, et les recettes, nous pourrions agir sur plusieurs leviers : une cotisation des artistes-auteurs eux-mêmes, à l'instar du régime des intermittents ; une contribution des diffuseurs relevée à 5 % ; une mise à contribution des entreprises et des plateformes qui recourent à l'IA, lesquelles s'inspirent des oeuvres sans rémunérer leurs auteurs - cela permettrait de rétablir une égalité de ces publics devant les charges publiques. Le dispositif proposé serait à l'équilibre, voire excédentaire.
Le texte ainsi amendé ne ferait pas entrer les artistes-auteurs dans le salariat ; il ne réglerait pas à lui seul toutes les causes de précarité des artistes-auteurs, mais remédierait à une injustice : depuis 1975, le législateur a renforcé les droits sociaux des artistes-auteurs ; il faut maintenant leur reconnaître leur qualité de travailleurs.
Mais comme la commission des affaires sociales n'a pas adopté le texte, c'est sa version initiale que nous examinons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Rachida Dati, ministre de la culture . - Merci, madame de Marco, de nous permettre d'échanger sur ce sujet sensible, qui est au coeur des préoccupations du ministère. Depuis 2021, le ministère de la culture déploie le plan Auteurs, engagé à la suite du rapport de Bruno Racine. Des avancées ont été obtenues sur plusieurs points : clarification du régime social, rémunération, représentativité.
À ce jour, douze mesures du plan sont mises en oeuvre et trois en cours de finalisation - je pense par exemple à un portail numérique regroupant les informations utiles aux artistes-auteurs. Pour autant, des marges de progression demeurent.
Dès 2024, je me suis engagée à ce que la réforme du RSA prenne en compte la situation des artistes-auteurs. Un dispositif d'accompagnement dédié, financé par le ministère de la culture, est ainsi mis en oeuvre par des professionnels spécifiquement formés depuis juin dernier. Nous en ferons le bilan d'ici à la fin de 2026.
Autre progrès : la LFSS 2026 réforme la sécurité sociale des artistes-auteurs en clarifiant la répartition des compétences avec l'Urssaf et en accordant de nouvelles compétences à l'association agréée.
Malgré ces avancées majeures, toute initiative en faveur des 350 000 artistes-auteurs, qui ont des activités diverses et des revenus très disparates, est louable.
Un rapport rendu en début de semaine montre que, pour beaucoup, l'art n'est pas leur principale activité : en 2023, pas moins de 67 % d'entre eux percevaient un revenu issu d'une autre activité. Leur revenu annuel moyen s'élève à 36 400 euros, mais avec de fortes disparités. Il nous faut donc définir la meilleure manière de traiter ces enjeux face à la faiblesse des revenus. Je regrette de vous le dire, madame la sénatrice, c'est le seul point sur lequel nous pourrions nous retrouver.
Votre proposition de loi revêt une dimension un peu démagogique à laquelle je ne peux adhérer : vous octroyez une protection assimilable à un revenu universel pour un coût estimé à 800 millions d'euros ! En tant que ministre de la culture, ma priorité est de garantir la vivacité du tissu créatif via une juste reconnaissance.
Sur la base d'un diagnostic plus fin, je proposerai d'autres solutions. La priorité est d'avoir un effet sur le réel, non de faire des promesses dont on sait qu'elles ne seront pas tenues.
Vous considérez « que les artistes-auteurs souffrent d'une rémunération insuffisante pour couvrir l'ensemble du cycle de création et qu'il faudrait en conséquence créer un revenu de remplacement. » Or créer une assurance chômage ne permet pas de lutter contre une faiblesse excessive des rémunérations. Les niveaux de rémunération sont liés à l'économie des secteurs, à la répartition de la valeur ajoutée et aux rapports de force entre artistes, auteurs, producteurs et diffuseurs.
Dans les secteurs de la musique, du cinéma et de l'audiovisuel, cinq accords interprofessionnels ont été signés. Des progrès sont encore à faire dans le secteur du livre, mais les discussions se poursuivent. Je salue à cet égard la proposition de loi de vos collègues sur les contrats d'édition.
Les secteurs des arts visuels et de la photographie on des économies distinctes, pour lesquelles le soutien de l'État porte ses fruits.
L'existence de très hauts revenus dans un secteur donné n'est pas la marque d'une inégalité inacceptable, c'est simplement la conséquence du succès. S'il peut être éphémère ou tardif, c'est une donnée inhérente au secteur.
La réponse ne peut être la mise en place d'un revenu universel artistique qui transformerait les artistes-auteurs en fonctionnaires de l'art subventionnés par l'assurance chômage.
Il faut, à l'inverse, que les auteurs soient mieux rémunérés, mais cela passe par des négociations avec les producteurs et les diffuseurs, publics ou privés. Le plan Auteurs pourrait être renforcé par la loi sur ce point. Mais les auteurs veulent être payés avant tout pour leurs oeuvres. Un revenu de remplacement n'est pas adapté, un artiste ne pouvant être rémunéré à l'heure.
Les artistes-auteurs ne sont pas des salariés, mais sont assimilables à des indépendants. Le corollaire, c'est que leur oeuvre leur appartient et qu'ils échappent à tout lien de subordination.
Il ne faudrait pas faire payer par la Nation de maigres indemnités en échange de potentielles cessions de droits, de plus en plus léonines d'ailleurs, qui finiront par alimenter les intelligences artificielles. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable à ce texte.
J'ai décidé avec Jean-Pierre Farandou et Amélie de Montchalin de confier à l'Igas, l'Igac et l'IGF une mission sur l'inégalité des rémunérations entre les hommes et les femmes artistes-auteurs, la couverture des risques professionnels, la gestion des aléas de rémunération liés au cycle de création et le risque de sortie de métier. Ses conclusions seront présentées avant la fin avril. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur certaines travées du groupe Les Républicains)
Mme Silvana Silvani . - Je remercie le GEST et Monique de Marco d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat. Cette proposition de loi a une histoire : je rends hommage à Pierre Dharréville, ancien député communiste des Bouches-du-Rhône, qui avait construit une proposition de loi avec les artistes-auteurs.
Une nouvelle proposition de loi a été déposée en 2024 par Soumya Bourouaha, cosignée par 121 députés de gauche, mais aussi du socle gouvernemental et même un député Les Républicains. C'est dire si ce sujet est reconnu de tous.
Les artistes-auteurs subissent une discontinuité de revenus et une protection sociale insuffisante. Leurs droits sont ouverts s'ils touchent une rémunération de plus de 600 Smic horaires par an.
L'emballement médiatique autour du film d'animation d'Intermarché sur le loup mal-aimé, qui avoisine le milliard de vues, devrait mettre l'accent sur la création humaine. Ce succès, digne d'un conte de Noël, est dû au studio montpelliérain Illogic et à un processus de création qui a mobilisé plusieurs dizaines d'artistes-auteurs pendant un an - sans que cela n'ait ouvert aucun droit à l'assurance maladie, à la retraite et encore moins au chômage.
C'est la raison pour laquelle de nombreux artistes-auteurs ont une autre activité, pour en tirer un revenu et obtenir des droits sociaux. Ce revenu de remplacement est indispensable. Les artistes-auteurs d'oeuvres littéraires, graphiques, dramatiques, musicales, chorégraphiques, audiovisuelles, cinématographiques, plastiques et photographiques ont en commun une protection sociale insuffisante. Ce texte est une première amélioration. Nous avions déposé des amendements portant le revenu de remplacement au niveau du Smic brut et modifiant le seuil d'éligibilité, mais ils ont été déclarés irrecevables - c'est dommage, ils nous auraient permis de débattre sur le niveau de revenu qu'il faut pour vivre dignement.
Ce texte propose de mettre à contribution les diffuseurs publics avec une contribution spécifique à destination des plateformes qui utilisent des oeuvres libres de droits ; cela nous semble pertinent. Nous sommes plus dubitatifs sur l'effectivité d'une contribution sur l'usage de l'IA. Quoi qu'il en soit, des recettes existent si on veut se donner les moyens de promouvoir la création culturelle dans notre pays. (Applaudissements à gauche)
M. Ronan Dantec . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.) En France, on n'a pas de pétrole, mais des idées... Modernisons ce slogan des années 1970 : on n'a pas de terres rares, mais des auteurs !
À l'heure des intelligences artificielles, nourries des créations, la capacité de fournir les matériaux dont elles s'inspirent est un enjeu majeur. Comme les marins, les auteurs ont la manie de faire des phrases. Ils produisent ce minerai vital dans le monde numérique, mais ne bénéficient pas d'une protection à la hauteur de ce rôle.
Des dizaines de milliers d'artistes-auteurs subissent quotidiennement des obstacles administratifs, sociaux et économiques qui affectent directement leur liberté de création et leur sécurité. Je ne suis pas sûr, madame la ministre, que le sentiment - pour ne pas dire l'ivresse - de la liberté et l'absence de subordination suffisent à leur bonheur. Ils sont confrontés à des structures de gestion de la sécurité sociale qui nuisent à l'effectivité de leurs droits et pleurent leur retraite disparue, un véritable scandale. Alors que les secteurs culturels représentent près de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 650 000 emplois directs, il est paradoxal que ceux qui font vivre cette richesse n'aient pas un cadre protecteur.
L'absence d'un statut social adapté alimente une précarité des métiers culturels : absence de droit au chômage, inégalité dans la constitution des droits à la retraite, faibles ressources. Par l'instauration d'un revenu de remplacement, cette proposition de loi propose une solution forte et concrète.
La culture française n'est pas une commodité, mais un essentiel de notre rayonnement. Celui ou celle qui consacre sa vie à l'écriture ou à l'art ne doit pas renoncer à la création parce que le cadre ne le reconnaît pas.
Le pays de Beaumarchais, où la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) a été créée en 1851, doit répondre à cet enjeu. Votons cette proposition de loi pour soutenir concrètement nos artistes. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi touche à un sujet sensible et essentiel. Elle s'inscrit dans une réflexion partagée sur la précarité des professions culturelles, accentuée par l'IA.
Cette fragilité tient à une réalité méconnue : les artistes ne sont pas rémunérés pour leur activité de création, mais seulement au moment de sa diffusion. Le temps de conception et de recherche n'est pas reconnu économiquement. Quand aucune oeuvre n'est diffusée ou exploitée, l'artiste-auteur ne touche aucun revenu. S'y ajoutent des modes de rémunération déséquilibrés, dépendant de distributeurs qui reversent les droits parfois avec retard.
Les artistes-auteurs produisent une richesse économique et participent au rayonnement intellectuel et social du pays. La majorité des membres du RDSE voient dans ce texte une avancée légitime.
Le rapport de la mission flash de l'Assemblée nationale et la Commission européenne invitent à mieux protéger les artistes-auteurs considérés comme des travailleurs.
Certains de mes collègues ont quelques réserves. L'assurance chômage repose sur la notion de perte involontaire d'emploi. Or l'activité artistique est plus marquée par l'irrégularité des revenus. Dans ce cadre, introduire un revenu de remplacement soulève une question de principe.
Comment éviter les effets d'aubaine ? Et la question du financement appelle à la prudence. Les réserves de l'Unédic à cet égard ne peuvent être ignorées.
Malgré ces questionnements, les votes du RDSE seront partagés, mais majoritairement favorables à ce texte d'appel. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST et sur des travées du groupe SER)
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Pascale Gruny applaudit également.) À quelques pas d'ici, en traversant le jardin du Luxembourg, vous pouvez lire sous la statue de Baudelaire quelques vers de son poème Les Phares, rendant hommage aux créateurs, tels Léonard de Vinci, Rembrandt ou Delacroix. Nous partageons tous cette admiration, cette reconnaissance pour l'art, « cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge ».
La précarité des artistes-auteurs est un réel problème. Le rapport Racine rappelait que le système de rémunération repose quasi exclusivement sur les droits d'auteur. Seule une minorité d'artistes-auteurs exercent réellement à titre professionnel. Seuls 10 % atteignent le revenu médian.
Mais si nous partageons le diagnostic, le texte nous semble contourner le problème. La précarité des artistes s'explique d'abord par un déséquilibre entre l'offre et la demande. Le régime des artistes-auteurs connaît un nombre croissant d'entrants, qui a doublé depuis 2020, alors que la capacité de diffusion ne progresse pas au même rythme. Augmenter les droits sociaux est légitime, mais créer un revenu de continuité pourrait augmenter encore l'offre, puisque la filière deviendrait plus attractive.
Le secteur connaît par ailleurs une transformation rapide liée à l'IA générative qui fournit aux diffuseurs des contenus à moindre coût. Cela risque de réduire la demande, mais peut aussi servir les artistes-auteurs, qui peuvent mettre en avant leur singularité. La récente publicité d'Intermarché en témoigne.
À cela s'ajoute un risque de fragilisation économique du secteur. Parmi les diffuseurs figurent des festivals locaux, des maisons d'édition spécialisées aux marges parfois très faibles. La contribution prévue par le texte risque de les mettre en difficulté.
Enfin, dernier enjeu : le risque de glissement de l'assistance vers la suppléance.
Les artistes-auteurs ne perçoivent pas de cotisation chômage, seulement les minima sociaux, à l'image des jeunes entrepreneurs. Ces dispositifs sont imparfaits, mais c'est un filet de sécurité qui a le mérite d'exister.
Dans ce texte, le revenu de remplacement ne serait plus conçu comme une réponse à un événement exceptionnel. Cette forme de revenu universel artistique risque de déresponsabiliser les auteurs.
Quid de la liberté artistique ? L'art n'est-il pas la plus belle expression de la liberté ? De Beaumarchais aux lois révolutionnaires, les droits d'auteur ont été conçus pour préserver l'indépendance et la liberté des créateurs, qui ne sont ni salariés ni fonctionnaires. Or le texte modifie cette philosophie. L'art est le fruit de la créativité des gens libres, disait Kennedy.
Ne cédons pas à la tendance française à la bureaucratie : pilotage par l'Unédic, mise en oeuvre par France Travail ; la rapporteure prévoyait même un nouveau comité Théodule...
Le groupe UC votera majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Laure Darcos . - L'intention est louable. Les artistes-auteurs disposent de ressources aléatoires dépendant surtout de la diffusion de leurs oeuvres. Mais soyons réalistes : l'indépendance matérielle à laquelle ils sont nombreux à aspirer relèverait d'un changement total de paradigme si nous les transformions en auteurs salariés.
Le législateur a déjà considérablement renforcé leur protection sociale, d'abord avec la loi du 31 décembre 1975, qui couvre les risques liés à la maladie, la maternité, l'invalidité et au décès. Certes, il pourrait être judicieux d'ouvrir de nouveaux droits ; merci, madame la ministre, de vos annonces sur ce point. Les maladies et accidents professionnels ne sont en effet pas couverts, sinon par une assurance volontaire.
Chacun a aussi en mémoire la gestion erratique de leur régime. Une étape importante a toutefois été franchie avec la LFSS 2026, qui a confié la collecte des cotisations à l'Urssaf du Limousin.
Faut-il assurer une indemnisation pour le temps passé à la création, au risque de les assimiler à des salariés ? Pour nous, cette voie n'est pas pertinente, comme en a jugé aussi le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.
Rapprocher le statut des artistes-auteurs de celui des salariés sous-entendrait l'instauration d'un lien de subordination. Le droit d'auteur risquerait de se retrouver au second plan.
Or l'ensemble des avancées sociales se sont toujours fondées sur le respect des droits d'auteur. Ces considérations doivent continuer de prévaloir.
De plus, le financement du dispositif repose exclusivement sur les diffuseurs. Pourront-ils tous l'assumer ? Le coût de la proposition de loi serait de 1 milliard d'euros. Le montant des droits versés risquerait de diminuer, tout comme le nombre de commandes et de productions.
Si ce texte pose de bonnes questions, il apporte des réponses inadaptées qui pourraient bien se retourner contre les artistes-auteurs eux-mêmes.
Il existe d'autres moyens. La proposition de loi que j'ai déposée avec Sylvie Robert, première réforme du contrat d'édition depuis 1957, vise justement à reconnaître à sa juste valeur le travail de création. J'espère qu'elle sera prochainement inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
Elle prévoit la création d'un minimum de droits d'auteur garanti définitivement acquis aux auteurs, une rémunération proportionnelle par paliers en fonction des ventes réalisées et une reddition des comptes deux fois par an.
Le groupe Les Indépendants votera contre le texte, mais je salue l'engagement de Monique de Marco dans ce combat (M. Francis Szpiner applaudit.)
Mme Pascale Gruny . - Ce texte s'inscrit dans une réflexion plus large engagée en 2020 avec le rapport Bruno Racine, poursuivie par le plan Auteurs et les travaux d'une mission flash à l'Assemblée nationale qui vient de rendre ses conclusions.
Un même constat nous alerte : une paupérisation croissante des artistes-auteurs, dans une trentaine de professions, incluant écrivains, traducteurs, scénaristes, compositeurs, plasticiens ou photographes.
La rémunération est discontinue, car elle dépend de contrats ponctuels espacés dans le temps. De plus, si l'exploitation de l'oeuvre est rémunérée, le travail créatif de préparation ne l'est pas.
Pas moins de 10 000 artistes-auteurs dépendent du RSA, filet de sécurité inadapté à leur réalité, 43 % des artistes-auteurs vivent sous le seuil de pauvreté et plus de 60 % gagnent moins que le Smic annuel.
Pour y remédier, la proposition de loi intégrerait dans la caisse commune de l'assurance chômage les artistes-auteurs, qui percevraient une allocation d'environ 1 200 euros à condition de justifier d'un revenu d'au moins 300 Smic horaires pour une année. Le coût de cette proposition pourrait avoisiner le milliard d'euros, selon l'Unédic. Le ministère de la culture parle de 800 millions d'euros. Un tel coût n'est pas envisageable pour l'assurance chômage.
L'autrice du texte a donc tenté de reporter ce coût sur les diffuseurs. Une part de la CSG viendrait compléter cette ressource.
Mais la situation ne serait toujours pas à l'équilibre. C'est pourquoi la rapporteure a proposé plusieurs solutions - un meilleur ciblage des artistes bénéficiaires, par exemple -, mais celles-ci n'ont pas été acceptées par la commission.
Les deux ressources envisagées initialement seraient relevées à 5 % pour les diffuseurs et 2 % pour les artistes-auteurs. En outre, deux contributions seraient créées pour les plateformes utilisant l'IA et exploitant des oeuvres relevant du domaine public.
Nous sommes défavorables au dispositif proposé.
Les artistes-auteurs sont des travailleurs indépendants, pas des salariés, ils exercent leur activité de création sans lien de subordination avec un employeur.
La rapporteure a noté par ailleurs la difficulté à déterminer les bénéficiaires du régime. Les artistes-auteurs qui vivent exclusivement de leur oeuvre ne sont pas nombreux. Créer une commission pour délivrer des attestations ne réglera pas le problème d'identification.
De plus, le coût de la mesure est incertain. Les besoins de financement sont appréciés de façon approximative, voire déséquilibrée, puisque le montant versé, de 85 % du Smic, serait disproportionné - le seuil de 300 heures travaillées, soit moins d'une heure par jour, étant bien moindre que pour tous les autres allocataires de l'assurance chômage.
Enfin, le financement du dispositif repose sur des hausses d'impôts auxquelles notre groupe ne peut qu'être défavorable.
Les organisations professionnelles d'artistes-auteurs redoutent la fragilisation de leur environnement.
La proposition de loi n'est accompagnée d'aucune étude d'impact. Or, certaines professions affrontent des difficultés, notamment de concurrence de l'IA, et certains diffuseurs n'auraient pas la capacité de prendre en charge la nouvelle contribution, qui pourrait même être répercutée in fine sur la rémunération des auteurs.
La rapporteure a proposé de solliciter les grands acteurs du numérique. Cette intention est compréhensible, puisqu'ils représentent une menace pour les auteurs, mais l'absence de cadre européen et la difficulté de mise en oeuvre empêchent de retenir cette option.
Il y a trop de risques et d'incertitudes : la réflexion doit se poursuivre avec l'ensemble des acteurs de la création. Nous serons attentifs à vos propositions, madame la ministre, car donner aux artistes-auteurs les moyens de créer, c'est donner à la culture issue de l'intelligence humaine les moyens d'exister. Le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
M. Martin Lévrier . - Les artistes-auteurs sont des acteurs essentiels de la vie culturelle ; ils contribuent à l'enrichissement de notre patrimoine. Dans son rapport de 2020, Bruno Racine a jugé leur apport « irremplaçable dans le regard de la société sur elle-même ou sur son temps ».
Être artiste-auteur, ce n'est pas exercer une profession comme une autre. Écrire un livre, produire une oeuvre musicale ou cinématographique demande du temps. Or ce travail de création n'est généralement pas rémunéré. Seule l'exploitation de l'oeuvre l'est. La disparité de revenus qui en résulte, associée à une protection sociale fragile, a entraîné une dégradation progressive de la situation de nombreux artistes-auteurs, pour beaucoup précaires.
Selon plusieurs rapports de la sécurité sociale des artistes-auteurs et de l'Urssaf Limousin, 60 % d'entre eux gagnent moins que le Smic et 3,4 % concentrent 48 % du revenu artistique global.
Nous partageons le constat de la rapporteure. Mais la solution proposée dans ce texte est-elle pour autant adaptée ? La création d'un revenu de continuité coûterait près de 800 millions d'euros et entraînerait une hausse importante de la contribution des diffuseurs, qui les déstabiliserait.
La solution proposée contrevient en outre à l'esprit même de l'assurance chômage, qui garantit un revenu en cas de perte involontaire d'un emploi. Or la discontinuité des revenus des artistes-auteurs est liée à l'absence de rémunération de leur travail et non à une telle perte.
La rapporteure a proposé de diversifier les sources de financement, mais sans réduire suffisamment le coût massif de la mesure.
Des solutions alternatives pourraient être envisagées, comme celle de la députée Camille Galliard-Minier, d'un compte personnel de création, sur le modèle du compte personnel de formation (CPF). Ce modèle flexible garantirait aux artistes-auteurs de gérer leur parcours de façon autonome.
L'enjeu est trop grand pour ne pas prendre le temps de la réflexion. Toutefois, nous saluons l'ambition de ce texte, sur un véritable enjeu. Une majorité du RDPI s'abstiendra.
Mme Sylvie Robert . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST) Un article du Monde de 1970 relate les tentatives de l'État suédois d'instaurer un salaire de travailleur de la culture. Plus récemment, l'Irlande a lancé une expérimentation établissant un revenu de base pour les artistes, dont les résultats sont encourageants et qui recueille le soutien massif de la population.
En 1975, lors de l'examen du projet de loi sur la sécurité sociale des artistes-auteurs, le rapporteur pour avis de la commission de la culture du Sénat estimait que cette sécurité sociale n'était qu'une première étape, qui n'assurait pas l'indépendance matérielle des artistes mais garantissait leur sécurité, comme pour les autres travailleurs - quoiqu'insuffisamment.
Je salue l'engagement constant de Monique de Marco en faveur des créateurs. Sa proposition de loi s'inscrit dans ce débat de long terme, ravivé par le rapport Racine de 2020, qui soulignait la paupérisation croissante des artistes-auteurs. Seuls 22,7 % des créateurs ont des revenus suffisants pour ouvrir pleinement leurs droits sociaux.
À l'échelle européenne, une prise de conscience émerge. En témoigne la résolution du Parlement européen du 21 novembre 2023 qui encourage les États membres qui ne l'ont pas encore fait à créer un statut spécifique des artistes, pour leur faciliter l'accès à une protection sociale adaptée.
L'argument selon lequel la création serait une économie de talent peut être légitime d'un point de vue entrepreneurial, mais entre en contradiction avec les objectifs de notre politique publique culturelle, car cette économie ne garantit aucunement la diversité culturelle et condamne les artistes-auteurs qui n'auraient pas rencontré leur public.
Sortons de la vision romantique de l'artiste-auteur vivant d'amour et d'eau fraîche à la lueur de sa bougie, qui freine toute action politique résolue en faveur des droits sociaux.
Une réforme du statut d'artiste-auteur est plus que jamais d'actualité. C'est en partie l'objectif de la proposition de loi que nous avons déposée avec Laure Darcos.
Si nous pouvons nous interroger sur les modalités techniques du revenu de remplacement du texte que nous examinons, ce dernier a le mérite de réactualiser un débat fondamental : quelle reconnaissance notre société accorde-t-elle aux artistes-auteurs ? Alors que l'IA générative est vouée à se généraliser, la réponse à cette question sera décisive et traduira notre vision du pacte qui lie les artistes à la société. Je remercie Laure Darcos, Agnès Evren et Pierre Ouzoulias d'avoir déposé une proposition de loi à ce propos.
Garantir la continuité de la rémunération des artistes-auteurs à l'ère de la démocratisation de l'IA est essentiel, pour prouver que la création demeure la preuve de la singularité humaine. Ne faisons pas de la création artistique un énième levier de spéculation.
Le groupe SER votera cette proposition de loi. Néanmoins, il faudra continuer à travailler. Je forme le voeu que l'ensemble des acteurs concernés convergent solidairement vers la reconnaissance et la protection des artistes-auteurs dans une société démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mmes Silvana Silvani et Laure Darcos applaudissent également.)
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
Discussion des articles
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié bis de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Cet amendement réintroduit dans le code du travail l'article énumérant les sources de financement de l'assurance chômage.
Je ne peux pas accepter que l'on qualifie ce texte de démagogique. Nous avons démontré qu'il était possible de financer ces dispositifs, qui coûteraient entre 6 millions et 680 millions d'euros, notamment par la cotisation sur l'intelligence artificielle ou la cotisation sur le revenu artistique des oeuvres d'artistes morts. Les artistes-auteurs cotisent déjà à l'assurance chômage, via la CSG. Je ne comprends pas cette attaque.
Position de subordination, dites-vous ? Mais c'est le cas actuellement !
De multiples études sur la disparité entre les hommes et les femmes ont déjà été menées ; le rapport Racine en parlait déjà ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Avis favorable à cet amendement de précision légistique.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable, car nous sommes défavorables à ce texte.
L'amendement n°3 rectifié bis est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Cet amendement est né de l'idée de Victor Hugo d'une redevance perpétuelle sur le domaine public pour financer les jeunes auteurs. Ses mots restent d'actualité : « Rien ne serait plus utile, en effet, qu'une sorte de fonds commun, un capital considérable, des revenus solides, appliqués aux besoins de la littérature en continuelle voie de formation. »
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Cet amendement favorise la solidarité intergénérationnelle chère à Victor Hugo. Dès que les oeuvres tombent dans le domaine public, l'argent qu'elles engendrent doit aller aux jeunes auteurs. La précarité était grande au XIXe siècle.
La commission a émis un avis défavorable, même si cette disposition a été instaurée en Italie dans les années 1960, ce qui montre que c'est possible.
Mme Rachida Dati, ministre. - Cet amendement crée une confusion entre les droits d'auteur et les droits voisins. En outre, la libre réutilisation des données publiques serait menacée. Avis défavorable.
L'amendement n°4 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°5 rectifié bis de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Je reviens à Victor Hugo... Notre siècle ne manque pas d'esprits éclairés : je pense à Laure Darcos, à Agnès Evren et à Pierre Ouzoulias, qui ont déposé une proposition de loi relative à l'intelligence artificielle. Cet amendement poursuit le même objectif : ceux qui exploitent les oeuvres via l'IA doivent contribuer à améliorer la situation des artistes-auteurs.
Nous proposons d'assimiler les entreprises de l'IA à des diffuseurs et de les contraindre à s'acquitter d'une cotisation pour financer le revenu de remplacement.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Des cotisations sont perçues lorsqu'une oeuvre est produite par un être humain, mais pas quand elle l'est par l'IA. Comme les artistes morts, les machines doivent financer la création vivante.
Cet amendement est fondé. Toutefois, la commission y a émis un avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Les ayants droit demandent plutôt qu'on leur verse leurs droits d'auteur ! (M. Francis Szpiner renchérit.) J'ai lancé des négociations entre les fournisseurs d'IA et les ayants droit. Si celles-ci ne progressent pas assez vite, j'ai proposé que nous passions par la loi. Avis défavorable.
Mme Laure Darcos. - Merci à Monique de Marco d'avoir cité notre proposition de loi. Une fois que les opérateurs d'IA ont moissonné les données, il n'y en a plus trace. Voilà pourquoi nous voulons inverser la charge de la preuve.
Cela dit, il faut faire attention à nos champions nationaux tels que Mistral. Les Gafam ne paieront pas, et nos champions, eux, n'utiliseront plus les contenus européens, pourtant sûrement de meilleure qualité, et seront désespérés de ces taxes supplémentaires.
L'amendement n°5 rectifié bis est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Je persiste, toujours, avec Victor Hugo. Cet amendement, corollaire de l'amendement n°4 rectifié, instaure une contribution des ayants droit, héritiers des artistes morts. En 1878, l'auteur des Misérables justifiait déjà ce principe, expliquant que l'héritier ne fait ni le livre ni son succès. Il n'y a que deux intéressés véritables : l'écrivain et la société. L'intérêt de l'héritier doit être respecté, mais il passe après celui de la société.
Aussi, nous proposons que les héritiers contribuent au financement du revenu de remplacement.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Voici une piste intéressante : difficile de dire que cela nuit à la production artistique, puisque l'amendement porte sur les seuls héritiers.
La commission a émis un avis défavorable à cet amendement.
Mme Rachida Dati, ministre. - L'objectif est louable. Toutefois, avis défavorable, par cohérence.
L'amendement n°6 rectifié est adopté.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°131 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 322 |
| Pour l'adoption | 116 |
| Contre | 206 |
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Cet amendement renforce la place du dialogue social. Les calculs de la rapporteure ont conduit à une fourchette d'estimation des coûts entre 680 millions et 6 millions d'euros, selon plusieurs scénarios de financement et de seuils de déclenchement.
Plusieurs organisations professionnelles proposent un seuil à 600 heures. Une commission indépendante pourrait être mise en place, comme en Belgique.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Cet amendement prend en compte les remarques de l'Unédic. Les critères d'éligibilité au revenu de remplacement doivent faire l'objet d'un dialogue social. Les montants varient selon le seuil d'heures retenu. Mais les surcoûts sont largement compensés par les compléments de ressources que nous avons proposés.
La commission a émis un avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - La mission d'inspection que j'ai annoncée pourra formuler des propositions plus équilibrées. Avis défavorable.
L'amendement n°7 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°8 rectifié bis de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Le revenu de remplacement ne se substituera pas aux droits d'auteur ou à la rémunération versée par les diffuseurs. Il ne serait versé que dans la période où l'artiste ne touche pas de revenus, mais n'est pas inactif pour autant puisqu'il se consacre à la recherche artistique. Le revenu de remplacement le sécuriserait.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - La commission n'a pas eu le temps d'examiner cet amendement, d'abord déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. Il est bienvenu, puisqu'il s'inscrit dans une logique de responsabilisation des artistes-auteurs. Avis favorable, à titre personnel.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°8 rectifié bis est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°9 rectifié de Mme de Marco.
Mme Monique de Marco. - Cet amendement s'inspire des dispositions applicables aux intermittents du spectacle. Il faut renforcer la place des partenaires sociaux dans la gouvernance. Les accords spécifiques prévus seront pris au sein de l'Unédic par des représentants des artistes-auteurs et de leurs diffuseurs. Les accords s'articuleront avec les accords nationaux interprofessionnels (ANI) pilotant l'assurance chômage. Cet amendement prévoit les conditions de l'alignement de la trajectoire financière donnée aux représentants des artistes et de leurs diffuseurs sur la trajectoire financière imposée au niveau interprofessionnel, afin que les artistes-auteurs ne puissent servir de variable d'ajustement.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Cet amendement détaille la procédure de définition des règles spécifiques applicables aux artistes-auteurs. La commission a émis un avis défavorable à cet amendement, par cohérence. Toutefois, j'estime à titre personnel que cet amendement renforce le paritarisme. Je le voterai, donc.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°9 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°10 rectifié de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Les diffuseurs d'artistes-auteurs bénéficient de charges allégées : c'est une niche sociale. Évitons les effets d'aubaine pour les personnes en situation de subordination salariale, comme les livreurs.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Avis défavorable de la commission. À titre personnel, je voterai cet amendement de bon sens qui ne modifie pas les relations contractuelles entre les artistes-auteurs et les diffuseurs.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°10 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Si l'article 2 n'était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l'article 3, qui n'aurait plus d'objet. Il n'y aurait alors plus de texte. Venons-en donc dès à présent aux explications de vote sur l'ensemble.
M. Guillaume Gontard. - Hélas, la suite est connue... J'en suis désolé, car tout le monde s'accorde sur le besoin de protection supplémentaire que l'on doit aux artistes-auteurs.
La proposition de loi de Monique de Marco, qui répond à cet objectif, a fait l'objet d'une ferveur populaire : voyez la mobilisation devant le théâtre de l'Odéon.
Je déplore les votes et le spectacle donné ici : la plupart des travées sont vides. Dommage d'avoir recours aux scrutins publics... Nous aurions aimé débattre. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
M. Patrick Kanner. - Rappel au règlement sur le fondement de l'article 32 du règlement du Sénat.
Une expression populaire évoque le violon : oui, nous allons pisser dans un violon.
M. Francis Szpiner. - Il y a de l'art partout !
M. Patrick Kanner. - La droite sénatoriale, absente, utilise les scrutins publics pour empêcher la gauche de mener à bien les débats. Ce procédé va annihiler la position majoritaire aujourd'hui. Au moins pourriez-vous justifier votre position...
M. Francis Szpiner. - Je peux le faire.
M. Patrick Kanner. - Mme la ministre s'est exprimée lors de la discussion générale, mais elle s'est ensuite contentée d'un mot : « défavorable ».
La belle initiative de Mme de Marco se termine en mascarade : ce n'est pas à l'honneur de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Acte en est donné.
Mme Sonia de La Provôté. - Connaissant la suite des événements, je voulais remercier Mme de Marco d'avoir rendu possible cet échange. Ce sujet est essentiel pour notre démocratie et le fonctionnement de notre pays. Il y va de la diversité de la création.
J'ai cosigné cette proposition de loi, même si elle n'est pas exempte de défauts, car je suis solidaire de la démarche : le sujet doit avancer. Une mission d'inspection est lancée. Il faut accélérer pour trouver des solutions. La culture doit être au premier plan. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Laure Darcos. - Vous reconnaîtrez qu'il est un peu paradoxal que ce texte ait été examiné par la commission des affaires sociales, qui ne connaît pas grand-chose au monde de la culture... (Protestations sur les travées du GEST et du groupe SER) Pardonnez-moi ! Mais reconnaissons que le sujet est très technique.
Les membres de la commission de la culture n'ont même pas été invités à assister aux auditions, alors qu'ils se sont battus sur ce sujet. Mme la ministre a fait des annonces, nous veillerons à ce qu'elles soient suivies d'effets.
Toutefois, au regard de la situation budgétaire actuelle, nous voterons contre cette proposition de loi.
Par ailleurs, il est totalement contre-productif de recevoir autant de courriels, qui sont autant de pressions exercées par des personnes que je ne connais pas : 300 courriels, je n'ai jamais vu autant d'artistes-auteurs en Essonne !
M. Francis Szpiner. - (Exclamations à gauche) Monsieur Kanner, ...
M. Michel Canévet. - La parole est à la défense !
M. Daniel Salmon. - La droite est là !
M. Francis Szpiner. - ... vous vouliez connaître l'avis de la droite sénatoriale. Il suffisait d'assister aux débats de la commission, qui ont été riches. (Protestations sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Gruny a très bien exprimé notre point de vue. Ce sujet est complexe, avec des éléments très techniques. Or son traitement n'est pas satisfaisant : qui sera éligible, pendant combien de temps ? Nul ne le sait. Des héritiers touchent des droits d'auteur, paient aussi des impôts, et iraient payer deux fois. L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Vous avez accaparé Victor Hugo et l'avez mis à toutes les sauces ; mais vous ne lui devez pas de droits d'auteur, rassurez-vous : il est mort !
L'IA n'a rien inventé, le plagiat existe depuis longtemps. La Fontaine ne s'est pas vu réclamer des droits d'auteur par les héritiers d'Ésope.
Ce sujet complexe mérite un débat approfondi. Ce texte est flou et, sur beaucoup de sujets, complètement à côté de la plaque. (M. Pierre Cuypers applaudit.)
Mme Jocelyne Guidez. - J'ai déposé deux propositions de loi, sur les aidants familiaux et les troubles du neurodéveloppement ; lors de leur examen dans l'hémicycle, chers collègues de gauche, vous n'étiez pas bien nombreux non plus... Cessons donc de nous jeter la pierre.
Oui, madame de Marco, il faudra avancer. Mais votre texte est trop flou. Nous ne savons pas combien coûteront ces mesures.
Mme Monique de Marco. - Je vais changer d'auteur... Anatole France, prix Nobel de la littérature, était commis à la bibliothèque du Sénat pour financer son travail... (M. Michel Canévet le confirme.)
Monsieur Szpiner, mon texte concerne les artistes-auteurs pour lesquels la création est l'activité principale.
La commission de la culture n'a pas été saisie de ce sujet. Vos collègues du groupe Les Républicains, notamment vos deux collègues cosignataires de cette proposition de loi, n'ont pas pu s'exprimer.
Madame la ministre, nous sommes en retard. Des recommandations européennes sur la situation sociale des artistes-auteurs demandent à ce que l'on réfléchisse à la mise en place d'un revenu de remplacement. La Belgique et l'Irlande ont instauré une continuité de revenu. Et la France, exception culturelle, pays des Lumières, serait en retard ?
Pourrons-nous travailler ensemble sur ce sujet ? Si vous avez reçu plus de 300 mails, madame Darcos, c'est qu'il y a une attente ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Raymonde Poncet Monge. - J'appartiens à la commission des affaires sociales. Le débat aurait dû s'y tenir, or les discussions ont été réduites. Ce n'était pas la bonne commission.
Madame Guidez, nous étions présentes lors de l'examen de vos textes. Je n'ai jamais vu la gauche demander un scrutin public en raison du manque de sénateurs présents.
Lors de l'examen de la mission d'outre-tombe... (On s'en amuse sur plusieurs travées.) Outre-mer, je veux dire ! Moi aussi, j'ai des références culturelles. (Sourires)
M. Francis Szpiner. - Chateaubriand, sors de ce corps !
Mme Raymonde Poncet Monge. - Lors de l'examen de cette mission, donc, vous avez usé et abusé des scrutins publics. Combien cela est dévalorisant ! En général, nous sommes présents lors de l'examen de vos textes et nous débattons. Nous participons à la démocratie parlementaire. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Rachida Dati, ministre. - Je suis sensible à vos arguments, madame de Marco. Le ministère travaille sur ce sujet ; il est important, M. Kanner a raison. La démocratisation de la culture passe aussi par la démocratisation de l'accès aux métiers de la culture, surtout à une époque où les atteintes à la création se multiplient. Notre responsabilité est de soutenir les artistes-auteurs pour qu'ils puissent créer dans de bonnes conditions.
C'est tout l'intérêt de la mission interinspections, qui fera des propositions et reprendra certains de vos travaux, madame la sénatrice. En outre, l'article 5 du PLFSS réforme la sécurité sociale des artistes-auteurs. Avançons ensemble.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°132 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 324 |
| Pour l'adoption | 118 |
| Contre | 206 |
L'article 2 n'est pas adopté.
L'article 3 n'est pas adopté.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Martin Lévrier. - Lors du scrutin public n°131 sur l'article 1er, MM. Frédéric Buval et Mikaele Kulimoetoke souhaitaient voter pour.
Acte en est donné.
La séance est suspendue quelques instants.
Exposition aux pesticides de synthèse
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mieux concerter, informer et protéger les riverains de parcelles agricoles exposés aux pesticides de synthèse, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.
Discussion générale
M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.) Depuis plusieurs années, notre modèle agricole est en crise, en raison de la concurrence déloyale du libre-échange. Le traité avec le Mercosur en est le dernier avatar. Effondrement des prix, chute des revenus des exploitants, endettement insurmontable des exploitations...
À cela s'ajoute une crise écologique produite par le réchauffement climatique : les sécheresses s'accumulent, les catastrophes naturelles, le gel tardif, la grêle, les épizooties ; une crise écologique renforcée par le modèle agricole intensif qui appauvrit les sols. Sans parler de l'effondrement de la biodiversité et des pollinisateurs.
Tous, nous avons le coeur noué devant la souffrance et la colère des éleveurs face à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), lors des abattages de troupeaux, certes nécessaires, mais peut-être un peu trop systématiques. Nous leur apportons notre soutien et invitons le Gouvernement au dialogue : il faut généraliser les vaccinations et indemniser convenablement les pertes.
La crise de l'hiver 2024 témoigne de la souffrance d'une profession où le taux de suicide est de 46 % supérieur à la moyenne.
Des réponses différentes peuvent être apportées.
La majorité sénatoriale a choisi la verticalité avec une loi de programmation agricole et la loi Duplomb, véritable tract politique, fuite en avant dans un modèle qui ne fonctionne plus, récoltant l'opposition de 2 millions de Français. Ces deux lois n'apportent aucune réponse à la crise économique et écologique de l'agriculture. Pis, elles ont renforcé l'incompréhension entre les citoyens et les agriculteurs.
La crise agricole est une crise de sens, une crise globale, une crise de modèle. Le système actuel est à l'origine de 20 % des gaz à effet de serre. Et ses conséquences sur l'environnement sont majeures : disparition du quart des oiseaux et de 25 à 80 % de la population d'insectes, dégradation de la qualité de l'eau - 17 millions de Français exposés à de l'eau non conforme -, développement des cancers et leucémies. Le dire, ce n'est pas s'opposer aux agriculteurs, mais admettre la réalité pour la faire évoluer.
Les études menées ne laissent plus de place au doute. PestiRiv a relevé que 56 substances différentes sont présentes dans les urines et cheveux des riverains des zones viticoles.
Il faut donc abandonner progressivement les pesticides.
La plupart des agriculteurs sont conscients des dangers et essaient de réduire l'usage des intrants. Ils attendent beaucoup de la recherche, en particulier de l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement).
Pour éviter les frictions avec le voisinage, cette proposition de loi propose de repartir de la base, de faire de la concertation en mettant tout le monde autour de la table. Nous n'avons pas choisi de faire une loi nationale, mais nous parions sur l'intelligence collective. Chacun doit faire un pas vers l'autre pour aboutir au compromis.
Nous pensons pouvoir nous appuyer sur les élus locaux, comme ces soixante édiles qui ont voulu réguler l'usage des pesticides sur leur territoire en 2019. Les maires sont capables d'identifier les zones les plus vulnérables, et savent proposer des espaces de concertation.
Comment protéger nos écoles, alors que 1,7 million d'élèves sont soumis à des expositions aux pesticides, comme le révèle Le Monde de ce jour ? Le maire de Villenave-d'Ornon a par exemple organisé des rencontres entre la population et les propriétaires viticoles, pour rassurer et trouver des solutions. C'est exactement la méthode que nous proposons.
Je pense à la charte de bon voisinage de 2019 entre professionnels de la noix de Grenoble et les riverains. Ce fut une réussite, mais elle a été remplacée en 2021 par la Charte départementale d'engagement (CDE), moins-disante et peu ou pas appliquée. Ces chartes bancales juridiquement et source de contentieux ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Le Conseil d'État estime qu'elles n'assurent pas une protection suffisante - un comble !
Nous proposons que les maires puissent engager la concertation à l'échelle de la commune pour ensuite apporter leurs propositions au conseil départemental. C'est une proposition défendue par de nombreux élus. Il s'agit d'une possibilité, non d'une obligation. Les maires agiront comme des facilitateurs.
Nous avons intégré les préconisations du Conseil constitutionnel. Ces chartes devront aussi s'articuler avec les projets alimentaires territoriaux (PAT) et les schémas de cohérence territoriaux (Scot), entre autres. Pour plus d'efficacité, nous proposons aussi la création d'un comité de suivi sous l'autorité du préfet.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit une exigence renforcée d'information et de transparence. Nos agriculteurs n'ont rien à cacher. Ces chartes devront donc inclure, comme la charte de bon voisinage de la région de Grenoble, des mécanismes d'information des riverains au moment des périodes d'épandage.
C'est ainsi que nous apaiserons les relations de voisinage et contribuerons à combattre les idées reçues. Comme le disait Arnaud Rivière, la charte a remis les idées en place. Quand un agriculteur sort son atomiseur, ce n'est pas forcément pour déverser des produits chimiques.
Nos concitoyens comprennent les défis du monde agricole. Leurs demandes ne sont pas déraisonnables : ils veulent savoir ce qui est pulvérisé sur leur lieu de vie, quand, et avec quel impact sur leur santé. Tel est l'objet de l'article 2, qui instaure le registre national des épandages demandé par l'Anses. Il s'agit de garantir le droit d'accès à l'information sur une temporalité suffisamment longue pour les besoins de la recherche.
Il faut accompagner les agriculteurs et les agricultrices dans une indispensable transition, et pacifier nos campagnes. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Jean-Claude Tissot et Éric Jeansannetas applaudissent également.)
M. Pierre Cuypers, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Mme Dominique Estrosi Sassone applaudit.) Ce texte contient deux articles relatifs à l'information et à la concertation en matière de produits phytosanitaires.
L'article 1er donne un encadrement législatif aux CDE, créées par l'article 83 de la loi Égalim. La rédaction initiale de cette disposition a été censurée largement par une décision du Conseil constitutionnel du 19 mars 2021. Désormais, seule perdure la mention de la charte.
Un contentieux nourri a porté sur le contenu réglementaire des chartes. Toutefois, presque tous les départements en sont dotés. Leur contenu varie selon les enjeux locaux, mais l'articulation est globalement similaire.
Les CDE rappellent et explicitent la réglementation - souvent complexe - relative à l'utilisation des produits phytosanitaires. Elles instaurent un comité de suivi et présentent les conditions d'information des résidents, notamment concernant les périodes de traitement. Elles rappellent enfin les conditions réglementaires de réduction possible des distances par rapport aux lieux d'épandage.
Ce n'est pas un outil magique, mais elles permettent de se parler et de mieux se comprendre. Les maires sont naturellement associés à ces initiatives, notamment aux comités de suivi. Pour les agriculteurs, ces chartes sont le moyen de mieux faire connaître la réalité de leur travail et de leurs contraintes, et de faire un travail de pédagogie.
De plus, les chartes permettent de réduire parfois des distances de sécurité, notamment quand un exploitant est équipé de buses antidérive particulièrement performantes.
Si les contentieux relatifs à l'encadrement administratif des chartes ont été purgés, il n'en va pas de même pour les contentieux sur les chartes elles-mêmes. Une décision du Conseil d'État est attendue en 2026 sur la soixantaine de contentieux en cours, portant surtout sur l'information préalable des résidents.
Une clarification du droit est donc à venir, ce qui invite à ne pas adopter le présent texte.
L'article 1er pose problème, car les chartes sont déjà en place dans presque tous les départements de France. Un encadrement réglementaire semble suffire. Pourquoi rigidifier le système et le complexifier en passant par la loi ?
Je vous invite à ne pas retenir le dispositif proposé, pour trois raisons. D'abord, certaines dispositions du texte semblent superfétatoires, comme la procédure de participation du public.
Ensuite, le dispositif est trop complexe. Le texte prévoit que chaque commune concernée puisse recommander par délibération des zones de protection renforcée. Potentiellement, des dizaines, voire des centaines de communes pourraient adopter des orientations très diverses dans un même département, rendant l'application de la charte quasi impossible. Et que dire du travail des agriculteurs qui y seraient soumis ? Le rapport de compatibilité est trop complexe. On peine à identifier la logique d'ensemble.
Enfin, la charte ne viserait pas tant à améliorer le dialogue entre les agriculteurs et les riverains qu'à instaurer des contraintes supplémentaires à l'exercice du métier d'agriculteur. Elle ne pourrait contenir que des mesures de protection renforcée, donc un élargissement des mesures de non-traitement.
L'article 2 vise à créer un registre national d'utilisation des produits phytosanitaires, géré par l'Anses, communicable à toute personne qui en ferait la demande. Attention à l'image de notre agriculture que cet article véhicule en creux. L'agriculture est l'une des activités les plus contrôlées : contrôle sanitaire et phytosanitaire, PAC...
Notre agriculture autorise des produits doublement autorisés : le produit, par l'Anses, et les substances actives qui le composent, par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), Efsa en anglais. L'étude PestiRiv, longue et coûteuse, n'a conduit à aucune modification des autorisations. Preuve de l'efficacité de nos normes !
La réglementation européenne impose aux agriculteurs de conserver au moins trois ans les registres d'utilisation de produits phytosanitaires. La France, diligente, a prévu cinq ans. Et nos agriculteurs s'y tiennent ! (M. Vincent Louault renchérit.) Les registres devront être numériques en 2027, conformément à la réglementation européenne.
Le règlement européen amplifiera les obligations de transmission à la Commission européenne des données d'utilisation des produits phytosanitaires par les États membres. N'anticipons donc pas la réglementation européenne. Contentons-nous de nous y conformer.
Depuis la loi sur l'eau de 2006, il existe une banque nationale des ventes des distributeurs (BNVD) centralisant de nombreuses données à l'échelle de la commune, voire à une échelle plus fine, aux fins de recherche. Le suivi de l'évolution des ventes est réalisé annuellement dans le cadre du plan Écophyto.
L'article 2, superfétatoire, véhicule une image dévalorisante pour notre agriculture.
Je vous invite à ne pas adopter ce texte, pour partie déjà satisfait et pour partie susceptible d'accroître les contraintes pesant sur nos agriculteurs, alors que nous n'avons pas ménagé notre peine ces dernières années pour tenter de les alléger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique . - Je vous prie d'excuser la ministre de l'agriculture, retenue au ministère en raison de la crise agricole.
La réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires est un objectif largement partagé dans cet hémicycle. La question touche à plusieurs domaines et suscite des attentes fortes et légitimes dans notre société. Elle sous-tend l'engagement du Gouvernement pour soutenir les agriculteurs dans une nécessaire transition. Le plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (Parsada) en est l'une des manifestations.
Cet objectif partagé doit être poursuivi avec méthode. Il doit prendre en compte une autre réalité tout aussi légitime, celle de nos agriculteurs. Je leur redis tout notre soutien et toute notre admiration. C'est à l'aune de cet équilibre que le Gouvernement aborde ce texte.
Les CDE ont été pensées comme un outil de dialogue et de concertation à l'échelle des territoires. Elles visent une meilleure compréhension entre utilisateurs de produits phytosanitaires, riverains et élus locaux. Ce dispositif est largement déployé dans les territoires ruraux. Il repose sur un cadre juridique en voie de stabilisation. Les chartes constituent un espace de discussion qui a contribué à apaiser plusieurs situations locales.
Le Gouvernement est attaché à ce cadre souple qui laisse la place à l'intelligence collective. Inscrire un contenu détaillé et uniformisé dans la loi rigidifierait le dispositif, qui repose sur la confiance en la capacité des acteurs locaux à trouver des solutions adaptées.
Complexifier ainsi les choses au moment où les acteurs de terrain aspirent à la lisibilité et à la stabilité ne semble pas pertinent.
La concertation ne se décrète pas, elle se construit dans le temps.
La protection des riverains est déjà assurée par un ensemble de dispositions robustes, qu'il s'agisse des produits phytosanitaires eux-mêmes - qui font l'objet d'évaluations scientifiques approfondies avant leur autorisation - ou des distances de sécurité. Notre cadre protecteur est l'un des plus exigeants d'Europe. Le Gouvernement ne souhaite donc pas ajouter de nouvelles contraintes, au risque d'éloigner notre droit de celui de nos partenaires européens, sans bénéfice clairement établi.
Pour autant, tout n'est pas figé et des aménagements, proportionnés, peuvent être envisagés. Mais ces évolutions relèvent plus du domaine réglementaire et doivent s'inscrire dans une logique d'amélioration continue, non de remise à plat législative.
S'agissant des registres, la transparence est une exigence légitime, mais partons de l'existant. (M. Vincent Louault renchérit.) Les agriculteurs sont déjà soumis à des obligations de traçabilité précises et leurs registres sont contrôlés. Ce dispositif évolue, notamment sous l'impulsion du droit européen qui harmonise les formats et renforce les exigences de transmission des données. Le passage au numérique constituera une évolution importante pour de nombreuses exploitations.
Un registre national centralisé assorti d'une communicabilité systématique soulève plus d'interrogations qu'il n'apporte de solutions. La transparence doit être maîtrisée et servir la connaissance et la confiance. N'alimentons pas la défiance.
Le texte poursuit une intention que le Gouvernement partage, mais ses modalités risquent de fragiliser, d'alourdir et de rigidifier des dispositifs efficaces. Protéger, informer, concerter : évidemment, mais sans surenchère normative, et sans perdre de vue la réalité de ceux qui nous nourrissent et qui font la fierté de la France.
Plusieurs recours ont été portés devant les tribunaux administratifs, avec une décision du Conseil d'État attendue pour le printemps 2026. Bien entendu, le Gouvernement s'y conformera.
Avis défavorable à cette proposition de loi.
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.) Les deux textes sur l'agriculture examinés en 2025 n'ont pas amené de sérénité dans le débat - c'est peu de le dire. Résultat : nos concitoyens demandent davantage de transparence dans l'usage des pesticides de synthèse et nombre d'agriculteurs ont le sentiment d'être incompris.
Le texte s'inscrit dans une démarche d'apaisement. Nous souhaitons avancer vers des politiques publiques qui laissent la place au dialogue entre riverains, agriculteurs et élus, pour trouver des solutions ensemble.
Nous nous appuyons sur les CDE. Leur objectif est louable, mais elles sont inconstitutionnelles, fonctionnent mal, ne prévoient aucun mécanisme de suivi ni de contrôle - contrairement à ce que dit le rapporteur - et ont été élaborées sans guère de concertation.
L'article premier prévoit donc de les renforcer et de les adapter, via un processus d'élaboration renouvelé. Il serait superfétatoire ? Nullement ! La procédure de participation du public est obligatoire en vertu de l'article 7 de la Charte de l'environnement. D'où la nécessité constitutionnelle de changer la loi.
Ce que nous proposons ne relève pas du pouvoir de police du maire. Les communes doivent pouvoir recommander des zones de protection renforcée, sous l'autorité du préfet.
Le rapporteur estime que l'article 2 est lui aussi inutile, car satisfait par la BNVD, avec un suivi dans le cadre du plan Écophyto - dont je rappelle qu'il vient d'être réduit à néant par un vote du Sénat ! Ce n'est pas aux industriels de faire le suivi, mais bien à l'État. Et surtout, seules les données d'épandage sont vraiment exploitables. Le suivi écophyto n'a rien à voir avec la recherche scientifique.
Vous nous invitez à ne pas anticiper la réglementation européenne, mais le règlement 2023/564 de la Commission oblige les utilisateurs de produits phytosanitaires à transmettre les registres, uniquement sur la demande des autorités. Nous, nous proposons une transmission systématique, pour que les chercheurs disposent de données précises et établir ou non les liens entre ces épandages et certaines maladies, car l'absence de données entretient le flou et alimente la suspicion. L'obligation de subir nous donne le droit de savoir, disait Jean Rostand. Nos concitoyens sont conscients des contraintes des agriculteurs, mais ils veulent savoir ce qui est épandu près de chez eux. Serait-ce trop demander ?
Face à l'inertie de l'État, ce texte est une première étape bienvenue. Je suis sûr que vous y adhérerez en masse ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également ; M. Vincent Louault ironise.)
M. Henri Cabanel . - Santé publique et biodiversité : je comprends le sens de cette proposition de loi. Mais nous légiférons trop, trop vite, trop en silo. (M. Vincent Louault renchérit.)
Avec ce texte, nous infantilisons les agriculteurs, qui sont les premières victimes, car ils sont directement exposés.
Je ne cautionne pas la méthode : pourquoi une loi de plus, alors qu'il existe déjà toute une batterie de dispositifs pour protéger les riverains ? Plan Écophyto 2030, module de la loi d'orientation agricole (LOA), CDE... Certes, il reste des trous dans la raquette. Mais plutôt qu'une loi de plus, des contraintes en plus, de la bureaucratie en plus, pourquoi ne pas ajouter ce maillon manquant dans les chartes ?
Autre redondance : les registres. Conformément à la réglementation européenne, chaque agriculteur est tenu de tenir un registre d'utilisation de ses produits phytopharmaceutiques. La réglementation nationale prévoit une durée de conservation de cinq ans. Faisons confiance à nos agriculteurs !
Traiter un samedi ou un dimanche n'est pas respectable. Mais, pour quelques imprudents, nous légiférerions ? Tous les produits utilisés en France ont reçu l'agrément de l'Anses. Arrêtons la surenchère ! Les distances réglementaires de sécurité entre zones traitées et bâtiments habités ont été instaurées par l'arrêté du 27 décembre 2019.
Ce ne sont pas les agriculteurs qui sont allés vers les habitations, c'est l'inverse. Face à l'afflux démographique, les maires ont viabilisé les parcelles agricoles - le début des problèmes. C'est aux agriculteurs maintenant qu'il revient de gérer une situation qu'ils n'ont pas choisie.
Je suis convaincu que le dialogue et la coconstruction locale seront plus adaptés qu'un texte venu d'en haut, sans concertation.
Le RDSE, dans sa très grande majorité, votera contre ce texte.
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Vincent Louault et Mme Anne Chain-Larché applaudissent également.) Cette proposition de loi défend un objectif noble et légitime : protéger la santé des riverains des parcelles agricoles.
Mais le mieux est l'ennemi du bien ! À trop vouloir la perfection, on s'éloigne de l'objectif. Trop de normes, de détails, de rigidités finissent par décourager ceux qui doivent les appliquent.
Les CDE ne sont pas parfaites, certes, mais elles ont le mérite d'exister et d'offrir un cadre de dialogue dans plus de 88 départements. Elles permettent l'émergence de compromis adaptés aux réalités locales. Les faire évoluer est peut-être une louable intention, mais regardons plutôt les effets concrets des dispositions que nous votons. (M. Vincent Louault renchérit.) En effet, nous risquerions d'aboutir à une forme de paralysie, en figeant des règles uniformes, inadaptées aux réalités locales et en décourageant les acteurs de terrain.
Gardons-nous de la tentation de préciser le moindre détail dans la loi et évitons toute surtransposition. Nos agriculteurs, déjà soumis à la pression réglementaire, aux exigences environnementales et à la concurrence internationale n'ont pas besoin de ça ! La commission a donc rejeté cette proposition de loi.
Légiférons moins et mieux, faisons confiance aux acteurs de terrain, les chambres d'agriculture, notamment. Laissons ces chartes vivre et évoluer, plutôt que de prendre le risque de s'en priver, d'autant que des décisions de justice sont attendues. Pourquoi se précipiter quand l'autorité judiciaire s'apprête à nous apporter des réponses claires ?
Et quid de la centralisation des données, alors que la loi française est déjà plus stricte que la réglementation européenne ? Créer un énième registre, c'est céder à la facilité administrative.
Le vrai débat est ailleurs : permettre aux agriculteurs de produire durablement en France. Pour cela, il faut investir dans la recherche pour trouver des alternatives crédibles aux produits phytosanitaires et aider nos agriculteurs à rester compétitifs.
Le groupe Union centriste ne votera pas cette proposition de loi (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et au banc des commissions)
M. Vincent Louault . - (MM. Daniel Canévet et Thierry Cozic applaudissent.) Que d'émotions ! Alors que les agriculteurs sont dehors, le GEST s'occupe d'eux. À vous tous seuls, vous êtes la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Le Mercosur est le poison, vous êtes le virus ! (Protestations sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot proteste également.)
M. Daniel Salmon. - Merci !
Une voix sur les travées du GEST. - C'est fin...
M. Vincent Louault. - Vous exacerbez les tensions avec les normes que vous créez ! (Exclamations sur les travées du GEST) Alors que nous avons déjà parlé des dizaines de fois des difficultés de la ferme France, jamais vous n'arrêtez ! Durant toute la LOA, vous n'avez voté aucun amendement constructif avec nous ! (Marques d'ironie sur les travées du GEST)
Vous voulez dévitaliser notre agriculture et la mettre sous cloche : vous y arrivez parfaitement, petit à petit ! Nous, les agriculteurs, nous nous en rendons compte. Cessez les stigmatisations, la désinformation, les fake news, dont vous êtes les spécialistes.
M. Daniel Salmon. - La science !
M. Vincent Louault. - Les agriculteurs en ont ras le bol : ils veulent exercer tranquillement leur métier.
Vous en rajoutez une petite couche, tout en prétendant que c'est un texte d'apaisement... Mais on ne crée pas le dialogue avec de l'encadrement rigide et de la suspicion. Vous voulez rigidifier les procédures. Nous, nous défendons la simplification, pour tout le monde. Vous avez attaqué toutes les chartes. Vous donnez le pouvoir aux conseils municipaux de prévoir des exceptions. (Protestations sur les travées du GEST)
M. Thomas Dossus. - Bienvenue au Sénat !
M. Vincent Louault. - Vous augmentez le climat de défiance, à l'heure où les agriculteurs font tant d'efforts : tous les ans, nous subissons des dizaines de contrôles, que la ministre s'est engagée à réduire à un seul. Les produits cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) ont été réduits de 97 % en dix ans.
M. Daniel Salmon. - C'est faux !
M. Vincent Louault. - Mais cela ne vous suffit jamais !
Vous voulez anticiper la réglementation européenne, qui n'est jamais en retard pour alourdir le poids des normes en agriculture. Nous sommes la seule profession contrôlée tous les trois jours par satellite.
Vous préférez la surtransposition à la compétitivité et à la survie de nos exploitations. Ce texte, c'est davantage de complexité, comme d'habitude.
Notre groupe ne le votera pas. Nous espérons que nos deux amendements seront adoptés.
Mme Anne Chain-Larché . - (Applaudissements au banc des commissions) Cette proposition de loi est déroutante. Pas étonnant, vu ses auteurs.
Depuis deux ans, les agriculteurs tirent la sonnette d'alarme : ils interrompent leurs récoltes, s'éloignent de leurs troupeaux et se rassemblent pour réclamer que la France arrête de marcher sur la tête. Depuis l'hiver 2023, ils nous demandent de simplifier leur quotidien, de lever les entraves à la production et d'en finir avec les contraintes qui tuent à petit feu notre puissance agricole. (M. Daniel Salmon s'exclame.)
L'an dernier, le Sénat a voté plusieurs textes de soutien aux agriculteurs : LOA, loi sur la reconquête de la haie, loi sur la démocratie agricole, loi sur l'utilisation des drones en agriculture et, enfin, loi Duplomb-Menonville, très attendue. Monsieur le ministre, les dispositions votées au Parlement doivent être pleinement appliquées par les préfets.
C'est dans ce contexte que le GEST soumet au Sénat une proposition de loi pour plus de contraintes et de suspicion. Mais sans jamais apporter de solutions aux agriculteurs.
L'article 1er complexifie un outil plutôt efficace, les CDE. Il prévoit aussi une information téléphonique des riverains. L'article 2 permet à quiconque de consulter les registres, sur simple demande. Cette proposition de loi n'est qu'une incitation pour toutes les associations d'agribashing à épier et à invectiver nos agriculteurs sur les réseaux sociaux.
L'utilisation des produits phytopharmaceutiques est parfaitement encadrée et contrôlée. Les agriculteurs font beaucoup d'efforts, au prix d'une concurrence déloyale. Les CDE sont un outil original de la démocratie locale, qu'il convient de préserver. La proposition de loi prévoit aussi la participation du public, alors que la consultation est déjà prévue par le droit en vigueur.
Pourquoi contraindre nos agriculteurs avec des propositions qui ne s'appuient sur aucune étude ni retour de terrain ? Où sont vos propositions pour sauver les filières betterave et noisette ?
M. Vincent Louault. - Ils n'en ont pas !
Mme Anne Chain-Larché. - Votre seul geste en faveur de l'agriculture, est-ce ce catalogue de nouvelles normes, alors que 2025 sera catastrophique pour les exportations agricoles ?
Un autre chemin est possible pour la ferme France : un chemin de liberté, de confiance, de respect et d'encouragement. Le groupe Les Républicains s'opposera à cette proposition de loi au goût amer. (Applaudissements au banc des commissions ; M. Vincent Louault applaudit également.)
Mme Solanges Nadille . - Après la LOA, la loi Duplomb et plusieurs textes sur les haies, les vignes non cultivées, les drones, nous débattons d'un texte dont nous partageons tous l'intention : mieux informer, concerter et protéger.
Mais, en l'état, ce texte risque de faire peser des contraintes supplémentaires sur les agriculteurs. Alors que les CDE couvrent déjà la quasi-totalité du territoire, grâce au travail des chambres d'agriculture, la participation obligatoire du public est déjà satisfaite par le droit existant. Nous risquons de voir apparaître des règles différentes, voire contradictoires, dans les communes. Quant au registre national d'utilisation des produits phytosanitaires, les agriculteurs tiennent déjà des registres.
Or notre pays dispose déjà de l'un des systèmes de suivi les plus complets d'Europe. Ce texte, qui suggère que les pratiques sont opaques et les contrôles insuffisants, ne stigmatiserait-il pas les agriculteurs ? Les chiffres montrent pourtant une baisse nette de l'utilisation des produits les plus dangereux... Et les agriculteurs utilisent ces produits non par choix, mais par nécessité, faute d'alternative.
La situation dans les outre-mer est spécifique. Chlordécone, glyphosate, pesticides utilisés en Polynésie française malgré une interdiction européenne : les enjeux environnementaux, sanitaires et économiques sont majeurs pour nos populations, mais trop souvent invisibles depuis l'Hexagone.
Le RDPI se réserve une liberté de vote sur ce texte.
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) La question des pesticides est d'une brûlante actualité. Ces derniers mois ont été marqués par des initiatives pour prolonger l'autorisation ou réautoriser diverses substances : la désormais fameuse loi visant à lever les prétendues contraintes au métier d'agriculteur et son lobby en faveur de l'acétamipride, la loi réautorisant l'épandage aérien de pesticides, le paquet omnibus de la Commission européenne adopté cette semaine qui accorde des autorisations illimitées aux substances actives... Le législateur use et abuse de son pouvoir, pour satisfaire les ambitions de l'agrochimie.
Je me réjouis donc du texte déposé par le GEST. Visiblement, la régulation des pesticides de synthèse hérisse la majorité sénatoriale. Pourtant, nulle interdiction ici. Qui peut être contre la concertation, l'information ou la protection de nos concitoyens ?
La loi Égalim de 2018 était une première étape, avec la création des CDE, qui doivent être validées par le préfet, après consultation des riverains. Mais le dispositif présente encore des limites. En particulier, il est difficile de connaître le nombre précis de chartes réellement en vigueur et donc de les suivre, ce qui rend le système opaque. D'où notre amendement demandant un rapport au Gouvernement.
Plusieurs associations environnementales ont dénoncé certaines chartes illégales, car non concertées. Résultat : à la suite de 49 recours contentieux, plusieurs chartes ont été annulées.
Deux décisions récentes, l'une du Conseil constitutionnel, l'autre du Conseil d'État, ont mis en évidence les insuffisances de ces chartes. La présente proposition de loi est nécessaire pour améliorer l'existant.
L'article 1er prévoit un renforcement des chartes. La coconstruction est indispensable pour éviter les cas de consultations insuffisantes ou biaisées. La place des élus locaux est également renforcée. Je note un principe proche de celui de la non-régression environnementale : il serait impossible d'appliquer des normes moins protectrices que le droit en vigueur.
L'article 2 crée un registre national, conformément à la recommandation de l'étude PestiRiv de l'Anses et de Santé publique France. Leurs constats sur l'impact des pesticides sont éloquents...
Mon groupe votera résolument ce texte.
Monsieur le rapporteur, en commission, vous avez balayé le texte avec peu de nuances, alors que les 2 millions de signatures de la pétition contre la loi Duplomb appelaient à plus de mesure. Je peine à comprendre votre hermétisme et votre refus de satisfaire l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Gérard Lahellec . - (M. Michel Canévet et Mme Sylvie Vermeillet applaudissent.) La loi Duplomb a focalisé le débat sur l'utilisation de l'acétamipride et le Conseil constitutionnel n'a pas dû être totalement insensible aux 2 millions de signatures de la pétition citoyenne...
En ne parlant plus que l'acétamipride, et plus largement, des pesticides, on aggrave le clivage entre les agriculteurs et leur voisinage résidentiel et on s'éloigne de la question centrale : la souveraineté alimentaire.
Cette proposition de loi a le mérite de faire le pari de la transparence et de la concertation, pour retrouver la confiance de l'opinion. Nulle stigmatisation des agriculteurs, donc.
C'est en proximité des vignes que la situation est la plus délicate. Pourtant, c'est bien la filière vitivinicole, en crise, qui a fourni les plus gros efforts pour se conformer aux recommandations de Santé publique France et de l'Anses avec la réduction des pesticides et l'information des riverains. Les pesticides ne sont utilisés dans cette filière que lorsqu'ils sont strictement nécessaires. Les viticulteurs, leurs salariés et leurs voisins sont protégés. Le dialogue avec les riverains est constant. N'est-ce pas ce que prévoit la proposition de loi ?
Mais l'encouragement au retour à certains néonicotinoïdes suscite inquiétude et colère. Espérons que notre débat donne un nouveau souffle au conflit entre agriculture et riverains.
Alors que les décisions de justice ont étayé la précarité des procédures existantes ; l'article 1er entend combler l'insuffisance de concertation. Quant à l'article 2, il adapte le droit national aux exigences du droit communautaire.
Nous soutiendrons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme la présidente. - Amendement n°3 de M. Tissot et du groupe SER.
M. Jean-Claude Tissot. - Cet amendement part d'un constat : le manque criant de suivi global de la mise en oeuvre des CDE.
Même si la Haute Assemblée est hostile aux rapports, il serait utile que le Gouvernement dresse un état des lieux, analyse le contenu des chartes, les freins existants. Nous pourrions en tirer des pistes réglementaires d'amélioration. Il s'agit de respecter l'esprit de concertation de la loi de 2018.
M. Pierre Cuypers, rapporteur. - De façon très apaisée, vous demandez un rapport, et le Sénat préfère limiter leur nombre. Le ministère de l'agriculture a d'autres choses à faire en ce moment. Avis défavorable.
M. Yannick Jadot. - (Écartant les bras) Ce ne sont pas ses fonctionnaires qui vaccinent !
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - Même avis. Ce rapport produirait des effets dans un an, alors que l'avis du Conseil d'État interviendrait avant.
À la demande de la commission des affaires économiques, l'amendement n°3 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°133 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 340 |
| Pour l'adoption | 100 |
| Contre | 240 |
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié bis de M. Louault et alii.
M. Vincent Louault. - La surenchère législative n'est pas utile : supprimons cet article.
M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Avis favorable : ne rigidifions pas le système.
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - Même avis - mais ce n'est pas pour cela que je suis contre la concertation. (On ironise sur les travées du GEST.)
M. Yannick Jadot. - Eh bien si ! C'est binaire !
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - Nous risquerions de rigidifier et de générer du contentieux, sans parler de l'incompréhension, si les règles différaient d'un département à l'autre.
M. Yannick Jadot. - Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que les contentieux vont se multiplier avec l'explosion des cas de cancers à proximité des champs, avec les effets du chlordécone, lorsqu'un article du Monde d'aujourd'hui évoque 1,7 million d'enfants menacés, lorsqu'on voit les cancers pédiatriques exploser à Saint-Rogatien et à Sainte-Pazanne, lorsqu'on voit les agriculteurs se protéger lors des épandages dans des tracteurs hermétiques ? Il ne faut pas mettre la poussière sous le tapis. Lorsque l'Académie des sciences et l'Ordre des médecins contestent la loi Duplomb, cela devrait vous alerter !
Oui, nous allons au-devant de lourds contentieux, de tensions extraordinaires dans les campagnes. Cette proposition de loi associe les élus et les habitants pour les éviter. Vous construisez l'agribashing alors que nous essayons de le déminer ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
M. Guillaume Gontard. - Très sincèrement, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire que les CDE remplissent leur objectif. L'avis du Conseil d'État et la décision du Conseil constitutionnel les ont vidés de toute réalité juridique. Ces outils nous semblent intéressants, vous sembliez en convenir : rendons-leur une force législative. Le Conseil constitutionnel soulignait le manque de concertation : mettons-la en place. Je ne vois pas en quoi les agriculteurs devraient avoir peur, bien au contraire ! Mais on ne peut pas mettre la santé de côté.
Monsieur le rapporteur, pensez-vous que lorsque des drones tourneront autour des habitations, cela ne va pas générer des tensions ? (Applaudissements sur les travées du GEST.)
M. Daniel Salmon. - Je suis assez surpris du ton employé dans certaines interventions en discussion générale. On confine à une quasi-hystérie dès que l'on prononce le mot pesticide - c'est incroyable.
Tout irait bien dans le meilleur des mondes ? Le 10 décembre dernier, nous avons eu le résultat des études sur la qualité de l'eau : dans le bassin Loire-Bretagne, seules 23,7 % des eaux de surface étaient de bonne qualité en 2017, elles ne sont plus que 21,7 % en 2025. Et c'est encore pire pour les lacs et étangs, où elles sont passées de 85 à 45 % !
La pollution est partout ! Elle se diffuse et imprègne nos corps.
Mme Kristina Pluchet. - Oh là là ! (On ironise sur les travées du GEST.)
M. Daniel Salmon. - C'est la science qui parle. Nous voulons de la concertation, du dialogue, mais cela vous fait peur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Il y en a déjà.
M. Daniel Salmon. - Qui protégez-vous ? Pas les agriculteurs, car ils se conforment à la législation. Mais nous avons besoin d'études pour mieux comprendre l'effet des molécules.
Mme Kristina Pluchet. - Monsieur Jadot, ces agriculteurs sont en possession de Certiphytos ; ils sont donc tout à fait en capacité de les épandre dans les meilleures conditions possibles.
Depuis cinq ans que je suis élue, les seuls qui s'attaquent aux agriculteurs, c'est vous ! (Protestations sur les travées du GEST) Avec un sens de l'imagination incroyable, vous enquiquinez les agriculteurs et les collectivités territoriales. Vous êtes des « faiseux » de normes, comme on dit dans le Nord.
Mme Antoinette Guhl. - Il s'agit de notre santé !
Mme Kristina Pluchet. - Changez de cible ! Laissez tranquille l'agriculture française, la plus propre du monde et allez dans les ports vous attaquez aux produits importés grâce au Mercosur. J'aurais aimé vous voir auprès de nos agriculteurs à Bruxelles...
M. Yannick Jadot. - C'est la droite européenne qui défend le Mercosur !
Mme Kristina Pluchet. - Vous êtes la honte de cet hémicycle et le poison des agriculteurs ! (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - La grandiloquence de votre discours, monsieur Jadot, contraste avec la portée de cette proposition de loi.
Mme Antoinette Guhl. - Eh bien, votons-la, déjà !
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - Si j'étais taquin, je rappellerais que votre groupe n'a pas voté la loi Égalim...
M. Yannick Jadot. - Terriblement efficace pour le revenu des agriculteurs !
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - Par définition, ce qui n'est pas légal n'est pas autorisé, et les agriculteurs ne peuvent pas l'utiliser, sous peine de sanction. Certes, il faut améliorer le dialogue. Mais je ne crois pas que cette proposition de loi permettrait d'atteindre cet objectif. On rigidifierait les rapports entre les différents acteurs. (Protestations sur les travées du GEST)
M. Guillaume Gontard. - Rappel au règlement sur le fondement de l'article 94 : madame Pluchet, je ne comprends pas pourquoi vous êtes aussi énervée. Peut-être n'avez-vous pas d'argument ?
Mme Kristina Pluchet. - Je suis agricultrice ! Vous, vous êtes des amateurs !
M. Guillaume Gontard. - L'article 94 prévoit des sanctions contre les insultes. M. Louault nous a traités de virus. C'est inacceptable. Madame Pluchet, vous avez dit que nous étions la honte de cet hémicycle. Je ne vois pas ce qu'il y a de honteux à présenter ce texte, qui offre des solutions. Si, pour vous, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes... Moi aussi, j'habite un territoire agricole. Les agriculteurs sont dans la rue, non à cause des écologistes mais d'une épidémie (M. Pierre Cuypers et Mme Dominique Estrosi Sassone le contestent) due au réchauffement climatique. Vous voyez, ce n'est pas simple. Il faut parler posément de cette question. Je demande des sanctions contre ces injures.
Mme la présidente. - Acte en est donné. Vous pouvez écrire au président du Sénat si vous le souhaitez.
M. Ronan Dantec. - Cette semaine, la commission locale de l'eau n'a pas pu se réunir car certains agriculteurs ont bloqué le lieu de concertation. Les eaux du bassin Nord-Loire Atlantique se dégradent rapidement en raison de l'utilisation des pesticides. (M. Michel Canévet le nie.) Certains captages ne sont plus utilisables à cause des pesticides. Les élus de Loire Atlantique, qui ne votent pas pour moi, soutiennent qu'il faut protéger les périmètres de captage.
Madame Pluchet, je siège depuis plus longtemps que vous et j'ai observé la dégradation des conditions du débat. Il y a quinze ans, on n'entendait pas ce type d'invectives. Nous portons une proposition d'apaisement. Si l'on va vers la confrontation, comment cela finira-t-il ? Il faut de la transparence et du débat. Il faut un accord, mais vous n'en voulez pas. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Jean-Claude Tissot. - Cela me fait rire d'entendre certains collègues dire qu'ils détiennent la science sur ces sujets au motif qu'ils sont agriculteurs. J'ai été agriculteur pendant vingt-cinq ans. Je n'ai pas la prétention de donner des leçons à qui que ce soit dans ce domaine. Ici, nous faisons de la politique, pour améliorer la vie des gens. (Applaudissements sur les travées du GEST)
À la demande de la commission des affaires économiques, l'amendement n°1 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°134 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 338 |
| Pour l'adoption | 233 |
| Contre | 105 |
L'amendement n°1 rectifié bis est adopté, et l'article 1er est supprimé.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié bis de M. Louault et alii.
M. Vincent Louault. - Défendu.
M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Avis favorable. Je le dis calmement : il faut ouvrir les yeux sur la situation du monde agricole depuis des années. Il est en train d'être détruit, ruiné. Arrêtons de le montrer du doigt.
N'ajoutons pas des normes aux normes. Nous avons tant besoin des agriculteurs.
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - Même avis.
M. Daniel Salmon. - Une précision pour ceux qui auraient mal lu l'article... Celui-ci se contente de prévoir l'enregistrement des épandages de pesticides effectués près de chez nous dans les champs. Actuellement, les agriculteurs les inscrivent sur un registre qui reste chez eux. (Mme Kristina Pluchet proteste.) Nous demandons simplement la remontée systématique de ces informations à l'Anses. Cela s'appelle la méthodologie scientifique ! Il peut y avoir un lien entre les pesticides et certaines maladies : pour le savoir, il est essentiel de disposer de ces données.
On ne veut pas faire d'études, car on a peur de trouver quelque chose. Je salue le rapporteur Cuypers avec lequel nous arrivons à discuter, comme avec la présidente des affaires économiques. Or en séance publique, il est difficile de débattre avec certains collègues, qui tombent tout de suite dans l'anathème.
M. Yannick Jadot. - Le rapporteur nous a rappelé son attachement à la ferme France. Nous le sommes également. Chaque décennie, nous perdons 100 000 fermes. Il y a donc un enjeu de modèle.
Qui a choisi ce modèle ? Ce ne sont pas les écologistes. Qui a choisi de casser le protocole sucre ? Ce ne sont pas non plus les écologistes. Les betteraviers se sont félicités de la mondialisation en oubliant la concurrence. Qui a cassé le protocole lait et les quotas laitiers ? C'est la profession agricole, qui a choisi le grand large de la mobilisation !
Pour avoir été à l'initiative de la pétition des parlementaires contre le Mercosur, je sais qu'au Sénat, heureusement, nous combattons ce projet. Mais reconnaissez, madame Pluchet, que c'est la droite qui soutient ce modèle au Parlement européen !
Il faut réconcilier les paysans avec les habitants et les consommateurs. C'est ainsi qu'ils pourront vivre de leur travail. C'est le modèle que nous défendons. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme la présidente. - Si cet article était supprimé, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi. Venons-en donc aux explications de vote sur l'ensemble.
M. Guillaume Gontard. - Une fois encore, je m'étonne des propos tenus par le rapporteur, avec qui nous avons eu un dialogue ouvert. Il estime qu'il ne faut pas parler des produits phytosanitaires, car cela donne une mauvaise image du monde agricole. Il faudrait faire l'autruche, alors ? Pesticides, produits phytosanitaires, appelons-les comme on veut, mais il existe un lien de causalité entre leur utilisation et l'augmentation du nombre de cancers, notamment chez les moins de 50 ans. Bien sûr, l'agriculture n'est pas la seule responsable : les produits de synthèse sont en cause dans leur ensemble.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous refusez d'avancer sur le sujet. Les agriculteurs que je croise me disent qu'ils cesseront d'utiliser ces produits si on leur en donne les moyens ! (Applaudissements sur quelques travées du GEST)
À la demande de la commission, l'amendement n°2 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°135 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 338 |
| Pour l'adoption | 233 |
| Contre | 105 |
L'amendement n°2 rectifié bis est adopté et l'article 2 est supprimé. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. - Mes chers collègues, par lettre en date du 16 décembre, M. François Patriat, président du RDPI, demande l'inscription à l'ordre du jour de l'espace réservé à son groupe du jeudi 29 janvier 2026, de la proposition de loi visant à instaurer une procédure simplifiée de recouvrement des créances commerciales incontestées et de la proposition de loi visant à lever, dans les territoires d'outre-mer, l'interdiction de recherche, d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures.
Il en est ainsi décidé.
Prochaine séance, mardi 23 décembre 2025, à 9 h 30.
La séance est levée à 19 h 35.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 23 décembre 2025
Séance publique
À 9 h 30
1. Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2026
2. Questions orales